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(Tempus_ Collection historique) Janine Cels-Saint-Hilaire-La République des tribus _ Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République romaine, 495-300 av. J.-C -Presses

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Tempus

Collection historique dirigée par Pierre Bonnassie

• Jack Thomas, Le temps des foires. Foires et marchés dans le Midi toulousain de la fin de VAncien Régime à 1914.

• Jacques Voisenet, Bestiaire chrétien. Vimagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle).

• Pouvoirs et société dans VEspagne moderne. Hommage à Bartholomé Bennassar. Travaux réunis par Jean-Pierre Amalric.

• François Grèzes-rueff, La culture des députés français (1910-1958), essai de typologie.

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janine oels-saint-hiilaire

La République des tribus

Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République Romaine

(495 - 300 av. J.-C.)

Préface de Filippo Coarelli

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Illustration de couverture : Vel Saties prenant les augures (Fresque de la tombe François, à Vulci) Cliché Edizioni Quasar, Roma

Composition : Micro-édition 31, Hélène Mas 5 impasse G. Apollinaire, 31240 Saint-Jean

Le logo qui figure sur la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du pho-tocopillage.

Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établissements d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée.

Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 3 rue dUautefeuille, 75006 Paris).

ISBN : 2-85816-262-X

© Presses Universitaires du Mirail 1995 Université de Toulouse-Le Mirail 56 rue du Taur 31000 Toulouse

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STADT-IIBU0THEK

K 0 L N A

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon (art. 2 et suivants du Code pénal). Les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective sont interdites.

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REMERCIEMENTS

L'année qui commence est la trentième d'une amitié complice, jamais démentie et pour moi très féconde : celle qui m'attache à Monique et à Pierre Leveque, sans qui ces pages n'auraient jamais été écrites ; sans qui, plus simplement encore, je n'aurais jamais su à quel point les références à l'Histoire ancienne d'Athènes et de Rome pouvaient tenir de place dans la culture occidentale, et combien une recherche en ce domaine pouvait être à la fois actuelle et passionnante. Dès 1970, Monique et Pierre Leveque m'ont offert l'accès au Centre de recherche qui venait d'être fondé à Besançon, et m'ont associée au Groupe international de recherche sur l'esclavage antique, us m'ont ouvert les pages des Dialogues d'Histoire ancienne - chance inestimable pour le jeune chercheur que j'étais devenue. J'éprouve un grand plaisir à rappeler tout cela.

Je veux dire aussi ma dette à l'égard de Robert Etienne, dont la bienveillance et les encouragements ne m'ont jamais fait défaut. Son Culte impérial dans la Péninsule ibérique a été, bien sûr à l'origine de mes premières investigations en Gaule narbonnaise - à l'origine aussi de ma peur d'échouer à suivre son exemple, et de ne faire que recopier ce que d'autres avaient dit quatre-vingts ans plus tôt... C'est, à vrai dire, une recherche que je n'ai jamais abandonnée ; et demain peut-être, arrivée presque au terme de ma carrière, parviendrai-je à en livrer les résultats -dans la continuité de ce que je propose aujourd'hui.

Cependant, la documentation de la Gaule narbonnaise m'avait très tôt conduite à m'aventurer dans l'histoire des siècles archaïques de Rome. À

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cet égard, le colloque international sur l'esclavage qui se réunit à Besançon en 1974 fut à l'origine de rencontres qui allaient être déterminantes. Tout particulièrement, la communication de Mario Torelli me fit alors découvrir une méthode d'analyse pour moi très nouvelle : celle qui alliait, avec un très grand bonheur dans ce cas précis, le savoir de l'archéologue à la connaissance la plus exacte des textes. Quelques années plus tard, en 1981, une série de conférences prononcées par Filippo Coa-relli allait achever de me convaincre. J'en étais alors à tenter de retrouver, dans le culte impérial à ses débuts, en Narbonnaise, les significations que pouvaient avoir les références au roi Servius Tullius et à son œuvre ; l'avancée spectaculaire des connaissances archéologiques, complétant ou confortant les connaissances que livrait pour cette haute époque la documentation littéraire, m'encourageait à poursuivre en ce sens.

Par la suite, j'allais trouver en Filippo Coarelli un lecteur des plus attentifs, des plus patients, des plus ouverts aux hypothèses même les plus inhabituelles - et des plus exigeants. Ses objections, ses suggestions, pour tout dire son aide, m'ont été et me sont toujours singulièrement précieuses.

Un mot encore pour Claire Feuvrier Prévotat, à qui me lient trente ans d'études complices, et pour Jean Andreau - pour de mémorables réunions de travail et de discussion...

Toujours pour la méthode, il me faut aussi dire ma dette à l'égard de Blanche Magdelain ; dire comment, parfois dans des séances de travail mais aussi et plus souvent dans des conversations tout amicales, elle a su m'informer, m'avertir des exigences de la recherche en Histoire du droit. Je lui suis profondément reconnaissante de sa générosité et de son attention. J'espère qu'elle me pardonnera - et m'avertira - si je me révèle une élève par trop insuffisante.

J'ai encore beaucoup d'autres dettes d'amitié - à Paris, à Toulouse - j e ne puis toutes les énumérer. À Tours, j'évoquerai ceux avec qui je travaille depuis tant d'années - historiens d'Histoire ancienne et singulièrement Georges Miroux, mais aussi ceux d'Histoire médiévale, moderne ou contemporaine ; Madeleine Sauzet, responsable de la bibliothèque de recherche ; Dominique Dubois, bibliothécaire de notre département ; j 'évoquerai enfin les secrétaires du secrétariat d'Histoire et leur inaltérable urbanité - Brigitte Raimbault d'abord, la presque « fondatrice », si active et attentive, singulièrement précieuse dans les moments de presse, et maintenant Martine Robin et Marie-Claire Lejeau : j'aimerais que toutes et tous sachent combien ils ont compté pour moi.

Je remercie de tout cœur Benoît Falaize, ancien étudiant tourangeau, devenu un collègue et un ami, qui a relu ces pages avec une vigilance rare et une infinie patience.

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Remerciements 9

Il me reste à dire le grand plaisir et la fierté que j'éprouve à voir ce livre figurer dans la collection Tempus.

Que ma sœur Josette Riandière La Roche, qui m'est si proche, que mon beau-frère Bernard soient ici remerciés pour leur participation, toujours offerte, jamais démentie, et toujours efficace.

Je dédie enfin ces pages aux miens - trois générations : à Denis, à Marie-Christine et à Serge, à Guillaume et à Pierre.

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PRÉFACE

La naissance de l'historiographie moderne est intimement liée au développement de la philologie critique, qui, à partir de l'Humanisme, se construit dans l'exégèse de la Bible, en rapport avec la Réforme protestante. Cette même ligne de développement se remarque en ce qui concerne les origines d'une historiographie critique de Rome : ce n'est pas un hasard si Louis de Beaufort était un calviniste, émigré en Hollande pour fuir les persécutions

La démolition de la vulgate annalistique sur la Rome archaïque, qui commence à ce moment, trouvera son accomplissement définitif en Allemagne, dans l'historiographie de la Restauration, et ensuite, dans celle du Positivisme de la fin du XIXe siècle : elle constitue une étape obligée pour l'édification d'une histoire moderne de Rome. Une fois épuisée sa fonction historique, essentiellement destructrice, « l'histoire critique » du XIXe siècle paraît désormais se complaire dans une normalisation académique totalement stérile et improductive elle n'est plus seulement une entrave salutaire aux reconstructions hasardeuses d'une historiographie traditionaliste (qui survit encore dans certains milieux provinciaux, mais reste le plus souvent inoffensive), mais elle représente surtout un frein au développement d'une recherche active et constructive sur la Rome archaïque, dont la nécessité et la possibilité sont apparues de plus en plus évidentes ces dernières années. Cette nécessité et cette possibilité n'avaient pas échappé aux représentants les plus avertis de la grande historiographie du XIXe siècle : la grande œuvre de Th. Mommsen sur le droit

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public romain est entièrement construite sur la perception d'une réalité institutionnelle qui plonge ses racines dans la constitution archaïque de la cité. La limite de cette imposante reconstruction vient peut-être de sa forme synchronique, du reste inévitable : des œuvres comme la monumentale Histoire de la Constitution romaine de Francesco de Martino ont démontré la possibilité de pratiquer une approche diachronique, et d'écrire une histoire des institutions romaines à partir des origines mêmes du processus.

Cependant, la nouveauté la plus remarquable à l'heure actuelle dérive justement de la possibilité d'amplifier énormément les recherches de type synchronique et d'analyser l'histoire des institutions romaines dans un contexte plus large, à l'intérieur duquel celles-ci tendent à se situer pour la première fois dans une perspective réelle et verifiable. Les nouveautés fondamentales apportées par les progrès extraordinaires de l'archéologie, de l'épigraphie, de la linguistique ne restent donc pas confinées dans le cadre limité d'une discipline, mais prennent une valeur dynamique, qui permet désormais d'envisager la possibilité concrète d'une véritable anthropologie historique de la Rome archaïque et républicaine.

Ces critères méthodologiques, pleinement utilisés dans le présent travail, permettent d'en comprendre, au-delà des analyses particulières et des résultats (pourtant remarquables), la totale nouveauté et la fécondité.

Janine Cels-Saint-Hilaire s'est placée ainsi, avec un grand courage, au centre même des problèmes de la constitution romaine et de son développement, clef de lecture déterminante de tout le processus historique qui fera d'une cité non seulement la dominatrice de la Méditerranée antique, mais (avec Athènes) un des modèles de référence indispensables de l'Europe médiévale et moderne.

Comme l'avaient très tôt deviné les cerveaux politiques les plus lucides de l'Antiquité, comme Philippe V de Macédoine, le secret de l'extraordinaire réussite romaine est lié à la structure élastique de la citoyenneté. Alors que les cités grecques étaient de ce point de vue totalement fermées, Rome a toujours conservé une ouverture qui lui a permis d'intégrer non seulement les populations conquises, mais même les esclaves qui, après leur affranchissement, étaient inscrits de plein droit dans le corps des citoyens.

Mais cette affirmation même revient à exclure la possibilité de développements « démocratiques » des institutions romaines : la fermeture et la limitation jalouse de la citoyenneté sont en effet des conditions essentielles des démocraties antiques, comme l'illustre parfaitement le cas d'Athènes. La nature oligarchique de la constitution romaine apparaît de façon transparente dans les sources antiques, et elle est explicitement affirmée, par exemple, par Cicéron. Cette limite ne sera jamais dépassée.

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Préface 13

L'histoire interne de Rome est, en dernière analyse, l'histoire des tentatives de « démocratisation » de la constitution : tentatives toujours vouées à l'échec, qui même si elles réussirent parfois à amplifier les dimensions du corps civique, ne franchirent jamais les limites rigides de la tradition oligarchique.

L'histoire des institutions romaines, comme ces pages le démontrent, est celle d'un conflit très particulier : celui des plébéiens contre les patriciens, duquel dérive l'existence tout à fait originale à Rome de deux assemblées délibérantes : les comitia centuriata, instrument de la domination oligarchique, et les comitia tributa, qui étaient l'arme principale du renouveau plébéien. La transformation des tribus, qui, de simples cadres sont devenues assemblée délibérante, constitue justement la principale clef de compréhension de l'histoire politique romaine entre le début et le milieu de la République.

C'est pour cette raison que le choix qui est fait de construire l'histoire de la libertas (et donc de la citoyenneté) républicaine sur la base de l'histoire des tribus permet de se situer au cœur même du système de la République romaine : il éclaire l'histoire des conflits entre patriciens et plébéiens et celle de la naissance et du développement des factions au cours de la moyenne République. Mais aussi et surtout il met en rapport l'évolution du droit de vote et de la citoyenneté avec les transformations socio-économiques qui porteront à la crise des structures archaïques et à l'affirrnation des nouveaux modèles de la fin de la République.

L'analyse la plus éclairante est celle du développement des tribus. L'auteur a justement évité de le situer dans un rapport trop mécanique avec l'extension du territoire romain, mais a démontré au contraire le rôle qu'elles ont joué dans la lutte pour le pouvoir entre les gentes patriciennes, avec leur base de clientes, et les nouvelles classes plébéiennes. C'est la première fois qu'une telle clef de lecture nous est donnée pour l'histoire de la Rome républicaine, avec toutes les retombées que cette approche permet également pour la compréhension du principat d'Auguste.

Il n'est pas excessif d'affirmer que cette analyse, qui dépasse les apo-ries des interprétations courantes (de celle, traditionnelle, de Lily Ross Taylor à celle, « hypercritique », d'Andreas Alföldi), constituera désormais une base fondamentale pour la compréhension de cet organisme si particulier qu'est la République romaine.

F. Coarelli

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INTRODUCTION

Comment comprendre l'existence et l'importance, dans une société aussi aristocratique que l'est la société romaine sous la République, d'une assemblée politique, l'assemblée tribute, où tous les citoyens romains votent, quels que soient leurs niveaux de fortune et quelles que soient leurs origines ? Comment comprendre ensuite, après la mort d'Auguste, la quasi disparition du rôle politique des assemblées tributes, et pourtant la conservation des trente-cinq tribus dans lesquelles sont toujours recensés les citoyens romains, dans toutes les régions de l'empire ?

Bien des informations, que l'on tient des textes de la tradition, invitent à s'interroger sur les très anciennes sources d'inspiration politiques et religieuses auxquelles ont pu puiser Auguste, le fondateur du Principat, et ses successeurs immédiats. Ainsi, Auguste se voulait le Restaurateur de la République ; mais le roi Servius Tullius, dont le nom revient avec tant d'insistance dans la littérature de l'époque augustéenne, n'en était-il pas tenu pour le « Père », pour en avoir voulu l'établissement1 et pour avoir

1. Tite-Live, I, 48,9 : « Malgré cela, même cette autorité, pourtant si douce et si modérée, était celle d'un seul homme ; aussi avait-il l'intention de s'en démettre, d'après certains auteurs [...] » : Id ipsum tam mite ac tam moderatimi imperium tarnen, quia unius esset, deponete eum in animo Imbuisse quidam auctores sunt [...]. (texte et trad. CUF 1975).

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laissé, par testament politique, le modèle des plus importantes des institutions républicaines2 ?

De tels héritages ne sont pas ignorés des Modernes, et pas davantage niés.

Ainsi, en 1957 et 1960 paraissaient les deux volumes de l'ouvrage de F. Taeger, Charisma. Le premier était consacré aux honneurs rendus au souverain hellénistique. Dans le second, F. Taeger analysait les formes revêtues en Occident par le culte impérial romain : c'était tout aussitôt pour s'interroger sur la place d'un héritage qui appartenait au plus lointain passé, celui de Rome aussi bien que celui des peuples d'Italie ; sur la place, aussi, des apports reçus depuis des temps très anciens des peuples du bassin méditerranéen que Rome devait annexer, après avoir assuré sa domination sur l'ensemble de la péninsule italienne3.

Le culte impérial et plus largement la religion, insistait F. Taeger, participait de croyances et de conceptions du monde qui, héritières de tout le passé de Rome et des peuples d'Italie, étaient nécessairement différentes de celles des Grecs. Si les peuples d'Italie n'avaient pas eu l'équivalent d'un âge mycénien, ils avaient en revanche très tôt noué des relations, avec les Grecs sans doute, dans le Sud de la péninsule italienne, mais aussi avec les Étrusques dans le Nord et dans le Centre ; ils avaient été en contact avec les peuples de l'Occident méditerranéen aussi bien qu'avec ceux de l'Orient, et la conquête de l'empire ne pouvait que rendre ces relations plus étroites : le fait est que Rome, mise en présence d'apports très divers, devait les assimiler tous, selon des processus fort complexes qu'a ignorés le monde grec, et qui intéressent au premier chef le « culte impérial ». En particulier, c'est en raison de cela - insistait F. Taeger - que toute tentative pour rendre compte du culte impérial par une cause unique a toujours été vouée à l'échec4.

De la sorte, tout au long de cet exposé des faits et des données, la reconnaissance de l'héritage du passé, composé d'apports divers accumulés au long des siècles, apparaît pour l'analyse comme un fil conducteur.

F. Taeger cependant, tout en attirant l'attention sur l'importance d'un héritage venu du plus lointain passé de Rome et des peuples d'Italie, ne

2. Tite-Live, I, 60, 3 : « On nomma alors deux consuls dans les comices par centuries convoqués par le préfet de la ville d'après le manuel politique de Servais Tullius [...]»: Duo consules inde comitiis centuriatis a praefecto urbis ex commentariis Ser. Tulli creati sunt [...]. ( texte et trad. CUF 1973).

3. F. Taeger, Charisma. Studien zur Geschichte des antiken Heerscherkultes, II : Rom, Stuttgart, I960, pp. 3-5.

4. F. Taeger, Charisma..., pp. 3-5.

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croyait pas qu'on en puisse véritablement percevoir les composantes dans les textes de la tradition : pour lui, la réalité était enfouie sous la légende5, et les récits d'un Tite-Live ou d'un Pline l'Ancien6 ne renseignaient pas plus sur les hauts faits de Camille que sur un Manlius Capito-linus, voire sur les événements rapportés à la deuxième guerre punique7.

Ces convictions, F. Taeger les partageait alors avec nombre d'historiens. Or, trente ans plus tard, les perspectives ouvertes à la recherche sont devenues bien différentes. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler brièvement l'histoire des débats qui, surtout depuis le début du XVIIe siècle, ont mis en cause l'historicité des récits de la tradition - jusqu'à aboutir, chez certains savants, à un scepticisme radical.

* *

En 1624, paraissait, sous la signature de Philippus Claverius, une analyse critique des récits que l'on tenait des Anciens sur les siècles archaïques de Rome : l'auteur tenait que ces récits ne pouvaient s'appuyer sur aucune documentation de première main, et que donc rien ne pouvait en être retenu. Sur ce thème se trouvait ouverte une discussion appelée à de larges développements - et qui n'est toujours pas close.

En 1738, Louis de Beaufort relança le débat, avec sa Dissertation sur l'incertitude des cinq premiers siècles de l'Histoire romaine. De ce moment, et au cours des décennies suivantes, la critique des récits de la tradition devait se faire de plus en plus sévère ; et à la fin du siècle dernier, les études d'E. Pais8, après celles de B. G. Niebuhr et de Th. Mommsen, manifestaient un scepticisme à peu près radical9.

5. F. Taeger, Charisma..., pp. 34-35.

6. Tite-Live, V, 23 et 28 ; Pline, N.H. XXXIII, 7 etc.

7. F. Taeger, Charisma..., pp. 34-35, avec les références.

8. E. Pais, Storia di Roma, Turin, 1898-1899.

9. On trouvera un exposé de l'historiographie sur les origines de Rome, jusqu'aux discussions les plus récentes, dans le livre de A. Grandazzi, La fondation de Rome, Paris, 1991 (avec la bibliographie adjointe aux notes, pp. 287-322). Pour une discussion des prises de positions « hypercritiques », invalidant les informations données par les Anciens pour les quatre premiers siècles de l'histoire de Rome, cf. en particulier J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris 1969, pp. 378-379 ; M. Pallottino, Le origini di Roma : considerazioni sulle scoperte e sulle discussioni più recenti, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 11, Berlin New York, 1972, pp. 22-47 (et la bibliographie).

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Pour cela, les arguments ne manquaient pas.

Sur les premiers siècles de Rome en effet, on n'imaginait guère que les informations pouvaient venir d'ailleurs que des textes littéraires - ceux que l'on tenait, pour l'essentiel, de Cicéron, de Diodore, de Tite-Live, ou de Denys d'Halicarnasse. Or, entre ces auteurs et les commencements de la Ville, près de huit siècles avaient passé : quand ils écrivaient, certainement très peu de documents subsistaient des premiers siècles de la République, et moins encore de l'époque royale. C'est que, pensait-on, l'incendie de Rome par les Gaulois, en 390 av. J.-C, avait anéanti toute la documentation qui avait pu être accumulée jusque là ; alors avaient disparu, de l'aveu même des Anciens, les témoignages les plus probants10. Sans doute, on avait procédé par la suite à leur reconstitution ; et l'on avait aussi commencé de rédiger et de conserver des archives - en particulier les archives pontificales11 - qui auraient pu constituer un fonds documentaire de première main. Mais les Anciens, pensait-on, ne se préoccupaient guère de consulter les documents12. De surcroît, un Cicéron13, ou un Tite-Live14, mettaient en garde leurs lecteurs contre les falsifications que les familles dominantes avaient pu à tout moment y introduire, faussant jusqu'aux dates - consulaires - de faits importants, pour grandir la gloire de leurs ancêtres et celle de leurs propres lignées. Pourquoi même n'auraient-ils pas introduit aussi des ancêtres fictifs, dans les listes des magistrats dont les pontifes avaient la garde ?

Les Anciens ne disposaient donc, pensait-on, d'aucun des moyens d'investigation nécessaires à la mise en œuvre de la science historique ; et

10. Ainsi Tite-Live, VI, 1, 2, qui parle de la rareté des témoignages écrits, non seulement parce qu'on n'y recourait encore assez peu, mais aussi « à cause de la destruction dans l'incendie de la ville de la plupart de ceux qu'avaient pu contenir les registres des pontifes et autres documents publics et privés » : [...] etiam si quae in commentariis pon-tificum aliisque publias priuatisque erant monumentis, incensa urbe pleraeque interfere (texte et trad. CUF 1966) ; pour une analyse de cette explication, cf. en particulier les mises au point critiques de M. Torelli, Il sacco gallico di Roma, et de F. Coarelli, La stratigrafia del Comizio e l'incendio gallico, dans I Galli e l'Italia, Roma 1979, pp. 226-230.

11. B. W. Frier, Libri Annales Pontifìcum Maximorum. The Origins of the Annalistic Tradition, Rome 1979.

12. Sur cela, C. Ampolo, La Storiografia su Roma arcaica e i documenti, Tria Corda. Scritti in onore di Arnaldo Momigliano, Cosme 1983, qui aboutit, pp. 17-24, à des conclusions autrement nuancées : l'intérêt pour les documents est manifeste chez Caton, et plus encore chez Licinius Macer ; si Tite-Live et Denys d'Halicarnasse recopient apparemment ceux qui les ont précédés - sans toujours se rendre compte qu'ils mêlent des interprétations différentes - les antiquaires en revanche - Varron, Verrius Flaccus - tiennent le plus grand compte des inscriptions anciennes pour construire leurs thèses.

13. Cicéron, Brutus, 62.

14. Tite-Live, VHI, 40, 4, ou encore XXII, 31, 8.

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de toute façon, le respect des règles formelles et le désir de plaire inspiraient leur écriture, beaucoup plus que la volonté de retrouver véritablement l'histoire du passé15.

Cependant, dès la fin du siècle dernier, les travaux d'un G. Boni sur le forum romain16, et ses découvertes archéologiques, devaient provoquer les débuts d'un véritable renversement des perspectives. Par une curieuse coïncidence, tandis qu'en 1898 paraissait la Storia di Roma d'E. Pais, qui anéantissait presque entièrement la tradition, la découverte l'année suivante du Lapis Niger, portant une inscription où il était question du roi, prouvait - contre E. Pais - qu'au VIe siècle av. J.-C, Rome était régie par des institutions politiques et religieuses stables et évoluées, sous l'égide d'un roi, en conformité avec ce que disait la tradition ; celle-ci s'en trouvait revalorisée d'autant - même si la récente découverte n'allait pas jusqu'à confirmer la liste canonique des sept rois qui, disait-on, s'étaient succédé entre 753 et 50917. L'inscription, selon toutes probabilités, remontait au VIe siècle av. J.-C. ; elle montrait -contre les critiques récentes - qu'au plus tard à ce moment on connaissait à Rome l'usage de l'écriture18, que le latin y était la langue officielle, et

15. Sur la valeur des sources littéraires, les mises au point sont très nombreuses et dispersées ; on se reportera en particulier à C. Ampolo, La nascita della città, Storia di Roma I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 153-180 ; C. Ampolo, La città riformata e l'organizzazione centuriata. Lo spazio, il tempo, il sacro nella nuova realtà urbana, Storia di Roma I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 203-240 ( avec la bibliographie) ; F. Coarelli, I santuari, il fiume, gli empori, Storia di Roma I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 127-151 ; F. Coarelli, Demografia e territorio, Storia di Roma I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 318-339 (avec la bibliographie) ; E. Gabba, Studi su Dionigi da Alicarnasso, Athenaeum, 38, 1960, pp. 175-225 ; E. Gabba, Studi su Dionigi da Alicarnasso, Athenaeum, 39,1961, pp. 98-121 ; E. Gabba, Considerazioni sulla tradizione letteraria sulle origini della Repubblica, Entretiens XIII, Fondation Hardt, Vandoeuvre-Genève, 1966, pp. 135-169 ; A. Momigliano, Roma arcaica, Florence 1989 (qui rassemble les études de cet auteur sur les origines de Rome) ; D. Musti, Tendenze nella storiografia romana e greca su Roma arcaica. Studi su Livio e Dionigi d'Alicarnasso, Quaderni Urbinati di Cultura Classica, X, 1970, en particulier p. 56-60 ; D. Musti, I Greci e l'Italia, Storia di Roma, I, Roma in Italia, pp. 39-51 ; D. Musti, Lotte sociali e storia delle magistrature, Storia di Roma, I, Roma in Italia, pp. 367-395 (avec la bibliographie) ; D. Musti, La tradizione storica e i documenti, La grande Roma dei Tarquini, Rome, 1990, pp. 9-15.

16. Sur la grande valeur des travaux de G. Boni en tant qu'archéologue (en contraste avec celle de ses interprétations), cf. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 3-5.

17. En dernier lieu, M. Pallottino, Per una immagine di Roma arcaica, La Grande Roma dei Tarquini, Rome, 1990, pp. 3-6.

18. Les caractères du Lapis Niger correspondent à la description que l'on tient des Anciens, et en particulier de Denys d'Halicamasse, E, 54, 2 ; sur cela, F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 161-188 ; la liste des documents écrits datant des V^-V* siècle, et aujourd'hui connus, a été dressée par G. Colonna, L'aspetto epigrafico, Lapis Satricanus. Archeologi-cai, epigraphical, linguistic and historical aspects of the new inscription from Satricum, Ar-

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20 La République des tribus

l'on peut penser que c'était aussi celle de la plus grande partie de la population.

D'autres découvertes allaient suivre ; mais pendant plusieurs décennies, elles devaient donner prétexte à des débats où les préoccupations « scientifiques » n'étaient pas nécessairement au rendez-vous19 ; débats politiques, débats idéologiques, où en particulier les passions nationalistes prendraient l'habit des « traditionnalistes », contre ceux qui, au nom de l'objectivité, restaient fidèles aux méthodes et aux conclusions de l'école hypercritique.

Il convient toutefois de citer ici G. De Sanctis qui, dans sa Storia dei Romani20, tentait de suivre une « voie moyenne » ; ainsi, cet auteur soulignait que les falsifications des noms dans les fastes consulaires n'étaient peut-être pas aussi aisées qu'on l'avait dit, et que la destruction totale de tous les documents, en 390 av. J.-C, était fort peu vraisemblable. Il admettait que les Anciens, au Ie siècle av. J.-C, avaient encore sous les yeux, comme ils le disaient, des monuments fort anciens, témoins des siècles archaïques : ainsi ils pouvaient voir, dans le temple de Diane de l'Aven-tin, inscrits sur une stèle de bronze, les termes du traité qui sous Ser-vius Tullius avait lié entre elles et à Rome les cités de la ligue latine, et ils pouvaient y lire les noms de ces cités21 ; dans le temple de Dzus Fidius se trouvait le traité passé par Tarquin le Superbe avec Gabii22 ; le texte du foedus Cassianum, de 493, était écrit sur une colonne de bronze encore placée derrière les rostres au temps de Cicéron23 ; les Anciens connaissaient aussi la lex Furia-Vinaria de 47224 ; la loi de lotissement de l'Aven-tin, promulguée en 455, était conservée dans le temple de Diane de l'Aventin25...

cheologische Studien van het Nederlands Institut te Rome, Scripta Minora V, s'Gravenhage, 1980, pp. 53-69.

19. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 3-5 (et la bibliographie).

20. G. De Sanctis, Storia dei Romani, Florence 1907-1957 (2e éd. Florence, 1979).

21. Denys d'Halicarnasse, IV, 26.

22. Denys d'Halicarnasse, IV, 58.

23. Cicéron, Pro Balbo, 23, 53 ; Tite-Live, H, 33, 9 ; Denys d'Halicarnasse, VI, 95 ; Festus 216 L.

24. Varron apud Macrobe, Sat. 1,13,21.

25. Denys d'Halicarnasse, X, 32 ; Tite-Live, m, 31.

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Introduction 21

Mais G. De Sanctis pensait que la plus grande partie de la documentation avait été perdue. De plus, les erreurs de transcription gâchaient irrémédiablement les listes des magistrats, auxquelles on ne pouvait faire aucun crédit26.

Dans les décennies qui suivirent la seconde guerre mondiale enfin, les recherches sur les premiers siècles de Rome allaient prendre un tour nouveau27, et renouveler profondément les données28.

Ce fut pour une part du fait de fouilles archéologiques menées, dans toute la mesure du possible29, de façon plus systématique que par le passé, et non seulement à Rome, mais dans tout le Latium30. Elles allaient mettre en évidence le développement décisif des villes31 à partir de la fin

26. La liste des documents qui existaient encore au Ie siècle av. J.-C. a été dressée par C. Ampolo, La storiografia su Roma arcaica..., p. 15 ; on ajoutera aux documents cités par G. Colonna, Appendici : le iscrizioni strumentali latine del VIe V seculo a.L, Lapis Stricanus. Archeological, epigraphical, linguistic and historical aspects of the new inscription front Satricum, Archeologische Studien van het Nederlands Institut te Rome, Scripta Minora V. s'Gravenhage 1980, pp. 53-69, p. 53-69 : les tables de bronze où se trouvait transcrit le premier traité entre Rome et Carthage (Polybe, lu, 22 et 26, 1), et qui étaient placées dans Yaerarium des édiles, près du temple de Jupiter Capitolin ; le foedus Ardeatinum conclu en 444 (Licinius Macer, fr. 13 Peter, apud Tite-Live, IV, 7,10 ; Denys d'Halicarnasse, XI, 62) ; l'inscription de la cuirasse de lin de Tolumnius, dédiée par Cornelius Cossus dans le temple de Jupiter Férétrien en 437, 428, ou 426, et qu'Auguste avait lue (Tite-Live, IV, 1,7) ; la lex uetusta relative au praetor maximus et au rite de plantation du clou (Tite-Live, VU, 3,5,) ; l'inscription ex Cassia familia datum, sur la statue consacrée à Cérès après la condamnation à mort, en 486, de Spurius Cassius ; enfin l'inscription du Lapis Niger.

27. P. G. Gierow, The Iron Age of Latium (2 vol.), Lund 1964 et 1966 ; E. Gjerstad, Early Rome (6 vol.), Lund 1953 à 1973 ; H. Müller-Karpe, Vom Anfang Roms (op. cit.) ; H. Müller-Karpe, Zur Stadtwerdung Roms, Heidelberg, 1962 ; catalogues d'exposition : Civiltà del Lazio Primitivo, Rome, 1976 ; La grande Roma dei Tarquini, Rome, 1990.

28. Cf. depuis 1970, les actes des colloques qui rendent compte des découvertes dans le Latium et à Rome, sous le titre Archeologia Laziale (Quaderni del Centro di Studio per l'archeologia etrusco-italica).

29. Sur l'état des connaissances - très lacunaires, en particulier du fait des destructions dans les villes modernes (Rome, qui a connu une extension considérable dans les dernières décennies, en offre un exemple des plus frappants) : cf. par exemple Bietti Sestieri et De Santis, Indicatori archeologici di cambiamento nella struttura delle comunità laziali nell, 8e sec. A. C, Diabghi di Archeologia (3è m e serie, 3), 1985,1, p. 35.

30. C. Ampolo, Su alcuni mutamenti nel Lazio tra lrVHI e il V secolo, Dialoghi di Archeologia, V, 1970-1971, pp. 37-68 et pp. 69-100 ; A. P. Anzidei, A. M Bietti Sestieri, A. De Santis, Roma e il Lazio dall'età della pietra alla formazione della città, Roma 1985.

31. M. Pallottino, Per una immagine..., p. 4.

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du VIIe siècle32. Dans l'aire sacrée de S. Omobono, des inscriptions étrusques ont été mises au jour : elles attestent la présence dans les parages, à la fin du VIIe siècle, de personnages sans doute de haut rang, venus de villes étrusques. Et ces données confirment - contre les détracteurs de la tradition, au moins pour les temps les plus anciens - que dans les dernières décennies du VIIe siècle, les Romains connaissaient l'écriture - comme les Grecs et les Étrusques, de qui d'ailleurs ils la tenaient. Les contacts qu'ils avaient eus avec ces peuples dès une époque très reculée se trouvaient par là même démontrés, et l'on était fortement tenté de les mettre en relation avec ce que disaient les Anciens de l'arrivée à Rome d'un certain Lucumon, riche personnage qui venait de Tarquinies, qui était fils de Démarate - un Grec originaire de Corinthe - , et qui, sous le nom de Tarquin l'Ancien, succéderait au roi Ancus Marcius33.

À ces découvertes se sont ajoutés des progrès considérables, en philologie, en linguistique, en épigraphie ; de nouvelles inscriptions ont été découvertes ; d'autres, anciennement connues mais jusque-là mal comprises, ont pu être relues ; et la confrontation des textes de la tradition romaine avec des sources grecques, ou étrusques, est venu confirmer l'authenticité de personnages que l'on avait déclarés mythiques ou légendaires34.

Ainsi, en 1939, sur le territoire de l'antique Véies, dans le sanctuaire de Menerva - la Minerve étrusque - , une inscription votive était mise au jour ; or, elle portait le nom à'Avïle Vvpiennas, et l'on était conduit à la dater des environs de 580 av. J.-C., en d'autres termes de l'époque à laquelle la tradition à Rome plaçait les frères Vibenna : l'hypothèse de l'authenticité de ces personnages trouvait là une singulière confirmation. Elle contribuait aussi à poser en termes nouveaux la question de l'historicité du roi Servius Tullius dont Claude dit, dans son discours de 48 ap. J.-C.35, qu'il était « selon les Étrusques le plus fidèle compagnon (sodalis) de Caelius Vibenna et compagnon de toutes ses aventures » et

32. Sur les questions de chronologie opposant une datation « haute, », une datation « basse », et une datation « intermédiaire » cf. M. Pallottino, Le origini di Roma (loc.cit.), en particulier pp. 30-31 ; aucune démonstration n'est décisive, en faveur de la datation « haute » ou « basse » ; la datation « intermédiaire » est quant à elle, mieux que les deux autres, en accord avec les données littéraires : à la suite de la plupart des spécialistes des siècles archaïques de Rome, c'est celle que je suivrai ici.

33. Ainsi Tite-Live, I, 34,1 ; sur Démarate, cf. Ampolo, 1976-1977.

34. Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris 1966, pp. 19-27, qui commençait son étude avec des considérations sur la fabrication des légendes par les Anciens, et sur leurs supercheries ; Idem, Mythe et épopée, Paris 1968, p. 432.

35. CIL Xm, 1668.

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Introduction 23

« qu'il s'appelait en étrusque Mastarna »36 : ce sont encore ces mêmes personnages que Ton trouve, désignés par leurs noms, dans le décor peint de la tombe François à Vulci37 ; ils y figurent comme les protagonistes d'un combat opposant Aule et Caile Vvpinas, avec leur compagnon Macstrna, à un Cneue Tarchunies Rumach qui pourrait être « Tarquin le Romain »38.

Parmi les découvertes les plus spectaculaires de ces dernières années, je citerai deux exemples encore.

En 1969 J. Heurgon39, dans un ouvrage ouvert aux découvertes les plus récentes, rejetait, comme le voulait l'opinion apparemment la plus sage, l'authenticité des premiers collèges consulaires de la République : ces collèges étaient, écrivait J. Heurgon, « composés de personnages empruntés à la légende de la chute des Tarquins, Brutus, Tarquin Collatin, Sp. Lucretius, auxquels se mêle la figure non moins légendaire de P. Valerius Publicola ». Or, en 1980, était mise au jour à Satricum une dédicace faite à Mars par les sodales d'un Publius Valerius, et les découvreurs étaient conduits à dater l'inscription des environs de 500 av. J.-C.40. Peut-on reconnaître Publius Valerius Publicola, dans le Publius Valerius de l'inscription de Satricum ? Les avis sont partagés. Mais on tend à reconnaître dans ce personnage un représentant de l'aristocratie romaine, plutôt qu'un notable local. Et ce qui maintenant paraît indiscutable, c'est l'importance à Rome des Valerii, à la fin du VIe siècle. De la sorte, le caractère imaginaire, légendaire, d'un Publius Valerius Publicola devient beaucoup moins assuré qu'il y a encore quinze ans.

36. M. Pallottino, Servius Tullius à la lumière des nouvelles découvertes archéologiques et épigraphiques, Comptes-Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres (CRAI), 1977, pp. 216-235 ; F. Coarelli, Le pitture della tomba François a Vulci : una proposta di lettura , Dialoghi di Archeologia, 2,1983, pp. 43-69 ; M. Pallottino, Per una immagine, p. 5. ; pour un exposé des diverses interprétations, C. Ampolo, La nascita della città, pp. 208-210.

37. La tombe est connue depuis 1837 ; on la date aujourd'hui du milieu du IVe siècle, deux siècles seulement après le règne de Servius Tullius, ce qui invite à accorder une certaine crédibilité aux événements ainsi évoqués et une certaine authenticité aux personnages qui y sont mêlés ; sur de telles questions, cf. M. Pallottino, Le origini di Roma : considerazioni..., pp. 22-47, et particulièrement sur cela pp. 41-46.

38. Cf. le Catalogue de l'exposition La Tombe François di Vulci, Cité du Vatican (20 mars-17 mai 1987); pour une nouvelle lecture: F. Coarelli, Le pitture..., qui discute A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor 1965, pp. 224-225.

39. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 267.

40. Sur cette inscription : C. M. Stibbe, G. Colonna, C. De Simone, H. S. Versnel, Lapis Sa-tricanus. Archeological, epigraphical, linguistic and historical aspects of the new inscription from Satricum, Archeologische Studiîn van het Nederlands Institut te Rome, Scripta Minora V, s'Gravenhage, 1980.

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24 La République des tribus

Je rappellerai d'autre part l'histoire de Mézence, roi de Caéré, dont la tradition faisait le plus farouche des adversaires d'Énée et de son fils41. Mais en dehors de ce personnage, et dans ce récit, le nom de Mézence était totalement inconnu, à Caéré comme dans toutes les autres cités étrusques : il apparaissait donc certain que le personnage de Mézence, et plus largement les relations entre Étrusques et Latins que la tradition décrivait pour une haute époque, étaient le pur produit de l'imagination des Anciens. Or, le réexamen mené par F. Gauthier et D. Briquel42 d'un petit vase que possède le musée du Louvre depuis 186343, est venu bouleverser ces certitudes.

Cette coupelle hémisphérique à haut pied, haute de 9 cm et fabriquée au tour, porte une inscription qui a été incisée après cuisson sur le vase renversé. Aujourd'hui, on en ignore la provenance exacte, mais nombre d'indices orientent vers Caéré44. En particulier, par la forme et les procédés de fabrication, il rappelle fortement des objets de céramique trouvés précisément dans des tombes de Caéré, dans des contextes datables de la première moitié du VIIe siècle45. Ce petit vase porte une inscription difficile à lire, et l'on avait renoncé à la comprendre. D. Briquel, qui en a repris l'analyse46, y a reconnu une inscription non pas osque, comme on l'avait supposé, mais « indéniablement étrusque », et inspirée d'une formule courante : c'est une marque de possession, comportant le prénom Laucie suivi du gentilice Mezentie qui est « l'équivalent exact du latin Me-zentius ». On ne saurait évidemment affirmer que le Mézence évoqué par cette inscription est celui de la légende. Mais on admettra, à la suite de D. Briquel47, « l'existence, avec ce Lautie Mezentie, d'une famille de Mé-zence(s) dans la Caéré de la première moitié du VIIe siècle av. J.-C Ce sera autour de la personnalité d'un des membres de cette gens qui aura exercé le pouvoir royal dans cette cité étrusque, et sera intervenu à ce titre dans le Latium voisin, à une époque plus ou moins proche de cette date, que se sera formulée la figure du Mézence légendaire... ».

41. Ainsi Tite-Live, I, 2,3.

42. F. Gauthier et D. Briquel, Réexamen d'une inscription du Musée du Louvre : un Mézence à Caere au VIIe siècle av. J.-C, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, janvier-mars 1989, pp. 99-13,1989.

43. La première édition, due à E. Portier, date de 1897.

44. F. Gauthier et D. Briquel, Réexamen..., pp. 99-104.

45. F. Gauthier et D. Briquel, Réexamen..., p. 101.

46. F. Gauthier et D. Briquel, Réexamen..., pp. 106-113.

47. F. Gauthier et D. Briquel, Réexamen..., p. 113.

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Introduction 25

Les recherches des trente dernières années ont, en définitive, largement contribué à réhabiliter une tradition qu'avaient fort malmenée les études hypercritiques des décennies précédentes. On dispose aujourd'hui de connaissances beaucoup plus précises et plus étendues qu'il y a quinze ou vingt ans encore. Sans doute, certaines découvertes sont-elles venues apporter aux récits des Anciens un certain nombre de démentis ; mais très souvent aussi, elles en attestent la justesse et en précisent le sens. Il apparaît de plus en plus aujourd'hui qu'il convient de les accueillir avec prudence sans doute : on ne saurait trouver, dans les écrits de Tite-Live ou de Denys d'Halicamasse, mois après mois et année après année, l'exposé détaillé des événements qui ont pu marquer l'histoire de Rome : on ne saurait construire d'après eux une « histoire événementielle ». Mais il convient aussi de les accueillir sans scepticisme excessif : ces hauts faits que les Anciens célèbrent, ces épisodes qu'ils racontent, ne relèvent pas nécessairement de la pure invention ou de la falsification délibérée48 - même si l'on peut déceler dans un certain nombre de cas des redoublements ou des déplacements chronologiques, destinés à accroître la gloire de certaines familles. Surtout, derrière les faits et par les faits racontés, se dessinent des évolutions économiques, sociales, politiques, ou institutionnelles, et cela, sur le temps court comme sur la longue durée.

De la sorte, les connaissances récemment acquises dans des domaines aussi divers et complémentaires que l'épigraphie, la linguistique ou l'archéologie ouvrent de nouvelles voies aux recherches en histoire économique, sociale, religieuse, institutionnelle...49 Et pour les plus sceptiques, resteraient encore la profonde cohérence interne des récits d'un Tite-Live ou d'un Denys d'Halicamasse, et l'attachement qu'ils manifestent à retrouver ces traces du passé. Là sans doute se révèlent les représentations que, au moins à la fin de la République et à l'époque augustéenne, on se faisait de l'histoire des siècles passés, et qui pourraient rendre compte, comme le soulignait F. Taeger, des processus de légitimation du princi-pat d'Auguste ; des représentations qui mêlent étroitement le politique et le religieux, et qu'il convient de tenter de retrouver, par delà les non-dits de récits destinés à des hommes pour qui certaines « évidences » n'avaient pas besoin d'être énoncées. Elles reposaient sur une « connaissance » du passé romain - avec toutes les distorsions, conscientes et inconscientes, que l'on pourra imaginer - qui n'avait pas alors besoin d'être exprimée dans sa totalité.

48. Comme le voulait encore A. Alföldi, Early Rome..., ou G. Dumézil, la religion.

49. M. Pallottino, Le origini di Roma : considerazioni..., pp. 22-24 - qui formait des voeux pour le développement de recherches inter-disciplinaires.

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26 La République des tribus

Selon toute vraisemblance, les textes les mieux informés ne livrent aujourd'hui de cette idéologie, de façon explicite, qu'une part. Comment alors en retrouver les éléments constitutifs, sans prendre en compte, de quelque manière, le contexte historique dans lequel la tradition les faisait naître, et où ils prenaient leurs premières significations ?

À la fin de la République, et encore sous Auguste, la vie politique paraît gouvernée à Rome par un ensemble de principes et de règles qui est hautement paradoxal.

Au IIe siècle av. J.-C, Polybe, qui appartenait à l'entourage de Scipion Émilien, pensait trouver dans la constitution politique romaine le secret de sa puissance grandissante ; mais il avouait sa perplexité50 :

« Les trois sources de l'autorité politique dont j'ai parlé plus haut avaient leur place dans la constitution romaine », écrit-il. « Toutes les activités de l'État, dans chacun des domaines où elles s'exerçaient, étaient organisées et réglées sous la direction de ces trois pouvoirs de façon si équitable et si judicieuse que personne, pas même un citoyen romain, n'aurait pu dire avec certitude si cette constitution était, à tout prendre, aristocratique, démocratique, ou monarchique. Et Ton avait quelque raison d'être perplexe. À qui, en effet, portait toute son attention sur les pouvoirs des consuls, elle apparaissait comme un régime entièrement monarchique, avec toutes les caractéristiques de la royauté. À qui considérait le Sénat, elle apparaissait comme une aristocratie. Et si l'on observait les pouvoirs du peuple, il apparaissait à l'évidence qu'il s'agissait d'une démocratie ».

Salluste un siècle plus tard, lorsqu'il expose l'histoire de Marius et de la Guerre de Jugurtha qui, au sens large, couvre les années 116 à 105 av. J.-C, tient des propos bien différents.

« Dans la paix comme dans la guerre », écrit-il, « c'est l'arbitraire d'une oligarchie qui décidait de tout ; les mêmes mains disposaient du trésor public, des provinces, des magistratures et des triomphes ; au peuple était réservé tout le poids du service militaire, et l'indigence [...] »51.

L'on ne peut guère douter en effet, pour le temps de Marius aussi bien que de Salluste, de la grande puissance d'une aristocratie au sein de laquelle quelques familles jouissaient d'une suprématie à peu près sans partage, dans tous les domaines. Qu'est-il donc advenu du « pouvoir du peuple » évoqué par Polybe ? Faut-il admettre qu'il y avait eu depuis Po-

50. Polybe, VI, 5,11. (trad. D. Roussel, 1970).

51. Salluste, Bellum Jugurthinum, XLII, 7.

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Introduction 27

lybe, en quelques années à peine, une évolution sociale et politique telle que l'équilibre savant des trois pouvoirs avait été ruiné, et qu'une oligarchie avait pris le pouvoir ? Resterait à expliquer alors pourquoi et comment.

Les propos tenus par Cicéron dans son plaidoyer Pour Caecina, ou encore dans son traité sur Les Lois, orientent vers d'autres analyses. Il y apparaît que la citoyenneté romaine s'identifie d'abord avec une libertas dont elle est indissociable : « La tradition est la même dans l'un et l'autre cas », affirmait Cicéron dans son plaidoyer en faveur d'A. Caecina52, « et, le droit de cité une fois perdu, la liberté ne saurait être conservée. Comment en effet peut-on être libre en vertu du droit des Quirites, quand on ne compte pas parmi les Quirites ? ». Et comme nul ne peut être privé de cette liberté, même sur ordre du peuple53, nul ne peut être privé non plus de sa citoyenneté : « Tu n'apportes aucune raison » - disait encore Cicéron à son adversaire - « pour établir que, si la liberté ne peut être enlevée en aucune façon, le droit de cité puisse l'être »54.

La citoyenneté romaine et les droits qu'elle comportait étaient donc garantis pour tous, mais des devoirs y étaient attachés. Faute de les respecter et de les remplir - par exemple s'il ne se faisait pas recenser pour échapper aux obligations militaires -, un citoyen romain s'excluait de lui-même de la citoyenneté : l'incensus perdait sa qualité de citoyen romain, de façon en quelque sorte « volontaire »55 ; il la perdait encore s'il allait, en tant que colon, participer à la fondation d'une colonie latine, ou encore s'il partait pour l'exil : mais dans tous ces cas56, c'était de lui-même qu'il abandonnait la citoyenneté romaine, pour en prendre une autre ; « car personne », précisait Cicéron, « d'après notre législation, ne peut appartenir à deux cités »57. Les garanties étaient bien respectées.

52. Cicéron, Pro Caecina, XXXUI, 96 : Nam et eodem modo de utraque re traditum nobis est, et, si semel ciuitas adimi potest, retineri libertas non potest. Quid enim potest iure Quiritium liber esse is qui numero Quiritium non est ? (texte et trad. CUF 1961).

53. Cicéron, Pro Caecina, XXXUI, 96 : l'exemple montre qu'à l'intérieur de la Cité, un citoyen romain ne peut être réduit en esclavage ni par un particulier, ni même par ordre du peuple.

54. Cicéron, Pro Caecina, XXXUI, 96 : Nihil rationis adfers quam ob rem, si libertas adimi nullo modo mossit, ciuitas possit. (texte et trad. CUF 1961).

55. Cicéron, Pro Caecina, XXXIH, 99.

56. On y ajoutera le cas, très particulier, de ceux enfin qui sont vendus par le chef des Fé-tiaux ; Cicéron, Pro Caecina, XXXIII, 98-100.

57. Cicéron, Pro Caecina, XXXHI, 100 : [...] cum ex nostro iure duarum ciuitatum nemo esse possit [...].

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28 La République des tribus

Or, cette libertas et cette citoyenneté romaine allaient de pair avec un droit de vote qui était tout aussi imprescriptible.

Ainsi Tite-Live, rapportant le conflit qui, en 168 av. J.-C, avait opposé Caius Claudius Pulcher et Tiberius Sempronius Gracchus, les deux censeurs, sur l'inscription des citoyens romains, et tout particulièrement des nouveaux citoyens - les libertini - dans les circonscriptions de vote que sont alors les tribus, exposait58 :

« Claudius déniait à un censeur le droit d'enlever à quelqu'un [...] le droit de suffrage sans l'ordre du peuple. Ce n'était pas en effet parce qu'il pouvait exclure d'une tribu [...] qu'il pouvait exclure de toutes les tribus, c'est-à-dire enlever le droit de cité et la liberté ».

Ce droit de voter contribuait donc à fonder la citoyenneté romaine comme la libertas par excellence. Mais il convient d'ajouter : ce droit de voter dans l'assemblée tribute, avec la tribu où tout citoyen, qu'il l'ait été de naissance ou qu'il le soit devenu, était nécessairement inscrit.

Polybe cependant, dans sa description du « pouvoir du peuple »59, ne faisait aucune mention de l'existence de deux assemblées du peuple romain - tribute et centuriate - dont les rôles étaient pourtant bien différents. Mais peut-être était-ce au prix d'un tel silence qu'il pouvait soutenir l'idée d'un caractère démocratique de la constitution romaine, en mêlant en un tout indissociable ce caractère avec ses aspects monarchiques et ses aspects aristocratiques.

Car la « liberté » du peuple ne signifiait pas nécessairement « démocratie ». Ainsi, à propos de la fondation de la République et de la création des tribuns de la plèbe en 493 av. J.-C, Cicéron disait aussi60 :

«[...] Ou bien il ne fallait pas chasser les rois, ou bien il fallait donner la liberté au peuple, réellement, et non pas en paroles. On la lui a donnée mais dans des conditions telles que, grâce à de nombreuses et excellentes mesures, elle devait être amenée à céder devant l'autorité des Grands ».

58. Tite-Live, XLV, 15, 3-4 : [...] negabat Claudius suffragii lationem iniussu -copuli censorem cuiquam homini, nedum ordini universo adimere posse. Neque enim, si tribu mouere possit, quod sit nihil aliud quam mutare iubere tribum, ideo omnibus quinque et triginta tribubus eripere posse, id est ciuitatem libertatemque eripere, non, ubi censeatur, finire, sed censu ex-cludere.

59. Polybe, VI, 5,11-18.

60. Cicéron, De Legibus, IE, 25 : Quam ob rem aut exigendi reges nonfuerunt, aut plebi re, non uerbo, danda libertas. Quae tarnen sic data est, ut multis institutis praeclarissimis adducere-tur, ut auetoritati prineipum cederei (texte et trad. CUF, 1968).

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Introduction 29

Tite-Live ne tenait pas des propos très différents, lorsqu'il évoquait l'organisation centuriate que, disait-on, l'on devait à Servius Tullius, et lorsqu'il lui en rendait grâce61 : ce roi en effet, disait-il,

« rompant avec l'usage établi par Romulus et conservé par tous les rois, ne garda pas le suffrage universel où chaque voix a la même valeur et les mêmes droits indistinctement; il établit des degrés qui, sans paraître exclure personne du vote, mettaient toute la puissance aux mains des hautes classes ».

Pour établir cette opposition - insidieuse, qui ne s'avoue pas toujours aussi clairement - de l'apparence et de la réalité dans la vie politique romaine, on pourrait invoquer bien des textes. Et le fonctionnement de l'assemblée centuriate où ne votent guère, avec les hommes de l'élite -nobles et chevaliers romains -, que les citoyens de la première classe62, en est une éloquente illustration. Cela devient beaucoup moins clair, si l'on considère l'assemblée tribute : dans cette assemblée, à la seule condition de se trouver à Rome un jour de vote63, tout citoyen avait le droit de participer.

Reste donc, en dépit de tout, ce droit de vote imprescriptible, et l'obligation faite aux censeurs d'inscrire dans les tribus tous les citoyens, qu'ils soient citoyens de souche, ou qu'ils le soient devenus.

Le principe d'ouverture de la cité romaine qui se révèle là, et qui était à vrai dire aussi ancien que la Ville, a provoqué l'adhésion sans réserve d'un Denys d'Halicarnasse64 : sa mise en œuvre, décidée par Romulus et scrupuleusement observée par la suite, explique un accroissement de puissance tel « que le peuple romain finit par égaler en nombre les nations réputées les plus populeuses » ; et Denys d'Halicarnasse de pour-

61. Tite-Live, 1,43,10 : Non enim, ut ab Romulo traditum ceteri seruauerant reges, uiritim suf-fragium eadem ui eodemque iure promisee omnibus datum est ; sed gradus facti, ut neque exclusus quisquam suffragio uideretur et uis omnis penes primores ciuitatis esset [...] (texte et trad. CUF, 1975).

62. Sur cela, cf. CL Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen. I, Les structures de l'Italie romaine, Paris, 1977, pp. 342-345.

63. Ce qui peut, il est vrai, opposer un obstacle insurmontable à la participation, pour ceux qui résident loin de Rome et sont, de surcroît, dépourvus de moyens économiques suffisants : cf. les observations de L. R. Taylor, Roman Voting Assemblies from the Hannibalic war to the dictatorship of Caesar, Ann Arbor, 1966, en particulier p. 67.

64. Denys d'Halicarnasse, II, 16-17 (trad. Fromentin et Schnäbele, coll. La Roue à Livres, Paris 1990) ; deux siècles plus tôt déjà, en 214, Philippe V de Macédoine, dans sa lettre aux Larisséens, avait tenu des propos semblables: IG IX, 517= SIG3, 543, 11, pp. 29 sq ; sur cela, cf. Ph. Gauthier, « Générosité » romaine et « avarice » grecque sur l'octroi du droit de cité, Mélanges W. Seston, Paris 1974, pp. 207-215 ; A. Fraschetti, A proposito di ex-schiavi e della loro integrazione in ambito cittadino a Roma, Opus, I, 1982, pp. 97-103.

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suivre en stigmatisant « l'attitude hautaine » - inverse de celle des Romains - des Lacédémoniens, des Thébains ou des Athéniens, une attitude qui « bien loin de leur valoir le moindre profit, leur a causé les pires dommages ».

Et Rome a accordé le droit de cité - avec le droit de vote dans les assemblées du peuple - à un nombre de plus en plus grand d'étrangers65. Comment comprendre cette diffusion du droit de cité ? Comment une telle ouverture a-t-elle pu aller de pair avec les caractères éminemment aristocratiques de la cité et de sa vie politique ? À quelles nécessités répondait-elle ? Car indéniablement, Rome a été une cité « ouverte », depuis les premiers temps de son existence : les Anciens en faisaient volontiers honneur à Romulus, qui avait su intégrer dans le corps civique ceux qu'il combattait encore la veille, et par exemple les Sabins de Titus Tatius66 ; quant aux rois qui lui avaient succédé, ils n'avaient pas mené des politiques différentes, s'il faut en croire la tradition.

Sans doute, au VIIe siècle av. J.-C, cette ouverture n'était-elle pas exceptionnelle en Italie : partout dans l'Italie péninsulaire, dans les cités étrusques, grecques, ou latines, les inscriptions dont on dispose, et qui livrent des noms, révèlent une mobilité géographique et sociale des personnes qui ne laisse pas d'être impressionnante, et qui donne aux récits de la tradition67 d'étonnantes confirmations68.

Cependant, toutes les cités d'Italie - cités grecques, cités étrusques -paraissent s'être fermées aux étrangers dans les premières décennies du Ve siècle69.

65. Sur cela, infra, chap. V.

66. Sur la question des Sabins à Rome, cf. M. Pallottino, Le origini di Roma : considerazioni..., p. 40 (avec la bibliographie de la question) ; pour une analyse sensiblement différente, cf. J. Poucet, Les origines de Rome. Tradition et histoire, Bruxelles 1985, en particulier p. 143 : l'auteur ne croit pas à une présence importante des Sabins aux origines de Rome, et pense qu'à tout le moins on n'a aucune preuve réelle d'une telle présence.

67. Je me bornerai à rappeler ici les exemples donnés par Claude, dans le discours qu'il prononça devant les sénateurs, en 48 ap. J.-C. : en vertu des exemples du passé, le Princeps cherchait à obtenir d'eux l'ouverture du Sénat à l'élite gauloise ; CIL XIQ, 1668.

68. M. Torelli, Rome et l'Étrurie à l'époque archaïque, Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques, colloque international (Besançon, 2-3 mai 1974), Paris 1979, pp. 251-299 = Tre studi di storia etnisca, I, Dialoghi di Archeologia, Vm, 1974, pp. 3-53.

69. C. Ampolo, La nascita..., p. 174 ; Torelli, « Le popolazioni dell'Italia antica : società e forme del potere », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 53-74, et particulièrement ici p. 67.

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Introduction 31

Rome, où se manifeste au Ve siècle un repliement sur soi, est ensuite redevenue une cité ouverte ; et à ceux à qui elle a accordé la citoyenneté romaine, elle a accordé le droit de voter dans les assemblées, comme un droit imprescriptible qui fondait véritablement la citoyenneté romaine en liberté par excellence.

Sans doute, le vote était-il de fait interdit aux plus pauvres dans l'assemblée centuriate ; mais dans l'assemblée tribute, chaque citoyen, quelles que fussent sa fortune et sa place dans la hiérarchie sociale, avait le droit de voter.

De sorte que l'histoire des tribus est inséparable de l'histoire de la citoyenneté romaine et du droit de vote qui lui était attaché ; inséparable aussi de l'histoire de la conquête romaine et de la romanisation des peuples vaincus, avec l'octroi, à des individus ou à des communautés entières, des droits du citoyen romain.

Ces tribus, qui devaient devenir des cadres essentiels pour l'activité politique de citoyens dont le nombre grandissait avec la conquête, et pour des assemblées dont le rôle n'allait cesser de croître tout au long de la République, ont connu à partir du VIe siècle av. J.-C, une évolution complexe.

Elles n'étaient pas les plus anciennes : dans les premiers temps de son histoire, le peuple romain avait déjà été réparti entre trois tribus, qui existaient toujours au VIe siècle av. J.-C. Quel rôle jouaient-elles alors ? On le saisit mal. La tradition unanime attribuait en tout cas au roi Servais Tullius la création de quatre nouvelles tribus, sur le territoire de la ville, pour servir de cadres pour le recensement de ceux qui avaient là leur résidence ; peu après, cinq autres devaient être créées qui couvriraient, autour de l'espace urbain, Vager Romanus antiquus. Dès le premier siècle de la République, douze tribus allaient encore voir le jour, au temps même où, selon la tradition, se développait la lutte de la plèbe contre le patriciat.

À quelles nécessités la création de ces tribus - au nombre de neuf selon toute vraisemblance - par le roi Servius Tullius a-t-elle dû et pu répondre ? Quand, comment et pourquoi douze autres furent-elles créées dans le courant du Ve siècle, et en 387 av. J.-C, quatre encore ? Quand, comment, et pourquoi ces tribus devinrent-elles les cadres d'assemblées politiques dont les compétences ne devaient pas cesser de grandir, tout au long de la République ? C'est à ces questions que je voudrais tenter de répondre, dans les pages qui vont suivre.

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La République des tribus

CARTE GENERALE DE L'ITALIE : quelques repères

Lingons nom de peuple

ETRURIE, OMBRIE ... région tenue par les Etrusques, par les Ombriens ...

vuici nom de ville

En encart, cf. CARTE XI

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CHAPITRE I

DES COMMUNAUTÉS DE VILLAGE À LA ROME DES ROIS

Au VIe siècle av. J.-C. - à l'époque, entre 578 et 535, où les Anciens plaçaient le règne de Servius Tullius dont ils faisaient le « père » des institutions républicaines - , la société romaine était héritière d'un passé plusieurs fois séculaire, et de traditions très anciennes qu'il aurait été sans doute difficile de transgresser. Mais elle était aussi le résultat d'une évolution qui, depuis les premières décennies du Ie millénaire, avait abouti aux VIIe et VIe siècles av. J.-C. à l'établissement et à la consolidation d'une société complexe, fortement contrastée, marquée par des compétitions et des affrontements redoutables pour l'avenir de la Ville.

Ce qui paraît en effet assez assuré, et cela non seulement sur les collines de Rome, mais aussi dans toute l'Italie centrale, c'est le passage, entre le IXe et le VIIe siècle av. J.-C, des sociétés aux structures simples et relativement égalitaires qui avaient été celles de communautés de village, à des sociétés inégalitaires et fortement hiérarchisées. À la fin de la période royale ou aux débuts de la République pourtant, tout n'avait pas disparu des temps les plus anciens. Pour me borner à un exemple, j 'évoquerai les curies, institutions très archaïques qui existaient au IIe millénaire déjà et qui, au VIe ou au Ve siècle av. J.-C. organisaient toujours le corps civique à Rome. Mais on a pu montrer1 comment l'aristo-

1. M. Torelli, « Rome et l'Étrurie à l'époque archaïque », Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques (Colloque international, Besançon, 1974), Paris, 1979, pp. 272-273.

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cratie romaine et très précisément les patrons des gentes2 qui exerçaient depuis la fondation de la Ville une domination de mieux en mieux établie sur le gouvernement et la vie quotidienne des Romains, étaient en particulier parvenus à contrôler vingt-trois des curies sur les trente qui existaient alors : la similitude des noms de ces vingt-trois curies avec ceux d'autant de gentes en fournit un indice assez sûr. Cependant, les affrontements qui marquent ce temps, ceux qui accompagnent, par exemple, l'avènement de Servius Tullius à la royauté, ou ceux qui conduisent à rélimination tragique de ce roi quelques décennies plus tard3 - laissent à penser que les chefs des gentes ne maintenaient pas leur domination sans difficultés et sans violences. Et au Ve siècle, en dépit de leurs efforts, ils ne maîtriseront plus guère les mutations économiques et sociales qui s'étaient développées depuis le VIIIe et le VIIe siècles av.J.-CA

À quelles exigences matérielles et sociales, à quelles nécessités politiques les réformes de Servius Tullius ont-elles donc tenté de répondre, au VIe siècle av. J.-C. ? Comment en était-on arrivé là ? Sur quels appuis le roi réformateur pouvait-il compter, et quels héritages pouvait-il mettre en œuvre ? Et pour tout dire, quel est le sens de la « Constitution » que, selon la tradition, il allait léguer à la République ? Pour tenter de répondre à ces questions, il me paraît nécessaire de rappeler, au préalable, les éléments de connaissance dont on dispose aujourd'hui. On les doit en particulier aux travaux des archéologues, ou des linguistes, qui au cours des dernières décennies ont mis au jour du matériel jusqu'alors inconnu, us ont fait connaître des restes d'édifices, ou des objets nouveaux dont certains portent même, à partir du VIIIe siècle, des textes écrits ; pour d'autres pièces, que l'on croyait bien connaître, ils ont ouvert le champ à des interprétations inédites, que venaient conforter d'autres découvertes récentes. De la sorte, ils ont mis en lumière des évolutions sociales dont on constate l'existence d'abord chez les peuples étrusques, puis, avec quelque retard, sur les collines de Rome aussi bien que dans tout le La-tium, dont l'histoire de Rome ne saurait être séparée.

Comment aborder aujourd'hui l'histoire de cette société dans les siècles qui allaient suivre, sans avoir fait le point des connaissances que ces travaux ont apportées, et des interprétations les plus récentes ?

2. Cf. infra.

3. Cela, quelle que soit la version que Ton voudra retenir des origines de Servius Tullius - parvenu à la royauté en 578, et assassiné en 535, si l'on en croit la tradition ; sur cela, j'aurai à revenir.

4. Cf. infra, chap. V.

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Des communautés de village à la Rome des rois 35

Un chapitre introductif me paraît donc indispensable. Ces pages pré-lirninaires me permettront en même temps de proposer - avec les justifications nécessaires - les définitions qu'il me paraît devoir retenir, pour les catégories sociales et politiques qu'évoquent les Anciens ou les institutions qu'ils décrivent, et que l'hypercritique des décennies passées a longtemps conduit à méconnaître ou à ignorer.

LES COMMUNAUTÉS DE VILLAGE

Au commencement étaient des communautés de village

Le Latium aux Xe-IXe siècles av. J.-C. : l'émergence d'une unité de culture

Pour la fin du IIe millénaire av. J.-C. et les débuts du Ier, les informations dont on dispose reposent pour l'essentiel sur les données archéologiques ; or, ces données sont très fragmentaires et très lacunaires5.

Pourtant, toute fragmentaire qu'elle est, la documentation atteste dès le Xe siècle, dans une zone qui comprend, de part et d'autre du Tibre, non seulement ce que les Anciens appellent le Latium Vêtus au sud, mais aussi ce qui sera l'Étrurie méridionale, au nord, l'existence d'une unité de culture, et le développement d'évolutions de même sens6. De sorte que la confrontation des données, là où elles sont très incomplètes, avec celles que l'on possède là où des fouilles plus systématiques ont pu être entreprises7, permet de combler les lacunes les plus criantes de l'information.

5. M. Pallottino, Introduction au catalogue de l'exposition Civiltà del Lazio Primitivo, pp. XXm-XXIV : les raisons ne sont pas toutes de méthode ; en particulier, dans toutes les très grandes villes dont l'existence, aujourd'hui millénaire, a connu une grande continuité, la règle a été plus souvent la destruction des strates anciennes ou très anciennes que leur conservation, au cours des siècles ; aujourd'hui, pour Rome et sa campagne, le danger que disparaissent les témoignages du passé est aggravé depuis quelques décennies à la fois par l'extension du tissu urbain, et par les transformations des techniques agraires - même si les modifications en cours ont permis, dans le même temps, des avancées spectaculaires des connaissances.

6. À deux différences près, toutefois : dans ce qui sera plus tard l'Étrurie méridionale, l'évolution est d'une part plus précoce et plus rapide que dans le Latium : elle est perceptible dès le IXe siècle ; d'autre part, le réseau des villes qui se constitue alors est, en partie au moins, en rupture avec le réseau des habitats antérieurs ; sur tout cela, les observations de M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 251-252 et pp. 268-269.

7. C'est le cas en particulier à Osteria dell'Osa, près de Gabii, où des fouilles ont pu être menées en milieu homogène, et sur la longue durée : A. M. Bietti Sestieri et

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Ainsi, il a été possible de mettre en évidence, outre les éléments fondamentaux d'une culture commune, une vie de relations qui, au début du Ie millénaire, intéressait les habitants d'une région qui va des monts de la Tolfa, au nord de Caéré, jusqu'à la plaine Pontine au Sud des monts Albains (cf. carte I).

Dans toute la région, l'économie, si elle comporte une petite agriculture de subsistance, paraît alors fondée de façon prépondérante sur l'élevage transhumant. Et l'on peut percevoir l'importance des monts de la Tolfa et des monts Albains, qui offraient les pâturages indispensables aux troupeaux pendant l'été : les voies les plus fréquentées sont d'une part celles qui relient les monts Albains aux zones côtières et à Rome, d'autre part la voie parallèle à la côte qui relie les monts de la Tolfa, au nord-ouest de Caéré, à Rome, Ficana, Lauinium, Ardea, Satricum...

Les monts Albains sont alors au cœur des relations entre les Latins, et il n'est pas sans intérêt de lire, dans les textes de la tradition8, combien Albe la longue - la ville que Iule, le fils d'Énée, avait fondée quelque trente ans après la ruine de Troie -, était alors florissante, et capable de se donner des colonies9. Avec le gué où, par bac sans doute, on peut franchir le fleuve, avec aussi, quand on parvient sur la rive gauche, la dépression où se rejoignent la vallée du Vélabre et la vallée Murcia, avec enfin les collines qui l'entourent, le site de Rome10 apparaît privilégié ; il ne joue pourtant encore, au début du Ie millénaire, qu'un rôle secondaire.

A. De Santis, « Indicatori archeologici di cambiamento nella struttura delle comunità lariali nell'8° sec. A. C. », Dialoghi di Archeologia, 3 e serie, 3,1985, pp. 35-45.

8. Cf. en particulier les observations de M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 252, sur la possibilité d'une utilisation des sources littéraires - abondantes pour Rome, à peu près absentes ailleurs - pour aider à la compréhension des données archéologiques dans le Latium et en Étrurie méridionale, et même pour permettre de combler les lacunes les plus criantes de l'information ; cela, à condition de tenir le plus grand compte des limites de ces sources littéraires, et des exigences de méthodes spécifiques qu'elles requièrent.

9. Ainsi Tite-Live, 1,3,3-8 ; Denys d'Halicamasse, XLV.

10. Cf. carte IL

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Des communautés de village à la Rome des rois 37

Carte I - Le Latium à l'époque archaïque et les relations entre les peuples latins (d'après A. M. BETTI SESTIERI, 1985, p. 158-159) :

Jusque dans les premières décennies du IX° siècle : l'élevage de transhumance prédomine sur l'agriculture ; les Monts albains sont alors au coeur de ces relations.

A partir des dernières décennies du K° siècle : des productions agricoles nouvelles apparaissent et se développent (céréales riches, vigne au VII0), et la place de rélevage par rapport à l'agriculture se réduit ; les Monts albains passent alors à l'arrière plan, tandis que s'affirme l'importance de Rome comme noeud des relations entre le Nord et le Sud, et entre la mer et l'Italie intérieure.

Centres de relations les plus importantes dans la seconde phase.

Centres mineurs, apparus à la fin du IX° siècle ou en développement à ce moment

*

tttttti Rome : le territoire urbain

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38 La République des tribus

Des habitats, on n'a guère de traces, et sans doute étaient-ils encore peu stables. On a retrouvé de petits groupes de sépultures à incinération, concentrés dans les monts Albains, sur la zone côtière au sud de Rome, et à Rome même : ils évoquent l'existence de modestes villages, qui ne devaient pas comprendre plus de quelques dizaines de personnes.

Il faut citer ici, en particulier, les découvertes faites à Osteria dell'Osa, près de Gàbii, il y a quelques années11. Les archéologues y ont mis au jour deux ensembles de tombes - l'un du milieu du IXe siècle, l'autre du VIIIe -, exemplaires des évolutions qui se manifestent dans tout le Latium au cours de ces deux siècles. L'ensemble du IXe siècle comporte en fait deux groupes de tombes, organisés autour de deux « noyaux » constitués par des sépultures d'hommes incinérés - sans doute les chefs de famille - : selon toute vraisemblance, ces deux groupes correspondent à deux entités familiales distinctes et contemporaines. Le mobilier que contiennent ces tombes, aux Xe et IXe siècles, est fait de la représentation, en objets de céramique miniaturisés, de tout ce qui est nécessaire à la survie du défunt, et de ce que fut son rôle de son vivant. Or, il laisse percevoir d'une part un rituel funéraire développé dans un cadre familial étroit, où l'autorité du père joue un rôle majeur ; la position centrale, dans chacun des groupes considérés, des tombes masculines qui doivent être celles de chefs de famille, en est un bon témoignage ; l'atteste aussi le mobilier que ces tombes contiennent, et qui est la représentation miniaturisée d'armes, à côté de symboles du prestige familial. D'autre part, le mobilier accuse des différenciations entre âges et sexes, qui renvoient certainement à des rôles sociaux différents, et à une division sexuelle du travail. Mais entre les familles qui composent la communauté, si les rites familiaux marquent des différences, on ne trouve pas pour autant d'indice de hiérarchisation sociale évidente : pour les chefs de famille, les structures des communautés de village auxquelles ces tombes appartiennent paraissent avoir été relativement égalitaires.

Sur le site de Rome, les données archéologiques dont on dispose aujourd'hui s'intègrent bien dans ce schéma. Des traces de fréquentation, qui remontent aux XIVe-XIIIe siècles, ont été relevées autour de la dépression du Vélabre, au Palatin, au Capitole12. Au Xe siècle et dans la première moitié du IXe, des indices certains montrent que des hommes se sont établis sur les hauteurs du Palatin, et dans la vallée du forum

11. A. M. Bietti Sestieri et A. De Santis, « Indicatori archeologici di cambiamento nella struttura delle comunità laziali nelT8° secolo A. C. », Dialoghi di Antologia, (3e série, 3), 1985,1, pp. 35-45.

12. A. Carandini, « Il Palatino e il suo sistema di montes », La Grande Roma dei Tarquini, Rome, 1990, p. 79.

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Des communautés de village à la Rome des rois 39

(cf. carte II)13. Il s'agit de communautés très petites, distinctes et autonomes, et il paraît même qu'à l'époque la plus ancienne, plusieurs villages ont coexisté sur les hauteurs du Palatin.

C'est à cette époque lointaine que pourraient remonter des institutions qui perdureront à Rome fort longtemps : les curies. Le caractère à la fois très archaïque, pré-urbain et égalitaire de ces institutions n'est pas douteux : en témoignent les fêtes auxquelles les curies étaient liées, et très particulièrement les Fornacalia qui, dans la première moitié de février, ritualisaient le grillage des grains d'épeautre14. Ces fêtes étaient certainement antérieures à l'apparition du blé dur, le triticum durum, que l'on retrouve sporadiquement dans des contextes de l'âge du Bronze : le blé dur était donc connu, déjà, à la fin du IIe millénaire, et la fête des curies, attachée à l'épeautre, lui est certainement antérieure. À ce mot de curia d'autre part, qui est peut-être dérivé de ko-wiriya15 - l'assemblée des hommes - , est attachée une connotation égalitaire, assurée par les/e-riae stultorum, les « fêtes des sots ». Ces fêtes en effet permettaient à tous ceux qui avaient « oublié » à quelle curie ils appartenaient de participer, malgré tout, aux fêtes des curies : à la fin des Fornacalia, fêtes mobiles qui avaient lieu curie par curie dans la première quinzaine de février, les/e-riae stultorum étaient fêtées le 17 février, en même temps que les Quirina-lia qui rassemblaient tous ceux qui composaient le corps civique. De telles pratiques s'insèrent aisément dans le contexte des communautés de village relativement égalitaires que les tombes révèlent.

Légende et réalité

C'est encore à ce stade du peuplement que pourraient correspondre les légendes rapportées par les Anciens, sur les siècles qui avaient précédé la « fondation » de Rome.

La tradition, il est vrai, faisait naître Rome d'un acte volontaire et unique16, dont elle donnait le jour précis : c'était le jour des Parilia - la

13. M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., pp.. 35-36.

14. Les Fornacalia étaient de ces feriae conceptiuae, de ces fêtes agraires dont la date variait sur quelques jours ; sur cela : J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1969, p. 107, n. 12 ; M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 97, suivant A. Brelich, Tre variazioni romane sul tema delle origini, Rome, 1955, pp. 113 sq. ; M. Torelli, Lavinio e Roma, pp. 93-94.

15. A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 1979 (4e éd., 3e tirage), s.v. curia.

16. F. Castagnoli, Roma, Civiltà del Lazio primitivo, pp. 99-102 et particulièrement ici p. 99.

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fête de Paies, de qui le Palatin tirait son nom -, qui se célébraient le 21 avril17 ; l'on peut ajouter que cela se passait en 753 av. J.-C, si Ton suit le comput de Vairon18. Ce jour-là Romulus, après avoir pris les augures, avait fondé la ville ; il en avait établi les limites sacrées en creusant autour du Palatin un sillon, préfiguration des murailles que nul ne devait franchir ; des siècles plus tard, on en « savait » encore le tracé19.

Les Anciens disaient aussi, cependant, que la dépression qui borde la rive gauche du Tibre - le futur Forum Boarium, en aval de l'île qui facilite le passage du fleuve, et à hauteur du gué qui permet de le franchir -, tout comme les collines qui l'entourent, avaient été habitées ou fréquentées longtemps auparavant. Ainsi des siècles plus tôt, Évandre qui venait du Péloponnèse, et quelques autres, s'étaient établis sur le Palatin20 ; ainsi encore, Héraclès / Hercule, passant par Rome à son retour d'Érythie, avait laissé s'installer sur le Capitole ceux de ses compagnons qui lui en avaient fait la demande21.

17. Ainsi Ovide, Fastes, IV, 807-858.

18. Au temps de Tite-Live, le comput variait selon les auteurs et le système de références qu'ils adoptaient ; cf. J. Bayet, Préface à la première Décade de Tite-Live, 1975 (l è r e éd. 1940), pp. CXIV-CXXVI, qui donne les références aux sources ; la date de 753 av. J.-C. correspond à la 3e année de la VIe Olympiade, indiquée par Atticus puis par Varron pour Tannée de la fondation de Rome : la chronologie varronienne est celle que, par convention, on adopte très habituellement, et que je suivrai ici.

19. Tacite, Annales, XR, 24, qui en donne les points extrêmes : [...] Igitur a foro boario [...] sulcus designandi oppidi coeptus ut magnarti Herculis aram amplecteretur ; inde certis spatiis interiecti lapides per imma montis Palatini ad aram Consi, mox curiae ueteres, tum ad sacel-lum Larum, inde forum Romanum ;forumque et Capitolium non a Romulo, sed a Tito Tatio additum urbi credidere : "Donc le marché aux Bœufs [...] fut le point de départ du sillon tracé pour désigner l'enceinte, de telle manière qu'il embrasse le grand autel d'Hercule ; puis des pierres avaient été posées de distance en distance le long du Palatin et à son pied jusqu'à l'autel de Consus, puis jusqu'aux Vieilles Curies, enfin jusqu'à la Chapelle des Lares et au forum romain. Quant au forum et au Capitole, on croit que ce n'est point Romulus, mais Titus Tatius qui les a annexés à la ville ". Pour la lecture de ce texte difficile : F. Coarelli, Il Foro Romano, I : Periodo arcaico, Rome, 1983, pp. 262-265.

20. Tite-Live, 1,5 et 7 ; Denys d'Halicarnasse, 1,31 et n, 1 et 2.

21. Denys d'Halicarnasse, 1,34.

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Des communautés de village à la Rome des rois

Carte II - Le site de Rome au Vlll° siècle av. J.-C.

lu A

O

+

zones marécageuses.

principales voies de communications.

traces archéologiques du X° siècle (fin de Tage du bronze).

traces archéologiques et tombes du IXs siècle (début de l'âge du fer).

tombes et sépultures, de la fin du XI" siècle aux premières décennies du Vl°.

lieux sacrés établis au VIT siècle.

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42 La République des tribus

Sans doute, Tite-Live avertissait ses lecteurs : c'étaient là « des traditions embellies par des légendes poétiques plutôt que fondées sur des documents authentiques». Mais, ajoutait-il, les faits précis n'avaient pas une grande importance, au regard de l'étude de la vie et des mœurs d'autrefois que ces récits autorisaient22.

De fait, il paraît bien que dans ces mythes et dans ces fables, tout n'était pas inventé23. À ces temps très reculés pourraient se rapporter les lieux de culte liés au Vélabre - cultes de confins et cultes funéraires, cultes de « passage » dans le temps et dans l'espace - où l'on retrouve Faunus aussi bien que la dame-Loup, Acca Larentia, tous deux en relation avec le monde pastoral qui a précédé l'agriculture24. Un autre exemple, particulièrement révélateur de la façon dont sont construites les légendes de cette sorte, pourrait être donné par l'histoire d'Hercule qui, poussant devant lui le troupeau fabuleux ravi à Géryon, vient à faire halte dans un gras pâturage, sur la rive gauche du Tibre qu'il vient de traverser. Le pâtre Cacus, qui habite sur le Palatin une caverne toute voisine, tente de lui dérober les bêtes les plus belles : le brigand laissera la vie dans l'aventure25.

D. Van Berchem26, il y a quelques années, proposait de façon fort convaincante de reconnaître dans cet Hercule - à qui un autel, Vara Maxima, avait été aussitôt consacré au Forum Boarium - le dieu Melqart sous la protection de qui les navigateurs phéniciens avaient coutume de se placer, lorsqu'ils abordaient en terre étrangère. Cependant, les rites attachés à Vara Maxima d'Hercule comportaient aussi des caractères grecs, qui ont été mis en évidence depuis longtemps27 : on peut ainsi déceler,

22. Tite-Live, I, Préface, 9.

23. En ce sens aussi, Denys cTHalicarnasse, I, 39, à propos d'Héraclès ; sur l'importance des traditions littéraires dont on dispose pour Rome, cf. en particulier les observations de M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., p. 28, après A. Momigliano, « An interim report on the origins of Rome », Journal of Roman Studies, 1963 ; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris, 1969, p. 62.

24. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., en particulier pp. 255-276.

25. Tite-Live, 1,7-15 ; Denys d'Halicarnasse, I, 39-40, qui raconte une histoire très voisine ; mais il oppose à ce récit « fabuleux » un autre, « véridique » celui-là, où Héraclès apparaît comme pacificateur, et civilisateur de peuples sauvages : la guerre qu'il mène contre Cacus, prince tout à fait barbare, en serait un exemple.

26. D. Van Berchem, « Hercule Melqart à l'ara Maxima », Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia, 32, 32,1959-1960, pp. 61-68. ; D. Van Berchem, Sanctuaires d'Her-cule-Melqart. Contribution à l'étude de l'expansion phénicienne en Méditerranée, Syria, 44,1967, pp. 73-109 et pp. 307-338, pp. 73-109 et pp. 307-338.

27. J. Bayet, Les origines de l'Hercule romain, Bibliothèques des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, 1926.

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dans les légendes liées à Hercule et à Vara Maxima, le souvenir des contacts que les populations des bords du Tibre - et plus largement les populations d'Italie centrale - ont eus très anciennement avec les Phéniciens comme avec les Grecs.

Mais Hercule, poussant son troupeau, évoque un dieu plus ancien encore, un dieu italique, protecteur du bétail, un dieu qu'invoquent les éleveurs, et que Ton retrouve en particulier dans toute l'aire sabellique à l'époque protohistorique28. Sa halte au Forum Boarium, son conflit avec Cacus, illustrent au mieux le rôle que pouvait jouer ce lieu privilégié de passage du Tibre, pour les relations entre les peuples qui vivaient dans les régions voisines. On y peut percevoir des indices des activités économiques qui devaient alors prévaloir, et qui relevaient de l'élevage de transhumance, même si l'agriculture n'était pas ignorée29 : transactions sur le bétail, ou encore sur le sel qui a dû être très tôt produit à l'embouchure du Tibre, et qui était indispensable au bétail30. Les données de l'archéologie, pour Rome comme pour l'ensemble du Latium, s'inscrivent fort bien dans ce schéma explicatif.

La légende rejoint ici tout ce que l'on peut savoir des conditions de vie des hommes qui occupaient non seulement les collines au bord du Tibre, mais encore tous les pays qui, du Tibre à la plaine Pontine et jusqu'aux monts Sabins, allaient constituer le Latium. On ne peut en effet séparer les unes des autres les traces d'occupation humaine que l'on retrouve dans cet espace : elles révèlent une culture commune, et une vie de relations qui a dû faciliter le développement d'évolutions de même sens31.

28. F. Coarelli, Il Foro Boario..., p. 129.

29. A. M. Bietti Sestieri, « La media età del Bronzo », Roma e il Lazio dall'età della pietra alla formazione della città, Roma, 1985, p. 116.

30. A. Giovannini, Le Sei et la fortune de Rome, Athenaeum, LXm, 1985, pp. 373-386 ; F. Coarelli, Il Foro Boario, pp. 133-136.

31. Sur cela, en particulier : C. Ampolo, « Su alcuni mutamenti nel Lazio tra l'VlH e il V secolo », Dialoghi di Archeologia, V, 1970-1971, pp. 37-68 et pp. 69-100 ; cf. aussi la documentation et les observations réunies dans le catalogue de l'exposition qui a eu lieu à Rome en 1976, Civiltà del Lazio primitivo ; en particulier L. Quilici, pp. 3-16 ; R. Peroni, pp. 16-25 ; G. Colonna, pp. 25-36 ; M. Pallottino, pp. 37-55.

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Le temps des premières mutations

De la fin du IXe siècle au milieu du VIIIe siècle : premiers signes de transformations et premières associations

Dans le courant du IXe siècle, à Rome et de façon générale dans le La-tium Vêtus, le Latium Ancien, la multiplication des tombes que l'on retrouve pourrait sans doute s'expliquer, pour une part au moins, par une modification des rituels funéraires32 : les communautés de village ont pu rassembler leurs morts sur un espace mieux délimité que jadis ; elles ont pu aussi inclure dans ces nécropoles des individus qui, auparavant, en auraient été exclus. Mais on s'accorde en général, avec ces réserves, à reconnaître là les indices d'une augmentation démographique, elle-même liée à des progrès de l'agriculture ; en même temps se révèlent des concentrations de l'habitat.

À Rome33, la progression des sépultures, où se mêlent maintenant les rites de l'inhumation et de l'incinération, se fait d'ouest en est dans la vallée du Forum, à l'emplacement de ce qui sera la uia Sacra. Elle se fait également vers l'Esquilin, et vers les collines au nord, le Viminal et le Quirinal34. On a retrouvé de surcroît des traces d'habitats, de mieux en mieux attestées avec le temps, en divers points du forum, sur le Palatin, au Forum Boarium, sur le Capitole.

Partout l'expansion se fait dans les cadres préexistants35 : beaucoup des centres du Latium, et surtout les plus importants, sont fréquentés ou habités depuis la fin de l'âge du Bronze, et la carte du peuplement ne manifeste pas de rupture avec le passé36. C'est de la concentration dans certains centres anciens, mieux placés que d'autres sur les voies de communications qui se développent alors, que vont naître les villes, dans un

32. M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., p. 40, sur les modifications des rituels funéraires - en particulier sur l'apparition de l'inhumation, à côté de l'incinération, pour laquelle l'explication "ethnique " ne saurait être retenue - et sur leurs significations.

33. Cf. Carte H

34. M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., pp. 35-36.

35. Contrairement à ce qui se passe en Étrurie ou en Campanie par exemple, où l'on constate l'émergence de centres nouveaux : cf. R. Peroni, « Comunità e insediamento in Italia fra Età del bronzo e prime Età del ferro », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 12-15.

36. A. M. Bietti Sestieri, « Roma e il Lazio antico agli inizi dell'età del Ferro », Roma e il Lazio dall'età della pietra alla formazione della città, Roma, 1985, p. 153.

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contexte économique où élevage et transhumance commencent à laisser la place à une agriculture plus évoluée, et à des productions beaucoup plus diversifiées.

Alors aussi, peut-être, sont apparues des formes d'associations entre les hommes appelées à un long avenir, et qu'il convient d'évoquer ici.

Associations entre « peuples latins » d'abord : les monts Albains ont été certainement très tôt des lieux de rassemblement, qui durent revêtir des caractères sacrés : je me bornerai ici à rappeler le très ancien sanctuaire de Jupiter Latiaris, situé sur le sommet le plus élevé des monts Albains, le monte Cavo, et les fériés latines37 qui réunissaient les trente populi Albenses dont parle Pline. À ce moment de plus, il se peut que déjà se fasse jour dans le Latium, comme c'est le cas en Étrurie méridionale, des tendances au regroupement de plusieurs villages voisins en une seule communauté, véritables « sous-regroupements » à l'intérieur d'un système plus large. Le cas de Véies, en Étrurie méridionale, en est un exemple des plus frappants38 ; de la même façon, dans le Latium, des fonctions complémentaires et des activités communes ont dû susciter des ententes entre villages voisins, et favoriser entre eux des regroupements riches de potentialités39.

Pour Rome, on a souligné le caractère tardif de tels regroupements, que ne facilitait pas le morcellement du relief40. De fait, lorsque Pline41 évoque les trente populi Albenses qui se sont unis dans une ligue et qui, aux fériés latines, honorent ensemble Jupiter Latiaris au sanctuaire du monte Cavo, il cite en particulier les Velienses, les Querquetulani, les Vimi(ni)telarii : on y reconnaît les habitants de la Velia, du Cae-lius / Querquetulanus, du Virninal, qui habitaient autant de villages distincts ; des Romains, il n'est pas encore question.

Vers le milieu du IXe siècle cependant - vers le moment où déclinent les communautés des monts Albains -, les villages de huit « monts » qui

37. Pline, Histoire naturelle, HT, 5, 69, à la suite sans doute de Varron ; il convient aussi d'évoquer dès maintenant le culte rendu à Diane par l'ensemble des Latins, au cœur des monts Albains.

38. M. Torelli, Rome et rÉtrurie..., p. 256 : la topographie très unitaire du haut plateau où se trouve Véies a favorisé cette évolution.

39. M. Torelli, Rome et rÉtrurie..., pp. 254-255, parle pour rÉtrurie méridionale, dès le début du IXe siècle peut-être, du développement « d'unités organiques de peuplement » ; l'évolution est plus tardive dans le Latium.

40. En particulier C. Ampolo, « La nascita della città », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 166-167.

41. Pline, Histoire naturelle, El, 5, 69 ; sur cela, C. Ampolo, La nascita..., pp. 166-167, qui souligne le caractère d'authenticité indéniable offert par la liste de Pline.

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sont le Palatin, la Velia, lo Fagutal, Subure, le Germai, l'Oppius, le Cae-lius, le Cispius enfin, semblent avoir conclu une entente qui trouve son expression religieuse dans la fête du Septimontium : le 11 décembre, une procession partait du Palatin et de la Vèlia, et enfermait ces huit montes -et seulement eux - dans son parcours rituel42. Or, l'ordonnancement de la procession suggère que les villages du Palatin et de la Velia primaient alors sur les autres43. Et si l'on en croit Varron, c'est au Septimontium que Rome a succédé44. L'entente religieuse qui s'est nouée entre les villages des montes va-t-elle déjà de pair avec une entente politique45 ?

Est-ce aussi à ce moment que des familles ont commencé à nouer entre elles des alliances, au sein de groupes de parenté élargie ? Est-ce alors que sont apparues les gentes ? La question est discutée46.À la fin du IXe siècle en tout cas, et dans les premières décennies du VIIIe, apparaissent dans toute l'Italie centrale les indices d'importantes transformations.

L'apparition des villes

Ces mutations sont inséparables, on l'a souvent souligné, de l'établissement des colonies grecques en Italie de Sud, aussi bien que de l'expansion des Étrusques et de leur installation en Campanie47 : le contrôle du passage du Tibre, sur la voie qui reliait rÉtrurie méridionale à la Campanie, ne pouvait en particulier laisser les Étrusques indifférents. Rome a dû être très tôt impliquée dans la circulation des hommes et des produits que l'expansion étrusque favorisait - bien avant le règne du premier roi d'origine étrusque, Tarquin l'Ancien48.

42. L'ordre suivi par la procession est donné par Antistius Labeo ; sur cela, C. Ampolo, La nascita..., pp. 166-169.

43. C. Ampolo, La nascita..., p. 166.

44. Varron, De la langue latine, V, 41 : Ubi Roma nunc est erat olim Septimontium ; cf. aussi VI, 24.

45. Pour un exposé des divers points de vue : F. Castagnoli, Roma, pp. 100-101.

46. Pour M. Torelli, Rome et rÉtrurie..., p. 272, l'existence des gentes est inséparable de l'émergence des aristocraties ; pour F. De Martino, « La costituzione della città-stato », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, p. 346, elles ont pris naissance au sein des communautés de village, que caractérisent des structures sociales égalitaires.

47. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, pp. 150-191 et pp. 179-181 pour les colonies grecques, pp. 107-109 et pp. 236-244 pour les Étrusques (avec la bibliographie) ; selon la tradition rapportée par Tite-Live, VIII, 22, 5, Cumes, la première des colonies grecques, est fondée en 770 ; Velleius Paterculus, I, 7, date de 800 la fondation de Capoue et de Noie par les Étrusques.

48. I. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 236-237.

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Je me bornerai ici à rappeler, pour le Latium au VIIIe siècle, l'intense développement de la métallurgie, qui va de pair avec l'apparition et le développement de nouvelles productions agricoles - d'abord céréales riches, et vigne, puis olivier quelques décennies plus tard. Alors l'agriculture prend le pas sur l'élevage, dans l'économie de toute la région, et le développement démographique, que révèlent à la fois un processus de concentration spatiale des habitats, et la naissance de nouveaux centres de peuplement, devient patent49 : les nouvelles productions favorisent certainement un accroissement naturel de la population.

La métallurgie ou la production céramique, qui étaient jusque-là cantonnées dans la sphère des activités domestiques, deviennent maintenant le fait de producteurs spécialisés, qui d'abord s'inspirent des modèles étrusques ou grecs, mais qui élaborent bientôt des modèles locaux promis à un riche avenir50 : pour les produits céramiques, la standardisation des formes, la décoration plastique, le perfectionnement des types de cuisson révèlent l'appropriation de techniques nouvelles, de la part de céramistes qui se livrent « à temps plein » à leur artisanat51. Quant aux produits de la métallurgie, il semble que l'on assiste à une demande généralisée d'armes, d'ornements de type « commun », d'outils de travail, que l'on retrouve dans le mobilier funéraire des tombes ordinaires : dans la première moitié du VIIIe siècle encore, leur production et leur circulation paraissent directement contrôlées par l'ensemble des habitants, et il ne semble pas que certaines familles de la communauté y aient eu, de façon établie et pérenne, un accès privilégié. Alors s'affirme une division sociale du travail, que rend possible une productivité agricole accrue.

Il en résulte un développement des communautés du Latium les mieux placées sur les courants d'échanges, dans lesquelles on voit s'opérer une concentration grandissante du peuplement et des richesses ; ces communautés s'accroissent d'éléments extérieurs que leurs activités attirent, elles absorbent les centres mineurs du voisinage, elles deviennent des villes.

C'est aussi le moment où les centres des monts Albains - dont la fortune était liée à l'élevage de transhumance - semblent perdre leur prééminence. Alors s'affirme dans le Latium l'importance de deux routes, qui toutes deux passent par Rome, et mènent vers le sud en contournant les monts Albains qu'elles laissent à l'écart : la première, parallèle à la

49. A. M. Bietti Sestieri, Roma e il Lazio..., p. 180.

50. G. Colonna, Le fasi protourbane dell'età del ferro dal IX al VII secolo a. C. (periodi II B, II, IV), Civiltà del Lazio primitivo, Rome, 1976, pp. 28-29 ; A. M. Bietti Sestieri, Roma e il Lazio..., pp. 189-193.

51. A. M. Bietti Sestieri, Roma e il Lazio..., p. 191.

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côte, relie Véies par Rome à Lauinium, Ardea, Satricum ; la seconde, plus intérieure, joint d'abord Rome à Gabii, pour obliquer ensuite vers le. Sud52. Alors aussi le site de carrefour des routes - certainement fort anciennes - , liées au passage du Tibre et à la navigation sur le fleuve53, commence à jouer tout son rôle, tandis que les voies qui conduisent aux monts Albains deviennent plus secondaires54.

Dans ce contexte, il est possible de déceler, sur les monts et les collines qui entourent le Forum Boarium, les transformations qui préparent la « fondation » de Rome55. Au IXe et au VIIIe siècle, le site connaît le même processus de concentration et d'urbanisation56 que les autres communautés de village dans le Latium, et de toute certitude, la « fondation » de la Ville ne fut pas - en tout cas pas seulement - le résultat d'un acte « unique » et volontaire, comme le voulait la tradition57 ; il y eut d'abord regroupement, autour du « noyau » formé par les habitats du Palatin et du forum, des centres mineurs établis sur les autres monts et collines alentour58. Alors la population s'accroît en même temps que l'habitat se concentre59. Pour la première fois, plus tôt que dans les autres centres du Latium, s'opère la différenciation entre les zones habitées - que l'on trouve au Palatin, au forum, au Capitole, dans la zone de S. Omobono -, et les sépultures - qui sont rejetées vers l'Esquilin, le Quirinal, le Vimi-nal60. On ne sait presque rien sur l'organisation interne de ces villages, dont l'implantation ne semble pas obéir à un plan préétabli. Toutefois, la situation presque centrale d'une cabane particulière, qui est un lieu de culte61, suppose à la fois une action concertée de la part des familles qui

52. Cf. carte I.

53. F. Coarelli, Il Foro Boario..., pp. 131-136.

54. Carte I et II.

55. Pour un exposé des discussions et les points de vue les plus récents sur la question, A. Grandazzi, La fondation de Rome, Paris 1990, pp. 196-215 (et la bibliographie).

56. Carte IQ ; sur cela, M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., en particulier p. 28 et pp. 35-36.

57. On Ta vu : la prééminence du Palatin et de la Velia est attestée très anciennement, en particulier dans les fêtes du Septimontium.

58. M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., p. 35.

59. Comme on le voit en particulier pour le Palatin ; A. M. Bietti Sestieri, Roma e il Lazio..., p. 154 (et la bibliographie).

60. Sauf pour les tombes d'enfants qui restent associées aux habitats, et que Ton trouve notamment dans la vallée du forum.

61. On le voit non seulement à Rome, mais aussi à Satricum, et peut-être à Gabii.

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composent la communauté, et un choix qui pèsera très lourd sur le développement urbain ultérieur62.

Cependant, au VIIIe siècle, dans tout le Latium et plus largement encore dans toute l'Italie centrale, les transformations en cours devaient signifier la fin des communautés de village. Avec quelque retard sur l'évolution qu'avait déjà connue l'Étrurie méridionale, tandis que le peuplement et les richesses se concentraient dans des villes promises à un riche avenir, de grandes différences se développaient entre les villes, entre les villes et les villages, et entre les hommes. Partout, la société devenait infiniment plus complexe que par le passé ; d'importantes inégalités se creusaient, et une hiérarchisation perceptible à tous les niveaux devait marquer bientôt les structures économiques, sociales et politiques. Alors se constituèrent les aristocraties.

DES VILLAGES AUX VILLES. DÉVELOPPEMENT DES INÉGALITÉS ET MONTÉE DES CONTRADICTIONS

Familles étroites et parentèles révélées par l'archéologie

Les indices d'une nouvelle idéologie funéraire

La nécropole d'Osteria dell'Osa, près de Gabii63, où l'on a mis au jour non seulement les tombes du IXe siècle que j'ai déjà évoquées, mais d'autres encore datant du VIIIe siècle, est exemplaire des transformations que les communautés du Latium connaissent dans cet intervalle de temps64.

Les tombes du IXe siècle, on s'en souvient, ne présentaient pas de signes de différenciations majeures entre les familles ; et tout paraissait indiquer une idéologie funéraire qui faisait chercher, dans chaque sépulture, à préserver l'individualité du défunt. Dans la nécropole du Vme siècle en revanche, si nombre de tombes sont éparpillées sur toute la surface de la nécropole, où elles sont mêlées aux précédentes, sans qu'apparemment on ait pris le soin d'opérer des regroupements, d'autres au contraire constituent des ensembles que caractérise une grande concentration spatiale, rendue plus évidente encore par la place laissée

62. Cf. Carte II ; sur tout cela, A. M. Bietti Sestieri, Roma e il Lazio..., pp. 154-155.

63. Archeologia Laziale, 6, pp. 47-62.

64. Je reprends ici l'exposé des données et les interprétations de A. M. Bietti Sestieri et A. De Santìs, Indicatori archeologici..., pp. 38-40.

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libre tout autour ; les tombes se superposent les unes aux autres, elles sont rassemblées le plus près possible de deux tombes plus anciennes, celles d'un homme et d'une femme, au point que l'établissement des sépultures les plus récentes endommage celles qui précèdent. Maintenant, le souci majeur n'est plus de préserver l'individualité du défunt : il s'agit d'exprimer de façon la plus étroite et évidente son appartenance à un groupe particulier - à une descendance et une parentèle - en établissant sa sépulture dans l'espace réservé à cette parentèle et marqué par la présence du couple le plus ancien, qui en est le couple fondateur. De surcroît, des différences apparaissent dans le mobilier que contiennent ces tombes - mobilier « riche », ou très réduit sinon totalement absent. On a là, selon toute vraisemblance, l'expression d'une idéologie « gentilice » particulièrement précoce, où se révèle à la fois l'affirmation de paren-tèles, et l'inégalité des conditions individuelles qui caractérise ces paren-tèles.

Dans l'ensemble du Latium65, avec quelque retard sur l'évolution que l'on constate en Étrurie méridionale, c'est surtout à partir du troisième quart du VIIIe siècle que le mobilier funéraire se diversifie. Il souligne les caractères distinctifs des personnes sociales, élevant certains individus au dessus des autres : on y trouve en particulier des objets de luxe de provenance étrangère - produits venus d'autres régions de l'Italie et en particulier de Grande-Grèce ou d'Étrurie mais aussi de Grèce et des régions orientales de la Méditerranée ; on y trouve aussi des armes de parade et des restes de char, qui sont autant de symboles du commandement66 ; et tout cela suggère l'identification des richesses avec le pouvoir67. La structure des tombes se modifie pour faire place comme ailleurs à des tombes aristocratiques, dont la construction est de plus en plus élaborée : ces tombes « princières », tumuli ou hypogées, insistent sur l'unité supérieure des familles aristocratiques, qu'elles séparent nettement, dans l'espace funéraire, des morts ordinaires enfouis dans leurs fosses individuelles. Les exemples les plus évocateurs, peut-être, des processus en

65. Sur l'évolution des tombes et du mobilier funéraire entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C, dans le Latium comme en Étrurie méridionale, cf. en particulier M. Torelli, « Le popolazioni dell'Italia antica : società e forme del potere », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 57-63, et la bibliographie n. 8.

66. C. Ampolo, Su alcuni mutamenti..., pp. 46-47, pour des références précises à des tombes de l'Esquilin et du Forum ; A. M. Bietti Sestieri, Roma e il Lazio..., pp. 183-186, cite en particulier, à Rome, une tombe d'homme de l'Esquilin (tombe n° 94), à côté d'autres exemples connus à Velletri, ou à Castel di Decima ; cf. aussi les observations de M. Torelli, Le popolazioni..., pp. 57-58.

67. G. Colonna, Le fasi protourbane..., pp. 28-32 ; des données archéologiques sont rassemblées dans le catalogue de l'exposition Civiltà del Lazio -primitivo, Rome, 1976, pp. 99-147.

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cours sont donnés par les ensembles funéraires où des tombes plus modestes, qui doivent être celles de dépendants et de clients, sont disposées autour d'une tombe construite, réservée au chef, à sa famille, et à ses proches. La construction de ces tombes, qui peuvent atteindre des dimensions grandioses, les objets de luxe aussi bien que les armes que l'on y trouve, ou les symboles du commandement qui y ont été déposés, révèlent l'exercice, de la part de la famille dominante et de son chef, d'un très puissant contrôle social sur les familles dominées, et sur leurs productions68.

D'autres demeures -pour les vivants

Pendant le même temps, les demeures des vivants ont évolué de façon comparable : en Étrurie, mais aussi à Rome, à Satricum, à Velitrae, pour l'aristocratie qui réside dans la ville, les cabanes cèdent la place à des maisons construites en pierre, jusqu'aux maisons « princières » édifiées entre le milieu du VIIe siècle et la fin du VIe ; celles-ci s'inspirent de modèles orientaux pour traduire, dans l'aménagement de l'espace aussi bien que dans le décor, une idéologie gentilice semblable à celle qui s'exprime dans les tombes69.

À Rome, les données archéologiques rejoignent celles de la tradition annalistique : outre le premier aménagement du centre politique et religieux de la cité, lié à la Regia70, je citerai encore ici les tombes d'enfants contenant un riche mobilier, en particulier des ornements personnels, qui ont été découvertes dans la vallée du forum, au pied de la Velia ; elles ont été interprétées comme une preuve de la présence, en cet endroit, de demeures bien au dessus de celles du commun71. Or, dans ce même quartier, la tradition plaçait des maisons royales - maison de Numa, d'An-

68. M. Menichetti, Le aristocrazie tirreniche : aspetti iconografici, Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 75-124 ; en particulier p. 94, l'exemple de la tombe Regolini-Galassi, du second quart du VIIe siècle, à Caere ; p. 96, les tombes Bernardini et Barberini de Praeneste, elles aussi datées du second quart du VIT6 siècle ; cf. encore les observations de M. Torelli, « Dalle aristocrazie gentilizie alla nascita della plebe », Storia di Roma I, Roma in Italia, Turin, 1988, p. 248, et la bibliographie n. 8.

69. M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie..., pp. 249-252 : descriptions et analyses du palais de Murlo près de Sienne, construit au VIIe et reconstruit vers 580, et de celui d'Acquarossa près de Viterbe, construit vers 520.

70. F. E. Brown, « La protostoria della Regia », Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia, 1974-1975, pp. 15-36 ; F. Coarelli, Il Foro Romano, I, en particulier pp. 56-89, et la bibliographie.

71. A. M. Bietti Sestieri et A. De Santis, Indicatori archeologici..., p. 39.

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eus Marcius, de Tarquin l'Ancien ; elle y plaçait aussi celles des Valerii à la fin du VIe siècle72 - une famille dont l'importance, au moins à cette époque, est maintenant bien démontrée73.

Dans toute l'Italie centrale, avec seulement des variantes locales et de façon plus ou moins précoce, des évolutions semblables se font jour. Partout, les données archéologiques témoignent de façon assez précise d'un double processus : d'une part, le groupement des familles dans des « parentales » larges s'accompagne d'une forte hiérarchisation qui conduit, au sein de chaque parentèle, à la suprématie héréditaire d'une famille sur les autres74 ; d'autre part, d'âpres compétitions se développent entre ces groupes - pour le contrôle de la terre et des richesses produites, pour le pouvoir -, qui peuvent aller jusqu'au conflit armé.

Parentèles et armées privées

En effet, à un moment où les techniques de la guerre se modifient - à partir de 730 environ en Étrurie, un peu plus tardivement ailleurs75 -, ces groupes rivaux, qui se donnent à voir comme des parentèles, peuvent se former en armées privées.

De cela encore, l'archéologie livre des indices sans équivoque76. Sans doute, la présence du char, dans les tombes aristocratiques du VIIe et du VIe siècles, montre que tout n'était pas oublié des anciennes formes « héroïques » de la guerre. Mais pour l'essentiel, le combat hoplitique -qui oppose des groupes de guerriers soudés par des solidarités profondes, et dont les armes ne sont plus celles du corps à corps -, se substitue aux affrontements individuels du passé. Le char prend à ce moment une valeur symbolique ; il est la marque du pouvoir économique qu'exige l'entretien des chevaux, il souligne l'appartenance à une élite de

72. F. Coarelli, 1/ Foro Romano, I..., pp. 56-89, sur les demeures des rois et sur celles des Valerii ; infra chap. VX

73. C. M. Stibbe, G. Colonna, C. De Simone, H. S. Versnel, Lapis Satricanus. Archaeological, epigraphical, linguistic and historical aspects of the new inscription from Satricum, Archeologische Studien van het Nederlands Institut te Rome, Scripta Minora V, s'Gravenhage 1980.

74. A. M. Bietti Sestieri et A. De Santis, Indicatori archeologici..., pp. 38-40.

75. M. Torelli, Rome et l'Étnirie..., pp. 259-260 et p. 281.

76. M. Menichetti, Le aristocrazie tirreniche : aspetti iconografici, en particulier p. 96 et p. 119 ; M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie..., pp. 245-246.

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la fortune et du pouvoir77, il caractérise les tombes aristocratiques. Quant aux armes que Ton retrouve dans nombre de tombes beaucoup plus communes, elles révèlent, en même temps que la croissance des capacités économiques de couches sociales élargies, l'adoption progressive de l'armement et de la tactique hoplitique : au VIe siècle la généralisation de ce mode de combat est accomplie.

Or, il apparaît bien que cette adoption a profité singulièrement aux aristocraties qui se consolidaient au même moment. À l'appui de cette interprétation, on dispose de documents archéologiques, dont je voudrais citer quelques exemples ici particulièrement probants. J'évoquerai d'abord une cenochoé du dernier quart du VIIe siècle, trouvée à Ischia di Castro sur le territoire de Vulci, en Étrurie; elle porte un décor incisé, qui représente une procession d'hoplites portant casque, lance et bouclier rond, précédés par un guerrier du type « héroïque » monté sur un char78. Quelque vingt ans plus tard, un lébès d'or, retrouvé dans la tombe Bernardini à Praenesie, présente une figuration inspirée du même thème. On le retrouve encore sur des plaques de terre cuite datant du VIe siècle, qui étaient destinées sans doute à recouvrir les toits de maisons princières79. On a reconnu dans ces processions guerrières la représentation d'armées gentilices, formées de clients placés sous les ordres de leurs patrons. La découverte, sur le territoire de l'étrusque Vetulonia, de tout un ensemble de casques, portant tous l'inscription d'un même nom gentilice, haspnas, est venu donner une singulière confirmation à cette interprétation : il conviendra d'y revenir.

De fait, la coïncidence dans le temps entre ces données, et l'affirmation, dans les récits de la tradition, de groupes de parenté large, les génies, où une famille domine les autres dans tous les domaines de la vie sociale, religieuse et politique, doit donner à réfléchir80 : la hiérarchisation qui se fait jour dans la documentation archéologique paraît en conformité avec tout ce que l'on peut savoir du fonctionnement des génies, et en particulier des rapports de clientèle au sein des génies.

77. C Ampolo, R. Peroni, M. Torelli, discussion dans Dialoghi di Archeologia V, 1970-1971, p. 92-94 ; M. Torelli, Rome et 1/Étmrie...,'pp. 258-260.

78. M. Torelli, Lavinia e Roma..., p. 133.

79. M. Menichetti, Le aristocrazie tirreniche..., p. 96.

80. A. M. Bietti Sestieri et A. De Santis, Indicatori archeologici..., p. 40.

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Les gentes dans la documentation littéraire

Les gentes et les familles

Les origines des gentes, telles qu'on peut les percevoir pour Rome dans la tradition littéraire, sont très obscures et très discutées. Cependant, le rapport de parenté qu'évoque le mot gens paraît indiscutable : une gens est un groupe de familles qui se disent issues d'un ancêtre commun, le fondateur de la gens, dont elles portent le nom. Les gentes ont pu exister très anciennement, comme de simples associations de familles ; on peut penser que d'abord certaines de ces familles ont pu très tôt nouer entre elles des relations de voisinage, assez étroites pour être vécues comme des relations de parenté - pour une part fictives, certainement : le mot adfines, qui renvoie à la fois aux « voisins », et aux « parents par alliance », pourrait évoquer de tels rapprochements, et peut-être les gentes se sont-elles constituées dès le temps des communautés de village81. Elles n'apparaissent cependant comme des entités politiques qu'après la consolidation des différenciations sociales qui devaient conduire, au sein de la gens, à mettre sous la domination héréditaire d'une famille particulière et de son chef, le patron de la gens, tous les autres chefs de famille ravalés à la condition de clients82.

Sans doute, comme par le passé, les familiae - les familles étroites -perdurent comme cellules sociales élémentaires, comme cellules productives au sein desquelles le travail quotidien s'organise, et qui assurent la survie et la reproduction de la communauté tout entière ; et c'est la fatni-lia, non la gens, qu'au milieu du Ve siècle av. J.-C. les lois des XII Tables prennent en compte83. Il n'en reste pas moins que les gentes, depuis le temps des rois jusqu'au IVe siècle av. J.-C, apparaissent comme les véritables cadres de la vie de la cité.

De façon fort significative, pour rendre compte de l'existence des gentes, de leurs structures, de leur fonctionnement, pour décrire les liens qui unissent les familles au sein de la gens, les textes anciens utilisent volontiers un vocabulaire dérivé de celui de la parenté, et des rapports entre père et fils84. Les valeurs qui présidaient à la vie de la famille pa-

81. Sur cela, F. De Martino, « La costituzione della città-stato », Storia di Roma, I, Roma in Italia, pp. 346-347.

82. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 272-273.

83. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 195.

84. Sur l'histoire et sur le sens de ce vocabulaire, cf. E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, I, Paris, 1969, pp. 321-325.

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raissent organiser aussi l'existence de la gens, elle-même donnée à voir comme une grande famille qui contiendrait les autres ; et cela ne va pas sans graves conséquences. Car au sein de la gens, le pouvoir des chefs des familles ordinaires, qui ne peut guère dépasser les limites étroites de leurs foyers, s'efface devant l'autorité du chef de la famille dominante. Celui-ci tient lieu de « père » pour tous, il en est le patronus, tandis que les autres pères de famille sont mis au rang de ses enfants85. De surcroît, un individu transmet à ses enfants, et aux enfants de ses enfants, son appartenance à une gens, avec la situation qu'il y occupe : patronages et clientèles s'héritent, et les fils doivent au patron de la gens l'obéissance filiale que lui devaient leurs pères ; les « clients » sont ceux qui « obéissent »86, et de génération en génération ils sont maintenus dans la condition de mineurs ; la dépendance est leur lot. L'on peut croire que les patrons devaient jalousement veiller à ce que personne n'échappât au cadre contraignant des génies, et à cet égard, il n'est pas sans intérêt de constater que le même mot de liberi sert à désigner à la fois les « enfants » légitimes et encore mineurs, et les « libres »87 : ainsi, par un singulier paradoxe, un individu n'est réputé véritablement « libre » que par son « appartenance » à une parentèle, à une gens, au sein de laquelle il abdique son autonomie88.

Un des indices les plus certains de cette abdication est l'adoption, par celui qui entre dans une gens, du culte ancestral de la famille dominante, devenu celui de la gens toute entière : ses lares familiaux sont comme absorbés par les lares de la gens, ils disparaissent devant eux. Cela signifie l'abandon, par l'intéressé, de ses propres ancêtres et du culte qu'il leur rendait. En clair, entrer dans la clientèle d'un patron au sein d'une gens équivaut à perdre son identité, en même temps que son autonomie ; à n'en pas douter, le pouvoir du patron de la gens s'en accroît d'autant.

C'est encore vers le temps où les gentes s'affirment comme structures sociales dominantes, vers le milieu du VIIe siècle, qu'apparaît aussi un nouveau système de dénomination, riche de significations89.

85. Ainsi Festus, p. 288 L : patres... agrorum partes adtribuerant tenuioribus perinde ac liberis : « les patrons avaient distribué des lots de terres aux gens les plus modestes comme s'ils avaient été leurs enfants ».

86. M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie..., pp. 245-246.

87. E. Benyeniste, « Liber » et « Liberi », Revue des Études Latines, 14,1936, pp. 51-58.

88. A. Magdelain, « Remarques sur la société romaine archaïque », Revue des Études Latines 49,1972, pp. 109-115.

89. H. Rix, « Zur Ursprung des römisch-mittelitalischen Gentilnamensystems », Außtieg und Niedergang der römischen Welt, I, 2, 1972, pp. 700-768 ; M. Cristofani, « Diffusione dell'alfabeto e onomastica arcaica nell'Etruria interna settentrionale », Atti del

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La dénomination gentilice

Les Anciens, et par exemple Varron90, savaient que dans les premiers temps, chez tous les peuples de l'Italie centrale, chaque individu était désigné par un nom unique qui lui était particulier, un idionyme : dans les communautés de village, il n'y avait pas plus transmission d'un nom que des richesses ou du pouvoir, et à l'intérieur d'une même famille, chaque individu avait son nom. En Étrurie - où l'usage de l'écriture est attesté dès la fin du VIIIe siècle -, les documents épigraphiques les plus anciens révèlent, encore au VIIe siècle, l'emploi du nom unique : c'est le cas à Caéré, où la relative abondance des inscriptions permet à cet égard des conclusions assez bien assurées, mais cela paraît être aussi le cas ailleurs, et par exemple à Tarquinies et à Vulci91.

Or, au VIIe siècle semble-t-il, dans les textes inscrits, commence à apparaître, puis s'affirme chez tous les peuples de l'Italie centrale -Étrusques, Osques, Sabins, Latins, Marses, Péligniens ou Falisques - un système de dénomination très original, inconnu du système indo-européen, inconnu des Grecs, des Gaulois, des Vénètes92 : la dénomination « gentilice». Dans un tel système, un individu est d'abord identifié par un nom qui s'hérite de père en fils, un nom qui souligne donc l'appartenance à une lignée ; à ce nom héréditaire, chacun ajoute un prénom qui lui est particulier. Au VIe siècle, ce système de dénomination par un nom gentilice et un prénom est pleinement constitué non seulement chez les Etrusques, mais dans toute l'Italie centrale, où le nom unique est devenu l'exception93.

On ne saurait expliquer par des raisons simples l'élaboration d'un tel système, ni décider clairement du peuple à qui en revient le mérite. La tradition, où s'opposent les noms de Titus Tatius et de Numa Pompilius à ceux, encore uniques, de Rémus et de Romulus, attirait l'attention sur

VIIIe Convegno Nazionale di Studi Etruschi ed Italici (Orvieto, juin 1972 ; pubi. 1974), pp. 307-324 ; J. Heurgon, Onomastique étrusque : la dénomination gentilice, Actes du colloque international sur l'onomastique latine (Paris, 13-15 octobre 1975), Paris, 1977, pp. 28-32.

90. Auct. De Praen., 1 : Varrò simplicia in Italia fuisse nomina ait.

91. J. Heurgon, Onomastique étrusque..., pp. 25-32.

92. H. Rix, Zur Ursprung..., pp. 706-712 ; M. Lejeune, La romanisation des anthroponymes indigènes d'Italie, Actes du colloque international sur l'onomastique latine (Paris, 13-15 octobre 1975), Paris, 1977, pp. 35-41.

93. On en connaît un cas à Orvieto, pour la seconde moitié du VIe siècle : J. Heurgon, Onomastique étrusque..., p. 28 ; cf. aussi, pour les Osques, les observations de M. Lejeune, L'anthroponymie osque, Paris 1976, pp. 33-38.

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les Sabins94. H. Rix y a reconnu une création commune à tous les peuples d'Italie centrale, qui l'ont tous pleinement adoptée dès le VIe siècle - du moins dans l'usage courant -95, même si le nom unique n'a pas encore totalement disparu. Pour expliquer cette création, H. Rix a évoqué la pré-gnance d'une très forte organisation patriarcale, que tous ces peuples ont en commun, mais qui est particulièrement poussée chez les Latins et les Sabins : aussi pencherait-il pour une origine surtout latino-sabine96. Toutefois, on a fait observer que la formation de la dénomination gentilice correspond à la période de plus grand développement des villes, entre le second quart du VIIe siècle et le début du Ve; de surcroît, elle intéresse l'aire géographique où l'urbanisation est la plus précoce et la mieux développée - l'Italie centrale -, qu'en ce temps-là les Étrusques dominaient largement : selon une grande probabilité, c'est aux Étrusques que la paternité de cette invention doit être attribuée97.

Par les systèmes linguistiques divers auxquels ils se rattachent, ou par les ethniques d'où ils sont dérivés, les noms que des inscriptions ont conservés révèlent à la fois, avec le caractère ouvert de ces cités au VIIe et au VIe siècle, la mobilité géographique des hommes et leurs capacités d'intégration, cela jusqu'aux plus hauts niveaux de la société98. Ainsi, vers 630 av. J.-C, vivait à Caéré un Kalatur Fabius, grand personnage d'origine latine ; vers 650 on y trouvait un Peticina, et cinquante ans plus tard une Vestiricinai, dont les noms étrusquisés montraient l'origine sa-bellienne aussi bien que l'intégration dans l'aristocratie étrusque. À Tar-quinies à la fui du VIIe siècle, on trouve deux Grecs, et à Chiusi un Italique... De surcroît, la qualité des contextes archéologiques - outre l'usage de l'écriture, qui est parmi d'autres un instrument majeur de contrôle social - dénoncent pour tous ces personnages une insertion au plus haut niveau de la société, dans les cités qui les accueillaient : tous ces « immigrants » appartenaient à l'aristocratie.

À Rome, les récits de la tradition s'accordent avec de tels constats ; ainsi l'arrivée d'un Lucumon qui, venu de Tarquinies, prend le nom de Lucius Tarquinius, et finalement devient roi99, relève d'un processus semblable ; et l'immigration en 504 du Sabin Atta Clausus, entraînant

94. G. Bonfante, « The Origin of the Latin Name-System », Mélanges J. Marouzeau, 1948, pp. 44 sq.

95. M. Lejeune, L'anthroponymie osane, pp. 37-38.

96. H. Rix, Zur Ursprung..., p. 749 et pp. 756 sq.

97. J. Heurgon, Onomastique étrusque..., pp. 31-32, et la bibliographie ; M. Cristofani, Diffusione dell'alfabeto..., p. 318 ; M. Torelli, Rome et rÉtrurie..., p. 262.

98. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 261-262.

99. Tite-Live, 1,34.

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avec lui ses cinq mille clients et gentiles, est encore un exemple, l'un des plus tardifs il est vrai, d'une telle mobilité : Atta Clausus, sous le nom latinisé d'Appius Claudius, avait été aussitôt accueilli parmi les sénateurs et les patriciens, et reconnu comme patron d'une gens maior - il y aura lieu d'y revenir.

De tout cela, on retiendra qu'après le milieu du VIIIe siècle, des individus favorisés par la Fortune sont parvenus non seulement à concentrer entre leurs mains des richesses et du pouvoir, mais encore à les transmettre à leurs fils, et à leurs descendants. La constitution des lignages dominants, au sein des gentes, signifiait fondamentalement l'hérédité des avantages acquis : c'est bien cela que les nécropoles révèlent, et que les textes anciens décrivent. Dans le même temps, les lignages qui s'affirmaient ont commencé à manifester leur identité dans un nom héréditaire100. L'adjonction d'un prénom, qui permettra enfin de distinguer les individus dans un même lignage, achève la formation de la dénomination gentilice : dans la tradition annalistique, si Romulus portait encore un idionyme, comme son frère Rémus, le nom de Numa Pompilius, venu de Sabine pour succéder à Romulus comme roi, relève incontestablement du nouveau système de dénomination.

À l'intérieur de la gens, seule la famille dominante dispose à la vérité d'un tel nom - que toutefois les clients sont admis à porter : mais n'est-ce pas là une marque supplémentaire de la soumission dans laquelle les clients sont tenus ? J'évoquerai à nouveau, à cet égard, ces casques découverts sur le territoire de Vetulonia, qui peuvent dater du VIe ou du Ve siècles, et qui portent tous l'inscription d'un même nom gentilice étrusque, haspnas101. Selon toute probabilité, ces casques avaient appartenu à des clients morts au combat, et qui n'avaient d'autre identité que celle consentie par un nom : celui de leur patron, sous qui et pour qui ils avaient combattu102.

Les gentes et la guerre

On est conduit de la sorte à penser que les gentes ne se réduisent pas à être des groupes de parenté103, et que la soumission des clients n'est

100. Les témoignages épigraphiques les plus anciens attestant l'existence du gentilice datent du milieu du VIIe siècle ; mais cette existence peut être plus ancienne.

101. M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie..., p. 246.

102. La guerre des Fabii contre Véies, en 477, est un exemple attardé - et désastreux à ce moment - de ces guerres « gentilices ».

103. Une parenté qui tient davantage, d'ailleurs, de l'idéologie que de la réalité.

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pas seulement une soumission de nature filiale. La double formule de l'entrée en clientèle d'un individu et de sa réception par un patron - « in üdem clientelamque uenire », et « in fidem clientelamque recvpere » - est ici riche d'enseignements104. M. Torelli a récemment souligné la forte similitude entre de telles expressions, et les formules de la soumission des vaincus à l'égard de leurs vainqueurs, depuis un passé très lointain : il n'est guère douteux que la deditio in fidem, après le combat, a fourni ses modèles à l'entrée en clientèle de ceux qu'avaient vaincus, dans la vie quotidienne, les revers de la Fortune. Au delà des apparences, qui sont empruntées aux rapports de parenté, on devine, dans tous les cas, l'existence de rapports de forces profondément inégalitaires, tenant bien plus sans doute de la coercition la plus brutale, que de l'association librement voulue et consentie.

L'histoire de la gens Claudia et de son installation à Rome est à cet égard exemplaire. Les Anciens105 racontaient comment Atta Clausus™6

avait dû quitter sa cité à'inregïllum en Sabine, parce que, seul parmi ses pairs, il était partisan de la paix avec Rome. Si l'on en croit la tradition la plus courante, c'était en 504 av. J.-C, en un temps de guerres incessantes et de péril extrême pour la toute jeune République, et les Sabins se faisaient tout particulièrement menaçants.

Je citerai ici deux textes, l'un de Tite-Live, l'autre de Denys d'Halicar-nasse, qui pourraient illustrer à eux seuls, pour une large part, ce qu'est une gens. Tite-Live raconte107 :

« Mais une querelle entre les deux partis de la guerre et de la paix éclata chez les Sabins et procura à Rome un renfort appréciable. Car Attius Clausus, qui prit ensuite à Rome le nom d'Appius Claudius, chef du parti de la paix, cédant à la pression du parti de la guerre et incapable de lui résister, quitta Inregillum10S, avec une suite nombreuse de clients, pour venir s'établir à Rome. On leur donna le droit de cité et des terres sur la rive droite de l'Anio.

104. Sur tout cela, cf. en particulier M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie..., pp. 243-245.

105. Tite-Live, H, 16,2-6 ; Denys d'Halicarnasse, V, 40 ; Plutarque, Publicola, 21.

106. Tite-Live lui donne le prénom latin d'Attius, Denys d'Halicarnasse celui de Titus : cela est ici de peu d'importance.

107. Tite-Live, H, 16, 3-6 : « 3. Seditio inter belli pacisque auctores orta in Sabinis aliquantum inde uirium transtulit ad Romanos. 4. Namque Attius Claudius, cui postea Appio Claudio fuit Romae nomen, cum pads ipse auctor a turbatoribus belli premeretur nee parfactioni esset, ab Inregillo, magna clientium comitatus manu, Romam transfugit. His ciuitas data agerque trans Anienem ; Vetus Claudia tribus [...] appellata. Appius inter patres lectus, baud ita multo post in principum dignationem peruenit. Consules infesto exercitu in agrum Sabinum profecti [...]» (texte et trad. CUF).

108. Ou Regillum, près de Cures.

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Ils formèrent l'ancienne tribu Claudia [...]. Appius fut admis au Sénat et il ne tarda pas à en devenir un des dignitaires. Les consuls [Publius Valerius Publicola et Publius Postumius] portèrent la guerre en Sabine ».

Le récit que l'on doit à Denys d'Halicarnasse109 apporte des précisions supplémentaires, ici de grand intérêt. Il expose :

« Un certain Sabin du nom de Titus Claudius, qui vivait dans la cité appelée Regillum, homme de grande famille et influent du fait de sa richesse, déserta en faveur de Rome, emmenant avec lui beaucoup de ses relations et de ses amis, et un grand nombre de clients, qui partirent avec toutes leurs maisonnées : en tout, pas moins de cinq mille hommes, capables de porter les armes. On dit que la raison qui le contraignit à rejoindre Rome était la suivante : dans les principales cités les hommes au pouvoir, qui lui étaient hostiles à cause de rivalités politiques, lui firent un procès en l'accusant de trahison, parce qu'il n'était pas d'avis de faire la guerre aux Romains [...]. Ce qui pesa en faveur de la cause [d'Appius Claudius et des siens, à Rome], ce fut qu'on le considéra comme le principal instrument du succès [de Rome] dans cette guerre. En considération de cela, le Sénat et le peuple romain le mirent au nombre des patriciens, et lui donnèrent autant de terres qu'il désirait dans la ville pour y bâtir sa demeure ; ils lui donnèrent aussi toutes les terres du domaine public qui se trouvent entre Fidenae et Picetia, pour en faire la distribution entre tous ceux qui l'avaient suivi. Dans la suite des temps, ces terres distribuées aux Sabins formèrent une tribu qu'on appela la tribu Claudia, un nom qui existe encore aujourd'hui. [...]».

De tels récits - si on leur accorde quelque crédibilité - appellent plusieurs remarques.

D'abord, on ne manquera pas d'être impressionné par l'autorité dont jouit Atta Clausus sur les hommes de sa gens -une autorité telle qu'il se révèle capable de décider, ou de contraindre, cinq mille hommes à le suivre à Rome110 avec leurs familles.

Ensuite, on ne saurait trop insister sur le poids que pouvait avoir un tel pouvoir de décision pour l'avenir : parce qu'une gens est une force armée - dans le cas de la gens Claudia, le nombre des clients en fait une force armée des plus importantes - la migration de la gens Claudia décide de la défaite des Sabins, en même temps qu'elle assure la victoire de Rome.

Enfin, l'intégration d'Appius Claudius et des siens dans le corps civique des Romains n'est que la conséquence directe de tout cela, de l'aveu même des Anciens. Plus encore : ce que je soulignerai ici, ce sont les formes économiques, politiques, sociales, qu'à tous égards prend cette in-

109. Denys d'Halicarnasse, V, 40.

110. Il ne s'agit pas de prendre le nombre à la lettre ; mais ce que Denys d'Halicarnasse veut certainement suggérer, c'est son importance.

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tégration à la fin du VIe siècle encore : celles de la « fondation » d'une gens romaine.

On observera au passage la latinisation du nom d'Atta Clausus en Appius Claudius, dont la gens devient, en se romanisant, la gens Claudia. Surtout, un espace est d'abord donné à Appius Claudius dans la ville, où réside l'aristocratie, pour y construire sa demeure. Et des terres lui sont octroyées pour permettre aux familles de sa gens de subsister, au nord de l'Anio et vers le mont Sacré : en d'autres termes; en direction des territoires sabins, et cela ne relève sans doute pas du hasard ; car le développement des « gentes » est certainement inséparable de la conquête de territoires, dont on devine ici l'espoir111. De surcroît, Denys d'Halicar-nasse souligne que le soin est laissé à Appius Claudius de faire à ceux qui l'ont suivi la distribution de ces terres ; cela rejoint curieusement un texte de Festus112, qui assure que les patrons des gentes distribuaient les terres à ceux qui dépendaient d'eux - Festus dit très exactement : « tenuiorïbus », aux plus petites gens. On peut soupçonner que de telles pratiques étaient de celles qui pouvaient générer le plus sûrement le pouvoir des patrons au sein des gentes, et la dépendance des clients à leur égard.

Le contrôle de la terre - qui échappe aux catégories, plus récentes, de la « propriété », aux catégories de Yager publicus et de Yager priuatus113-faisait avec la maîtrise du droit, de toute certitude, la puissance des patrons et patriciens : de l'étendue du sol que dominait une gens dépendait en particulier le nombre des clients qui pouvaient y recevoir un lopin de terre, et qui de ce fait étaient tenus de rendre à leur patron tous les services de la clientèle, en particulier le service armé ; l'on peut imaginer les

111. La présence des Valerii, attestée par l'épigraphie, à Satricum / Suessa Pometia, confirme à cet égard ce que suggère la tradition de l'intérêt que cette gens portait au pays pon-tin.

112. Festus, 288 L ; sur les problèmes de la terre au sein de la gens, et pour d'autres exemples que celui de la gens Claudia, cf. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prevotat, « Guerres, échanges, pouvoir à Rome à l'époque archaïque », Dialogues d'Histoire ancienne, 5,1979,103-14, en particulier pp. 123-124, et la discussion avec L. Capogrossi Colognesi, pp. 137-142 ; sur les problèmes de la terre à l'époque archaïque, au sein de la gens, cf. maintenant L. Capogrossi-Colognesi, « "ager publicus" e "ager gentilicius" nella riflessione storiografica moderna », Studi in honore di Cesare Sanfilippo, HI, Milan, 1983 ; L. Capogrossi-Colognesi, « La città e la sua terra », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 267-271.

113. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prevotat, « Guerres, échanges, pouvoir à Rome à l'époque archaïque », Dialogues d'Histoire ancienne, 5,1979,, en particulier pp. 123-124 et pp. 140-142 ; dans le même sens maintenant, L. Capogrossi-Colognesi, La città..., pp. 266-269.

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âpres compétitions qui pouvaient opposer entre eux les patrons - avec leurs gentes - pour la maîtrise des terres conquises.

Or, ces territoires n'ont cessé de s'étendre par la guerre, entre le milieu du VIIIe siècle et la fin du VF114. Les patrons d'anciennes gentes ont pu alors y développer leur emprise et y consolider leur puissance : on pourrait ici évoquer l'exemple, dans le Latium et en direction de la plaine pontine, des entreprises des Valerii et des Horatii115. Que ces patrons, appuyés sur leurs gentes, aient voulu garder l'entier contrôle des terres conquises, et en exclure d'éventuels rivaux, n'a rien qui puisse surprendre. Cependant, de nouvelles gentes ont pu aussi s'y établir ; d'autres ont pu simplement y survivre, comme la tradition le raconte pour les huit gentes albaines dont Tullus Hostilius a bien voulu reconnaître l'existence, après la prise d'Albe la Longue et son annexion par Rome116. Artois Marcius n'eut sans doute pas une politique très différente117. Quant à Tarquin l'Ancien118, il aurait fait entrer au Sénat cent nouveaux Pères, dits Pères « de gentes de second rang », minorum gentium119 ; la tradition en donnait un exemple, celui des Octauii, pour lesquels Suétone précise : « Plusieurs faits prouvent que la famille Octauia fut autrefois l'une des premières de Velitrae »120. Or, Velitrae est une cité latine à l'origine, devenue volsque pour quelques décennies au Ve siècle ; et la présence d'une gens Octauia dans cette cité, au temps de Tarquin l'Ancien, pourrait trouver son équivalent dans la présence des Valerii à Satricum / Suessa Pometia, à la même époque : une présence aujourd'hui bien attestée par l'épigraphie.

De tels exemples tendraient à faire penser qu'au dernier siècle de l'époque royale, le territoire contrôlé par Rome s'étendait assez loin vers le sud et le sud-est, en particulier en direction de la plaine pontine - comme l'affirmaient les Anciens121. Dans les dernières décennies du VIe siècle et les premières du Ve, il est vrai, la pression des peuples voisins l'empor-

114. Cf. carte VU.

115. Infra, chapitre VI.

116. Tite-Live, I, 28,7 ; 30,2.

117. Tite-Live, I, 33.

118. Tite-Live, I, 35, 6 ; Denys d'Halicarnasse, HE, 71 ; Ciceron, De Republica, E, 20, 35 sq. ; sur cela, cf. I. Hahn, The Plebeians and Clan Society, Oikumene, 1,1976, p. 66.

119. Tite-Live, I, 36, 6.

120. Suétone, Diuus Augustus, II, 1 : Gentem Octauiam Veletris praecipuam olim fuisse multa declarant.

121. Contra, A. AlföTdi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1963, pp. 101-175 (avec les références aux sources).

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tera, pour un temps, et le territoire des gentes en sera alors diminué d'autant.

Un « code de la clientèle » ?

Pour comprendre ce que put être la dépendance dans laquelle les clients des gentes pouvaient être tenus, pour comprendre le fonctionnement du patronage et des clientèles, les textes dont on dispose sont, à vrai dire, rares et ambigus. Pour la facilité de l'exposé, j'évoquerai ici la description que l'on doit à Denys d'Halicarnasse d'un « code de la clientèle »122, malgré les réserves - parfois radicales - auxquelles cet exposé a donné lieu123. On peut y lire :

« Voici en quoi consistait cette coutume du patronage que [Romulus] créa alors concernant le patronage et que les Romains ont conservée fort longtemps. Les patriciens avaient le devoir d'expliquer à leurs clients les règles du droit, dont ces derniers n'avaient aucune connaissance ; que les clients fussent présents ou absents, ils devaient leur rendre les mêmes services que des pères rendent à leurs enfants, et cela concernait aussi bien les questions d'argent que les contrats relatifs à ce genre de questions ; ils étaient en droit d'intenter des poursuites pour le compte de leurs clients, si ces derniers se trouvaient injustement lésés dans leurs contrats, et il leur fallait défendre leur clientèle des accusations portées contre elle. Pour le dire en un mot, ils devaient assurer à leurs clients toute la tranquillité dont ils avaient plus que quiconque besoin.

De leur côté, les clients étaient tenus d'aider leur patron à établir leurs filles, en fournissant une partie de la dot si le père n'en avait pas les moyens ; si leur patron ou ses enfants se trouvaient prisonniers de guerre, ils devaient payer leur rançon à l'ennemi ; lorsque leur patron perdait un procès privé ou qu'on le condamnait à verser une amende à l'État, il leur fallait s'acquitter de la somme due (et cela sans toucher d'intérêts, à titre gracieux) ; ils devaient enfin contribuer aux dépenses qu'entraînaient les magistratures, les dignités et les autres charges publiques assurées par leur patron, tout comme s'ils faisaient partie de sa propre famille.

La piété et la justice interdisaient aux uns et aux autres de se traîner mutuellement en justice, de porter un témoignage ou de voter les uns contre les autres, de se ranger chacun au parti des ennemis de l'autre. Tout homme convaincu d'avoir enfreint l'une de ces règles tombait sous le coup de la loi que Romulus avait établie pour les traîtres. Le premier venu était en droit de le mettre à mort, comme une victime qu'on dévouait à Zeus Catachtonios : car les Romains avaient coutume de consacrer à quelque dieu - et en particulier aux divinités infernales - la personne de ceux dont ils voulaient que la mort

122. Denys d'Halicarnasse, II, X (trad. Fromentin et Schnäbele, 1990).

123. J. Poucet, Les Origines de Rome. Tradition et histoire, Bruxelles, 1985, p. 104 n. 99.

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demeurât impunie. C'est précisément l'usage que Romulus sanctionna en cette occasion. C'est ainsi que les relations unissant les clients et les patrons se prolongèrent durant des générations, exactement comme s'il s'agissait de liens du sang. Elles se transmettaient de père en fils, et c'était pour les membres des familles illustres un grand titre de gloire que d'avoir le plus de clients possibles, en conservant d'abord les patronages hérités de leurs ancêtres, mais aussi en s'en attirant d'autres par leurs propres mérites... ».

Il ne saurait être question de prendre à la lettre toutes ces informations, s'agissant de l'époque archaïque : nombre d'entre elles, en particulier toutes celles qui renvoient à la monnaie et à des échanges monétaires, relèvent de l'anachronisme, et les interprétations de Denys d'Halicar-nasse doivent certainement beaucoup à un état plus tardif de la clientèle et du patronage. Néanmoins, on a pu dire que « la substance de ce code est digne de foi »124, et que « tout en juxtaposant des dispositions d'âge variable, [il] n'en plonge pas moins ses racines dans un passé très lointain »125 ; cela, même si l'on n'y reconnaît pas une loi de Romulus, non plus que le fait que ce roi aurait mis la plèbe dans la clientèle des grands126. Que convient-il donc de retenir de ce « code » ?

On est tenté, en première lecture, d'y voir une série très cohérente de droits et de devoirs, qui se correspondent et qui impliquent une réciprocité rigoureuse, mise sous le signe des rapports entre père et fils. Mais cette impression ne résiste guère à une lecture plus attentive.

Cette série de droits et de devoirs débute en effet avec une première « obligation » des patrons, d'où tout le reste découle : c'est le devoir des patrons d'expliquer le droit127 à leurs clients, et d'intervenir pour eux chaque fois qu'il est nécessaire, parce que les clients ignorent le droit ; en retour, les clients doivent à leurs patrons les services qui relèvent de la sphère d'activités qui leur est propre, et qui est le travail productif.

124. A. Magdelain, Remarques..., pp. 104-106.

125. J.-Cl. Richard, Les origines de la -plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Bibliothèque de l'École française de Rome, 1978, p. 167.

126. Sur la plèbe, que les textes définissent comme ceux qui n'ont pas de gens, cf. infra ; pour d'autres analyses cependant, A. Magdelain, « Auspicia ad patres redeunt », Hommages à Jean Bay et, 1964, p. 467 ; A. Magdelain, « Le ins archaïque », Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École française de Rome. Antiquité, 98, 1986, pp. 265-358 ; J. Cl. Richard, « Les origines de la plèbe romaine », L'Information littéraire, 1977, pp. 217-223.

127. Sur le droit - non écrit, « sacré » et pour cela gardé soigneusement dans le secret par les patrons, cf. A Magdelain, Remarques..., pp. 105-106, avec des conclusions différentes.

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Mais pourquoi cette ignorance du droit, du côté des clients ? Elle est présentée comme une donnée de fait, une donnée de nature, qui ne peut pas plus être discutée qu'on ne discute l'autorité d'un père sur ses enfants. Pourtant, les choses ne sont sans doute pas aussi simples. Selon toute vraisemblance, le monopole exercé par les patrons des génies sur tout ce qui relève du droit n'est pas originel : le droit était inséparable de la prise d'auspices - l'observation des oiseaux, où se révélait la volonté des dieux avant toute entreprise ; et dès le début de l'époque royale sans doute, l'aristocratie qui s'affirmait alors paraît avoir confisqué à son profit exclusif le droit de prendre les auspices128. De ce coup de force devait résulter sans coup férir, en même temps que la subordination du plus grand nombre, le quasi monopole que par la suite, et pour longtemps, les patriciens allaient exercer sur toute la gestion de l'État129.

Pour ce qui est des rapports de clientèle au sein des génies, le troisième paragraphe du « code de la clientèle », en particulier, pourrait être très révélateur de l'idéologie qui les sous-tend ; on y voit affirmée, pour ce qui regarde les actions en justice et plus généralement pour tout ce qui regarde les assemblées du peuple, une « réciprocité » qui est, à l'analyse, une éloquente illustration d'une réalité sensiblement différente. Denys d'Halicarnasse parle ici de l'interdiction qui est faite, sous peine des pires sanctions, « aux uns comme aux autres, de se traîner mutuellement en justice, de porter un témoignage ou de voter les uns contre les autres, de se ranger chacun au parti des ennemis de l'autre». On a insisté sur la sanction très grave - l'exclusion de la communauté - qui devait frapper les patrons qui manqueraient à leurs devoirs130. Pourtant, on pourrait aussi bien observer que dans tous les cas de figure envisageables, une telle interdiction, faite « aux uns comme aux autres », devait toujours conduire à assurer la suprématie des patrons et la subordination des clients, puisqu'en particulier, elle interdisait à ceux-ci tout recours - en dehors du tribunal du patron, ou de l'intervention divine - contre les abus de pouvoirs dont ils pourraient être victimes ; qui donc jugera un patron coupable d'abus, sinon lui-même ? Quant à la crainte des dieux, l'histoire du Ve siècle montrera qu'elle ne suffisait pas à empêcher les patrons des génies de se livrer aux pires excès.

128. A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », Hommages à Jean Bayet, 1964, pp. 427-473 ; A. Momigliano, Osservazioni, 1963, pp. 95-121, en particulier pp. 117-121.

129. A. Magdelain, Auspicia..., pp. 427-473, particulièrement p. 454 : sous la République, les patriciens sont ceux des patrons de gentes qui ont accédé au consulat, et leurs descendants.

130. F. De Martino, 1988, Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, p. 349.

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De la sorte, les « devoirs » des patrons s'identifient à l'exercice d'un pouvoir, qui tire une grande partie de sa force du monopole que les patrons ont établi sur un droit tenu par eux soigneusement secret, parce que sacré. En « retour », les clients font, à l'appel de leurs patrons, un service armé qui doit assurer non seulement la défense du territoire de la gens, mais encore son élargissement, et l'engagement de ce fait de nouveaux clients : la maîtrise de la terre conquise est, et restera, une préoccupation majeure de cette aristocratie dont on saisit l'émergence à partir du VIIIe siècle. Et c'est sur les terres conquises, situées sur le pourtour du très ancien ager Romanus131, que les patrons des génies établissent leurs clients. Il est d'autre part probable que les produits du travail de ces clients aboutissaient dans les greniers des patrons : le « code de la clientèle » faisait aux clients l'obligation de participer à toutes les dépenses inhérentes au rôle politique et social de leurs patrons, cela non à titre de prêt, mais d'action de grâce. Cela doit expliquer, au moins pour une part, la présence des richesses que l'on retrouve dans les tombes aristocratiques.

Dans la gens, le patron, quant à lui, joue le rôle de « père » pour tous ceux qui relèvent de son patronage. À lui revient cet acte majeur, dans l'organisation de la production et de la reproduction des familles, qu'est la distribution des terres consenties aux clients, les heredia132. À lui doit revenir encore la maîtrise de ce qui est produit sur le domaine de la gens. C'est lui qui organise la défense du territoire, et qui a le commandement dans la guerre. Il est enfin la mémoire du groupe, et il « sait » le droit.

De surcroît, il n'est guère douteux que les pouvoirs des patrons ont très tôt largement débordé leurs gentes, pour atteindre le pouvoir d'État. Avec le titre de Patres133, ils siègent au Sénat de droit héréditaire : c'est, selon les Anciens, ce que traduit le titre de patricii qu'ils se donnent134. Leur légitimité leur vient du droit augurai qu'ils prétendent seuls déte-

131. Cf. cartes I et Vu, et infra.

132. Je laisse de côté la question du statut « juridique » des heredia à l'époque royale ; on a voulu voir dans ce mot la désignation d'une terre en propriété privée, mais la question est des plus controversée ; je soulignerai seulement ici que ce sens du mot heredia pourrait correspondre plutôt à un état plus tardif du statut de la terre, et à une époque où les gentes ont cessé de constituer les structures dominantes de la cité.

133. Sur les rapports entre Patres et patricii, cf. en particulier A. Magdelain, « Auspicia », pp. 450-467, et particulièrement p. 466 (avec les références aux sources).

134. Tite-Live, I, 8, 7 ; Denys d'Halicamasse, H, 8 ; Ciceron, De Republica, H, 23, etc. ; sur le parriciat, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale..., pp. 198-200, et la bibliographie ; P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat » (509-366 av. J.-C), Paris, 1975.

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nir - en clair, ils l'ont accaparé dès l'époque royale sans doute135. Après la fondation de la République, ils s'en serviront comme d'un argument majeur pour tenter de se réserver, à l'exclusion des « plébéiens », les plus hautes fonctions politiques et les grands sacerdoces.

Il ressort de tout ce qui précède que ce qui fait les patriciens, ce n'est pas seulement un ensemble de pouvoirs politiques et religieux, mais aussi leur place dans des rapports économiques et sociaux particuliers, et héréditaires : les patriciens sont patrons de génies. Et en cela, ils se différencient fondamentalement des plébéiens qui, si l'on admet ce que disent les Anciens, sont ceux qui n'ont pas de gens136.

La plèbe

Depuis le VIIIe siècle, on l'a vu, de nouvelles productions étaient apparues, donnant lieu à une circulation accrue des hommes en même temps que des richesses produites. Comment les nouvelles activités de production et d'échange ont-elles pu s'insérer dans cette société que structuraient si fortement les génies ? Si l'on admet que le mot « plèbe » renvoie à l'ensemble de ceux qui n'ont pas de gens, à quel moment peut-on imaginer que cette « plèbe » a commencé d'exister ? Comment, surtout, définir ce que les Anciens appellent « la plèbe »137, et peut-on admettre son existence au temps de la royauté ?

135. A. Momigliano, « An Interim Report on the Origins of Rome », Journal of Roman Studies, 1963, pp. 95-121, et en particulier pp. 117-121 ; A. Momigliano, « Osservazioni sulla distinzione fra patrizi e plebei », Entretiens XIII, Fondation Hardt, Vandœuvres-Genève, 1966, pp. 199-221 ; A. Magdelain, Recherches sur V« imperium » : la loi curiate et les auspices d'investiture, Paris 1968, pp. 464-465.

136. Contra, par exemple A. Magdelain, Auspicia..., p. 467 : l'affirmation selon laquelle les plébéiens n'ont pas de gens relèverait de la pure propagande patricienne ; cf. encore Ranouil, 1975 ; Hahn, 1976, pp. 47-51, pour l'historiographie de la question (avec la bibliographie).

137. Sur les origines de la plèbe et son évolution, cf. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, pp. 196-198 (avec la bibliographie); J. Cl. Richard, Les origines de la plèbe...; F. De Martino, « La costituzione della città-stato », Storia di Roma, 1, Roma in Italia, Turin, 1988, p. 349 et p. 357 - avec l'exposé des débats et la bibliographie ; A. Magdelain, lus Imperium Auctoritas, Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome 133, Rome 1990, pp. 471^95, et surtout pp. 471-481.

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Les plébéiens sont ceux « qui n'ont pas de gens»

Une opinion répandue ne reconnaît en effet l'existence de la plèbe que dans ses manifestations politiques138. Or, la plus ancienne de ces manifestations, du moins de celles que l'on connaît, aurait été la première sécession de la plèbe, en 494 av. J.-C.139 : pour protester contre les abus de pouvoir auxquels des patriciens se livrent sur la personne de plébéiens -contraints de s'endetter et réduits par les patriciens à la condition d'asservis - , et alors que l'ennemi menace, toute la plèbe de Rome se retire sur l'Aventin, et refuse le service militaire. La crise dure plusieurs mois, marquée du côté patricien par l'alternance des mesures d'apaisement et de rigueur, jusqu'à ce qu'enfin, les patriciens consentent à accorder à la plèbe des magistrats spéciaux et inviolables - les tribuns de la plèbe - , qui ne pourront être des patriciens, et qui seront les défenseurs des plébéiens contre les décisions abusives que pourraient prendre des patriciens140. Dans ce conflit serait née la plèbe, qui par conséquent n'existait pas auparavant.

Les Anciens, pourtant, assuraient que ce qui déterminait un individu comme plébéien, c'était le fait de n'avoir pas de gens : ce qui conduit à définir la plèbe, même si c'est de façon négative, par rapport à des structures sociales où l'économique et le politique sont étroitement imbriqués ; et cela n'exclut peut-être pas son existence bien avant la sécession de 494 av. J.-C.

Mais le mot « plèbe » n'admet pas une définition simple, il n'est pas univoque141.

On pensera d'abord que les plébéiens ont pu être d'anciens clients dont les gentes avaient été ruinées. L'on évoquera encore les vaincus transplantés à Rome, où la plupart étaient versés dans la plèbe, s'il faut en croire la tradition142. Ainsi par exemple des Albains qui, après la des-

138. Ainsi, J. Cl. Richard, Les origines..., pp. 217-223 ; ou encore M. Humbert, Institutions (4e éd.), p. 168, qui définit la plèbe comme « une réalité politique rigoureusement définie. Elle est infraction de la Cité (toutes classes confondues) qui s'est placée en opposition durable contre l'organisation officielle ou patricienne de la Cité. Elle est née en 494/3 », (c'est l'auteur qui souligne) ; pour d'autres analyses, A. Magdelain, lus Imperium Auc-toritas, Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome 133, Rome, 1990, pp. 471-481.

139. Tite-Live, E, 23-32.

140. Cf. m/ira, chap, m et V.

141. A. Magdelain, lus Imperium auctoritas..., pp. 471-472.

142. I. Hahn, The Plebeians..., 1,1976, p. 66, suivant Denys d'Halicamasse, m, 29, à propos de la population d'Albe.

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truction de leur ville par les Romains sous le règne de Tullus Hostilius, furent transférés à Rome - où ils peuplèrent le Caelius -143 et ils y reçurent le titre de citoyens. Toutes les génies albaines disparurent, à l'exception de six d'entre elles, dont les patrons furent admis parmi les Pères : ce sont les lulii, les Seruilii, les Quinctii, les Geganii, les Curiata, les Cloelii enfin144. De la même façon, sous Ancus Marcius, les habitants de Politorium, de Tellènes, de Ficana, devenus citoyens romains, furent transférées sur rAventin145, qui devait devenir la colline plébéienne par excellence.... Mais la plèbe devait comprendre bien d'autres catégories de population146.

On s'en souvient : depuis le VIIIe siècle, de nouvelles activités de production et d'échanges étaient apparues, et avec elles, de nouvelles couches sociales se développaient. Ces mutations économiques et sociales, de très grande importance, sont liées en particulier à l'arrivée d'étrangers venus de Méditerranée orientale, et singulièrement de Grecs, qui s'installent dans les villes d'Italie centrale sans esprit de retour. Ce sont pour une part des marchands et des artisans, mais aussi des ruraux et des agriculteurs, qui savent cultiver la vigne et l'olivier, et produire le vin ou l'huile ; et certainement, le développement de ces couches sociales nouvelles pouvait représenter une menace pour le pouvoir des patriciens, si elles restaient extérieures aux gentes et échappaient au contrôle des patroni. Mais racheminement en Italie, et bientôt la production d'objets de luxe et de prestige, auxquels les familles de l'aristocratie gentilice pouvaient difficilement renoncer, leur étaient liés ; et ces activités de production et d'échange non seulement supposaient la maîtrise de savoir-faire et de savoirs, mais en outre nécessitaient une liberté individuelle que n'assurait guère l'appartenance à une gens.

Sans doute ces immigrants, quand ils l'ont pu, ont cherché à échapper aux contraintes de la clientèle, et ont refusé d'entrer dans l'obéissance d'un patron de gens : n'y auraient-ils pas perdu et le bénéfice de leurs savoir-faire, et le contrôle de leurs productions et de toutes leurs activités ?

143. Tite-Live, I, 33, 2.

144. Tite-Live, 1,28, 7 : Qod bonumfaustumfelixque sit populo Romano ac mihi uobisque, Albani, populum omnem Albanum Romam traducere in animo est, ciuitatem dare plebi, primores in patres legere, unam urbem, unam rem pblicam facere : « Pour le bien, la prospérité et le bonheur du peuple romain, de moi-même et de vous aussi, albains, j'ai pris la résolution de transférer toute la population d'Albe à Rome, de donner le droit de cité à la plèbe, de mettre les nobles au rang des Pères, de n'avoir plus qu'une seule ville et qu'un seul État ». (texte et trad. CUF).

145. Tite-Live, I, 33,1-2.

146. A. Magdelain, lus Imperium Auctoritas..., p. 471, qui souligne la difficulté qu'il y a à définir la plèbe : « On n'en finit pas de se demander qui est plébéien à Rome ».

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À quel degré d'intégration politique et sociale ces nouveaux venus -qui ont dû former une part de la première plèbe -, et de façon plus large, tous ceux qui n'avaient pas de gens, pouvaient-ils alors prétendre ? Au début de la République, sans doute aucun, les plébéiens faisaient pleinement partie du corps civique. Mais il n'en avait peut-être pas été toujours ainsi : si véritablement la qualité de liber était réservée à ceux qui appartenaient aux génies, comme on l'a dit147, on pourrait en conclure que le sort de tous les autres devait rester des plus précaires, parce qu'ils pouvaient être considérés comme des étrangers sans droits148.

À la fin du VIIe siècle pourtant et au début du VIe, le nombre de ces étrangers grandit - à la mesure des activités des Étrusques, qui sont alors fermement établis sur toute l'Italie centrale et en Campanie, et dont les relations avec les peuples de l'Orient méditerranéen, Phéniciens ou Grecs, se sont considérablement développées. Et les préoccupations de ces voyageurs doivent expliquer l'établissement des grands sanctuaires extra-urbains qui sont à la fois lieux d'asile et centres d'échanges, et qui paraissent soustraits aux pouvoirs exclusifs des aristocraties gentilices : que l'on songe, à Rome, au sanctuaire de Fortuna et Mater Matuta établi au Forum Boarium, ou à celui de Diane sur l'Aventin ; près de Caéré, on pensera au sanctuaire de Pyrgi, à celui de Gravisca près de Tarqui-nies...149.

Si l'on admet une telle approche, on admettra aussi que la plèbe a existé, comme catégorie économique et sociale, dès avant la sécession de 494 av. J.-C. Sans doute montre-t-elle, dans la sécession, ses capacités d'entente, d'organisation politique, et d'action concertée ; mais on observera aussi que les causes profondes qui sont à l'origine du soulèvement sont d'ordre économique et institutionnel autant que politique. En 494 av. J.-C, si les plébéiens ont des revendications politiques - ils réclament d'accéder aux magistratures et aux sacerdoces, ce que leur refusent les

147. E. Benveniste, « "Liber" et "Liberi" », Revue des Études latines, 14,1936, pp. 51-58.

148. E. Benveniste, « Le nom de l'esclave à Rome », Revue des Études latines, 10, 1932, pp. 429-440 ; dans le même sens, les observations de M. Torelli, Rome et TÉtrurie..., en particulier p. 275 : « Le processus de formation de la plèbe a certainement été complexe, et non unique, et les différentes composantes sociales s'y sont fondues, poussées par les nécessités fondamentales imposées par le manque de garanties politiques et juridiques [...]».

149. Cf. en particulier D. Van Berchem, « Hercule-Melqart à Vara Maxima », Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia 32„ XXXII, 1959-1960, pp. 61-68 ; M. Torelli, « Gravisca », La Parola del Passato 32,1977, pp. 398-458 ; M. Verzar, « Pyrgi e l'Afrodite di Cipro. Considerazioni sul programma decorativo del tempio B », Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École française de Rome. Antiquité, 92,1980,1, pp. 35-86 ; M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie..., p. 258 et n. 20.

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patriciens -, ils luttent tout autant, sinon davantage, pour obtenir d'accéder à la terre conquise, et pour que soit réglementée la question des dettes : toutes questions auxquelles il conviendra d'accorder la plus grande attention. Je retiendrai seulement pour l'instant que cela suppose, pour la plèbe, des déterminations économiques et sociales qui l'opposent aux gentes, et cela, sans doute, dès avant la sécession de 494.

La montée des antagonismes

Pour la terre, en particulier, de véritables contradictions ont dû opposer très tôt les deux mondes de la plèbe et des gentes, qui étaient attachés à des productions et à des systèmes productifs profondément antagoniques.

Dans les structures gentilices de la société en effet, les activités pastorales traditionnelles gardaient certainement une importance majeure, même si elles laissaient une place aux cultures : le lot traditionnel de deux jugères, Yheredium, que selon la tradition chaque famille recevait en terres à cultiver, ne permettait rien d'autre qu'une petite agriculture de subsistance, dont le produit ne suffisait certainement pas à faire vivre une famille : Yheredium supposait l'accès à d'autres ressources, que pouvaient fournir les terres de pacage - certainement de loin les plus étendues150. Sur les terres de la gens qui étaient mises en culture, des partages périodiques devaient avoir lieu, en rapport avec une élémentaire rotation des labours et de la jachère, que l'expression bina iugera, qui désigne les heredia, suggère : des clôtures provisoires, facilement abattues pour la jachère suivante, devaient suffire à soustraire les terres labourées, une année ou l'autre, aux divagations des troupeaux.

En revanche, les nouvelles productions supposaient, en même temps que des savoir-faire, une nouvelle organisation des terroirs : vignes et oliviers exigeaient une protection sur la longue durée, et donc des terres soustraites pour longtemps à l'usage « collectif » qui était celui des gentes. Cela, selon toute vraisemblance, favorisait l'émergence d'un nouveau rapport à la terre, qui devait conduire à plus ou moins long terme aux partages du sol en propriétés privées ; au milieu du Ve siècle de fait, les lois qui réglementent la propriété privée du sol figurent en bonne place dans la Loi des XII Tables.

Ainsi, entre le VIIIe et le VIe siècles av. J.-C, tandis que, dans toute l'Italie centrale, se creusent les différenciations sociales et se constituent des

150. L. Capogrossi-Colognesi, La città..., pp. 266-269.

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aristocraties, fortes de leurs pouvoirs religieux et politiques, de leurs clientèles, et de leur puissance armée, les communautés de village disparaissent et les villes grandissent. Évolution contradictoire : le développement urbain, en favorisant l'émergence de couches sociales nouvelles qui échappent au pouvoir exclusif des patrons de gentes, menace à terme les structures gentilices de la société.

L'histoire des premiers siècles de Rome pourrait être de tout cela une éloquente illustration. Si l'on en croit la tradition, la Ville aurait été fondée par Romulus vers le milieu du VIIIe siècle, et mise tout entière par le fondateur sous la loi des patrons de gentes. Et déjà, elle commence à étendre son contrôle sur les monts et les collines alentour. Deux siècles plus tard, dans une ville au territoire considérablement élargi, placée sous des rois étrusques, vit une société très complexe, traversée par des contradictions de toutes sortes. Deux politiques sont alors tour à tour tentées : l'une, celle du premier Tarquin, qui sera reprise par le second, paraît s'être appuyée sur les structures gentilices de la société. La tradition attache l'autre au nom de Servius Tullius, dont elle fait le fondateur des institutions de la République.

Quels sont les éléments essentiels de cette histoire, qui conduit de la fondation romuléenne en 753 av. J.-C, à la naissance de la République en 509 ? Quels héritages la République recueille-t-elle du temps des rois ?

LA ROME DES ROIS

La « fondation » de Rome

Romulus et la ville du Palatin

Des découvertes récentes invitent à ne pas rejeter purement et simplement les récits que l'on tient des Anciens sur l'établissement par Romulus des limites sacrées et des murailles de Rome, vers le milieu du Vme siècle.

Sur la bordure nord du Palatin en effet, entre les Curies Anciennes -les curiae ueteres - et le sanctuaire des Lares qui était attenant au temple de Vesta, des fouilles ont été entreprises depuis quelques années151. Elles

151. Pour une description et des références précises aux découvertes dues aux fouilles menées sous la direction de A. Carandini depuis 1985, dans la zone entre Forum et Palatin : A. Grandazzi, la fondation..., pp. 202-205 et p. 305 n. 20.

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ont permis de reconnaître les traces, au-dessous de celles de trois murs successifs construits vers 675, vers 600, et vers 550-530, d'une muraille plus ancienne doublée d'une palissade, qui repose sur la terre vierge ; des fragments de céramique et de fibules pris dans les fondations autorisent à dater cette fortification des années 730-720.

Les traces mises au jour correspondent avec le tracé, si l'on suit Tacite152, du sillon sacré qui limitait la Roma Quadrata de Romulus : ce pourrait en être le quatrième côté, sur le versant nord du Palatin. De la même façon, la chronologie retenue évoque curieusement la date que la tradition assignait à la fondation de Rome : si en effet les Anciens, qui utilisaient des computs divers, n'étaient pas unanimes pour en fixer exactement l'année, ils la situaient entre les années 754 et 728153. On est alors tenté de penser que vers le milieu du VIIIe siècle av. J.-C, une nouvelle communauté politique a été fondée, comme les Anciens disaient que Rome l'avait été par Romulus.

À l'appui d'une telle interprétation, ne convient-il pas encore de rapprocher ces données des informations, que l'on tient des Anciens, sur la façon dont Romulus - ou l'un de ses proches successeurs - avait réparti le peuple romain en trois tribus et en trente curies ? De ces trois tribus, à vrai dire, on ne savait à peu près rien : à peine en connaissait-on les noms à la fin de la République. L'on est cependant tenté de les mettre en relation, de quelque façon, avec les trente curies entre lesquelles, disait-on, le corps civique avait été réparti : il y a, entre les trois tribus et les trente curies, un rapport de nombres qui paraît impliquer une volonté politique consciente, et peut-être faut-il reconnaître là encore un témoignage de la « fondation » de la Ville, par fédération des villages qui étaient restés sans doute jusque-là indépendants, dans les premiers temps de la Rome royale sans doute.

L'organisation de l'espace urbain a mis alors en évidence la singularité imprescriptible de la ville du Palatin, inaugurée comme elle l'a été par Romulus154 et placée sous la bénédiction de Jupiter. À l'intérieur des

152. Tacite, Annales, XR, 24 (supra, n. 17).

153. Les conversions qu'en donnent les Modernes aboutissent^ 747-748 selon Fabius Victor, 729/72% selon Cincius Alimentus, 751/750 selon Polybe, 752/751 selon Pison, 754/753 enfin selon Varron, qui est aujourd'hui la date de référence ; seul, Timée donnait la date de 814. Sur cela, cf. J. Heurgon, 1969, pp. 226-227.

154. A. Magdelain, lus Imperium Auctoritas..., pp. 209-228, insiste fortement sur la différence entre le territoire de Yurbs, « zone élue de Jupiter au sein de son territoire » parce qu'elle est inaugurée, et l'ager qui l'entoure, et qui est seulement liberatus et effatus.

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limites sacrées155 que nul n'avait le droit de franchir et que soulignait la muraille doublée d'une palissade, la supériorité du Palatin sur les communautés qui l'entouraient était clairement affirmée.

Protégée des souillures de la guerre et de la mort par des interdits particuliers156, la ville du Palatin était devenue alors, à l'intérieur du po-mérium romuléen, « une sorte de cité interdite » - interdite aux demeures des rois et de la plupart des prêtres, interdite à Jupiter, à Mars, à Vesta ; réservée à la mémoire de Romulus, aux demeures patriciennes, et aux grands cultes des origines157.

Dans les premiers temps, deux portes s'ouvraient dans la muraille du Palatin.

L'une était située au sud-ouest, près du Vélabre et près du Lupercal. Le 15 février158, on y célébrait les fêtes des Lupercales qui, liées à celles de Faunus le 13159, et à celles de la mère des Lares le 17160, paraissent héritées de la société la plus ancienne : celle des éleveurs de bétail161. Le cycle de ces réjouissances, qui débutait le 13 février avec le sacrifice offert à Faunils, et s'achevait le 21 avec le sacrifice à la mère des Lares, se superposait à la neuvaine des dies parentales, au cours de laquelle on apaisait les mânes des morts. Ces cultes extrêmement anciens présentaient des caractères funéraires et de rites de passage marqués ; situés en bordure des rives marécageuses du Vélabre162, ils étaient à la limite des domaines des vivants et des morts, et liés aux confins dans le temps et dans l'espace politique163.

L'autre porte, la porte Romanula, à l'angle nord-ouest du Palatin, était également en étroite relation avec un ensemble cultuel extra-urbain tout aussi prestigieux, situé lui aussi entre la porte et le Vélabre. On y célébrait des fêtes toutes liées au solstice d'hiver : fêtes des Saturnales le 17 décembre, des Opalia le 19, à'Angerona (Diualia) le 21, et d'Acca

155. Cf. cartes m et IV.

156. A. Magdelain, Recherches sur /'« imperium » : la loi curiate et les auspices d'investiture, Paris, 1968, p. 62.

157. A. Carandini, II Palatino..., p. 80.

158. Ovide, Fastes, II, 267-452.

159. Ovide, Fastes, II, 193-194.

160. Sur l'identification de Larunda avec Acca Larentia et avec la mère des Lares, Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 270-271.

161. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 277.

162. Sur le caractère funéraire du Vélabre, domaine des morts : F. Coarelli, 1/ Foro Romano, I..., pp. 272-282 (avec les sources et la bibliographie).

163. Sur cela, F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 275-277.

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Larentia (Larentalia) le 23 - fêtes elles aussi funéraires, liées aux confins et aux passages dans le temps et l'espace164.

Les villages des monts et des collines

À ce moment, la ligue qui unissait certainement les villages « latins » des montes au sud, celle, aussi, que les communautés « sabines » des colles du nord avaient sans doute nouée entre elles, ont dû s'effacer au profit d'une union politique, placée sous l'autorité unique du Palatin : devant Jupiter, le dieu souverain des peuples Latins, s'effaçait Saturne, qui régnait sur le Capitole165. Les communautés des monts et des collines, qui étaient maintenant intégrées dans la nouvelle alliance politique, étaient désormais dépourvues d'organisation urbaine propre, et réduites à la situation de pagi166. L'événement, si l'on admet sa réalité historique, traduisait une concentration et un renforcement considérable d'un pouvoir central, et la naissance de la cité-État.

Je retiendrai encore ici comment l'ensemble des terroirs des anciennes communautés de village a dû constituer le plus ancien ager Romanus, qui s'étendait sur un rayon de cinq à huit milles environ autour de la ville du Palatin. Territoire réputé commun à tous les membres de la Cité, ses limites, à l'époque historique, étaient jalonnées par des cultes très vénérables, sans doute hérités du plus lointain passé ; on y peut reconnaître, institutionnellement distinct du territoire proprement urbain167, Vager Romanus Antiquus dont j'aurai à reparler168.

Cependant, dans la topographie de la ville, la uia Sacra paraît mériter une mention particulière169.

164. F. Coarelli, 1/ Foro Romano, I..., pp. 275-298.

165. A. Carandini,n Palatino..., p. 80.

166. Les pagi apparaissent donc, dans ces premiers temps de la Ville, comme des districts ruraux, héritiers des très anciens villages des monts et des collines ; quand ils s'agrègent au centre urbain qui s'affirme sur le Palatin, c'est sous la forme de circonscriptions mineures et dominées. Sur cela, cf. en particulier C. Ampolo, la nascita, pp. 167-168 ; A. Carandini, II Palatino, p. 80.

167. Sur les deux espaces concentriques de Yurbs et de Yager Romanus, inaugurés selon des rites distincts, mais complémentaires, cf. A. Magdelain, Recherches, pp. 58-67.

168. Sur Yager Romanus Antiquus, cf. A. Alföldi, « Ager Romanus Antiquus », Hermes, 90, 1962, pp. 183-213 ; F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 279.

169. Sur la via Sacra - son parcours, ses fonctions -, cf. F. Coarelli, // Foro Romano, I..., pp. 11-118, et en particulier pp. 26-27, et p. 109.

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Un centre du pouvoir au cœur de Vespace civique

Sur cette voie, la tradition faisait se dérouler - après l'enlèvement des Sabines, disait-elle - les affrontements entre les Sabins de Titus Tatius, fortement établis sur le Capitole - en particulier sur l'Arx - et sur le Qui-rinal, et les Romains de Romulus, unis autour du mont Palatin. Ces récits, tout légendaires qu'ils puissent être, contiennent certainement un fond de vérité et renvoient au souvenir des affrontements qui pouvaient opposer les villages des colles à ceux des montes. Les colles, au nord, avaient été sans doute peuplées peu à peu par des montagnards attirés par le site, et désignés plus tard comme des « Sabins »170 ; les montes, au sud, étaient de longue date tenus par des Latins. Enfin, dans cette zone frontière constituée par la vallée du forum, tout au long de la uia Sacra qui bordait au nord la zone marécageuse du Vélabre, ou, si l'on préfère, entre les premières pentes du Capitole et celles du Palatin, les Sabins de Titus Tatius et les Romains de Romulus avaient combattu. La légende racontait comment ils avaient été conduits à se réconcilier, et le Comitium avait été le lieu, disait-elle, où ils avaient fait la paix et scellé leur accord, pour former entre eux tous une unique cité.

Ce qui apparaît dans tout cela assez assuré, c'est que la uia Sacra a été d'abord une voie extra-urbaine, dans la zone frontière entre Capitole et Palatin171 : le rôle que lui fait jouer la légende, dans la guerre des Sabins de Titus Tatius contre les Romains de Romulus, s'inscrit parfaitement dans cette perspective. Mais une fois accomplie l'unité des villages sous l'autorité du Palatin, la uia Sacra a été placée au cœur de la nouvelle communauté politique. Elle est devenue l'axe qui reliait fonctionnelle-ment l'Arx au comitium, et à la demeure du roi. Et là se trouve le plus ancien centre du pouvoir.

Près du sanctuaire de Vesta en effet, et en étroite relation avec ce sanctuaire, la tradition situait les demeures successives des rois : d'abord celle de Numa ; puis celle d'Ancus Marcius, près du temple de Jupiter Stator et de la porte Mugonia, à l'emplacement de l'édifice connu comme la domus Publica (ou domus regis sacrorum)172.

De fait, à l'emplacement de la Regia et du sanctuaire de Vesta, les fouilles archéologiques173 ont révélé, dans les couches les plus profondes, un premier établissement, modeste encore : dix ou onze cabanes, que l'on

170. Selon l'hypothèse de M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., pp. 40-42.

171. F. Coarelli, II Foro Romano, I..., en particulier pp. 108-109.

172. F. Coarelli, II Foro Romano, l..., pp. 27-38 ; C. Ampolo, La nascita, pp. 156-157.

173. F. Coarelli, II Foro Romano, I..., pp. 34-37,57-58 et 62.

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a rapprochées de la tradition relative à la maison de Numa ; et des rapports, qui sont certainement bien plus que des rapports de simple voisinage, sont déjà établis entre la demeure de Numa et le sanctuaire de Vesta : le foyer de Vesta, foyer public du Peuple Romain, apparaît comme l'émanation du foyer royal, qui symbolise, résume, et en même temps domine tous les foyers de la cité174.

La tradition - telle que l'a recueillie en particulier Tite-Live - décrivait alors avec une belle cohérence l'avènement à la royauté de Numa Pompi-lius, pour succéder à Romulus. Numa, qui était originaire de Cures en Sabine, avait été choisi pour roi par les sénateurs assemblés ; et à l'exemple de Romulus, il avait d'abord voulu consulter les dieux, et obtenir leur agrément. Deux différences cependant séparent les inaugurations de Romulus et de Numa175 : c'était à YArx, à la citadelle, et non au Palatin que Numa s'était rendu pour prendre les auspices, et il était accompagné d'un augure. Tite-Live raconte176 que l'augure

« prit place à la gauche [de Numa], la tête voilée et tenant de la main droite un bâton recourbé et sans nœud appelé lituus. De là, embrassant du regard la ville et la campagne, il invoqua les dieux, marqua dans le ciel les régions par une ligne tracée de l'est à l'ouest et spécifia que les régions de droite étaient celles du midi, les régions de gauche celles du nord ; en face, aussi loin que ses yeux portaient leurs regards, il se fixa mentalement un point de repère ».

La direction ainsi décrite était celle de la spectio augurale, qui déterminait pour Rome, ville inaugurée177, l'observation de tous les signes du ciel178 ; par elle était défini l'axe du temple augurai construit sur YArx, ainsi que celui du Comitium179, tous deux liés par d'étroites relations fonctionnelles180.

Ce point de repère fixé par l'augure, c'était selon toute vraisemblance le monte Cavo, et le sanctuaire que devait avoir là Jupiter Latiaris. Car si l'on traçait au sol la ligne de la spectio augurale, ou, si l'on préfère, si l'on traçait la projection au sol d'une ligne idéale, qui serait celle du regard

174. L. Gernet, Anthropologie de la Grèce classique, Paris, 1959, p. 389.

175. A. Magdelain, lus Imperium Auctoritas..., pp. 199-207, souligne les différences qui séparent cette inauguration de celle de Romulus : l'inauguration de Numa est celle d'un prêtre, plutôt que celle d'un roi.

176. Tite-Live, I, XVm, 6-10.

177. A. Magdelain, lus Imperium Auctoritas..., pp. 193-207 : A. Carandini, Il Palatino..., 79-80.

178. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 100-104.

179. Carte IV ; dans l'espace, les scalae Gemoniae concrétisent clairement les relations entre YAuguraculum de YArx et le Comitium,

180. F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 106-107, et pp. 194-195 (avec la bibliographie).

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d'un observateur placé à Yauguraculum de YArx, et fixant le monte Cavo, cette ligne coïnciderait avec la via Sacra181. On peut ainsi reconnaître dans cette voie, maintenant placée au cœur de la cité, la matérialisation de relations politiques et religieuses qui étaient certainement des plus étroites et des plus anciennes, entre Rome et le sanctuaire fédéral des Latins au monte Cavo - le sanctuaire de Jupiter Latiaris182.

À la fin du VIIe siècle cependant, cet espace est le théâtre de profondes transformations.

Rome sous Tarquin l'Ancien

Les transformations de la ville

C'est alors que Rome est devenue véritablement une ville. L'écriture y est connue, et l'on possède pour ce temps des documents épigraphiques, des documents sacrés, auxquelles une longue vie est assurée : ainsi, en bordure du Forum Boarium, sur l'emplacement du sanctuaire de Mater Matuta, dont le premier établissement date de la fin du VIIe siècle183, des inscriptions en langue étrusque ont été mises au jour, attestant en ce lieu la présence d'Étrusques qui appartiennent au plus haut niveau social et politique184 - attestant, aussi, leur importance à Rome. La tradition paraît donc n'être pas dénuée de tout fondement, lorsqu'elle attribue au règne d'un Étrusque venu de Tarquinies - celui de Tarquin l'Ancien185 -, l'achèvement de la muraille pour protéger la ville, l'assèchement des marais du Vélabre grâce à la construction de la cloaca Maxima, et toute une politique édilitaire sur le pourtour du forum186.

181. L. Richardson, « Honos et Virtus and the via Sacra », American Journal of Archaeology, 82,1978, pp. 240-246.

182. Cf. carte I : l'alignement de la spectio augurale sur le monte Cavo paraît avoir été la règle, dans toutes les cités latines ; sur cela, F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 100-101 (avec la bibliographie).

183. F. Coarelli, Il Foro Boario..., p. 245 et p. 339.

184. M. Pallottino, Le origini... : considerazioni..., p. 4, cite une inscription au nom de Spurianas, qui est celui d'une très grande famille de Tarquinies.

185. Tarquin aurait régné de 616 à 578 av. J.-C.

186. Tite-Live, 1,34,9-10 ; 38,6.

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Des communautés de village à la Rome des rois

Carte III - Rome sous le règne de Servius Tullius

le pomérium tracé par Romulus : la Roma Quadrata (TACITE, Annales, XII, 24)

le pomérium de Servius Tullius : la ville 'des quatre régions', et les limites intérieures approximatives

des quatre tribus de la ville (l'Aventin est hors de ces limites) :

Regio I : Suburana ; Regio II : Esquilina ; Regio III : Collina ; Regio IV : Palatina

l'enceinte de Servius Tullius et les portes : 1 = Trigemina ; 2 = Lavemalis ; 3 = Rauduscuiana ; 4 = Naevia ; 5 = Capena ; 6 = Querquetulana ; 7 = Caelimontana ; 8 = Esquilina ; 9 = Viminalis ; 10 = Collina ; 11 = Quirinalis ; 12 = Salutarìs ; 13 = Sanqualis ; 14 = Fontinalis ; 15 = Carmentalis ; 16 = Flumentana ;

Principaux espaces sacrés (cf. aussi CARTE IV) : 17 = Volcanal ; 18 = temple de Fortuna et Mater Matuta ; 19 = temple de Diane de l'Aventin ; 20 = temple de Minerve ; 21 = ara Maxima d'Hercule ; 22 = Ouib (futurs Saèpta)

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80 La République des tribus

Sur la via Sacra, à la place des antiques cabanes, volontairement détruites, les premiers édifices du sanctuaire de Vesta et de la Regia sont alors construits, en même temps que se développe la demeure royale vers la porte Mugonia, à l'emplacement de la domus regis sacrorum ; la relation entre le sanctuaire de Vesta et le pouvoir royal est aussi étroite que jamais ; et la cohérence de cet ensemble est telle, que les mots Atrium Regium, ou même simplement Regia1*7, suffiront ensuite à le désigner. Or, vers la même époque s'il faut en croire la tradition, Tarquin l'Ancien établit sa demeure à l'emplacement de celle d'Ancus Marcius - à l'emplacement de ce qui deviendra la domus regis sacrorum -, et dans le très proche voisinage du sanctuaire de Vesta188. Toutes ces données, données concrètes que fournit l'archéologie, ou informations plus hypothétiques livrées par la tradition, paraissent former un ensemble cohérent : selon toute vraisemblance, un tel développement architectural doit traduire un renforcement du pouvoir royal, qu'il est tentant de rapporter à l'installation à Rome de la royauté étrusque.

Alors aussi, les légendes se modifient,' les mythes s'enrichissent de valeurs nouvelles qui les mettent en accord avec la société du temps189 : il en va ainsi, par exemple, de la personnalité d'Acca Larentia, ou encore de celle d'Hercule à Vara Maxima auquel Acca Larentia devient maintenant liée ; un Hercule qui, du reste, se charge des caractères de Faunus190.

Hercule, on s'en souvient, était un dieu italique protecteur des troupeaux. Assimilé au Melqart des Phéniciens191, il patronne maintenant toutes les transactions dont le port du forum Boarium est le théâtre. Acca Larentia, pour sa part, devient une prostituée sacrée, attachée au sanctuaire de l'ara Maxima. Après une nuit passée avec elle, le dieu lui accorde une récompense : c'est la rencontre qu'elle fait, au sortir du sanctuaire, d'un noble et riche personnage, Tarutius, dont le nom révèle clairement l'origine étrusque, et qui l'épouse. À sa mort, Tarutius laisse toutes ses possessions à Acca Larentia qui lègue à son tour ses richesses -des terres selon certains, un trésor monétaire selon d'autres - au peuple romain, qui honorera sa tombe au bord du Vélabre, et qui lui rendra un culte au cinquième mille de la uia Campana : en d'autres termes, sur les

187. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 22,56-79, et particulièrement p. 65 et n. 35.

188. F. Coarelli, II Foro Romano, I..., pp. 56-58.

189. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., en particulier pp. 276-280 (avec les références aux sources, et la bibliographie).

190. A. Brelich, Tre variazioni romane sul tenta delle origini (2e ed.), Rome, 1976, pp. 80-82.

191. D. Van Berchem, Hercule Melqart à Tara Maxima..., pp. 61-68 ; D. Van Berchem, Sanctuaires d'Hercule-Melqart, pp. 73-109 et pp. 307-338.

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limites les plus anciennes de la Ville, et sur celles, plus récentes, de Yager Romanus192.

On pourra reconnaître, dans ces récits, la transposition de toutes les modifications économiques et sociales en cours.

Une population considérablement accrue

De toute certitude enfin, la ville attirait alors une population grandissante. La tradition a retenu comment Tarquin en avait tiré avantage193 : « Il eut soin - dit Tite-Live - d'affermir son trône, tout en augmentant la puissance de l'État, par la nornination de cent nouveaux Pères, connus par la suite sous le nom de Pères de second rang...». Faut-il en conclure que l'intégration des nouveaux venus se faisait fondamentalement dans et par les gentes, qui avaient toute la faveur du roi ? Les honneurs rendus à Jupiter, le grand dieu patricien, sous lequel Tarquin l'Ancien comme Tarquin le Superbe placèrent leur gouvernement, pourraient conforter une telle interprétation. Mais cela ne suffit pas à expliquer le vœu fait par Tarquin l'Ancien d'offrir un temple à Jupiter, au Capitole : sans doute ont joué aussi des nécessités de politique extérieure.

Rome et les peuples latins

Dans les dernières décennies du VIIe siècle en effet, les relations entre Rome et les autres cités latines se sont profondément transformées. Rome parvient à imposer son hégémonie, et simultanément se trouve posée la question du centre juridique et religieux de la ligue latine, avec la prétention de Rome à l'établir sur son territoire.

P. A. Catalano a reconnu dans la fondation du temple de Diane sur l'Aventin par Servius Tullius, quelques années plus tard, l'indice le plus clair de la volonté hégémonique de Rome sur les peuples latins194. Mais cette volonté était déjà manifeste dans la politique de Tarquin l'Ancien, comme elle le sera dans celle de Tarquin le Superbe. Or, pour cette politique, les deux Tarquins s'appuient sur Jupiter Latiaris, à qui le premier a

192. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 279.

193. Tite-Live, I, 35, 6 : [...] Nee minus regni sui firmanti quam augendae rei publicae memor centum in patres legit qui deinde minorum gentium sunt appellati (...); sur cet accroissement du corps civique et cette « cooptation » de l'aristocratie, cf.. M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie, pp. 256-257.

194. P. Catalano, Linee del sistema..., p. 167.

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voué un temple, construit par le second, tous deux acceptant encore pour lieu de rassemblement de la ligue l'ancien centre du caput Ferentinae.

On en retiendra l'idée d'une opposition très nette, bien connue de la tradition, entre la ligne de conduite suivie ici par les Tarquins, qui se placent sous l'égide de Jupiter, et celle de Servius Tullius, qui se met sous la protection de Diane. Dans le patronage de Jupiter, on a voulu voir le signe du caractère inégalitaire des relations imposées aux Latins par les Tarquins, tandis que sous les lois de Diane les obligations auraient été paritaires. Interprétations insoutenables : dans tous les cas, c'est de suprématie romaine qu'il s'agit195. Mais ne convient-il pas de rapporter ces différences à la personnalité des protagonistes et, plus largement, aux projets de gouvernement et aux réalisations dont la tradition a crédité les trois derniers rois de Rome196 ?

Quoi qu'il en soit, s'il faut en croire Tite-Live, c'est pendant une guerre qui mettait Rome aux prises avec les Sabins que le roi Tarquin l'Ancien avait voué à Jupiter un temple, qui serait construit sur le Capitole : il y avait fait creuser « de vastes fondations, pressentant déjà en son cœur la grandeur future de ces lieux » ; et l'on sait que plus tard, au cours de l'ouvrage, la découverte d'une tête humaine aux traits parfaitement conservés devait annoncer qu'en effet, Rome serait la tête du monde. Puis, dans la guerre qui avait suivi, Tarquin l'Ancien avait soumis toute la nation latine, et la paix avait alors été conclue197. Dans le temple entrepris au Capitole et offert à Jupiter, dieu protecteur et saint patron de la ville de Romulus, on a reconnu le nouveau sanctuaire proposé par le premier Tarquin aux peuples latins pour centre de la nouvelle entente198 : ainsi, tant dans le gouvernement de la ville que dans l'alliance avec les Latins, Tarquin l'Ancien plaçait ses décisions sous l'égide du dieu patricien par excellence. Quant à Tarquin le Superbe, qui devait écraser la plèbe sous le poids des coxvées199, il n'allait pas mener une politique très différente.

195. P Catalano, Linee del sistema..., p. 167 et pp. 214-215.

196. En ce sens, cf. les réflexions très suggestives de Pallottino, Servius Tullius..., pp. 230-233.

197. Tite-Live, I, 38, 3-5 : paix avec les Latins ; I, 55 : présage de la tête humaine découverte au cours des travaux de fondation du temple.

198. P. Catalano, Lince del sistema, pp. 169-173 et n. I l l : les débats des modernes ; F. Coarelli, Roma (Guide archeologiche Laterza), Rome-Bari, 1984, pp. 29-30 ; J. Martinez-Pinna, « Evidenza di un tempio di Giove Capitolino a Roma, all'inizio del VIe sec. A. C. », Archeologia laziale, IV, 1981 : témoignages archéologiques de l'existence du temple au premier quart du VIe siècle av. J.-C.

199. En particulier Tite-Live, 1,526,1.

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Or, au cours de ces décennies, des contradictions profondes scindent la société en deux mondes qu'opposent aussi bien les systèmes productifs, que les rapports de production. L'un, celui des gentes, est issu des structures du passé ; l'autre, celui de la plèbe, est en plein devenir. C'est dans ce contexte que se situe le règne de Servius Tullius.

Le règne de Servius Tullius

La Constitution de Servius Tullius

Je me bornerai, pour l'instant, à rappeler les éléments essentiels de ce que Ton est convenu d'appeler « la constitution » de Servius Tullius.

Il convient d'abord de citer la distribution de terres à des bénéficiaires que Denys d'Halicarnasse désigne par le mot « thètes » : sont-ils des citoyens « de très petite condition » ? On peut aussi être tenté de reconnaître en eux, pour une part au moins, des individus qui n'avaient pas de terres à cultiver, parce qu'ils ne relevaient pas d'une gens : en d'autres termes, de reconnaître en eux des plébéiens, qui par cette distribution allaient être enfin pourvus de moyens d'existence dont la légitimité était assurée, et cela, hors du contrôle contraignant des gentes. Si cette interprétation est acceptable, on en conclura que Servius Tullius procédait par là à l'intégration économique, dans ce qui devenait une cité au plein sens du terme, d'individus qui n'avaient eu jusque là aucun droit bien reconnu à exploiter des terres romaines : sans doute n'étaient-ils guère que tolérés, dans l'exacte mesure où l'aristocratie des gentes y trouvait son avantage ; ils étaient restés jusque-là, au mieux, cantonnés aux marges de la Ville. Servius Tullius, par ses distributions, leur donnait les moyens d'une activité économique et sociale reconnue, placée maintenant sous la garantie de la protection royale.

Il faut évoquer ensuite l'élargissement du territoire urbain à de nouveaux quartiers, à l'intérieur d'un pomérium agrandi, doublé d'une muraille. Sur ce territoire élargi, les quatre premières tribus « géographiques » ont été créées, en remplacement des trois anciennes tribus « génétiques » qui étaient probablement liées à la formation du patri-ciat200 ; très vraisemblablement - si du moins on en croit la tradition -cinq autres tribus, portant elles aussi des toponymes, ont été établies sur le territoire de Vager Romanus Antiquus201 ; les cadres de l'organisation de ces tribus en tout cas, dans les pagi, semblent bien avoir été alors consti-

200. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 271-272.

201. Infra, chap. IL

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tués202. Ainsi sont fondées, dans la ville comme dans la campagne, autant de circonscriptions territoriales dont les noms géographiques marquent l'indépendance à l'égard des génies et de leurs patrons. Elles serviront à recenser tous les habitants, quelle que soit leur origine, pour la levée des impôts ou pour un recrutement militaire aux possibilités incomparablement accrues203 : cela, pour le plus grand avantage du pouvoir royal, à qui profitera pleinement l'accroissement de la population et son enrichissement. En toute logique, on est conduit à admettre que ces mesures aboutissaient, aussi bien que les précédentes, à l'intégration des immigrants qui, s'ils restaient étrangers aux génies, devaient contribuer à l'accroissement de la plèbe. Elles avaient pour résultat un élargissement du corps civique, sous la haute protection du roi et sous son autorité. Que le pouvoir des patrons de génies en ait été affaibli d'autant n'est guère douteux.

La tradition tenait encore Servius Tullius pour responsable d'une réforme militaire qui aurait achevé l'introduction à Rome du système ho-plitique, et qui aurait comporté l'organisation centuriate ; cela sans pour autant, malgré tout, enlever à l'aristocratie les commandements militaires : la politique mise en œuvre par le roi restait une politique de compromis.

On lui devait enfin l'établissement des compitalia et des paganalia204 : des fêtes pour lesquelles était requise la participation de tous les habitants de la ville aussi bien que de la campagne - et leur union dans des rituels partagés.

On ne saurait trop insister sur la forte cohérence qui lie entre elles ces mesures : elles aboutissaient à l'intégration économique, sociale, politique, religieuse, d'immigrants dont le nombre ne cessait de croître, et dont beaucoup demeuraient hors des génies. Tarquin l'Ancien avait bien tenté une telle intégration, en ouvrant le Sénat à cent nouveaux Pères, dits « de génies mineures » : mais c'était là garder les modèles du passé, et ignorer une croissance qui n'aurait pas eu pour cadres les génies. La « constitution » mise en œuvre par Servius Tullius pouvait avoir, et eut de fait une tout autre portée ; elle permettait désormais la croissance de la Ville hors des structures contraignantes des gentes ; et pour le présent, elle établissait entre les nouveaux venus et le roi des liens de patronage et de fidélité tout à l'avantage du pouvoir royal.

202. A. Magdelain, Remarques..., p. 113 ; M. Torelli, Rome et TÉtrurie..., p. 283.

203. Pour d'autres conclusions, cf. A. Momigliano, Osservazioni..., pp. 212 sq., que reprend M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 272-273.

204. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 112-118.

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Carte IV - Politique et religion sous Servius Tullius

Espaces hérités des rois précédents : : 1 = temple de Vesta ; 2 = sacellum des Lares (Praesäles) ; 3 = Regia (maison de Numa) ; 4 = domus regis (maison des Tarquins) ; 5 = aedes des Lares (maison diAncus Marcius) ; 6 = Pénates (maison de Tullus Hostilius) ; 7 = Porte Mugonia ; 8 = temple de Juppfer Stator ; 9 = Tigillum Sororium ; 10 = Aius Locutus ; 11 = Volupia et Agerona ; 12 = Acca Larentia ; 13 = Porte Romanula ; 14 = maison de Romulus ; 15 = Scalae Caci ; 16 = Lupercal ; 17 = autel de Consus ; 18 = auguraculum de \'Arx ; 19 = Gemoniae ; 20 = mundus ; 21 = Curia Hostilia ; 22 = comitium ; 23 = Janus de YArgilète ; 24 = cloacina ; 25 = /acus Curtis ; 26 = s/gnu/n Vortumni.

Innovations dues à Servius Tullius : 27 = (re)fondation du Volcanal (et lapis Niger) ; 28 = Temple de Fortuna et Mater Matuta ; 29 = temple de Diane de l'Aventin ; 30 = temple de Minerve ? ; 31 = Fortuna Virilis ? (Murcia) ; 32 = ara Maxima d'Hercule ; 33 = Fortuna de Caelius ; 34 = Fortuna de porte Colline.

Espaces hérités des anciennes communautés de villages, et des relations liées au Tibre : 31 = Curiae Veteres ; 32 = ara Maxima d'Hercule (Hercule italique, Héraclès grec, Melqart punique).

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Cette politique devait rencontrer de fortes résistances, que les récits des Anciens laissent percevoir. Ainsi, la tradition faisait commencer le règne de Servius Tullius en 578 av. J.-C, après la mort violente de Tar-quin l'Ancien que les fils - ou les petits-fils - d'Ancus Marcius avaient fait assassiner. Mais en 535, le fils - ou le petit-fils - de Tarquin l'Ancien s'était emparé du pouvoir, après avoir tué Servius Tullius de sa propre main. Si l'on admet que cette tradition traduit une certaine réalité historique205, on pensera aussi que le règne de Servius Tullius s'inscrit dans un climat de violence - jusqu'à la violence ouverte -, qui pourrait éclairer d'un jour singulier les oppositions entre les deux politiques bien différentes dont les Anciens créditaient les Tarquins d'une part, Servius Tullius de l'autre206.

Quoi qu'il en soit, les récits de la tradition, tels que les rapportent Tite-Live ou Denys d'Halicamasse, ne mettaient aucunement en doute la légitimité de Servius Tullius - un roi dont Denys d'Halicamasse soulignait pourtant qu'il était « un étranger et un apatride »207 - ; ils ne discutaient pas davantage la pertinence des décisions institutionnelles que ce roi avait prises, sans avoir pourtant l'assentiment des sénateurs. Mais ils rapportaient aussi l'élévation de Servius Tullius au pouvoir royal, et le bien-fondé de son œuvre institutionnelle, à un certain nombre d'éléments, dont on peut penser qu'au moins dans l'opinion commune au temps de Tite-Live, mais sans doute aussi depuis fort longtemps, ils fondaient la légitimité de ce roi et de son œuvre. Ces arguments légitimants sont inséparables des origines de Servius Tullius, qu'il convient de rappeler.

Les origines de Servius Tullius

N Sur les origines de Servius Tullius, on connaît à vrai dire trois versions différentes.

L'une, que l'on peut restituer à partir des peintures de la tombe François, à Vulci, faisait combattre contre un Cneue Tarchunies Rumach un certain Macstrna, qui était allié à Aule et Caile Vibenna. On peut identifier ces personnages208 en se reportant, en particulier, à une

205. Sur les autres versions relatives à l'avènement de Servius Tullius, cf. infra.

206. Cf. infra, chap. IL

207. Denys d'Halicamasse, IQ, 65,6.

208. F. Coarelli, « Le pitture della tomba François a Vulci : una proposta di lettura », Dialoghi di Archeologia, 2,1983, pp. 43-69.

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autre version - étrusque elle aussi - rapportée par l'empereur Claude209. Celui-ci en effet assurait que Servius Tullius était connu chez les Étrusques sous le nom de Mastarna, et qu'il avait été un fidèle compagnon et un sodalis d'Aulus et de Caelius Vibenna. La tradition disait encore qu'après la disparition d'Aulus et la mort de Caelius, Mastarna-Servius Tullius, avec ce qui restait de l'armée caélienne, était venu s'installer à Rome, sur le mont Querquetulanus qui devait alors prendre le nom de Caelius mons ; et tout cela se passait sous le règne de Tarquin l'Ancien.

Une troisième version, « latine » celle-là, racontait comment un certain Tullius, qui était princeps de Corniculum210 et l'un des principaux citoyens de la latine Tibur, avait été tué dans la guerre qui, sous Tarquin l'Ancien, avait opposé sa cité à Rome ; l'épouse de Tullius, Ocresia, avait été emmenée comme captive à Rome ; reconnue par la reine Tanaquil, qui l'avait rendue à la liberté, elle était demeurée près du foyer royal où elle avait donné le jour à un fils, Servius Tullius. Certains de ceux qui avaient adopté cette version211 insistaient sur les signes prodigieux qui avaient marqué la naissance et les premières années de l'enfant - peut-être engendré par le lare du foyer royal, à moins que ce ne fût par Vulcain212. D'autres racontaient encore qu'un jour, alors qu'il dormait près du foyer dans la demeure de Tarquin l'Ancien213, sa tête avait été entourée d'une vive lumière : la reine Tanaquil y avait fort bien lu l'annonce, évidemment faite par les lares de sa Maison, d'un destin exceptionnel214.

209. CIL Xm, 1668, col. I.

210. Corniculum était un oppidum qui devait garder le territoire de la latine Tibur contre les incursions des Romains ; le mot princeps, d'autre part, désigne le personnage le plus important d'une cité, d'un oppidum, etc. : ici, de Corniculum, poste avancé qui défendait Tibur.

211. Ainsi Tite-Live, I, XXXIX.

212. Denys d'Halicamasse, IV, 2 ; Ovide, Fastes, VI, 625-636 ; Vairon, Langue latine, 61 ; Pline, Histoire naturelle, XXXVI, 204 ; Plutarque, Fortune des Romains, X ; cf. les analyses de M. Verzar, « Pyrgi e l'Afrodite di Cipro. Considerazioni sul programma decorativo del tempio B », Mélanges de l'École française de Rome. Antiquité, 92,1980, pp. 63-67.

213. Sur la localisation des demeures des rois, et sur tout ce qui concerne le centre à la fois politique et religieux de Rome, cf. carte IV.

214. Tite-Live, I, 39; sur le rôle de Tanaquil, cf. A. Momigliano, Tre figure mitiche : Tana-quilla, Gaia Cecilia, Acca Larentia, Miscellanea della Facoltà di Lettere e Filosofia dell'Università di Torino = Quarto Contributo alla storia degli studi classici, Rome 1969, pp. 455-485, et surtout ici pp. 456-463.

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gg La République des tribus

Servius Tullius et Vinstitution des compitalia

Quel était donc, dans l'œuvre politique et religieuse de Servius Tullius, le rôle des lares, et singulièrement, celui des lares du foyer royal ? Et quel était le rôle de Vulcain ?

Les lares étaient de très anciennes divinités protectrices des lieux, mais leur fonction était aussi sociale, de rapprochement entre les habitants : chaque famille, sous l'autorité du pater familias, avait eu depuis toujours à son foyer des lares familiaux qui la protégeaient, tandis que les groupes de voisinage - les adfines, que séparaient les mêmes limites -se trouvaient sous la tutelle des lares des carrefours, les lares compitales. On peut être certain que lorsque s'étaient affirmées les gentes, leurs patrons avaient pris soin de s'assurer l'aide et la protection des lares des carrefours, et c'est assurément par leur intermédiaire que cette aide et cette protection pouvaient s'étendre jusqu'à leurs clients215 : toutes les familles de la gens n'honoraient-elles pas un ancêtre commun qui était, à vrai dire, l'ancêtre du patron et le fondateur de la gens ?

Avec l'établissement de la royauté, le foyer royal devait devenir comme le symbole et la quintessence de tous les foyers familiaux ; les lares royaux - qui étaient certainement aussi l'objet d'un culte privé de la famille royale - , devaient en venir nécessairement, sous la République, à se confondre avec les lares publics du peuple romain216. Les signes de la prédilection qu'ils manifestent pour l'enfant Servius Tullius, endormi près du foyer de Tarquin l'Ancien et dans sa demeure, prennent ainsi une signification précise, que la reine Tanaquil avait perçue aussitôt217.

Pour ce qui est de Servius Tullius, on retiendra tout particulièrement la relation que la tradition établissait entre les lares familiäres du foyer royal et ce personnage - qui avait été désigné par les flammes pour un destin exceptionnel selon Tite-Live, ou qui avait été engendré par le lar familiaris - ou Vulcain -, selon une autre version que rapportent Denys d'Halicamasse, Ovide, Varron, Pline et encore Plutarque218. C'est cette relation très forte, de relation naturelle ou d'adoption, qui fondait et justifiait l'avènement de Servius Tullius à la royauté, s'il faut en croire la tradition.

215. J. Bayet, Histoire... de la religion..., pp. 64-65.

216. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 77 et p. 269.

217. Sur le rôle des femmes - en particulier celui de Tanaquil - dans la transmission du pouvoir, cf. A. Momigliano, Tre figure mitiche, pp. 3-28.

218. Denys d'Halicamasse, IV, 2 ; Ovide, Fastes, VI, 625-636 ; Varron, La Langue latine, V, 61 ; Pline, Histoire naturelle., XXXVI, 204 ; Plutarque, Fortune des Romains, X.

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Or, ce même roi avait établi à l'usage des habitants de la ville, dans tous les carrefours, le culte public des lares compitales : source d'une confusion que la tradition ne pouvait manquer de faire entre ce culte public, et le culte attaché à la personne de Servius Tullius du fait de sa naissance et qui ne pouvait être distingué de celui du foyer royal. Il y a là plus qu'une symbolique du pouvoir : L. Gernet219 a montré naguère comment le foyer royal, d'où devait procéder sous la royauté le foyer commun de la Cité, procédait lui-même de tous les foyers familiaux constitutifs de la communauté, mais pour les dominer : que l'on songe au foyer de Vesta, établi dans la domus Regia qui était à proprement parler une maison royale, celle, on l'a vu, du roi Numa -; et L. Gernet ajoutait : « Il n'y a rien comme ce symbole et sa désignation même où s'atteste une impersonnalité aussi impérieuse dans le gouvernement des hommes

Sur la via Sacra, les Anciens connaissaient avec certitude deux lieux de culte des lares220, dont les fêtes se donnaient à deux dates différentes de Tannée : ils citaient le sanctuaire des lares Tutélaires - les lares Praestites -qui se trouvait près de Y Atrium de Vesta et que l'on fêtait le 1er mai221, et une chapelle des lares située « en haut de la voie Sacrée » - aedes larum in Summa Sacra uia -, que l'on fêtait le 27 juin222.

Les lares Praestites, dont le sanctuaire s'appuyait sur le mur extérieur de Y Atrium de Vesta223, étaient très évidemment liés au sanctuaire de Vesta et à la domus Regia ; très voisins aussi des cultes extrêmement anciens à'Aius Locutius, à'Angerona et d'Acca Larentia, comme eux ils gardaient les frontières, et les passages dans l'espace et dans le temps224 : ces lares Tutélaires veillaient sur l'entrée principale de la première Rome, la

219. J. Gernet, Anthropologie..., pp. 386-389.

220. Sur cela, cf. F. Coarelli, J/ Foro Romano, I..., pp. 34-35 et pp. 260-276.

221. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 265-281.

222. Res Gestae, 19, 2 : [...] aedem Larum in summa sacra uia [...]feci; Ovide, Fastes, V, 129-130 et 135-136 : Praestibus Maiae Laribus uidere kalendae aram constitui paruaque signa deum / [ . . . ] / Causa tarnen positi fuerat cognominis Ulis,/quod praestant oculis omnia tuta suis ; / stant quoque pro nobis et praesunt moenibus Vrbis / et sunt praesentes auxiliumque ferunt : « Les calendes de mai ont vu élever aux Lares Praestites (Tutélaires) un autel avec deux petites statues des dieux / [ . . . ] / En tout cas, la raison du surnom qu'on leur avait donné, c'est que leur surveillance assure la sécurité de toutes choses ; ils nous défendent et veillent sur les remparts de Rome ; ils sont présents et portent secours » (texte et trad. Le Bonniec, Bologne 1970).

223. VAtrium de Vesta, avec le feu sacré qui représentait tous les foyers de la cité, était, on s'en souvient, inséparable de la demeure de Numa, la domus Regia, et du foyer de ce roi ; sur cela, cf. F. Coarelli, 7/ Foro Romano, I..., en particulier p. 269.

224. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 265-276 (avec les sources, et la bibliographie).

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porte Romanula, qui donnait accès à la Rome du Palatin fondée par Romulus. Quant à la chapelle des lares « en haut de la voie Sacrée », l'on sait maintenant225 qu'elle se trouvait dans le voisinage immédiat de la domus Publica ; qu'elle correspondait déjà, selon la tradition, à la demeure d'Ancus Marcius ; qu'il y a tout lieu, enfin, de l'identifier avec le laraire de Tarquin l'Ancien, qui demeurait au même endroit que précédemment Ancus Marcius226.

Il apparaît ainsi que la chapelle des lares « en haut de la voie Sacrée », et le sanctuaire des lares attenant à l'Atrium de Vesta, tous deux chargés de significations très vénérables, sont les deux plus anciens lieux de culte des lares compitales, d'où procéderont tous les compitalia établis par Ser-vius Tullius dans tous les carrefours.

Cela suggère des observations de trois ordres227.

On remarquera d'abord que les compitalia devaient répéter des réjouissances qui s'intégraient dans un rituel de renouvellement de l'année extrêmement ancien : aux temps archaïques au moins, dans les deux sanctuaires primordiaux des lares Praestites, et des lares « in Summa Sacra uia », des affinités étroites liaient toutes ces réjouissances dans le temps -entre le 17 décembre et les tout premiers jours de janvier - et dans l'espace - là où, depuis les temps les plus anciens, on honorait les divinités gardiennes des passages qu'étaient Aius Locutius, Volupia, et Angerona228

On observera ensuite que le rituel, dans le sanctuaire des lares Tuté-laires qui veillaient sur la muraille du Palatin et sur la porte Romanula, intégrait un héritage légué par Romulus. Cependant, la relation évidente de ces lares Praestites avec la première Regia portait tout autant la marque des rois qui avaient succédé à Romulus, et particulièrement la marque de Numa : c'est dans tout l'héritage politique et religieux légué par les premiers rois de Rome que s'inscrit en premier lieu l'œuvre de Ser-vius Tullius229.

Enfin, les lares « en haut de la voie Sacrée » étaient sans doute, on l'a vu, ceux du foyer royal de Tarquin l'Ancien, qui se trouvait sur l'emplacement de la demeure d'Ancus Marcius. Or c'est du feu du foyer royal que Servius Tullius, disait-on, était né : les fêtes des compitalia, qui étaient étroitement liées à ce lieu, ne pouvaient être séparées de la personne

225. F. Coarelli, II Foro Romano, I..., pp. 265-270.

226. Sur les demeures successives des rois, cf. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 56-79 (avec les sources).

227. Cf. carte IV.

228. F. Coarelli, // Foro Romano, I..., en particulier p. 258, pp. 270-281, p. 363.

229. Tout comme celle d'Auguste, cinq siècles plus tard.

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même de Servius Tullius230 ; réjouissances instituées pour tous, elles ont dû établir entre le roi et les habitants de la ville, qu'ils aient ou non appartenu à une gens, une relation singulièrement personnelle.

Mais il y a plus. Il faut encore évoquer ici les récits qui faisaient naître Servius Tullius de Vulcain231. Le Volcanal a été récemment identifié avec le Niger Lapis au Comitium232. Il s'agit d'un sanctuaire fonctionnellement lié à l'espace des plus anciennes assemblées politiques, les comices cu-riates : c'est là que le roi célébrait le sacrifice préalable à la tenue de ces assemblées. À ce lieu, la tradition attachait des épisodes significatifs : là s'étaient rencontrés Romulus et Titus Tatius, pour sceller l'union des Romains et des Sabins après le combat qui les avait opposés dans la dépression du forum, et de leur accord était né le Comitium ; en ce lieu se trouvait aussi l'héroon de Romulus qui était devenu après sa mort, sous le nom de Quirinus, le patron divin des Quirites assemblés...233.

Peut-être le comitium était-il occupé déjà au VIIe siècle av. J.-C. Mais Vulcain y était-il déjà présent ? Avait-il de tout temps patronné les assemblées du peuple romain ? La plus ancienne construction du sanctuaire n'est en tout cas pas antérieure aux années 570 av. J.-C. - qui sont les premières, selon la tradition, du règne de Servius Tullius. Cette construction est précédée par un incendie, qui pourrait être la marque concrète d'une période de troubles - et l'on songe encore aux circonstances de l'avènement de Servius Tullius234. L'édification du premier sanctuaire de Vulcain est, de surcroît, contemporaine de la reconstruction de l'espace du comitium, en même temps que de celle de la domus Regia235. Quelle était donc la fonction du Volcanal ?

Ce sanctuaire comportait un autel avec une loi sacrée, en latin, écrite en caractères archaïques236 ; on y a retrouvé un grand cratère attique à figures noires, qui pourrait appartenir au dépôt de fondation ; est-ce par hasard, si le motif qui le décore est celui du retour d'Héphaistos à l'Olympe ? Il montre en tout cas, au moins, la réalité des relations qui ont

230. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., en particulier p. 77.

231. Tite-Live, I, 39 ; Ovide, Fastes, VI, 626 ; Denys d'Halicarnasse, IV, 2, 3 ; Plutarque, Fortune des Romains, 10.

232. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 161-178.

233. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 167-168 et pp. 192-196.

234. L'interprétation a été proposée par Pallottino, Servius Tullius..., p. 230.

235. F. Coarelli, La stratigrafia..., pp. 229-230 ; F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 62-63.

236. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 172-189.

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été nouées à ce moment entre Grecs et Romains237, et qui vont jusqu'à susciter une interprétation grecque du culte de Vulcain, transposé en Héphaistos. Des relations semblables sont attestées d'autre part par les fouilles archéologiques entreprises à la Regia, dans l'espace de Sant'O-mobono238, ou encore au Forum Boarium239.

C'est aussi à ce moment, en particulier, que des Grecs d'Ionie sont chassés de leurs cités par l'avance perse et partent sans esprit de retour240. Ils trouvent refuge dans les grands ports de l'Italie étrusque aussi bien qu'à Rome, où de nouvelles activités de production et d'échange se développent depuis quelques décennies. Ils s'y installent - à côté de Latins et d'Étrusques, dont les noms révèlent comme pour les Grecs une origine étrangère : les exemples ne manquent pas, qui attestent une mobilité des hommes jamais égalée jusque là, et l'on assiste à l'intégration de certains personnages au plus haut degré de la société241. Je me bornerai ici à rappeler Démarate, un aristocrate de Corinthe, venu s'installer à Tarquinies. Son fils Lucumon - un nom qui pourrait rappeler une très haute magistrature étrusque - avait émigré de Tarquinies à Rome, où il avait pris le nom de Lucius Tarquinius ; après la mort d'Ancus Marcius, il avait succédé à ce roi. Ainsi encore de Servius Tullius dont le père avait peut-être été l'un des plus grands personnages de Tibur, et qui était peut-être né à Rome ; mais une autre version le rattachait à la cité étrusque de Vulci, où il était entré, disait-on, dans l'entourage et dans l'intimité des frères Vibenna, dont il avait été le compagnon et l'associé, le sodalis242...

237. Cf. La Parola del Passato 32,1977, où ont été publiées dans leur ensemble les communications du Congrès de Rome consacré à : Lazio Arcaico e Mondo Greco ; M. Torelli, Lavinio e Roma, pp. 147-157 ; à propos du sanctuaire grec de la ville portuaire de Gra-visca, près de Tarquinies, on consultera M. Torelli, « Il Santuario di Hera a Gravisca », La Parola del Passato, 26,1971, pp. 44-67 ; M. Torelli, « Gravisca », La Parola del Passato, 32, 1977, pp. 398-458 ; pour Pyrgi près de Caere, M. Verzar, Pyrgi..., pp. 35-84 ; cf. encore Musti, « I Greci e l'Italia », Storia di Roma, I, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 39-51.

238. F. Coarelli, Il Foro Boario..., en particulier pp. 244-253 (et la bibliographie).

239. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 177.

240. La bibliographie est importante ; je citerai ici en particulier : M. Torelli, Rome et l'Étru-rie..., pp. 279-282 ; F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 62-63, pp. 136-137 et pp. 56-79 ; M. Pallottino, Servius Tullius..., pp. 216-235 ; A. Sommella Mura, « La decorazione del tempio arcaico », La Parola del Passato 32, 1977, pp. 62-128 ; A. Sommella Mura, « Il gruppo di Eracle e Atena », La Parola del Passato 36,1981, p. 59-64 ; M. Torelli, Lavinio e Roma..., pp. 147-157 ; M. Verzar, Pyrgi..., pp. 35-84.

241. M. Torelli, Rome et TÉtrurie..., pp. 261-262, qui donne des exemples précis d'une telle mobilité.

242. M. Torelli, Dalle aristocrazie..., pp. 253-254.

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On sera en tout cas tenté de voir, dans la construction du Volcanal et la restauration du comitium au cours des années 570-550, un réaménagement de l'espace des assemblées, que pourraient avoir rendu nécessaire des innovations institutionnelles : l'élargissement du corps civique du fait de Servius Tullius, qui était le protégé sinon le « fils » de Vulcain, s'inscrit très bien dans ce schéma explicatif. Mais on y verra aussi une réappropriation de l'espace politique au profit du roi novateur : le patronage de Vulcain, « père » de Servius Tullius, se superpose et s'associe à celui de Romulus-Quirinus dans l'espace du comitium. En même temps se trouve réaffirmée la relation organique, fonctionnelle, du comitium avec la domus Regia, qu'il s'agisse de la maison du roi, ou du sanctuaire de Vesta, qui lui-même avait fait certainement partie de la demeure de Numa, le roi législateur par excellence : les relations que Vulcain pouvait avoir avec Vesta sont bien connues243. Lorsque vient à régner Servius Tullius, celui que Vulcain a adopté ou engendré en ce laraire, qui oserait contester la légitimité de ses décisions, et par exemple, l'intégration des plébéiens dans le corps civique et dans les comices ?

Leur intégration était assurée, sur le plan religieux, dans les compitalia, ces rituels célébrés dans tous les carrefours, et sur lesquels Servius Tullius avait mis une marque personnelle très forte; de surcroît, ce culte était maintenant inséparable de celui de Vulcain, qui y apparaissait à la fois comme le protecteur ou le « père » de Servius Tullius, comme le patron des nouvelles assemblées, et comme le garant de l'intégration politique des nouveaux citoyens : le culte de Vulcain dépassait de ce fait infiniment la personne du roi.

Servius Tullius, Fortuna et Diane de l'Aventin

H faut enfin évoquer les relations très particulières qui liaient le roi Servius Tullius avec Diane, et avec Fortuna. La tradition attribuait à Servius Tullius la fondation dans Rome d'un certain nombre de temples de Fortuna1** ; les Anciens affirmaient d'autre part que Servius Tullius avait établi un temple de Diane sur l'Aventin, pour servir de centre fédéral aux cités de la ligue latine ; et elle insistait sur les relations très personnelles qui unissaient Servius Tullius à Fortuna aussi bien qu'à Diane - deux divinités, à vrai dire, étroitement apparentées. La comparaison s'est imposée, ces dernières années, avec une divinité dont on constate la présence

243. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., en particulier p. 269.

244. F Coarelli, II Foro Boario..., pp. 253-277 (avec les sources, les débats en cours, et carte p. 257).

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au VIe siècle dans tout le pays étrusque, en particulier dans des sanctuaires portuaires, à un moment d'intense développement des relations maritimes : avec les Grecs, avec les Phéniciens aussi - et c'est la divinité chypriote, ou Cretoise, ou persique, mais aussi phénicienne que l'on retrouve tout à la fois dans l'Artémis d'Ephèse ou dans Aphrodite, dans Uni ou dans Thésan étrusques ou dans l'Astarté des Phéniciens, comme aussi dans Fortuna ou dans Diane, divinité italique fort ancienne dans laquelle s'étaient fondus les apports de l'Orient méditerranéen245. C'est une déesse chthonienne, qui préside aux enfantements, mais elle est aussi ouranienne et lumineuse, et déesse marine et portuaire ; enfin et surtout, présidant aux destinées humaines, elle donne le pouvoir aux hommes qu'elle favorise : à Caéré, Ishtar-Uni le donne à Thefarie Velianas, qui l'en remercie au sanctuaire de Pyrgi246 ; n'est-ce pas encore la même divinité qui, sous le nom de Menerva à Véies, protège les principes de cette cité ? À Rome, à peu près au même moment, Fortuna favorise les entreprises de Servius Tullius247 ; mais c'est sous l'égide de Diane que le roi impose la domination de Rome à la ligue latine, et c'est à cette divinité qu'il consacre le temple fédéral construit sur l'Aventin ; enfin il meurt, victime d'une révolution de palais, au pied d'un Dianium voisin de sa maison de l'Esquilin248. Diane-Fortuna est alors maîtresse du destin et déesse funéraire.

Il faut souligner ici les différents caractères de la divinité. Elle favorise le pouvoir d'un homme - qui l'usurpe - et l'on a évoqué l'analogie, sur un autre registre, avec Athéna, « utilisée » par Pisistrate pour imposer à Athènes sa tyrannie249.Mais elle est aussi Aphrodite, ou encore Héra-Ju-

245. G.Dumézil, La religion romaine archaïque..., pp. 396-400 ; M. Torelli, Gravisca..., pp. 455-458 ; M. Torelli, Storia degli Etruschi, Bari, 1984, p. 131 et 149 ; R. Bloch, La religion romaine du VIe siècle av. J.-C, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1978, pp. 669-670 ; M. Verzar, Pyrgi..., pp. 48-53 et pp. 70-77 ; J. Champeaux, Fortuna. Le culte de la Fortune à Rome et dans le monde romain, des origines à la mort de César. I, Fortuna dans la religion archaïque, Collection de l'École française de Rome 64, Rome, 1982, p. 472 ; P. Leveque, Astarté s'embarque pour Cythère, Hommages à Lucien Lerat, Paris, 1984, pp. 451-460 ; P. Leveque, La genèse d'Aphrodite à Chypre, Mélanges Roland Fietier, Paris, 1984, pp. 419-427.

246. Pour la comparaison entre le sanctuaire de Fortuna et de Mater Matuta au Forum Boarium, et le sanctuaire de Pyrgi, cf. F. Coarelli, Il Foro Boario..., pp. 328-363.

247. M. Verzar, Pyrgi..., pp. 72-78 ; M. Torelli, Storia degli Etruschi..., pp. 176-181 : F. Coarelli, Il Foro Boario..., en particulier pp. 301-328 (avec les sources, et la bibliographie).

248. Ce Dianium - un autel consacré à Diane - était situé à l'angle du uicus Cuprius et du uicus Orbius : F. Coarelli, Il Foro Boario..., pp. 314-316 ; cf. carte IV.

249. M. Torelli, Storia degli Etruschi..., pp. 175-177.

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non, ou Fortuna à laquelle, à mon sens, il faut joindre Diane250 : elle protège alors les nouveaux venus, et les unions matrimoniales que ces derniers contractent dans les cités qui les accueillent, évidemment sous le patronage politique du favori de la déesse ; l'exemple de Servius Tullius favori de Fortuna à Rome, qui intègre la plèbe - ces immigrants jusqu'alors sans droits - dans la communauté civique en plein développement251, est à cet égard très éclairant.

Minerve ou Junon, Fortuna ou Vénus, Uni, Vei / Demeter ou Tur an, Artémis, Diane ou Astarté... : tous ces noms semblent bien renvoyer à une même grande déesse originelle, tout à la fois virginale, matronale et pourvoyeuse de souveraineté252 ; et l'on assiste à un processus de démultiplication-division de cette personnalité divine, qui prend des noms divers selon les fonctions qu'elle assume, selon aussi les lieux et les moments253. Ainsi, à Rome, la tradition attribuait à Servius Tullius la fondation d'au moins huit sanctuaires de Fortuna, et à chacun était attaché un caractère particulier254. Mais souvent aussi, l'unité du personnage divin se reconstitue dans un couple de deux déesses à la fois semblables et complémentaires, l'une matronale, divinatoire aussi, l'autre virginale et guerrière, souvent marine et portuaire, et qui a entre autres fonctions celle de veiller sur les confins. A Rome, on pourrait évoquer, entre autres exemples, celui de Vénus Cloacina, à la fois maîtresse des chevaux et gardienne de la frontière, honorée dans une image double - cas particulier du couple complémentaire qui reconstitue l'unité du personnage divin255. Mais plus encore, on songera au sanctuaire de Fortuna et Mater Matuta, sur lequel je voudrais m'arrêter un instant.

Des travaux récents256 ont en effet permis d'identifier au Forum Boarium, dans l'aire sacrée qui est celle, aujourd'hui, de S. Omobono, les

250. J. Gagé, Matronalia. Essai sur les dévotions et les organisations cultuelles des femmes dans l'ancienne Rome, Bruxelles, 1963, pp. 13-99 ; Torelli, Gravisca, p. 450 ; M. Torelli, Storia degli Etruschi..., pp. 131-132.

251. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoirs..., pp. 110-119 (avec la bibliographie) ; R. Thomsen, King Seruius Tullius. A historical Synthesis, Copenhague, 1980, particulièrement pp. 115-237.

252. F. Coarelli, Il Foro Boario..., en particulier pp. 301-328 (et la bibliographie).

253. M. Torelli, Gravisca..., pp. 449-457 ; R. Bloch, La religion, en particulier p. 670 ; J. Champeaux, Fortuna..., pp. 173-174,239-242,309-313,444,172-179.

254. J. Champeaux, Fortuna..., particulièrement p. 479 ; F. Coarelli, Il Foro Boario, pp. 253-277, et carte p. 257.

255. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 83-89.

256. Sommella Mura (et alii), dans La Parola del Passato 32,1977, pp. 63-128 ; cf. en particulier A. Sommella Mura, Il gruppo di Eracle e Atena, pp. 59-64 ; C. Ampolo, Il gruppo

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deux temples jumeaux de Fortuna et de Mater Matuta fondés par Ser-vius Tullius, s'il faut en croire la tradition. Or, on a retrouvé là les débris de deux statues qui vinrent couronner le temple vers 530 av. J.-C, selon l'hypothèse la plus vraisemblable. L'une de ces statues est une déesse armée ; l'autre est un Hercule-Melqart, sans équivoque possible. Ce n'est pas le lieu ici d'exposer tous les enseignements qu'ont apportés les fouilles de S. Omobono, pour la Rome du VIe siècle av. J.-C, et l'on sait de reste que la discussion est loin d'être close257. Je voudrais cependant attirer l'attention sur des questions qui intéressent l'idéologie religieuse de ce temps.

Ainsi, le couple de la déesse armée et d'Hercule, au sanctuaire que l'on sait consacré à Fortuna et à Mater Matuta, a été interprété comme Athéna conduisant Héraklès à l'Olympe. C'est en effet ce qu'une lecture immédiate suggère aujourd'hui. Mais est-ce la seule possible ? Surtout, croira-t-on que cette lecture, et celle-là seulement, était souhaitée par le commanditaire ? Si l'on admet que le décor du temple n'a pas été laissé au hasard et qu'il devait répondre à des intentions idéologiques précises, on peut être frappé par son adéquation particulière avec le thème qui expliquait l'avènement du roi Seruius par la faveur de Fortuna258 : Hercule, le protecteur des étrangers, qui était d'autre part le grand dieu de Tibur, ne pouvait-il pas évoquer Servius Tullius ? La déesse armée n'était-elle pas Fortuna ? Ne peut-on voir dans ce groupe statuaire une forme d'exaltation de ce roi et de son œuvre ?

La critique moderne s'est aussi beaucoup intéressée aux deux sanctuaires que Diane avait d'une part au lucus Nemorensis, sur le territoire d'Aricie, d'autre part à Rome, sur l'Aventin : avant tout pour savoir lequel, en tant que centre fédéral des peuples de la ligue latine, avait copié l'autre. A. Momigliano, reprenant la question après G. Wissowa259, a

acroteriale di S. Omobono, pp. 32-38 ; F. Coarelli, Dintorni di Roma (Guide archeologiche Laterza), Rome-Bari, 1981, pp. 35-38 ; F. Coarelli, Il foro Boario..., pp. 205-328 (et la bibliographie).

257. Cf. en particulier Sommella Mura, Il gruppo di Eracle e Atena, pp. 59-64 ; Ampolo, « D gruppo acroteriale », pp. 32-38 ; Coarelli, Dintorni di Roma (Guide archeologiche Laterza), Rome-Bari, 1983, pp. 35-38 ; F. Coarelli, Il foro Boario..., pp. 205-328 (et la bibliographie).

258. Pour une analyse précise de ce groupe statuaire et l'exposé des débats, cf. F. Coarelli, Il foro Boario..., en particulier pp. 230-253 et pp. 328-363 (avec la bibliographie).

259. A. Momigliano, « Sul dies natalis del santuario federale di Diana sull'Aventino », Rendiconti della Classe di Scienze morali, storiche e filologiche dell'Accademia dei Lincei, 1962, pp. 387-392.

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souligné la fragilité des arguments qui ont amené certains savants260, à Rencontre de toute la tradition annalistique, à admettre la priorité du sanctuaire d'Aricie, et à accorder à celui de l'Aventin une date fort tardive dans le Ve siècle av. J.-C. : les Romains avaient sous les yeux des documents d'une vénérable antiquité, qui devaient empêcher les altérations trop criantes ; et pour Diane de l'Aventin, Denys d'Halicarnasse affirme que de son temps encore, on pouvait voir dans son temple un cippe, portant en caractères grecs archaïques le texte du traité conclu entre Rome et les cités latines au temps de Servius Tullius261. Pourquoi ce choix du temple de Diane, pour y afficher un tel document ?

Il convient de rappeler ici que le grand dieu des Latins, Jupiter, le Lumineux, divinité de la lumière diurne, était très anciennement associé à une divinité féminine de la lumière nocturne, Diana : faut-il reconnaître en elle la Diane fédérale établie sur l'Aventin par Servius Tullius ? La déesse, dans son sanctuaire de l'Aventin, est toute latine par son nom ; elle Test aussi par son lieu de culte, l'Aventin, qu'avaient peuplé les Latins de Politorium vaincus par Ancus Marcius, et déportés à Rome après la destruction de leur ville262 ; elle l'est enfin par son caractère de divinité fédérale qu'on lui connaît en plusieurs endroits dans les monts Albains, à Aricie ou au mont Corné, à des dates toutefois difficiles à préciser263.

Cependant, Tite-Live et Denys d'Halicarnasse évoquent, à l'origine du sanctuaire de l'Aventin, un modèle qui n'est pas latin : il est inspiré par l'exemple des Grecs, et tout particulièrement ceux d'Ionie ; au témoignage de Strabon de plus, c'est à l'Artémis d'Ephèse que Rome aurait emprunté son image de culte, à la suite de Marseille et peut-être par son intermédiaire264. Tout cela, une fois encore, invite à reconnaître dans la Diane aventine une divinité singulièrement proche de la grande déesse orientale qui était à l'origine de bien d'autres divinités, et dont une des fonctions était de patronner des fédérations de cités : il faut rappeler ici les noms d'Aphrodite, Héra, Junon, Vénus, et l'on est tenté aussi d'évoquer le nom de Fortuna265.

260. En particulier A. Alföldi, « Diana Nemorensis », American Journal of Archaeology 64, 1960 ; pp. 137-144 ; Alföldi, Early Rome, pp. 47-100.

261. Denys d'Halicarnasse, IV, 26.

262. Tite-Live, I, 33,1-2.

263. Cf. en particulier F. H. Pairault, « Diana Nemorensis. Déesse latine, déesse hellénisée », Mélanges de l'École française de Rome 81, pp. 425-471.

264. Denys d'Halicarnasse, IV, 25,4 ; Tite-Live, 1,45, 2 ; Strabon, IV, 1,4-5.

265. Sur le sanctuaire de l'Aventin, cf. Palmer, Roman Religion and Roman Empire. Five Essays, 1974, pp. 43-45 ; Thomsen, King Seruius Tullius..., pp. 288-314, selon qui le modèle est étrusque.

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Une confirmation du caractère oriental, « ionien », de la déesse en son sanctuaire de l'Aventin pourrait être donnée par une monnaie, frappée vers 48 av. J.-C. par Lucius Hostilius Saserna, un partisan de César. C. Ampolo266 a rapproché de la victoire de César sur Marseille la frappe de cette monnaie, qui devait la célébrer : elle porte une image qui serait à la fois celle de l'Artémis honorée à Marseille, et celle de Diane de l'Aventin. Or, il s'agit d'un xoanon, dont les caractères archaïques dénoncent une datation en parfaite concordance avec la tradition qui attribuait le temple de Diane de l'Aventin à Servius Tullius.

Pour les Anciens en tout cas, la Diane de l'Aventin ne se laissait pas réduire à ses caractères latins : l'on soupçonne que, tandis que la population de Rome accueillait des populations venues d'horizons divers, Latins et Sabins d'abord, mais aussi Étrusques et Grecs, la personnalité de la déesse avait dû s'enrichir de caractères qui la faisaient reconnaître comme leur par tous ces immigrants. Dans une telle perspective, il convient de s'interroger sur les relations possibles entre la fondation de son sanctuaire, et l'ensemble des mesures qu'avait prises Servius Tullius en faveur de ces étrangers installés à Rome, et qui composaient la plèbe : des mesures qui devaient conduire, pour nombre d'entre eux, à leur intégration dans la communauté civique.

Cependant, si Servius Tullius avait réussi à imposer une telle politique, c'est parce qu'il avait reçu la protection de Fortuna, qui veillait sur lui au Forum Boarium ; qui veillait aussi, peut-être, sur les terres de Yager Romanus Antiquus, à la protection des plébéiens à qui, selon la tradition, Servius Tullius avait distribué des terres. Mais Diane, qui sur l'Aventin n'avait pas une fonction très différente, n'était-elle pas une autre Fortuna ? Sous son très ancien nom latin, elle veillerait à la paix des relations que Rome venait de nouer avec les cités latines, mais aussi à la tranquillité des immigrants - surtout ceux, peut-être, que leurs origines rattachaient au Latium et qui, installés sur la très ancienne terre d'asile qu'était l'Aventin, pourraient être intégrés dans une plèbe enfin pourvue d'un statut : n'est-ce pas pour cela que Diane est déesse plébéienne par excellence ?

266. C. Ampolo, « L'Artemide di Marsiglia e la Diana dell'Aventino », La Parola del Passato, 25,1970, pp. 200-210.

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Des communautés de village à la Rome des rois 99

Ainsi, la politique de Servius Tullius, par bien des aspects, paraît ignorer les gentes : en particulier, c'est dans le cadre des tribus nouvellement créées, des tribus qui échappent apparemment au contrôle des patrons des gentes, et dans ce cadre exclusivement267, que dans la ville et dans la campagne Servius Tullius prescrit le recensement des habitants, la levée des impôts, ou le recrutement militaire.

Toutefois, on l'a souvent souligné268, les décisions prises sauvegardaient les positions dominantes de l'aristocratie des gentes, qui conservait les commandements militaires et la maîtrise de la cavalerie, arme de prestige par excellence. Et dans les relations que les mesures économiques, politiques ou religieuses instauraient entre le roi et les plébéiens, on trouverait aisément bien des traits qui apparentaient ces relations aux liens de la clientèle. Bien entendu, en cela Servius Tullius ne fondait pas une gens qui lui aurait été personnellement liée ; mais il empruntait les valeurs de la gens, pour en faire des instruments de renforcement de l'État ; et cela non seulement n'allait pas dans le sens d'une destruction des gentes, mais encore tendait à renforcer l'idéologie qui leur était attachée. Mais il est vrai aussi que les mesures de compromis qu'on lui reconnaît ont pu être imposées par la considération des capacités de résistance des patrons, appuyés sur leurs clientèles armées.

Malgré tout, les innovations étaient considérables. Et l'on peut se demander si l'œuvre de Servius Tullius n'a pas été une tentative pour adapter les institutions de la cité à une évolution économique et sociale qui allait en contradiction avec une organisation gentilice paralysante. A. Momigliano269 y voyait une tentative pour arrêter un processus de différenciation sociale dangereux pour l'avenir de la cité. On pourrait y reconnaître, tout aussi bien, une tentative pour permettre à ce processus de se poursuivre, tout en respectant le rôle dirigeant et de contrôle des groupes dominants - ou, si l'on veut, de l'aristocratie des patrons de gentes ; une aristocratie à la fois héritière d'un passé qui assurait sa suprématie, certainement largement bénéficiaire des nouvelles activités de production et d'échange, et pourtant menacée par l'évolution présente.

On peut se demander aussi si les institutions mises en place sous le règne de Servius Tullius n'ont pas donné à la plèbe - c'est-à-dire à des couches de la population jusque là situées hors des gentes et par là même, dans une certaine mesure, situées hors de la cité - si elles n'ont pas

267. Denys d'Halicarnasse, IV, 14.

268. M. ToreUi, Rome et l'Étrurie..., pp. 282-283.

269. A. Momigliano, « An Interim Report on the origins of Rome », Journal of Roman Studies, 81,1969, pp. 95-121.

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donné à la plèbe, donc, avec une place dans la cité, de premiers éléments d'une organisation qui lui soit propre.

On est conduit à s'interroger, enfin, sur les effets des rivalités qui ne pouvaient manquer de s'exercer au sein même de l'aristocratie, et qui pouvaient opposer les gentes entre elles - par exemple pour le contrôle de la terre - jusque dans des guerres privées. Si en effet l'on admet qu'à partir de la fin du IXe siècle av.J.-C, un processus de différenciation eut lieu, qui aboutit à l'élévation sociale et politique d'un certain nombre d'individus et à l'émergence d'une élite du pouvoir et de la fortune, tandis que d'autres étaient marginalisés, il paraît difficile de croire à une entente complète au sein de cette élite, et à une dichotomie simple de la société entre dominants et dominés, entre riches et pauvres. Dans la lutte pour la domination, pour le contrôle de la terre conquise, ou pour l'appropriation des richesses, la réussite de certaines familles, nouvelles venues ou d'implantation ancienne, allait presque nécessairement de pair avec l'abaissement d'autres familles. Cela donne à penser qu'à la fin du VIe siècle et au début du Ve, quand commence la République, les divisions de la société romaine ne se réduisaient pas à des oppositions entre ceux qui avaient une gens et ceux qui n'en avaient pas - autrement dit, à des oppositions entre la plèbe et ceux qui allaient constituer le patri-ciat270. En particulier, certaines familles dirigeantes ont pu se trouver plus touchées que d'autres par la récession économique qui atteint Rome, en même temps que l'ensemble du monde étrusque, à partir du dernier quart du VIe siècle : peut-être s'étaient-elles engagées plus que d'autres, tout en appartenant au monde des gentes, dans les activités nouvelles de production et d'échange qui s'étaient développées dans les décennies précédentes; peut-être aussi étaient-elles déjà plus liées que d'autres avec des personnalités indépendantes des gentes. Dans ces milieux en tout cas, la plèbe a pu trouver des chefs qui présideront à son organisation politique, le moment venu.

270. Pour une définition du patriciat, cf. A. Magdelain, Auspicia..., pp. 450-467, et particulièrement p. 466 (avec les références aux sources).

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CHAPITRE II

LES TRIBUS EN 495 AV. J.-C.

On admet très généralement le rôle éminemment intégrateur - pour les terres et pour les individus - dévolu aux tribus, après la réforme décisive du roi Servius Tullius1. Mais à peine formulée, une telle affirmation ne laisse pas d'être pleine d'incertitudes.

D'abord pour le contenu même - la portée, les limites - de l'intégration dans le corps civique que représentait l'inscription des individus dans une tribu. Certes, à la fin de la République, le rôle des tribus comme cadres de recensement des citoyens romains et comme unités de vote est bien affirmé : au point que la mention de la tribu est partie intégrante de la dénomination des citoyens optimo iure, au moins depuis 160 av. J.-C.2. Cependant, l'importance réelle d'une telle inscription, le poids qu'elle assurait aux citoyens dans la vie politique de la cité, avaient, à n'en pas douter, subi de profondes modifications au cours des temps, ne serait-ce que parce que le nombre des tribus, entre le règne de Servius Tullius et 241 av. J.-C. - date de la création des deux dernières -, était passé de quatre à trente-cinq. Certaines mutations se laissent plus ou moins aisément appréhender par les sources annalistiques qui en rendent compte : si ces dernières ne sont jamais qu'interprétation des faits, elles ne sont pas pour autant le pur produit de l'imagination des Anciens, et l'on dis-

1- L. R. Taylor, Voting Districts of the Roman Republic. The Thirty-five Urban and Rural Tribes, American Academy in Rome, 1960, pp. 3-9 ; J.C. Richard, Les origines de la plèbe, pp. 399-407 ; M. Humbert, Municipium..., p. 49.

2- L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 12-13.

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pose d'un certain nombre d'éléments de connaissance assez bien assurés3.

On peut ainsi reconnaître, avec une relative certitude, l'histoire de la création et de l'extension territoriale des tribus rurales qui, entre 396 av. J.-C. - date de la prise de Véies par Rome -, et 241 av. J.-C, ont intégré des terres conquises dans Vager Romanus, et assuré la distribution des citoyens qui y avaient leur résidence au sein des assemblées tributes4. Mais si l'on est ici en terrain assez sûr, c'est que la création de ces tribus appartient à un temps - après 390 av. J.-C. - où la documentation devient tout à coup plus abondante et plus précise5. Or il s'agit là de quatorze seulement des trente-cinq tribus entre lesquelles, à partir de 241 av. J.-C., se distribue la population des citoyens romains. Que sait-on des vingt et une autres ? Elles existaient certainement avant la fin du Ve siècle. Mais quand, comment, et pourquoi avaient-elles été créées ?

L'attribution à Servius Tullius de la création de quatre tribus urbaines, à noms topographiques, rompant avec l'ancienne organisation en trois tribus « génétiques », est clairement attestée par toutes les sources6. Mais pour les premières tribus rurales, les informations sont contradictoires7. Avaient-elles été créées par Servius Tullius, en même temps que les tribus urbaines ? Tite-Live rejette catégoriquement cette hypothèse : Servius Tullius n'aurait établi que les quatre tribus de la ville. Mais De-nys d'Halicarnasse se fait l'écho d'opinions radicalement différentes, toutes diverses d'ailleurs : selon Fabius, Servius Tullius aurait créé trente tribus, dont vingt-six rurales ; Venonius, pour sa part, en décomptait trente-cinq ; Denys d'Halicarnasse retient pour finir l'opinion de Caton,

3. Pour une analyse des sources, cf. en particulier J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 378-385, et la bibliographie ; sur l'absence souvent invoquée de documents antérieurs à 390 et dont le « sac » de Rome par les Gaulois serait responsable, cf. F. Coarelli, « La stratigrafia del Comizio e l'incendio gallico », I Galli e l'Italia, Roma, 1979, pp. 226-230.

4. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 12-13.

5. Les Anciens l'expliquaient par les destructions commises par les Gaulois ; mais les données archéologiques invitent à mettre en doute que les dommages subis du fait des Gaulois aient eu une telle ampleur, et il convient sans doute de mettre le fait en relation avec les mutations profondes que connaît Rome au cours des premières décennies du IVe siècle av. J.-C. : cf. M. Torelli, Il sacco gallico di Roma, J Galli e l'Italia, Roma, 1979, pp. 226-227.

6. Tite-Live, I, 43, 13 ; Denys d'Halicarnasse, IV, 14 ; Festus, 506 L etc., mais peut-être Denys d'Halicarnasse est-il le plus explicite ; pour une discussion du caractère « génétique » des trois tribus primitives, cf. M. Torelli, H sacco gallico..., p. 272.

7. De l'aveu même des Anciens : Tite-Live, 1,43 ; Denys d'Halicarnasse, IV, 15.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 103

« plus digne de foi » écrit-il, « qui dit que Servius Tullius divisa le territoire en parts (moira), mais n'en donne pas le nombre »8.

Remarque prudente, en effet, que celle de Caton : s'il fallait admettre l'existence de trente ou trente-cinq tribus vers la fin du VIe siècle av. J.-C, force serait de supposer ensuite des suppressions ou des regroupements avant la fin du siècle suivant - avant la création, bien attestée, des quatorze tribus qui porteront à trente-cinq leur nombre définitif. Or, de tels regroupements ou suppressions, il n'est jamais question.

Mêmes incertitudes, pour les débuts de la République. Tite-Live en effet affirme qu'en 504 av. J.-C, Appius Claudius et les siens reçurent, lors de leur intégration dans la Cité, « des terres sur la rive droite de l'Anio » ; et il ajoute : « Ils formèrent l'ancienne tribu (uetus tribus) Claudia ». Comment faut-il comprendre l'expression uetus tribus ? Denys d'Halicar-nasse, relatant les mêmes événements, précise quant à lui : « Ils formeraient plus tard la tribu Claudia ». Qu'est-ce à dire9 ? D'autre part Tite-Live mentionne, en 496 ou en 495, l'existence de vingt et une tribus, sans autre précision10. Quand sont donc apparues les dix-sept autres tribus, rurales à coup sûr, dont il affirme expressément que Servius Tullius ne les a pas créées ? Il n'en souffle mot ; mais il a, quelques lignes plus haut, formulé cette remarque, lourde de significations : « Il y a une telle incertitude dans la chronologie et dans la liste des magistrats d'un historien à l'autre que l'ordre de succession des consuls et la date des événements sont impossibles à restituer à une pareille distance [...]n.

De tels problèmes ont depuis longtemps attiré l'attention, et l'on voit, aujourd'hui encore, s'opposer les « reconstructions » fidèles à l'annalis-tique et celles qui la rejettent. Or, la question ne se réduit pas à une ques-

8. Denys d'Halicarnasse, IV, 15.

9. Tite-Live, II, 16, 5 : His ciuitas data agerque trans Anienem ; Vêtus Claudia tribus - odditis postea nouis tribulibus, qui ex eo uenirent agro - appellata : « On leur donna le droit de cité et des terres sur la rive droite de l'Anio. us formèrent l'ancienne tribu Claudia, grossie depuis lors de nouveaux venus originaires du même pays » (éd. et trad. CUF) ; Denys d'Halicarnasse reporte « à plus tard » cette création : cf. sur tout cela L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 35-36 et n. 6, qui cite encore Suétone, Tib., I ; Virgile, Aen., 7, 708 ; Servius, 1. 706 ; Appien, Reg., 12 ; Plutarque, Publicola 21.

10. Tite-Live, n, 21, 7 : Romae tribus una et uigenti factae ; cf. aussi Per. II, 16-17 : Appius Claudius ex Sabinis Romam transfugit. Ob hoc Claudia tribus adiecta est numerusque tri-buum ampliatus est, ut essent XXI : « Appius Claudius s'enfuit de chez les Sabins à Rome. Pour cette raison, on ajouta aux autres la tribu Claudia et le nombre des tribus fut augmenté et porté à vingt et un ». (éd. et trad. CUF).

11. Tite-Live, II, 21,4 : Tanti errores implicant temporum, aliter apud alios ordinatis magistrati-bus, ut nec qui consules secundum quos, nec quid quoque anno actum sit, in tanta uetustate non rerum modo sed etiam auctorum digerere possis. (éd. et trad. CUF).

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tion de chronologie : du nbmbre des tribus dont on admettra l'existence dans les premières années du Ve siècle dépendra en effet, on le verra, la signification que l'on accordera aux premières institutions dont la République naissante se dote à ce moment ; et singulièrement, de la chronologie que l'on retiendra pour les vingt et une premières tribus, dépendra l'interprétation que l'on fera de leur rôle politique, aussi bien que de l'organisation des assemblées populaires et de leurs votes, jusqu'à la fin de la République.

Sur les interprétations encore récemment proposées, il convient d'abord de s'arrêter.

LES « RECONSTRUCTIONS » DES DERNIÈRES DÉCENNIES

A. Alf oidi, L. R. Taylor

Ainsi, pour L. R. Taylor12, existaient au début de la République vingt ou vingt et une tribus, sur un territoire qui couvrait les deux rives du Tibre jusqu'à la mer13.

Pour A. Alföldi14, Yager Romanus, qui ne s'étendait pas au-delà d'un rayon de six à huit milles de Rome, et de toutes manières ne franchit le Tibre qu'après 450, n'aurait compris, outre les quatre tribus urbaines de Servius Tullius, que cinq tribus rurales. Ce n'est qu'après 450 - et plus précisément quand Rome aurait franchi le Tibre et en aurait occupé la rive droite - que la Cité allait connaître une période d'expansion territoriale : alors seulement pourraient être créées de nouvelles tribus. Mais les noms de celles-ci doivent refléter la situation politique du moment, que caractérise l'absolue prédominance des grandes familles du patriciat : elles portent des noms gentilices15.

12. Carte V.

13. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 4 : « I should state at the outset that in general I accept the ancient tradition for the origin and development of Roman institutions » ; p. 6 : « Livy [...] seems to have thought of (the rural tribes) as a creation of the kingship », etc. ; p. 37, et carte p. 34.

14. Carte VI.

. 15. A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1963, pp. 288-318.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 105

Carte Y - Rome et son territoire à la fin du V1° siècle av. J.-C. (d'après TAYLOR, 1960, p. 34)

limites approximatives du territoire de Rome à latin du VIe siècle av. J.-C.

limites de Vager Rom a nus antiquus avant la fin de l'époque royale

Rome : le territoire urbain

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106 La République des Tribus

Carte VI - Rome et le Latium jusque vers 420 av. J.-Ç. (d'après ALFÖLDI, 1965, p. 297)

limites approximatives du territoire de Rome

limites de l'ager Romanus antiquus, attestées par des lieux de culte très anciens : 1 = lucus Deae Diae ; 2 = Terminalia ; 3 = Mars sur la via Appia ; 4 = Fortuna Muliebrìs ; 5 = lieu de pratiques augurâtes ; 6 = lieu de culte des Robigalia

tttttti Rome : le territoire urbain

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Les tribus en 495 av. J.-C. 107

Les deux thèses sont évidemment inconciliables. Celle que soutient A. Alföldi, hypercritique, tend à rejeter presque toute la chronologie d'une tradition à laquelle, pourtant, selon la formule de J. Heurgon, « une série de découvertes considérables ont, ces dernières années, apporté [...] de sérieuses justifications, et à l'hypercritique d'éloquents démentis »16. Mais la thèse de L. R. Taylor ne pèche-t-elle pas, quant à elle, par une trop grande fidélité à la tradition annalistique ?

Les analyses proposées par M. Humbert

Récemment M. Humbert, au cours de sa réflexion sur les origines du Municipium et de la ciuitas sine suffragio, a été conduit à reconsidérer la question.

Son analyse de la documentation ancienne sur les premières tribus l'amène à rejeter certains arguments avancés par A. Alföldi, mais sans pour autant prononcer « une condamnation sans recours »17 : « Le système, magnifique de cohérence »18, que ce savant propose, invite en effet à ne pas accorder une confiance aveugle à la tradition, telle que l'ont transmise Tite-Live ou Denys d'Halicarnasse : au reste, on l'a vu, ces deux auteurs eux-mêmes inclinent au doute critique.

La critique de la chronologie basse proposée par A. Alföldi pour l'extension de Vager Romanus

À la suite d'A. Alföldi, M. Humbert reconnaît donc dans les tribus rurales deux types, qui se rattachent à deux temps de création19 : selon toute vraisemblance les tribus à noms topographiques, qui jouxtent immédiatement la limite très vénérable de la ville de Romulus - le pomé-

16. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., p. 380, avec l'exposé des méthodes.

17. Pour une analyse critique des deux interprétations, cf. M. Humbert, Municipium et civitas sine suffragio. L'organisation de la conquête jusqu'à la guerre sociale, École française de Rome, 1978, pp. 49-65, qui reprend l'ensemble de la question.

18. M. Humbert, Municipium..., p. 57 et n. 31.

19. M. Humbert, Municipium et civitas... ; dans le même sens, J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 122-123 et 140-141 : il nous avait paru alors que les analyses d'A. Alföldi touchant au caractère « gentilice » de certaines tribus, dont la création devait en toute logique coïncider avec la période de plus grande domination patricienne, méritaient la plus grande attention ; mais nous ne percevions pas la nécessité, pour autant, de rabaisser toute la chronologie de l'extension de l'ager Romanus : je reviendrai par la suite sur ces problèmes.

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rium -, sont plus anciennes que les tribus à noms gentilices. Mais quand ces dernières ont-elles été instituées ? C'est sur la chronologie basse proposée par A. Alföldi pour l'extension de Yager Romanus que porte la critique très vigoureuse et convaincante de M. Humbert20.

D'abord, parce que les événements les moins incertains de la tradition deviennent incompréhensibles, si l'on attribue à Rome un territoire aussi exigu que celui que lui consent A. Alföldi jusqu'en 450. Or, cet auteur ne parvient à une telle limitation de Vager Romanus qu'au prix d'une interprétation univoque, mais nullement assurée, de certaines données.

Ainsi de la fixation au Tibre, stricto sensu, de la frontière entre Rome et Véies : elle résulte d'une interprétation étroite, et qui ne s'impose pas, de l'autorisation faite par la Loi des XII Tables de vendre le nexus - le citoyen romain condamné à l'asservissement pour dettes - au delà du Tibre ; en particulier, le passage n'implique nullement que le Janicule, sur la rive droite du Tibre, ait été en terre étrangère : à tout le moins appartient-il à une zone-frontière, l'installation des ennemis y signifiant toujours pour Rome une catastrophe. Le Janicule apparaît plutôt, dans les récits de l'annalistique, comme une fortification naturelle protégeant un ager Vaticanus qui, au début du Ve siècle, est certainement romain et qui même, personne n'en doute, fait partie de Yager Romanus Antiquus. De même, les territoires de la tribu Fabia ou ceux de la tribu Claudia sont déjà certainement romains dans les toutes premières années de la République - au plus tard.

Ensuite - et surtout peut-être -, il est difficile de croire à une expansion du territoire romain, dans la seconde moitié du Ve siècle, qui aurait été ignorée de toutes les sources. La tradition insiste en effet unanimement sur les projets de confiscations nourris par Rome, aussitôt après sa victoire du lac Régule en 496, aux dépens des cités latines vaincues ; dans les décennies qui suivent, en revanche, et pendant tout le Ve siècle, c'est la coopération avec ces cités qui caractérise la politique romaine, qu'il s'agisse de reconquête des territoires dont Volsques ou Sabins ont pu s'emparer pour un temps, ou de l'installation de colonies, toutes fédérales et de peuplement mixte : M. Humbert souligne ici fortement que ces épisodes ne sont à l'origine d'aucune augmentation, ou presque, de Yager Romanus11. Sans doute, Rome s'empare de Fidènes en 426 et de Labici en 418 ; mais la puissance de ces deux cités était très diminuée de-

20. M. Humbert, Municipium.., pp. 52-65, et particulièrement pp. 50 et 51, n. 8, pour une mise au point et une définition de l'ager Romanus, avec la bibliographie : l'expression ager Romanus doit être entendue au sens large ; cf. aussi F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 279-280.

21. M. Humbert, Municipium..., pp. 65-84.

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puis des décennies, et l'accroissement du territoire de Rome n'a pas pu être alors considérable. Il faut attendre l'annexion du territoire de Véies, vaincue et prise en 396, pour que Ton puisse parler d'une véritable expansion de Vager Romanus : elle se traduit alors, très vite, par la création de quatre tribus nouvelles.

Il est donc impossible de suivre A. Alföldi - conclut M. Humbert -lorsqu'il rejette à la seconde moitié du Ve siècle la création des tribus rurales à noms gentilices : « On ne voit pas de quoi pouvaient être formées toutes ces tribus massées après 450 et avant 396 »22.

Les nouvelles tribus ont vu et ont dû - selon M. Humbert - être créées en 493 av. J.-C.

Pour M. Humbert par conséquent, il convient bien de distinguer deux temps dans la création des tribus rurales ; mais si celles qui portent des noms gentilices sont de création plus récente, on ne saurait en abaisser la date beaucoup plus tard qu'aux lendemains de la victoire romaine de 496 au lac Régule : les nouvelles tribus ont dû alors englober les terres qui, très certainement, avaient été confisquées aux cités latines vaincues, et qui avaient permis une extension notable, à ce moment, de Vager Romanus. M. Humbert propose donc la date de 493 av. J.-C.23 : elle a le mérite de coïncider à la fois avec celle du foedus Cassianum, qui règle le contentieux entre Rome et les cités latines, et avec celle du recensement mentionné par Denys d'Halicarnasse24. Elle est de plus en quasi conformité avec les informations sur l'existence, en 495 selon Tite-Live25, en 491 selon Denys d'Halicarnasse26, de vingt et une tribus.

CRITIQUE, ET TENTATIVE D'INTERPRÉTATION

Les difficultés d'interprétation que présentent ces documents sont considérables, et ne doivent par être mésestimées ; toute reconstruction, à l'évidence, suppose une large part d'hypothèses. Si pourtant l'on tente une explication logique et cohérente, prenant en compte, autant que faire

22. M. Humbert, Municipium..., pp. 61.

23. M. Humbert, Municipium.., ppp. 66 et 72.

24. Denys d'Halicarnasse, VI, 96,4.

25. Tite-Live, H, 21,7 : cf. supra, n. 8.

26. Denys d'Halicarnasse, Vu, 64, 6, mais le passage est d'interprétation difficile, et discutée.

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se peut, toutes les données que livre la tradition - avec, suivant le conseil de J. Heurgon, « un esprit historique marqué d'abord par un sentiment de modestie à l'égard des sources », mais aussi « des dispositions de confiance relative et d'accueil prudent »27 -, les contradictions auxquelles on se heurte obligent à procéder à des choix. Nécessairement, avec d'ailleurs beaucoup de prudence et de nuances, M. Humbert a procédé à de tels choix ; mais le parti qu'il a pris n'est peut-être pas le seul possible -de son propre aveu, au reste28.

La date de 493 qu'il propose pour la création des tribus à noms gentilices paraît avoir pour elle, à l'évidence, les informations que donnent Tite-Live et Denys d'Halicarnasse pour des dates très proches. Pourtant, on peut opposer à son raisonnement trois objections.

En premier lieu, M. Humbert admet implicitement qu'une extension du territoire romain était un préalable indispensable à la création des tribus à noms gentilices : il fonde sa démonstration, pour une bonne part, sur ce postulat - dont la nécessité n'est peut-être pourtant pas évidente, et cela mérite examen.

En second lieu, traiter toutes les tribus, à toponymes ou à noms gentilices, comme si elles étaient toutes de nature identique - comme le fait M. Humbert, à la suite d'ailleurs de tous les auteurs qui ont traité de la question - est peut-être discutable : les analyses auxquelles s'est livré en particulier M. Torelli, à propos des curies à toponymes ou à noms gentilices, ont montré que ces deux types de dénomination, pour ces unités dans lesquelles le peuple romain était réparti depuis les premiers temps de Rome, relevaient non seulement de deux temps d'organisation des curies, mais encore de deux structures sociales, économiques et politiques distinctes et concurrentes29 ; on ne peut exclure sans examen que, de façon analogue, les tribus à toponymes et celles à noms gentilices aient correspondu à deux types de structures sociales : s'il en est ainsi, elles doivent relever de deux projets institutionnels et politiques différents, peut-être même antagoniques, et les indices de création des unes et des autres ne peuvent être identiques. M. Humbert n'opère pas de telles distinctions ; aussi sa démonstration, qui est d'autre part extraordinaire-ment riche et cohérente, singulièrement éclairante aussi pour les luttes des décennies suivantes, aboutit pour les tribus à une conclusion qui n'est pas sans poser de problèmes.

27. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 381 et 387.

28. M. Humbert, Municipium..., p. 49, n. 1 : « Le problème principal, pour nous, est davantage de retrouver l'extension territoriale de Rome, plus que l'organisation politico-administrative du territoire au cours de cette période [...] ».

29. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 270-272 : cf. aussi infra, chap. m.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 111

Carte VII - Rome et le Latium à la fin du V1° siècle av. J.-C.

limites approximatives du territoire de Rome à la fin du VI" siècle av. J.-C. (d'après HUMBERT, 1978, carte II)

limites de l'ager Romanus antiquus, avant la fin de l'époque royale (jalonnées par des lieux de culte très anciens) : 1 = lucus Deae Diae ; 2 = Terminalia ; 3 = Mars sur la via Appia ; 4 = Fortuna Muliebris ; 5 = lieu de pratiques augurâtes ; 6 = lieu de culte des Robigalia (cf. ALFOLDI, 1965, p. 296-304)

tttttti Rome : le territoire urbain

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112 La République des Tribus

En troisième lieu - et ce n'est pas là la moindre objection -M. Humbert ne tient pas compte d'autres informations que les Anciens donnent - et en particulier Tite-Live et Denys d'Halicarnasse -, sur la création des comices tributes, pour une période de vingt ans plus tardive. Or, ces informations, on le verra, contredisent l'existence des tribus à noms gentilices dans les trois premières décennies du Ve siècle ; en même temps elles confirment les caractères socio-économiques, et par là même politiques, révélés par les deux types de dénomination des tribus ; elles donnent enfin des indices de datation de la plus grande importance, pour la création des tribus à noms gentilices - si du moins on admet leur authenticité.

Il y a là trois séries de questions auxquelles je voudrais tenter d'apporter quelques éléments de réponse.

Création de tribus et extension du territoire : une concordance obligée, au début du Ve siècle ?

Il me paraît nécessaire, en premier lieu, de revenir sur l'étroite relation chronologique admise par M. Humbert entre la création des tribus à noms gentilices, et une extension de Vager Romanus : c'est là une des pièces maîtresses de sa critique d'A. Alföldi. Selon M. Humbert, on s'en souvient, c'est parce que l'extension de Vager Romanus ne peut avoir eu lieu qu'au tout début du Ve siècle - plus précisément, après la défaite des cités latines et à leurs dépens - que les tribus nouvelles n'ont pu être créées après 450. A. Alföldi raisonnait d'ailleurs de façon analogue, liant les créations de tribus aux possibilités d'extension du territoire au-delà du Tibre30. Pourtant, de tels raisonnements me paraissent fondés sur des présupposés qui ne vont pas entièrement de soi, et cela mérite examen.

La conquête de territoires ne donne pas nécessairement lieu, sur le champ, à la création de tribus

Supposer une telle concordance chronologique entre conquête et création de tribus, c'est en effet d'abord admettre pour la période archaïque, sans raison bien apparente, des règles dont on ne voit guère qu'elles aient existé par la suite, quand la documentation se fait plus précise : L. R. Taylor a montré, et analysé en termes de luttes politiques entre factions, les délais plus ou moins longs qui séparent les conquêtes de ter-

30. M. Humbert, Municipium..., pp. 58-76 ; A. Alföldi, Early Rome..., pp. 304-318.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 113

ritoires et la création des tribus qui y sont établies, entre 387 et 241 : ainsi, pour n'en prendre qu'un exemple - au reste le plus évident - il faut attendre 241 av. J.-C. pour que soient constituées la Quirina et la Velina, sur des terres conquises en 290 sur les Vestins et les Sabins ; pourtant ces terres, dès 290 av. J.-C, avaient fait l'objet d'assignations viritanes31. Si après 387 av. J.-C - c'est-à-dire quand les données deviennent plus abondantes et mieux assurées - on ne voit pas qu'il y ait eu concordance chronologique entre extension du territoire (avec assignations viritanes) et création de tribus, on perçoit mal pourquoi une telle concordance aurait été nécessaire au Ve siècle. En d'autres termes, les tribus à noms gen-tilices, si l'on admet qu'elles ont été créées sur les terres confisquées aux Latins par Rome en 496-493, ne l'ont pas été nécessairement aussitôt. Rien ne prouverait, à s'en tenir à ces seules considérations, qu'elles n'ont pas été organisées après l'annexion de Fidènes, comme le veut A. Alf oidi. Mais bien entendu, cela ne prouve pas non plus pour autant qu'il faille retenir une date aussi tardive.

À la fin du VIe siècle av. J.-C, tout le territoire était-il réparti dans les tribus ?

Sans doute l'argumentation de M. Humbert est-elle appuyée aussi sur le témoignage de Tite-Live, peut-être confirmé par Denys d'Halicar-nasse32, selon qui vingt et une tribus auraient existé dès ce moment33. Il reste que si M. Humbert accepte ces témoignages, et rejette la proposition d'A. Alföldi, c'est, me semble-t-il, non seulement parce que les dimensions consenties par A. Alföldi au territoire contrôlé par Rome sont d'une exiguïté invraisemblable, en ce début du Ve siècle, mais aussi parce qu'une extension notable du territoire romain a eu lieu, selon toutes probabilités, après la victoire de Rome sur les Latins en 496, et non après 450. Pourtant, ni Tite-Live ni Denys d'Halicarnasse ne lient l'existence des vingt et une tribus à l'extension récente du territoire : cette extension ne fait d'ailleurs l'objet d'aucun commentaire - seulement une allusion à une volonté de confiscations, qui donne lieu à des débats au Sénat, aux dépens des cités latines34.

31. Autrement dit, individuelles ; sur cela, L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 47-68.

32. Denys d'Halicarnasse, Vu, 64,6 : supra n. 24.

33. Il conviendra cependant de revenir sur ce nombre, que sur dix manuscrits du texte de Tite-Live, H, 21, 7, deux seulement donnent.

34. M. Humbert, Municipium..., p. 72 ; cf. en particulier, son commentaire de Tite-Live, H, 22,1-4 et de Denys d'Halicarnasse, VI, 19, 4 ; 20,25.

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De telles considérations invitent à se demander de façon plus générale si, à la fin du VIe siècle ou au début du Ve, le territoire romain se trouvait dans sa totalité réparti entre les tribus, au point que toute nouvelle création ait nécessité préalablement une conquête.

L'épisode, si connu, de l'installation en 504 av. J.-C. des Claudii et de leur gens, sur des terres prises, dit-on, sur Vager -püblicus, pourrait aussi bien illustrer l'hypothèse inverse : ils ont reçu un territoire dont tout donne à penser qu'il était resté libre de toute exploitation, et en particulier qu'il ne relevait d'aucune tribu : sans quoi, comment aurait-il pu ensuite donner naissance à la tribu Claudia ?

On peut certes objecter que ce territoire était nouvellement conquis, sur Fidènes par exemple35. Mais est-ce si certain ? Et que dire par exemple de la Romïlia ? L. R. Taylor, suivie par M. Humbert, rapporte la tradition selon laquelle cette tribu était sise sur des terres conquises par Romulus sur Véies36 : de quelle tribu relevaient donc ces terres, avant que soit constituée la Romïlia ? Mêmes incertitudes pour celles qui formeront la Fabia...

On peut sans doute, à la suite d'A. Alföldi, reconnaître l'existence de limites sacrées, que jalonnent sept sites consacrés - temples ou lieux de fêtes religieuses annuelles fort anciennes -37. Mais on a de bonnes raisons de penser à la suite des analyses de M. Humbert38, que sont venues pleinement confirmer celles de F. Coarelli39, que les limites reconnues par A. Alföldi sont celles d'un ager Romanus antiquus dont la création précède la consolidation de la cité, et que ces lieux sacrés sont les témoins d'une situation bien antérieure40 : dès le VIIIe siècle s'il faut en croire la tradition, Rome a commencé d'annexer dans le Latium les territoires qui l'entouraient et, au début du Ve siècle av. J.-C, les frontières romaines

35. M. Humbert, Municipium..., p. 60, n. 37 : l'auteur discute les diverses interprétations qui ont été données de Denys d'Halicarnasse, V, 43 (prise de Fidènes) et V, 40 (migration des Claudii en 504).

36. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 38 d'après Festus (Paulus) 331 L : Romilia tribus dicta, quod ex eo agro censebantur, quern Romulus ceperat ex Veientibus ; M. Humbert, Municipium..., p. 50, n. 6, avec la bibliographie.

37. Carte VU ; A. Alföldi, Early Rome..., pp. 304-318 ; cf. la discussion de M. Humbert, Municipium..., p. 50, n. 6, avec la bibliographie de la question.

38. M. Humbert, Municipium..., pp. 52-57 et n. 19-24.

39. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 275-282, et, pour la date de création de Yager Romanus antiquus, particulièrement p. 279.

40. M. Humbert, Municipium..., p. 50, n. 6 et p. 57 et n. 29 ; dans le même sens déjà : P. Catalano, Linee del sistema sovranazionale romano, Turin, 1965, p. 273.

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s'établissaient, à n'en pas douter, bien au-delà des limites de Yager Romanus antiquus : j'aurai à revenir sur ces problèmes.

On remarquera seulement pour l'instant que l'on ne saurait alors être certain - et c'est peut-être là l'essentiel - que Servius Tullius ait inscrit la totalité du territoire romain dans les tribus : on l'a vu, Tite-Live lui refuse la création de tribus rurales, et Denys d'Halicarnasse rapporte avec une erande prudence les hésitations et les contradictions qu'il a rencontrées chez les auteurs qu'il a pu consulter41. L'unanimité des sources se fait sur un seul événement - au reste d'importance majeure -, et sur sa signification : la division par Servius Tullius du territoire urbain en quatre régions, et l'assignation dans chaque région d'une tribu, à définition géographique et non plus génétique comme étaient les trois tribus traditionnelles. Les sources s'accordent d'autre part sur des interventions probables de Servius Tullius hors du territoire proprement urbain, sur ce que Tite-Live désigne comme ager püblicus ; mais elles divergent sur les modalités de ces interventions ; de plus, à quel régime de la terre l'expression d'ager publicus peut-elle renvoyer, s'agissant du VIe siècle ? De telles questions ne sauraient être passées sous silence : il conviendra d'y revenir. On retiendra pour l'instant que rien n'interdit de penser que, aux lendemains de la réforme de Servius Tullius, de larges portions du territoire romain avaient été laissées hors des nouvelles circonscriptions -et l'on serait tenté d'ajouter : rien n'est plus vraisemblable42. Mais il importe ici de revenir sur le sens que l'on accorde à la création des tribus serviennes, à la rupture qu'elle consacrait avec le passé : préalable indispensable pour comprendre et les créations ultérieures, et les fonctions dévolues par la suite aux tribus.

La signification et le rôle des tribus au début du Ve siècle

Les tribus « serviennes »

L'on admet aujourd'hui43 que les noms topographiques des tribus que Servius Tullius avait créées manifestaient sa volonté d'affaiblir, sinon de

41. Cf. supra, n. 6 et 9.

42. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., p. 117 : je reprendrai ici, pour la compléter et la nuancer, l'interprétation que nous avions proposée de l'œuvre de Servius Tullius et de ses ambiguïtés.

43. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 4, n. 5 (et bibliographie) ; A. Alföldi, Ager Romanus antiquus, Hermès, 90,1962, pp. 187-213 ; J. Cl. Richard, Les origines de la plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, 1978 ; sur le sens de la consti-

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maîtriser, les chefs trop puissants des gentes, forts de leurs clientèles, en intégrant dans la cité des couches sociales nouvelles, protégées des contraintes et des pesanteurs des structures gentilices traditionnelles : les quatre tribus créées dans la ville devaient assurer l'intégration dans le corps civique - par leur inscription en fonction de leur domicile - , des plébéiens qui, n'appartenant pas à une gens, en étaient jusque là exclus ; ces nouveaux citoyens apporteraient des forces nouvelles au roi, à qui ils fourniraient des soldats, et à qui ils paieraient des impôts. On remarquera au passage que les tribus créées par Servius Tullius sont alors exclusivement des cadres de recensement pour cette partie de la population - les plébéiens - , qui n'ont pas de gens où être recensés. Sans cloute ces nouveaux citoyens sont-ils appelés à faire entendre leurs voix dans les assemblées du peuple : on s'accorde très généralement pour penser qu'ils ont été inscrits dans des curies et qu'ils participent à l'assemblée curiate - seule assemblée politique populaire qui existe alors44.

La tradition assure d'autre part expressément que Servius Tullius avait distribué des terres sur Vager publicus à des « citoyens sans terre »45. Il est évidemment très difficile, sinon impossible, pour cette très haute époque, de saisir dans leur réalité concrète les rapports des hommes à la terre, et le risque est grand de les traduire en expressions anachroniques. Ainsi de l'ager publicus : s'il existe déjà à ce moment, on ne saurait réduire le régime des terres au binôme ager publicus / ager priuatus ; en particulier, tout le système d'exploitation de la terre et des rapports sociaux, dans les cadres gentilices, échappe à de telles notions46. A quoi renvoie d'autre part l'expression « ager publicus » ? Du contenu que l'on accorde à ces formulations dépend largement l'interprétation que l'on donne des textes de l'annalistique47.

tution servienne : M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 282-283 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 111-112 et pp. 119-121.

44. Sur cela : M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 270-271.

45. Denys d'Halicarnasse, IV, 9, 6-8, parle de terres distribuées aux « thètes » : A. Magdelain, « Remarques sur la société romaine archaïque », Revue des Études latines, 49,1972, pp. 107-108, interprète le mot « thètes » comme renvoyant aux clients ; mais le récit- au-delà de l'interprétation de la tradition par Denys d'Halicarnasse en termes très « fin de la République » -, peut aussi bien, et plus vraisemblablement à une telle époque, renvoyer à tous ceux qui, n'appartenant pas à une gens, n'ont pas accès au territoire public.

46. F. De Martino, Storia economica di Roma antica, Florence, 1979, p. 23 ; L. Capogrossi-Co-lognesi, discussion après (et à propos de) J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 140-141.

47. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 283, interprète le Pap. Oxyr. XVII (1927) n. 2088, selon lequel Servius Tullius (?) aurait distribué les pagi dans des tribus, comme l'indice d'un abandon total du territoire rural aux gentes, et de l'opposition

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Il semble cependant que, pour le VIe siècle, les données de la tradition confirmées par l'archéologie - et aussi, avec toute la prudence ici nécessaire, par le fonctionnement d'autres sociétés, plus facilement observables parce que plus récentes - , inviteraient à distinguer deux parties dans le territoire rural, quel que soit le vocabulaire que l'on conviendra d'employer pour les désigner48.

En tout premier lieu, on distinguera le territoire rural où dominent les ventes, au sein desquelles, depuis le VIIIe siècle, s'est affirmée une aristocratie guerrière, capable de confisquer à son profit la gestion des terres conquises, pour y développer les rapports de clientèle qui faisaient sa force49 : dans un tel cadre institutionnel, on voit mal quelle place pourrait avoir l'appropriation privée du sol ; le développement de la propriété privée y aurait eu pour corollaire la dissolution des rapports de clientèle, et l'affaiblissement des patrons des gentes50. Il y a donc tout lieu de penser que ces derniers devaient jalousement veiller à préserver d'un tel

irréductible de la ville et de la campagne. Une telle opposition me paraît trop tranchée. Je crois aussi nécessaire d'autre part de nuancer l'interprétation que Cl. Feuvrier-Prévotat et moi-même avions proposée : Cels-Saint-Hilaire et Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., p. 116. Sur ces problèmes, cf. infra.

48. Sur cela : L. Capogrossi-Colognesi, Storia delle istituzioni romane arcaiche, Rome, 1978, pp. 28-37 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., p. 140. On consultera ici tout particulièrement, pour une comparaison avec d'autres sociétés de l'Italie antique, E. Sereni, Comunità rurali nell'Italia antica, Rome, 1955, notamment pp. 201-253 ; idem, Villes et campagnes dans l'Italie préromaine, Annales (Économie, société, civilisation), 1967,1, pp. 23-49 ; oserai-je évoquer d'autre part les leçons que pourraient donner d'autres sociétés - malgré tout ce qui les sépare de la société romaine à l'époque archaïque ? En gardant à l'esprit la nécessaire prudence qui doit accompagner toutes les comparaisons de cette sorte, fort instructif serait le processus qui conduit à l'établissement du « nouveau servage » en Europe centrale et orientale ; ainsi M. Laran, Nobles et paysans en Russie (1760-1861), Annales ESC 1966, pp. 111-140, et surtout pp. 112 et 117-118, montre pour la Russie comment s'est opéré le passage de la communauté rurale du mir à la seigneurie et au « nouveau servage de l'époque moderne » ; voir encore, pour l'Europe Centrale, J. Blum, Lord and Peasant in Russia from ninth to the Nineteenth Century, Princeton, 1961, pp. 507 sq.

49. Sur l'organisation des gentes : A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », Hommages à Jean Bayet, 1964, pp. 427-473 ; pour une définition économique et sociale des gentes : Ferenczy, From the Patrician to the Patricio-plebeian State, Budapest, 1976, particulièrement pp. 16-18 (et la bibliographie) ; sur la gens comme base de la puissance des patriciens : Hahn, The Plebeians and Clan Society, Oikumene, 1, 1976, pp. 47-75 ; M. Torelli, I Galli a Roma..., pp. 272-273.

50. Dans le même sens, Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre à l'époque républicaine, Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques, Colloque international (Besançon, 2-3 mai 1974), Paris, 1979, p. 138 : « Le rapport entre gentes et clients sans doute ne subsistait que si le principe économique de la puissance gentilice, représenté par la terre, restait intact. C'est au cours du Ve siècle, je pense, que la défense patricienne des possessions gentilices en tant que telles dut lentement reculer ».

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processus les terres sur lesquelles ils fondaient leur puissance, et qu'il faut sans doute imaginer soustraites, pour l'essentiel, à l'autorité royale : la situation périphérique - sur les terres conquises à partir du VIIIe siècle, en bonne logique - de ces « domaines gentilices », devait d'ailleurs faciliter une telle indépendance. Il paraît donc fort peu vraisemblable que Servius Tullius ait pu procéder là à des distributions de terres en faveur des « citoyens sans terre ». M. Torelli a suggéré que Servius Tullius avait complètement abandonné la campagne aux patrons des gentes : qu'il leur en ait abandonné une grande part est, de fait, ce que suggèrent les ambiguïtés de l'œuvre de ce roi, quand on la considère dans son ensemble51. Mais peut-être ces patrons ne dominaient-ils pas la totalité du territoire rural, malgré tout : Tite-Live n'évoque-t-il pas une distribution, par Servius Tullius, des terres récemment conquises52 ?

Surtout, les distributions de terres faites à des « citoyens sans terre »53, sur ce que les Anciens désignent comme « ager publicus », invitent à ne pas réduire les luttes socio-politiques du temps à une opposition, trop simple, de la ville et de la campagne. Ces distributions de terres, d'autres mesures de caractère public aussi, visant à rationaliser la levée des impôts ou le recrutement militaire pour les hommes vivant sur cet ager publicus : tout donne à penser qu'existait encore, en dehors des « domaines gentilices », un territoire que, faute de mieux, je dirai « commun », hérité, peut-on croire, des plus anciennes communautés de villages qui se trouvaient aux origines de la Ville ; un territoire constitué avant la hiérarchisation sociale et le développement des structures gentilices, et sur lequel, par conséquent, les patrons de gentes ne pouvaient pas dominer seuls, ni de façon prévalante ; un territoire en revanche où Servius Tullius, devenu roi, avait toute latitude d'exercer la puissance publique54 : s'il a distribué des terres, ce pouvait être là. Or on pourra reconnaître cet « ager publicus », pour une part au moins, dans l'ager Romanus Antiquus, en-

51. M. Torelli, Rome et l'Étrurie à l'époque archaïque, Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques, Colloque international (Besançon, 2-3 mai 1974), Paris, 1979, p. 283 ; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., op. cit., p. 257 : « Un compromis où les survivances l'emportent ».

52. Tite-Live 1,46,1.

53. Denys d'Halicamasse IV, 13,1.

54. E. Sereni, Comunità rurali nell'Italia antica, Rome, 1955, pour les communautés ligures, a reconnu dans les pagi l'héritage des terres communautaires des origines, tandis qu'avec la hiérarchisation sociale ultérieure et le développement des structures gentilices, les patrons des gentes étaient parvenus à établir leur domination sur les uici : cf. en particulier pp. 336 368 et pp. 409-420 ; on pensera à une évolution analogue dans le processus qui, sur le territoire de Yager Romanus antiquus, devait mener à l'unification politique des anciennes communautés de villages et à la constitution de la Ville.

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fermé dans ses très anciennes limites sacrées, et qu'il faut croire constitué dès les premiers temps de Rome.

Les partages du sol que la tradition attribue à Servius Tullius doivent y témoigner alors, en toute logique, de l'émergence d'un rapport à la terre étranger aux structures gentilices, garanti par la puissance publique, et structurellement lié à la plèbe et à son développement : l'appropriation privée55. On soulignera au passage le caractère anachronique d'une conception qui verrait dans la plèbe des couches exclusivement urbaines, c'est-à-dire composées d'artisans et de marchands ; les activités agraires étaient certainement nécessaires à la survie de tous - quel que soit le degré de développement qu'avait pu alors atteindre la division sociale du travail. Mais en outre, l'existence d'une appropriation privée de la terre - telle que semble bien l'avoir assurée Servius Tullius - , rendait possible le développement d'une plèbe rurale hors des gentes et des terres qu'elles contrôlaient. C'est, me semble-t-il, dans un tel contexte qu'il convient de placer par la suite les revendications de partage uiri-tim - à titre individuel - de la terre conquise, données si constamment par la tradition pour spécifiquement plébéiennes56.

En toute logique, n'est-ce pas sur ce même territoire de Vager Romanus antiquus qu'ont pu être établies les cinq premières tribus rurales - des tribus qui, comme déjà les quatre tribus de la ville57, allaient porter des noms topographiques58 ? Sans doute Servius Tullius - s'il en est bien le

55. Contra cependant : Ferenczy, From the Patrician to the Patricio-plebeian State, Budapest, 1976, pp. 16-17 et Hahn, The Plebeians and Clan Society, Oikumene, 1,1976, pp. 70-71, selon qui la propriété privée aurait été développée par les patriciens, pour eux-mêmes.

56. C'est au Ve siècle que les revendications plébéiennes de partages de la terre conquise apparaissent dans les récits de la tradition. Pour F. Serrao, « Lotte per la terra e per la casa a Roma dal 485 al 441 A.C. », Legge e società nella Repubblica romana, I, Naples, 1981, pp. 51-180, et en particulier ici pp. 55-56, les revendications agraires sont nées de la crise économique du temps, caractérisée par la rareté et la cherté des grains : la plèbe ne pouvait alors survivre que si elle avait un accès à la terre ; F. Serrao se réfère à F. De Martino, Storia economica di Koma antica, Florence, 1979, p. 15. Il me paraît pourtant que si la récession du Ve siècle a rendu le problème plus urgent, il ne Ta pas fait naître : dès auparavant, la plèbe avait certainement aussi des activités agricoles. Mais l'accaparement du sol par les patrons de gentes, au fur et à mesure de la conquête, devait aboutir à en exclure tous ceux qui ne se- trouvaient pas dans leurs clientèles : autrement dit, les plébéiens. Quand s'est appronfondie la crise des activités artisanales et d'échanges, la situation de nombre d'entre ceux-ci est certainement devenue intenable.

57. Varron, LL, 5,56 : [...] tribus dictae ab locis Suburana, Palatina, Esquilina, Collina : («[ . . . ] les tribus Suburana, Palatina, Esquilina, Collina, reçurent leurs noms d'après les lieux [...]. Cf. aussi Denys d'Halicarnasse, IV, 14, 2.

58. À l'exception peut-être de la Camïlia : cf. infra.

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fondateur -, y met-il en œuvre une organisation qui n'est pas en tout point identique à celle des tribus de la ville. En particulier, s'il faut en croire Denys d'Halicamasse, les institutions religieuses que ce roi aurait établies pour la campagne - les paganalia - , et pour la ville - les compita-lia - , bien que fort proches, ne diffèrent pas seulement par le nom : ainsi la tradition que rapporte Denys d'Halicamasse établit une relation très étroite entre les compitalia et la personne même de Servius Tullius. Elle reste beaucoup plus evasive pour ce qui est des paganalia : est-ce parce que Servius Tullius jouit dans Vager Romanus antiquus, malgré tout, d'une moindre liberté d'action que dans la ville, et qu'il s'y trouve contraint à des mesures de compromis59 ? Ces différences s'expliquent-elles par l'ancienneté de l'organisation d'un tel territoire, qui impose au législateur sa spécificité ? En tout cas, le Pap. Oxyr. XVII (1927) n. 2088 qui, peut-être, décrit l'œuvre servienne, parle de pagi distribués en tribus60 : l'on connaît, de fait, des pagi sur le territoire assigné par Servius Tullius dans les quatre tribus urbaines, et l'une au moins de ces tribus, la Suburana, tire son nom d'un pagus Sucusanus, si l'on en croit Festus61. Mais en outre, au moins pour deux des cinq tribus rurales qui jouxtent le pomérium - et qui donc se trouvent dans Vager Romanus antiquus - , Festus assure qu'elles devaient leurs noms l'une au pagus Lemo-nius62, l'autre à Yager Pupinius63, qu'elles englobaient ; selon toute probabilité, c'était aussi le cas de la Follia et de la Voltinia, dont les noms ne peuvent être mis en relation avec aucune des génies qui ont laissé un souvenir64.

59. Cf. infra.

60. E. Volterra, Pap. Oxyr. XVII (1927) n. 2088 : texte, commentaire et bibliographie, Jura, VE, 1956, p. 246 (texte, commentaire et bibliographie) : le document (qui date probablement du IIe siècle ap. J.-C.) montre la grande importance des pagi dans la constitution de l'État romain ; E. Volterra renvoie particulièrement à E. Sereni, Comunità rurali nell'Italia antica, Rome, 1955 ; cf. aussi, dans le même sens, L. R Taylor, The Centuriate Assembly before and after the Reform, American Journal of Philology, 78,1957, pp. 337-354, et particulièrement p. 341, n. 10; voir aussi A. Magdelain, Remarques..., Revue des Études Mines, 49,1972, pp. 110-112.

61. Festus, 390 L.

62. Paulus Festus, p. 102, 20 L : Lemonia tribus a pago Lemonio appellata, qui est a Porta Capena via Latina : « La tribu Lemonia tire son nom du pagus Lemonius, qui commence à la porte Capène sur la voie Latine » ; cf. aussi sur cela J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., 1969, p. 260.

63. Paulus Festus, p. 265,1 L : Pupinia tribus ab agro Popinio : cf. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 38, n. 13.

64. A. Alföldi, Early Rome..., pp. 307-309.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 121

La Camilla exige cependant d'autres observations : car le gentilice CatnïMus, s'il est rare, est cependant attesté dans le Latium65 ; il l'est en particulier à Tibur - cité latine qui à la fin de la République, après la guerre sociale, sera assignée à la tribu Camïlia, de façon peut-être significative66 ; d'autre part il figure, selon toute probabilité, sous la forme étrusquisée de Camitlnas, parmi les gentilices livrés par la tombe François de Vulci. Je me bornerai ici à renvoyer à l'analyse sémiologique du décor de cette tombe, que F. Coarelli a récemment proposée67 : elle conduit, de façon fort convaincante, à rapprocher le nom de la tribu Camïlia du gentilice Camïllius, bien connu à Tibur ; or Tibur est la cité d'origine de Ser-vius Tullius dans les récits de la tradition romaine68 ; entre le Marce Camitlnas/Marcus Camillius de la tombe François et Servius Tullius - le Macstrna de la tombe François69 -, on est conduit de la sorte à imaginer des liens d'étroite solidarité. Mais dans une telle perspective, le nom de la tribu Camïlia viendrait d'un gentilice tiburtin, et non pas romain, et cela confirmerait encore le sens qu'a dû avoir la création des tribus, dans

65. A. Alföldi, Early Rome..., p. 309, renvoyant à W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Abh. Ges. Wiss. Göttingen n. f. 5, 5,1904, p. 140 ; 77z. /. L., Onom. C, 116, 120.

66. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 62-63 ; sur la tombe François, cf. aussi maintenant le catalogue de l'exposition qui lui a été récemment conacrée à Rome.

67. F. Coarelli, « Le pitture della tomba François a Vulci : una proposta di lettura », Dialoghi di Archeologia, 2,1983, pp. 43-69 (avec l'exposé des discusions, et la bibliographie n. 2), et en particulier ici pp. 62-63.

68. Les informations les plus nettes, peut-être, sur les deux traditions, Tune étrusque, l'autre romaine relatives à Servius Tullius sont celles que l'on doit au discours de Claude ; cf. CIL XIII, 1668, coL. 1,1.16-24 : Huic quoque etfilio nepotiue eius (nam et hoc inter auctores discrepai) insertus Servius Tullius, si nostros sequimur, captiua natus Ocresia, si Tuscos, Caeli quondam Vivennae sodalis fidelissimus omnisque casus comes, postquam uaria fortuna exactus cum omnibus relilquis Caeliani exercitus Etruria excessit, montem Cae-lium occupauit et a duce suo Caelio ita appellauit, mutatoque nomine {nam Tusce Mastarna ei nomen erat) ita appellatus est, ut dixi, et regnum summa cum rei p(ublicae) utilitate optinuit : « Entre [Tarquin l'ancien] et son fils ou son petit-fils - car nos sources divergent sur ce point - s'est inséré Servius Tullius, né, selon nos auteurs, de la captive Ocresia, et, selon les Étrusques, du plus fidèle compagnon de Caelius Vivenna et compagnon de toutes ses aventures ; lorsque, après des revers, il dut quitter l'Étrurie avec tout ce qui restait de l'armée caélienne, il occupa le mont Caelius, ainsi nommé du nom de son chef ; et ayant changé de nom - car il s'appelait en étrusque Mastarna -, il prit le nom que j'ai dit et occupa le trône pour le plus grand bien de l'État ». (trad. L. Lerat, 1977, pp. 188-189).

69. L'identification de Macstrna avec Servius Tullius est assurée par l'empereur Claude : CIL Xin, 1668, col. 1,116-24 ; pour la discussion de ce passage : Th. Thomsen, King Se-ruius Tullius. A historical Synthesis, Copenhague, 1980, pp. 95-103 et pp. 112-114 (et la bibliographie).

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la ville et dans Yager Romanus anïiquus, par Servius Tullius70 : une création destinée à affaiblir la puissance des chefs des génies romaines.

Je retiendrai seulement ici que si le gentilice Camillius est attesté à Ti-bur, il est inconnu des Fastes romains ; en revanche, le cognomen Camïllus, de signification clairement religieuse, est en particulier celui du vainqueur de Véies, Marcus Furius Camillus, porteur des destins, des fata tyrrhéniens - et cela doit donner à réfléchir. Quoi qu'il en soit, le nom de la tribu Camilia ne renvoie pas à un gentilice romain ; peut-être même doit-il être rapproché, pour le sens qu'il donne à la création de cette tribu, des quatre autres qui étaient situées dans Vager Romanus Anïiquus, et qui avaient des noms géographiques71.

On est ainsi, en toute hypothèse, amené à reconnaître une parenté étroite entre les quatre tribus urbaines de la Rome servienne et les cinq tribus rurales qui ceinturent l'enceinte sacrée de la ville. L'important n'est pas ici que ces cinq tribus rurales aient été organisées en même temps que les autres par Servius Tullius, ou plus tard. Plus intéressant me paraît ce que leurs noms révèlent : les indices d'une indépendance au moins relative des territoires qu'elles intéressent à l'égard des structures gentilices, et du fait qu'elles échappent à l'omnipotence à Rome des patrons de génies.

i

Non que ces tribus aient organisé dès ce moment les votes de ces nouveaux citoyens que sont les plébéiens : elles ne sont encore que des cadres de recensement pour ceux qui n'ont pas de gens. Mais les tribus de Servius Tullius ont intégré de la sorte, dans le corps civique, les nouvelles couches sociales qui se développaient hors des génies, et qui pouvaient contribuer à la puissance royale en livrant des richesses et en fournissant des soldats. C'est dans l'assemblée curiate que certainement les plébéiens votent72 : l'on peut penser qu'ils ont été inscrits dans les plus anciennes curies - celles qui ont des noms géographiques, qui sont héritées des premiers temps de Rome, qui sont, enfin, bien moins nombreuses que les curies contrôlées par les patriciens, et de ce fait ne peuvent menacer la domination politique des patrons de génies sur l'assemblée.

70. Pas plus sans doute que le nom de la tribu Publilia, créée en 358 av. J.-C, ne dément la signification des noms - tous topographiques, à l'exception de celui-là - des tribus créées entre 387 et 242 av. J.-C.

71. A. Alföldi, Early Rome..., p. 309, l'interprète comme un toponyme probable.

72. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 218-219.

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Les tribus en 495 av. J.-C. ^23

les tribus à noms gentilices

Le Ve siècle av. J.-C. - l'accord sur ce point se fait aisément -, aurait vu la création des tribus à noms gentilices : A. Alföldi comme L. R. Taylor et yi, Humbert lient le fait à la domination patricienne73. Qu'est-ce à dire ?

Ce siècle apparaît comme un temps de régression économique, marqué par la résurgence des anciennes structures gentilices et par la marginalisation d'une partie de l'élite sociale : celle que touche durement la récession des activités productives et d'échanges récemment développées. C'est alors que les chefs des plus puissantes gentes établissent, et pour quelque cent ans, leur quasi monopole sur les hautes magistratures et sur toute la gestion de l'État74. C'est seulement au tout début du IVe siècle que la plèbe réussit à briser durablement le monopole du pa-triciat sur la puissance publique : en 400 av. J.-C, les élections au tribunat consulaire, qui portent au pouvoir une majorité de plébéiens75, marquent un renversement de la conjoncture politique. C'est certainement aussi le temps où se prépare - en 367 av. J.-C. selon la tradition, avec les lois Lici-nio-Sextiennes - la réconciliation des patriciens et de l'élite plébéienne, jusqu'à leur fusion au sein d'une classe dirigeante de plus en plus uni-fiée76.Dans le même temps, Véies a été prise et son territoire confisqué :

73. A. Alföldi, Early Rome..., p. 315 ; Taylor, Voting Districts..., p. 6 ; M. Humbert, Munici-pium..., pp. 57-58, 74-76, et n. 80-81. A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », Hommages à Jean Bay et, 1964, pp. 427-473, a montré comment une telle domination s'était accomplie au début de l'époque royale, lorsque les Patres aux pouvoirs héréditaires, qui composaient l'aristocratie des patrons de gentes, avaient établi leur monopole sur Y interregnum, lui-même fondé sur le droit auspicial : alors s'était constitué le premier patriciat. Aux cours des premières décennies de la République, l'aristocratie des patrons de gentes tendra à monopoliser le pouvoir consulaire au nom du droit auspicial dont ces Patres se prétendront seuls détenteurs, et se constituera en une caste fermée ; sur tout cela, cf. M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l'Antiquité, Paris, 1984, pp. 175-180,193-195, 200-201.

74. Pour les critères de reconnaissance entre noms plébéiens et patriciens dans les Fastes du Ve siècle av. J.-C. : cf. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 273-275 et pp. 378-386 (avec l'exposé des débats à ce moment, et la bibliographie) ; R. E. A. Palmer, The archaic Communauty of the Romans, Cambridge 1970, pp. 290 sq, discuté par I. Shatzman, Patricians and Plebeians : The Case of the Veturii, CQ, XXIII, 1973, pp. 65-77 ; sur le patriciat : P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat » (509-366 av. J.-C), Paris, 1976; sur les origines de la plèbe : J. C. Richard, Les origines de la plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, 1978 ; G. Poma, Tra legislatori e tiranni. Problemi storici e storiografici sull'età delle XII Tavole, Bologne, 1984, pp. 38-46, a repris l'ensemble du débat sur les Fastes, avec un exposé bibliographique, pour introduire son étude du décemvirat législatif ; cf. infra, chapitre IV.

75. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., p. 286, avec la discussion de Tite-Live, V, 12-13.

76. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 303-312.

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en 387, quatre nouvelles tribus sont créées, et reçoivent des noms topographiques. Il est hors de doute que, dès avant cette date, vingt et une tribus existaient : dans l'entre-deux qui sépare la création dans la ville des quatre tribus serviermes, suivie sans doute de peu de celle des cinq premières tribus rurales, et les créations du IVe siècle, douze tribus ont été établies. Les noms gentilices de dix d'entre elles ne manifestent-elles donc rien d'autre qu'une concordance chronologique fortuite entre un accroissement du territoire de Rome aux dépens de ses voisins, et la domination politique du patriciat ? Si les noms - topographiques ou gentilices - des plus anciennes tribus rurales renvoient à deux temps de création, ce pourrait être aussi - et surtout - , parce qu'ils renvoient à deux états différents des rapports de forces, opposant, au sein de la communauté romaine/la plus vieille société agro-pastorale et guerrière organisée dans les génies par les rapports de la clientèle, et une société nouvelle - la plèbe -, qui avait grandi, depuis l'avènement du premier roi étrusque, en marge et en dehors des génies ; cette plèbe ne devait-elle pas être recensée dans les tribus topographiques, indépendantes des génies, que Servius Tullius avait créées ? Ne devait-elle pas être intégrée de ce fait dans le corps civique, et fournir au roi des forces neuves contre d'éventuels opposants77 ?

S'il en est ainsi, la création des tribus à noms gentilices a pu répondre à un projet politique inverse de celui de Servius Tullius : il y a tout lieu de penser que ses promoteurs cherchaient par là à affermir les bases -gentilices - de leur pouvoir. Il se pourrait donc qu'il y eût de substantielles différences entre tribus à noms topographiques et tribus à noms gentilices : ne pas en tenir compte risque fort de conduire à une impasse.

La création de iribus au débui du Ve siècle

Il est ici nécessaire de revenir sur la proposition de M. Humbert, qui date la création des tribus à noms gentilices de 493 av. J.-C. : le raisonnement, qui traite des tribus comme si elles étaient toutes de même nature, me semble en effet déboucher, de ce fait, sur des conclusions paradoxales, sinon contradictoires.

M. Humbert78 fonde une bonne part de sa démonstration sur deux règles, que l'on retrouverait à l'origine de toute création de tribu :

77. Pour une autre interprétation des origines et de la définition de la plèbe : J. C. Richard/ Les origines de la plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, 1978.

78. M. Humbert, Municipium..., pp. 61-76 et n. 40-41.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 125

« Pas de conquête sans que naisse un conflit sur la répartition des terres ». « Toute création de tribu suppose une distribution de l'ager publicus, et une lutte victorieuse sur le patriciat qui est le principal bénéficiaire de l'occupatio de l'ager publicus. Et il n'y a pas de création de tribu sans que se pose, en termes parfois violents [...], le problème d'un partage d'un ager publicus, dont le patriciat aurait voulu conserver une occupatio exclusive ».

Or en 493 sont indiscutablement réunies les conditions qui seraient nécessaires, en vertu de ces deux règles, à la création de nouvelles tribus :

- Rome dispose des territoires qu'elle vient de confisquer aux Latins.

- La tradition révèle le développement, au même moment, de revendications plébéiennes de partages uiritim de la terre conquise : la plèbe est encore capable de les imposer, et de fait les impose.

De plus, cette même tradition affirme qu'à cette date vingt et une tribus existent : il y aurait donc parmi elles les tribus gentilices, et c'est alors que ces tribus ont dû être créées.

Mais un tel raisonnement admet à la fois, et de façon qui me semble quelque peu paradoxale, que la création de ces tribus en 493 résulte d'une victoire plébéienne sur les patriciens, et que les nouvelles tribus portent des noms gentilices, parce que les patriciens dominent les institutions.

On peut, évidemment, imaginer à ce moment une situation instable -au reste, la « fermeture » du patriciat est loin d'être achevée en 493 -, qui imposerait une solution de compromis. Mais les exemples mêmes sur lesquels s'appuie M. Humbert pour dégager les deux règles nécessaires à la création de tribus révèlent les difficultés d'une telle interprétation. Il cite en effet :

- les tribus serviennes,

- les quatre tribus créées en 387 av. J.-C. sur le territoire de Véies,

- les deux tribus créées en 358...

Or, toutes ces tribus, qu'en effet la tradition associe clairement au partage uiritim des terres conquises, et donc à une issue victorieuse des luttes plébéiennes sur les patriciens, portent des noms topographiques79, et toutes manifestent, au moment de leur création, une marginalisation relative des forces gentilices. Le fait, si bien mis en lumière par M. Humbert, qu'après 493 av. J.-C. et jusqu'en 387, les revendications plébéiennes ne purent jamais aboutir, ne prouve donc pas, me semble-t-

79. Une exception pourtant : le nom de la Poblilia, qui n'est pas un toponyme, et qui doit être rapproché du nom de Poblilius Philo ; ce dernier, cependant, est indubitablement plébéien, et donc la tribu Poblilia ne porte certainement pas un gentilice, stricto sensu : sa dénomination relève de processus particuliers, qui exigeraient d'autres analyses.

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il, que la création des tribus gentilices n'a pu avoir lieu beaucoup plus tard que 493. Mais il prouve au mieux que si des tribus ont été créées en 493 av. J.-C, manifestant une victoire de la plèbe sur les forces patriciennes, elles ont dû recevoir des noms topographiques, sur le modèle des tribus serviennes ; il prouve aussi bien qu'après 493 et pour des décennies, des tribus à noms topographiques ne pourraient plus être créées, du fait de l'incapacité de la plèbe à imposer ses revendications.

De fait, en 493 av. J.-C, la plèbe peut exiger le partage uiritim des terres que Rome, selon toutes probabilités, vient de confisquer aux cités vaincues de la ligue latine. Mais en outre, en 499 s'il faut en croire Tite-Live, Crustumerium, cité sabine au nord de Fidènes, a été prise et son territoire annexé80. De plus, depuis quelques décennies déjà, l'ouverture par Véies d'une voie nouvelle en direction de la mer, longeant le fosso Galeria, pourrait être l'indice d'une extension du territoire romain sur la rive droite du Tibre, aux dépens de Véies, et ce, au plus tard au début du VIe siècle81 ; Tite-Live suggère enfin la possibilité d'un nouvel accroissement dans cette direction, au cours des toutes dernières années du VIe siècle82.

À ce moment, les patrons des grandes génies partagent encore les responsabilités du pouvoir avec une élite plébéienne83, et des assignations uiritim ont fort bien pu avoir lieu. Toutes les conditions semblent donc réunies pour la création de tribus rurales qui, en bonne logique, devraient recevoir comme les précédentes des toponymes.

Or, deux tribus répondent à ce schéma : le nom de la Clustumina, en effet, rappelle étrangement celui de la cité récemment vaincue ; quant à la Galeria, elle ne doit son appellation à aucun magistrat du Ve siècle.

80. Tite-Live, II, 19, 2 ; sur l'annexion de Crustumerium, cf. M. Humbert, Municipium..., p. 78 ; sur l'emplacement de la tribu Clustumina : L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 36-37 ; J. Kolendo, « Tuscorum urbs Crustumena et l'origine de la tribu Crustumina d'après Festus », Eos, 56, 1966 (1969), pp. 311-315 ; Quilici et Quilici-Gigli, 1980, pp. 285-286.

81. M. Humbert, Municipium.., pp. 56-57 et n. 28-29 : dès le début du VIe siècle, Véies avait perdu au profit de Rome le contrôle de la rive droite du Tibre ; pour atteindre les salines qu'elle contrôlait, il lui fallait éviter Rome : aussi avait-elle ouvert une voie nouvelle. Cf. sur ce point J. B. Ward-Perkins, « Veii, the historical topography of the ancient city », Papers of the British School at Rome, 29,1961, mais aussi l'interprétation proposée par A. AlföTdi, Early Rome..., pp. 294-295, et l'argumentation que lui oppose M. Humbert, Municipium..., p. 56.

82. Tite-Live, H, 13, 4 et 15, 5 : sous l'égide de Porsenna, Rome aurait repris en 506-505 le contrôle de territoires que Véies lui avait enlevés deux ans auparavant; cf. M. Humbert, Municipium..., p. 56.

83. Cf. infra.

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Les tribus en 495 av. J.-C. 127

Mais on la retrouve dans la toponymie médiévale et moderne, en particulier à Santa Maria di Galeria, située à moins de dix kilomètres de Tan-tique Veies, et dans le nom du fosso Galeria, sur la rive droite du Tibre : selon toute probabilité, son nom aussi est géographique. La création de ces deux tribus n'a pas laissé de trace précise dans la tradition annalis-tique ; mais celle des cinq tribus rurales à toponymes qui jouxtent le po-mérium n'en avait pas laissé beaucoup plus : c'est seulement le rapprochement d'informations dispersées dans les textes, mais de significations convergentes, qui a permis à A. Alföldi d'en proposer une interprétation cohérente. De la même façon, pour la Clustumina et la Galeria, si l'on admet, à la suite de M. Humbert, que les territoires que ces deux tribus englobaient étaient devenus - ou redevenus - romains entre les premières années du VIe siècle et les premières du Ve, on sera tenté de rapprocher cette création de l'agitation agraire rapportée à l'action de Spu-rius Cassius et à sa loi agraire, dont Tite-Live affirme qu'elle avait été promulguée84 : non cependant pour voir dans la création de ces tribus la conséquence, mais bien la cause de troubles qui la prolongent, parce que toutes les terres n'avaient pas été distribuées.

En 495-493, par conséquent, on peut penser qu'existaient non pas vingt et une tribus, mais onze85, toutes à noms topographiques : les neuf tribus serviennes - quatre sur le territoire de la ville et cinq sur le territoire rural de Yager Romanus antiquus - , auxquelles deux autres venaient

84. Tite-Live, I, 41 : Tum primum lex agraria promulgata est : « C'est à cette date que fut promulguée la première loi agraire » (texte et trad. CUF) ; Denys d'Halicarnasse, IX, 51, 2, évoque quant à lui des promesses du Sénat, qu'il a auparavant présentées (VHI, 76) comme un décret prévoyant une enquête sur Yager publicus et des distributions éventuelles ; sur les luttes agraires du Ve siècle : F. Serrao, Lotte per la terra..., art. cit. 1981, p. 51-180 et plus particulièrement pour Sp. Cassius, pp. 52-62 et p. 88-92.

85. Il convient encore de rappeller au passage le caractère toujours incertain des nombres transmis par les manuscrits : le cas présent pourrait en être une illustration entre d'autres ; si deux manuscrits du texte de Tite-Live donnent bien le nombre de vingt et une tribus, pour 493 - et c'est le nombre toujours retenu -, un troisième donne celui de trente, et tous les autres celui de trente et une : deux leçons impossibles à admettre, au regard des vingt et une tribus bien attestées pour le début du IVe siècle ; pour les leçons des manuscrits, cf. l'édition des livres I-V de Tite-Live par Conway et Walters, Oxford,1964, (1ère éd. 1914).

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d'être ajoutées, sur des territoires conquis au cours du VIe et au début du Ve siècle86 (cf. carte VII).

Mais si cela est, l'établissement de la Clustumina et de la Galeria risque fort d'avoir marqué la fin du temps favorable à la plèbe - et à son élite -et le renversement de conjoncture qui allait permettre la « fermeture » du patriciat : c'est peut-être le sens de l'œuvre et du destin ambigu de Su-rius Cassius, sur lequel il importe de s'arrêter maintenant.

86. Il convient cependant de souligner, une fois encore, que le fait que les territoires des tribus Clustumina et Galeria aient été romains dès la fin du VIe siècle ou le début du Ve

ne suffirait pas à prouver que ces deux tribus existaient déjà en 493. Deux indices en effet pourraient inviter à rejeter leur création à une date plus tardive : 1) la première raison de douter - à mon sens, la moins déterminante -, pourrait d'abord venir de la situation très excentrique de ces deux tribus, au-delà de la couronne des terres genti-lices ; mais on peut aussi admettre que la plèbe a pu imposer le partage de terres nouvellement conquises - et donc périphériques - mais non de celles où les génies avaient établi leur contrôle de longue date. 2) Le second indice, plus sérieux, vient du nombre même des tribus gentilices : si Ton admet (cf. infra) que ces dix tribus étaient destinées à assurer aux patrons des gentes la prééminence dans l'assemblée tribute, on pourrait être alors tenté de penser qu'au moment de leur création, neuf tribus seulement existaient - en d'autres termes, qu'aucune tribu ne s'était encore ajoutée aux tribus ser-viennes. Mais il se peut aussi que la Galeria et la Clustumina, si elles ont été créées vers 493, soient de quelque façon tombées très vite sous le contrôle politique des patriciens, responsables, quelque trente ans plus tard, de la création des tribus à noms gentilices. Sur cela : cf. chap. DI, tableau I.

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CHAPITRE m

LES TRIBUS A NOMS GENTILICES

DE LA CONDAMNATION DE SPURIUS CASSIUS (486 AV. J.-C.) À LA LOI DE VOLERON PUBLILIUS (471 AV. J.-C.)

Spurius Cassius : le sens d'une condamnation

Les débats à propos de Vager publicus

L'importance du personnage1 ne saurait être niée2 : consul pour la seconde fois en 493, il est seul interlocuteur des cités latines pour le traité qui porte son nom, et qui va régler pour plus d'un siècle leur alliance avec Rome ; et c'est lui encore qui, devenu consul pour la troisième fois

Pour rétablissement de critères de différenciation entre consuls plébéiens et consuls patriciens, cf. infra, chapitre IX (Annexe).

Sur l'authenticité du personnage de Sp. Cassius, cf. en particulier : A. W. Lintott, The Tradition of Violence in the Annals of the Early Roman Republic, Historia, XIX, 1970, pp. 12-29 (qui voit dans les récits de Tite-Live, de Denys dTialicarnasse ou de Cicéron, relatifs à Sp. Cassius, la transformation d'une fable morale - l'exécution de Sp. Cassius par son père - en conflit d'ordre constitutionnel) ; P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat », pp. 76-81 (qui en fait un patricien, puisqu'il a géré le consulat) ; J.-Cl. Richard, Les origines de la plèbe..., pp. 524-526 (qui en fait le défenseur des ruraux contre le patriciat, et le classe parmi les sénateurs conscripti).

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en 486, étend aux Herniques les clauses du traité3. Or, son activité en politique intérieure fait de lui d'autre part, sans conteste, un des partisans et des plus fermes défenseurs des revendications de la plèbe4. Celle-ci, d'ailleurs, a dû le reconnaître pour l'un des siens, puisqu'elle l'a chargé de dédier le temple de Cérès5. Auteur en 486 d'une loi agraire qui allait entraîner des troubles pendant quinze ans, il est condamné et exécuté à sa sortie de charge6. Dans ce rôle et ce destin, sans doute peut-on reconnaître une réélaboration post-gracchienne, mais tout ne doit pas relever de la légende : trop d'indices invitent à y voir un fonds d'authenticité7. Et le récit qu'en a laissé Tite-Live, confirmé par Denys d'Halicarnasse, est ici fort riche d'enseignements.

Tite-Live en effet - qui vient d'informer le lecteur de l'annexion par Rome des deux tiers du territoire hernique - poursuit8 :

« Le consul Cassius se proposait de partager (diuisurus) ces terres pour moitié entre les Latins, pour moitié entre les plébéiens. Il ajoutait à ce don (huic muneri) une bonne part du domaine public, dont il dénonçait la possession par des particuliers (quem publicum possideri a priuatis criminabatur). Déjà ce projet épouvantait nombre de patriciens, qui en étaient eux-mêmes détenteurs (possessores), comme un danger pour leurs propres biens ; mais à cela se mêlait pour les Pères le souci public, avec la crainte que le consul ne rassemblât par ses largesses des forces dangereuses pour la liberté. Alors pour la première fois fut promulguée une loi agraire ».

Dans le récit livien, sous des expressions qui renvoient à des institutions certainement plus tardives d u régime des terres, il est, m e semble-t-

3. Tite-Live, H, 33, 3 et 19, confirmé par Denys d'Halicarnasse, VI, 19-20 ; sur lefoedus Cassianum et son contenu : M. Humbert, Municipium..., pp. 68-73 et pp. 92-122.

4. Valére Maxime, V, 8,2, fait même de lui, pour 493, un tribun de la plèbe : information rejetée par Münzer, RE, IH, 1751 ; par J. R. S. Broughton, Magistrates, I, p. 21 ; par R. M. Ogilvie, A Commentary, p. 339 ; par E. Pais, Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, I-IV„ pp. 53-54 et p. 240.

5. Denys d'Halicarnasse, VI, 94 ; cf. aussi infra.

6. Selon Tite-Live, n, 41,1-3, que confirme Denys d'Halicarnasse, Vm, 69 sq., Sp. Cassius, après avoir confisqué aux Herniques les deux tiers de leur territoire, aurait proposé d'en faire la distribution moitié aux Latins, moitié à la plèbe ; il aurait ajouté aux terres herniques des domaines que les patriciens détenaient abusivement en possessio.

7. M. Humbert, Municipium..., pp. 72-74 et n. 78-79 ; F. De Martino, Storia economica di Roma antica, Florence 1979, pp. 14-15 ; F. Serrao, Lotte per la terra è per la casa a Roma dal 485 al 441 A.C., Legge e società nella Repubblica romana, I, Naples 1981, pp. 98-114.

8. Tite-Live, H, 41,1-3 : Inde dimidium Latinis, dimidium plebi diuisurus consul Cassius erat. Adiecebat huic muneri agri aliquantum, quem publicum possideri a priuatis criminabatur. Id multos quidem parum, ipsos possessores, periculo rerum suarum terrebat ; sed et publica patribus sollicitudo inerat, largitione consulem periculosas libertati opes struere. Tum primum lex agraria promulgata est. Cf. aussi Denys d'Halicarnasse, VHI, 68-80 ; pour l'analyse critique de ces passages : F. Serrao, 1981, pp. 51-57, avec la bibliographie.

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il, possible de retrouver l'ensemble des éléments du débat qui oppose patriciens et plébéiens, au Ve siècle, sur le sort des territoires conquis. À suivre Tite-Live en effet, Yager publicus accaparé par les patriciens doit être constitué, au moins pour une part, par les terres confisquées récemment aux Herniques9. Immédiatement la plèbe et le patriciat s'opposent sur le régime auquel elles doivent être soumises - partage uiritim, ou régime de l'indivision -, et sans doute peut-on saisir là le processus par lequel les Patres, qui sont patrons de gentes, s'emparent de la terre conquise, et en évincent la plèbe : Tite-Live décrit de fait l'indivision comme donnant lieu à l'accaparement du sol par les seuls patriciens, qui sont détenteurs d'autre part de la puissance publique. Et l'on est conduit à penser que ce sol, ipso facto, va grossir les territoires contrôlés par les gentes, permettant ainsi, avec l'implantation de nouveaux clients, le renforcement incessant de la puissance de leurs chefs. De ce fait, d'autre part, la plèbe se trouve exclue de territoires qui, venant d'être conquis par tous, devraient profiter à tous : si l'on suit Tite-Live, Spurius Cassius, en dénonçant le caractère criminel d'un tel accaparement, paraît dénoncer par là même la contradiction profonde entre les intérêts des patrons de gentes, liés à des structures du passé et désignés comme priuati, et les « intérêts publics », ceux de la cité prise collectivement et qui, depuis plus d'un siècle, a vu se développer en son sein des structures autrement complexes. Cette contradiction se traduit par l'opposition entre deux régimes de la terre qui renvoient, sans doute, à des productions différentes, mais aussi à des modes d'exploitation du sol et à des rapports sociaux antagoniques, tels qu'ils étaient déjà apparus, on l'a vu, à l'époque de Servius Tullius10 : l'évolution ultérieure montrera, par la disparition des structures gentilices, qu'il n'était pas de compromis possible. Peut-être en trouve-t-on à nouveau la trace lorsque Tite-Live, à propos de l'agitation agraire qui une fois encore trouble la Ville en 416, au lendemain de la prise de Labici, précise :

« [Les tribuns de la plèbe] avaient déposé un projet de loi d'après lequel "tout territoire conquis serait partagé par tête" (ut ager ex hostibus captus uiritim diuideretur), confisquant ainsi par décret de la plèbe les biens d'une grande partie de la noblesse ; car il n'y avait dans cette ville, bâtie sur un sol étranger, à peu près aucune terre qui n'eût été conquise, et il n'y avait que la plèbe qui

10.

Pour les différents statuts des terres de Yager publicus : Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen. I/Les structures de l'Italie romaine, Paris 1977, pp. 33-38 et pp. 120-124 ; L. Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre, pp. 318-323 et n. 23, et pp. 349-350, pour les premiers siècles de la République.

Cf. supra, pp. 76-79 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 127-128 et p. 141 ; dans le même sens, F. Serrao, Lotte per la terra, pp. 55-56.

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possédât (en toute propriété) ce qui avait été vendu ou attribué par l'État. C'était une lutte terrible en perspective entre la plèbe et les Pères [...] »11.

On peut douter, peut-être, qu'à une date aussi tardive du Ve siècle, seuls les plébéiens aient accédé à la propriété privée. Mais il est clair que dans l'esprit de Tite-Live, l'exclusion de la plèbe des profits de la terre conquise est inséparable du statut donné à cette terre, et décidé par les patriciens détenteurs, à ce moment, d'un quasi monopole du pouvoir. Une telle opposition, si nettement affirmée par Tite-Live, est peut-être excessive, mais elle ne doit pas être totalement inventée. Elle illustre en tout cas parfaitement tout ce que l'on peut savoir, d'autre part, des bases de la puissance des patriciens ; elle éclaire au mieux, me semble-t-il, comment et pourquoi ces derniers pouvaient se réserver l'accès à un ager publicus - précisément parce qu'il restait dans le statut ambigu à!ager publiais - d'où la plèbe se trouvait, de ce fait, exclue : elle était incapable d'en imposer le partage uiriïim, étant aussi exclue, pour l'essentiel, du pouvoir de décision politique.

Or, Spurius Cassius est de ces consuls en qui l'on a pu reconnaître des plébéiens encore capables, dans les deux premières décennies de la République, de partager avec les chefs des gentes les charges et les honneurs consulaires12 : son action en faveur d'une distribution uiriïim des terres conquises prend ici toute sa signification, mais aussi son échec à imposer le partage des terres herniques en faveur de la plèbe et des Latins.

Son échec est d'autant plus remarquable qu'il pourrait bien avoir été provoqué avec l'aide même d'une partie de la plèbe : je reviendrai urte

i l . Tite-Live, IV, 48, 2-3 : Ei cum rogationem promulgassent ut ager ex hostibus captus uiriïim diuideretur, magnaeque pars nobilium eo plebiscito publicarentur fortunae - nec enim ferme quicquam agri, ut in urbe alieno solo posita, non armis partum erat, nec quod uenisset adsignatumue publice esset praeterquam plebs habebat - atrox plebi patribusque propositum uidebatur certamen [...] (éd. et trad. CUF).

12. PL Fraccaro, La Storia romana arcaica..., p.5 ; A. Bernardi, Patrizi e plebei nella costituzione della primitiva repubblica romana », Rendiconti dell'Istituto Lombardo, Classe ài Lettere Scienze morali e storiche, 79, 1952, pp. 3-58 ; M. Pallottino, Fatti e leggende..., pp. 3-37 ; contra : P. Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat, pp. 76-81. Les données de la tradition relatives au consulat, pour les premières décennies de la République, sont rejetées par K. Hanell, Probleme der römischen Fasti, Entretiens XIII, fondation Hardt, Vandœuvres-Genève 1966, pp. 177-196 ; par R. Werner, Der Beginn der römischer Republik, Munich-Vienne 1963, p. 474 sq., qui place en 473-471 la fondation de la République, et aboutit aussi à des conclusions hypercritiques ; par F. De Martino, Storia economica..., en particulier pp. 233-249, qui refuse toute crédibilité à l'histoire constitutionnelle des premières décennies de la République, et a fortiori aux listes fournies par les fastes consulaires. Sur ces questions, cf. déjà les mises au point de J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 273-274, et récemment celles de G. Poma, Tra legislatori e tiranni, Bologne 1984, pp. 38^6.

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rieurement sur les éléments de la propagande patricienne qui ont pu entraîner l'abandon de Spurius Cassius par la plèbe. Je rappellerai cependant au passage que son collègue au consulat, Proculus Verginius, qui conduisit la campagne d'opposition au projet de loi agraire, était soutenu par les plus grands patriciens13. De plus, celui-ci s'était assuré le soutien de certains tribuns de la plèbe ; les sources anciennes ne livrent ici aucun nom, mais on soupçonne que ces tribuns pouvaient - et en fait devaient -faire partie des clientèles gentilices ; or, leur soutien à la campagne de proculus Verginius fut décisif pour l'issue de l'affaire, si du moins l'on en croit les informations données par Denys d'Halicarnasse14. Et pour finir, l'accusation contre Spurius Cassius fut portée non pas devant la plèbe, mais devant le peuple, par Caeso Fabius et Lucius Valerius15 qui étaient alors questeurs : tous deux des patriciens, qui appartenaient à de très grandes familles ; Denys d'Halicarnasse précise, pour le premier, qu'il était le fils de l'un des consuls de l'année, Quintus Fabius ; quant au second, il était fils ou neveu de Publius Valerius Publicola, le fondateur de la République16. À n'en pas douter, le procès de Spurius Cassius a été voulu et contrôlé par les patriciens - quelle qu'ait été d'autre part l'attitude de la plèbe à l'égard de la loi agraire qui lui était proposée.

La condamnation et la mort du consul à sa sortie de charge, en 486 av. J.-C, prennent alors valeur de symbole : au cours des quinze années qui suivent, la disparition totale des plébéiens des Fastes consulaires17

montre l'ampleur de la défaite subie par la plèbe à ce moment. Cette défaite paraît à la fois l'indice et la conséquence des difficultés nées de la récession de certaines activités de production et d'échange, une récession qui, atteignant alors tout le monde étrusque, frappe les couches de la population qui, à Rome, sont liées à ces activités18. Les chefs des plus puissantes gentes, dans la mesure où leurs forces reposaient encore, pour une part au moins, sur les anciennes structures gentilices et les rapports de clientèle, et sur les activités agro-pastorales et guerrières, ont pu être relativement épargnés par la crise, et ont été capables de s'emparer du

13. Tite-Live, II, 2-4 ; Denys d'Halicarnasse, VIE, 71,2-3.

14. Denys d'Halicarnasse, Vm, 71,4.

15. Des deux versions qu'il transcrit - procès privé, ou procès public à l'instigation des deux questeurs - c'est la seconde que Tite-Live, n, 41,11, juge la plus vraisemblable.

16. Sur le charisme dont les Valerti paraissent avoir été porteurs : infra, chap. VI.

17. Cf. infra, chapitre IV, et tableaux : on remarquera que l'enseignement des Fastes s'intègre au mieux dans la logique de l'évolution du moment. Je laisse ici de côté la discussion du titre réel de ces magistrats - préteurs ou consuls - me bornant à renvoyer à l'exposé de J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 268-273.

18. M. Torelli, Rome et l'Étrurie.. .,pp. 284-287.

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pouvoir : comment n'auraient-ils pas tenté, pour affermir leurs positions, d'utiliser les terres nouvellement conquises et d'en exclure leurs rivaux plébéiens ? Il reste à se demander si à ce moment, la création des tribus sur les territoires qu'ils contrôlaient leur était profitable. Il n'est que de s'interroger sur les avantages que pouvaient trouver à les constituer les maîtres du pouvoir.

Les patriciens et les tribus

Dans la mesure où le patriciat parvient à accaparer les hautes magistratures, il contrôle, à l'évidence, aussi bien les tribus déjà existantes que le destin de Yager publicus, lorsque celui-ci s'accroît par les conquêtes19. L'incapacité de la plèbe à imposer le partage uiritim - autrement dit, hors de l'organisation des gentes - de cet ager publicus, atteste parfaitement l'efficacité d'un tel contrôle : il est clair que la domination du patriciat, si elle résulte à ce moment, comme il y a tout lieu de le croire, d'une résurgence des structures gentilices, doit se manifester par le refus de telles distributions agraires, à coup sûr antagoniques de leurs intérêts les plus évidents.

Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui pourrait contraindre ou même simplement inciter les patriciens à inscrire les territoires que leurs gentes contrôlent dans des tribus - celles-ci recevraient-elles leurs noms. Les tribus n'ont pas encore d'autre rôle que celui d'intégrer et d'encadrer les citoyens qui sont hors des gentes ; ce sont des cadres, me semble-t-il, encore étrangers aux structures gentilices, étrangers aux domaines des gentes : Tite-Live en donne des indices sans équivoque, sur lesquels il y aura lieu de revenir. On ne voit pas davantage l'intérêt que la plèbe pourrait trouver à de telles créations ; de fait, les luttes ne se développent pas, à ce moment, sur la question de la création ou non de nouvelles tribus - du moins les sources n'en parlent pas - mais sur le régime de la terre conquise : gestion « collective » de Yager publicus - dont on imagine aisément que les patrons des gentes pouvaient l'utiliser pour y développer leurs clientèles, et qu'ils avaient pour cela l'entier appui de leurs clients - ou distributions de lots en propriétés privées, qui échappent au contrôle direct des patrons20.

En d'autres termes, il y a tout lieu de penser qu'au début du Ve siècle, et pour plusieurs décennies peut-être, les territoires contrôlés par les

19. L. Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre..., pp. 318-323 et n. 23, et pp. 349-350.

20. La plèbe pensera bientôt trouver, en revanche, un avantage considérable à la non-existence de tribus sur les territoires des gentes : cf. infra.

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aentes n'ont pas encore été distribués en tribus ; mais ils peuvent donner lieu, à tout moment, à la création de nouvelles tribus, sans que soient nécessaires, par conséquent, de nouvelles conquêtes. Lorsque ces tribus seront créées, leurs noms gentilices manifesteront alors, selon toute vraisemblance, la permanence des structures gentilices - voire leur renforcement - sur les territoires intéressés. Leur création, si elle n'est pas liée à une modification du régime des terres, doit s'expliquer par la transformation de la fonction des tribus dans la vie de la cité : une transformation qui a dû donner aux patrons des gentes de bonnes raisons d'insérer les terres qu'ils dominaient - et leurs clients - dans le réseau des tribus. Or, on sait par la tradition ici unanime21 qu'en 471 av. J.-C, une loi imposée par la plèbe allait profondément modifier le rôle dévolu aux tribus, et par là même, l'enjeu politique qu'elles représentaient22.

La loi de Voléron Publilius (471 av. J.-C.)

Les contradictions de l'annalistique

En 473 en effet, les élections ont porté au tribunat de la plèbe Voléron Publilius, le héros et l'instigateur, au cours des mois précédents, d'une grave émeute des plébéiens. Or, le tribun, dès qu'entré en charge, « proposa au peuple un projet de loi établissant que les magistrats de la plèbe seraient élus par des comices tributes ». Par ce projet, aux dires mêmes de Tite-Live, Voléron avait fait passer « son ressentiment personnel après l'intérêt public ». Pourtant Tite-Live ajoute : « Ce n'était pas une petite affaire, sous une formulation à première vue peu dangereuse ; mais surtout elle enlevait aux patriciens tout pouvoir (omnem potestatem) de créer tribuns qui ils voudraient, par les suffrages de leurs clients. À ce projet très agréable à la plèbe, les patriciens devaient résister avec la plus grande violence (cum summa ui résistèrent patres) [...] »23. Une résistance

21. Tite-Live, E, 55-56 ; Denys d'Halicamasse, IX, 41-49 ; en faveur de l'authenticité de la loi: cf. L.R.Taylor, Voting Districts..., p. 9 et n. 18 ; contra: R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy, Books 1-5, Oxford 1965, pp. 378-381 : cf. infra ; F. Serrao, Lotte per la terra, p. 71 et n. 52, qui, sans donner de vraies raisons, rejette l'idée de l'élection des tribuns de la plèbe jusqu'en 471 par les assemblées curiates, comme « dérivant de la nécessité de sauver les notices de Cicéron et de Denys d'Halicarnasse ». Le problème est moins, me semble-t-il, de « sauver » ces notices, que de vérifier leur adéquation -ou leur inadéquation - à la cohérence historique du moment.

22. Pour de tout autres analyses : R. M. Ogilvie, A Commentary..., pp. 378-381.

23. Tite-Live, II, 56, 2-5 : [...] (Volerò) rogationem tulit ad populum ut plebei magistratus tribu-tis comitiis fièrent. Haud pania res sub titulo prima specie minime atroci ferebatur, sed quae

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que la plèbe mettrait deux années à réduire, après avoir réélu Voléron pour un second tribunat : à partir de 470, en vertu de la lex Publilia, les tribuns de la plèbe allaient être élus par les comices tributes24.

Tite-Live - que corrobore partiellement Denys d'Halicarnasse25 - livre ici une première information d'importance, dont la signification paraît assez claire : si la rogatio Publilia rencontre la résistance violente des patriciens, c'est bien parce qu'elle exclut leurs clients des procédures d'élections pour les « magistrats de la plèbe », à partir du moment où l'on vote par tribus ; et cette information n'a de sens que si les clients n'ont pas de tribus : autrement dit, si les tribus gentilices n'existent pas.

À l'évidence ces événements, dont on ne saurait ignorer l'importance, sont en contradiction flagrante avec l'existence, dès la première décennie du Ve siècle, de vingt et une tribus. Celle même de la tribu Claudia devient plus que douteuse : si en effet pour 471 av. J.-C, au lendemain de la réélection de Voléron, les Patres nomment consul un Appius Claudius, c'est pour son intransigeance et sa violence naturelles, qui semblent le désigner comme particulièrement apte à mener le combat qui s'annonce. Mais l'on ne voit pas que le consul ait du tout tenté d'utiliser ses clients, ce qu'il n'aurait sans doute pas manqué de faire, si ceux-ci avaient pu faire partie de l'assemblée tribute26. Au reste, on l'a vu, l'hypothèse selon laquelle la tribu Claudia aurait été créée en 504 est loin d'être solidement fondée : elle s'appuie sur une information fort ambiguë de Tite-Live, et elle est peut-être contredite par Denys d'Halicarnasse, qui reporte cette création à « plus tard ». Les événements de 473/471 me semblent lever le

patriciis omnem potestatem per clientium suffragia creandi quos uellent tribunos aufferret. Huic actioni gratissimae plebi cum summa ui résistèrent patres [...]

24. Tite-Live. H, 58,1 : Tum primum tributis comitiis creati tribuni sunt. Numero etiam additos très, perinde ac duo antea fuerint, Piso auctor est. Par quelle assemblée - curiate ? ou quelle autre assemblée ? - la loi a-t-elle été votée ? Ni Tite-Live, ni Denys d'Halicarnasse ne le laissent percevoir. Seule est certaine l'issue des luttes : la règle a été imposée par un rapport des forces qui, à ce moment, a donné l'avantage aux exigences plébéiennes ; mais il y a tout lieu de penser que ce fut avec l'appui - sans doute nécessaire - de certains patriciens : j'y reviendrai. Pour de tout autres solutions, R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381 ; R. Develin, « Comitia tributa plebis », Athenaeum, 1975, pp. 302-337.

25. Tite-Live. H, 56 ; Denys d'Halicarnasse, IX, 27-33 et IX, 41, 3 : Denys d'Halicarnasse explique ici l'opposition des patriciens à la rogatio de Voléron par le fait que l'assemblée tribute était soustraite à la nécessité d'un décret préalable du Sénat - auquel l'assemblée curiate était soumise - ainsi qu'à la sanction des prêtres et des augures -tous patriciens à ce moment ; mais cela n'implique-t-il pas aussi l'exclusion des patriciens de l'assemblée tribute, parce qu'à cette époque, pas plus que leurs clients, ils ne sont dans les tribus ?

26. Ainsi pour l'épisode que rapporte Tite-Live, H, 56-57.

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doute à ce sujet, et indiquer qu'à ce moment la tribu Claudia n'existait pas encore.

Ainsi donc, Tite-Live comme Denys d'Halicarnasse mettent le lecteur devant un choix entre deux informations contradictoires27. S'il faut admettre l'historicité des événements qu'ils relatent pour 473/471, on doit repousser la création des tribus à noms gentilices à une date ultérieure : et donc ni à ce moment, ni, a fortiori, en 504, 495 ou 491, ne pouvaient exister vingt et une tribus. Si l'on retient néanmoins ce nombre de vingt et une tribus pour les premières années du Ve siècle, on doit admettre l'existence des tribus gentilices dès ce moment : mais en ce cas, les controverses politiques suscitées par la rogatio de Voleron Publilius deviennent incompréhensibles. Les rejettera-t-on, en les déclarant inauthentiques ? On ne saurait pourtant le faire sans examen critique préalable.

Une telle contradiction passe inaperçue, si l'on ne retient des textes de la tradition que les données chronologiques, simples jalons marquant la naissance et le développement des institutions républicaines, depuis l'abolition de la royauté en 509 jusqu'aux premières décennies du IVe

siècle : naissance et développement que l'on met seulement en rapport avec les nécessités des relations extérieures de Rome (avec les Latins, les Volsques ou les Herniques), et la chronologie des guerres et des extensions de territoires. Aucune étude, à ma connaissance du moins, n'a tenu compte, pour la création des tribus au Ve siècle, de ce que révèlent les débats de 473/47128. Si pourtant l'on admet- à la suite de L. R. Taylor elle-même - leur historicité, l'histoire des tribus en acquiert une dimension politique de singulière importance, qui éclaire les luttes de la plèbe et du patriciat à ce moment : la querelle a alors pour enjeu, à l'évidence, le contrôle sur les tribuns de la plèbe, et, par eux, sur les assemblées populaires et les décisions que celles-ci peuvent prendre29.

27. La « conscience » de telles contradictions que pouvaient avoir Denys d'Halicarnasse ou Tite-Live n'a pas à être abordée ici.

28. R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381, en fait un épisode très mineur de légalisation d'une assemblée de la plèbe, qui existait déjà de facto : cf. infra, n. 30.

29. C'est à ce moment que les tribus ont commencé d'acquérir un rôle politique dont le développement éclaire les querelles et les affrontements auxquels donneront lieu, au cours des siècles à venir et jusqu'au principat augustéen, les créations de nouvelles tribus et le mode de répartition des citoyens romains dans les assemblées tributes. La générosité même d'un Jules César à octroyer à des provinciaux la citoyenneté romaine, aussi bien que la politique à cet égard très nuancée de son fils adoptif trouvent là de premiers éléments d'explication, auxquels on ne saurait être trop attentif.

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238 La République des tribus

Les patriciens et les élections des tribuns de la plèbe

De tout cela découle une seconde information : la réalité du contrôle exercé jusqu'ici par les patriciens sur l'élection des tribuns de la plèbe. Est-il possible de préciser davantage ?

L'on sait, par Denys d'Halicarnasse30, que les premiers tribuns de la plèbe furent élus, en 493 av. J.-C, par le peuple réparti entre les curies ; et selon toutes probabilités, dans les années suivantes, l'élection des tribuns de la plèbe incomba encore aux comices curiates - de façon, peut-on croire, toute spontanée du côté de la plèbe, pour trois raisons au moins. On observera d'abord que les plébéiens avaient leur place dans ces assemblées dont les divisions, héritières au moins en partie de celles des plus anciennes unités de villages qui avaient précédé Rome31, étaient irréductibles à l'organisation gentilice de la société ; On a ensuite de bonnes raisons de penser qu'à ce moment n'existait pas d'autre assemblée32. Enfin, ce sont les assemblées curiates qui, depuis 509, avaient proclamé la loi curiate qui investissait les magistrats, dépositaires ou non de Yimperium33 ; les tribuns de la plèbe, cependant, n'étant pas encore magistrats, ne pouvaient être investis par une loi curiate : pouvait-on alors trouver meilleure assemblée pour légitimer, par un vote tenu sous la présidence du pontifex maximus, un pouvoir tribunicien d'autre part garanti par des lois sacrées34 ?

30. Denys d'Halicarnasse, VI, 89, 1, que corrobore Cicéron (selon Asconius, in Corn., 60) l'atteste formellement pour 493 av. J.-C. ; et en 471, précise-t-il, la loi de Voléron transféra l'élection des tribuns de la plèbe, des comices curiates aux comices par tribus : IX, 41, 2 ; R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381, pense ces informations inacceptables, étant donné le « caractère révolutionnaire » (« revolutionary character ») des tribuns de la plèbe : mais un tel caractère n'est-il pas un présupposé de l'auteur, que démentent formellement les informations des Anciens ?

31. M. Torelli, Rome et llitrurie..., p. 271.

32. A. Magdelain, Recherches sur /'« Imperium » : la loi curiate et les auspices d'investiture, Paris, 1968, p. 34.

33. A. Magdelain, Recherches sur V« imperium »... : même quand les comices curiates n'auront plus qu'une valeur formelle, leur vote de la lex de imperio restera indispensable à l'investiture des magistrats, tant inférieurs que majeurs (cf. en particulier pp. 12-15) ; pour l'importance des comices curiates, cf. encore J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 216-219 ; pour un rappel des discussions récentes sur la loi curiate, et la bibliographie : E. Ermon, « La place de la loi curiate dans l'histoire constitutionnelle de la fin de la République romaine », Ktéma, 7,1982, pp. 297-307.

34. Sur les compétences du pontifex maximus - et en particulier sur la présidence des comices curiates - cf. Szemler, in RE, Suppl. XV, s.v. Pontifex, 354-364 (avec les sources et la bibliographie) ; pour les élections de 449 av. J.-C, tenues sous la présidence du pontifex Maximus : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 298-299, et infra.

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Les tribus à noms gentilices 139

Mais dans l'assemblée curiate siégeaient aussi les clients, ainsi que les patrons des génies ; et si, en 493, l'acte de création du tribunat de la plèbe avait interdit l'élection des patriciens à cette charge, on ne voit pas qu'il les ait exclus des procédures de vote, non plus que leurs clients, pas plus d'ailleurs qu'il n'avait frappé ces derniers d'incapacité à être élus35. Or, la domination politique que les patrons de génies pouvaient exercer sur l'assemblée paraît peu douteuse : des trente curies qui la composaient, sept - il est vrai, plus anciennes : elles sont dites curiae ueieres - portaient des noms de lieu ou de culte ; ce sont ces curies qui étaient, selon toute probabilité, héritières des institutions des premières communautés de villages, aux origines de la Ville ; mais les vingt-trois autres, les curies dites nouvelles, nouae, portaient des noms gentilices36 : indice sans équivoque du pouvoir de contrôle qu'y détenaient les patrons de génies, et qu'au Ve siècle les plus puissants d'entre eux - les patriciens - pourraient utiliser, s'assurant par là même la soumission de l'assemblée curiate tout entière37. Qu'ils aient réussi dans nombre de cas à imposer à l'assemblée curiate, en utilisant les suffrages de leurs clients, des tribuns de leur choix, ne peut guère être mis en doute. Il n'était d'ailleurs pas même besoin d'imposer tous les tribuns pour contrôler l'ensemble du collège : Y inier cessio d'un seul suffisait à paralyser toute initiative, comme l'avait montré un Appius Claudius à l'occasion d'un conflit fameux, en 480 av. J.-C38 :

« Il y en aurait toujours qui voudraient se ménager à la fois un succès aux dépens d'un collègue et la faveur de l'aristocratie en sauvant l'État. Plusieurs tribuns, s'il en fallait plusieurs, seraient prêts à aider les consuls : un seul,

35. Tite-Live, II, 33,1 : Agi deinde de concordia coeptum, concessumque in condiciones ut plebi sui magistrates essent sacrosanti quibus auxilii latio aduersus consules esset, neue cui pa-trum capere eum magistratum liceret : « On se mit alors à traiter de la réconciliation et Ton consentit à accorder à la plèbe des magistrats spéciaux et inviolables, chargés de prendre sa défense contre les consuls, et à exclure tout patricien de cette fonction » (éd. et trad. CUF).

36. Festus, p. 180 L, s.v. Nouae curiae ; sur cela, cf. M. Torelli, Rome et lTtrurie..., pp. 270-272.

37. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 271.

38. Tite-Live, II, 44, 3-6 : « Neque enim unquam defuturum qui et ex collega uictoriam sibi et gratiam melioris partis bono publico uelit quaesitam ; et plures, si pluribus opus sit, tribunos ad auxilium consulum paratosfore, et unum uel aduersus omnes satis esse. Darent modo et consules et primores patrum operam ut, si minus omnes, aliquos tarnen ex tribunis rei publicae ac senatui conciliarent ». Praeceptis Appi moniti patres et uniuersi comiter ac benigne tribunos appellare, et consulares, ut cuique eorum priuatim aliquid iuris aduersus singulos erat, partim gratia, partim auctoritate obtinere ut tribuniciae potestatis uires salubres uellent rei publicae esse ; quattuorque tribunorum aduersus unum moratorem publia commodi auxilio dilectum consules habent. (éd. et trad. CUF). (Pour obtenir la promulgation de la loi agraire, des tribuns de la plèbe s'étaient opposés à la levée militaire).

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d'ailleurs, suffisait à la rigueur contre tous. Les consuls et les principaux sénateurs n'avaient qu'à prendre soin de gagner, sinon tous les tribuns, du moins quelques-uns aux intérêts de l'État et du Sénat ».

La leçon avait été aussitôt suivie : « Dès ce moment » conclut Tite-Live, « les sénateurs, tous tant qu'ils sont, se montrent polis et bienveillants en abordant les tribuns ; les anciens consuls, usant de l'influence particulière qu'ils pouvaient avoir sur chacun d'eux, les amènent, soit par reconnaissance, soit par considération pour eux, à mettre les forces du tribunat au service de l'État et, soutenus par quatre tribuns au service de l'État contre un seul adversaire de l'intérêt général, les consuls font le recrutement ».

Quatre tribuns acquis aux patriciens sur les cinq qu'aurait comptés alors le collège : telle est, s'il faut en croire Tite-Live, la mesure de le domination patricienne en 480 av. J.-C.39, et, certainement, en bien d'autres occasions. On ne saurait donc s'étonner que Yintercessio tribunicienne ait pu jouer à plusieurs reprises pour la plus grande satisfaction des patriciens, dans les années qui suivent l'exécution de Spurius Cassius, bloquant sans coup férir les revendications « plébéiennes » de loi agraire : contrôle du collège tribunicien et contrôle des assemblées vont évidemment de pair. Cependant, dans les années qui précèdent la rogatio de Vo-leron Publilius, les luttes ont déjà pris un tour nouveau, et l'on est amené à penser que la lex Publilia n'innovait peut-être pas : elle a pu s'inspirer d'événements rapportés par Tite-Live comme par Denys d'Halicamasse pour les années 476/47540, événements que l'on peut, me semble-t-il, tenir pour des victoires « plébéiennes », et sur lesquels il convient de s'arrêter un instant41.

39. Le nombre de cinq tribuns, à ce moment, est cependant sujet à caution, et contredit par Tite-Live lui-même cf. Tite-Live, II, 58 : il n'y aurait eu d'abord que deux tribuns, et le nombre de quatre, ou de cinq, n'aurait été atteint qu'en 471, pour passer enfin à dix en 449 ; cf. encore Tite-Live, E, 33, qui souligne les hésitations des sources, lorsqu'il mentionne la création en 493 des premiers tribuns de la plèbe. Reste, pour 480, l'impression d'une domination incontestable des patriciens sur le collège des tribuns, même si la mesure donnée - quatre tribuns sur cinq dans leur obédience - ne doit pas être prise à la lettre.

40. Tite-Live, E, 52 ; Denys d'Halicamasse, IX, 27-33 ; c'est pour Coriolan, en 491 av. J.-C, qu'aurait été instruit contre un patricien le premier procès devant une assemblée populaire, si l'on suit Denys d'Halicamasse, VE, 5, 3 ; 26 ; 38 ; 39 ; 58 ; le procès aurait été conduit devant l'assemblée centuriate, après que le Sénat en eut donné l'autorisation ; par la suite, le Sénat aurait concédé le transfert de ce type de procès à l'assemblée tribute : Denys d'Halicamasse, VE, 59 ; 60,1 ; c'est devant cette assemblée qu'est instruit le procès, en 476, de Menenius et de Servilius, et à cette occasion, Denys d'Halicar-nasse rappelle l'évolution de la procédure.

41. L'historicité de tels procès a été discutée par R. M. Ogilvie, A Commentary... : l'auteur les tient pour inauthentiques, parce que les tribuns de la plèbe n'ont de juridiction que sur la plèbe ; mais pour la même raison, il est conduit à rejeter l'idée que les tribuns de

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Les tribus à noms gentilices ^41

Tribus et vie politique

En 476 en effet, Titus Menenius, ancien consul, est assigné en justice devant l'assemblée de la plèbe par deux tribuns de la plèbe, Quin-tus Considius et Titus Genucius, et condamné ; en 475, c'est le tour de Spurius Servilius, son collègue au consulat, que traduisent devant l'assemblée les tribuns de la plèbe Lucius Caedicius et Titus Statius. La conduite des opérations militaires par les deux hommes, lors de leur consulat en 477, est la raison avouée des deux procès ; mais Tite-Live comme Denys d'Halicarnasse en soulignent une autre, plus déterminante : l'opposition des deux accusés à la loi agraire réclamée par la plèbe, et que soutiennent les tribuns accusateurs. Doit-on voir là -comme le suggère Denys d'Halicarnasse - les premiers procès instruits par les tribuns devant les assemblées de la plèbe, en application des lois sacrées de 493 ? Hs constituent en tout cas une affirmation nouvelle du pouvoir des tribuns, face aux patriciens, à n'en pas douter ; ils révèlent en même temps le processus d'institutionnalisation des assemblées de la plèbe - définie, fondamentalement, comme l'ensemble de ceux qui gen-tem non habent42 - : le déroulement des événements, tel qu'on peut le percevoir par les informations complémentaires de Tite-Live et de Denys d'Halicarnasse, doit donner à réfléchir. Dans de tels procès en effet, où les accusés sont patrons de gentes, le « code » de la clientèle43 doit exclure la libre participation des clients44 : seuls les plébéiens stricto sensu - qui

la plèbe aient jamais pu être élus par les comices curiates, puisque dans ces assemblées se trouvaient réunis le peuple des gentes aussi bien que la plèbe ; et donc la lex Publilia n'a fait que légitimer des concilia plebis dont il faut bien postuler l'existence préalable - une existence qui aurait été seulement tolérée, jusqu'en 471 - pour qu'aient pu être élus des tribuns de la plèbe depuis leur création en 493 : p. 381.

42. Tite-Live, X, 8, 9 ; sur ce point, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 196-197 ; M. Torelli, Rome et l'Étrurie, pp. 274-275.

43. Denys d'Halicarnasse, H, 10,1-4, expose : « Pour les patrons comme pour les clients, il était impie et illégal de s'accuser les uns les autres dans les procès, ou de porter témoignage ou de voter les uns contre les autres, ou de figurer au nombre des ennemis de chacun ; et quiconque était convaincu de s'être rendu coupable de l'une ou l'autre de ces choses, était reconnu coupable de trahison, en vertu de la loi établie par Romulus, et pouvait être mis à mort par quiconque le désirait, en tant que victime consacrée à Jupiter des régions infernales. » (Traduction J. Harmand).

44. À moins de supposer déjà, comme ce sera vraisemblablement le cas quelques années plus tard, l'utilisation de leurs clients par certains patrons de gentes - alliés à la plèbe -contre d'autres. Pour des informations sur le « code de la clientèle » à l'époque archaïque - tel du moins que le souvenir s'en était gardé à la fin de la République : et surtout Denys d'Halicarnasse, II, 10, 1-4., et l'analyse in J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 106-108 ; contra : J. Poucet, Les origines de Rome. Tradition et histoire, Bruxelles 1985., p. 104, n. 99, qui rejette cette ana-

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gentem non habent - sont 'à même de voter une condamnation de cette sorte, sur proposition des tribuns. Et de fait, Tite-Live, tout au long de son récit, désigne l'assemblée par le mot plebs ; quant à Denys d'Halicar-nasse, s'il utilise le mot demos, de signification très large, il précise que les votes, pour les deux procès, ont eu lieu « par tribus »45 : ce qui pourrait être une autre façon d'exprimer l'absence des clients, ou leur abstention, et de désigner la plèbe seule.

Il y a là, me semble-t-il, des indices assez clairs et d'une indépendance des tribuns accusateurs, et de la réaffirmation politique de la plèbe à ce moment : la constitution de l'assemblée, qui parvenait à imposer ses conclusions lorsqu'elle excluait les clients, au moins pour une part, montrait la voie à suivre pour assurer de façon durable les positions « plébéiennes »46, et dans tous les cas, c'était le recours à l'assemblée tribute.

Les patriciens ont-ils compris que leur contrôle devenait moins efficace ? On assiste en tout cas à un net durcissement de leur attitude, et en 473 av. J.-C, ils recourent à l'assassinat politique. En cette année comme presque chaque année depuis la mort de Spurius Cassius, les tribuns de la plèbe parlent de loi agraire ; mais en outre l'un d'eux, Cneus Genucius, traîne en justice les consuls Lucius Furius et Caius Manlius à leur sortie de charge : cette fois, ouvertement, c'est pour leur opposition à la loi47.

lyse - aussi bien d'ailleurs que la pertinence du texte de Denys d'Halicamasse - pour une argumentation qui ne s'y trouve pas ; cf. Aussi supra, chap. I.

45. Denys d'Halicamasse, IX, 27, 2 ; 33, 3:

46. Tite-Live est beaucoup moins précis que Denys d'Halicarnasse. En 491 (Tite-Live, II, 35), il décrit une assemblée comprenant aussi bien la plèbe (coorta plebs) et ses tribuns, que les patrons et leurs clients : pour sauver Marcius Coriolan, dit-il, les patres commencèrent par essayer de leurs clients, les chargeant de prendre à part les gens et de les amener à déserter les ligues et les réunions pour essayer de les désorganiser » : ac primo temptata res est si dispositis clientibus absterrendo singubs a coitionibus conciliisque disicere rem possent (Texte et trad. CUF). En faveur de Menenius, le Sénat, dit encore Tite-Live (Tite-Live, H, 52, 4) « fit pour lui les mêmes efforts que pour Coriolan [...]» mais l'autre accusé, Spurius Seruilius, « ne comptait pas, comme Menenius, sur ses sollicitations personnelles et sur celles du Sénat, mais se fiait entièrement à son innocence et à sa popularité, pour affronter les attaques des tribuns [...] Il s'attaqua hardiment dans sa réplique non seulement aux tribuns, mais à la plèbe [...] » (Trad. CUF). Si donc les clients interviennent, c'est toujours en faveur des accusés - mais on ne voit pas clairement s'ils font partie de l'assemblée, ou s'ils agissent seulement en tant que témoins à décharge (conformément, on le soulignera au passage, aux obligations que leur faisait en ce sens le code de la clientèle). Ce n'est qu'avec la rogatio Publilia, en 471, qu'apparaît clairement dans le récit livien l'organisation tribute, d'où les clients des gentes sont exclus.

47. Tite-Live, E, 54, 2 : Agrariae legis tribuniciis stimulis plebs fur ébat. Consules, nihil Meneni damnatione, nihil periculo deterriti Seruili, summa ui resistunt. Abeuntes magistratu

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Or, le jour du jugement, Cneus Genucius est trouvé mort chez lui. Selon Tite-Live, la joie éclatante des patriciens ne laisse aucun doute sur les responsables d'un assassinat clairement prémédité, tandis que les Patres (pour prévenir une insurrection de la plèbe ?) décrètent une levée militaire48. On voit alors un ancien centurion, Voleron Publilius, s'insurger ; tandis que les licteurs s'emparent de lui, il fait appel aux tribuns ; ceux-ci, terrorisés, n'osent pas même exercer leur devoir d'auxilium, et Voleron en appelle au peuple49 ; le silence même des tribuns déclenche alors une émeute, qui paraît vite incontrôlable : « La foule (concitati homines) se soulève et s'arme comme pour le combat ; il semblait qu'il fallait s'attendre à tout ; nul droit public ou privé ne serait respecté »50. L'émeute, pourtant, s'apaise. Mais aux élections tribuniciennes qui suivent, Voleron Publilius, « entouré de l'affection de la plèbe » dit Tite-Live, est élu : c'est tout aussitôt pour proposer la loi que l'on sait51, qui devait transfé-

Cn. Genucius tribunus pleins arripuit : « Les tribuns usaient de la loi agraire pour fouetter les passions de la plèbe. Les consuls, sans se laisser influencer soit par la condamnation de Menenius, soit par le procès de Seruilius, résistent avec la plus grande violence. À leur sortie de charge, Cneus Genucius, tribun de la plèbe, les traîna en justice ». (N.B. : les traductions, dans l'édition CUF de plebs par « peuple », et de summa ui par « vigoureuse opposition », me semblent dénaturer le texte).

48. Tite-Live, II, 54, 9-10 : Tandem qui obuersati uestibulo tribuni fuerant nuntiant domi mor-tuum esse inuentum. Quod ubi in totam contionem pertulit rumor, sicut acies funditur duce occiso, ita dilapsi passim alii alio. Praecipuus pauor tribunos inuaserat, quam nihil auxilii sacratae leges haberent morte collègue monitos. Nee patres satis moderate ferre laetitiam, adeoque neminem noxiae paenitebat ut etiam insontes fecisse uideri uellent, palamque ferretur « malo domandam tribuniciam potestatem » : « Enfin tous ceux qui avaient attendu le tribun à sa porte viennent annoncer qu'on l'a trouvé mort chez lui. Dès que ce bruit se fut répandu dans toute l'assemblée, comme une armée qui se disloque après la mort de son général, elle se dispersa de côté et d'autre. Les tribuns surtout étaient saisis de frayeur, car la mort de leur collègue prouvaient que les lois sacrées ne leur étaient d'aucun secours. De leur côté, les patriciens ne savaient pas modérer leur joie : ils avaient si peu de remords de leur crime, que les innocents eux-mêmes affectaient d'y avoir trempé, et qu'on préconisait bien haut la violence pour mater le tribunat ». (éd. et trad. CUF). Pour Denys d'Halicamasse, IX, 38, 2, cependant, Cneus Genucius était mort de mort naturelle ; mais l'arrogance des patriciens, dès le lendemain, et leur décision de procéder aussitôt à une levée militaire, allaient provoquer l'insurrection, soutenue même par les tribuns les plus accommodants : Denys d'Halicamasse, DC, 38, 3 ; 39.

49. Tite-Live, n, 55,4-11.

50. Tite-Live, n, 55, 8 : Concitati homines ueluti ad proelium se expediunt ; apparebatque omne discrimen adesse, nihil cuiquam sanctum, non publicifore, non priuati iuris, (éd. et trad. CUF).

51. Tite-Live, n, 56-58 : cf. supra, n. 81 et 82.

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rer aux tribus l'élection des tribuns de la plèbe, jusque là dévolue à l'assemblée curiate52.

Le but de la loi était, à l'évidence me semble-t-il, de briser le contrôle des patriciens sur les organisations que la plèbe tentait de se donner : en permettant la nomination de tribuns de la plèbe libres des liens de clientèle ou de toute autre sujétion, elle tendait à assurer au pouvoir tribuni-cien son autonomie à l'égard des patriciens ; on pouvait penser qu'une assemblée électorale excluant clients et patrons aurait durablement l'indépendance nécessaire, et ce ne pouvait être à ce moment que l'assemblée tribute.

Si cette interprétation est exacte, la riposte, non sans doute la seule53, mais une des plus évidentes et efficaces qui pouvaient être opposées à la lex Publilia, devait être la création de tribus sur les domaines gentilices : faisant entrer les clients des gentes dans l'assemblée tribute, elle permettrait à leurs patrons de restaurer la position de force qu'ils avaient eue naguère - grâce à leur ascendant sur l'assemblée curiate - sur les élections des « magistrats de la plèbe ». De cette création de tribus sur les territoires contrôlés par les gentes, cependant, la tradition n'a gardé aucun souvenir ; mais sauf pour les quatre tribus urbaines de Seruius Tullius, elle n'avait pas gardé beaucoup mieux celui des autres créations. De plus, dans le cas présent, est-ce si étonnant ? Jusqu'à la publication de la loi des Xu Tables, en 451/450, le droit est resté secret, gardé jalousement par les détenteurs du pouvoir, et ce n'est qu'en 448 qu'a été établi l'usage de déposer certains décrets du Sénat au temple de Cérès, à la garde des édiles de la plèbe : car jusque là, dit Tite-Live sans ambages, « les consuls avaient toute latitude pour les supprimer ou les altérer »54. Encore ne s'agit-il pas là de tous les décrets du Sénat, mais seulement de ceux qui donnent force de loi aux plébiscites ; même après la publication de la loi des Xu Tables, le droit restera pour une large part soustrait à la connaissance du commun, jalousement conservé dans le secret des archives pontificales : j'aurai à revenir sur ce problème55.

Que ce soit prudence, manœuvre politique, ou pour toute autre raison, les patriciens ont dû garder par devers eux des mesures qui intéressaient les gentes : ils avaient toute latitude pour le faire ; seule la présence

52. Denys d'Halicarnasse, DC, 42-49 ; Tite-Live, quant à lui, ne spécifie pas le mode d'élection des tribuns de la plèbe avant la promulgation de la loi de Voleron Publilius.

53. Cf. infra, pour les ripostes patriciennes dans le domaine du droit et de la religion.

54. Tite-Live, DT, 55,13 ; Denys d'Halicarnasse, X, 1-4. Pour le secret du droit, privilège des patriciens : M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l'antiquité, Paris 1984, pp. 212-213.

55. Cf. infra, chap. Vm.

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des clients dans les assemblées tributes pourrait manifester qu'ils relevaient eux aussi de tribus - et que s'y trouvait instaurée, par là même, la domination des chefs de gentes. Par conséquent la date de 471 av. J.-C. -si du moins Ton admet l'authenticité des événements décrits par Tite-Live comme par Denys d'Halicarnasse pour les années 473/471 -doit constituer un terminus post quem pour la création des tribus à noms gentilices. Doit-on croire cette création très postérieure ? La présence des clients dans les assemblées tributes constituerait un indice assez clair, mais Tite-Live ou Denys d'Halicarnasse donnent rarement des indications sur la composition des assemblées. La plus ancienne que Tite-Live décrive, pour laquelle la participation des clients paraît certaine, se tient en 392, après la prise de Véies56 ; l'exposé de Tite-Live, toutefois, donne l'impression que cette participation fait alors partie du fonctionnement normal de l'assemblée, et qu'elle doit déjà être ancienne.

Cependant un certain nombre d'indices - tels que le rétablissement du contrôle politique des patriciens sur le tribunat de la plèbe, ou encore l'accroissement des compétences de l'assemblée tribute - devraient permettre d'avancer une date plus précise.

LA CRÉATION DES TRIBUS À NOMS GENTILICES : LES DONNÉES DE LA TRADITION ANNALISTIQUE

Les conséquences de la lex Publilia

Le temps de l'indépendance des comices tributes

Avec la promulgation de la lex Publilia, les compétences de l'assemblée tribute s'étaient donc élargies, ajoutant l'élection des tribuns de la plèbe au jugement des accusés, même patriciens, que les tribuns pouvaient traduire devant elle en vertu de leur pouvoir de coercition57. De telles conquêtes plébéiennes étaient loin, cependant, de donner à la plèbe toutes les garanties qu'elle en attendait : Tite-Live comme Denys d'Hali-

56. Tite-Live, V, 30 : cf. infra.

57. Tite-Live, on Ta vu, donne des exemples non équivoques de condamnations de patriciens votées par l'assemblée tribute, et en DT, 9, 9, il évoque nettement la réalité de cette juridiction plébéienne ; plus précis encore, Denys d'Halicarnasse, expose expressément le transfert de compétence, qui serait passée, pour cette sorte d'affaires, de l'assemblée centuriate à l'assemblée tribute : Denys d'Halicarnasse, Vu, 38,58 ; 58, 60, 1 ; IX, 46, 4. Sur la compétence des assemblées, cf. M. Humbert, Institutions..., p. 208 ; R. M. Ogilvie, A Commentary..., pp. 323-326, voit dans ces données le résultat d'une ré-élaboration tardive et d'une modernisation.

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carnasse donnent maints exemples de l'arbitraire des consuls patriciens, qu'ils expliquent par le caractère sacré et secret du droit, dont les patriciens sont seuls détenteurs58 : il conviendra de revenir sur les aspects religieux de ces conflits, qui devaient laisser un bel héritage, pour les siècles suivants. Je retiendrai simplement ici une première leçon des textes de la tradition : ils montrent clairement que contre les assemblées tributes, les patriciens n'étaient pas sans recours. Ainsi, dans les années qui suivent la promulgation de la lex Publilia, ils réussissent, par l'obstruction et par la violence, à bloquer les débats des assemblées et à réduire à néant toutes les initiatives tribuniciennes : l'indépendance des assemblées de la plèbe pour l'élection de leurs tribuns ne suffisait pas, à l'évidence, à assurer une « égalité des droits » dont l'absence était de plus en plus impatiemment ressentie. En 462 enfin, le tribun de la plèbe Caius Terentilius Harsa fit part à l'assemblée du projet de loi qu'il entendait déposer :

« Pour mettre un terme à l'arbitraire (des consuls), il allait proposer une loi instituant une commission de cinq membres chargés de réglementer le pouvoir consulaire. Le peuple fixerait les droits du consul sur lui-même, le consul se bornerait à en user, au lieu de n'avoir pour loi que son bon plaisir et sa fantaisie [...] »59.

Le projet rencontra aussitôt l'opposition des patriciens, qui allaient réussir pendant plusieurs mois, par des manœuvres de toutes sortes alliées à la violence, à paralyser les assemblées60.

Plus attentif que Tite-Live au processus institutionnel61, Denys d'Ha-licarnasse62 prête aux patriciens, dès les premiers affrontements, un dis-

58. Par exemple Tite-Live, III, 9,4 ; Denys d'Halicarnasse, X, 2,1 etc.

59. Tite-Live, HI, 9, 5 '.Quae ne aeterna Ulis licentia sit, legem se promulgaturum ut quinque uiri creentur legibus de imperio consulari scribendis ; quod populus in se ius dederit, eo consulem usurum, non ipsos libidinem ac licentiam suam pro lege habituros (éd. et trad. CUF) ; Denys d'Halicarnasse, X, 3, 4, donne à la rogatio Terentilia un contenu beaucoup plus proche de la loi de constitution du décemvirat législatif. Par quelle assemblée Caius. Terentilius Harsa voulait-il faire promulguer sa loi ? Tite-Live évoque des dies comitiales, des décisions du populus, ou encore la plèbe assemblée ; or on peut douter que les assemblées « plébéiennes » - les concilia plebis - puissent être qualifiées de comitia, et la plèbe n'est pas le populus ; d'autre part, les comices centuriates ont-elles à cette date - avant la loi des XU Tables, qui les mentionne - une existence et une compétence légales ? On remarquera, en tout cas, que si la rogatio Terentilia trouve son aboutissement dans l'élaboration et la publication de la loi des XU Tables, celle-ci a été soumise au vote des comices centuriates, qui comprend certainement tout le populus. Sur ces problèmes : J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 313-314 ; sur les notions de populus, Quirites, plebs : F. De Martino, Storia economica..., pp. 218-219.

60. Tite-Live, HI, 9-14 ; Denys d'Halicarnasse, X, 1-8.

61. Sur l'importance des informations données par Denys d'Halicamasse sur la situation prédecemvirale du droit : F. D'Ippolito, Giuristi e sapienti in Roma arcaica, Bari 1986,

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cours juridique du plus haut intérêt. On ne peut, disent-ils, reconnaître aux tribuns de la plèbe le droit de proposer des lois, depuis qu'ils sont élus non plus par l'assemblée curiate, mais par l'assemblée tribute ; car de ce fait, non seulement ils ont perdu la caution légale et religieuse qu'assurent l'autorisation préalable du Sénat et le vote de l'assemblée curiate, mais en outre, n'étant plus élus que par une partie du peuple, ils ne sauraient parler pour le peuple tout entier, et les lois concernent le peuple tout entier. Si cependant l'assemblée tribute ne réunit qu'une partie du peuple, n'est-ce donc pas parce qu'à ce moment encore, les clients des génies ne sont pas inscrits dans les tribus63 ?

La présentation des faits par Tite-Live confirme pleinement cette interprétation. Pour empêcher la tenue de l'assemblée de la plèbe et les débats sur le projet de loi, les patriciens recourent à l'obstruction violente alliée à la manœuvre. Tite-Live les décrit présents sur le lieu d'une assemblée où ils n'ont que faire,

« rangés et tout prêts, eux et rimmense armée de leurs clients ; ils saisirent le premier prétexte, l'ordre de circuler, pour tomber sur les tribuns avec tant d'ensemble qu'aucun d'eux n'était particulièrement glorieux ou détesté en rentrant chez eux [...]. Mais entre temps, les jours où il n'était pas question de la loi, il n'y avait pas plus calme et plus tranquille qu'eux : ils saluaient amicalement les plébéiens, les abordaient, les invitaient chez eux, s'occupaient de leurs affaires au forum, laissaient même les tribuns tenir toute autre assemblée, sans la troubler [...]. Ils laissèrent les tribuns en toute tranquillité exercer toutes leurs fonctions, et même se faire réélire pour l'année suivante, sans un mot blessant, à plus forte raison sans la moindre violence. Peu à peu, à force de la bien traiter, ils avaient apprivoisé la plèbe. En manœuvrant ainsi toute l'année, ils éludèrent le projet de loi »64.

pp. 57-58; pour d'autres analyses cependant: G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 135-171 (en particulier p. 164), et p. 177 ; sur les manœuvres d'obstruction patriciennes dans les récits de Tite-Live, cf. aussi infra, chap. IV.

62. Denys d'Halicarnasse, X, 4; G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 187 remarque l'aspect simplificateur de l'exposé de Denys d'Halicarnasse, qui fait dériver directement l'institution du décemvirat législatif de la rogatio Terentilia ; mais l'observation n'enlève rien de l'intérêt du discours patricien, tel que le présente Denys d'Halicarnasse.

63. Les patrons des gentes, qui avaient leur résidence dans la ville, ont pu être inscrits dans les tribus urbaines - celles de leurs domiciles - dès les premiers temps ; mais en l'absence de leurs clients, leur petit nombre leur interdisait tout espoir de dicter leur volonté à l'assemblée tribute.

64. Tite-Live, m, 14, 4-6 : Instructi paratique cum ingenti clientium exercitu sic tribunos, ubi primum summonentes praebuere causant, adorti sunt ut nemo unus inde praecipuum quic-quam gloriae domum inuidiaeue ferret [...] Mediis diebus quibus tribuni de lege non agerent, nihil eisdem Ulis placidius aut quietus erat : benigne salutare, adloqui plebis homines, domum inuitare, adesse in foro, tribunos ipsos cetera pati sine interpellation concilia habere ; nun-quam ulli neque publico neque priuatim truces esse, nisi cum de lege agi coeptum esset [...]

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Il y a tout lieu de penser que depuis 471, les patriciens, assistés de leurs clients, paralysaient de la sorte à leur gré les assemblées tributes, et que la rogatio Terentilia avait, entre autres desseins, celui de faire obstacle à de telles pratiques. Mais de tels recours ne pouvaient être à la fin qu'occasionnels, et leurs résultats tout provisoires : d'année en année, la rogatio est reprise par l'un ou l'autre des tribuns, et les manœuvres d'obstruction, les violences patriciennes, échouent à briser les organisations « plébéiennes ». Une fois encore, un jeune patricien, Caeso Quinc-tius, est traduit devant l'assemblée de la plèbe pour y répondre de ses violences, et contraint à l'exil ; la tradition décrit son père, qui n'est autre que le grand Cincinnatus, ruiné par l'amende qu'il a dû acquitter pour lui, vivant solitaire, retiré sur les quatre jugères de terre qui lui restent dans Vager Vaticanus65.

La rogatio Terentilia de 462 av. J.-C. n'était que la première forme d'un projet qui devait aboutir onze ans plus tard, très amplifié, avec la constitution en 451 d'un décemvirat législatif, renouvelé en 450, et la publication de la loi des XII Tables66.

Indépendance des tribuns de la plèbe, et accès de plébéiens aux plus hautes magistratures

Pendant les vingt années qui suivent la promulgation de la lex Publi-lia, les organisations de la plèbe rencontrent donc des difficultés évidentes à s'imposer. Cependant la période semble caractérisée aussi par une relative indépendance des tribuns de la plèbe : c'est par la violence, et non plus par le consensus politique de l'assemblée et de ses tribuns, que le patriciat garde une position de force. Et sa domination n'est plus aussi exclusive : pendant ce même temps, l'élite plébéienne retrouve à la direction politique de l'État une place non négligeable, comparable à celle qu'elle avait occupée aux premiers temps de la République ; ainsi,

Nec cetera modo tribuni tranquillo peregere, sed refecti quoque in insequentem annum, ne uoce quidem incommoda, nedum ut ulla uisfieret. Paulatim permulcendo tractandoque man-suefecerant plebem. His per totum annum artibus lex elusa est. (éd. et trad. CUF)-

65. Tite-Live, EU, 11-13. Mais que signifie à ce moment, pour un patricien, l'exploitation, apparemment à titre personnel, de quatre jugères de terres ? Les clients n'ont-ils pas eu leur part, comme le voulaient les règles de la clientèle, dans le paiement de l'amende infligée ? Dans quelle mesure la gens - et donc son patron - a-t-elle vu sa puissance diminuée ? Le rôle que Cincinnatus sera appelé à jouer dans les années suivantes invite peut-être à ne pas prendre trop à la lettre un récit tout destiné à l'édification du lecteur.

66. Tite-Live, m, 32-34 ; Denys d'Halicarnasse, X, 55.

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entre 504 et 486, elle avait détenu un cinquième des consulats ; entre 470 et 451/ à nouveau un cinquième des noms conservés dans les Fastes consulaires sont plébéiens67 ; si le premier collège decern viral, en 451, ne compte qu'un « plébéien », le second en compte cinq, selon de grandes probabilités ; et l'on s'accorde à reconnaître dans l'œuvre législative de ces deux collèges, pour une part au moins, le résultat d'une victoire du « peuple » et, singulièrement, de la plèbe68.

Il est très difficile - peut-être impossible - de voir dans quelle mesure l'indépendance du collège tribunicien et de l'organisation de la plèbe dans ses assemblées tributes a joué un rôle dans ce regain d'influence politique de l'élite plébéienne, perceptible jusque dans l'élection des consuls. La promulgation de la loi de Voleron Publilius ne suppose-t-elle pas, déjà, une meilleure position de la plèbe ? Il convient sans doute de penser à la dialectique d'une conjoncture économique et politique plus favorable à ce moment, et d'une organisation plébéienne capable de mieux s'imposer pour durer ; de penser aussi - et surtout peut-être - à la force qu'a pu retrouver l'élite plébéienne pour nouer à nouveau, de ce fait- comme pendant les deux premières décennies de la République -des alliances avec certains patriciens69. Or, la chute du second collège dé-cemviral, en 449 av. J.-C, révèle peut-être déjà la fragilité des positions acquises70. En tout cas, dans les dix années qui suivent la chute du second collège décemviral, on assiste à un véritable renversement de la situation : tout indique que les patriciens ont alors repris le contrôle des assemblées, et pour longtemps. H faut ici revenir sur la signification politique de la 'restauration' des institutions républicaines, en 449 av. J.-C, et singulièrement sur la refondation du tribunat de la plèbe.

67. Infra, chapitre IV, avec la bibliographie.

68. Cf. maintenant, pour la signification politique du décemvirat législatif et l'authenticité des deux collèges de 451 et de 450, G. Poma, Tra legislatori e tiranni (dont j'adopte ici les conclusions), avec l'exposé des hypothèses jusque là proposées et la bibliographie ; pour la signification de la loi des XH Tables, en dernier lieu M. Humbert, La crise politique du Ve siècle à Rome et la législation décemvirale, in -/Crise et transformations des sociétés archaïques de l'Italie antique, (Table ronde organisée par l'École française de Rome et l'Unité de recherches étrusco-italiques associée au CNRS), Rome, 19-21 nov. 1987 (à paraître).

69. Infra.

70. Sur la signification du second collège décemviral : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., particulièrement pp. 295-320.

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La « restauration » de 449 av. J.-C.

Une nouvelle définition de la plèbe

La plèbe a certainement reçu, dans les assemblées tributes, une définition nouvelle : elle comprend maintenant tout le peuple romain - à l'exclusion, cela va sans dire, des patriciens : mais ces derniers ne sont-ils pas moins « hors » de ce peuple, qu'au-dessus de lui ? À l'ancienne plèbe, composée de ceux qui gentem non habent, s'agrègent maintenant les clients, au sein des assemblées : l'antinomie plébéiens/patriciens71 est politiquement fondée, et remplace l'ancienne opposition plebs/gentes. En ce sens, une re-fondation du tribunat de la plèbe est devenue à la fois possible et nécessaire : Or, comme en 493, les élections pour le premier collège tribunicien rénové - des élections auxquelles participe le Peuple romain tout entier - sont placées sous la présidence du pontifex maximus : ne reconnaîtra-t-on pas, là encore, un indice de la reprise en mains des élections tribuniciennes par les patriciens ?

Le renouveau du contrôle patricien sur le tribunat de la plèbe

D'abord, aux élections tribuniciennes de 448 av. J.-C, sont ouvertement tournées les règles qui pouvaient préserver l'indépendance du collège des tribuns : on y applique un système de cooptation, mis en vigueur - ou peut-être renouvelé72 - par la loi qui, en 449, avait rétabli le tribunat de la plèbe après l'intermède du décemvirat législatif. Si l'on en croit Tite-Live, le texte de la loi prévoyait : « On fera nommer dix tribuns de la plèbe ; si, au jour dit, moins de dix tribuns de la plèbe sont élus, ils se choisiront des collègues qui seront légalement tribuns de la plèbe au même titre que ceux qui auront été élus tribuns le dit jour »73. Or, en 448, pour couper court aux tentatives de certains tribuns sortants pour se faire réélire, le tribun Marcus Duillius, qui présidait les élections, leva l'assemblée alors que cinq tribuns seulement avaient été élus, laissant à

71. Sur ce problème, cf. infra.

72. Tite-Live, H, 33, 3, parle pour 493 de l'élection de deux tribuns de la plèbe, qui se seraient donné trois collègues ; mais il ajoute : « Selon quelques uns même, on n'aurait créé que deux tribuns de la plèbe ».

73. Tite-Live. HI, 64, 9 : Si tribunos plebei decern rogabo, si qui uos minus hodie decern tribunos plebei faceritis, tum ut ii quos hi sibi collegas cooptassint legitimi eadem lege tribuni plebei sint ut Uli quos hodie tribunos plebei feceritis. (éd. et trad. CUF).

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ces derniers le soin de se choisir des collègues74. Le résultat fut sans ambiguïté : « Les nouveaux tribuns de la plèbe choisirent leurs collègues de manière à flatter les désirs des patriciens : ils allèrent jusqu'à désigner deux patriciens anciens consuls [...] »75.

Il convient ici de s'interroger sur la portée réelle et la signification de cette cooptation tribunicienne : peut-elle véritablement suffire pour que s'établisse le contrôle des patriciens sur le collège des tribuns ? L'affaire, à vrai dire, apparaît des plus ambiguës ; le rôle du tribun Duillius, qui manœuvre l'assemblée, peut-on croire, pour la plus grande satisfaction des patriciens, la personnalité, aussi, des deux tribuns cooptés - deux consulaires « patriciens » si l'on en croit Tite-Live, mais que Denys d'Ha-licarnasse donne pour favorables à la plèbe76, en fait, plus vraisemblablement, deux hommes issus de l'élite plébéienne et parvenus au consulat pour 454 - : tout évoque, aussi bien qu'une domestication déjà accomplie, des alliances nouées entre des personnalités de l'élite plébéienne et certains patriciens, et des complaisances mutuelles. Alliances partielles cependant, fragiles, et bien près de la rupture : bientôt en effet l'on voit l'un des cinq tribuns élus, Lucius. Trebonius, accuser les patriciens « pour l'avoir, disait-il, dupé et fait trahir par ses collègues dans le choix par cooptation des tribuns [...] »77. Il pourrait bien y avoir là autre chose que la simple dénonciation d'alliances individuelles et de mauvais aloi, et tout porte à croire qu'à ce moment, les patriciens avaient dû re-

74. Faut-il voir dans cet épisode l'indice des alliances que pouvaient alors avoir nouées certaines personnalités marquantes de la plèbe avec des patriciens ? Une telle hypothèse a été proposée, pour interpréter la présence de plébéiens dans le second collège décemviral, par J. Bayet, Appendice à Tite-Live, III, p. 54, n. 3. Sans doute de telles alliances ont existé bien avant le milieu du Ve siècle : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., particulièrement pp. 281-295, qui évoque l'existence de factions nées d'antagonismes internes divisant le patriciat comme la plèbe.

75. Tite-Live, HE, 65,1 : Noui tribuni plebis in cooptandis collegis patrum uoluntatem fouerunt ; duos etiam patricios consular-esque, Sp. Tarpeium et A. Aternium, cooptauere. (éd. et trad. CUF) ; Denys d'Halicarnasse, X, 50 et 52.

76. Pour la critique de l'interprétation livienne de ces personnages : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 197 et n. 106. N'est-ce pas parce qu'ils sont plébéiens que ces deux consulaires ont pu être cooptés ? cf. infra.

77. Tite-Live, lu, 65, 3-4 : L. Trebonius tribunus plebis, infestus patribus quod se ab is in cooptandis tribunis fraude captum proditumque a collegis aiebat, rögationem tulit « ut qui plebem Romanam tribunos plebei rogaret, is usque eo rogaret dum decern tribunos plebei faceret » ; in-sectandisque patribus, unde Aspero etiam inditum est cognomen, tribunatum gessit : « L. Trebonius, tribun de la plèbe, qui en voulait aux patriciens pour l'avoir, disait-il, dupé et fait trahir par ses collègues dans le choix par cooptation des tribuns, déposa un projet de loi portant que "quiconque ferait élire des tribuns de la plèbe continuerait les opérations, jusqu'à l'élection de dix tribuns de la plèbe". Ses attaques contre le patriciat, qui lui valurent le surnom d'Asper, occupèrent tout son tribunat ».

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couvrer le contrôle des élections tribuniciennes, au moins en partie, grâce au vote de leurs clients.

Quoi qu'il en soit, Lucius Trebonius déposa un projet de loi interdisant la cooptation des tribuns de la plèbe, et employa toute l'année de son tribunat à la faire adopter : en vain78.

Le rétablissement du monopole patricien sur les hautes magistratures

Or, au cours des années suivantes, l'élite plébéienne peine à maintenir ses positions, et subit un grave recul aux élections consulaires. Certes, en 445, l'un des consuls, un Genucius, est plébéien ; mais le collège des tribuns militaires à pouvoirs consulaires79 élu l'année suivante, et qui comporte un plébéien, est dissous pour manquement aux rites lors des procédures électorales, et remplacé par deux consuls, tous deux patriciens80. Dans les années suivantes, aucun plébéien ne parvient à la magistrature suprême, et en 439, le renversement du rapport des forces et le rétablissement de la domination patricienne deviennent patents : cela non seulement pour les élections aux hautes magistratures, mais encore si l'on considère l'activité du collège des tribuns de la plèbe.

En cette année 439 en effet, qui voit se développer à Rome une grave famine, un riche particulier, Spurius Maelius, très populaire pour ses distributions de blé à la plèbe - Tite-Live souligne que de ce fait, il aurait pu obtenir le consulat, malgré l'opposition patricienne - est accusé d'aspirer à la royauté, et sommairement exécuté81. Par delà les invraisemblances du récit livien et ses anachronismes, peut-être est-il possible de discerner les éléments essentiels du conflit82.

78. Supra, n. 67.

79. À partir de cette année-là et jusqu'en 367 av. J.-C, le plus souvent, des tribuns militaires à pouvoirs consulaires remplacent les consuls : cf. tableaux I et n.

80. Sur le premier collège de tribuns militaires à pouvoir consulaire et les hésitations de la tradition : Tite-Live, IV, 7,10 et 23, 2. On remarquera au passage, dans les décennies qui suivent les années 450-444, les indices d'un approfondissement à Rome des difficultés économiques : d'une part on sait par Tite-Live le développement de famines, d'épidémies et de troubles intérieurs pour 442-440 (IV, 12-13), 437-433 (TV, 25, 2-5), 430-328 (IV, 30,7-11), 413-411 (IV, 52) ; d'autre part l'archéologie révèle pour la même période la cessation quasi totale des échanges avec l'extérieur : De Martino, Storia economica, p. 13. C'est aussi au cours de ces décennies que les plébéiens sont exclus des hautes magistratures sauf un tribunat militaire à pouvoir consulaire en 422 et un autre en 417.

81. Tite-Live, IV, 13-15.

82. Pour les invraisemblances du récit livien : J. Bayer, Appendice à Tite-Live, III b, p. 24, n.2.

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Spurius Maelius, candidat potentiel au consulat, était certainement plébéien83. Six ans plus tôt, en 445, un autre plébéien, Marcus Genucius Augurinus, avait accédé au consulat. Or, Tannée avait encore été marquée par deux graves reculs patriciens84 : d'abord la loi sur l'interdiction de mariage entre plébéiens et patriciens, acquise cinq ans plus tôt à peine, avait été annulée par la lex Canuleia, que le Sénat avait été contraint d'accepter ; ensuite avaient été créés les tribuns militaires à pouvoirs consulaires, qui pourraient être recrutés parmi les plébéiens aussi bien que parmi les patriciens, et il semble bien - en dépit de ce qu'assure Tite-Live - que l'un des trois tribuns militaires qui avaient été élus, Lucius Atilius Luscus, était plébéien. Mais l'élection avait pu être annulée trois mois plus tard, au profit de deux consuls patriciens85, et depuis, le monopole patricien sur le consulat ou sur le tribunat militaire à pouvoirs consulaires ne s'était pas démenti. Allait-on tolérer l'ascension politique et la rivalité d'un Spurius Maelius ? L'urgence d'une telle situation a dû inspirer au Sénat la nomination d'un dictateur capable d'imposer son autorité et d'empêcher la perpétuation d'un tel état de choses. Le consul alors en charge, Titus Quinctius Capitolinus, fit donc appel à Cincinnatus, alors âgé de quatre-vingts ans. Nomination fort symbolique : Cincinnatus n'était-il pas le père de Caeso Quinctius, condamné et contraint à l'exil en 462 pour ses violences contre la plèbe et son opposition à la rogatio Terentilia ?

Aussitôt Spurius Maelius fut dénoncé pour complot contre la sûreté de l'État, accusé d'aspirer à la royauté, et mis à mort avant même d'avoir comparu86. Les circonstances du procès, les éléments de l'accusation aussi, rappellent étrangement la condamnation de Spurius Cassius, auquel Spurius Maelius est expressément comparé par le dictateur87. Et comme l'exécution de Spurius Cassius, la mort de Spurius Maelius marque, à nouveau, l'éviction quasi totale de l'élite plébéienne des plus hautes magistratures - consulats ou tribunats militaires à pouvoirs

83. Tite-Live, IV, 13,1, le présente comme un homo priuatus, ex equestri ordine ; promis au consulat par la faveur de la plèbe - IV, 13, 3, - il lui faudrait pour obtenir cette magistrature vaincre l'opposition des Pères - IV, 13, 4 ; A. W. Lintott, The Tradition of Violence, pp. 13-16, voit dans cette affaire la transposition, à l'usage des optimates de la fin de la République, d'un crime politique. On peut cependant reconnaître en Sp. Maelius, me semble-t-il, par delà l'interprétation anachronique, très « fin de la République », du personnage par Tite-Live, un homme issu de l'élite plébéienne et engagé dans des luttes très caractéristiques du Ve siècle av. J.-C

84. Tite-Live, 4,1-6.

85. Tite-Live, IV, 7.

86. Tite-Live, IV, 13-14.

87. Tite-Live, IV, 15,4.

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consulaires - pour des décennies : à l'exception d'un tribun à pouvoir consulaire en 422 et un autre en 417, les plébéiens disparaissent des Fastes jusqu'en 40088.

Pendant le même temps, le collège tribunicien semble plus domestiqué que jamais. En 439, il paraît étrangement acquis aux patriciens puisque, s'il faut en croire Tite-Live, il n'y eut que trois tribuns pour déplorer « le meurtre révoltant de Maelius »89. Et dans les années suivantes, les patriciens n'ont aucune peine à trouver en son sein des hommes pour faire obstacle, par l'exercice de leur intercessio ou d'une autre manière, à toute initiative tribunicienne90. Une telle reprise de contrôle des patriciens sur les organisations de la plèbe invite à penser que les clients avaient dû prendre place dans l'assemblée tribute, aux côtés de leurs patrons, au plus tard dans les années 450-440 : ce qui suppose la création, sur les territoires contrôlés par les génies, des dix tribus qui avaient reçu, en bonne logique, les noms de dix d'entre elles. Le fonctionnement de l'assemblée tribute, tel que le décrit Tite-Live pour 392, lorsqu'est débattu le projet d'émigration à Véies, ne laisse aucun doute sur la participation, sans doute déjà ancienne à ce moment, des patrons des gen tes et de leurs clients91. Quels critères réglèrent le choix des dix génies épo-nymes ? Le silence de la tradition est, là encore, total.

Les Fastes peuvent-ils apporter quelque lumière ?

88. Tableau chapitre IV, et infra, chapitre IX.

89. Tite-Live, IV, 16,3.

90. En 431 av. J.-C, le Sénat, en conflit avec les consuls, obtient le concours des tribuns de la plèbe dans des circonstances des plus ambiguës : Tite-Live, IV, 26, 7-8 ; en 418-415, les patriciens bloquent un projet de loi agraire grâce à l'opposition de six tribuns de la plèbe : Tite-Live, IV, 47-48.

91. Tite-Live, V, 30.

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Les tribus à noms gentilices 155

Carte VIII - La localisation des dix-sept tribus rurales au milieu du V° siècle.

. . . . . . . limites de Pager Romanus antiquus

- - - - limites extérieures des territoires contrôlés par les gentes

pupiNiA tribu à toponyme

AEiiNJA tribu à nom de gens

STELLINA (387) tribu rurale à toponyme, créée à l'instigation de Camille (territoires récemment distribués uiritim)

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CHAPITRE IV

LES ENSEIGNEMENTS DES FASTES DU V* SIÈCLE

UN PROBLÈME DE LECTURE ?

L'état de la question

Pour dater la création des premières tribus rurales, L. R. Taylor1, A. Alföldi2, M. Humbert3 ont tous trois invoqué les Fastes consulaires des premiers temps de la République : la similitude des noms portés par dix des tribus, et par des consuls bien attestés par les Fastes, y invite expressément. Or, ces trois auteurs y ont trouvé des arguments en faveur de trois datations radicalement différentes : il y a là, à l'évidence, un problème de lecture des Fastes, qu'on ne saurait esquiver.

L'interprétation de L. R. Taylor

L. R. Taylor, comme tous les auteurs qui, avant elle, avaient traité de la question, tenait pour gentilices les noms de seize des dix-sept pre-

1- L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 6 et n. 13.

2. A. Alföldi, Early Rome..., pp. 307-316.

3- M. Humbert, Municipium..., pp. 74-75 et n. 80-81.

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mières tribus rurales (seule, la tribu Clustumina aurait reçu un topo-nyme) ; elle admettait d'autre part que ces tribus avaient dû être créées au moment où les gentes dont elles recevaient les noms étaient à l'apogée de leur puissance : dans cette perspective, les Fastes consulaires, en permettant ridentification des gentes prééminentes dans les premières décennies de la République, pouvaient être très riches d'enseignements. De façon quelque peu paradoxale, L. R. Taylor a cru y trouver la preuve de la datation non pas républicaine, mais royale, et plus précisément ser-vienne, de quinze de ces tribus : seules les tribus Claudia (à nom gentilice) et Clustumina (à nom topographique) auraient été instituées peu avant 493 av. J.-CA

Sa conviction était fondée sur deux arguments.

Sa fidélité déclarée aux informations que livre la tradition5 - et particulièrement aux enseignements de Tite-Live sur l'existence de vingt et une tribus en 4956 - lui faisait en effet exclure une datation plus tardive que cette année, qui devait constituer un terminus ante quem indiscutable. Il convenait donc de prendre en compte les Fastes consulaires des années antérieures. Or, quatre seulement des tribus portaient les noms de consuls bien attestés entre 509 et 495. Pourtant les Fastes consulaires livraient les noms, pour ces mêmes années, d'un bien plus grand nombre de puissantes familles, capables dans le même temps de gérer de nombreux consulats : si ces familles n'avaient pas donné leurs noms à des tribus, ce ne pouvait être que parce que les tribus avaient été créées avant leur émergence, et que, par conséquent, elles l'avaient été à l'époque royale7. Cette conviction était renforcée par la dénomination de six tribus8, qui ne se retrouvait en aucune façon dans les Fastes de ces années, non plus d'ailleurs que par la suite : l'absence de ces noms ne pouvait s'expliquer, pensait-elle, que par la disparition d'autant de gentes, dont la prépondérance appartenait à une époque révolue.

Tout renvoyait par conséquent à la même idée d'une création royale des seize premières tribus rurales : il convenait de la rapporter, selon toute vraisemblance, à Servius Tullius et à son activité censoriale.

4. L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 6 et 36-37.

5. L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 4 et 6.

6. Tite-Live, II, 21, 6.

7. L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 6-7 et n. 13.

8. L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 6-7 et n. 13, cite la Camilia, la Galeria, la Lemonia, la Follia, la Pupinia et la Voltinia ; seule de ces tribus, la Galeria est située sur la rive droite du Tibre ; cf. aussi infra.

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Les enseignements des Fastes du Ve siècle ^g

les analyses proposées par A. Alfildi

A. Alföldi, en suggérant - et en démontrant - le caractère topographique des noms de tribus inconnus des Fastes, a privé ce raisonnement d'un de ses arguments essentiels9. Quant au reste, M. Humbert a montré le caractère fallacieux de l'argument par l'absence de certains noms, en lui opposant l'un d'eux, celui des Valerii10. Il est vrai que la prépondérance de cette famille, qui n'a pas donné son nom à une tribu, est bien attestée par les Fastes entre 509 et 495. Mais au début de la République, cette prépondérance était déjà ancienne11, et remontait à Titus Tatius, si Ton en croit la tradition. Rien n'autorisant à penser que cette famille avait subi une éclipse au cours du VIe siècle, et singulièrement sous Servius Tullius, l'argument par l'absence de ce nom parmi les noms de tribus, s'il vaut contre une datation au début de la République, vaut tout aussi bien, par conséquent, contre une datation royale, serait-elle servienne.

Les critiques de M. Humbert

Cependant M. Humbert, remarquant d'autre part la pérennité, bien avant dans le Ve siècle, de toutes ces familles qui, pourtant, n'ont pas donné leur nom à une tribu, en vient à préconiser le recours à l'ars ignorando2 : « À l'époque de Servius Tullius, en 493 ou dans la deuxième moitié du Ve siècle l'absence de certains noms ne s'explique pas ». L'essentiel lui paraît en définitive la correspondance globale entre les données des Fastes et les enseignements de la tradition sur les tribus : « Le chiffre de vingt et une tribus atteint en 493, selon la tradition commune à Tite-Live et Denys d'Halicarnasse, s'intercale très bien dans ce contexte. Pour la plupart, le nom des tribus nouvelles s'explique par les listes consulaires de l'époque [...]».

9. A. Alföldi, Early Rome..., pp. 307-310, pour la Camilia - avec cependant des réserves -la Lemonia, la Pollia, la Pupinia et la Voltinia ; mais selon cet auteur, le problème ne peut se poser pour la Galena, dont le territoire n'est pas romain avant les dernières décennies du Ve siècle : pp. 294-295, 303-304, et 316-317.

10. M. Humbert, Municipium..., p. 75, n. 81.

11. Sur la prééminence, déjà ancienne, des Valerii, héritiers dans les premières décennies de la République de certaines prérogatives royales : F. F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 79-89 ; cf. aussi infra.

12. M. Humbert, Municipium..., p. 75 et n. 81.

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On le voit, M. Humbert ne tente pas une analyse systématique des données des Fastes : est-ce prudence, ou méfiance à l'égard d'une documentation somme toute très discutée ?

Une autre lecture des Fastes est-elle possible ?

Il me paraît pourtant que l'on peut opposer au pessimisme d'une telle argumentation trois objections.

V« absence » de certains noms

Convient-il, en premier lieu, de raisonner en termes d'« absence » de certains noms ? En vertu de quels critères décèlera-t-on ces « absences » ? N'y a-t-il pas, sous-jacente à une telle approche, l'idée implicite que toutes les familles gentilices importantes - assez pour figurer dans les listes consulaires - devaient donner leur nom à une tribu ? C'est, me semble-t-il, un tel postulat qui inspire L. R. Taylor, quand elle affirme que si les tribus 'gentilices' avaient été créées au début du Ve siècle, elles auraient été bien plus nombreuses. Et M. Humbert ne raisonne pas très différemment, lorsqu'il oppose à la thèse d'une création des tribus dans le dernier tiers du Ve siècle le fait que des familles prépondérantes alors n'ont pas donné leur nom à une tribu : ces familles, écrit-il, « n'auraient donc pas participé au vaste mouvement de l'extension des tribus si on le place à cette date »13.

Or, on voit mal sur quels indices repose une pareille reconstruction, que démentiraient au demeurant les leçons du passé : ainsi, même si le nombre de cent trente-six gentes patriciennes, avancé par la tradition pour la fin de l'époque royale, est discutable et discuté14, il suggère pour le système des curies - au nombre de trente seulement, dont vingt-trois à noms gentilices, on s'en souvient15 - l'idée de regroupements de gentes sous les noms d'un petit nombre d'entre elles, pour la dénomination des curies. Et l'on ne saurait exclure sans autre examen la possibilité d'un

13. M. Humbert, Municvpium..., p. 75 et n. 81.

14. Festus, p. 304 L = 254 M; d'où A. Momigliano, Osservazioni..., pp. 97-222, et particulièrement ici p. 211 ; 1969, pp. 5-43.

15. Cf. supra.

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processus analogue, pour la création des tribus à noms gentilices16 : en fait on ignore tout des critères qui ont pu présider au choix de telle ou telle gens, pour donner son nom à une tribu.

les enseignements de la lex Publilia de 471

Ma seconde objection tient à l'analyse que j'ai tentée des événements de 473-471, tels que les rapportent Tite-Live et Denys d'Halicarnasse : des événements qui ont conduit, avec la lex Publilia, à l'établissement des assemblées tributes comme assemblées de vote pour l'élection des 'magistrats de la plèbe' ; on Ta vu, de tels épisodes paraissent bien contredire l'existence des tribus gentilices à ce moment- et, a fortiori, en 493. Si l'on admet simplement qu'il puisse y avoir là au moins un problème, une incertitude, sur l'existence de vingt et une tribus en 493 av. J.-C, on sera conduit, je pense, à prendre en compte les Fastes non seulement des deux premières décennies de la République, mais aussi ceux des décennies suivantes, ne serait-ce qu'à titre de vérification.

Un problème de méthode de lecture ?

De là ma troisième objection à la pratique de Y ars ignorandi que, de façon quelque peu sceptique et désabusée, M. Humbert préconise : dans la perspective que je viens de définir, peut-être n'est-on pas contraint sans espoir de renoncer tout à fait aux enseignements de ces listes de magistrats auxquelles, sauf peut-être pour les tout premiers collèges, on tend à accorder aujourd'hui de plus en plus de crédit17. Mais si, parce qu'on les tient pour largement authentiques, on y cherche des éléments de connaissance, alors il convient de les traiter avec la même rigueur qu'on

16. Un tel processus ne pourrait-il être illustré, par exemple, par l'inscription des Manlii dans la tribu Sergia, ou, peut-être, des Valerii dans la tribu Claudia ? cf. : L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 229 sq. pour les Manlii, et p. 279 sq. pour les Valerii.

17. Cf. supra, chap. I et II ; infra, chap. V ; pour les doutes qui pèsent sur les tout premiers collèges, cf. l'exposé des discussions par J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 268-273 ; J. R. S. Broughton, The Magistrates..., p. XI-XHI et n. 2, toutefois, incline à tenir pour authentique, à quelques rares exceptions près, l'ensemble de la liste des magistrats (et des prêtres) que l'on peut dresser à partir des textes et documents anciens, et particulièrement des récits de Tite-Live ; on trouvera dans l'ouvrage de J. R. S. Broughton, The Magistrates, pour chaque magistrature, les références aux sources antiques (textes littéraires et Fastes Capitolins), rassemblées et unifiées sous la datation varronienne, et les noms que ces sources proposent. Je me référerai par la suite aux données que cet auteur a rassemblées dans son ouvrage.

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le ferait de n'importe quelle autre documentation : on ne saurait se borner à y puiser des arguments partiels - et donc toujours sujets à caution -pour y trouver une confirmation précaire de « conclusions » déjà acquises ; on ne saurait d'ailleurs pas davantage exclure, a priori, que les Fastes puissent infirmer des interprétations suggérées par d'autres sources, et, en particulier ici, celle que j'ai cru pouvoir proposer de la lex Publilia : si cela était, il faudrait alors, de toute évidence, analyser les contradictions éventuelles, et peut-être reconsidérer toute la question.

Il convient donc, à mon sens, plutôt que de raisonner en termes d'« absence » de certains noms, d'appuyer la réflexion sur ce constat clairement établi, je pense : parmi les familles consulaires dont les Fastes ont gardé le souvenir - et dans lesquelles on reconnaît de grandes familles patriciennes - dix seulement ont donné leur nom à une tribu. L'important est de savoir quelle signification accorder à ce constat. Si l'on admet - à titre d'hypothèse de travail - que la création de ces dix tribus à noms gentilices a pu coïncider avec un moment plus particulièrement caractérisé que d'autres par la domination des dix génies éponymes, on a tout lieu d'en rechercher des indices dans les Fastes : existe-t-il donc, dans la succession d'abord des consulats, puis, à partir de 443 av. J.-C, des tribunats militaires à pouvoir consulaire, une période plus nettement marquée par la prédominance des dix noms que l'on retrouve aussi dans la dénomination des tribus ? S'il en est ainsi, n'aurait-on pas là un indice de grande importance pour dater la création de ces tribus ?

LES INFORMATIONS DONNÉES PAR LES FASTES DE 509 À 367 AV. J.-C

Familles dominantes et noms de tribus

Une évolution chronologique ?

Si l'on établit, pour comparaison, le tableau des magistratures obtenues entre 50918 et 36719 d'une part par les familles dont on retrouve les

18. Tableau I : tableau chronologique de l'accès des familles patriciennes aux hautes magistratures et aux grands sacerdoces, de 509 à 367 av. J.-C. (d'après l'ensemble des données antiques rassemblées par J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., pp. 1-114) ; pour la distinction entre familles « patriciennes » et familles « plébéiennes » : infra, chapitre DC.

19. C'est-à-dire jusqu'aux lois licinio-sextiennes, qui réservent un des deux consulats annuels à un « plébéien ».

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noms dans la dénomination des tribus, d'autre part par les autres fa-nulles patriciennes, une lecture immédiate impose une évidence, que Ton n'aurait peut-être pas attendue : il n'y a pas concordance étroite entre aentes prévalantes au premier siècle de la République, et gentes éponymes de tribus. Les deux ensembles présentent d'étroites analogies, et l'on voit figurer dans les deux cas des gentes de fortune politique fort éphémère, aussi bien que d'autres dont la puissance s'affirme nettement sur toute la période. Une lecture plus attentive, cependant, permet de déceler des évolutions qui ne sont pas sans signification.

Au cours d'une première période, qui va de 509 à 486, on peut décompter les noms de vingt-quatre familles, pour quarante-huit consulats : parmi elles, quatre familles éponymes de tribus, avec cinq consulats ; mais pendant le même temps, les Valerii ont obtenu six consulats et une sinon deux dictatures, les Lardi quatre consulats et peut-être deux dictatures, les Postumii trois consulats et une dictature, les Vergimi quatre consulats, les Lucretii trois consulats et les Minucii trois encore... : ces six familles, avec leurs vingt-trois consulats et leurs cinq dictatures, démontrent une éclatante supériorité pendant cette période, qui ignore encore les noms de six des gentes éponymes. Si donc la création des tribus « gentilices » a eu lieu au cours de ces années, force serait d'admettre -conclusion paradoxale que L. R. Taylor, on l'a vu, refusait20 - que le choix des noms de tribus s'était porté sur les ggntes de moindre importance, six d'entre elles n'étant pas même parvenues à gérer un seul consulat.

Mais les années qui suivent 48521 voient se modifier cet état de choses : l'une des plus grandes familles non-éponymes, celle des Lardi, disparaît définitivement de l'histoire après un consulat en 490, et les Tul-lii, qui avaient obtenu un consulat en 500, quittent aussi la scène politique sans retour, tandis que les Aquilii s'effacent pour presque un siècle. Rien de tel pour le groupe des familles éponymes, qui perdure et s'enrichit de trois nouveaux noms : deux en 485 et un troisième en 484. À partir de ce moment cependant, et pour quelque vingt ans, le poids politique respectif des deux groupes de familles, qui évoluent de même façon, est assez peu différent : tous deux s'accroissent de noms nouveaux, et les familles les plus anciennes maintiennent désormais leur puissance.

C'est après 460 que semble se préciser une emprise plus nette des gentes éponymes sur la direction politique de l'État - pendant la période, donc, qui prépare l'établissement, en 451, d'un décemvirat législatif, re-

20. Cf. supra.

21. C'est-à-dire dans les années qui suivent l'exécution de Spurius Cassius, et que caractérise la disparition des noms « plébéiens » des Fastes consulaires.

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nouvelé en 450, mais supprimé en 449, pour laisser place à la « restauration » de la République. Les quinze années qui suivent 460 apparaissent en effet, comme en d'autres domaines, des années cruciales. On y relève d'abord, en 458, l'accès possible au consulat des Papirii, qui fourniront en tout cas un consul en 444 et, en 443, l'un des deux premiers censeurs de l'histoire de la Ville22 ; or, de plus - le fait est remarquable, et il conviendra d'y revenir - les Anciens affirmaient qu'en 509, déjà, un Papirius avait été pontifex maximus et un autre rex sacrorum23. En 455, d'autre part, les Romilii apparaissent avec un consulat, et fournissent un des décemvirs du premier collège décemviral - pour disparaître ensuite sans retour - ; enfin les Sergii font leur entrée dans les Fastes avec le second collège décemviral ; or, leur apparition scelle la liste des gentes qui ont donné leur nom à une tribu.

On observera encore que six noms figurent parmi ceux des décemvirs législatifs : trois - les Veturii, les Claudii et les Romulii - dans le premier collège, et, outre Appius Claudius qui demeure, trois autres - les Fabii, les Cornelii et les Sergii (qui font alors leur apparition) - dans le second. Mais si le premier collège comporte, du côté des gentes non éponymes, un Postumius, un Sulpicius et un Manlius, issus d'anciennes et puissantes familles, on y voit figurer aussi un Genucius, issu de la « plèbe » selon toutes probabilités, et un Curiatius et un Sestius qui, les premiers de leur gens, ont accédé au consulat en 453 et en 452, pour tomber dans l'oubli aussitôt après ; quant au second collège, on y trouve du côté des gentes non éponymes de tribus, associé aux quatre représentants de gentes éponymes et à cinq plébéiens, le seul Minucius, qui disparaît ensuite des Fastes24.

22. Si toutefois il faut reconnaître un Papirius dans le Caruentus donné comme consul par les Fastes Capitolins : J. R. S. Broughton, The Magistrates..., p. 39 ; cf. aussi R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 615, et l'exposé de la question par P. Ch. Ranouil, Recherches..., pp. 46-53.

23. Denys d'Halicamasse, El, 36,4, confirmé par Ciceron, ad Pam., DC, 21, 2 ; Denys d'Halicamasse, V, 1,4 ; Tite-Live, II, 2,1-2 ; Festus, 422 L ; si l'on suit Asconius, 77 C (contre Tite-Live, IH, 54, 5, qui nomme un Q. Furius) c'est encore un Papirius qui, en tant que pontifex maximus, aurait présidé en 448 les élections des tribuns de la plèbe, rétablis après l'abdication du second collège décemviral: sur tout cela, J. R. S. Broughton, The Magistrates, I, p. 4, et p. 49 et n. 1 ; contra : G. J. Szemler, The Priests of the Roman Republic. A Study of Interactions Between Priesthoods and Magistracies, Bruxelles 1972, pp. 48-52 ; cf. aussi infra.

24. Sauf un Grand Pontificat, dont on voit (Tite-Live, IV, 44,11-12 ; Plutarque, Inim. util., 6) qu'un Minucius en est revêtu en 420 : cf. J. R. S. Broughton, The Magistrates, L.., p. 71. Pour une analyse des deux collèges de décemvirs législatifs : Poma, Tra legislatori e tiranni..., particulièrement ici p. 215.

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La comparaison d'ensemble est instructive : sur vingt charges décem-virales, sept ont été obtenues par des gentes éponymes de tribus, et six autres par des plébéiens ; des sept dernières, quatre ont été à des familles dont la fortune n'a duré que quelques années ; trois seulement ont été à de très grandes familles - qui n'ont pas donné leurs noms à des tribus. En outre, un Menenius est consul en 452, un Horatius en 449^ : en quatre ans apparaissent (ou réapparaissent) les noms de huit des dix familles éponymes de tribus ; un neuvième, celui des Papirii - qui ont peut-être obtenu un consulat en 458 - s'affirme, après un consulat en 444, avec une censure en 443 ; mais peut-être la fortune des Papirii n'est-elle pas alors nouvelle, puisque, on l'a vu, la famille passait pour avoir fourni le premier pontifex maximus de la République. On serait donc tenté de placer dans les années très proches du milieu du Ve siècle la création des tribus à noms gentilices, si l'absence d'un nom, celui des Aemilii, n'invitait, là encore, à ne pas lier trop étroitement dans le temps exercice d'une haute magistrature et capacité à donner son nom à une tribu.

Est-il possible de préciser davantage ?

Pour une première interprétation

La dernière magistrature certaine26 exercée par un Aemilius avant la période décemvirale est un consulat que gère en 467 Titus Aemilius Marnerais. Or, au témoignage de Tite-Live comme de Denys d'Halicar-nasse27, ce dernier donne alors son appui à une loi tribunicienne de partage agraire, et la loi est promulguée. Mais sur l'initiative de Quintus Fabius, qui est l'autre consul, les terres partagées seront celles que Rome a récemment confisquées aux Volsques, et non pas des terres romaines : elles serviront à la fondation de la colonie romano-latine d'Antium, ouverte aux Romains, aux Latins, aux Volsques et aux Herniques. Et l'on remarquera au passage que ce territoire ne donnera lieu, sur le moment, à la création d'aucune tribu, malgré les assignations viritanes, bien attestées par la tradition, qui y seront effectuées.

L'initiative de Titus Aemilius étonne : Tite-Live comme Denys d'Hali-carnasse soulignent la colère des Patres, qui ont reporté leur mécontentement des tribuns sur le consul. Ne peut-on imaginer pourtant qu'une

25. J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., pp. 44 et 47.

26. Peut-être cependant un C. Aemilius Mamercus a-t-il été dictateur ou interroi en 463 : J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 35.

27. Tite-Live, 1 ; Denys d'Halicarnasse, IX, 59 - avec des divergences qu'il n'y a pas lieu d'analyser ici.

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telle politique a pu jouer un rôle de diversion, et peut-être faciliter la création de la première tribu à nom gentilice, la tribu Aemilia ? Depuis la promulgation de la lex Publilia en 471, la création de telles tribus ne devait-elle pas être au centre des préoccupations patriciennes ? Si l'on admet que soit possible une quelconque concordance entre la création des tribus à noms gentilices et, malgré tout, une certaine importance politique des patrons de gentes qui devaient leur donner leurs noms ; si Ton admet, aussi, le bien-fondé de l'interprétation que j'ai cru pouvoir proposer de la lex Publilia - alors on sera conduit, je pense, à considérer comme vraisemblable, pour la création de ces tribus, une période ouverte en 467 par le consulat de Titus Aemilius Mamercus, et close au plus tard en 443 avec la censure de Lucius Papirius Mugillanus - close plus vraisemblablement, on le verra, dès 449.

La nécessité de la censure deviendra alors patente : la création des tribus « gentilices » a dû marquer une étape institutionnelle importante, vers l'unification de la Cité, manifestée par la participation de tous aux assemblées tributes. Et désormais, ce qui signalera l'appartenance des individus à la communauté civique sera, pour tous, leur inscription dans une tribu28. Une mise en ordre s'imposait, et il y avait urgence : « Depuis de longues années », dit Tite-Live, « le peuple n'avait pas été recensé »29. Denys d'Halicarnasse précise : depuis dix-sept ans, depuis le consulat de Lucius Cornelius et de Quinrus Fabius - autrement dit depuis 45930 -pour, tout aussitôt, évoquer la possibilité d'une épuration des listes : écho de débats plus tardifs, qu'anticipe Denys d'Halicarnasse, ou reflet d'une réalité ?

Le projet politique révélé par les Fastes, entre 471 et 443

Un choix de stratégie politique ?

Il convient de revenir sur la composition de cette liste de dix gentes, d'importances et de fortunes politiques si inégales. C'est, on l'a vu, qu'il n'y a pas nécessaire coïncidence entre prévalence politique - telle du moins qu'elle se révèle par la gestion répétée des hautes magistratures

28. À partir de ce moment, aussi, les clients font partie de la « plèbe » : le caractère ambigu de leur statut disparaît : cf. infra ; pour A. Magdelain, Remarques, pp. 109-115, les clients, avant la création des tribus 'gentilices', sont des « libres » {liberi), mais ne sont pas citoyens.

29. Tite-Live, IV, 8, 2-8 ; Denys d'Halicarnasse, XI, 63,1-3.

30. J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 38, avec les références.

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sur de longues périodes - et aptitude reconnue à une gens à donner son nom à une tribu. Les choix qui ont incité les patrons de gentes à se grouper sous les noms de dix d'entre elles, pour inscrire les territoires qu'ils contrôlaient dans le réseau des tribus, ne peuvent être élucidés par une lecture directe des Fastes, et par le simple décompte des magistratures obtenues par telle ou telle gens.

Des considérations de type géographique - la commodité des voisinages - aussi bien que d'ordre militaire, pour l'établissement de circonscriptions qui, à tout prendre, devaient avoir une base territoriale assez simple, ont dû jouer leur rôle : il est possible d'en déceler des éléments par exemple pour les Fabii31 ou les Claudii32, peut-être pour d'autres gentes encore. Mais il y a tout lieu de penser que des choix de stratégie politique, dans le rapport des forces affrontées à ce moment dans la lutte pour le pouvoir, doivent avoir leur place dans l'explication.

Trois temps peuvent être discernés entre 470 et 449

Or trois temps peuvent être discernés, que suggère la lecture attentive de la liste des gentes éponymes et des magistratures obtenues : je me placerai ici dans une perspective récemment mise en valeur par G. Poma, dont l'analyse du décemvirat et de ses deux collèges, en 451 et 450, est ici singulièrement éclairante33.

Aux lendemains de la promulgation de la lex Publilia, on peut voir dans la politique des Aemïlii - dont le soutien aux revendications plébéiennes n'est que l'expression ouverte, avouée - une première réponse aux conditions nouvelles que cette loi avait créées. Déjà, les épisodes qui avaient marqué les années précédentes - le procès et la condamnation par l'assemblée plébéienne, en 476, d'un Titus Menenius, auxquels répond, il est vrai, trois ans plus tard, la mort du tribun Cneus Genucius34

- semblent préparer, on l'a vu, un rétablissement politique de la plèbe, devenu évident en 471. Mais la plèbe - son élite - aurait-elle pu remporter de tels succès, si elle n'avait eu des alliés et des complices parmi les

31. J. Gage, La chute des Tarquins, pp. 205-206.

32. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 123-125.

33. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 236-243, avec l'analyse précise de la composition du second collège décemviral.

34. Cf. supra ; pour une analyse des procès tribuniciens : G. Poma, Tra legislatorie tiranni..., p. 326 sq. ; pour une autre approche : M. Humbert, Le tribunat de la plèbe et le tribunal du peuple : remarques sur l'histoire de la prouocatio ad populum, Mélanges de l'École Française de Rome. Antiquité, pp. 431-503.

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patriciens35 ? On devine rhaintenant, dans les rangs du patriciat, la tentation de plusieurs politiques divergentes, que Tite-Live présente comme celles des iuniores opposés aux seniores36 : c'est d'abord l'obstruction et la violence, auxquelles répondent la condamnation d'un Caeso Quinctius par l'assemblée tribute, et son exil37 ; mais c'est aussi, et en même temps, la tentation des solutions feutrées, « légalistes », si je peux risquer ce terme pour un temps qui est encore celui du pré-droit : en particulier celle qui conduit à la création des tribus « gentilices » - dans un projet, on va le voir, parfaitement récupérateur.

Avec le décemvirat législatif, avec surtout son second collège -G. Poma l'a bien montré38 - une mutation institutionnelle semble bien avoir été tentée39, qui pouvait donner à l'élite de la plèbe une place dans la gestion de l'État. Par delà l'interprétation très hostile au second collège décemviral, très réductrice aussi, donnée par les Anciens, on peut en effet saisir, à la suite de G. Poma, les véritables enjeux qui sous-tendent les épisodes liés à ce collège40 : par une politique de compromis avec l'élite plébéienne, de très grandes familles, appuyées d'autre part sur des éléments plus secondaires du patriciat41, ne pouvaient-elles espérer faire échec plus efficacement à leurs rivaux dans les compétitions pour contrôler le pouvoir ? Mais le risque était grand aussi, en cas de défaite, qu'un tel contrôle échappât à ces patriciens, en même temps qu'à leurs alliés plébéiens, au profit des éléments les plus conservateurs du patriciat : la chute du second collège décemviral et ses conséquences allaient le montrer.

35. Pour une analyse des oppositions internes du patriciat, mais aussi de la « plèbe » : J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., en particulier p. 129-131 ; pour le soutien que certains patriciens apportent aux revendications « plébéiennes » : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., en particulier pp. 183 et 203-208 ; l'auteur montre que l'histoire politique de ces années ne peut être lue comme l'opposition, trop simple, de la « plèbe » et du patriciat, mais doit être interprétée en termes de luttes de factions.

36. Par exemple Tite-Live, m, 11.

37. Cf. supra, chapitre E.

38. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 215-279.

39. Tite-Live, DI, 33,1 : Anno trecentesimo altero quam condita Roma erat iterum mutaturforma ciuitatis, ab consulibus ad decemuiros, quemadmodum ab regibus ante ad consules uenerat, translato imperio : « Ainsi, en l'an 302 après la fondation de Rome, la constitution change une seconde fois et le pouvoir passe des consuls aux décemvirs, après avoir passé des rois aux consuls » (texte et trad. CUF).

40. Pour une analyse comparée des sources anciennes et de leurs contradictions : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 234-348 et pp. 260-279.

41. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 325.

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Les enseignements des Fastes du Ve siècle 169

L'expérience décemvirale dépassait de très loin la seule rédaction des lois - du moins avec le second collège, dont les membres ont dans les Fastes, de façon significative, le titre de decemuiri consiliari imperici2 - ; son échec mit fin pour un demi siècle à l'ouverture de la classe politique à l'élite plébéienne, mais aussi, on va le voir, à l'unification institutionnelle qui avait pu être tentée. On y reconnaîtra aussi bien l'échec d'une faction, celle des Claudii : leur éviction des Fastes pour vingt-cinq ans, en même temps que celle de l'élite « plébéienne », et la disparition, définitive, de gentes plus secondaires, scelle la fin d'une politique, pour plusieurs décennies43. Mais la signification de cet état de choses n'est pas univoque, comme la tradition voudrait le faire croire.

Du troisième temps en effet, qui vit la remise en ordre de l'organisation civique, la censure de Lucius Papirius Mugillanus pourrait être interprétée comme une expression achevée ; et ce fut en définitive pour le plus grand profit, peut-on croire, des patriciens dans leur ensemble : la plèbe - plus précisément son élite - est pour des décennies évincée des hautes charges, ses tribuns sont étroitement contrôlés, et de longtemps44, on n'entendra guère parler de procès et de condamnations de patriciens.

La création des tribus gentilices, pour assurer l'unification du corps civique, prend alors parfaitement sa place dans le schéma intégrateur - et récupérateur - qui sous-tend l'expérience décemvirale : mais il importe ici de souligner l'ambiguïté du résultat qui, en faisant entrer les clients dans les assemblées tributes, devait permettre par là même aux patriciens de contrôler les organisations plébéiennes ; et l'on ne saurait exclure que ceux des Patres qui s'étaient compromis avec l'élite plébéienne dans l'expérience décemvirale n'aient pas eu au bout du compte, eux aussi, un tel projet : la création des tribus gentilices, globalement, paraissait de nature à renforcer les positions patriciennes, en toute occasion -même au risque, pour certains patriciens, de se voir écartés du pouvoir,

42. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., particulièrement p. 260.

43. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 281-328 ; infra, tableaux 1,1 et 2.

44. On remarquera cependant qu'en 423 av. J.-C., les tribuns de la plèbe assignent en justice deux des tribuns militaires à pouvoir consulaire de 426, T. Quinctius et M. Postumius : si le premier est acquitté, le second est condamné à une lourde amende ; et dans les semaines qui suivent commence un autre procès, cette fois contre le consul sortant, G. Sempronius, que le tribun de la plèbe L.~ Hortensius assigne en justice ; ce dernier abandonne toutefois l'action, à la prière de ses collègues ; mais l'accusation est reprise par les tribuns en 420, et cette fois G. Sempronius est condamné à une amende plus lourde encore que celle qu'avait dû acquitter M. Postumius. Or ces années sont aussi celles qui voient deux plébéiens accéder au tribunat militaire à pouvoir consulaire, l'un pour 422, l'autre pour 417. N'y verra-t-on qu'une coïncidence toute fortuite ? Cf. Tite-Live, IV, 37-44 et 47, 7 ; Denys d'Halicarnasse, XU, 6, 5 ; Valére Maxime, m, 2,8 ; VI, 5, 2 ; cf. encore tableaux 1 et 2.

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au moins provisoirement - et la prise de contrôle des assemblées tributes prenait parfaitement sa place dans de tels desseins. Mais en ce cas, si l'on admet que les assemblées tributes sont des assemblées de la plèbe, il faut admettre en même temps que les clients, à partir de la création des tribus sur les terres des gentes, ont dû être tenus pour « plébéiens ».

On s'avisera alors qu'en faisant admettre pour la plèbe une tout autre définition que par le passé - une définition qui aboutit à la confusion, dans l'assemblée tribute, de la plebs avec le populus*5 - , les lois de restauration du tribunat de la plèbe, en 449 av. J.-C, concrétisaient bel et bien la réussite d'une entreprise patricienne de très grande portée idéologique et politique ; une entreprise qui devait aboutir de fait, dans les années suivantes, à l'anéantissement des effets voulus par la lex Püblüia, qui était d'empêcher le contrôle des patriciens les plus conservateurs sur les organisations plébéiennes, et de protéger d'un pouvoir par trop discrétionnaire ceux qui étaient hors des gentes. Comment cela fut-il possible ?

Les plébéiens - ceux qui n'avaient pas de gens - ont pu penser trouver leur avantage dans les lois de restauration de la République. Mais on observera que Tite-Live donne explicitement les lois de restauration du tribunat de la plèbe, en 449, pour un renouvellement des événements fondateurs de 49346. En même temps, il insiste sur la légitimation et la sacralisation des tribuns de la plèbe ainsi restaurés, et cela était de nature à satisfaire les plébéiens ; car ces tribuns, à n'en pas douter, devaient être élus par l'assemblée tribute, comme le voulait la loi Publilia de 471 : une loi qui avait été arrachée aux Pères, et qui, depuis lors, avait mis les tribuns de la plèbe en marge des institutions, et singulièrement des institutions religieuses47. Or, les lois de 493 et de 471 étaient contradictoires, fondamentalement sinon en apparence. Il suffira, pour s'en convaincre, de revenir sur la composition et la tenue de l'assemblée qui devait procéder à la première élection des tribuns de la plèbe, en 449, en vertu des

45. Comme l'indique aussi, en particulier, la loi sur les plébiscites : « Quod tributim plèbes iussisset, populum teneret » : Tite-Live, HI, 55, 3.

46. Tite-Live, m, 54, 8-9 : In Auentinum ite, unde profecti estis : ibi felici loco, ubi prima initia incohastis libertatis uestrae, tribunos plebi creabitis. Praesto exit pontifex maximus qui comitia habeat : « Allez sur l'Aventin, votre point de départ ; sur cet emplacement propice, où vous avez posé les premiers fondements de votre liberté, vous nommerez des tribuns de la plèbe. » (texte et trad. CUF).

47. Tite-Live, DI, 55, 6: [...] ipsis quoque tribunis ut sancrosancti uiderentur- cuius rei prope iam memoria aboleuerat -, relatis quibusdam ex magno interualo caeremoniis, renouarunt, et cum religione inuiolatos eos tum lege etiam fecerunt [...]: « [Les consuls] rendirent également aux tribuns leur inviolabilité, dont le souvenir était presque effacé, en renouvelant pour eux certaines cérémonies rituelles depuis longtemps interrompues, et ils rendirent cette inviolabilité non seulement religieuse, mais légale [...]» (texte et trad. CUF).

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lois Valeriae Horatiae : cette assemblée - que Tite-Live par deux fois désigne comme comitia, sans autre précision48 - ressemble à s'y méprendre à l'ancienne assemblée curiate qui, en 493, avait procédé aux élections des premiers tribuns de la plèbe ; la tradition n'a pas même oublié de mentionner, pour l'une et l'autre assemblées, la présidence du pontifex tnaximus : elle était de règle pour l'assemblée curiate49, et elle a pu être proposée à la « plèbe », en 449, grâce au modèle contraignant - et trompeur - des élections de 493. Car l'assemblée curiate, qui réunissait le po-pulus tout entier, répartissait dans les curies les clients et la « plèbe » de telle sorte que s'y trouvaient préservés le contrôle et la domination des patrons des gentes50 : ce n'était certainement pas là une assemblée plébéienne au sens ancien du terme, et en cela elle se différenciait fondamentalement de l'assemblée tribute qui, en vertu de la lex Publïlia, avait élu les tribuns en 471. On ne saurait douter pourtant que l'assemblée de 449 n'ait été tenue pour une assemblée plébéienne : mais il faut pour cela que la signification du qualificatif ait changé ; et en ce sens, les lois de 449 sur le rétablissement du tribunat de la plèbe ne pouvaient signifier ni la légitimation pure et simple des décisions de 471, ni le retour à la situation de 493 av. J.-C. Elles ont pu pourtant prétendre assurer l'un et l'autre - au terme de ce qu'il faut bien appeler une mystification. Mais on est alors conduit à penser que si une telle mystification fut possible, si l'opinion se laissa abuser, c'est qu'au sein même du corps social, déjà, avait dû commencer de se développer la confusion entre les clients et ceux qui ne relevaient pas d'une gens : est-il possible de saisir les indices d'une telle évolution ?

48. Tite-Live m, 54,7 et 11.

49. A. K. Michels, The Calendar o the Roman Republic, Princeton 1967, p. 37-38.

50. Cf. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 271.

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TABLEAU I : Les hautes magistratures et les grands sacerdoces, de 509 à 367 av. J.-C (d'après J. R. S. Broughton, The g | . Magistrates...) : les familles patriciennes. •¥£

I consulat ( ou consulat suffect) ; D consulat possible ; A dictature ; • décemvirat législatif; • censure ; • tribunat militaire à pouvoir consulaire ; * référence à un augure ou un pontife ; -X* référence au grand pontife ; * familles ayant fourni un pontife ou un augure ; * familles ayant fourni un interroi ou un curio Maximus. HORATTJ : nom commun à une gens et à une tribu. ; CIA UDII. Valerii : génies maiores.

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Les enseignements des Fastes du Ve siècle 173

Tableaux I et II : les noms des familles sont classés dans l'ordre chronologique de leur apparition dans les Fastes. Tableau I, en tête : les dix gentes qui ont donné leur nom à une tribu.

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CHAPITRE V

VARIATIONS SUR LE MOT « PLEBE »'

On sait que les récits des Anciens sur la première sécession de la plèbe, aussi bien que sur la seconde, avec leurs incertitudes et leurs contradictions, sont depuis longtemps sujets à controverse ; et les grandes ressemblances que l'on peut observer entre les deux sécessions n'ont fait qu'accroître le scepticisme des Modernes. Aussi a-t-on proposé de voir dans les récits de la création des premiers tribuns de la plèbe, après la sécession de 494, en vertu d'une lex sacrata, une réduplication -par anticipation - de ce qui s'était passé en 449 : l'histoire, mieux conservée, des événements de 449 av. J.-C, aurait contaminé les souvenirs pleins de confusion que Ton avait pu garder des premiers temps de la République1 ; et l'on a dit que si le tribunat de la plèbe avait pu être créé comme « sauvegarde privée de la plèbe »2 en 493, il n'avait pu être officiellement reconnu à ce moment : il ne l'aurait été qu'en 449, et alors seulement, il serait véritablement devenu une « magistrature plébéienne »3. Mais on a aussi contesté l'authenticité de bien des épisodes de

À propos du procès et de la mort de Virginie, J. Cels-Saint-Hilaire, Virginie, la clientèle et la liberté plébéienne : le sens d'un procès, Revue des études Anciennes, XCSL, 1991,1-2, pp. 27-37.

1. Cf. J. Bayet, Appendice à Tite-Live, V, pp. 126-128.

2. J. Bayet, Appendice à Tite-Live, V, p. 147.

3. J. Bayet, Appendice à Tite-Live, V, pp. 127-128 et p. 146 et n. 1, et p. 147 ; H. H. Scullard, Roman Politics..., 220-150 B.C., Oxford 1951., p. 55, date la création du

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la sécession de 449, et par exemple l'histoire de Virginie, dans laquelle il faudrait reconnaître un doublet de celle de Lucrèce4. L'on a remarqué que si Denys d'Halicarnasse et Tite-Live citent bien les noms du decemvir Appius Claudius, en même temps que celui de Lucius Verginius, et de sa fille Virginie, Cicéron rappelle l'épisode sans nommer le décemvir, tandis que Diodore ne nomme aucun des protagonistes : quelle crédibilité peut-on accorder alors à la version de la tradition que suivent Tite-Live et Denys d'Halicarnasse ?

Or il me semble que se trouvent mêlés là plusieurs problèmes distincts, auxquels on n'a peut-être pas donné toute l'attention qu'ils méritent. Et d'abord, on observera que si les deux sécessions de 494 et de 449 présentent des similitudes, de grandes différences les opposent aussi, dans les récits qu'en ont laissés les Anciens ; singulièrement se pose la question de savoir quelle est cette plèbe qui fait sécession : est-ce bien la même que ces récits désignent, dans les deux cas ?

Dans cette perspective, quelle valeur et quel sens peut-on accorder aux noms des protagonistes ? La question de leur authenticité est-elle la seule qui doive et puisse être posée ?

LA « PLÈBE » AU Ve SIÈCLE AV. J.-C. : PROBLÈMES DE DÉFINITION

Au VIe siècle av. J.-C, la plèbe qu'avait intégrée le roi Servius Tullius dans les tribus territoriales - et par là même dans le peuple romain -comprenait tous ceux qui se trouvaient hors des génies5. Qu'en est-il lors de la sécession de la plèbe en 494-493, et encore en 449 ? Il me paraît devoir revenir ici sur les causes essentielles de ces sécessions - à partir des informations recueillies par un Tite-Live ou un Denys d'Halicarnasse -, pour tenter de cerner plus précisément comment les Anciens définissaient, en particulier par rapport au monde des génies, la plèbe qui, par deux fois disait-on, s'était retirée sur le mont Sacré et sur l'Avenrin.

tribunat de la plèbe de 471, mais A. Alföldi, Il santuario federale latino, p. 28 sq., la date de 456 ; sur la première sécession et la création du tribunat de la plèbe : J. Cl. Richard, Les Origines de la plèbe..., p. 541 sq. (avec l'exposé des débats et la bibliographie).

4. Cf. déjà Tite-Live, El, 44,1 ; sur cet aspect de l'histoire de Virginie, cf. les observations de J. Gagé, Matronalia..., p. 252 ; R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 477.

5. Tite-Live, X, 8, 9 ; sur ce point, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 196-197 ; M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., pp. 274-275 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier Prevo-tat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 103-143.

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Variations sur le mot « plèbe » yjy

La sécession de 494-493

La plebe et l'asservissement pour dettes : les données de la tradition

En 494, si l'on en croit Tite-Live c'est la gravité du problème des dettes et le nexum - l'asservissement pour dettes - qui sont à l'origine de la révolte de la plèbe contre les patriciens, et de sa sécession6.

On a fait remarquer que pour tous les épisodes qui précèdent cette première sécession7, Tite-Live insiste moins peut-être sur la condition concrète des asservis pour dettes, les nexi, que sur le fait que le nexum atteignait principalement les petits propriétaires, réduits à la misère par les guerres continuelles. Mais à en rester là, ne serait-on pas victime d'une de ces approches par lesquelles Tite-Live paraît réinterpréter les événements du premier siècle de la République, à la lumière de la crise de la petite et moyenne paysannerie qui a commencé de se développer depuis la seconde guerre punique8 ?

S'il y a dans ces récits un fond de vérité, l'analyse ne peut le retrouver, à mon sens, que si elle se place, autant que les sources le permettent, dans le contexte de la société archaïque : c'est à dire au moment où au monde des gentes, pour qui la terre fait l'objet d'une exploitation collective, sous le contrôle des patrons des gentes, s'opposent les plébéiens, pour lesquels ne doit pas exister d'autre mode d'accès à la terre que par l'appropriation privée du sol9.

On remarquera alors que tous les nexi des récits de Tite-Live sont d'anciens centurions - ils appartiennent donc à l'élite dans l'armée civique, à l'élite de la classis telle que l'avait constituée Servius Tullius, s'il faut en croire la tradition - ; ils ont été contraints de s'endetter, ils ont été incapables de se libérer du cycle infernal de l'endettement10, et pour finir ils ont perdu la terre qu'ils avaient reçue de leurs pères. En d'autres | termes, le nexum accable ceux qui possèdent la terre en toute propriété, et

6. Tite-Live, II, 23-32.

7. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 287 et n. 22.

8. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 55-62.

9. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 103-143., pp. 127-128, et pp. 138-142 (avec l'intervention de L. Capogrossi-Colognesi).

10. Pour l'endettement à Rome à l'époque archaïque, Cf. maintenant l'analyse - indispensable - de H. Zehnacker, « Unciarium fenus » (Tacite, Annales VI, 16), Mélanges Wuil-leumier, Paris 1980, pp. 353-362.

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! par conséquent, à cette date encore, les « plébéiens », et eux seuls11 ; l'on ^ ne saurait s'étonner de ne pas trouver de clients des génies - ni, bien en-/ tendu, de patrons - parmi les nexi.

Les enjeux du « nexum » : élite plébéienne contre patriciens

C'est le moment où commencent à se développer les conditions d'une récession économique qui allait frapper durement l'ensemble de la plèbe, et mettre son élite dans la quasi incapacité d'imposer sa participation à la gestion des affaires de l'État ; si l'on accorde d'autre part une certaine authenticité au « code de la clientèle » décrit par Denys d'Halicarnasse, et si l'on croit à la réalité des charges matérielles qui, au sein des gentes, pesaient sur les clients au bénéfice de leurs patrons12, on admettra que les patriciens, patrons de gentes, devaient disposer de réserves, qui ont dû leur permettre d'être les principaux créditeurs. Or ces patrons des gentes ont été les détenteurs privilégiés d'un droit resté entièrement coutu-mier - et secret pour tout autre que pour eux - jusqu'à la loi des XII Tables. Comme par surcroît ils géraient la plus grande partie des hautes magistratures, c'est essentiellement à eux que revenait le droit de juger ; ils étaient donc à même de bénéficier pleinement des condamnations des endettés reconnus insolvables, et du système du nexum. Et de fait ce sont eux, et exclusivement eux, que la tradition tient pour responsables de la très grave crise qui se développe en 494, en relation avec une généralisation du nexum, et qui provoque la première sécession de la plèbe. Le nexum ne peut-il alors être interprété, pour une part au moins, comme un moyen pour les patriciens de prendre le contrôle de terres qui leur avaient échappé, parce que, depuis Servius Tullius, elles avaient fait l'objet d'une appropriation privée au profit des plébéiens13 ?

Certes, de riches plébéiens devaient être capables de consentir des prêts, et de profiter du système pour accroître leurs domaines. Mais dans la mesure où ils étaient exclus, pour l'essentiel, des hautes magistratures, ils ne pouvaient en être bénéficiaires, selon toute probabilité, que de façon marginale : dans la mesure exacte où les détenteurs du droit y

11. Sur le problème du nexum : J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 125-128.

12. En ce sens : A. Magdelain, Remarques, pp. 105-106 ; sur le code de la clientèle, l'analyse de J. Cels-Saint-Hilaire et CL Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 106-108 ; J. Poucet, Les origines de Rome..., p. 104 n. 99, refuse tout bien-fondé à cette étude, mais sans donner aucune raison de ce refus ; cf. aussi supra, chap. I.

13. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 125-126.

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Variations sur le mot « plèbe » 179

consentiraient14. Les revendications contre le nexum étaient en revanche de celles qui pouvaient leur permettre de trouver, en particulier dans des couches plus modestes de la plèbe, et plus menacées15, les masses de manœuvre dont ils avaient besoin dans les conflits qui les opposaient aux patriciens les plus conservateurs : des personnalités de l'élite plébéienne pouvaient se faire les porte-parole de revendications qui conduisaient à des mesures de circonstance, lorsque le problème des dettes devenait trop grave. Mais on remarquera, en même temps et surtout, la subordination constante de telles mesures à des revendications qui étaient proprement politiques - le droit pour les « plébéiens » d'accéder aux hautes magistratures et aux sacerdoces - et qui ne pouvaient profiter qu'aux plus riches16.

À quel régime les terres confisquées en faveur des patriciens, au titre du nexum, étaient-elles ensuite soumises17 ? Entraient-elles dans la propriété privée que des patriciens avaient pu commencer à constituer pour eux-mêmes18 ? Ou bien allaient-elles grossir les domaines des gentes, et les clients y trouvaient-ils leur avantage ? Quelle que soit la réponse que l'on pourra donner à de telles questions, il semble bien que les clients n'aient eu en 494-493, pour ce qui est de l'accès à la terre et du nexum, aucun intérêt commun avec la plèbe : la sécession est certainement alors le fait des plébéiens - définis comme ceux qui gentem non habent, et qui sont en conséquence victimes du nexum - et d'eux seulement.

Plèbe et gentes : deux catégories sociales antagoniques ?

Or, les affrontements que Tite-Live décrit encore, en 461, entre d'une part les plébéiens, d'autre part les Patres « et l'immense armée de leurs

14. De ce fait, dans les récits de la tradition,les patriciens seuls sont présentés comme bénéficiaires du nexum ; sur la prééminence des patriciens dans le domaine du droit : A. Magdelain, Le ius archaïque..., en particulier pp. 268-272.

15. Les nexi que Tite Live évoque le plus volontiers sont d'anciens adsidui : ils avaient donc été assez riches pour appartenir à la classis ; cf. en particulier Tite-Live, H, 23-24 ; 27,2-3 ; 29, 7-8 ; 32,2, etc.

16. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 129-130.

17. Sur les problèmes de l'endettement à très haute époque, cf. les réflexions de M. Finley, La servitude pour dettes, Revue d'Histoire du Droit, 159-184.

18. C'est ce que suggère Tite-Live, pour 450 il est vrai : Tite-Live, UT, 37,7 ; le développement de propriétés aux mains des patrons de gentes, par le biais tout particulièrement du nexum, ne pouvait cependant que précipiter la crise des liens de clientèle et la dissolution des structures gentilices, qui deviendra patente au début du siècle suivant.

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clients »19, à l'occasion de concilia plébis, confirment la réalité des oppositions entre plèbe et génies, et montrent qu'elles existaient toujours dans les années qui suivent la lex Publilia de 471 av. J.-C.20.

Mais on peut croire qu'au moins sur le plan politique, la situation était alors sur le point de changer : il convient ici de revenir aux informations que livrent les Anciens - et principalement Tite-Live, ici irremplaçable - sur la crise décemvirale et sur la sécession de 449 : quels en sont les éléments essentiels, et quels problèmes ces informations posent-elles ?

La crise décemvirale et la sécession de 449 av. J.-C.

Les données de la tradition dans les récits de Tite-Live

Tandis que dans la Ville se perpétuent au pouvoir les décemvirs du second collège, et que se développe contre eux, pour sauver la « liberté des citoyens », une opposition sénatoriale menée par Marcus Horatius et Lucius Valerius et bientôt relayée par l'opinion publique, Rome se trouve menacée par un parti de Sabins, installés à Eretum, et par des Eques, campés sur l'Algide. Cependant, à l'annonce de ravages perpétrés par l'ennemi dans les campagnes, et devant l'inrminence du péril, le Sénat a fait taire les dissensions intérieures : deux armées ont été levées et placées sous l'autorité de quatre décemvirs chacune, tandis que les deux derniers décemvirs, Appius Claudius et Spurius Oppius, restent à Rome21. Or, les deux armées romaines, qui contestent la légitimité du commandement décemviral qu'elles ont reçu, subissent de graves revers et doivent se replier l'une entre Fidènes et Crustumerium, l'autre sur Tus-culum22.

C'est alors que Lucius Siccius, ancien tribun de la plèbe, et qui sert dans l'armée de Sabine maintenant campée près de Crustumerium, com-

19. Tite-Live, IQ, 14,4 ; dans le même sens : I. Hahn, The plebeians..., p. 63, avec toutefois une interprétation que je crois fautive de Tite-Live, H, 64,1 : Irata plebs interesse consu-laribus comitiis noluit : « la plèbe irritée refusa de prendre part aux comices pour l'élection des consuls » ; ce ne sont pas là, comme semble le penser l'auteur, des comices tributes ; mais l'observation n'en garde pas moins toute sa valeur.

20. Sur cette loi, qui réservait l'élection des tribuns de la plèbe aux assemblées tributes, et par là, si l'on suit Tite-Live, II, 2-5, excluait les clients des gentes des procédures de vote: J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 128-129 ; supra, chap. H.

21. Tite-Live, m, 38-42.

22. Tite-Live, m, 42.

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mence à parler à ses compagnons d'armes d'une restauration du tribunat de la plèbe23 : une audace qu'il ne tarde pas à payer de sa vie ; mais cette mort donne dans l'armée de Sabine le premier signal du soulèvement24. Pendant le même temps, à Rome, a lieu le scandaleux procès en liberté de Virginie, fille de Lucius Verginius, sous la présidence - et en fait à Tinstigation - du décemvir Appius Claudius : pour soustraire sa fille à l'esclavage, auquel la réduit la sentence décemvirale à l'issue d'un procès fait d'avance, Lucius Verginius n'a d'autre choix que de lui donner la mort25 ; ce qu'il fait - l'information n'est certainement pas indifférente26 -près du temple de Cloacina.

La révolte se développe alors en deux temps, dans l'armée et dans la Ville. D'abord, l'armée de l'Algide se soulève à l'appel de Lucius Verginius : elle élit dix tribuns militaires, et sous leur commandement, elle vient établir son camp sur l'Aventin27. En même temps l'armée de Sabine, où la révolte gronde depuis l'assassinat de L. Siccius, se soulève au récit que lui font Publius Numitorius et Lucius Icilius du procès et de la mort de Virginie28 : elle aussi élit dix tribuns militaires, et quitte son camp près de Crustumerium, pour se porter à son tour sur l'Aventin, où les deux armées font leur jonction.

À Rome cependant, tandis que les sénateurs se perdent en discussions stériles, Marcus Duillius, un ancien tribun de 470, fait passer « la plèbe » - en fait, à ce moment encore, les deux armées - de l'Aventin sur le mont Sacré :~« Le mont Sacré leur rappellerait la fermeté de la plèbe et leur indiquerait la fonction qu'il était indispensable de restaurer pour ramener la concorde » ; et Tite-Live d'insister : « La plèbe (de la ville) suivit l'armée [...] ». À ce moment, la restauration du tribunat de la plèbe, restée jusqu'alors, semble-t-il, secondaire, passe au premier plan des revendications, tandis que tombent dans l'oubli les tribuns militaires qu'avaient élus les deux armées. C'est alors - et alors seulement29 - que

23. Tite-Live, IH, 37, 5 : les plébéiens y voyaient le « rempart de la liberté » : Munimentum libertati.

24. Tite-Live, lu, 43.

25. Tite-Live, m, 44-48.

26. Cf. infra.

27. Tite-Live, m, 50-51.

28. Tite-Live, m, 51.

29. En ce sens, les remarques très convaincantes de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 293.

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les Patres30 proposent des mesures d'apaisement, avec le décret sénatorial de démission immédiate des décemvirs, et l'envoi de leurs délégués, Lucius Valerius et Marcus Horatius, pour déclarer à la plèbe, toujours retirée sur le mont Sacré :

« Pour le bien, le bonheur et la prospérité de vous-mêmes et de la République, revenez dans la patrie, près de vos pénates, de vos femmes et de vos enfants [...] Allez sur l'Aventin, d'où vous êtes partis ; sur ce lieu propice, où vous avez commencé d'établir les premiers fondements de votre liberté, vous nommerez des tribuns de la plèbe. Il y aura là le grand pontife, pour tenir l'assemblée [...] »31.

Symbolique et dynamique de la tradition

L'on observera d'abord que la guerre étrangère, en se portant sur Eretum et sur l'Algide, avait atteint - symboliquement32 ? - de hauts lieux de culte : non loin à'Eretum, à la frontière que les peuples Sabins avaient avec les pays latins, se trouvait en effet le lucus Feroniae33, tandis qu'en territoire latin, près de l'Algide, se trouvait au moins un sanctuaire de Diane : celui de Diana Nemorensis, sur le territoire d'Aricie34 ; mais la référence à l'Algide pourrait aussi renvoyer, dans les monts Albains, à un lieu de culte beaucoup plus ancien et vénérable que celui de Némi, et fort riche de significations35. Je retiendrai ici que ces sanctuaires, à la fin de la République, étaient liés aux affranchissements ; à cette haute époque, on

30. C'est-à-dire, dans la langue de Tite Live, ceux des sénateurs qui sont patriciens : cf. C. Nicolet, Rome et la conquête..., p. 369.

31. Tite-Live, El, 54, 8 : Legati pro contione : « Quod bonum fawustum felixque sit uobis rei publicae, redite in patriam ad pénates, coniuges liberosque uestros [...] In Auentinum ite, unde profecü estis : ibi felici loco, ubi prima initia incohastis libertatis uestrae, tribunos plebi creabitis. Praesto erit pontifex maximus qui comitia habeat ».

32. Un sens symbolique qui n'est évidemment pas incompatible avec la réalité concrète de l'événement.

33. Sur le territoire de Capène mais, comme toujours pour Feronia, dans un site de confins: G.Dumézil, La religion..., pp. 402-409 ; J. Champeaux, Fortuna, p. 112; pp. 239-240 et n. 212 ; F. Coarelli, I santuari del Lazio in età repubblicana, Rome 1987, p. 183 ; pour la localisation du Lucus Feroniae sur la uia Salaria, à la convergence de routes venant dfEretum, de Cures, et de Capena : F. Coarelli, Lazio, p. 13.

34. L'Algide fait partie des monts Albains, entre Tusculum et Velitrae : Hülsen, RE, s.v. Algidus mons ; sur Diana Nemorensis, déesse fédérale de la ligue latine, F.-H. Pairault, 1969, pp. 425-471 (avec la bibliographie) ; en dernier lieu, F. Coarelli, I santuari..., pp. 165-185 ; sur la datation vers 500 av. J.-C. du premier sanctuaire de la Diane de Némi : F. Coarelli, I santuari..., en particulier pp. 165-170 (avec les références archéologiques).

35. Que l'on pense à la Diane « qui règne sur l'Aventin et sur l'Algide » invoquée par Horace dans le Carmen Saeculare, 69-70.

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pensera à des lieux de culte qui, plus largement, assuraient la sauvegarde des étrangers36 et de la liberté de la plèbe37. Verra-t-on seulement, dans tout cela, des jeux du hasard, ou encore des inventions de la tradition, inspirées par les enjeux des conflits qui se développent au Ier siècle av. J.-C. ? En tout cas, de telles informations pourraient donner le ton.

Car il convient de se rappeler que Rome possédait sur l'Aventin un sanctuaire, que l'on rapprochera à la fois du lucus Feroniae et du sanctuaire de l'Algide : là en effet se trouvait le temple que, vers le milieu du VIe siècle, le roi Servius Tullius avait consacré à Diane, pour en faire le centre confédéral de la ligue latine38 ; à la fin de la République et à l'époque augustéenne, Diane y avait, entre autres fonctions, celle de protéger les esclaves et les affranchis - comme c'était la fonction de Feronia et de Diana Nemorensis ; à haute époque, sans doute était-elle aussi garante de la sauvegarde des étrangers, et de la « liberté de la plèbe ».

L'on remarquera ensuite que Tite-Live donne successivement au mot « plèbe» des acceptions différentes : tantôt il désigne par là les armées de Sabine et de l'Algide, par opposition au haut commandement des decemvirs ; et c'est parce que ces armées se confondent avec la plèbe en armes que, sans leurs généraux, mais sous la direction des dix tribuns militaires qu'elles ont chacune élus, elles viennent s'établir sur l'Aventin, où elles font leur jonction ; tantôt le mot désigne la population de la ville, d'abord distincte des deux armées, mais qui se mêle à elles lorsqu'elles se transportent de l'Aventin sur le mont Sacré ; la plèbe en vient alors à désigner tout le peuple romain, qui a déserté Rome pour se transporter sur le mont Sacré, par opposition aux Patres, qui sont seuls restés dans la ville39 : le sens du vocable est devenu profondément différent de celui que l'on pouvait lui reconnaître précédemment, puisqu'il désigne maintenant à la fois ceux qui n'ont pas de gens, et les clients des gentes - par opposition aux patriciens.

Et pourtant - et ce sera là ma troisième observation - une première lecture de Tite-Live fait retrouver étrangement ici une répétition de la

36. À ce titre, ces sanctuaires étaient des lieux de rassemblement, sinon des sanctuaires fédéraux ; Cf. sur cela G. Dumézil, La religion..., p. 40.

37. Pour le vocable seruus comme désignant les étrangers, à très haute époque : E. Benveniste, Le vocabulaire..., pp. 358-361 ; pour les implications d'une telle acception du mot : J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 115-118.

38. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 114-118 (avec la bibliographie).

39. Sur ces glissements du vocabulaire, Cf. les observations de J. Bayet, Appendice à Tite-Live, V, V, pp. 150-151 : l'auteur exclut la possibilité d'une confusion des termes.

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première sécession, qui s'était développée près d'un demi-siècle plus tôt : mêmes hauts lieux - le mont Sacré et l'Avenrin ; mêmes protagonistes en apparence - la plèbe en armes, révoltée contre les abus de pouvoir d'un Appius Claudius, qui symbolise la puissance patricienne sous sa forme la plus violente - ; même épilogue - l'élection de tribuns de la plèbe, sous la présidence du pontifex maximus - ; plus encore : l'un des tribuns élus en 449, G. Sicinius, descend d'un des tribuns créés en 49340. Et l'impression se confirme, à la lecture d'autres textes anciens : ainsi, si le pontifex maximus qui préside les élections en 449 est un Marcus Papirius, comme le veut Cicéron41, on rapprochera ce nom de celui de Caius Papirius, pontifex maximus en 509 selon Denys d'Halicarnasse42 : à ce titre, un Caius Papirius pourrait fort bien avoir présidé les élections, en 493, des premiers tribuns de la plèbe, et un Marcus Papirius celles des tribuns de la plèbe rétablis en 449 - si du moins l'on admet l'authenticité de ces noms43.

On ne saurait cependant confondre les protagonistes des deux sécessions, non plus que leurs causes qui sont, sans doute possible, profondément différentes : ainsi les difficultés économiques, si elles existent en 449, ne semblent pas avoir une part déterminante dans la sécession qui va suivre ; et les scandales qui sont à l'origine de la révolte - le meurtre de L. Siccius et le procès scandaleux de Virginie, qui mettent en évidence la « réduction en esclavage » du peuple romain du fait des décemvirs -sont alors, sans conteste, d'ordre politique et institutionnel.

On l'a vu : la révolte, qui a d'abord été celle de l'armée, et dirigée contre les décemvirs - s'il faut en croire Tite-Live - est devenue anti-sénatoriale en se généralisant au peuple romain tout entier. Or, la tradition désigne la sécession qui va suivre comme celle de « la plèbe » : quelles

40. Tite-Live, m, 54,12 ; pour 471, si Tite-Live, II, 58,1, donne le nom de Cneus Siccius, Diodore, XI, 68, 7, cite Caius Sicinius, qu'il fait aussi descendre de Lucius Sicinius, Tun des principaux instigateurs de la sécession de 494, et l'un des tribuns élus Tannée suivante ; sur les noms de Siccius et de Sicinius : R. M. Ogilvie, A Commentary, p. 382.

41. Cicéron, op. Ascon., in Cornel. 77 C ; mais Tite-Live, lu, 54, 5, nomme Q. Furius ; cf. J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 49.

42. Denys d'Halicarnasse. IH, 36, 4 ; à la fin de la République, on tenait les Papirii pour avoir fourni le premier pontifex maximus - C. Papirius - et le premier rex sacrorum -M' Papirius : Cicéron, adfam. 9, 21, 2 ; sur tout cela, cf. J. R.S. Broughton, The Magistrates, I, p. 4 ; G. J. Szemler, The Priests..., p. 49-50, qui discute l'historicité des premiers noms attestés par la tradition pour les grands sacerdoces, aux lendemains de l'établissement de la République.

43. Une authenticité qu'à la fin de la République ou à l'époque augustéenne, les Anciens ne mettaient aucunement en doute : quels en étaient donc la signification et les enjeux ?

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mutations se sont donc opérées en un demi-siècle, qui conduisent à cette confusion du peuple romain avec « la plèbe », quand ce peuple se soulève contre les Patres ? Que ces modifications du vocabulaire, tel que l'emploie Tite-Live, renvoient à d'importantes transformations, au Ve siècle av. J.-C, des structures sociales et politiques, on ne saurait douter : selon toute vraisemblance, le contenu du mot « plèbe » a changé vers ce moment - et les récits d'un Tite-Live pourraient révéler la conscience que les Anciens en gardaient à l'époque augustéenne. Il faut revenir à l'épisode qui, pour la tradition unanime, est au cœur de la crise - le procès et la mort de Virginie - et qui donne des indices fort éclairants à la fois sur le processus, déjà en cours, de l'effacement des gentes comme structures sociales dominantes, et sur les souvenirs que la tradition en gardait à la fin de la République.

CONFLITS ET LUTTES POUR LA LIBERTÉ : L'HISTOIRE DE VIRGINIE

Le procès de Virginie

L'analyse des noms que les versions transmises par Tite-Live et par Denys d'Halicarnasse mêlent à cette affaire, quand bien même on les tiendrait pour inauthentiques, pourrait être très riche d'enseignements.

Le problème du statut de Virginie

Dans cette version de la tradition, la jeune fille dont la liberté est menacée, puis confisquée par un des décemvirs, a pour nom Virginie ; son père, Lucius Verginius, l'a fiancée à Lucius Icilius, ancien tribun de la plèbe, et fort populaire44 ; l'on apprend de plus qu'elle a pour mère une Numitoria, puisqu'elle a pour grand-père(auus) Publius Numitorius, que Tite-Live fait intervenir avec Lucius Icilius dès le début du procès45 ; mais c'est au fils de Publius Numitorius, oncle maternel de Virginie (auunculus)46, que Tite-Live réserve un rôle majeur, aux côtés de Lucius Icilius, dans le soulèvement qui va suivre le procès et la mort de la jeune

44. Tite-Live, m, 44, 2 et 7 : cf. infra.

45. Tite-Live, m, 45,4.

46. Tite-Live, III, 54, 11 : donnant la liste des tribuns élus, Tite-Live précise que P. Numitorius est auunculus Virginae.

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fille47. Or les noms d'Icilius et de Numitorius sont aussi ceux de deux des tribuns élus en 471, pour la première fois par l'assemblée tribute, en vertu de la lex Publüia récemment promulguée48 : on ne peut douter qu'ils soient plébéiens - au sens ancien du terme. Lucius Icilius, le fiancé de Virginie, Publius Numitorius, son oncle maternel, ainsi que Lucius Verginius, son père, vont devenir les instigateurs de la révolte dans les deux armées de Sabine et de l'Algide, tandis que Marcus Duillius, qui est lui-même l'un des tribuns qui avaient été élus en 471, sous la loi de Voléron Publilius, conduit le soulèvement de la plèbe dans la ville ; tous quatre seront élus tribuns de la plèbe, lors des élections qui vont suivre.

Si les noms d'Icilius, de Numitorius et de Duillius sont incontestablement plébéiens, que penser cependant de celui de Verginius ?

Les récits des Anciens - et leurs divergences - invitent en effet à s'interroger sur le statut de Virginie. Certes, la tradition recueillie par Tite-Live la dit uirgo plebeia49 ; mais tout aussitôt, Tite-Live ajoute que son père Lucius Verginius, dans l'armée de l'Algide, « honestum ordinem du-cebat » : que doit-on entendre par là50 ? L'expression honestum ordinem ducere évoque un commandement militaire, mais lequel ? On sait qu'au Ier siècle av. J.-C, l'adjectif honestus qualifiait couramment les membres de l'ordre équestre51, parmi lesquels il faut compter les fils de sénateurs52. Quelle correspondance convient-il donc d'établir entre le sens de l'expression employée par Tite-Live et la situation à laquelle il se réfère, au Ve siècle av. J.-C. ? On peut penser que des personnalités issues de l'élite de la plèbe pouvaient alors servir dans les centuries équestres, et même y exercer des commandements : l'information peut ne pas être in-

47. Tite-Live, IQ, 46,5 : [...] placuit omnium primum fratrem Icili filiumque Numitori, impigros iuuenes, per gère inde recta ad partam et, quantum adcelerari posset, Verginium acciri e cas-tris : « [...] il fut décidé qu'avant tout le frère d'Icilius et le fils de Numitorius, tous deux jeunes et alertes, se rendraient directement à la porte de la ville et iraient en toute hâte chercher Verginius au camp » (éd. et trad. CUF) ; P. Numitorius figurera parmi les tribuns élus en 449 : Tite-Live, m, 54,11.

48. Cf. supra, chap. IL

49. Tite-Live, m, 44,2.

50. Tite-Live, HI, 44,2 : Pater uirginis, L. Verginius, honestum ordinem in Algido ducebat ; la traduction proposée par l'édition CUF, qui fait de L. Verginius un « centurion en premier à l'armée de l'Algide » ne me paraît pas rendre compte de l'ambiguïté du texte, qui pourrait être voulue.

51. Nicolet, L'ordre équestre à Vépoque républicaine (312-43 av. J.-C.). Définitions juridiques et structures sociales, Paris 1966, pp. 194-195 et p. 199-207 ; J. Hellegouarc'h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris 1972, pp. 462-463 et 491 et n. 5.

52. Cl. Nicolet, L'ordre équestre..., p. 207.

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compatible avec l'appartenance à la plèbe de Lucius Verginius, qui pourrait relever d'une famille étrangère au monde des gentes. Cependant le nom de Verginius est aussi porté au même moment par des patriciens certains, qui relèvent d'une très grande gens53 : Lucius Verginius peut aussi bien avoir eu une origine patricienne, et avoir obtenu de passer dans la plèbe, par une transitio ad plebem ; mais il peut aussi avoir été un client - évidemment de haut rang - , ou un gentilis, si l'on préfère ce terme peut-être plus honorable54, dans la gens Verginia.

L'ambiguïté qui se révèle alors dans ce nom pourrait inviter à d'autres analyses55 : n'est-ce pas la même ambiguïté que Ton retrouve dans le vocabulaire employé par Diodore56, lorsqu'il désigne comme eugenès parthénos - de bonne naissance - , mais sans la nommer, la jeune fille victime de la passion d'un décemvir ? Certains ont voulu voir dans cette expression l'indice d'une origine patricienne de Virginie57. Mais est-on bien obligé de choisir ? La même ambiguïté ne se retrouve-t-elle pas encore dans les propos de Cicéron, lorsqu'il évoque « un certain Deci-mus Verginius » - Decimus quidam Verginius - , et qu'il désigne la jeune fille simplement par le terme uirgo ? N'est-ce pas l'ambiguïté même du statut de Virginie - une ambiguïté qui, sous des formes diverses, paraît présente dans toutes les sources - qui doit faire l'objet de l'analyse et dont il faudrait tenter de rendre compte ?

53. Cf. infra, chap. VI.

54. L. Verginius ne serait-il pas de ceux que les textes, pour l'époque archaïque, désignent comme gentiles - proches du patron de la gens, mais non patriciens ? Cicéron, Topiques, 29, les définit par un ensemble, nécessaire et suffisant, de quatre caractères : « "Gentiles sunt, qui inter se eodem nomine sunt". Non est'satis. "Qui ab ingenuis oriundi sunt". Ne id quidem satis est. "Quorum majorum nemo seruitutem seruiuit". Abest etiam nunc. "Qui capite non sunt deminuti". Hocfortasse satis est » : « "On appelle gentiles ceux qui portent le même nom". C'est insuffisant. "Qui sont issus de parents ayant toujours été libres". C'est encore insuffisant. "Dont aucun ancêtre n'a jamais vécu dans l'esclavage". Il manque encore quelque chose. "Qui n'ont jamais vu leur état juridique diminué". Cela me paraît suffire » (éd. et trad. CUF). Ne reconnaîtra-t-on pas dans une telle définition sinon tous les clients des gentes - parmi lesquels devaient se trouver des affranchis ou des descendants d'affranchis - du moins l'élite des clientèles genti-lices?

55. Cf. déjà les observations de J. Gagé, Matronalia. Essai sur les dévotions et les organisations cultuelles des femmes dans Vancienne Rome, Bruxelles 1963, p. 232, à propos du nom des Verginii que l'on trouve associé : 1) à la dédicace en 488 av. J.-C. du temple de Fortuna Muliebris sur la Via Latina ; 2) à la fondation en 294 av. J.-C. d'un temple à Pudicitia Plebeia : cf. aussi p. 121.

56. Diodore, XII, 24.

57. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 123 et n. 58 (avec les références bibliographiques précises).

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Des ambiguïtés voulues ?

On pourra suspecter l'authenticité des noms dans l'histoire de Virginie58, mais on ne saurait tenir l'histoire elle-même pour inventée59 : elle illustre trop bien des conflits dont la réalité n'est guère douteuse - et sans doute, on le verra, dès avant le milieu du Ve siècle - sur la légitimité des naissances issues de mariages qui risquaient de mêler le monde des gentes à celui de la plèbe. À un moment où les clients des gentes, qui sont inscrits dans les tribus et participent à l'assemblée tribute, y sont selon toutes probabilités tenus pour « plébéiens », les patriciens les plus conservateurs avaient tout lieu de redouter de tels mariages : ils pouvaient sceller des alliances entre d'autres patriciens, passés ou non à la plèbe, ou des clients de haut rang, et des personnalités de l'élite plébéienne60, et compromettre le contrôle politique que les patriciens conservateurs espéraient exercer sur les assemblées, grâce à leurs clientèles. Mais de plus, la progéniture des clients mariés hors des gentes ne devait-elle pas échapper aux contraintes de la clientèle ? Les conséquences n'en seraient-elles pas, à plus ou moins long terme, la fin des gentes ? En d'autres termes, le conflit qui oppose Lucius Verginius au decemvir Appius Claudius a des causes qui pourraient dépasser singulièrement la plèbe - au sens ancien du terme - et concerner aussi bien le monde des gentes, clients comme patrons ; cela, quelle que soit l'authenticité que l'on voudra bien reconnaître aux noms des protagonistes ou aux lieux de la sécession. Et il me paraît que la présentation des faits par Cicéron, ainsi qu'un passage du discours que Tite-Live prête en 445 av. J.-C. au tribun de la plèbe Caius Canuleius, pourraient ouvrir la voie à une interprétation de cet ordre61.

La loi d'interdiction du conubium

Les données de la question

Cicéron, en effet, explique la révolte générale, dès l'abord, par l'injustice (iniustitia) dont se rendent coupables les décemvirs en ajoutant aux

58. R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 477, interprète le nom de Verginia comme une simple hypostase de virgo, et le personnage de Verginius serait né par la suite des embellissements de l'histoire.

59. Contra cependant : R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 477, qui n'y reconnaît pas autre chose qu'une belle histoire morale, certainement postérieure à la période gracchienne.

60. C'est sans doute ce que tendait avant tout à éviter la loi d'interdiction du conubium.

61. Cicéron, De la République, H, 37,63 ; Tite-Live, IV, 1-2 : Cf. infra, n.

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lois déjà publiées « deux tables de lois iniques » ; et Cicéron cite une seule de ces lois : l'interdiction du droit d'intermariage - le conubium -entre la plèbe et les Patres. Dénonçant alors dans le gouvernement dé-cemviral « l'arbitraire, la cruauté et l'avidité », il en retient un seul exemple : celui de la « passion déréglée » de l'un des décemvirs pour une jeune fille (uirgo), que tue son propre père, « un certain Decimus Verginius ». Un tel exposé des faits n'invite-t-il donc pas à replacer l'histoire de Virginie dans le contexte des débats que devait alors soulever le problème du droit d'mtermariage, que la loi ait été ou non promulguée à ce moment5^- ? Le flou dans lequel reste la tradition pour l'histoire de Virginie, où l'on peut retrouver tous les cas de figures possibles, hors celui des mariages patriciens, ne convie-t-il pas à penser que ce qui a pu se trouver contesté, c'est la légitimité de tous les mariages qui ne seraient pas patriciens, et singulièrement la légitimité des mariages qui conduiraient à la confusion entre deux modèles de société, en mêlant la plèbe avec les clients et les gentiles63 ?

On observera qu'Appius Claudius, dont Tite-Live fait un patricien des plus conservateurs, conteste l'ingénuité de Virginie en niant la paternité de Lucius Verginius ; et l'on peut se demander alors si ce n'est pas là contester en fait la légitimité d'une naissance parce qu'elle est issue d'un mariage entre une Numitoria, plébéienne sans doute aucun, et Lucius Verginius, dont les attaches avec une gens pourraient se révéler dans son nom. Sans doute pourrait-on avoir là, si l'on tient Lucius Verginius pour patricien, une simple illustration de la situation créée par l'interdiction légale du conubium, du mariage entre patriciens et plébéiens. Mais si Lucius Verginius relève de la gens Verginia, sans être lui-même patricien, le mariage promis entre Virginie et Icilius montre fort bien le processus qui pourrait conduire, à plus ou moins long terme, à l'émancipation des clients - et en tout cas de leurs enfants - de la tutelle des patrons des

62. Contre Cicéron, De la République, II, 37, 63 et Tite-Live, IV, 4, 5, qui en font des lois dé-cemvirales, Diodore (XU, 26, 1) attribue à Lucius Valerius et Marcus Horatius, élus consuls en 449, les deux dernières tables des lois. Sur les difficultés d'interprétation de ces données : J. Bayet, Appendice à Tite-Live, IV, p. 127 ; G. Poma, Tra legislatorie tiranni..., pp. 264-275.

63. En ce sens, Tite-Live, IV, 1,1-2, à propos de la rogatio Cantileia de 445 av. J.-C. : Nam anni principio et de conubio patrum et plebis C. Canuleius tribunus plebis rogationem promulgami, qua contaminati sanguìnem suum patres confundique iura gentium rebantur : « En effet au début de Tannée, c'est sur le droit d'intermariage entre patres et plébéiens que C. Canuleius, tribun de la plèbe, déposa un projet de loi, dont les patres pensaient qu'elle souillerait leur sang et qu'elle brouillerait les droits des gentes » ; cf. aussi Tite-Live, IV, 3, 4, infra. Sur le sens de la racine *gen, qui indique la naissance comme fait social, et la caractérise comme légitime : E. Benveniste, Le vocabulaire...,!, p. 315.

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génies et des contraintes de la clientèle gentilice64. Comment certains au moins des patriciens n'auraient-ils pas tenté d'éviter un tel processus ? Déjà la loi sur le conubium - et quels qu'en aient été les promoteurs - révèle à ce moment une volonté, dominante parmi les patriciens, d'empêcher les mariages entre l'aristocratie gentilice et l'élite de la plèbe : l'on n'oubliera pas à cet égard que ce sont Lucius Valerius et Marcus Hora-tius, ces restaurateurs de la « liberté républicaine », qui, devenus consuls, ont promulgué la loi65, si même ils ne l'ont pas élaborée66. Le procès fait à Virginie, dont le statut reste non défini, ne revèle-t-il donc pas alors, dans un tel contexte, l'existence chez les patrons des génies de l'intention de contrôler les mariages de leurs clients et de leurs geniiles ?

On observera à cet égard - le thème revient à plusieurs reprises dans le récit de Tite-Live - que les menées du décemvir à l'égard de Virginie réduisaient à néant le projet du mariage de la jeune fille avec Lucius Icilius, ancien tribun de la plèbe et d'origine plébéienne indiscutable. On se demandera alors, plus largement encore, si ne risquait pas d'être mise en cause, en même temps, la légitimité de tous les mariages qui ne seraient pas patriciens67 : mariages à tout prendre tous « plébéiens », au moment où l'inscription des clients dans les tribus tendait à unifier le peuple romain en une même définition du citoyen.

Confliis sur la légiiimiié des mariages ei des naissances

Le meurtre de Virginie par son père près du temple de Cloacine prend alors ici tout son sens68. Cloacine avait son sanctuaire sur la uia Sacra69, au lieu, disait-on, où les Romains de Romulus et les Sabins de Ti-

64. Si l'on applique les règles qui, selon Gaius, Institutes., I, 56, fixent le statut des enfants dans le cadre du conubium, les enfants issus du mariage légitime de Virginie et d'Iri-lius seront plébéiens : si Virginie relève d'une gens, ses enfants échapperont en revanche aux liens de la clientèle.

65. Tite-Live, m, 57,10.

66. Diodore, XII, 26,1 : Cf. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 265.

67. Dans le même sens : M. Torelli, Lanuvio e Roma. Riti iniziatici e matrimonio tra archeologia e storia, Rome, p. 146, qui propose de voir dans la réduction de Virginie en esclavage un renversement du mariage plébéien par coemptio, qui répondait lui-même au mariage par confarreatio des patriciens.

68. En ce sens, J. Gagé, Matronalia..., p. 92 et pp. 256-257 ; F.Coarelli, Il Foro Romano..., p. 88.

69. Cf. carte IV ; pour la localisation du sacellum de Cloaçina sur la via Sacra, et pour le patronage exercé par cette divinité sur le mariage : F. Coarelli, Il Foro Romano I..., pp. 84-86 ; sur les fonctions de la uia Sacra, pp. 108-118.

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tus Tatius s'étaient réconciliés et s'étaient purifiés. Et l'on sait que depuis lors70 la divinité patronnait et garantissait les mariages romains sous leur plus ancienne forme - raptus et usus -71, sans distinction de ceux qui étaient patriciens et de ceux qui ne l'étaient pas : une forme qui rappelait l'enlèvement des jeunes filles sabines par les fondateurs de la Ville pour en faire leurs épouses72. Le choix que fait Lucius Verginius du lieu où il sacrifie sa fille, pour la soustraire à l'esclavage et à la honte, ne rappelle-t-il pas alors hautement ce très ancien patronage sacré sur les mariages romains et sur les naissances qui en résultaient ? À lire Tite-Live en tout cas, le malheur de Virginie a été interprété comme celui du peuple tout entier, et il a jeté tous ceux des Romains qui n'étaient pas patriciens, et qui composaient maintenant la plèbe, dans la révolte et la sécession pour sauver la « liberté » de leurs enfants73. Ne verra-t-on pas alors dans l'action du décemvir, qui serait un exemplum, l'illustration de ce que pouvaient tenter les patriciens, pour préserver un contrôle des patrons sur les mariages de leurs gentiles et de leurs clients, et sur leur descendance, et par là garantir, avec la pérennité des clientèles, celle de l'organisation gentilice ? Le procès de Virginie pourrait ainsi, d'abord, être révélateur des lieux où des patriciens, maîtres du droit - et qui entendaient le rester, en dépit de la publication de la Loi des XII Tables - pouvaient porter les

70. Pline, Histoire Naturelle, XV, 119-120 : (Myrtus) fuit, ubi nunc Roma est,iam cum condere-tur, quippe ita traditur, myrtea uerbena Romanos Sabinosque, cum propter raptas uirgines dimicare uoluissent, depositis armis purgatos in eo loco qui nunc signa Veneris Cluacinae habet. Cluere enim antiqui purgare dicebant. Et in ea quoque arbore sufpmenti genus habetur, ideo tum electa, quoniam coniuctioni et huic arbori Venus praeest, haud scio an prima etiam omnium in locis publias Romae sata, fatidico quidem et memorabili augurio : « [Le myrte] existait déjà sur l'emplacement actuel de Rome lors de sa fondation. En effet la tradition rapporte que les Romains et les Sabins, ayant voulu en venir aux mains à cause de l'enlèvement des vierges, se purifièrent, après avoir déposé les armes, avec des branches de myrte sur l'emplacement actuel des statues de Vénus Cloacine. En effet dans l'ancienne langue, cluere signifiait nettoyer. Et cet arbre est employé aussi dans les fumigations ; on l'a choisi alors parce que Vénus préside aux unions et qu'il lui est consacré ». (éd. et trad. CUF)

71. « L'enlèvement et l'usage » ; sur cela, M. Torelli, Lavinio, pp. 117-122.

72. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 84-85.

73. Ce thème revient constamment dans le récit par Tite Live de la sécession de 449 ; je me bornerai ici à citer d'abord, au début du procès, Tite-Live, IE 44, 7 : Vergini patris sponsique Icili populäre nomen celebratur : « On se répète que c'est la fille de Verginius et la fiancée d'Icilius, deux noms populaires » ; puis, après la mort de Virginie, Tite-Live, HE, 48, 8 : Sequentes clamitant matronae eamne lïberorum procreandorum condicionem, ea pudicitia praemia esse : « Les matrones » - c'est à dire les épouses légitimes - « suivent en demandant à grands cris si c'est pour cela que l'on donne naissance à des enfants, si c'est là la récompense de la vertu ».

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conflits : la légitimité des mariages, et des naissances qui en résulteraient74.

Témoignerait assez en ce sens, tout au long de l'affaire, la présence des matronae : c'est à dire des femmes légitimement mariées et dont, par conséquent, les enfants sont légitimes75. Alors pourrait se révéler aussi la signification profonde du nom de Virginie et du sens qu'il donne à la crise, si l'on se souvient qu'en 486 av. J.-C. un ProculusVergiiüus, alors consul - et certainement patricien - , avait dédié le temple de Fortuna Muliebris76.

Le culte de Fortuna Muliebris77 était lié par la tradition à la geste de Caius Marcius Coriolanus, et à la menace qu'en 488 l'exilé, campé à la tête d'une armée volsque aux fossae Cluiliae78, avait fait peser sur les frontières de Rome ; une ambassade des matronae, qu'avait suscitée Valeria79, sœur ou fille de Valerius Publicola, avait su le convaincre de respecter sa propre patrie. Les matronae avaient alors demandé, et obtenu du Sénat, qu'un temple fût offert à Fortuna Muliebris, non loin des fossae Cluiliae - un nom que l'on rapprochera de celui de Cloacina80 - , pour abriter un culte réservé, comme celui de Mater Matuta, aux matronae

74. En ce sens, les réflexions de J. Bayet, Appendice à Tite-Live, IV, p. 127-132, sur les « coutumes » matrimoniales antérieures à la Loi des XQ Tables ; et surtout maintenant, pour l'histoire du mariage romain, M. Torelli, Lavinio, pp. 117-147, en particulier p. 122-131 (pour la confarreatio et le mariage patricien) et pp. 131-147 (pour la coemptio dans le rituel du mariage plébéien).

75. Seules sont légitimes les naissances issues de mariages tenus pour légitimes. Sur ces problèmes : J. Gagé, Apollon romain, p. 191 ; J. Gagé, Matronalia..., particulièrement p. 99, pp. 117-118, et p. 144.

76. Denys d'Halicarnasse, VHI, 55, 4-5 : le temple aurait été dédié le 6 juillet 486 av J.-C. par le consul Proculus Verginius ; dans le même sens : cf. les observation de F. Coarelli, I, p. 88.

77. Pour le culte de Fortuna Muliebris, avec l'exposé des sources, et les débats auxquels ce culte a donné lieu de la part des Modernes : J. Champeaux, Fortuna..., pp. 335-373.

78. Sur la valeur symbolique d'une telle localisation : cf. infra ; sur la valeur magico-reli-gieuse des fossae Cluiliae : A. Alf oidi, Early Rome, pp. 300-301.

79. La tradition faisait intervenir un Valerius aux fossae Cluiliae bien avant cette date : sous le roi Tullus Hostilius, pour le traité passé entre Rome et Albe la Longue : cf. infra.

80. Il s'agit dans les deux cas de sanctuaires de confins : Cloacina, dont le sanctuaire sur la via Sacra était voisin de celui de Janus Geminus, était liée comme ce dernier à la frontière du territoire pré-urbain ; le sanctuaire de Fortuna Muliebris, au début du Ve siècle, sera de façon analogue situé aux confins de Vager Romanus Antiquus ; à ces divinités étaient rattachés des rites de passage - passages entre deux espaces, entre deux âges, entre deux statuts - qui intéressaient la communauté civique au premier chef. Sur tout cela : F. Coarelli, 1/ Foro Romano, I..., particulièrement pp. 88-97.

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uniuirae81 : Fortuna Muliebris était à n'en pas douter, tout comme Mater lAatuta et comme Cloacina, en relation étroite avec la légitimation des mariages romains82.

Je ferai alors ici remarquer, d'abord,que Caius Marcius Coriolanus, qui était certainement un patricien, et qui avait pour mère une Veturia, issue d'une des plus grandes familles patriciennes du temps, n'en avait pas moins épousé une Volumnia, plébéienne selon toute probabilité83 : indice - parmi d'autres - du fait que de puissantes familles patriciennes avaient déjà noué des relations d'intermariage avec l'élite de la plèbe. On observera, ensuite, que Proculus Verginius, lorsqu'il avait dédié le temple de Fortuna Muliebris, avait pour collègue Spurius Cassius, consul pour la troisième fois ; et à la fin de cette même année, Spurius Cassius allait être condamné à mort et exécuté, à l'issue d'un conflit où Proculus Verginius devait jouer un rôle majeur

L'on se rappellera, enfin, que la dédicace du temple de Fortuna Muliebris par Proculus Verginius suit de quelques années à peine celle du temple de Cérès, qu'avait dédié en 493 Spurius Cassius, alors consul pour la seconde fois ; or Cérès était certainement protectrice, quant à elle, des mariages « plébéiens »84.

En cette année 486, on s'en souvient85, Spurius Cassius avait déposé un projet de loi agraire qui prévoyait le partage uiritim des terres récemment conquises sur les Herniques ; à cette loi, Proculus Verginius, soutenu par les patriciens, devait s'opposer avec la plus grande énergie, dénonçant, dit Tite-Live,« le caractère pernicieux des dons de son collègue : "Ces terres apporteraient l'esclavage à quiconque les recevrait ; c'était un acheminement à la royauté. Pourquoi admettre ainsi au partage les alliés et le peuple latin ? À quoi bon rendre aux Herniques, hier leurs ennemis, le tiers du pays conquis, sinon pour engager ces peuples à remplacer comme chef Coriolan par Cassius ?". C'est à partir de ce moment - ajoute

81. Sur les cultes desservis par les matronae uniuirae : M. Humbert, Le remariage à Rome. Essai d'histoire juridique et sociale, Milan 1972, pp. 42-50 ; cf. aussi J. Gage, Matronalia..., p. 124 et n. 2, qui évoque les contraintes qu'à haute époque les liens de clientèle devaient faire peser sur les femmes, et suggère de définir alors la matrona uniuira comme celle qui « n'avait "appartenu" qu'à un seul homme, normalement son unique mari ».

82. F. Coarelli, 7/ Foro Romano, I..., p. 88, a mis en valeur l'ensemble des éléments qui rattachent le sanctuaire à des rites de passage et d'initiation, en même temps qu'à des noms charismatiques ; sur cela, cf. aussi chap. VI.

83. Sur la distinction entre noms patriciens et noms plébéiens : infra, chap. IX.

84. Le Bonniec, Le culte de Cérès à Rome. Des origines à la fin de la République, Paris 1958, pp. 81-88.

85. Cf. supra, chap. II.

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Tite-Live - qu'il commença à se rendre populaire par sa campagne d'opposition à la loi agraire »86.

Proculus Verginius était devenu alors l'un des artisans les plus actifs de la perte du grand consul plébéien, et d'une victoire décisive sur la plèbe des patriciens les plus conservateurs87. Dans un tel contexte, quel sens a pu avoir la fondation du culte de Fortuna Muliebris ?

Bien que le temple ait été dédié par un Proculus Verginius, la présence de Volumnia, l'épouse de Coriolan, au premier rang de l'ambassade des matronae qui avaient réclamé cette fondation, interdit d'y voir un culte franchement patricien. Il paraît cependant avoir été d'inspiration fort aristocratique88 : tous les noms liés à l'ambassade des matronae auprès de Coriolan, ou à la fondation du culte, figurent parmi les plus grands que Rome ait comptés à ce moment. Culte lié à la légitimation des mariages, il s'opposait de quelque façon, selon toute vraisemblance, au patronage sans doute plus large, ou plus populaire, en tout cas plus exclusivement « plébéien », que Cérès assurait. On peut, quoi qu'il en soit, reconnaître dans cette fondation l'expression, dans le domaine religieux, de conflits fort complexes, que les récits très simplificateurs de la tradition donnent pour ceux de la plèbe et du patriciat : sans doute renvoient-ils en fait à des luttes entre factions rivales, chacune regroupant des patriciens et des personnalités de l'élite « plébéienne » ; et de tels conflits devaient avoir pour enjeux, en 486 comme déjà en 49589, le contrôle de la légitimité des mariages et des naissances, aussi bien que de l'accès des « plébéiens » à la terre conquise. L'on remarquera en tout cas que la tradition associait le nom d'un Verginius, en 486 av. J.-C, à la fois à une victoire politique des patriciens sur la plèbe, et à l'établissement d'un culte aristocratique certainement lié à la légitimation des mariages et des nais-

86. Tite-Live, E, 41, 5-6 : [...] saepe deinde et Verginium consulem in contionibus uelut uatici-nantem audiebat 'pestilens collègue munus esse : agros Mos in seruitutem iis qui acceperint laturos ; regno uiam fieri. Quid ita enim adsumi socios et nomen Latinum, quid attinuisset Hemicis, paulo ante hostibus, capti agri partent tertiam reddi, nisi ut hae gentes pro Coriolano duce Cassium habeant ? Popularis iam esse dissuasor et intercessor legis agrariae coeperat.

L'argument rappelle les débats qui ont précédé la guerre sociale ; mais on ne saurait pour autant en rejeter l'authenticité pour le Ve siècle : il s'inscrit parfaitement dans le contexte des traités - bien attestés -passés par Spurius Cassius avec les Latins en 493, puis avec les Herniques en 486 -, et dans la logique de l'opposition patricienne qui conduit à la condamnation du consul : cf. aussi supra, chap. IL

87. Sur cela encore, cf. supra, chap. IH.

88. J. Champeaux, Fortuna..., en particulier pp. 358-359, souligne ce double caractère-aristocratique, mais non spécifiquement patricien - sans s'y attarder.

89. C'est-à-dire lors de la fondation sur l'Aventin du culte de Cérès, Liber et Libera, très vite suivie de la première sécession de la plèbe.

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sances. Je ferai remarquer dès maintenant, de plus, qu'à ce culte elle associait encore le nom de la gens Valeria, à laquelle appartenait celle qui avait inspiré l'ambassade des matronae auprès de Coriolan, et qui était devenue la première prêtresse de Fortuna Muliebris : il conviendra de s'en souvenir90.

Si l'on revient maintenant à l'histoire de Virginie, et aux différences qui séparent les versions que les Anciens en connaissaient à la fin de la République, on pensera que dans une élaboration tardive de la tradition, le nom de Virginie et celui de Lucius Verginius son père ont fort bien pu être « inventés » ; mais on pensera aussi qu'ils n'ont pas été « inventés » au hasard : sans doute le nom des Vergimi évoquait-il, depuis des temps très anciens, la question de la légitimité des mariages et des naissances.

Les Anciens assuraient cependant qu'en 486 av. J.-C, c'était un Procu-lus Verginius patricien qui avait dédié le temple de Fortuna Muliebris ; or, l'établissement d'un tel patronage sur les mariages romains ne pouvait alors que porter atteinte à celui que Cérès, cinq ans plus tôt, sous le consulat et l'autorité de Spurius Cassius, avait été appelée à exercer sur les mariages « plébéiens » ; par là-même, le prestige de Spurius Cassius, le défenseur des revendications plébéiennes et le rival de Procu-lus Verginius, a dû se trouver fortement mis en question, et cela pourrait expliquer aussi pour une part sa défaite, peu de temps après. Quoi qu'il en soit, à propos des conflits sur la question <lu droit d'intermariage entre patriciens et plébéiens - le conubium - , au milieu du Ve siècle av. J.-C, les récits d'un^icéron ou d'un Tite-Live mettent en scène un Verginius qui est, quant à lui, un « plébéien » - selon une grande vraisemblance, un gentilis des Vergimi - , et sa fille Verginia, dont la liberté est menacée, puis confisquée ; et la sentence une fois prononcée, ce n'est ni au temple de Cérès, ni à celui de Fortuna Muliebris que le « plébéien » Lucius Verginius conduit sa fille, mais à celui de Cloacina, le temple très ancien qui, ignorant les différences entre mariages patriciens et mariages plébéiens, patronait depuis la fondation de la Ville la légitimité de tous les mariages romains.

On remarquera encore que les Anciens, au Ie siècle av. J.-C, situaient l'histoire de Virginie dans une société qui était une société hétérogène, mais qui tendait à s'unifier ; cette société, en 449 av. J.-C, était encore ouverte sur le monde extérieur, mais elle tendait alors de plus en plus à se fermer ; enfin et surtout, malgré les progrès de la plèbe depuis le siècle précédent, les patriciens la dominaient toujours largement. Ils allaient d'ailleurs la dominer presque sans partage au cours des décennies suivantes : dans tous les cas, la question du conubium - la question du ma-

90. Sur le patronage des Valerii sur les rites de fondation, cf. infra, chap. VI.

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riage entre plébéiens et gentiles, comme aussi entre Romains de souche et nouveaux venus - et du contrôle de la légitimité des naissances était, selon toute probabilité, à Tordre du jour. Et dans les récits de la tradition - qui, avec leur grande cohérence, doivent rendre compte d'une réalité somme toute assez exacte91 - il apparaît qu'au milieu du Ve siècle av. J.-C, ni le patronage de Cérès, ni celui de Fortuna Muliebris ne pouvaient préserver quiconque de l'arbitraire des patriciens au pouvoir.

Le procès de Virginie est apparu alors comme celui de tous les citoyens, qu'ils appartinssent ou non à une gens, et celui de leurs enfants, menacés dans leurs libertés les plus fondamentales par les prétentions patriciennes ; et le soulèvement a uni alors tout le populus, et fondé dans la révolte contre les patriciens l'unité d'une plèbe élargie au monde des clients, élargie à tous ceux des gentiles qui n'étaient pas patriciens92.

Mais ce qu'une telle unanimité révèle aussi, c'est l'ampleur des relations familiales nouées sans doute dès avant le milieu du Ve siècle entre gentiles et plébéiens, ainsi que l'importance des transformations sociales en train de s'accomplir. Elles annonçaient le déclin et la disparition des gentes, et la naissance de la Cité classique. Il y a donc tout lieu de penser que l'unification du peuple romain a commencé de se faire dès avant la création des tribus sur les territoires gentilices, hors de la volonté des patriciens, et pour une part contre eux ; elle signifiait à terme, avec la fin d'un type de société, la mise en question de la prééminence des patrons de gentes. Que ces derniers aient tenté de contrôler un tel processus et de limiter l'unification en cours à ses aspects politiques et formels ne saurait étonner ; et là doit se trouver, au moins pour une part, la signification profonde de la loi sur le conubium, dont on n'oubliera pas - paradoxe qui pourra paraître étrange, et sur lequel il conviendra de revenir - qu'elle a été promulguée, sinon même élaborée93, par les consuls Lucius Valerius et Marcus Horatius, dont la tradition faisait pourtant les restaurateurs de la « liberté républicaine ». L'unardrnité du corps civique à réclamer l'abolition de cette loi, obtenue quatre ans plus tard à l'instigation du tribun

91. Le discours que Tite Live prête à Canuleius en 446 av. J.-C. pourrait être à cet égard parfaitement explicite ; cf. par exemple Tite-Live, IV, 3, 4 : Altera conubium petimus, quod finitimis externisque dori solet [...]: « L'un de ces projets réclame le droit de mariage, qu'il est d'usage d'accorder à ses voisins et aux étrangers [...] » (éd. et trad. CUF) ; on remarquera au passage que le problème est aussi bien l'un des problèmes majeurs de la fin de la République - dans les décennies qui suivent l'intégration des Italiens dans la citoyenneté romaine - ou encore du principat d'Auguste et de ses successeurs - quand des peuples provinciaux se romanisent.

92. Sur le couple antithétique populus /plebs : cf. les observations d'A. Momigliano, Le origini della repubblica romana..., p. 29.

93. Cf. infra.

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de la plèbe Canuleius, ne laisse aucun doute sur l'impuissance des patriciens à contrôler véritablement les transformations en cours.

En 449 cependant, le peuple qui a fait sécession et déserté Rome exige le rétablissement du tribunat de la plèbe, ce « rempart de la liberté », et les Patres y consentent. Quelles concessions furent alors faites à la plèbe, comment, et pourquoi ?

CONFLITS AUTOUR DU TRIBUNAT DE LA PLÈBE

Les conséquences de la lex Publilia

Il convient de revenir d'abord sur les effets de la lex Publilia de 471 av. J.-C, et sur les incapacités qui marquaient les tribuns de la plèbe depuis que la loi avait été promulguée.

Les acquis apparents de la loi

On s'en souvient : depuis Servius Tullius, les plébéiens étaient ceux qui étaient hors des gentes et qui - en même temps et à cause de cela même - étaient inscrits dans des tribus topographiques94. Or de l'aveu même de Tite-Live, la lex Publilia de 471, en réservant l'élection des tribuns de la plèbe à ceux qui étaient recensés dans les tribus, avait exclu des procédures de vote les clients des gentes95 : ce qui ne peut se comprendre que si les territoires des gentes n'étaient pas encore assignés dans des tribus où pourraient être inscrits les clients96.

94. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 128-129 ; supra, chap IL

95. Tite-Live, H, 56,2-5 :[...] (Volerò) rogationem tulit ad populum ut plebei magistrates tribu-tis comitiis fièrent. Haud parua res sub titulo prima specie minime atroci ferebatur, sed quae patriciis omnem potestatem per clientium suffragia creandi quos ueïlent tribunos aufferret. Huic actioni gratissimae plebi cum summa ui résistèrent patres [...] : « [Voléron] proposa au peuple un projet de loi qui donnait l'élection des magistrats de la plèbe à des comices par tribus. Ce n'était pas une petite affaire/ sous une formulation à première vue peu dangereuse ; mais surtout elle enlevait aux patriciens tout pouvoir (omnem potestatem) de créer tribuns qui ils voudraient, par les suffrages de leurs clients. À ce projet très agréable à la plèbe, les patriciens devaient résister avec la plus grande violence [...] ».

96. Supra, chap Et.

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L'on s'avisera alors que par là même, la lex Publilia avait fait disparaître l'ambiguïté profonde d'élections tribuniciennes qui depuis 493, selon toute vraisemblance, étaient dévolues aux assemblées curiates97 -des assemblées qui mêlaient, bien que ce fût pour la désignation des édiles et des tribuns de la plèbe, les clients des gentes aux plébéiens98 ; de la sorte, ce qui, depuis 471 et la lex Publilia, caractérisait les plébéiens, les différenciait des clients aussi bien que des patrons des gentes, et tendait à les garantir des abus de pouvoirs des patriciens par l'exercice de droits politiques qui leur étaient propres, c'était leur inscription dans des tribus qui n'étaient plus seulement, comme par le passé, des cadres de recensement pour ceux qui n'avaient pas de gens, mais qui étaient devenues aussi des circonscriptions de vote, tout particulièrement pour l'élection des tribuns de la plèbe. Que la lex Publilia ait établi une rupture avec le passé pour l'élection des tribuns de la plèbe n'est guère contestable, et l'on peut trouver, dans les récits de la tradition, des indices assez clairs de la conscience qu'avaient les Anciens de l'innovation que la loi avait instituée. Le nouveau mode d'élection des tribuns ne comportait pas cependant que des avantages pour la plèbe : au moment même où il permettait une relative indépendance des élections tribuniciennes, il allait donner aux patriciens des arguments juridiques et religieux propres à paralyser durablement l'action des tribuns de la plèbe.

La remise en cause des « lois sacrées » de 493

Ainsi, lorsqu'il expose le conflit qu'en 471 av. J.-C. le projet de loi de Voleron Publilius - sa rogatio - avait suscité, Tite-Live décrit les arguties procédurières auxquelles les patriciens avaient recouru pour empêcher la tenue de l'assemblée, et par conséquent le vote de la loi. Sans doute Tite-Live n'évite-t-il ici ni les confusions ni les anachronismes, confondant « le patriciat » avec « la noblesse », et décrivant l'action tribuni-cienne telle qu'elle avait pu se développer non pas avant, mais après la

97. Denys d'Halicarnasse, VI, 89,1 - corroboré par Cicéron selon Asconius, in Corn., 60 -l'atteste formellement pour 493 av. J.-C. ; et en 471, précise Denys cTHalicarnasse, la loi de Voléron transféra l'élection des tribuns de la plèbe des comices curiates aux comices par tribus : IX, 41, 2 ; R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381, pense ces informations inacceptables, étant donné le caractère révolutionnaire (« revolutionary character ») des tribuns de la plèbe : mais un tel caractère n'est-il pas un présupposé de l'auteur, que démentent formellement les informations des Anciens ?

98. Supra, chap II ; contra : R. M. Ogilvie, A commentary..., pp. 378-380.

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promulgation de la lex Publilia". Par delà les confusions et les anachro-nismes cependant, le récit de Tite-Live100 révèle quels obstacles juridiques aussi bien que religieux les patriciens pouvaient mettre à la constitution d'une assemblée « plébéienne », qui tendait à exclure patrons et clients des génies.

On remarquera d'abord que le tribun Laetorius, pour faire voter la loi, a convoqué les Quirites101 : ce qui revient en fait certainement, à ce moment, à convoquer l'assemblée curiate, et donc les clients et les patrons des gentes en même temps que la plèbe102 ; mais sans doute n'est-il pas d'autre formule de convocation103. Le refus des patriciens de laisser la place suffit alors à rendre inopérante toute tentative tribunicienne pour constituer une assemblée excluant les gentes : quelle procédure permettrait au tribun de prendre des mesures d'expulsion ? Tite-Live en effet explique qu'alors, le consul Appius Claudius avait déclaré :

« Un tribun n'a de droits sur personne d'autre que sur les plébéiens ; car il n'est pas magistrat du peuple, mais de la plèbe ; le serait-il, il ne pourrait exercer selon la tradition le pouvoir d'expulser, parce que Ton dit ainsi : « s'il vous plaît, retirez-vous, Quirites ».

À nouveau donc la formule s'adresse aux Quirites : ainsi sans doute doit-on dissoudre l'assemblée curiate ; mais dans le cas présent, si le tribun la prononçait, elle aurait évidemment l'effet inverse de celui qu'il recherchait - et qui était le retrait des clients, sinon de leurs patrons, mais non pas de la plèbe -, en même temps qu'elle comblerait l'attente des

99. R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 378, le souligne; cependant l'auteur, qui ne discerne pas de différence entre l'assemblée tribute constituée en vertu de la lex Publilia, et celle que légalise la « restauration » de 449, propose une tout autre analyse de l'ensemble du conflit de 471 : cf. pp. 379-380.

100. Tite-Live, II, 56,10-12 : Occupant tribuni templum postero die ; consules nobilitasque ad im-pediendam legem in contione consistunt. Summoueri Laetorius iubet, praeterquam qui suffra-gium ineant. Aduîescentes nobiles stabant nihil cedentes uiatori. Turn ex his prendi quosdam Laetorius iubet. Consul Appius negare 'ius esse tribuno in quemquam nisi in plebeium ; non enim populiu, sed plebis eum magistratum esse ; nee ilium ipsum summouere pro imperio posse more maiorum, quia ita dicatur : Si uobis uidetur, discedite, Quirites'. Facile et contemp-tim de iure disserendo pertubare Laetorium poterat. (éd. et trad. CUF)

101. Tite-Live, II, 56,9.

102. Sur les rapports entre Quintes, Quirinus, et les comices curiates : F. Coarelli, J/ Foro Romano, /..., p. 193.

103. À ce moment-là, seule l'assemblée curiate devait avoir une existence institutionnelle ; A. Magdelain, Recherches sur Yimperium, a montré de façon très convaincante : 1) que l'assemblée curiate était antérieure aux autres assemblées ; 2) que l'assemblée centu-riate avait dû se constituer sur le modèle de l'assemblée tribute, elle-même liée à l'élection des tribuns de la plèbe ; 3) que la première élection des consuls par l'assemblée centuriate pourrait être datée de 449 : cf. en particulier pp. 34-35.

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patriciens, puisqu'elle inviterait l'assemblée à se dissoudre avant même d'avoir voté la loi. Par le simple jeu du vocabulaire et du formulaire, le tribun est mis dans l'incapacité aussi bien de convoquer que de tenir une assemblée - l'assemblée tribute - qui serait sous le seul contrôle des plébéiens, pour la défense de leurs intérêts.

La menace d'une révolte grave de la plèbe, et sans doute aussi l'appui donné à la rogatio Publilia par certains patriciens contre les plus intransigeants, avaient permis en définitive la promulgation de la loi : à partir de 471 av. J.-C, l'élection des tribuns de la plèbe allait relever de la compétence de l'assemblée tribute104. Les formules rituelles de convocation et de dissolution de cette assemblée ont-elles alors été établies et rendues publiques ? On en doutera : les informations que donne Tite-Live pour 471 av. J.-C. montrent éloquemment que les patriciens, maîtres des sacerdoces, et par là même maîtres du droit et du formulaire, avaient trop d'avantages à la pérennisaton des lacunes religieuses et institutionnelles qui devaient caractériser, sous la lex Publilia, les élections tribuniciennes.

De fait, lorsqu'en 462 le tribun Terentilius Harsa dépose un projet de loi visant à réglementer le pouvoir des consuls sur la plèbe, c'est encore à une argumentation très proche que les patriciens recourent, si l'on en croit Denys d'Halicarnasse105. Autrefois, disent en effet les patriciens, les tribuns de la plèbe, parce qu'ils étaient élus par le peuple tout entier, avaient vocation à proposer des lois, qui obligeaient le peuple tout entier ; mais maintenant, ils ne sauraient prétendre à un tel droit : ils ne sont élus que par une partie du peuple, et de plus, ils ont perdu non seulement la sanction préalable du Sénat et la garantie des sacrifices offerts aux dieux, mais encore la caution religieuse que peut seul assurer, à toute élection et à toute décision publique, le vote des comices curiates, présidées - comme elles le sont nécessairement - par le pontifex maxi-mus106. De toute évidence, l'accent est mis sur les empêchements religieux et les incapacités légales qui frappent les tribuns de la plèbe, depuis la promulgation et l'application de la lex Publilia.

Mais les manœuvres d'obstruction et les violences patriciennes ne pouvaient avoir qu'un temps : la lex Publilia avait mis à l'ordre du jour la création dé tribus auxquelles appartiendraient patrons et clients des gentes. C'est en effet à partir de ce moment, selon toute vraisemblance, que les patrons des gentes ont commencé à établir dix nouvelles tribus sur les territoires qu'ils contrôlaient, en leur donnant les noms de dix

104. Supra, chap IE.

105. Denys d'Halicarnasse. X, 4 ; sur les différences entre l'élection des tribuns par l'assemblée curiate et par l'assemblée tribute, cf. Denys d'Halicarnasse. IX, 41-49.

106. A. K. Michels, The Calendar..., pp. 37-38.

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d'entre eux, et à y inscrire leurs clients107. Et de fait, l'analyse des Fastes108 conduit à penser que la création des tribus gentilices, indispensable au contrôle patricien sur l'assemblée tribute, a dû commencer assez vite après 471 et la promulgation de la lex Publilia, et qu'elle était sinon achevée, du moins bien près de l'être en 449. Ce faisant cependant, les patrons des gentes préparaient dans les assemblées tributes une unification politique109 du peuple romain. Est-il alors possible de saisir les indices d'une telle évolution ?

Plebs et populus en 449 av. J.-C

Si Ton considère maintenant l'assemblée réunie en 449, une fois résolue la crise, pour le rétablissement du tribunat de la plèbe, on observera la disparition de toutes les causes d'incapacité qui marquaient cette « magistrature plébéienne » depuis 471 : sous l'égide des délégués des Patres - un Lucius Valerius et un Marcus Horatius, descendants des fondateurs de la République - et avec l'accord du Sénat, c'est le peuple tout entier qui s'assemble sous la présidence du pontifex maximus, pour élire des tribuns de la plèbe et « restaurer » la République. Et l'on pourrait aisément prendre cette assemblée - que Tite-Live désigne par le seul mot de comitia, mais en précisant qu'elle se tiendra sous la présidence du pontifex maximus - pour une assemblée curiate110.

À peine entrés en charge cependant, c'est un concilium pleins, vraisemblablement réparti en tribus, que les tribuns réunissent dans les Prés Flaminiens111, pour voter, sur la proposition de Marcus Duillius, le rétablissement du consulat et de la prouocatio ad populum - « l'appel au peuple ». Et lors des élections tribuniciennes pour l'année suivante, le tribun Marcus Duillius, que le sort a désigné pour les présider, convoque une assemblée {comitia) qui est à l'évidence répartie en tribus112, et que

107. Sur tout cela : supra, chap IQ et IV.

108. Supra, chap. IV.

109. Mais non l'unification économique et sociale, qu'ils ont en revanche, on Ta vu, cherché à freiner, et en tout cas à contrôler.

110. Tite-Live, DI, 54, 9 : Praesto erit pontifex maximus qui comitia habeat : « Il y aura là le grand pontife pour tenir l'assemblée ».

111. C'est-à-dire dans le domaine d'Apollon : cf. Tite-Live, El, 63, 7 ; une telle localisation pourrait ne pas être non plus dépourvue de sens : J. Gagé, Apollon romain, pp. 120-129 ; cf. carte IX.

112. Tite-Live, Ht, 64, 5 : [...] pugnarent collègue ut libéras tribus in suffragium mitteret [...]: «[...] ses collègues le sommaient de laisser aux tribus la liberté de leur vote [...]».

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pourtant Tite-Live désigne, à quelques lignes de là, non par le vocable plebs, mais par populus113 : la composition de l'assemblée qui a été appelée à voter les lois de « restauration de la République », sous le consulat de Lucius Valerius et de Marcus Horatius, est certainement différente de celle de 471 av. J.-C.

Une nouvelle définition de la plèbe ?

Avant même 449 av. J.-C. en effet, on l'a vu, les clients ont dû être inscrits dans dix tribus à noms gentilices, créées sur les territoires contrôlés par les gentes ; dès lors, en toute rigueur, l'assemblée tribute ne peut plus être une assemblée réservée à ceux qui gentem non habent : elle doit accueillir les clients et sans doute aussi leurs patrons ; et l'on ne voit pas ce qui pourrait empêcher clients et patrons des gentes de participer à l'élection des « magistrats de la plèbe » qui viennent d'être rétablis114. De ce fait la plèbe, si elle se définit dans ces assemblées réparties tributivi -comme le voulait la lex Publilia - ne peut plus être désignée comme l'ensemble de ceux qui gentem non habent, puisqu'à ces derniers se mêlent les clients des gentes : la plèbe réunie dans l'assemblée tribute, c'est maintenant tout le peuple romain - à la seule exclusion, cela va sans dire, des patricien115 . À l'ancienne opposition plebs/gentes, qui renvoyait à une opposition fondamentalement économique et sociale, de productions et de rapports de production, même si elle était aussi politique et religieuse116, fait place une antinomie patriciens/plébéiens qui est essentiellement politique et religieuse : elle oppose aux patrons des gentes - qui prétendent accéder seuls, et de droit, aux sacerdoces et aux grandes magistratures - tous les autres Romains, qu'ils appartiennent ou non à une gens.

113. Tite-Live, m, 64,7.

114. Si Ton suit Tite-Live, H, 33, 1, la loi de 493 av. J.-C. avait interdit l'élection de patriciens - et l'interdiction fut certainement renouvelée en 449 -; mais ni Tite-Live, ni aucune autre source, ne disent qu'elle ait jamais concerné leurs clients, ni que la loi ait en aucune façon empêché la participation des uns et des autres aux élections des tribuns de la plèbe : cf. supra, chap HE.

115. Pas plus cependant que sous la loi de 493, il n'y a de raison de penser que sous celles de 449, les patriciens ont été exclus des assemblées tributes, et des procédures d'élection des magistrats de la plèbe.

116. J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, en particulier pp. 125-128 et p. 142 ; pour de tout autres analyses, fondées sur de tout autres définitions des gentes et de la plèbe : J. Cl. Richard, Les origines de la plèbe...

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L'unification du peuple romain dans l'assemblée tribute, confondue avec une assemblée « plébéienne », devait en effet permettre aux patriciens de restaurer leur contrôle sur les assemblées populaires, par le biais de leurs clients117. Alors les patriciens, même les plus conservateurs, ont dû considérer le rétablissement du tribunat de la plèbe comme une mesure non seulement possible, mais nécessaire, pour mieux assurer leur domination : n'est-ce pas là le sens des lois Valeriae Horatiae ?.

Les lois « Valeriae Horatiae »

La tradition créditait en effet Marcus Horatius et Lucius Valerius de trois lois118 : l'une sur la valeur des plébiscites, une autre sur la puissance tribunicienne, une troisième enfin pour interdire la création d'une magistrature qui ne serait pas soumise à l'appel au peuple119.

Selon Tite-Live120, la première loi portait que « les décisions de la plèbe assemblée en tribus engageaient le peuple entier » - évidemment sous réserve d'obtenir la ratification du Sénat. Je retiendrai surtout ici, une fois encore, l'équivalence que cette formulation paraît établir entre plebs et populus, et que l'on rapprochera de la confusion plusieurs fois opérée par Tite-Live au cours de son exposé de la crise décemvirale et de son dénouement. Certes, on ne croira pas que Tite-Live ait ici rapporté la formule originale de la loi : ce ne peut en être qu'une transcription - mais la transcription devait en garder la signification profonde. Or elle me paraît confirmer pleinement le fait que la plèbe doit répondre, en 449 av. J.-C, à une définition qui n'est plus celle de l'époque servienne, ou du temps de la première sécession : la valeur nouvelle accordée aux décisions que cette plèbe peut voter" dans l'assemblée tribute me paraît prendre tout son sens si - comme cela a été le cas dans la sécession qui s'achève, et comme c'est aussi certainement le cas dans l'assemblée tribute qui suit - elle comprend désormais clients et gentiles, et si elle se définit par opposition aux patriciens. C'est dans ce contexte que l'on analy-

117. Dans le même sens : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., en particulier p. 303.

118. Tite-Live, IH, 55, est ici essentiel.

119. Sur ces trois lois, cf. les observations de M. Humbert, Institutions..., pp. 218-220 ; idem, Le tribunat de la plèbe..., pp. 431-503, et particulièrement ici pp. 445-448.

120. Tite-Live, HI, 55, 3 : [...] legem centuriatis comitiis tulere 'ut, quod tributim plèbes iussisset, populum teneret' (éd. et trad. CUF) ; pour le contenu de la loi : M. Humbert, Institutions, p. 218.

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sera alors les deux autres lois, qui intéressent toutes deux, bien qu'à des titres divers, la puissance tribunicienne121.

La première loi, qui interdisait la création de toute magistrature sine prouocatione122, donnait sa consécration officielle à V inter cessio tribunicienne ; par l'autre, explique Tite-Live, les consuls « rendirent également aux tribuns leur inviolabilité, dont le souvenir était presque effacé, en renouvelant pour eux certaines cérémonies depuis longtemps interrompues, et ils rendirent cette inviolabilité non seulement religieuse, mais légale par une loi stipulant que, si quelqu'un maltraitait les tribuns de la plèbe, les édiles, les juges-décemvirs, sa tête serait vouée à Jupiter ; tout ce qui était chez lui serait vendu au profit du temple de Cérès, Liber et Libera »123.

À cet endroit de son récit, Tite-Live se livre à un excursus, pour rendre compte d'un débat juridique sur la sacrosanctitas que sanctionne la lex Horatia, et il précise : « seuls les tribuns, en vertu du vieux serment de la plèbe lors de leur création, possèdent la sacro-sainteté »124.

De tout cela, l'on retiendra surtout ici que Tite-Live donne explicitement les lois de restauration du tribunat de la plèbe, en 449, pour un renouvellement des événements fondateurs de 493. Mais il insiste aussi sur la légitimation et la sacralisation des décisions de 471 : des décisions qui avaient été arrachées aux Pères, et qui, depuis lors, avaient mis les tribuns de la plèbe en marge des institutions, et singulièrement des institutions religieuses. De la sorte, les lois de 449 av. J.-C, qui sont données pour une « restauration » des institutions de la République, ont sanctionné aussi - et surtout peut-être - la restauration du contrôle des patrons des gentes sur les assemblées de la plèbe, avec la création de tribus sur les territoires que contrôlaient les gentes : la « restauration » de 449

121. M. Humbert, Institutions..., pp. 218-220.

122. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 306, pour la portée de cette loi.

123. Tite-Live, lu, 55,6-7 :«[. . . ] Ipsis quoque tribunis ut sacrosancti uiderentur - cuius rei prope iam memoria aboleuerat - , relatis quibusdam ex magno interuallo caerimoniis, renouarunt, et cum religione inuiolatos eos tum lege etiam fecerunt, sanciendo 'ut tribunis plebis, aedilibus, iudicibus decemuiris nocuisset, eius caput Ioui sacrum esset, familia ad aedem Cereris Liberi liberaeque uenum iret » (éd. et trad. CUF). Pour la consécration à Céres, Liber et Libera : cf. infra.

124. Tite-Live, DI, 55, 10 : Tribunos uetere iure iurando plebis, cum primum earn potestatem creauit, sacrosanctos esse. (éd. et trad. CUF). Il est à peine besoin de souligner l'intérêt que manifeste Tite-Live pour cet aspect de la puissance tribunicienne, qui avait été conférée à Auguste dès 36 av. J.-C. et qui est vers 30-29 - au moment où Tite-Live écrit ce passage - un élément essentiel des pouvoirs d'Auguste ; elle le restera jusqu'à l'élection du Princeps au grand pontificat.

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marque en fait la réussite, du côté patricien, d'une opération idéologique et politique exemplaire.

Formellement, une telle opération ne pouvait être couronnée de succès que si la plèbe ne se définissait plus, en 449, de la même façon qu'en 493 ou qu'en 471 ; mais encore fallait-il, de toute nécessité, que l'opinion romaine toute entière acceptât cette nouvelle définition, qui devait bouleverser la composition des assemblées plébéiennes ; or il n'y a pas trace dans les récits des Anciens qu'elle ait été contestée.

Un pareil acquiescement fut possible sans doute, pour une part, parce que dans les lois de « restauration » de la République qui leur étaient offertes, et qui rendaient aux tribuns de la plèbe des pouvoirs déniés depuis vingt ans, les plébéiens soulevés contre les Patres ont cru reconnaître - à tort ou à raison - les garanties indispensables à la sauvegarde de leur liberté. Mais il convient d'évoquer aussi la progressive disparition de certains antagonismes entre les gentes et la plèbe, avec en particulier - l'histoire de Virginie en donne des indices non équivoques - le développement de relations d'intermariage entre gentiles et plébéiens : indépendamment de l'entrée des clients des gentes dans l'assemblée tribute, l'unification sociale du peuple romain avait commencé de se faire dès avant 450, hors de la volonté des patriciens et pour une part malgré eux.

Une npuvelle plèbe se développait : la modification des institutions voulue par les Patres, avec la nouvelle composition de l'assemblée tribute, est allée de pair avec une évolution sociale que les patrons des gentes ont en vain tenté de maîtriser, et qui en définitive a permis - et explique pour une part - la transformation du vocabulaire et des institutions. C'est cette plèbe nouvelle que la sécession a unie, en 449 av. J.-C, dans une commune défense de la « liberté des citoyens »125. Et en vérité, les lois de 449 sauvegardaient toutes les apparences d'un retour à un passé à la fois multiple et contradictoire, et donné pour favorable à la plèbe.

Le peuple romain se laissa abuser : ces lois, qui reconnaissaient en particulier la sacrosanctitas des tribuns de la plèbe et leur inviolabilité pendant le temps de leur tribunat, avaient reçu la garantie de la présence active de Marcus Duillius, qui était un ancien tribun de la plèbe, et des premiers élus pour 470 sous la lex Publilia.

Mais il faut aussi se demander si la personnalité même des négociateurs - et singulièrement ceux du Sénat - n'a pas joué son rôle, et lequel, pour accréditer une telle conviction : quelles raisons portèrent la plèbe à

125. Tite-Live, m, 49,1 ; 50,13 ; 52,4 ; 53,6, etc.

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exiger du Sénat qu'il désignât pour ses plénipotentiaires Lucius Valerius et Marcus Horatius, et pourquoi le Sénat accepta-t-il, apparemment sans grande résistance, une telle exigence ? Quel fut le rôle, d'autre part, et la personnalité du pontifex maximus appelé à présider à la restauration de la République ?

Sur cela, il convient encore de revenir.

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CHAPITRE VI

LE LANGAGE DES NOMS*

L'on a depuis longtemps remarqué le rôle de premier plan joué par un Valerius en même temps que par un Horatius, à la fois dans la fondation de la République en 509, et en 449 av. J.-C, après la crise décemvi-rale, pour la « restauration » des institutions républicaines1 ; et cela, qui paraissait un redoublement de l'Histoire, a été jugé éminemment suspect par certains Modernes2 : l'on a donc proposé de lire les récits de la fondation de la République comme une anticipation des événements de 449 av.

Ces pages ont été publiées, sous une forme voisine, et sous ie titre « L'enjeu des sécessions de la plèbe et le jeu des familles », dans les Mélanges de l'École Française de Rome 102,1990, 2, pp. 723-765.

Cf., pour une comparaison systématique des récits de la tradition, P. M. Martin, L'idée de royauté à Rome. 1, De la Rome royale au consensus répub/i'ctf m,^Clermont-Ferrand, 1982, I, p. 294 sq.

La bibliographie est énorme, et les conclusions des plus contradictoires ; je me bornerai à renvoyer ici d'une part à A. Alföldi, Early Rome..., pp. 78-84 (avec l'exposé des débats et la bibliographie), selon qui les noms de Valerius et Horatius sont interpolés en 509, et à R. M. Ogilvy, A Commentary..., pp. 250-254, qui pense la tradition, en ce qui les concerne, solidement assurée ; cf. encore les observations de de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 300-301.

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J.-C. - à moins, a-t-on suggéré encore, que les Anciens n'aient amplifié les événements de 449 à la lumière des souvenirs de 5093.

L'on peut pourtant s'interroger sur la nécessité et d'une telle suspicion, et de pareilles conclusions4.

Il ne s'agit pas ici de vérifier l'authenticité - au sens premier du terme - des noms qui sont attachés à la « restauration » de la République : mon propos n'est pas de démontrer que tel nom de magistrat doit être tenu pour vrai, et tel autre interpolé ; au demeurant, je ferai une fois de plus remarquer qu'il ne suffit pas qu'un événement paraisse le redoublement d'un épisode plus ancien, pour qu'on ait là la preuve de l'inauthenticité de l'un ou de l'autre : l'on pourrait tirer de l'histoire la plus récente - et la mieux assurée - de multiples exemples de tels « redoublements » d'événements, certains très consciemment mis en œuvre, et dont on ne peut mettre en doute l'authenticité. D'autre part, le fait que par exemple un Fabius Pictor, ou un Valerius Anüas, aient rédigé des Histoires de Rome, n'implique pas pour autant que l'on doive tenir pour hautement suspect - voire rejeter systématiquement5 - tout ce que la tradition rapporte aux Fabii ou aux Valerii6.

Pour ce qui touche à la restauration de la République en 449 av. J.-C, Tite-Live7 comme Denys d'Halicarnasse8 insistent sur le rôle majeur qu'un Valerius et un Horatius ont joué dès les débuts de la crise décem-virale, en se référant expressément aux fondateurs de la République qui portaient les mêmes gentilices qu'eux ; ainsi, selon Tite-Live, Marcus Horatius Barbarus, s'attaquant aux décemvirs en plein sénat, « les nomma les dix Tarquins et leur rappela que c'étaient les Valerii et les Horatii qui avaient fait chasser les rois [...] ». C'est de cette affirmation que je partirai, pour tenter de comprendre le sens que tous les épisodes qui suivent en acquièrent, ou, en tout cas, le sens sur lequel les Anciens insistaient ou qu'ils voulaient leur donner. Au demeurant, qu'un Horatius et un Vale-

3. En ce sens, les observations de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 300-301.

4. Sur la valeur de la tradition annalistique romaine relative aux premiers siècles de Rome et aux débuts de la République, et sur les légendes de fondation, constituées certainement au IVe siècle av. J.-C, sinon déjà au Ve : E. Gabba, 1966, pp. 133-169 ; cf. supra, Introduction.

5. Comme l'a soutenu A. Alföldi, Early Rome...

6. Cf. en ce sens les observations et les mises en garde d'A. Momigliano, Le origini, pp. 5-43.

7. Tite-Live, IQ, 39, 3 : Nec minus ferodier M. Horatium Barbatum isse in certamen, « decern Tarquinios » appellantem admonentemque « Valeriis et Horatiis ducibus pulsos reges [...] ». (éd. et trad. CUF).

8. Denys d'Halicarnasse XI, 5,1.

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rius, à ce moment, aient joué un rôle de premier plan n'aurait rien en soi qui puisse éveiller la suspicion : ils sont patriciens, ils relèvent, à en juger par les Fastes, de génies qui étaient prédominantes au premier siècle de la République, et dont l'importance était alors déjà fort ancienne, si l'on en croit une tradition qu'au moins pour les Valeri?, la découverte récente d'une inscription est venue confirmer. En tout cas, si des chefs de génies ont été, plus que d'autres, à même de jouer un rôle dans l'abolition de la royauté et l'établissement des institutions de la République, d'accaparer des fonctions politiques et religieuses naguère détenues par le roi, et, soixante ans plus tard, de mener encore le jeu dans la crise décemvirale, les Valerii et les Horaiii devaient être de ceux là.

Il me paraît par conséquent qu'il n'y a aucune raison de rejeter a priori les informations que la tradition donne sur eux, ou sur les épisodes auxquels leurs noms sont attachés au premier siècle de la République10 : il convient de les examiner sans confiance excessive, comme sans préjugé, et si ces informations sont mensongères et relèvent de la falsification, il faut le démontrer. En d'autres termes, il y aura lieu de mettre au jour, si c'est le cas, quelles données de la documentation ces informations contredisent, et de justifier les choix que l'on fera.

La tradition faisait intervenir les Horaiii et les Valerii aux temps les plus anciens de la Rome royale, en des épisodes qui sont extrêmement connus. Il me paraît pourtant nécessaire de les rappeler avec quelque précision, pour mettre en lumière des éléments qui, par delà la légende, pourraient être là encore très riches d'informations sur la valeur que les Anciens - singulièrement à la fin de la République et à l'époque augus-téenne - attachaient à ces familles et à ces noms.

LES HORATII : ENTRE L'HISTOIRE ET LA LÉGENDE

Je rappellerai les guerres « fratricides » n qui, selon la tradition12, avaient opposé Rome à Albe la Longue13, sous le règne de Tullus Hosti-

9. Inscription découverte à Satricum : cf. supra, Introduction.

10. Cela, quelle que soit d'autre part la date exacte que Ton voudra retenir pour la fondation de la République, et par conséquent la crédibilité que l'on accordera aux tout premiers consulats : cf. l'exposé des débats par J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 264-267, avec la bibliographie.

11. Tite-Live, I, 23,1.

12. Tite-Live, I, 23-29 ; Denys d'Halicarnasse III, 4-31 ; cf. les observations de R. M. Ogilvy, A Commentary..., pp. 105-106 ; là encore, les récits de la tradition ont fait l'objet des interprétations les plus diverses : cf. en dernier lieu A. Grandazzi, La fonda-

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lius ; elles devaient s'achever avec la destruction d'Albe, la transplantation à Rome de sa population, installée sur le Caelius et intégrée dans le corps civique, et l'admission de son élite parmi les Patres1*. Et la tradition s'étendait complaisamment sur les derniers épisodes de l'état de guerre, donnant des précisions fort dignes d'intérêt15 : quels en sont les éléments essentiels ?

On remarquera d'abord le nom des fossae Cluiliae, situées à cinq milles de Rome16, entre la via Latina et ce qui deviendra la via Avvia17 : les Anciens expliquaient ce nom par référence au roi d'Albe Cluilius, qui avait ouvert les hostilités et y avait établi son camp. Là avait été passé le « plus ancien traité dont on ait souvenance », accompagné du rituel qui donnerait à tous les traités à venir la garantie religieuse la plus imprescriptible18. On retiendra encore le nom des champions que Rome et Albe allaient choisir, pour un combat ultime et sans appel : trois Horatii d'un côté, de l'autre trois Curiatii. On observera comment Marcus Horatius, vainqueur et seul survivant, était revenu dans Rome en passant par la porte Capène19 où il avait, disait la tradition, tué sa sœur qui pleurait son fiancé en l'un des trois Curiaces. Enfin, on portera son attention sur les rites de purification auxquels il s'était soumis, et dont Tite-Live dit20 :

tion..., pp. 47-90, qui fait l'exposé d'une part des sources littéraires (avec les discussions auxquelles elles ont donné lieu, et avec les références bbibliographiques), d'autre part des informations de l'archéologie (très lacunaires, en l'absence de fouilles récentes et systématiques de la région du lac albain et des monts albains) ; l'auteur propose d'interpréter « Albe la Longue » comme une fédération de communautés villageoises, « qui vénèrent en commun un dieu qu'elles honorent à la cime principale du pays » ; sur le nomen Latinum et le mouvement fédératif qui a conduit à la formation progressive de la ligue latine : P. Catalano, Linee del sistema..., pp. 151-189 ; cf. aussi supra, chap. I.

13. Sur la disparition d'Albe la Longue et ses conséquences : cf. les observations de F. Co-arelli, Dintorni di Roma..., pp 70-72.

14. Tite-Live, I, 29-30.

15. Cela, quel que soit le degré d'authenticité que l'on voudra accorder aux guerres de Rome contre Albe.

16. Autrement dit, aux frontières entre Rome et Albe.

17. En 312 av. J.-C.

18. Tite-Live, I, 24, 4-8.

19. Cf. infra.

20. Tite-Live, I, 26,12-13 : Itaque, ut caedes manifesta aliquo tarnen maculo lueretur, imperatum patri ut filium expiaret, pecunia publica. Is, quibusdam piacularibus sacrifiais factis quae deinde genti Horatiae tradita sunt, transmisso per uiam tigillo, capite adoperto uelut sub iu-gum misit iuuenem. Id hodie quoque publice semper refectum manet : sororium tigillum uocant.

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« Aussi, pour effacer malgré tout ce crime flagrant par une expiation quelconque, on ordonna au père de faire pour son fils des purifications aux frais de l'État. Après ces sacrifices expiatoires qui, par la suite, sont restés traditionnels dans la famille des Horaces, le père plaça une poutre en travers de la rue et ht passer son fils la tête voilée sous cette sorte de joug. Cette poutre existe encore et est toujours entretenue par l'État. On l'appelle la Poutre de la Sœur (Tigillum Sororium) ».

Denys d'Halicarnasse apporte deux précisions supplémentaires21 : craignant le ressentiment des dieux si l'expiation n'était pas suffisante, Tullus Hostilius aurait demandé aux pontifes de procéder aux lustrations nécessaires ; on aurait alors décidé de dresser deux autels, l'un en l'honneur de Juno Sororia, pour expier le meurtre de sa sœur par Horace, l'autre de Janus, nommé Curiatius en mémoire des trois Curiaces ; et ces deux autels, ajoute Denys d'Halicarnasse, unis par le Tigillum Sororium, se trouvent de part et d'autre de la rue qui part des Carinae et mène au uicus Cuprius22.

Il n'est guère douteux que ces récits et ces noms ne doivent beaucoup à la légende : à les prendre à la lettre, ils ne seraient pas beaucoup plus que des fictions commodes, pour rendre compte d'appellations dont on ne comprenait peut-être plus exactement le sens. Mais des études récentes ont montré que la légende renvoie à des significations profondes, qu'il importe ici de rappeler.

Trois espaces retiendront d'abord l'attention

Les fossae Cluiliae

On reconnaîtra dans l'établissement des fossae Cluiliae un récit étio-logique, renvoyant à la fixation rituelle des confins23 ; il reproduit au VIIe siècle, sur les frontières alors récemment acquises de Vager Romanus avec les autres peuples latins, des rites qui étaient anciennement liés à la Sacra uia, frontière de la cité romuléenne du Palatin. Ainsi, à l'entrée de la

21. Denys d'Halicarnasse 01, 22, 7, confirmé par Festus., 380, 5 L et Paulus ex Festo, 399, 2 L ; par Schol. Bob. ad Ciceronem, Pour Milon, 7 ; Ps. Aurelius Victor, Des Hommes illustres, 4.

22. Cf. carte III et carte IX.

23. F. Coarelli, // Foro Romano, L.., p. 88 et p. 109.

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Sacra uia, du côté du Capitole, se trouvait le sanctuaire de Cloacina2* : à ce nom répond sur la nouvelle frontière celui des fossae Cluiliae, les deux dénominations renvoyant au verbe cluere = « purifier », et à des rites de purification des confins25.

On remarquera alors que l'unification des deux populations de Rome et d'Albe, en vertu d'un traité passé aux fossae Cluiliae, reproduit celle des Sabins de Titus Tatius avec les Romains de Romulus, mêlés en une même communauté civique ; et l'on se souviendra que le premier accord avait été conclu non loin du sanctuaire de Cloacina, en un lieu qui était alors devenu le Comitium, et qu'il avait placé la Sacra uia, naguère séparation entre les deux peuples, au cœur du nouvel espace civique26.

Le Tigillum Sororium

L'on a reconnu d'autre part, dans le Tigillum Sororium, aujourd'hui bien localisé27, une porte qui remontait à la période pré-urbaine de Rome28 : selon toute probabilité, le Tigillum Sororium, construit au .VIIIe siècle av. J.-C, était la plus ancienne porte triomphale romaine - et la tradition « l'expliquait » par un récit étiologique, qui renvoyait à la victoire de Rome sur Albe la Longue. Il y a en tout cas de fort bonnes raisons pour penser que depuis des temps fort anciens, c'est au Tigillum Sororium qu'avaient lieu les cérémonies de purification de l'armée, au retour des expéditions guerrières29 : cette porte avait toutes les fonctions, concrètes mais aussi symboliques, de « passage » - de l'extérieur à l'intérieur de la Ville, ou encore de la guerre en territoire étranger à la paix

24. Ici associé à celui de Janus Geminus - divinité typique, s'il en fut, des confins et des passages - ; sur tout cela, et sur Cloacina et son sanctuaire de la Sacra uia : F. Coarelli, II Foro Romano, I..., pp. 84-89.

25. À l'autre extrémité de la Sacra uia, un autre sanctuaire, celui de Jupiter Stator, lui aussi lié par la légende à la guerre des Romains de Romulus contre les Sabins de Titus Tatius, protégeait l'accès au Palatin que commandait la porte Mugonia : il y aura lieu d'y revenir; sur tout ceci, cf. encore F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., particulièrement pp. 26-33, et pp. 108-118 pour les fonctions de la Sacra uia.

26. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 84-88 et pp. 299-300 ; supra, chap. I.

27. F. Coarelli, // Foro Romano, I..., p. 111-113 ; cf. carte m et carte IX.

28. Pour le Tigillum Sororium et ses relations avec le triomphe : H. S. Versnel, Triumphus. An Inquiry into the Origin, Development and meaning of the Roman triumph, Leiden 1970, en particulier pp. 138-163 (avec la bibliographie).

29. G. Dumézil, Horace et les Curiaces, Paris 1942, pp. 40-50 et pp. 105-110 ; 1969, pp. 11-50 ; J.-P. Brisson, Mythe et histoire dans le « procès » d'Horace {Tite-Live, I, 26), en particulier p. 65 et n. 48.

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dans l'espace civique30. Mais de surcroît, là devaient s'accomplir d'autres « passages », comme l'indique la présence toute voisine des deux autels de Janus Curiatius et de Juno Sororia31 : chaque année, aux calendes d'octobre, s'y déroulaient les cérémonies liées aux rites d'initiation et de passage d'âges, par lesquels jeunes gens et jeunes filles quittaient l'enfance pour entrer dans l'âge adulte ; sous le patronage de Janus Curiatius, dont Tépithète se rapporte clairement à l'assemblée curiate, les jeunes gens entraient dans le corps civique ; sous la protection de Juno Sororia, dont le nom est lié à la puberté féminine, les jeunes filles entraient sans doute dans la sphère des nubiles, futures matronae prêtes à procréer32.

La Porte Capène

Quel sens, dans un tel contexte, doit-on alors assigner à l'entrée d'Horace dans Rome, après sa victoire sur les Curiaces, par la Porte Capène ?

Avec l'édification de la muraille servienne au VIe siècle, c'est à cette porte qu'ont dû passer des fonctions qui étaient assumées jusque là par le Tigillum Sororium33. Dès les premiers temps de la République sans doute, c'est dans l'espace immédiatement extérieur à cette porte qu'avaient lieu les cérémonies liées au départ et au retour des magistrats revêtus de Yimperium, et l'importance de cette porte et de l'espace qu'elle commandait à l'entrée de la ville ne put que grandir avec l'extension de la Cité et le développement de ses relations avec l'Italie du Sud34. À la fin de la République, tout un complexe monumental témoignait de ce rôle et

30. J.-P.Brisson, Mythe et histoire..., p. 96, à propos du sacellum de Janus Geminus à l'autre extrémité de la via Sacra ; sur les fonctions de Janus : G. Capdeville, Les épithètes cultutelles de Janus, Mélanges de l'École, pp. 395-436, et plus particulièrement pp. 412-414 et 418-424, pour Janus Geminus.

31. Sur tout cela : F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 112-118 (avec la bibliographie).

32. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 116, à partir de Festus 380,1 L (avec les références bibliographiques) ; contra, G. Capdeville, 1973, pp. 430-432, mais l'argumentation paraît contradictoire : l'auteur refuse qu'aient pu se tenir, au Tigillum Sororium, des rites d'initiation des jeunes gens et des jeunes filles ; cf. maintenant les analyses de M. Torelli, Storia degli Etruschi, en particulier pp. 105-116 et p. 150.

33. F. Coarelli, // Foro Romano, I..., p. 112 ; sur la localisation du Tigillum Sororium, au débouché de la Sacra uia sur les Carinae : pp. 39-40 et pp. 112-117 ; pour une datation probable au vnr2 siècle av. J.-C. : p. 111 ; sur ses fonctions de porte triomphale et pour l'explication du nom : pp. 112-117 (avec les références bibliographiques) ; 1988, particulièrement p. 275.

34. Sur les fonctions de la porte Capène - ^ui n'a cependant jamais eu les fonctions de porte triomphale -, à partir de la construction de la via Appia dans les dernières années du IVe siècle av. J.-C. : F. Coarelli, Roma..., pp. 150-151.

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de cette importance, et Auguste devait renrichir encore : on se rappellera ici, tout particulièrement, que lorsque la Ville fut organisée en XIV régions - une organisation évidemment de caractère religieux35 - la première région reçut, de façon significative, le nom de la porte Capène ; je ferai encore observer qu'en 19 av. J.-C, lorsqu'Auguste revint d'un voyage de trois ans en Grèce et en Orient, c'est près de cette porte que le Sénat dédia en l'honneur du retour du Princeps un autel à Fortuna Redux*6, et sans doute le choix de ce lieu ne fut-il pas laissé au hasard37.

Tout cela ne permet pas de douter de la valeur attachée, à la fin de la République et au début du Principat, à un espace que la tradition avait fini par charger, symboliquement, de tous les triomphes du passé : lorsque Tite-Live décrivait le retour d'Horace après sa victoire sur les Curiaces, comment n'aurait-il pas fait passer le jeune vainqueur par la porte Capène - pour lui faire ensuite accomplir au lieu qui devait leur être consacré, au Tigillum Sororium, les cérémonies de purification nécessaires - ? C'est donc à un ensemble de rites et à des significations très anciennes que la tradition renvoyait, dans des récits dont on a reconnu la valeur hautement symbolique38. Reste à se demander pourquoi les noms des Horatii et des Curiatii - celui des Valerii aussi - y étaient mêlés39, et pour les premiers rôles.

Un patronage des passages d'âge

On l'a vu : au Tigillum Sororium étaient attachés des sacrifices qui, dit Tite-Live, « sont restés traditionnels dans la famille des Horaces »40 : l'information me paraît indiquer la nature du charisme - lié aux rituels d'initiation et de « passage » - dont les Horatii devaient être porteurs à l'époque archaïque, quelle qu'en ait été l'origine. On est alors conduit, à mon sens, à inverser les termes du raisonnement habituellement tenu : on pensera que les récits de la tradition, s'ils sont mythiques par la

35. F. Coarelli, // Foro Boario..., p. 56 et n. 138.

36. Cf. Res Gestae, 11 : Aram Fortunae Reducis ante aedes Honoris et Virtutis ad portant Cape-nam pro reditu meo senatus consecrauit [...];}. Gage, Res Gestae, pp. 91-92.

37. F. Coarelli, Il Foro Boario..., pp. 275-277.

38. G. Dumézil, Horace et les Curiaces...

39. Les Valerii et les Horatii sont de ces gentes dont les Fastes consulaires du Ve siècle attestent clairement l'existence : cf. supra, chap IV et tableau ; G. Capdeville, Les épithètes cultuelles..., p. 429 et n. 4, et p. 430 et n. 1, me paraît sous-estimer, sans raison bien décisive ni claire, cet aspect pourtant bien attesté par la tradition.

40. Cf. supra, n. 103.

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forme, devaient traduire des étapes bien réelles du développement de Rome ; lorsqu'ils furent élaborés, la tradition dut spontanément y mêler les noms dont le charisme correspondait alors le mieux à la signification de l'événement. En d'autres termes, c'est parce que les Horatii - comme certainement les Curiata - avaient exercé un très ancien patronage sur les rites de passage d'âge et l'entrée des jeunes gens dans la vie civique et l'assemblée curiate, que ces noms ont pu être ceux des héros de la légende étiologique du Tigillum Sororium. On comprendra mieux alors, me semble-t-il, que la tradition en ait fait des très proches parents, et qu'elle ait été incapable de dire lesquels, des Horaces ou des Curiaces, étaient romains, et lesquels étaient albains.

Mais ce charisme même les appelait aussi à patronner d'autres passages, et l'on ne saurait s'étonner qu'un Horatius ait accédé à la charge consulaire dès 509, première année de la République, pour remplacer Junius Brutus mort au combat contre les Étrusques41, ni qu'en cette même année Marcus Horatius ait été choisi - par le sort, disait-on - pour dédier le temple de Jupiter Capitolin, en tant que pontifex. Je retiendrai pour l'instant que ce consulat et cet honneur, en cette première année de la République, sont peut-être inventés42 ; ils n'ont sans doute pas été attribués par hasard à un Marcus Horatius.

Le rôle que la tradition faisait jouer en 508 à un Horatius Coclès, pour la défense de la République contre les armées de Porsenna43, s'inscrit très bien dans cette perspective : seul contre la foule des assaillants, Horatius Coclès n'interdit-il pas à l'ennemi le passage du pont Sublicius -unique pont sur le Tibre - et l'entrée de la Ville ? En reconnaissance, « il eut sa statue dans le Comitium » dit Tite-Live ; et Denys d'Halicarnasse44

précise qu'Horatius Coclès était neveu de Marcus Horatius, consul l'an-

41. Tite-Live, n, 8,4-5.

42. En ce sens, A. Alföldi, Early Rome..., p. 79, qui voit dans la mention du consulat de Marcus Horatius en 509 une invention de la tradition, inspirée par le souci de faire coïncider les débuts de la République avec la dédicace - qui ne serait en réalité qu'une seconde dédicace, après celle déjà accomplie par Tarquin le Superbe - du temple de la triade capitoline ; contra : A. Momigliano, Le origini..., p. 13-15.

43. Tite-Live, H, 29, 2 et 12 : [...] pons Sublicius iter paene hostibus dédit, ni unus uirfuisset, Horatius Codes ; id munimentum ilio die fortuna urbis Romanae habuit. [...] Grata erga tan-tarn uirtutem ciuitasfuit : statua in comitio posita ; agri uno die circumarauit, datum. : « Le pont Sublicius faillit livrer passage à l'ennemi, s'il ne s'était pas rencontré un brave, Horatius Codes : c'est lui qui servit de rempart ce jour-là à la fortune de Rome [...] L'État récompensa son héroïsme : il eut sa statue dans le Comitium ; il reçut tout le terrain qu'il put entourer d'un sillon en un jour ». A. Alföldi, Early Rome..., p. 82, voit dans ce récit une pure invention, sans doute déjà présente dans les écrits d'Ennius et de Fabius Pictor.

44. Denys d'Halicarnasse V, 23,1-3.

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née précédente, et qu'il descendait de Marcus Horatius, le vainqueur des Curiaces ; après son exploit au pont Sublicius, il avait reçu du peuple romain des honneurs dignes des héros, et c'est à l'endroit le plus élevé du comitium qu'une statue lui avait été offerte : sans doute faut-il comprendre que la statue avait été placée au Volcanal, le sanctuaire du comitium*5.

On retrouvera sans peine, dans de telles notations, le très haut patronage que les Horatii devaient avoir sur des « passages » essentiels de la vie du citoyen romain - patronage guerrier dans l'affaire du pont Sublicius, mais aussi patronage politique de très grande importance, sur les assemblées, et que doit, pour une part au moins, rappeler la statue élevée au cœur du comitium, quand la royauté laisse la place à la République.

LES VALERLI

Le rôle de fondateurs de la République a été tout aussi contesté pour les Valerti que pour les Horatii, et les récits des Anciens à leur sujet ont donné lieu aux interprétations les plus contradictoires46. Cependant la tradition ne se bornait pas à énumérer leurs consulats et leurs actions d'éclat, et à exposer leurs mérites : à plusieurs reprises, la relation des Valerli avec des espaces de haute valeur symbolique revient comme un thème récurrent, qui a depuis longtemps attiré l'attention des chercheurs. Le dossier en a été récemment repris par F. Coarelli qui, confrontant en une analyse systématique l'ensemble des données de la tradition littéraire et les acquis de l'archéologie, est parvenu à des conclusions ici très éclairantes.

Un patronage des frontières

Les Valerii et les fossae Cluiliae

On se rappellera d'abord que la tradition liait doublement ce nom aux fossae Cluiliae. D'abord, dès le VIIIe siècle, c'était Marcus Valerius qui

45. F. F. Coarelli, Il Foro Romano, !..., p. 166.

46. Contre l'historicité des Fastes consulaires des premières années de la République, cf. en particulier A. Alf oidi, Early Rome..., pp. 73-84 (avec l'historique des débats et les références bibliographiques) ; pour cet auteur, les quatre consulats de Valerius Publicola en 509, 508, 507, et 504, celui de son frère Valerius Maximus en 505, ainsi que la conduite héroïque de Valeria - ou, selon une autre tradition, de Cloelia -comme otage de Porsenna, auraient été inventés par Valerius Antias : p. 82 ; pour de tout autres analyses des données de la tradition sur les débuts de la République : A. Momigliano, Le origini..., pp. 5-43, et particulièrement pp. 11-27, pour les Fastes.

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disait-on, en tant que fétial47, avait dit les formules religieuses qui devaient assurer la plus haute autorité religieuse au traité passé entre Rome et Albe : rôle essentiel par conséquent, pour la fondation d'un rituel qui donnerait ensuite leur légitimité imprescriptible à tous les traités à venir. Ensuite, dans les premiers temps de la République, la première prêtresse instituée pour le culte de Fortuna Muliébris, au temple qui allait être dédié le 6 juillet 486 près des fossae Cluiliae*8, était une Valeria ; or la fondation de ce culte, établi sur un site de frontière, et réservé aux matronae univirae, paraît avoir été liée à la question du conubium et de la légitimité des mariages romains49.

On se souviendra alors que Valeria était, selon la tradition, la fille ou la sœur de Valerius Publicola, l'un des fondateurs les plus prestigieux de la République : consul en 509, en remplacement de Tarquin Collatin qui avait dû s'exiler50, et à nouveau en 508, Publicola aurait été l'auteur de toute une série de lois « populaires » qui lui avaient valu son surnom51.

Mais il y a plus.

Les demeures des Valerti

À la suite de F. Coarelli, il convient de rappeler ici les traditions relatives aux demeures des Valerii52. L'on racontait en effet que Publius

47. Tite-Live, I, 24,4-8.

48. Pour une étude de Fortuna Muliébris (avec les sources et la bibliographie), J. Champeaux, Fortuna..., pp. 335-374 ; plus particulièrement sur Valeria : p. 336 et p. 348.

49. Supra, chap. V.

50. T. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 1-2 : les références aux sources, et l'exposé des diverses versions de la tradition.

51. T. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 2 : l'exposé des sources relatives à Valerius Publicola.

52. Pour une analyse précise de l'ensemble des textes anciens, avec les confirmations qu'apportent les données récentes de l'archéologie, pour tout ce qui touche aux Valerii : F. F. Coarelli, Il Foro Romano, /..., p. 56 et pp. 79-82 ; à la suite de cet auteur, je rappellerai ici tout particulièrement les textes suivants : - Cicéron., de la République, II, 31, 53 : ...eo ipso, ubi rex Tullus habitauerat : (la maison de Publicola se trouvait) « à l'endroit même où avait habité le roi Tullus ». - Solin. 1,21-26 : Ceteri reges quibus locis habitauerunt dicemus. Tatius in arce, ubi nunc ae-dis est Iunonis Monetae...Numa in colle primum Quirinali, deinde propter aedem Vestae in Regia quae adhuc ita appellatur...Tullus Hostilius in Velia, ubi postea deum Penatium aedes facta est...Ancus Marcius in summa Sacra uia, ubi aedes Larum est...Tarquinius Priscus ad Mugoniam portam supra summam Nouam uiam...Seruius Tullius Esquilinus supra cliuum

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218 La République des tribus

Valerius Publicola avait d'abord eu sa demeure in summa Velia, à l'endroit même où avait habité le roi Tullus Hostilius et où se dresserait plus tard le temple des Pénates. L'on sait qu'à l'époque augustéenne, ce temple se trouvait dans une rue qui menait aux Carinae, dans le tout proche voisinage du Tigillum Sororium53 ; et de la sorte, comme pour les Horatii, la relation étroite que la tradition établissait entre Publius Valerius Publicola et l'espace lié aux rites de passage du Tigillum Sororium -la plus ancienne porte triomphale de Rome, que la tradition rattachait au règne de Tullus Hostilius et à la victoire de Rome sur Albe la longue, on l'a vu54 - apparaît des plus claires.

Cependant, menacé d'une grave accusation d'adfectatio regni55, Publius Valerius Publicola avait fait détruire cette maison pour faire bâtir au pied de la Velia, « à l'endroit », précise encore Tite-Live, « où se trouve aujourd'hui le temple de Vica Pota »56 : c'est-à-dire, selon toutes probabilités, en terrain public57, et en un lieu très voisin du temple de Jupiter Stator et de la porte Mugonia, dans laquelle on reconnaîtra la très an-

Urbium...Tarquinius Superbus et ipse Esquilinus supra cliuum Pullium ad Fagutalem lacum : « Disons en quels lieux habitèrent les autres rois. Titus Tatius, sur VArx, où se trouve maintenant le temple de Juno Moneta... Numa, d'abord sur la colline du Quirinal, puis près du temple de Vesta, à la Regia, qui est encore appelée de ce nom... Tullus Hostilius, sur la Velia, là où fut construit par la suite le temple des Péna tes... Ancus Marcius, en haut de la uia Sacra, là où se trouve le temple des Lares... Tarquin l'Ancien, près de la porte Mugonia, en haut de la Nova uia... Seruius Tullius,(sur) l'Esquilin, au dessus du cliuus Urbius... Tarquin le Superbe, (sur) l'Esquilin lui aussi, au dessus du cliuus Pullius et près du lac du Fagutal..." - Vairon, ap. Non. 531,19 : Tullum Hostilium in Veliis, ubi nunc est aedis deum Penatium ; Ancum in Palatio, ad portant Mugonis, secundum uiam sub sinistra : « Tullus Hostilius (habitait) sur la Velia, là où se trouve maintenant le temple des Pénates ; Ancus, sur le Palatin, près de la porte Mugonia, en suivant la rue sur la gauche ».

53. F. Coarelli, 11 Foro Romano, I..., pp. 49,57,112-113.

54. Cf. supra, p. 276-278 et n. 71.

55. Tite-Live, II, 7, 6 : Regnum eum adfectare fama ferebat, quia nec collegam subrogauerat in locum Bruti et aedificabat in summa Velia : 'ibi alto atque munito loco arcem inexpugnabilem fieri'. Haec dieta uolgo creditaque cum indignitate angerent consulis animum, uocato ad consilium populo submissis fascibus in contionem escendit : « Le bruit courait qu'il aspirait au trône, parce qu'il ne s'était pas fait donner de collègue en remplacement de [Junius] Brutus et qu'il faisait bâtir au sommet de la colline de Velia : "Sur cette position élevée et très forte, il aurait une citadelle imprenable". Ces calomnies s'accrédi-tant dans le public indignaient et tourmentaient le consul ; il convoqua l'assemblée du peuple, fit abaisser les faisceaux devant elle et monta à la tribune ». (éd. et trad. CUF).

56. Tite-Live H, 7,12 : Delata confestim materia omnis infra Veliam et, ubi nunc Vicae Potae est, domus in infimo cliuo aedificata ; Vica Pota était une très ancienne divinité, assimilée à Victoria : Asconius, Cicéron, Contre Pison 52, p. 13 C.

57. F. Coarelli, 1/ Foro Romano, I..., p. 82 et n.

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cienne porte qui, de la Sacra uia, donnait accès à la Rome du Palatin58 : à nouveau, la relation de ce lieu avec un site de très haute valeur symbolique - lié à la fondation même de la Ville romuléenne - est patente.

On connaît d'autre part, par Pline l'Ancien, une tradition59 qui attribuait à Marcus Valerius Maximus, frère de Publicola, une maison construite à frais publics sur l'emplacement de celle de Tarquin l'Ancien, et qui, comme la maison de Publicola au pied de la Velia, ouvrait sur la Sacra uia60 : toutes informations qui suffiraient à révéler la situation prééminente dont devaient jouir les Valerii à ce moment61. Surtout, l'on se souviendra que la maison de Tarquin l'Ancien - et par conséquent, en ces premières années de la République, celle de Marcus Valerius Maximus -, était située, comme celle de Valerius Publicola, près du temple de Jupiter Stator et de la porte Mugonia, qui donnait accès, on l'a vu, de la Sacra uia au Palatin.

Pline l'Ancien ajoute qu'à l'entrée de la maison de Tarquin l'Ancien -qui était devenue celle de Marcus Valerius Maximus - se dressait une statue féminine équestre, pour laquelle il propose deux explications62 : selon certains, le peuple l'avait offerte à Cloelia pour sa conduite héroïque pendant le siège de Rome par Porsenna63 ; mais selon d'autres, il convenait d'y reconnaître la statue de Valeria, fille de Publicola.

Cette confusion des noms n'est pas sans intérêt : certes, l'on a depuis longtemps reconnu dans cette statue, située à l'une des extrémités de la Sacra uia, près de la porte Mugonia et du temple de Juppiter Stator, une Venus Equestris ; mais on observera aussi que Vénus allait être par la suite assimilée à Cloacina, dont elle partagerait le sanctuaire à l'autre extrémité de la Sacra uia64 ; et le nom de Cloelia - historique au demeurant - a été rapproché de celui de Cloacina et du verbe cluere : une fois encore, ces noms évoquent des rites de purification liés à des sites de confins - ici, ceux de la Ville romuléenne - ; et la substitution du nom de

58. F. Coarelli, II Foro Romano, I..., pp. 26-27 (avec les références aux sources) et p. 228 ; carte I.

59. Pline, Histoire Naturelle, XXXIV, 29.

60. F. F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., p. 82.

61. Pour les indices archéologiques qui confortent la tradition relative aux Valerii et leur prééminence au VIe et au Ve siècles av. J.-C, cf. F. Coarelli,li-Foro Romano, 1..., pp. 79-82 et n. 9.

62. Pline, Histoire Naturelle, XXXIV, 28-29. Pour l'analyse de ce texte, et de l'ensemble des sources relatives à cette statue, cf. F. Coarelli, // Foro Romano, I..., pp. 34-36 et n. 11-12.

63. C'est la version que rapporte Tite-Live, H, 13,6-11.

64. F. Coarelli, Dintorni di Roma..., p. 46 ; Idem, Il Foro Romano, I..., p. 83-89 (avec les textes anciens et les références bibliographiques).

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Valeria à celui de Cloelia pourrait bien révéler, à nouveau, le très haut patronage que devait exercer la gens Valeria sur des sites prestigieux et des passages de grande valeur symbolique, liés à l'histoire de la fondation de Rome.

Les Valerii et les jeux séculaires

Je retiendrai enfin une information d'importance : celle qui faisait de Publius Valerius Publicola le fondateur des jeux séculaires, lors de son consulat de 509 av. J.-C.65 : c'est-à-dire en l'An I de la République. On peut douter que de tels jeux se soient tenus à une date aussi haute, et l'on s'accorde très généralement pour penser que les premiers jeux à signification « séculaire » qui aient été donnés à Rome le furent au plus tôt en 348 - en liaison avec les guerres contre la ligue latine -, et plus probablement en 249 av. J.-C. - à un moment critique de la première guerre punique. Or, pas plus en 348 qu'en 249, les Valerii ne semblent avoir eu le patronage de ces jeux, qui étaient certainement alors de caractère non pas « gentilice », mais public66. Une fois encore pourtant, la tradition doit contenir un fond de vérité, qu'il est peut-être possible de retrouver. On sait en effet que les ludi saeculares avaient pour centre le Terentum, aujourd'hui bien localisé à l'extrémité du Champ de Mars, près de la boucle occidentale du Tibre67 ; là se trouvait un autel de Dispater et Proserpine, siège d'une religion infernale héritée de temps très anciens, et très nettement perceptible encore dans les jeux donnés par Auguste en 17 av. J.-C68.

Or, la tradition, telle que l'a transmise Valére Maxime69, ne se bornait pas à faire de Publius Valerius Publicola le fondateur des ludi saeculares : elle attribuait de plus à un Valesius, riche Sabin à'Eretum, 1'« invention », la découverte, de Vara Ditis au Terentum, où Valesius avait été conduit dans sa quête d'un feu pour soulager ses trois enfants malades70. J. Gagé

65. Valére Maxime, II, 4,5.

66. J. Gagé, Apollon romain..., pp. 228-231.

67. Cf. déjà J. Gagé, Recherches sur les jeux séculaires, Paris 1934, pp. 7-23 (avec la confrontation des sources littéraires et des données de l'archéologie) ; aujourd'hui, la mise au point de F. Coarelli, Il Campo Marzio occidentale. Storia e topografia, Mélanges de l'École Française de Rome 89, 1977, pp. 807-846, et plus particulièrement pp. 837-838 (avec la bibliographie) ; carte DC.

68. J. Gagé, Apollon romain..., pp. 228-231.

69. Valére maxime, H, IV, 5.

70. Pour l'analyse de cette tradition, cf. J. Gagé, Apollon romain..., pp. 78-79.

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a reconnu, là encore, un récit étiologique, renvoyant selon toute vraisemblance, par delà la légende, au patronage des Valerli sur un culte infernal, rendu sur les rives du Tibre à Distaler et Proserpine ; culte prophylactique71, il devait protéger les jeunes gens et les jeunes filles, les femmes enceintes, et les nourrissons, contre des maladies qui semblaient frapper tout particulièrement ces catégories de la population : en d'autres termes, le culte devait assurer la sauvegarde des générations montantes. Et le sens premier du mot saeculum, qu'il a encore chez Lucrèce, était celui, précisément, de « génération »72. Tout cela n'indique-t-il pas qu'un très ancien patronage des passages d'âge, assurant la relève des générations, revenait aux Valerti ?

Selon toute vraisemblance, le rituel du Terentum, attaché à ces très grands patriciens à l'époque archaïque, faisait partie de la préhistoire des ludi saeculares, et l'on peut penser que le souvenir ne s'en était jamais tout à fait perdu : il a pu conduire à attribuer à Publius Valerius Publicola l'organisation des premiers jeux, l'année même où, avec la République, s'ouvrait un nouvel âge.

De la sorte, les récits de la tradition et les données de l'archéologie livrent un certain nombre d'indices, tous de significations convergentes : ils révèlent le charisme certainement très ancien, lié aux « passages » et aux fondations, dont les Valerii aussi bien que les Horatii étaient porteurs, et qui devaient leur donner une place prééminente parmi les fondateurs de la République. On ne saurait alors s'étonner qu'un Marcus Horatius et un Lucius Valerius aient pu jouer un rôle de premier plan dans la crise décemvirale et dans sa résolution, et qu'ils aient été appelés à patronner la refondation des institutions républicaines.

À la lumière de ces informations, on comprendra que la tradition ait attribué à Lucius Valerius et Marcus Horatius, les délégués du Sénat auprès de la plèbe en 449, un rôle aussi déterminant pour provoquer la crise que pour la résoudre73. Ni l'un ni l'autre pourtant n'avait encore, à ce moment, de passé politique. Ils n'en forcent pas moins l'action d'un Sénat hésitant, d'abord pour s'opposer aux decemvirs qui se perpétuent au pouvoir, ensuite pour apporter à la plèbe retirée sur le mont Sacré les apaisements nécessaires. Et Tite-Live comme Denys d'Halicarnasse, on l'a vu, insistent sur ce qui les lie aux fondateurs de la liberté républi-

71. Cf. J. Gagé, Apollon romain..., p. 231 : « Etymologie sincère ou jeu de mots, ce nom [Valesius / Valerius] évoquait toujours la valetudo, et les symboles que les monétaires de la gens font représenter sur leurs pièces attestent [...] que c'était là une tradition bien établie ».

72. P. Wuilleumier, Tarente et le Tarentum, Revue des Études Latines, 1932, pp. 127-146.

73. Tite-Live, m, 39, 3 : cf. supra n. 7 ; Denys d'Halicarnasse XI, 5,1.

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caine : portant les mêmes noms que ces fondateurs, ils se trouvent comme investis d'une mission historique, et c'est bien ce qui fait d'eux, en première lecture, les interlocuteurs privilégiés que la plèbe reconnaît et réclame74, et que le Sénat choisit75. Dans les conflits politiques qui se sont alors développés, la caution de noms prestigieux, porteurs d'un charisme lié aux institutions les plus imprescriptibles de Rome, a certainement été indispensable à la réussite des manœuvres politiques qui étaient alors tentées : on ne s'étonnera pas qu'un tel rôle soit échu à un Valerius et à un Horatius. Mais il faut aussi évoquer ici le nom des Papirii.

LES PAPIRII ET LA GARDE DU DROIT AU Ve SIÈCLE

R. M. Ogilvie tient pour invraisemblable, qu'en 493 un pontifex maxi-mus, qui était nécessairement un patricien, ait présidé à l'élection des tribuns de la plèbe qui venaient d'être créés76 : le caractère « révolutionnaire » (« revolutionary character ») des tribuns de la plèbe s'oppose, pense-t-il, à l'adoption d'une telle procédure. De là, il est conduit d'abord à rejeter les informations données aussi bien par Tite-Live que par Denys d'Halicarnasse sur les événements de 471 et sur la lex Publilia ; ensuite, il est amené à réduire la présidence du pontifex maximus, pour la restauration du tribunat de la plèbe en 449, à quelque cérémonie d'auspication77 - à supposer qu'il ne s'agisse pas d'une interpolation - . Reprenant les conclusions retenues par R. M. Ogilvie, G. J. Szemler78 en vient à admettre qu'au Ve siècle av. J.-C. et encore au IVe, les noms que la tradition livre pour le pontifex maximus sont pour la plupart suspects, puisque mêlés à des événements politiques falsifiés ou interpolés : pour cet auteur, seuls méritent créance les noms associés à des pestilences et des prodiges ; et de ce fait, dans les conflits politiques des deux premiers siècles de la République, le rôle du pontifex maximus apparaît négligeable : c'est seulement avec la lex Ogulnia de 300 - avec l'entrée des plébéiens dans le collège pontifical - que ce collège aurait pris de l'importance ; alors seulement, le pontifex maximus serait devenu le plus prestigieux personnage de l'Etat.

74. Tite-Live, HI, 50,16.

75. Tite-Live, HI, 51,11 ; 53,1.

76. R. M. Ogilvy, A Commentary..., p. 381.

77. R. M. Ogilvy, A Commentary..., p. 494.

78. G. J. Szemler, The Priests..., p. 16, n. 3, et p. 46 n. 1 pour les références bibliographiques.

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Cependant, les textes anciens démentent formellement le caractère « révolutionnaire » que R. M. Ogilvie attribue au tribunat de la plèbe ; et la cohérence profonde qui lie entre eux les événements de 493, de 471, et de 449, invite à tenir le plus grand compte des informations données par Tite-Live et par Denys d'Halicamasse sur ces épisodes. Il convient d'y revenir, pour tenter de cerner plus précisément le rôle et le pouvoir du pontifex maximus. Pourquoi, d'autre part, une partie de la tradition a-t-elle fait d'un Papirius le premier grand pontife de la République ?

Numa et la création du grand pontife, juge et arbitre de toutes choses

Ce n'est pas au nom des Papirii, mais à celui des Marcii, que la tradition rattachait la création du premier grand pontife : le roi Numa avait confié ce sacerdoce, qu'il venait d'établir, à Numa Marcius79, son ami le plus proche et le père du futur roi Ancus Marcius80. Pourquoi le choix des fondateurs de la République ne s'est-il donc pas porté sur un Marcius, pour revêtir le grand pontificat ? Des éléments d'explication pourraient être donnés par l'aventure de Coriolan : dès 488, on l'a vu, Cneus Marcius Coriolanus, qui était lié par son mariage avec une famille de l'élite plébéienne, avait été contraint à l'exil ; et sa défaite n'a peut-être pas été étrangère - quoiqu'en dise un Tite-Live81 - à l'affaiblissement de la plèbe, et à la condamnation à mort de Spurius Cassius, le grand consul plébéien, deux ans plus tard. Cela pourrait donner à penser que les Marcii, dans les premières années de la République, étaient trop étroitement liés à de grands plébéiens, pour obtenir de la faction patricienne alors dominante - une faction certainement contrôlée par les Horatii et les Valerii - que ce sacerdoce majeur leur fût confié82. En outre, l'ascendance royale des Mardi, fortement soulignée par la tradition - et hautement revendiquée par la suite par des Mardi incontestablement tenus, quant à eux, pour plébéiens -, a pu contribuer à les faire exclure, dans les pre-

79. Tite-Live, I, 20, 5.

80. Plutarque, Numa, 21 ; sur l'ascendance des Marcii : J. Gagé, Apollon romain..., p. 309 et n.2.

81. Tite-Live, II, 34,7-11, faisait de Coriolan un des patriciens les plus violemment hostiles à la plèbe ; mais son destin est trop étroitement lié à celui de Spurius Cassius, pour qu'on ne soupçonne pas là quelque réélaboration de la tradition ; en ce sens, les analyses de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., en particulier à propos des Claudii, ou du second collège décemviral, etc.

82. On rapprochera à cet égard le cas des îunii de celui des Mardi : cf. infra chap. IX.

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mières années de la République, d'un sacerdoce héritier pour une large part des fonctions religieuses des rois83.

Quelles raisons purent alors inviter le collège des pontifes à élire un Papirius - si du moins l'on accepte le bien-fondé de cette tradition ? Les Papirii ne paraissent pas avoir été désignés par leur passé, plus particulièrement que d'autres, pour le grand pontificat : c'est ailleurs qu'il convient de chercher l'explication.

Les Papirii et la publication des lois royales

Il faut évoquer ici encore les premiers temps de la République. Les textes anciens assurent en effet unanimement que peu après l'expulsion des rois, un Papirius, premier pontifex maximus de la République, avait rassemblé les lois existantes en un recueil, le ius Papirianum84. Certes, tous les textes anciens ne s'accordent pas sur le prénom de ce personnage - désigné comme Caius Papirius par Denys d'Halicarnasse85, comme Sextus par Pomponius86, ou encore comme Publius Papirius87. Mais demeure cette unanimité à désigner comme un Papirius le premier pontifex maximus après l'expulsion des rois, et à donner comme ius Papirianum la première compilation des lois que Rome ait connue. On observera alors que nul n'était mieux placé que le pontifex maximus - gardien par excellence des archives pontificales, et conservateur du droit et du formulaire sans lequel aucun acte ne pouvait avoir valeur officielle88 -pour une telle compilation, et pour faire sortir du secret les éléments du droit qu'il jugerait utile de faire connaître : en d'autres termes, si le ius Papirianum date bien des premières années de la République, il donne un poids singulier à la tradition, lorsqu'elle attribue le grand pontificat, à ce moment, à un Papirius.

Dans une telle perspective, et si l'on admet le bien-fondé des analyses qui précèdent, on sera conduit à penser que la présence du grand pontife

83. Sur les précautions que prirent en ce sens les fondateurs de la République : Tite-Live, II, 2,1-2, à propos du grand pontife ; 3-6 : à propos de Tarquin Collatin et de l'exil auquel ce dernier fut contraint, pour la seule raison qu'il portait le même nom que le roi déchu.

84. Macrobe, Saturnales III, 11,5 : Paul, Digeste 1,16,144.

85. Denys d'Halicarnasse, HI, 36,4.

86. Sur le ius Papirianum : Steinwenter, RE, s.v. lus Papirianum, 1285.

87. Digeste, 1,2, 2,36.

88. Berger, RE, s.v. ius pontificum,12S6-12S9.

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a dû être aussi nécessaire, en 493, pour garantir la légitimité des « magistratures » plébéiennes qui venaient d'être créées, qu'en 449, pour les restaurations accomplies.

On ne saurait donc amoindrir le rôle qui a dû être celui du grand pontife dès les premiers temps de la République ; c'était lui en particulier qui, pour la tradition unanime, présidait l'assemblée curiate- unique assemblée politique du peuple romain jusqu'en 471 -, et sa présence était indispensable pour donner leur légitimité religieuse aux décisions que cette assemblée pouvait voter. Et l'on ne saurait s'étonner que les comices appelés en 449 av. J.-C. à restaurer les « magistratures plébéiennes » aient été tenues sous la présidence d'un pontifex maximus -une présidence certainement indispensable pour assurer à cette refondation son caractère religieux imprescriptible. Cette présidence pourrait encore avoir été assurée par un Papirius, apparenté au premier pontifex maximus de la République et au rédacteur du ius Papirianum.

Les lois de « restauration » de la République avaient reçu, de surcroît, le haut patronage d'un Horatius et d'un Valerius, comme sans doute le voulaient de très vénérables coutumes. Qui aurait pu les contester ?

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CHAPITRE VII

QUAND LES GENTES DISPARAISSENT...

Dans les décennies qui ont suivi la restauration de la République en 449 av. J.-C, les patriciens ont donc établi leur contrôle politique sur l'assemblée tribute ; et cette mainmise patricienne est allée de pair - les Fastes l'attestent clairement - avec une exclusion quasi totale des plébéiens de la gestion des hautes magistratures. Mais en 400 et 399, et à nouveau en 396, les Fastes révèlent un retour en force de l'élite plébéienne à la direction de l'État : par conséquent, dans l'assemblée centu-riate, cette élite paraît maintenant disposer de soutiens mieux assurés que par le passé. De fait, les informations données par la tradition littéraire sur les toutes dernières années du Ve siècle, et sur les deux premières décennies du IVe, en révélant les indices de très graves difficultés pour les patriciens, montrent qu'il ne s'agissait plus, comme cela semble avoir encore été le cas en 422 ou en 418, de victoires plébéiennes limitées, conjoncturelles et sans lendemain.

Mais s'il en est ainsi, dans quelle mesure le contrôle des Patres sur les assemblées tributes pouvait-il se perpétuer, et comment ? L'on sait, de toute certitude1, que quatre nouvelles tribus furent créées en 387 av. J.-C. ; et toutes quatre reçurent des noms géographiques : à quelles nécessités ces créations devaient-elles répondre ? Qui en prit l'initiative, et

1. Alors que l'établissement des vingt et une premières tribus, on Ta vu, est entouré d'obscurités, les récits de la tradition annalistique rendent bien compte des créations, entre 387 et 242, des quatorze tribus qui allaient suivre.

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pour quels enjeux ? Le fonctionnement de l'assemblée tribute en a-t-il été modifié, et comment ?

LE DÉCLIN DES GENTES ?

Les premiers signes des difficultés patriciennes

Les événements de 402-401

Dans les années 402 et 401, Rome subit de graves revers à Anxur, et surtout devant Véies : pour 402, Tite-Live2 les explique par la haine qui oppose entre eux les chefs militaires, Lucius Verginius et Manius Sergius. Devant la gravité de la situation, le Sénat décide alors des élections anticipées qui rendent Lucius Verginius et Manius Sergius à la vie privée deux mois avant le temps. L'année suivante, « l'enrôlement, la taxe et d'autres préoccupations plus graves ne permirent pas d'élire la totalité des tribuns de la plèbe : d'où lutte pour remplir les sièges vacants par la cooptation de patriciens »3 - malgré la lex Trebonia qui, insiste Tite-Live4, avait interdit cette procédure. Et Tite-Live conclut5 : « On n'y arriva pas ; toutefois, on parvint, pour ébranler la loi Trebonia, à obtenir la cooptation comme tribuns de la plèbe de Caius Lacerius et de Marcus Acutius, évidemment grâce à l'appui des patriciens ». Enfin trois tribuns de la plèbe responsables de la cooptation6 assignent en justice de-

2. Tite-Live, V, 8.

3. Tite-Live, V, 10, 10-11 : Inter dilectum tributumque et occupâtes animos maiorum rerum curis, comitiis tribunorum plebis numerus expleri nequît. Pugnandum inde in loca uacua ut putridi cooptarentur. (Texte et trad. CUF.)

4. Cf. supra : il s'agit de la loi que le tribun de la plèbe L. Trebonius avait tenté - en vain -de faire voter et promulguer en 448 av. J.-C, et qui aurait interdit, à rencontre de la loi de rétablissement du tribunat de la plèbe de Tannée précédente, que des tribuns fussent cooptés et non élus : Tite-Live, m, 64-65.

5. Tite-Live, V, 10, 11 : Postquam obtineri non poterat, tarnen labefactandae legis Treboniae causa effectum est ut cooptarentur tribuni plebis C. Lacerius et M. Acutius, haud dubie patriciorum opibus. (Texte et trad. CUF.)

6. Tite-Live, V, 11,4 : Cum ardèrent inuidia non patres modo sed etiam tribuni plebis, cooptati pariter et qui cooptauerant, tum ex collegio très, P. Curiatius M. Metilius M. Minucius, trepidi rerum suarum, in Sergium Verginiumque,prioris anni tribunos militares, incurrunt : in eos ab se iram plebis inuidiamque die dieta auertunt : « La haine s'allumait englobant également les Pères et les tribuns de la plèbe, aussi bien auteurs que bénéficiaires du choix, lorsque trois membres du collège, P. Curiatius, M. Metilius et M. Minucius, tremblant pour leurs intérêts, attaquent Sergius et Verginius, tribuns militaires

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Quand les gentes disparaissent 229

vant l'assemblée populaire Lucius Verginius et Manius Sergius ; mais ce n'est là, assure encore Tite-Live, rien d'autre qu'une manœuvre : « cette diversion, en tournant contre eux la colère du peuple, obscurcit le souvenir de la désignation des tribuns et de la manœuvre déloyale contre la loi Trebonia »7.

De telles informations rappellent les événements qui ont précédé et qui ont suivi la chute du second collège décemviral, et les procédures utilisées pour le rétablissement du tribunat de la plèbe et du consulat : en 449 aussi avaient été favorisés, sans doute par des patriciens, des mouvements d'opinion contre les décemvirs, et surtout contre deux d'entre eux, bientôt traduits en justice devant l'assemblée populaire8 ; et l'on se souvient qu'en 448, la cooptation d'une partie du collège tribunicien avec l'aide de Marcus Duillius9 - ancien tribun, et de grande autorité - , n'avait pas eu d'autre fin, selon toute probabilité, que de permettre à des patriciens de contrôler ce collège, et par lui, les assemblées « plébéiennes ». Mais dès ce temps, l'explication de tels conflits, on l'a vu, ne se laisse pas réduire aux luttes de la plèbe contre le patriciat.

En 402-401, comme cinquante ans plus tôt, on peut penser encore à des oppositions de factions divisant le patriciat, divisant peut-être aussi l'élite plébéienne : les manœuvres des Patres alliés à des tribuns de la plèbe - qui pourraient bien être de leurs clients -, contre Manius Sergius et Lucius Verginius, ou encore l'élimination politique de ces derniers par les Patres, avant l'expiration de leur charge, ne sont-elles pas autant de tentatives, de la part de la faction patricienne qui semblait détenir solidement toute la gestion de l'État depuis 443, pour consolider un pouvoir qui risquait de lui échapper ? Ne sera-t-on pas alors tenté de soupçonner, en Lucius Verginius et Manius Sergius, moins des ennemis de la plèbe dans son ensemble, que des alliés de certaines personnalités de son élite, en même temps que des adversaires du patriciat le plus fermé10 ? En 401

sortants, et détournent d'eux-mêmes sur ceux-ci la colère et la mauvaise humeur de la plèbe en les assignant » (texte et traduction CUF). Au moins le premier et le troisième des tribuns de la plèbe, qui portent des noms de très grandes gentes, pourraient être des clients de haut rang, voire des patriciens passés dans la plèbe : sur cela, cf. infra, chapitre EX, en particulier pour Minucius.

7. Tite-Live, V, 12, 2 : In hos uersa ira populi cooptationis tribunorum fraudisque contra legem Treboniam factae memoriam obscuram fecit.

8. Tite-Live, m, 56-58 : le procès intenté à Appius Claudius et à Spurius Oppius ; le premier pourrait avoir été favorable à une politique d'ouverture et de partage du pouvoir avec l'élite de la plèbe, à laquelle appartenait le second, selon toute probabilité : cf. supra.

9. Tite-Live, m, 64-65.

10. En ce sens, le rôle joué déjà par les Vergimi dans le second quart du Ve siècle, ou celui des Sergii en 433 et en 395, pour ce qui regarde le culte d'Apollon : sur ce culte et la

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en tout cas, tout comme en 449, la révolte éclate dans la Ville et menace de gagner l'armée, tandis que les tribuns de la plèbe déposent un projet de loi agraire, et exigent pour la plèbe l'accès au pouvoir politique : « Au

milieu d'une plèbe irritée contre les Pères, les tribuns de la plèbe disaient que le moment était venu de remplacer au pouvoir les Sergius et les Verginius par des plébéiens énergiques et actifs [...] » u .

Tite-Live se livre-t-il ici à la simple répétition d'un récit exemplaire et bien connu ? L'épilogue invite à une conclusion moins simple : l'année 401 voit en effet l'élection, pour 400, d'un collège de tribuns militaires à pouvoirs consulaires où, des six magistrats élus, quatre portent des noms plébéiens12 ; l'année suivante, de l'aveu même de Tite-Live13, cinq plébéiens sont encore élus14 - aux côtés d'un Veturius, seul patricien du collège - ; le collège de 396 enfin compte à nouveau cinq plébéiens15, pour un seul patricien - un Manlius.

Comme par le passé, de tels succès « plébéiens » suggèrent l'accord et le soutien actif de certains patriciens, contre la faction conservatrice encore dominante. Mais ne peut-on aussi percevoir dans tout cela les prémisses d'une évolution qui conduira, en même temps sans doute, à la fin des gentes et aux lois Licinio-Sextiennes ? Car si les quinze années qui suivent les élections pour 396 voient un retour en force des patriciens dans le domaine politique, elles voient aussi se multiplier les signes annonciateurs de la dissolution des structures gentilices jusque là encore dominantes - signes annonciateurs, en tout état de cause, de l'ouverture des plus hautes magistratures à l'élite plébéienne, et d'un partage du consulat qui deviendra la règle avec les lois Licinio-Sextiennes de 367.

politique de compromis menée par certains patriciens à l'égard de la plèbe, cf. J. Gagé, Apollon romain. Essai sur le culte d'Apollon et le développement du « ritus Graecus » à Rome des origines à Auguste, Paris, 1955, pp. 115-146.

11. Tite-Live, V, 8 : Inter has iras plebis in patres cum tribuni plebis « nunc illud tempus esse » dicerent « stabiliendae libertatis et ab Sergiis Verginiisque ad plebeios uiros fortes ac strenuos transferendi summi honoris » [...]. (Texte et trad. CUF.)

12. J. R. S. Broughton, The Magistrates..., p. 84 (avec les références aux sources, et la bibliographie) : ce sont un Licinius, un Titinius, un Maelius, un Publilius ; les patriciens sont un Manlius et un Furius : cf. tableaux I et II.

13. Tite-Live, V, 13, 2-3, qui cite : M. Pomponius, Cn. Duillius, Volerò Publilius, Cn. Genucius, L. Atilius.

14. Pour une analyse de la plèbe et des stratifications sociales qui la caractérisent à ce moment : Ferenczy, From the Patrician to the Patricio-plebeian State, Budapest, 1976, en particulier p. 48.

15. Tite-Live, V, 18,1-2 : on retrouve dans ce collège des plébéiens élus pour 400 ou pour 399, en même temps que le patricien P. Manlius, déjà élu lui aussi pour 399.

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les indices de la dissolution des structures gentilices

On peut en voir de premiers indices en 395, aux lendemains de la prise de Véies, dans les troubles qui accompagnent les débats suscités par un projet tribunicien d'émigration d'une partie de la plèbe à Véies : mais là encore, quelle est cette plèbe qui projette de quitter Rome pour s'installer - avec une partie du Sénat - dans la ville vaincue ? Quoi qu'il en soit, deux tribuns de la plèbe, Aulus Verginius et Quintus Pomponius, s'opposent au projet déposé par leur collègue Titus Sicinius16 ; et pendant toute l'année, et encore pendant l'année suivante, les débats et les luttes se prolongent sous l'impulsion des tribuns qui, tous trois, ont été réélus17.

En 393 enfin, à l'instigation de Titus Sicinius, élu tribun de la plèbe pour la troisième année consécutive18, l'assemblée tribute assigne en justice et condamne à une forte amende Aulus Verginius et Quintus Pomponius, que les Patres ont échoué à faire réélire19 ; il est très remarquable que l'assemblée - au dire de Tite-Live - « n'invoquait contre eux aucun autre grief, soit dans leur vie privée soit dans l'exercice de leur charge, que leur opposition au projet de loi par complaisance envers les Pères »20. À quelle faction du patriciat, en vérité, ces deux anciens tribuns de la plèbe avaient-ils donc apporté leur concours ?

Marcus Furius Camillus cependant, à qui Rome devait la prise de Véies, s'oppose farouchement à toute émigration dans la ville vaincue ; dénonçant sans relâche l'assemblée qui a condamné Aulus Verginius et Quintus Pomponius, et la faiblesse des consuls qui ont laissé faire, il appelle les sénateurs à agir :

« Il reprochait aux consuls de n'avoir pas dit un mot en faveur de ces tribuns, "qu'on avait abusés par des assurances officielles et qui avaient suivi les instigations du Sénat". À force de répéter ces propos sans se cacher, il s'attirait chaque jour davantage la colère du public. En outre, il ne cessait d'exciter les sénateurs contre la loi [...] »21.

16. Tite-Live, V, 24, 11, pour T. Sicinius, auteur du projet d'émigration ; pour ses adversaires : Tite-Live, V, 29, 6.

17. Tite-Live, V, 25,13.

18. Tite-Live, V, 29,1.

19. Tite-Live, V, 24,4-11 ; 25,13 ; 29, 6-7 ; Plutarque, Camille., 7, 2-4 et 9,1.

20. Tite-Live, V, 29, 6 : [...] neque enim eos aut uitae ullo crìmine alio aut gesti magistratus quisquam arguebat, praeterquam quod gratificantes patribus rogationi tribuniciae inter cessissent.

21. Tite-Live, V, 29, 10-30,1 : Consulesque increpebat « quod fide publica decipi tribunos eos taciti tulissent qui senatus auctoritatem secuti essent ». Haec propalam contionabundus in

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Et Tite-Live d'expliquer : « Ces exhortations soulevèrent les patriciens ; jeunes et vieux, le jour de la présentation du projet de loi, ils se rendirent en rangs serrés au forum, puis se séparèrent pour rejoindre chacun sa tribu, sollicitant ceux qui en faisaient partie et les suppliant tout en larmes "de ne pas abandonner la patrie pour laquelle ils s'étaient battus avec tant de courage et de succès, eux et leurs pères" [...]. Comme ils parlaient sans violence et sur le ton de la prière, une prière où sans cesse revenait le nom des dieux, le plus grand nombre craignit une impiété et la loi fut rejetée par les tribus à une voix de majorité »22.

De tout cela je retiendrai ici, d'abord, la participation évidente, explicitement mise en valeur par Tite-Live pour la première fois, des patriciens à l'assemblée tribute, « chacun dans sa tribu sollicitant ceux qui en faisaient partie et les suppliant [...]»: l'exposé de Tite-Live ne laisse aucun doute à cet égard ; il me paraît confirmer, en même temps, qu'a bien eu lieu runification institutionnelle de la plèbe dans ces assemblées : une plèbe qui depuis les lois de restauration de la République, en 449 av. J.-C, se trouve définie dans l'assemblée tribute comme l'ensemble de tous ceux qui ne sont pas patriciens.

Je retiendrai ensuite cette très courte majorité d'une voix - d'une tribu - pour rejeter la loi : en d'autres termes, sur les vingt et une tribus qui existent certainement en 393-392 - et qui ont dû être appelées à voter, tant les résultats devaient être partagés - onze seulement se sont prononcées contre la loi d'émigration à Véies, et ont ainsi donné leur sanction au choix politique de Marcus Furius Camillus et de ses alliés sur la question.

Camille, et les patriciens qui l'avaient suivi dans sa lutte contre le projet tribunicien, ont-ils voulu consolider dans l'opinion plébéienne une position dont le vote des tribus dénonçait la précarité ? Tite-Live en tout cas explique :

« Cette victoire fut pour les Pères une telle joie que dès le lendemain, sur le rapport des consuls, un senatus-consulte décida "que les terres de Véies seraient distribuées par lots de sept jugères à la plèbe, et non seulement aux pères de famille, mais qu'on tiendrait compte dans la maison de tous les individus libres ; que cette perspective devait les engager à élever des enfants" »23.

dies magis augebat iras hominum. Senatum uero incitare aduersus legem haud desistebat [...] (Texte et trad. CUF.)

22. Tite-Live, V, 30, 4-7 : His adhortationibus principes concitati ; [patres] senesque et iuuenes, cumferretur lex, agmine facto in forum uenerunt dissipatique per tribus, suos quisque tribules prensantes, orare cum lacrimis coepere « ne earn patriam pro qua fortissime felicissimeque ipsi ac patres eorum dimicassent desererent »[...] Qui non ui agebant, sed precibus, et inter preces multa deorum mentio erat, religiosum parti maximae fuit, et legem una plures tribus antiquarunt quam uisserunt. (Texte et trad. CUF.)

23. Tite-Live, V, 30, 8 : Adeoque ea uictoria laeta patribus fuit ut postero die, referentibus consulibus, senatus consultum fieret ut agri Veientani septena iugera plebi diuiderentur, 'nec

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Un tel exposé appelle plusieurs remarques. Il renvoie sans doute, pour une part, à une argumentation qu'auraient aussi bien pu tenir les hommes de la classe politique au peuple romain, à la fin de la République ou à l'époque augustéenne ; mais si l'on peut y déceler des éléments de réinterprétation proposés au dernier siècle av. J.-C, il convient aussi de souligner les caractères de la distribution des terres ainsi décrétée : on peut y reconnaître bel et bien une concrétisation, au profit des bénéficiaires du partage, du projet d'émigration d'une partie de la plèbe à Véies. Dans ce partage pourraient alors se révéler à la fois l'apparition de clientèles d'un type nouveau, et le développement des mutations économiques et sociales que les Patres ne pouvaient plus ignorer, mais qu'il ne leur était plus possible de contrôler et de brider par des mesures étroitement politiques et des créations institutionnelles limitées, comme ils l'avaient fait en 449.

De ce partage des terres, quels sont les éléments essentiels ?

La loi agraire de 393 av. J.-C.

L'on remarquera, d'abord, l'importance des lots de terres qui devaient être distribués, sur un territoire qui relevait maintenant de Vager Romanus : sept jugères, au lieu des bina iugera traditionnels. On observera ensuite que sont pris en compte, pour cette distribution, non seulement les patres familias, mais aussi les liberi de leurs maisons ; la disposition peut sans cloute être interprétée comme prévoyant, pour ceux qui n'avaient pas de gens, la prise en compte de fils qui, tout en étant sous la potestas du pater familias, avaient femme et enfants ; mais le décret sénatorial pourrait aussi avoir intéressé les clients des gentes : l'on n'oubliera pas à cet égard que les Anciens définissaient les clients, dans leurs relations avec leurs patrons, comme des liberi1*. Si une telle interprétation doit être retenue, on aurait alors là, aussi, l'indice d'une mutation radicale dans les rapports des clients avec la terre, avec la généralisation d'un droit d'accès direct qui avait dû leur être jusqu'à ce moment refusé, et réservé à ceux qui n'avaient pas de gens : la propriété quiritaire. Or, la nature de

patribus tantum, sed ut omnium in domo liberorum capitum ratio haberetur, uellentque in earn spem liberos tollere'. (Texte et trad. CUF). = 'nec patribus famïliae tantum, sed ut omnium in domo liberorum capitum ratio haberetur, uellentque in earn spem liberos tollere. (Texte et trad. CUF.)

24. Festus, p. 288 L : patres... agrorum partes adtrïbuerant tenuioribus perinde ac liberis ; Proculus, Digeste, 49,15, 7,1 : clientes nostros intellegimus liberos esse; sur cela, cf. les observations de E. Benveniste, « Liber » et « Liberi »..., pp. 51-58, et d'A. Magdelain, Remarques..., pp. 106-114 ; supra, chap. I.

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la décision prise en 393 - un senatus consulïum, octroyé de fort bon gré par les Paires, si l'on en croit Tite-Live - , irait bien dans le sens d'une décision qui aurait intéressé l'ensemble du peuple romain, génies comprises ; et l'on se souviendra que la première loi agraire - et la seule que le Sénat ait jusque là promulguée - remontait au consulat de Spurius Cassius en 486, qu'elle prenait alors en compte les seuls « plébéiens » -ceux qui n'avaient pas de gens - et qu'elle n'avait jamais reçu plus et mieux qu'une application très partielle, du fait même de la mauvaise volonté des Paires à la mettre en vigueur ; que depuis ce temps enfin, aucune autre loi de partage de terres romaines n'avait été promulguée.

De tels indices donneront à penser qu'à la fin du Ve siècle et au début du IVe, les liens de clientèle qui structuraient les rapports entre les hommes au sein des génies, et qui excluaient pour les clients l'appropriation privée de la terre, étaient en voie de disparition : le temps sans doute n'était pas loin où les structures gentilices de la société cesseraient d'être dominantes, laissant la place au plein développement de la cité des Quiriies.

Si cette interprétation est exacte, les clientèles politiques devaient désormais être fondées sur des relations d'un type nouveau. N'est-ce pas cela que Camille et ses amis ont recherché, en faisant promulguer par le Sénat une loi de partage uiriiim des terres de Véies ? Le procès tribuni-cien intenté peu après à Camille, réduit à s'exiler à Ardée, puis le rappel et le retour triomphal de l'exilé, après avoir repris Rome aux Gaulois qui l'avaient mise à sac, enfin le conflit politique décisif qui devait l'opposer à Marcus Manlius Capitolinus, permettront de préciser ces données.

CAMILLE, PORTEUR D'UN PROJET POLITIQUE ?

Camille, duxfatalis

Camille porieur du destin de Rome

La loi de partage agraire des terres de Véies semble avoir d'abord pleinement satisfait la plèbe : « Enchantée de ce don », dit Tite-Live25, « elle ne s'opposa pas à ce qu'on nommât des consuls ». Les élus furent Lucius Valerius Potitus et Marcus Manlius, le futur Capitolinus. Et sous

25. Tite-Live, V, 31, 1-2 : Eo munere delenita plebe, nihil certatum est quo minus consularia comitia haberentur. Creati consules L. Valerius Potitus M. Manlius, cui Capitolino posteafuit cognomen. (Texte et trad. CUF.)

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l'autorité consulaire, la cité s'acquitte, apparemment de fort bon vouloir, des vœux faits par Camille lors du siège de Véies : les grands jeux sont célébrés en l'honneur de Jupiter Capitolin, le temple de Junon Reine est inauguré sur l'Aventin. Or, dans les mois suivants, les signes annonciateurs d'un changement de la Fortune s'accumulent ; d'abord, avec la sécheresse et les grandes chaleurs, une épidémie éclate, emportant un censeur. Sans doute Rome vient-elle encore à bout des Volsiniens et des Sappinates qui l'ont attaquée, et porte même la guerre chez eux26. Mais on apprend bientôt l'annonce, « par une voix plus qu'humaine »27, de l'approche des Gaulois : or, de cela, on ne tient aucun compte ; et au mépris de toute raison, un procès tribunicien est intenté à Camille. Ce procès, et l'exil auquel Camille est contraint28, achèvent de faire de lui le dux fatalis, le porteur du destin de Rome : il a été porteur de la victoire romaine devant Véies, son exil va de pair avec la défaite devant les Gaulois. Car en exilant le vainqueur de Véies, Rome s'est privée, assure Tite-Live, « de la seule ressource humaine qu'elle possédait » : de ce moment en effet, le destin implacable conduit la descente des Gaulois sur Rome, et crée les conditions du désastre des armes romaines, jusqu'à la prise et la destruction de la Ville, jusqu'à la reddition enfin de la citadelle. Ce n'est qu'avec le rappel de Camille29, sa proclamation comme dictateur par un ordre du peuple, et son retour à Rome à la tête d'une armée de secours, que le destin redevient favorable : « maintenant la Fortune avait tourné ; maintenant la protection divine et la sagesse humaine soutenaient les intérêts de Rome [...] »30.

Le rôle dévolu à Camille est bien celui du dux fatalis : il est porteur des fata tyrrhéniens aussi bien que de ceux de Rome, d'abord par la prise de Véies, puis par la victoire qu'il remporte sur les Gaulois, et que suivront d'autres victoires sur les Étrusques ; et ce rôle, qui fait de Camille dans les récits de la tradition « le nouveau Romulus », le « Parens Patriae », le

26. Tite-Live, V, 31-32.

27. Tite-Live, V, 32,6.

28. Les Anciens expliquaient unanimement le procès par la haine que la plèbe portait à Camille, mais divergeaient sur les charges qui pesaient contre l'accusé : J. Bayet et G. Baillet, Appendice à Tite-Live, V, 1969, p. 150, avec les références aux sources et l'exposé des interprétations des Modernes.

29. Tite-Live, V, 46,10 : un sénatus-consulte décida uti comitiis curiatis reuocatus de exsilio iussu populi Camillus dictator extemplo diceretur militesque haberent imperatorem quem uellent : « que Camille serait rappelé d'exil par les comices curiates, puis par un ordre du peuple, nommé dictateur immédiatement, et l'armée aurait le général de son choix [...] ». (Texte et trad. CUF.)

30. Tite-Live, V, 49, 5 : [...] Iam uerterat Fortuna, iam deorum opes humanaque Consilia rem Romanam adiuuabant [...] (Texte et trad. CUF.)

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« second fondateur de Rome »31, a depuis longtemps attiré l'attention des Modernes32.

À n'en pas douter, ces récits sont pour une large part légendaires. Mais on y peut aussi reconnaître des éléments d'information assurés33. Ainsi, il n'est guère discutable que les Gaulois défirent l'armée romaine devant l'Allia, qu'ils pénétrèrent dans la Ville à peu près vide, que la résistance romaine s'organisa dans la citadelle, que les Gaulois cherchèrent bientôt à traiter avec leurs adversaires, qu'enfin ils durent faire retraite. Mais on doutera, à en juger par les résultats des fouilles archéologiques, de l'ampleur des destructions commises ; on doutera en particulier de la disparition totale, dans l'incendie de la Ville, des archives et des lois : il paraît bien que les Anciens aient ici procédé à une réélaboration des données, et qu'ils aient paré les événements de couleurs de légende -pour le plus grand avantage des patriciens. Cependant, si l'on doit admettre qu'il y eut bien, après le sac gaulois, comme une seconde « fondation » de Rome, peut-être faut-il mettre le fait en relation avec les mutations profondes que la société romaine connaissait alors. Ainsi, M. Torelli34 a attiré l'attention sur l'importance centrale des débats qui s'étaient développés à Rome dès 395 : à peine Véies prise, la question des terres conquises a été mise à l'ordre du jour ; toutes les conditions ont alors été réunies pour relancer les revendications « plébéiennes » de partage agraire, et préparer la plèbe à des luttes sans merci contre les prétentions patriciennes à se réserver la gestion des terres conquises. De ces luttes, la loi agraire de 393 n'a-t-elle pas été en partie le fruit ? Or, le procès fait à Camille quelques mois plus tard pourrait donner de très utiles informations sur les transformations économiques et institutionnelles en cours.

Les leçons du procès intenté à Camille en 392

Tite Live explique : « Assigné en justice par Lucius Apuleius, tribun de la plèbe, à propos du butin de Véies, Camille, qui venait au même moment de perdre son jeune fils,

31. Tite-Live, V, 49, 7.

32. Sur cela, cf. en particulier les observations de J. Bayet et G. Baillet, Appendice à Tite-Live, V, 1969, pp. 143-152.

33. Pour une discussion des données les mieux assurées, et l'interprétation qu'en donne la tradition, très hostile à la plèbe en même temps qu'aux Fabii : Torelli, Rome et l'Étrurie, pp. 226-228.

34. M. Torelli, Rome et l'Étrurie..., p. 228.

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réunit chez lui les membres de sa tribu et ses clients, c'est-à-dire une grande partie de la plèbe, pour sonder leurs dispositions, et en obtint cette réponse, qu'ils paieraient le montant de son amende ; quant à l'acquitter, lui, c'était impossible. Il s'exila donc en adressant cette prière aux dieux immortels : "S'il n'a mérité par aucune faute l'injustice qu'on lui fait, qu'à la première occasion ils fassent regretter son absence à son ingrate patrie". Il est condamné par défaut à quinze mille as lourds d'amende >>̂ .

C'est donc comme un conseil de sa gens que Camille réunit chez lui : le fait montre combien sont encore vivantes à ce moment les règles qui organisent les rapports entre les clients et leur patron, et qui, conformément au tableau que Ton doit à Denys d'Halicarnasse, obligent les clients à payer les amendes infligées à leur patron ; à cet égard l'engagement pris par les clients de Camille est sans équivoque. Mais par là même, il éclaire le rôle des clients dans l'assemblée tribute : on y pourra reconnaître d'abord, sans doute, un devoir de « réserve », conforme encore au « code de la clientèle » et à l'interdiction faite aux membres d'une gens de porter témoignage ou d'agir en justice les uns contre les autres ; mais on ne peut guère mettre en doute que les clients n'aient eu le désir d'éviter une condamnation dont ils devaient faire les frais : ce que l'affaire pourrait mettre alors en évidence, c'est non pas leur manque de vouloir, mais leur impuissance à empêcher une condamnation dont ils savaient de toute certitude que l'assemblée tribute la voterait. Ce qui revient à dire qu'à ce moment, Camille et ses amis politiques ne contrôlaient pas les votes de la majorité des tribus, et cela, malgré le partage des terres de Véies qui avait été accordé à la plèbe.

Si l'on en croit Tite-Live, il faut, trois ans plus tard, un désastre sans précédent - le sac de Rome par les Gaulois - pour qu'à la demande du peuple romain lui-même, Camille soit rappelé d'exil en vertu d'un sena-tus-consulte, et revêtu de la dictature par une loi curiate ; la victoire devait lui valoir de célébrer à Rome, dit encore Tite-Live, un triomphe sans précédent. Mais à peine la paix extérieure est-elle retrouvée, que renaissent les projets tribuniciens d'émigration à Véies. À nouveau, Camille s'oppose devant l'assemblée à l'abandon de Rome36, et Tite-Live conclut : « Une grande émotion fut soulevée, dit-on, par le discours de Camille

35. Tite-Live, V, 32, 8 : Qui, die dicta ab L. Apuleio tribuno plebis propter praedam Veientanam, filio quoque adulescente per idem tempus orbatus, cum, accitis domum tribulibus clientibusque, quae magna pars plebis erat, percontatus animos eorum responsum tulisset 'se conlaturos quanti damnatus esset, sed absoluere eum non posse', in exsilium abiit, precatus ab dis immortalibus 'si innoxio sibi ea iniuria fieret, primo quoque tempore desiderium sui ciuitati ingratae facerent'. Absens quindecim milibus grauis aeris damnatur.

36. Tite-Live, V, 51-54.

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238 ^ République des tribus

[...] »37. Cependant l'exilé de la veille ne devait-il pas chercher de plus solides assurances, pour l'avenir ?

Camille et le rétablissement de Rome

Sur le rôle de Camille dans les années qui suivent, trois éléments me paraissent devoir être soulignés : d'abord, la « restauration » des lois anciennes ; ensuite, le rétablissement de la situation extérieure ; enfin, des innovations institutionnelles riches d'avenir.

Le rétablissement des lois et des traités

Avant toutes choses, il fallait en effet procéder à la restauration des traités et des lois - non sans quelques précautions qui retiendront l'attention. À peine en effet Camille eut-il déposé la dictature, au terme de l'année38, que l'on décida d'un interrègne, pour nommer les six tribuns militaires de l'année à venir. Et ces magistrats, à peine entrés en charge, « ordonnèrent », dit Tite-Live, « de rechercher tout ce qui se pouvait retrouver des traités et des lois » - il s'agissait des Douze Tables et de certaines « lois royales ». Une partie en fut publiée sans restriction ; mais les prescriptions d'ordre sacré furent soustraites à la connaissance du public par la volonté surtout des pontifes, désireux d'avoir dans la religion le moyen de brider les esprits de la foule.

J'aurai à revenir sur le secret des prescriptions sacrées, et des formulaires, jalousement gardé par les pontifes : pour l'élite « plébéienne », il devait faire de l'entrée dans le collège pontifical, quelques décennies plus tard, un enjeu majeur. Je retiendrai surtout pour l'instant l'aspect de « refondation » de la Ville qu'a pris alors cette restauration des lois, du fait d'abord du recours à un interrègne, dans lequel Camille joue un rôle de premier plan en tant que second interroi39 ; du fait ensuite de la présence, dans le collège des tribuns militaires à pouvoir consulaire qui fut alors constitué, des plus grands noms que Rome ait alors comptés ; je relèverai tout particulièrement - ce n'est peut-être pas indifférent - la présence d'un Lucius Valerius Publicola, aux côtés d'un Lucius Verginius,

37. Tite-Live, V, 55,1 : Mouisse eos Camillus cum alia oratione [...] dicitur.

38. Tite-Live, VI, 1,5.

39. Tite-Live, VI, 1, 5 et 8 ; sur la valeur de l'interrègne à l'époque archaïque, et sur son fonctionnement : A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », Hommages à Jean Bayet, 1964, pp. 435-448.

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Quand les gentes disparaissent 239

d'un Publius Cornelius, d'un Aulus Manlius, d'un Lucius Aemilius, d'un Lucius Postumius enfin40.

Le redressement de la situation extérieure

Cependant, devant le danger que faisait courir à Rome la triple menace des Volsques, des Èques, et de l'ensemble des peuples étrusques, on s'en remit encore à Camille, à nouveau nommé dictateur. Le succès devait être total :

« Camille rentra dans Rome en triomphateur, ayant gagné trois guerres à la fois. C'étaient, et de beaucoup, les Etrusques qui faisaient le plus grand nombre des prisonniers menés devant son char. Leur vente à l'encan produisit une telle somme qu'une fois rendue aux matrones la valeur intégrale de leurs bijoux d'or, de ce qui restait on fit trois patères d'or : avant l'incendie du Capitole, elles étaient placées, on le sait, devant les pieds de Junon, avec une inscription au nom de Camille »41.

Ce triple triomphe, la vente des esclaves étrusques, l'offrande faite à Junon enfin, pourraient être autant d'indices des éléments sur lesquels Camille pouvaient fonder sa puissance, en même temps que de son projet politique, dans une cité qui se transformait profondément.

Nouveaux citoyens, nouvelles tribus

Mais surtout, il faut ici souligner deux mesures d'une singulière importance.

L'année même du triple triomphe de Camille, « on reçut dans la cité ceux des Véiens, des Capénates et des Falisques qui, au cours de ces guerres, avaient passé aux Romains et on leur assigna des terres en tant que nouveaux citoyens ». Or, pour l'issue de ces guerres, et en particulier pour la prise de Véies42 et pour celle de Faléries43, la tradition attribuait à Camille un rôle sans égal, qui lui donnait dans les villes conquises le patronage qui était de tradition. Pour ce qui est des Falisques de Faléries en

40. Pour les Valerii et leur patronage des rituels de fondation : supra, chap. VU ; mais les autres noms - les rôles auxquels ils sont souvent attachés - mériteraient aussi des études particulières : je ne puis les développer ici.

41. Tite-Live, VI, 4, 1-3 : Camillus in Vrbem triumphans rediit, trium simul bellorum uictor. Longe plurimos captiuos ex Etruscis ante currum duxit ; quibus sub hasta uenumdatis tantum aeris redactum est ut., pretio pro auro matronis persoluto, ex eo quod supererai très paterae aureaefactae sint, quas cum titulo nominis Camilli ante Capitolium incensum in louis cella constat ante pedes Iunonis positas fuisse. (Texte et trad. CUF.)

42. Tite-Live, V, 19-21.

43. Tite-Live, V, 26-27.

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tout cas, si Ton suit Tite-Live, il n'est guère douteux qu'après la prise de la ville par Camille, ils n'aient récompensé sa générosité par une fidélité politique assurée44.

Puis, en 387, furent créées de nouvelles tribus : « quatre tribus, explique Tite-Live, constituées des nouveaux citoyens, furent adjointes aux anciennes : la Stellatina, la Tromentina, la Sabatina, YArniensis ; avec elles fut rempli le nombre de vingt-cinq tribus »45. Or, cette création ne semble pas avoir résulté d'une lutte victorieuse de la plèbe sur le patriciat. Plus simplement, elles ont offert des cadres de recensement aux citoyens qui avaient reçu là des terres46.

L'on observera que les quatre nouvelles tribus, qui ont toutes quatre reçu des toponymes, étaient situées sur les territoires confisqués à Véies et distribués à la plèbe romaine en 393, pour une part : mais elles ont englobé aussi certainement les terres qui avaient été prises à Faléries et Ca-pène, et récemment distribuées : leur localisation montre qu'elles intégraient les Véiens, les Capénates et les Falisques récemment promus à la citoyenneté romaine ; et sans doute aussi y furent inscrits des citoyens romains de souche47 : on pensera en particulier à ceux qui avaient bénéficié de la distribution des terres de Véies décrétée en 393, sous l'autorité de Camille48 - et pour dire les choses en un mot, sous son patronage.

De la sorte, il n'est guère douteux que les votes de ces quatre tribus n'aient été à l'avance acquis à Camille. C'est dans ces conditions que devait éclater un très grave conflit, où se trouvèrent opposés d'un côté Marcus Manlius Capitolinus, de l'autre Camille et les Patres.

44. Tite-Live, V, 27, 11 : Fides Romana, iustitia imperatoris in foro et curia celebrantur ; consensuque omnium legati ad Camillum in castra, atque inde permissu Camilli Romam ad senatum, qui dederent Falerios proficiscuntur : « La loyauté des Romains, l'équité du général sont dans toutes les bouches, au forum comme à la curie [dans Faléries] ; d'un commun accord, des ambassadeurs partent vers Camille au camp, et de là, avec l'autorisation de Camille, à Rome vers le Sénat pour déclarer la reddition de Faléries". (Texte et trad. CUF.)

45. Tite-Live, VE, 5, 8 : Tribus quattuor ex nouis ciuibus additae, Stellatina Tromentina Sabatina Arniensis ; eaeque uiginti quinque tribuum numerum expleuere. (Texte et trad. CUF.)

46. Cf. carte DC.

47. L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 47-49 ; M. Humbert, Munidpium..., pp. 80-81.

48. Cf. supra ; pour d'autre analyses : I. Bitto, « Tribus e propagatìo ciuitatìs nei secoli IV e m A. C. », Epigraphka XXX, 1968, pp. 20-58, et particulièrement ici pp. 22-27.

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Carte IX - La localisation des vingt et une tribus rurales en 387 av. J.-C.

. . . . . . . l istes de rager Romanus antiquus

- - - - limites extérieures des territoires contrôlés par les gentes

pupiNiA tribu à toponyme

AEuuA tribu à nom de pens

STEU>TINA(387) tribu rurale à toponyme, créée à l'instigation de Camille (territoires récemment distribués uiritim)

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242 ^ République des tribus

Camille et Marcus Manlius Capitolinus

Endettement et troubles sociaux

Dans les mois qui suivent en effet, Rome connaît de très graves difficultés : l'endettement, que la tradition explique par les lourdes charges de la reconstruction de la Ville, gagne des couches de plus en plus larges de la population, et les condamnations des insolvables se multiplient. Dans ce contexte d'endettement généralisé se développe alors l'action d'un très grand patricien, héros par surcroît du siège gaulois : Marcus Manlius Capitolinus. À en croire Tite-Live, depuis le retour de Camille et la libération de la Ville, Marcus Manlius Capitolinus avait conçu une grande amertume à l'égard des Patres - qu'il accusait de ne pas assez reconnaître ses mérites - et de jalouse rancœur à l'égard de Camille49. Et le voilà qui tour à tour vient en aide aux insolvables - sur ses propres biens - et dénonce la rapacité des Patres : ces derniers, assure-t-il, ont dérobé l'or repris aux Gaulois, et enlevé par là au trésor public les moyens de résoudre les difficultés présentes et de soulager les misères des plébéiens endettés. Or, la plèbe romaine, qui ne voit pas de remède aux difficultés présentes, est toute prête à entendre les discours de celui en qui elle voit un uindex libertatis - un libérateur : le fait est qu'elle lui est de plus en plus dévouée50. Et Tite-Live d'expliquer :

« Alors la guerre contre les Volsques, lourde en elle-même et aggravée par la défection des Latins et des Herniques, fut présentée comme un motif justifiant le recours à un magistrat d'ordre supérieur ; mais ce furent plutôt les projets révolutionnaires de Manlius qui poussèrent le Sénat à créer un dictateur. Ce fut Aulus Cornelius Cossus, qui nomme comme maître de la cavalerie T. Quinctius Capitolinus »51.

Marcus Manlius Capitolinus contre les Patres

Sommé par le dictateur de comparaître devant le Sénat, Manlius, en dépit de la foule irnrnense qui l'entoure et le soutient, est d'abord jeté en prison52. Mais la colère gronde : on se rappelle la mort de Spurius

49. Tite-Live, VI, 11.

50. Tite-Live, VI, 15-17.

51. Tite-Live, VI, 11, 9-10 : Bellum itaque Volscum, graue per se, oneratum Latinorum atque Hernicorum defectione, in speciem causae iactatum ut maior potestas quaereretur ; sed noua Consilia Manli magis compulere senatum ad dictatorem creandum. Creatus A. Cornelius Cossus magistrum equitum dixit T. Quinctium Capitolinum. (Texte et trad. CUF.)

52. Tite-Live, VI, 15-16.

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Cassius, celle de Spurius Maelius53, et la sédition menace au point que le Sénat, par sénatus-consulte, libère Manlius. Cependant la révolte semble ne plus pouvoir être apaisée : « Cet acte ne mit pas fin à la sédition, mais lui donna un chef », dit encore Tite-Live54 ; et avec le temps, la sédition prend de plus en plus d'ampleur et de vigueur.

Marcus Manlius Capitolinus condamné à mort et exécuté : nouvelles leçons d'un procès

Devant de telles menaces, « de l'autre côté, le Sénat délibère sur cette « sécession » de la plèbe dans la maison d'un particulier, et une maison même qui se trouvait sur la Citadelle et d'une masse telle qu'elle menaçait la liberté »55. C'est alors que deux tribuns de la plèbe, Marcus Mene-nius et Quintus Publilius, proposent au Sénat, pour en finir, de citer Manlius en justice devant le peuple sous l'accusation d'aspirer à la royauté56.

De tels noms mériteraient des analyses que je ne puis développer ici. Je me bornerai à rappeler qu'ils sont très connus, et de longue date : le premier est celui d'une grande gens patricienne, qui a donné son nom à une tribu, et dont les patrons ont obtenu par le passé - et obtiennent encore - consulats et tribunats militaires à pouvoirs consulaires57 : Marcus Menenius, tribun de la plèbe en 384, pourrait être aussi bien un patricien passé dans la plèbe, qu'un client de la gens. Quant à Quintus Publilius, son nom renvoie à Voleron Publilius, le tribun de la plèbe élu en 471, et auteur de la loi qui avait remis à l'assemblée tribute l'élection des tribuns

53. Tite-Live, VI, 17, 2 : sic Sp. Cassium in agros plebem uocantem, sic Sp. Maelium ab ore ciuium famem suis expensis propulsantem oppressos, sic M. Manlium mersam et obrutam fenore partem ciuitatis in libertatem ac lucem extrahentem proditum inimicis ; saginare plebem populäres suos ut iugulentur : « Ainsi avait été écrasé Sp. Cassius qui appelait la plèbe à la propriété terrienne ; ainsi Sp. Maelius qui, à ses frais, chassait la famine des bouches de ses concitoyens ; ainsi M. Manlius, qui de l'écrasant engloutissement de l'usure ramenait toute une part de la ville à la liberté et à la lumière, avait été livré à ses ennemis. La plèbe engraissait ses tenants pour les faire égorger ». (Texte et trad. CUF.)

54. Tite-Live, VI, 17, 6 : Quo facto non seditio finita, sed dux seditioni datus est. (Texte et trad. CUF.)

55. Tite-Live, VI, 19,1 : At in parte altera senatus de secessione in domum priuatam plebis, forte etiam in arce positam, et imminenti mole libertati agitât.

56. Tite-Live, VI, 19-20.

57. Cf. supra chap. IV, tableau I et tableau H, pour les charges obtenues ; le dernier Menenius patricien connu a été tribun militaire à pouvoir consulaire en 387, en 380, en 378, en 376 enfin ; mais un Menenius est tribun de la plèbe en 410 av. J.-C, un autre -qui est l'accusateur de M. Manlius Capitolinus - l'est en 384, un autre enfin l'est en 37 : P. Ch. Ranouil, Recherches..., p. 210.

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de la plèbe58. L'intervention conjointe de ces deux tribuns, contre un Marcus Manlius Capitolinus soutenu par la plèbe, suggère une fois encore l'existence de factions qui, loin d'opposer la plèbe et le patriciat, les traversent, et rassemblent en groupes rivaux, dans les luttes pour le contrôle du pouvoir, des patriciens et des personnalités plébéiennes.

Pour ce qui regarde la citation en justice de Marcus Manlius Capitolinus en tout cas, l'intervention à charge d'un tribun de la plèbe tel que Quintus Publilius pouvait impressionner l'assemblée, et peut-être permettre la manipulation de l'opinion populaire. L'on est en tout cas tenté de penser que telle est bien l'interprétation que Tite-Live donne à l'action des tribuns, à qui il fait dire :

« Pourquoi donnons-nous le caractère d'un conflit entre le Sénat et la plèbe à ce qui doit être l'opposition de la cité à un citoyen pernicieux ? Pourquoi faisons-nous de la plèbe l'alliée de celui que nous attaquons, au lieu de nous servir de la plèbe même pour l'attaquer, si bien qu'il tombe accablé sous ses propres forces ? Nous comptons le citer en justice. Rien n'est plus odieux au peuple que la royauté. Dès que cette foule verra qu'on ne s'en prend pas à elle, dès qu'au lieu de prêter assistance à un accusé, ils deviendront ses juges, qu'ils auront sous les yeux des accusateurs plébéiens, un prévenu patricien, et la question de la royauté en jeu, ils ne songeront plus qu'à la liberté, leur bien propre »59.

Du procès lui-même, deux aspects surtout me semblent devoir être retenus - en dehors de l'abandon de l'accusé par sa famille et par ses proches, qui tend à souligner a contrario l'unanimité des Patres, tandis que l'accusé lui-même invoque les dieux du Capitole.

Tite-Live souligne en effet d'abord l'absence de preuves - ou du moins de traces de preuves - laissées par un quelconque complot ; « le jour venu de l'assignation » expose-t-il, « en dehors des faits d'assemblées sans mandat, paroles séditieuses, largesses et fausse dénonciation, je ne trouve nulle mention de griefs vraiment pertinents produits par les accusateurs pour prouver que Manlius eût visé à la royauté ». « Mais, ajoute Tite-Live, je ne doute pas qu'il y en ait eu de graves, puisque, si la plèbe (plebs) tarda à le condamner, cela tint non à la matière du procès, mais au lieu des débats [...] »60.

58. Sur le sens et l'importance de la lex Publilia, infra chap. DI.

59. Tite-Live, VI, 19,6-7 : Quid patrum et plebis certarnen facimus, quod ciuitatis esse aduersus unum pestiferum ciuem debet ? Quid cum plebe adgredimur eum quem per ipsam plebem tutius adgredi est, ut suis ipse oneratus uiribus ruat ? Diem dicere ei nobis in animo est. Nihil minus populäre quam regnum est. Simul multitudo illa non secum certari uiderint et ex aduocatis iudices facti erunt et accusatores de plebe, patricium reum intuebuntur et regni crimen in medio, nulli magis quam libertatifauebunt suae. (Texte et trad. CUF.)

60. Tite-Live, VI, 20,4-5 : Cum dies uenit, quae praeter coetus multitudinis seditiosasque uoces et largitionem etfallax indicium pertinentia proprie ad regni crimen ab accusatoribus obiecta

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Or, quelques lignes plus loin, Tite-Live revient sur le procès, pour expliquer :

« C'était au Champ de Mars que le peuple était appelé à se prononcer par centuries, et l'accusé, tendant ses mains vers le Capitole, avait détourné ses prières des hommes pour les adresser aux dieux" : les tribuns virent bien que, tant que même les yeux de leurs concitoyens seraient prisonniers du souvenir d'une si belle action, jamais les esprits possédés par l'idée du bienfait ne s'ouvriraient à la réalité du crime. Aussi, ajournant l'affaire, ils prescrivirent que le peuple se réunirait en assemblée (concilium populi indicium est) au « Bois Petelinus », hors de la Porte Flumentane, d'où l'on n'avait pas vue sur le Capitole. En ce lieu, l'accusation eut toute sa force et le durcissement des volontés aboutit à une sentence sinistre et odieuse même à ceux qui la portèrent. Certains affirment qu'il fut condamné par des duumvirs, créés pour instruire de « crime contre l'État ». Les tribuns le précipitèrent du haut de la roche Tarpéienne [...] »62.

Sur la double localisation du procès, il convient de s'arrêter. À en croire Tite-Live en effet, la condamnation de Marcus Manlius a été impossible tant que le procès s'est tenu au Champ de Mars, parce que de là on avait vue sur le Capitole et la citadelle : ainsi, tout se passe comme si la prière que l'accusé adressait aux dieux avait, en ce lieu, une efficacité réelle. L'on se demandera alors si Ton n'aurait-on pas, avec cette invocation de l'accusé aux dieux du Capitole63 - et surtout, très explicitement, à la triade capitoline - une clef pour comprendre la lutte politique qui se développe à ce moment : cela n'invite-t-il pas à voir en Marcus Manlius un tenant et un garant de la société du passé, attaché aux valeurs qui sont celles des gentes et aux liens de patronage, qu'il fait

sint reo, apud neminem auctorem inuenio ; nec dubito hand pania fuisse, cum damnandi mora plebi non in causa, sed in locofuerit [...] (Texte et trad. CUF.)

61. Si l'on suit Tite-Live, VI, 16, 2, déjà lors de sa première inculpation, l'accusé avait adressé sa prière aux dieux du Capitole : Iuppiter Optime maxime Iunoque Regina ac Minerua ceterique di deaeque qui Capitolium arcemque incolitis, sitine uestrum militem ac praesidem sinitis uexari ab inimicis ? : « Jupiter Très bon Très grand, toi Junon Reine et Minerve, et vous autres dieux et déesses qui habitez le Capitole et la Citadelle, est-ce ainsi que vous abandonnez votre soldat, votre champion à la persécution de ses ennemis ? » (Texte et trad. CUF). On se souvient que M. Manlius avait déjoué une attaque nocturne des Gaulois, et préservé de toute profanation, en sauvant le Capitole et la Citadelle, les dieux qui avaient là leurs temples.

62. Tite-Live, VI, 20, 10-11 : In campo Martio cum centuriatim populus citaretur et reus ad Capitolium manus tendens ab hominibus ad deos preces auertisset, apparuit tribunis, nisi oculos quoque hominum libérassent tanti memoria decoris, nunquam fore in praeoccupatis beneficio animis uero crimini locum. Ita prodicta die in Petelinum lucum extra portam Flumentanam, unde conspectus in Capitolium non esset, concilium populi indictum est. Ibi crimen ualuit et obstinatis animis triste iudicium inuisumque etiam iudicibus factum. Sunt qui per duumuiros, qui de perduellione anquirerent creatos, auctores sint damnatum. Tribuni de saxo Tarpeio deiecerunt [...] (Texte et trad. CUF.)

63. Cf. aussi supra, n. 133 : Tite-Live, VI, 16,2.

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revivre jusque dans ses relations avec la plèbe ? La question exigerait des analyses que je ne puis mener ici. En revanche paraît assurée l'opposition irréductible entre Marcus Manlius et Camille. Or, celui-ci, avec l'appui qu'il a donné aux lois de partage agraire et à la création de quatre nouvelles tribus - toutes quatre à toponymes - sur les territoires récemment conquis, n'a-t-il pas tenté de promouvoir à l'égard de la plèbe une politique qui, au moins pour une part, rompait avec le passé ? Quoi qu'il en soit, on retiendra surtout ici - ce que Tite-Live souligne moins vigoureusement, tout en le disant - que l'assemblée qui avait été réunie au Champ de Mars était une assemblée centuriate ; et il apparaît clairement que Camille et ses amis avaient été impuissants à imposer à cette assemblée qu'elle votât la condamnation de l'accusé - et ils avaient prononcé sa dissolution.

Les tribuns ont alors convoqué le peuple « hors la Porte Flumentane, au Bois Petelinus », pour un concilium populi qui, certainement, était appelé à voter par tribus64 ; et les tribuns en ont obtenu le vote de la condamnation à mort de Marcus Manlius Capitolinus. L'on remarquera encore que jamais jusqu'alors l'assemblée tribute n'avait prononcé une sentence de mort contre un patricien traduit devant elle : par là aussi pourraient se traduire les mutations sociales et politiques en train de s'accomplir, et le développement des nouvelles clientèles politiques.

L'on retiendra surtout de tout cela qu'en 393 av. J.-C, l'assemblée tribute, qui ne comptait alors que vingt et une tribus, avait condamné Camille à une voix de majorité, et Camille avait dû partir pour l'exil. Depuis 387 cependant, l'assemblée comptait vingt-cinq tribus. Trois ans plus tard, Camille et ses amis se révélaient capables de contrôler les votes de la majorité des tribus qui composaient alors le concilium populi : l'on pensera que la création en 387 des quatre nouvelles tribus - toutes dévouées à Camille, selon toute probabilité - n'est pas étrangère au nouveau rapport des forces politiques qui, lors du procès de Manlius Capitolinus en 384, se manifestera dans l'assemblée tribute.

Sous ce signe aussi, l'épanouissement de la République s'annonce.

Quel sens assigner, cependant, à la politique inspirée par Camille ? Comment comprendre d'autre part les menées de Marcus Manlius ?

La distribution des terres conquises en lots individuels, en 387, à l'instigation de Camille, portait une rude atteinte au vieux système « collectif » d'exploitation du sol ; et certainement, cela signifiait à terme la disparition des génies. Cependant, en 387, la récession qui avait mar-

64. Sur le concilium populi, cf. les observations de L. R. Taylor, Roman Voting Assemblies..., en particulier p. 138 n. 5 ; cf. carte X.

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Quand les gentes disparaissent 247

que tout le siècle précédent avait fait place à un renouveau décisif des activités de production et d'échange ; et selon toutes probabilités, nombre de patriciens avaient su convertir leurs domaines aux nouvelles cultures : on peut croire que pour une part au moins, ils étaient en mesure de contrôler la circulation des produits et les échanges, et que certains d'entre eux faisaient fermement cause commune avec l'élite plébéienne. Camille était-il de ceux-là ? On pourrait en tout cas être tenté de voir, dans les mesures qu'il avait prises ou inspirées, une politique de compromis en direction de la plèbe : elle prépare les alliances qui s'annoncent, qui se nouent, et qui vont permettre en 367 la promulgation des lois licinio-sextiennes. Car ce succès plébéien - à vrai dire réservé aux plus riches - qu'est la loi de partage du consulat aurait-il été possible, si les tribuns de la plèbe instigateurs de la loi, Caius Licinius et Lucius Sextius, n'avaient reçu l'appui du patricien Marcus Fabius Ambustus, « personnage puissant parmi les gens de sa classe, mais aussi auprès de la plèbe » dit Tite-Live65, et dont Caius Licinius était devenu le gendre ?

Quant à Marcus Manlius, lorsqu'il s'était affronté à Camille, il s'efforçait de libérer les plébéiens asservis pour dettes, en prenant sur ses propres richesses. Le résultat ne s'était pas fait attendre : le premier de ceux qu'il avait rachetés, un ancien centurion, avait alors imploré « les dieux et les hommes d'accorder une juste récompense à Marcus Manlius, son libérateur, le père de la plèbe romaine [...] À [Marcus Manlius] il vouait ce qui lui restait de corps, de vie et de sang ; à un seul homme l'attachaient désormais les liens qui l'avaient uni à la Patrie, aux Pénates publics et privés »66. Marcus Manlius cherchait-il donc à étendre ses clientèles, comme aux plus beaux jours des gentes ? L'invocation qu'il adresse à Jupiter Capitolin, le grand dieu patricien, pourrait confirmer cette interprétation.

Camille, pour sa part, paraît solliciter des divinités qui, comme sa politique de partage agraire, pouvaient être chères à la plèbe : c'est Mater Matuta, dont il restaure le temple ; c'est Junon Regina, la grande divinité de Véies, qu'il invite à venir à Rome, et qu'il installe sur l'Aventin ; c'est enfin Apollon, le dieu conciliateur par excellence. Sa victoire, et la mort de Marcus Manlius, ne sont-elles pas symboliques de la fin des temps archaïques, et des temps nouveaux qui commencent ?

Vingt ans plus tard, le vote des tribus va permettre encore, sous la haute main de Camille devenu à nouveau dictateur, d'imposer aux plus conservateurs les conditions de la réconciliation des élites.

65. Tite-Live, VI, 34,5.

66. Tite-Live, VI, 5-8.

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La promulgation en 367 av. J.-C. des lois tribuniciennes de Caius Licinius et de Lucius Sextius était ce que de toute apparence, le peuple romain désirait ardemment : devant les résistances patriciennes, observe Tite-live, « on en arriva à la veille d'une sécession de la plèbe et d'autres terrifiantes menaces de luttes civiles. Tant qu'enfin, grâce au dictateur [M. Furius Camillus], les discordes s'apaisèrent par composition [,..]»67.

Ces lois étaient à vrai dire au nombre de trois68 : il y avait une loi sur les dettes, qui en organisait l'extinction sur trois ans69 ; une autre sur les possessions sur Yager publicus, interdisant leur extension au-delà de cinq cents jugères pour chaque possesseur ; enfin, il y avait la loi permettant à un plébéien de devenir consul. Les deux tribuns donnèrent pour prioritaire la loi sur le consulat : « Les patriciens ne cesseraient pas d'étendre avidement leurs possessions ni de faire périr la plèbe sous l'usure, tant que les plébéiens ne choisiraient pas un des deux consuls dans la plèbe pour sauvegarder leur liberté [...] » affirmaient-ils70. Et cette loi passa. Pour la loi agraire, elle fut promulguée elle aussi ; mais il n'est pas sans intérêt d'apprendre que l'un des deux auteurs de la loi, quelques années plus tard, fut soumis à un procès pour ne l'avoir pas respectée ; quant à la loi sur l'endettement, c'était un ensemble de mesures très conjoncturelles, qui ne réglaient rien pour l'avenir.

À vrai dire, au cours du IVe siècle, après la prise de Véies, le territoire romain a connu un élargissement décisif. Alors se sont développées à nouveau les conditions de profondes transformations. Les gentes ne sont plus les entités sociales et politiques dominantes, et l'on assiste au triomphe de la Cité des Quirites - une cité de citoyens qui possèdent leurs terres, qui combattent dans l'armée civique, et qui votent dans les assemblées du peuple romain.

Alors aussi se modifient le rôle et la condition des esclaves : jusque là peu nombreux sans doute, domestiques surtout, attachés aux grandes maisons où ils étaient à la fois instruments et signes de prestige social, ils sont recherchés maintenant de plus en plus pour leur force de travail ; et les modifications du vocabulaire attestent les changements des relations qui les lient à leurs maîtres71 ; c'est le début de l'esclavage-rharchandise, et bientôt, avec le développement des guerres de conquête, se constituera

67. Tite-Live, VI, 34,10-12.

68. Tite-Live, VI, 35-37.

69. Sur l'endettement à ce moment, cf. H. Zehnacker, « Unciarium fenus », pp. 353-362.

70. Tite-Live, VI, 37.

71. L. Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre..., pp. 313-365.

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Quand les gentes disparaissent 249

un esclavage de masse qui pèsera d'un poids très lourd sur toute l'évolution matérielle et idéologique de la Cité.

Tout le IVe siècle av. J.-C. est ainsi marqué par d'importantes mutations économiques, sociales, politiques, religieuses aussi; et dans les quinze dernières années du IVe siècle, l'on voit la composition du corps civique faire l'objet de débats nouveaux, qu'exprime l'utilisation, par les Anciens qui en rendent compte, d'un vocabulaire nouveau. Je tenterai de donner au moins un aperçu des méthodes d'analyse qui deviennent alors nécessaires, et des conclusions auxquelles elles pourraient conduire.

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La République des tribus

Carte X - Rome vers 270 av. J.-C.

La muraille de Servius Tullus et les portes : 1 = Trigemita ; 2 = Lavemalis ; 3 = Raudusculana ; 4 = Naevia ; 5 = Capena; 6 = Querquetulana ; 7 = Caelimontana ; 8 = Esquilina ; 9 = Viminalis ; 10 = Collina ; 11 = Quirìnalis ; 12 = Salutarìs ; 13 = porte Sanqualis ; 14 = Fontinalis ; 15 = Carmentalis ; 16 = Flumentana ;

Espaces et fondations hérités des premiers temps de Rome et créations des rois (cf. aussi CARTE IV) : 17 = Ara Maxima d'Hercule ; 18 = temples de Fortuna et de Mater Matuta ; 19 = temple de Diane ; 20 = temple de Minerve ; 21 = temple de Jupiter Stator ; 22 = Signum Vortumni ; 23 = Volcanal (et lapis Niger) ; 24 = Curia ; 25 = Janus de \'Argiletum ; 26 = temple de Vesta et atrium Vestae ; 27 = Regia ;

Fondations du premier siècle de la République : 28 = temple (patricien)de Jupiter, Junon, Minerve ; 29 = temple (plébéien) de Cérès, Liberei Libera ; 30 = temple (plébéien) de Mercure ; 31 = temple d'Apollon (conciliateur ?)

Fondation de Camille : 32 = temple de Junon Reine ; 33 = temple de la Concorde ; 33 = temple de Junon Moneta

Fondation d'Appius Claudius Caecus : 34 = temple de Bellona

Autres espaces sacrés : 35 = Portunus ; 36 = Junon Lucina

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CHAPITRE Vu!

DE LA CENSURE D'APPIUS CLAUDIUS CAECUS À LA LEX OGULNIA (312-300)

Il convient, en premier lieu, de revenir sur les débats qui ont eu pour objet l'intervention des libertini^dans la vie politique - avec, en particulier, leur inscription dans les tribus - , et d'abord sur le plus ancien de ces débats dont les textes de la tradition aient gardé le souvenir : celui qui avait marqué la censure d'Appius Claudius Caecus et les dernières années du IVe siècle av. J.-C.1

Et avant toute chose, il faut évoquer les analyses que A. Garzetti2, puis E. S. Staveley3 ont proposées de cette censure, revêtue par Appius

1. Pour une étude d'ensemble des épisodes liés à la carrière d'Appius Claudius, cf. E. Ferenczy, 1965, La carrière d'Appius Claudius Caecus jusqu'à la censure, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 13, 1965, pp. 379-404 ; E. Ferenczy, The Censorship of Appius Claudius, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 15, 1967, pp. 27-61 ; E. Ferenczy, The Career of Appius Claudius Caecus after the Censorship, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 18, 1970, pp. 71-103 ; R. A. Bauman, Lawyers in Roman Republican Politics. A Study of the Roman Jurists in their political setting, 312-82 BC, Munich, 1983, pp. 21-66 (avec les références aux sources, et la bibliographie).

2. A. Garzetti, Appio Claudio nella storia politica dl suo tempo, Athenaem, 1947, pp. 175-224.

3. E. S. Staveley, The political Aims of Appius Claudius Caecus, Historia, 1959, pp. 410-433.

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252 La République des tribus

Claudius en 312 av. J.-C4. Tous deux ont insisté sur la complexité des textes, et sur rimpossibilité de réduire les discussions à la question de l'affranchissement des esclaves. De même, F. Cassola5 a souligné l'invraisemblance d'une interprétation qui prendrait en compte exclusivement, dans les assemblées populaires, le poids relatif des affranchis de l'esclavage : cet auteur tendrait même à croire que les réformes décidées en 312 et en 300 ne les concernaient guère, parce que leur nombre devait être alors négligeable ; la question importante n'était pas celle des affranchis, qui pouvaient d'ailleurs être des ruraux et donc être inscrits dans les tribus rurales, mais bien celle que pouvaient poser les humiles, qui étaient des citadins6. L'on a de bonnes raisons de penser, en effet, qu'en 312 av. J.-C, les difficultés venaient moins de l'intégration des esclaves affranchis dans le corps civique, que des liens nouées par Rome avec les cités de l'Italie méridionale, plus ouvertes qu'elle aux échanges et à une vie de relations ; et en définitive, ce qui devait devenir la question essentielle, avec la conquête par Rome de toute l'Italie - une conquête qui devait aller de pair avec une diffusion calculée de la citoyenneté romaine - ce serait le problème de son unification, d'abord économique et sociale, puis politique.

Cependant, lorsqu'il évoque la censure d'Appius Claudius Caecus, Tite-Live parle de libertini7 : A. Garzetti comme E. S. Staveley ou F. Cassola ont admis pour ce vocable le sens traditionnel d'« esclaves affranchis », ou encore celui de « fils d'affranchis » ; en conséquence, ils ont fait du problème des libertini un problème contemporain, mais distinct de celui de l'ouverture des relations extérieures de Rome, distinct aussi de celui de l'octroi à des Italiens libres de la citoyenneté romaine, et tout à fait secondaire. Pourtant, si à ce moment, le mot libertini a un sens plus large, s'il renvoie aux nouveaux citoyens, et donc aux Italiens naturalisés - comme c'est le cas plus tard, selon toute vraisemblance, pour les peregrins originaires de la péninsule ibérique et installés à Carteia, colonia libertinorum8 - , il y a tout lieu de penser que les deux problèmes sont non seulement contemporains, mais étroitement liés. Là encore, une définition large du mot libertini risque fort de permettre une meilleure com-

4. Sur la durée de la censure d'Appius Claudius, et sur les débats à propos de sa légalité : A. Garzetti, Appio Claudio Cieco nella storia politica del suo tempo, Athenaeum, 1947, pp. 190-195 et p. 198.

5. F. Cassola, 7 gruppi politici romani nel IIIe secolo A. C, Trieste, 1962, pp. 94-97, pp. 101-103, pp. 108-109, pp.128-140, pp. 148-158.

6. F. Cassola, I gruppi politici..., p. 103.

7. Tite-Live, IX, 46 : cf. infra, n. 34.

8. Cf. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 352-356.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 253

préhension de ces épisodes, en donnant aux documents une cohérence qui leur a été jusqu'ici refusée.

Il me paraît donc nécessaire de revenir aux textes anciens, pour tenter de cerner de plus près la réalité qu'ils prétendent décrire, et pour éprouver à nouveau le bien-fondé de mon hypothèse sur le sens du mot libertini

LA CENSURE D'APPIUS CLAUDIUS

Pour tout ce qui regarde la censure d'Appius Claudius et ses conséquences, les textes sont exceptionnellement abondants9. Ils sont aussi, bien sûr, en partie contradictoires, et ils ont donné lieu aux interprétations les plus opposées de la personnalité d'Appius Claudius et de son œuvre censoriale, au prix, chaque fois, d'une hypercritique conduisant à rejeter ce qui, dans la tradition, allait à l'encontre de l'interprétation préalablement retenue10.

Or, une fois encore, ces contradictions de la tradition ne tiennent pas seulement, à mon sens, à la partialité des sources, qui prennent parti pour une faction11 ou pour une politique12 contre une autre. Elles sont dues aussi au flou des termes employés, en même temps qu'à la signification trop étroite - trop souvent univoque - que les Modernes accordent à des mots ou expressions tels que forensis factio, campum et forum, hu-miles, enfin et surtout libertini, que plusieurs auteurs anciens emploient. C'est ce que je me propose d'analyser, en tenant pour assurée la pertinence des perspectives d'analyse13 tant de A. Garzetti, de E. S. Staveley,

9. Les références aux textes anciens relatifs à la censure d'Appius Claudius et à ses conséquences politiques ont été réunies par Cl. Nicolet, Appius Claudius et le double Forum de Capoue, Latomus, 1961, pp. 683-720, et ici p. 685 n. 3, et p. 687 n. 1 ; cf. aussi E. Ferenczy, La carrière d'Appius Claudius, pp. 379-404. Ce sont, 1) pour Appius Claudius : Diodore, XX, 36 ; Tite-Live, IX, 29 ; 33-34 ; 42 ; 46 ; X, 6-9 ; 11 ; 15 ; 19-22 ; 31 ; enfin CIL 12, p. 192 ; 2) pour Cneus Flauius : Tite-Live, IX, 46 ; Diodore, XX, 36 ; Ciceron, Pour Murena., 21 ; De l'Orateur, 1,41 ; Lettres à Atticus, VI, 1, 8 ; Valére Maxime, n, 5,2 ; Macrobe, Saturnales, I, 15 ; Pline, Histoire naturelle, XXXm, 1-6.

10. Pour une analyse critique des sources : Cf. Cl. Nicolet, Le double Forum..., particulièrement pp. 685-686, et pp. 691-696 ; E. Ferenczy, The Censorship, pp. 27-61.

11. Sur cela, en particulier A. Garzetti, Appio Claudio Cieco...

12. E. S. Staveley, The political Aims...

13. Ce qui n'exclut pas pour autant que soit nécessaire la discussion critique de certaines interprétations.

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254 La République des tribus

que de F. Cassola : ces trois études abordent les problèmes de trois points de vue certes différents, mais qui me semblent complémentaires : celles de A. Garzetti, insiste sur les luttes des « factions » aristocratiques - à des fins d'intérêt personnel - dès cette haute époque ; celle de E. S. Staveley met l'accent sur l'opposition entre deux politiques économiques qui sont liées à des politiques extérieures différentes ; F. Cassola, quant à lui, s'est attaché à mettre en évidence les appuis que trouvent les factions dirigeantes dans les assemblées populaires, et l'utilisation que ces factions peuvent faire des préoccupations divergentes qui divisent les citoyens ; cela, à des fins politiques qui, sans que soient absents les intérêts privés, peuvent aussi largement les dépasser14. Je tiendrai aussi pour acquis le bien-fondé de la critique des sources telle que l'a exposée Cl. Nicolet : un certain nombre d'éléments de la tradition paraissent bien assurés, qui remontent à deux sources anciennes, ante-gracchiennes, et que l'on retrouve essentiellement chez Tite-Live et chez Pline l'Ancien, mais aussi chez Diodore15.

Ce sont ces éléments assurés de la tradition - et le vocabulaire qui les exprime - que je voudrais analyser ici, en partant, pour les commodités de l'exposé, de Tite-Live.

Ce qu'écrit Tite-Live de la censure d'Appius Claudius

Manuscrits et éditeurs

Or un préalable est ici nécessaire : il faut en effet revenir sur une « correction » que depuis le XVIIe siècle, sans toujours la signaler16, nombre d'éditeurs apportent à une phrase de Tite-Live17, pour laquelle les manuscrits sont pourtant unanimes à présenter une même version ; c'est là une « correction », qui n'est pas, on le verra, sans graves conséquences pour toute la compréhension de l'œuvre censoriale d'Appius Claudius ; et elle ne va peut-être pas de soi.

14. Cf. F. Cassola, I gruppi politici, en particulier pp. 134-137.

15. Tite-Live, IX, 46 ; Pline, Histoire naturelle, XXXHI, 1-6 ; Diodore, XX, 36.

16. Par exemple Weissenborn-Müller dans l'édition Teubner ; les éditeurs de l'édition Loeb la signalent, mais n'en adoptent pas moins la version corrigée, sans autre explication.

17. Tite-Live, DC, 46,11.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 255

On peut lire en effet, dans des éditions de Tite-Live qui, aujourd'hui, font autorité - ainsi l'édition de la collection Teubner18, ou encore l'édition de la Loeb Classical Library19 - à propos de la censure d'Appius Claudius Caecus et de l'élection à rédilité curule de Cn. Flauius pour 304 av. J.-C, la phrase suivante (DC, 46,11) :

Ceterum Flauium dixerat aedilemforensisfactio, Ap. Claudi censura uires nacta, qui senatum primus libertinorum filiis lectis inquinauerat, et posteaquam earn lectionem nemo ratam habuit nee in curia adeptus erat quas vetierat opes, urbanis humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupii2®

Toutefois, les éditeurs de la Loeb Classical Library ajoutent une note à ce texte21 : on y apprend que la lecture « urbanis » - que cette forme rattache à humilibus - est due à Gronovius ; pourtant, tous les grands manuscrits portent la leçon « urbanas »22 - qui doit en ce cas qualifier opes, « les forces ».

Il convient encore de souligner que l'édition Teubner omet purement et simplement de signaler le fait, et propose à l'étude, comme un texte indiscutable, ce qui n'est en fait que la lecture rectifiée proposée au XVIIe siècle par J. F. Gronovius, à partir des manuscrits dont ce dernier disposait. Cependant l'édition Nisard - qui faisait autorité vers le milieu du siècle dernier - ignorait totalement la lecture de J. F. Gronovius, et donnait purement et simplement, à la suite des manuscrits23 :

Ceterum Flauium dixerat aedilem forensis factio, Ap. Claudi censura uires nacta, qui senatum primus inquinauerat, et posteaquam earn lectionem nemo ratam habuit nec in curia adeptus erat quas petierat opes urbanas, humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupit.

18. Weissenborn-Muller, 1880-1911 ; c'est la leçon que paraît suivre F. D'Ippolito, Giuristi e Sapienti in Roma arcaica, Bari, 1986, p. 14, n. 3.

19. Mais non l'édition de Conway-Walters, Oxford, Clarendon Press, 1919, qui respecte pleinement la leçon des manuscrits.

20. « Au reste, la faction du forum (?), dont les forces avaient été accrues par la censure d'Appius Claudius, avait élu Flavius comme édile ; Appius Claudius, le premier, avait dégradé le Sénat en y introduisant des fils de libertini (?) ; et parce que par la suite personne ne tint compte de cette lectio, et qu'il n'avait pas trouvé dans la Curie les forces qu'il avait attendues, ayant réparti dans toutes les tribus les citadins d'humble condition, Appius Claudius corrompit le forum et le Champ de Mars ».

21. Tite-Live ( = Livy), IX, 46, 11, Loeb Classical Library, vol. IV, p. 352 n. 1 : « urbanis Gronovius ; urbanas Q : cf. n. sq. ; pour la traduction, cf. infra.

22. L'éditeur précise dans sa préface : « I have employed ß to designate such of the good MSS as are not cited specifically for some other reading ».

23. À cela près que les manuscrits ne portent pas de ponctuation : et cela ajoute à l'ambiguïté des constructions grammaticales et des sens.

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256 La République des tribus

Cependant, la traduction qui était proposée éludait la difficulté, en omettant de traduire le mot urbanas ; on peut lire en effet :

« Au reste, Flavius avait été nommé édile par la faction du forum, fortifiée sous la censure d'Appius, lequel avait le premier dégradé le Sénat en y introduisant des petits-fils d'affranchis24. Comme personne ne tint compte de ces choix, Appius, privé du crédit qu'il s'était flatté d'acquérir au Sénat, corrompit le forum et le champ-de-mars, en répandant le menu peuple dans toutes les tribus »

Il y a là une difficulté d'autant plus difficile à esquiver, qu'il s'agit d'une information donnée par le seul Tite-Live : d'où vient donc la « rectification » des manuscrits que de grandes éditions de Tite-Live, depuis quelques décennies, admettent comme allant de soi25 ?

Elle appartient en fait aux éditions annotées d'auteurs grecs et romains - et en particulier de Tite-Live - élaborées, au XVIIe siècle, par un savant néerlandais du nom de J. F. Gronovius et par son fils Jacobus ; après la mort du père, survenue en 1671, le fils avait poursuivi l'œuvre entreprise : un premier ouvrage parut en 1678-1679, et fut réédité à Amsterdam en 1699. Le titre de l'édition de 169926 en précise l'intention et le contenu : Titi Livii Historiarum quod extat cum perpetuis CAR. SIGONII et J. F. GRONOVU Notis. Jac. GRONOVIUS probavit, suasque et aliorum Notas adjecit27. Ainsi, Jacobus Gronovius, avec le texte de Tite-Live tel qu'on le trouve dans les manuscrits, livre ses propres notes, en même temps que celles de son père « et de quelques autres ». Or, aux pages 830-831 du volume I de cette édition, la fin de la phrase de Tite-Live est ainsi transcrite :

[...] et posteaquam earn lectionem nemo ratam habuit nee in curia adeptus erat, cjuas petierat opes urbanas, humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupit[...].

Autrement dit, on y trouve la leçon même des manuscrits, qu'au XIXe siècle l'édition Nisard retient encore ; mais on y trouve aussi une note explicitement attribuée à J. F. Gronovius, qui souligne :

« Nee in curia adeptus erat} quas petierat opes urbanas]. Quod sit in curia nancisci opes, scio. Lib. 6, de Manlio, Postquam inter Patres non, quantum aequum censebat, excellere suas opes anivadvertit. Apud Sallustium homo clarus et tum in

24. Sur cette traduction de « libertini filii » comme « petits-fils d'affranchis », cf. infra ; J. Cels-Saint-Hilaire, les libertini : des mots et des choses, Dialogues d'Histoire Ancienne 11,1985, pp. 331-379 et particulièrement pp. 354-356.

25. Certaines éditions - et par exemple celle de Conway-Walters - admettent cependant la leçon opes urbanas ; sur cela : Cl. Nicolet, Le double forum, p. 684, n. 3.

26. C'est celle que j'ai pu consulter à la Bibliothèque Nationale.

27. J. F. Gronovius et Jac. Gronovius, 1699 ; une autre édition de l'ouvrage paraîtra en 1740.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 257

senatu potens Opimins. Sed quo respectu hae opes appellentur urbanae, parum intellego. Urbanas habeat forsan opes, qui domi multum possit, si contra ponantur opes apud exercitum : quarum hi nulla mentio ; sed igitur debet fieri opum urbanarum. Scribe : nec in curai adeptus erat opes, urbanis humilibus etc. De quo uberius in nostro de Sestertiis repetitae editionis ».

Ainsi, J. F. Gronovius propose de corriger le texte des manuscrits : le recours qu'il fait à deux autres textes, qu'il extrait l'un de Tite-Live, l'autre de Salluste, lui permet de comprendre ce que pourraient être les opes - les forces - que pourraient trouver dans la Curie de grands personnages28 ; mais il ne comprend pas ce que pourraient être des « opes urbanae » ; en revanche, il sait très bien ce que pourraient être les urbani humiles : de là, la correction qu'il propose. Et par la suite l'on voit, dans les éditions de la fin du XIXe siècle et du XXe, le texte suggéré par la note de J. F. Gronovius remplacer le texte des manuscrits ; lequel disparaît complètement de l'édition Teubner, et ne figure, dans l'édition de la Loeb Classical Library, que sous la forme d'une note parfaitement laconique.

On observera alors que cette transformation d'une lettre - urbanas devenant urbanis - que l'on fait subir au texte des manuscrits, bouleverse en fait le sens même de la censure d'Appius Claudius. Le texte des manuscrits en effet tend à souligner l'appui que le censeur attendait dans la Curie, mais n'avait pu obtenir, de certains hommes de l'élite citadine -nec in curia adeptus erat, quas petierat opes urbanas - une fois accomplie sa lectio senatus : le syntagme opes urbanae ne peut renvoyer de fait, dans le contexte d'une lectio senatus, qu'à la bonne société de la Ville ; mais il renvoie aussi - et en même temps - aux fils de libertini que cette lectio a introduits dans la Curie ; cependant, cette lectio n'ayant pas été respectée, Appius Claudius avait inscrit les humiles - sans autre distinction - dans toutes les tribus.

Les éditions de la collection Teubner et de la collection Loeb, en corrigeant la lettre des manuscrits, dissocient arbitrairement les fils de libertini - entrés au Sénat du fait d'Appius Claudius - et la bonne société urbaine - opes urbanas - : ils introduisent ainsi, entre ces fils de libertini et la bonne société de Rome, une incompatibilité que les manuscrits ignorent quant à eux. Par là même, ces éditions détournent l'attention du lecteur de la lectio senatus - qui n'offre plus qu'un intérêt de scandale, du fait des fils de libertini introduits au Sénat - vers les humiles de la Ville,

28. Gronovius recourt à Tite-Live, VI, 11, 6 (à propos de Manlius Capitolinus et du conflit qui allait opposer celui-ci au Sénat) et à Salluste, Guerre de Jugurtha, XVI, 2 (à propos de Lucius Opimius, fort influent au Sénat après la répression dont C. Gracchus et ses partisans avaient été les victimes, pour proposer une version qui lui paraît plus compréhensible).

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qu'Appius Claudius aurait inscrits dans toutes les tribus, et qui composent dans Rome la forensis turba29 : en d'autres termes, l'attention du lecteur se trouve détournée vers la lie de la population citadine, qui aurait compris les fils de libertini, et qui aurait renforcé une forensis factio30

capable de contrôler le vote des tribus.

Cependant ce remplacement d'une lettre par une autre ne fait pas pour autant disparaître la version des manuscrits. En la proposant J. F. Gronovius ne fait que tirer la conséquence logique de son incapacité - dont il fait l'aveu - à comprendre dans ce passage l'expression « opes urbanas », lorsqu'elle est employée, à la fois, à propos de la Curie et des fils de libertini qu'Appius Claudius aurait voulu y introduire : cette argumentation peut-elle donc suffire à justifier pareille modification de la leçon de manuscrits, dont on reconnaît pourtant très généralement la qualité31 ? On est en droit d'en douter. Mais la question posée par J. F. Gronovius demeure : que peuvent être les opes urbanae dont Appius Claudius attendait l'appui dans la Curie, après sa lectio senatus, et qui, en définitive, lui firent défaut, parce que personne ensuite ne tint compte de cette lectio ? On s'avisera alors que la difficulté qui s'oppose à la compréhension du texte des manuscrits ne vient pas du fait qu'Appius Claudius aurait tenté, par sa lectio senatus, d'acquérir au Sénat l'appui de personnalités qui sont issues de la bonne société de Rome - « opes urbanae » - : elle vient de l'équivalence, explicitement établie par Tite-Live, entre ces opes urbanae et les fils de libertini introduits par Appius Claudius dans la Curie. Et de fait, s'il faut toujours comprendre « anciens esclaves » quand on entend « libertini », il n'est pas facile de comprendre comment Appius Claudius pouvait trouver au Sénat un appui efficace, en y introduisant des fils de libertini : en d'autres termes, en y introduisant des individus dont les pères, à la fois citadins et affranchis de l'esclavage, devaient composer pour une bonne part la forensis turba, et donner toute sa force à la forensis factio ; et plus difficile encore est d'imaginer qu'Appius Claudius ait pu lui-même croire à l'efficacité d'un tel appui. À l'évidence, la lettre des manuscrits inviterait, à elle seule, à s'interroger sur le sens du mot libertini32.

C'est en tout cas la leçon des manuscrits - telle que l'avaient bel et bien transcrite J. F. Gronovius et son fils, et telle qu'on la trouve dans l'édition Nisard - qu'en l'absence de démonstration véritable, il convient, au moins provisoirement, de retenir.

29. Tite-Live, IX, 46,14.

30. Tite-Live, IX, 46,14.

31. Cf. supra, n. 21.

32. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 331-379.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 259

Mais s'il est possible de trouver une réponse aux interrogations que cette leçon pose, ce ne peut guère être que par une analyse d'ensemble des mesures politiques prises par Appius Claudius pendant sa censure, et du vocabulaire employé pour en rendre compte : car la difficulté formulée par J. F. Gronovius ne me paraît pas la seule qu'opposent les textes anciens à leur compréhension par les Modernes. C'est sur quoi je voudrais revenir, en partant à nouveau, pour la commodité de l'exposé, du récit de Tite-Live, complété quand il en sera besoin par les informations que donne Pline l'Ancien.

Questions de vocabulaire

Tite-Live explique donc33 :

33. Tite-Live, IX, 46 : Eodem anno Cn. Flauius Cn.filius scriba, patre libertino humili fortuna ortus, ceterum callidus uir etfacundus, aedilis curulisfuit. Inuenio in quibusdam annalibus, cum appareret aedilibus fierique se pro tribu aedilem uideret neque accipi nomen quia scriptum faceret, tabulam posuisse et iurasse se scriptum nonfacturum ; quem aliquanto ante desisse scriptum facere arguit Macer Licinius tribunatu ante gesto triumuiratibusque, nocturno altero, altero coloniae deducendae. Ceterum, id quod haud discrepai, contumacia aduersus contemnentes humilitatem suam nobiles certauit ; ciuile ius, repositum in penetralibus pontifi-cum, euolgauit fastosque circa forum in albo proposuit, ut quando lege agi posset sciretur ; aedem Concordiae in area Vulcani summa inuidia nobilium dedicauit ; coactusque consensu populi Cornelius Barbatus pontifex maximus uerba praeire, cum more maiorum negaret nisi consulem aut imperatorem posse templum dedicare. Itaque ex auctoritate senatus latum ad po-pulum est ne quis templum aramue iniussu senatus aut tribunorum plebei partis maioris dedi-caret. Haud memorabilem rem per se, nisi documentum sit aduersus superbiam nobilium ple-beiae libertatis, referam. Ad collegam aegrum uisendi causa Flauius cum uenisset consensuque nobilium adulescentium, qui ibi adsidebant, adsurrectum ei non esset, curulem adferri sellam eo iussit ac de sede honoris sui anxios inuidia inimicos spectauit. Ceterum Flauium dixerat aedilem forensisfactio, Ap. Claudi censura uires nacta, qui senatum primus libertinorum filiis lectis inquinauerat, et posteaquam earn lectionem nemo ratam habuit nee in curia adeptus erat quas petierat opes urbanas, humilibus per omnes tribus diuisis forum et campunt corrupit. Tantumque Flaui comitia indignitatis habuerunt ut plerique nobilium anulos aureos et phale-ras deponerent. Ex eo tempore in duas partes discessit ciuitas : aliud integer populus, f autor et cultor bonorum, aliud forensis factio tendebat, donec Quintus Fabius et Publius Decius censores facti, et Fabius simul concordiae causa, simul ne humillimorum in manu comitia essent, omnem forensem turbam excretam in quattuor tribus coniecit urbanasque appellauit. Adeoque earn rem acceptam gratis animisferunt ut Maximi cognomen, quod tot uictoriis non pepererat, hac ordinum temperatione parerei. Ab eodem institutum dicitur ut équités idibus Quinctilibus transueherentur. (éd. Nisard).

Pour mettre en évidence les questions qui, à mon sens, doivent faire l'objet d'une analyse, je prends ici le parti, au moins provisoirement, de ne pas traduire certains vocables ou certaines expressions dont il convient de préciser les significations, et d'en garder la transcription latine ; on ne saurait oublier que toute « traduction » d'un texte, en dépit que l'on en ait, n'en peut jamais être qu'une « interprétation » ; tout ce

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« La même année, Cneus Flavius, scriba, né d'un père lïbertinus et dans une "humble" condition (pâtre libertino humili fortuna ortus), mais homme habile et éloquent, fut édile curule. Je trouve dans certaines annales que tandis qu'il assistait les édiles, voyant qu'il était désigné par les tribus comme édile et que son nom n'était pas retenu, parce qu'il avait la tâche de secrétaire (quia scriptum faceret), il déposa la tablette et jura de ne plus remplir ce rôle à l'avenir ; mais Licinius Macer assure que quelque temps avant, il avait géré le tribunat et deux fois un triumvirat, une fois comme triumvir nocturne, une autre pour la fondation d'une colonie. De toute façon, personne ne nie qu'il ait toujours âprement lutté avec les nobles qui méprisaient son "humilitas" (humilitatem suam) ; il divulgua le droit civil, gardé dans le secret des archives pontificales, et il exposa les jours fastes sur un tableau au Forum, afin que chacun pût savoir quand il pouvait agir selon la loi ; il dédia un temple de la Concorde dans le sanctuaire de Vulcain, à la grande indignation des nobles ; et par la volonté du peuple, le grand pontife Cornelius Barbatus fut contraint de lui dicter les formules, bien que celui-ci niât que selon la coutume des ancêtres, on eût le droit de dédier un temple si l'on n'était consul ou imperator. C'est pourquoi, en vertu de l'autorité du Sénat, fut porté devant le peuple un décret qui interdit à quiconque de dédier un temple ou un autel, s'il n'avait pour cela un ordre du Sénat et de la majorité des tribuns de la plèbe. Je rapporterai une chose peu digne par elle-même d'être retenue, si elle ne témoignait de la façon dont la liberté plébéienne s'opposait à la superbe des nobles. Alors que Flauius était venu voir un collègue malade, les jeunes nobles qui étaient présents s'étant donné le mot pour ne pas se lever à son arrivée, il fit apporter là sa chaise curule, et du haut de ce siège qui était dû à sa charge, il contempla ses ennemis éperdus de jalousie. C'était au reste la foren-sisfactio, dont les forces avaient été accrues par la censure d'Appius Claudius, qui avait fait Flauius édile : Appius Claudius, le premier, avait dégradé le Sénat en y inscrivant des fils de libertini. Parce que par la suite personne ne tint compte de cette lectio, et qu'il n'avait pas trouvé dans la Curie les forces de la ville {opes urbanas) qu'il avait attendues, Appius Claudius, ayant réparti les humiles dans toutes les tribus, corrompit le forum et le Champ de Mars (forum et campum corrupit) : les comices qui désignèrent Flauius provoquèrent une telle indignation que la plupart des nobles déposèrent leurs anneaux d'or et leurs phalères. À partir de ce moment, la cité fut divisée en deux parties. D'un côté se trouvait le peuple integer {integer populus), qui favorisait et honorait les honnêtes gens (fautor et cultor bonorum), de l'autre la forensis jactio, et cela dura jusqu'à ce que Q. Fabius et P. Decius eussent été faits censeurs ; et Fabius, à la fois pour rétablir la concorde, et pour empêcher la mainmise des humiles sur les comices, ayant séparé toute la tourbe for ensis (forensis turba) la rassembla en quatre tribus, et il appela ces tribus urbaines. L'on raconte que cela fut reçu avec une telle reconnaissance, que le cognomen de Maximus, que tant de victoires *ie lui avaient pas fait obtenir, lui fut accordé pour cet arrangement. On dit que ce fut lui aussi qui institua l'usage de passer les chevaliers en revue aux ides de Juillet ».

À la lecture de ce texte, il appara î t clairement que Tite-Live fait référence, à p ropos de la censure d ' A p p i u s Claudius, à deux séries de me-

que l'on peut espérer- et que Ton doit rechercher- c'est de formuler une « interprétation » qui rende compte d'une reconstitution historique des textes, et des faits qu'ils rapportent, la mieux fondée que possible.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 261

sures, nettement distinctes et pourtant liées entre elles dans un même projet politique : d'une part, Appius Claudius aurait procédé à une lectio senatus34 ; j'en retiendrai ici un élément essentiel : il aurait fait entrer au Sénat des fils de libertini ; d'autre part, il aurait inscrit les humiles dans toutes les tribus : par quoi, ajoute Tite-Live, forum et campum corrupit - « il corrompit le forum et le Champ de Mars »..

Les conséquences de ces mesures paraissent doubles aussi : d'abord Appius Claudius, en inscrivant pour la première fois comme sénateurs des fils de libertini, avait renforcé au Sénat la forensis factio - mais par la suite, on n'avait tenu aucun compte de sa lectio ; mais aussi et surtout, la puissance de la forensis factio avait été accrue dans les comices tributes, du fait de l'inscription des humiles dans toutes les tribus : le fait devint patent lors des élections pour 304, qui portèrent Cneus Flauius à l'édilité curule - évidemment contre la volonté de Y integer populus,)uutor et cultor bonorum.

Toutes ces expressions, Cl. Nicolet35 en a souligné l'importance, et il a montré combien le discours de Tite-Live est nourri de l'idéologie de la fin de la République : ce vocabulaire n'est certainement pas innocent, et les luttes politiques d'un temps très proche de celui de Tite-Live l'inspirent à coup sûr. Mais Cl. Nicolet a montré également36 la présence d'un « substrat plus ancien auquel [...] on peut se fier », et qu'il a aussi tenté de déceler malgré l'emploi d'expressions sans doute trop modernes pour le IVe ou le IIIe siècle av. J.-C. Cependant il me semble que, là encore, le récit de Tite-Live, précisément parce qu'il est nourri du vocabulaire de la propagande politique - qui est aussi, et pour cela, un vocabulaire très proche de celui de l'invective - est susceptible de plusieurs interprétations à la fois : c'est ce que je voudrais examiner plus précisément ici.

La forensis factio au pouvoir

Une remarque s'impose dès l'abord : l'emploi que fait Tite-Live de l'expression forensis factio, à propos et du Sénat, et des comices tributes issus du recensement d'Appius Claudius. Car Tite-Live ne désigne pas par les mêmes vocables les individus qui la composent - ou qui la renforcent - dans l'un et l'autre cas. Dans le Sénat, ce sont les fils de libertini - inscrits au Sénat pour la première fois dans l'histoire de la Cité -

34. Le censeur dressait la liste des sénateurs : il pouvait alors radier certains noms, ou en introduire de nouveaux.

35. Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 701-709.

36. Cl. Nicolet, Le double forum..., p. 695.

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qui auraient assuré à la forensis j'actio un apport décisif ; mais cette lectio était restée lettre morte37. Appius Claudius avait alors compensé l'échec de sa lectio senatus par la façon dont il avait inscrit les humiles dans les comices tributes : ces humiles avaient renforcé dans ces assemblées la forensis factio, et en avaient assuré la victoire politique, parce qu'ils avaient été inscrits dans toutes les tribus.

Qu'est-ce que cette forensis factio au Sénat et dans les comices, et qui sont donc ces humiles ?

Le Sénat « dégradé » ? La lettre morte d'une lectio senatus

C'est surtout l'introduction au Sénat des fils de libertini - ces libertini étant toujours entendus soit comme « esclaves affranchis »38, soit comme « fils d'esclaves affranchis »39 - qui a soulevé l'étonnement des Modernes. La mesure suscita, dit Tite-Live, l'indignation de la noblesse40. A. Garzetti a émis l'idée que le fait était peut-être moins scandaleux en 312 que plus tard41. Quant à E. S. Staveley, il a suggéré de ne pas prendre à la lettre les récits des Anciens, et de ne pas croire que les mesures prises par Appius Claudius avaient pu véritablement bouleverser le Sénat : que l'on songe, fait-il remarquer, pour comparaison, aux accusations portées contre Sulla ou César, qui avaient, disait-on, introduit des libertini au Sénat ; or le Sénat, pour la fin de la République, est beaucoup mieux connu que pour la fin du IVe siècle ; et l'on sait bien que lorsqu'on cherche dans ce Sénat les anciens esclaves qui y auraient été introduits, on n'en trouve aucun42.

Faut-il donc croire que la présence dans le Sénat, à la fin du IVe siècle av. J.-C, de fils de libertini, aussi bien que celle de libertini au temps de Sulla ou de César, ont été le pur produit de l'imagination des Anciens, ou qu'ils n'ont existé que dans la propagande ? Peut-être. Je ferai cependant

37. Tite Live, DC, 46,10.

38. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., p. 201 : « Il provvedimento veramente singolare sarebbe l'introduzione in senato di figli di liberti » ; E. S. Staveley, The political aims..., p. 413 : « It is unlikely that there were all sons of freedmen » ; de même R. A. Bauman, Lawyers...

39. C'est le sens que retient H. Zehnacker dans sa traduction de Pline, XXXm, VI, 17, vraisemblablement en vertu d'un passage de Suétone, Claude, 24, sur lequel j'ai naguère attiré l'attention : J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 354-360.

40. Tite Live, IX, 46,12.

41. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., p. 201.

42. E. S. Staveley, The political aims...,p. 413.

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remarquer au passage que dans tous les cas, les textes parlent bien de libertini - mais non de liberti -; et lorsqu'on s'avise de chercher dans le Sénat de César des nouveaux citoyens - tous de naissance « libre », mais peregrins d'origine, on en trouve un certain nombre43.

Les documents permettent-ils de comprendre de façon plus précise la lectio senatus d'Appius Claudius ?

Il convient d'abord, à la suite de Garzetti44, d'évoquer un aspect contradictoire de la tradition. Les Anciens, en effet, parlent de cette lectio comme d'un événement scandaleux, sans précédent, qui aurait provoqué la réprobation de tous, et dont les consuls d'ailleurs, par la suite, n'auraient tenu aucun compte. Mais d'un même mouvement, ils disent45

qu'Appius Claudius ne raya personne de la liste des sénateurs (ni d'ailleurs de celle des chevaliers) : avec beaucoup de vraisemblance A. Garzetti et E. S. Staveley46 en concluent que le Sénat issu de la lectio d'Appius Claudius ne devait pas être très différent de ce qu'il était auparavant. Mais il est vrai que cette observation n'est guère verifiable : on connaît mal le mode de recrutement du Sénat à ce moment, et en particulier on ne connaît pas avec certitude la date, ni même le contenu précis, du plébiscite ovinien qui transféra peut-être aux censeurs la lectio senatus47.

Cependant, même si le bouleversement et le scandale ne furent pas tels que voudrait le suggérer Tite-Live ou encore Pline48, on peut penser que la lectio senatus d'Appius Claudius n'aurait pas laissé un souvenir aussi vif, si elle n'avait comporté de quelque façon des éléments de scandale ; le problème reste de les apprécier, s'il se peut, de la façon la plus exacte ; et il n'est guère d'autre recours, à mon sens, que d'analyser le plus précisément possible les conséquences réelles des mesures qui avaient été prises, et qui se laissent percevoir dans le fonctionnement des

43. Cf. la liste qu'en donne L.R. Taylor, Voting Districts..., p. 291.

44. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 200-201.

45. Diodore, XX, 36,5 ; Tite Live, IX, 30,2.

46. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., p. 201 ; E. S. Staveley, The political aims..., p. 413.

47. E. S. Staveley, The political aims..., p. 413 ; E. Ferenczy, The Censorship..., pp. 42-50, interprète le plébiscite ovinien comme inspiré par les mêmes intentions que toute la censure d'Appius Claudius, et tend à le dater de 312 av. J.-C ; cf. aussi la discussion de la question par Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen, I, Les structures de l'Italie romaine, Paris 1977, p. 362 : « Vers la fin du IVe siècle, entre 318 et 312 sans doute, une loi Ovinia transféra [la lectio senatus] aux censeurs [...]. Les premiers censeurs attestés comme ayant effectué la lectio furent ceux de 312, dont Appius Claudius

48. Pline, Histoire naturelle, XXXm, 6,17 : cf. infra, n. 38.

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comices : ce fonctionnement, les Anciens ne le séparaient pas, dans

l'œuvre d'Appius Claudius, de sa lectio senatus. Peut-être alors sera-t-on

mieux à même de comprendre les intentions du censeur et son projet po

litique, et par là, le sens des modifications qu'il avait apportées d'abord

dans la composition du Sénat, ensuite dans l'inscription des citoyens

pour les comices tributes.

La « forensis factio » porte à l'édilité curule Cneus Flavius, fils d'un

« libertinus »

L'élément le mieux assuré de la tradition paraît être l'élection à l'édi

lité curule, en 305 pour 304, de Cneus Flavius : quel est le sens de l'évé

nement ? Il faut ici évoquer les informations données par Pline l'An

cien49, et qui apportent au récit de Tite-Live50 d'utiles compléments.

Pline expose :

« Il n'est par flagrant que l'usage des bagues ait été vraiment courant avant Cneus Flavius, fus d'Ann(i)us. Comme on sait, celui-ci publia la liste des jours fastes, que le peuple demandait quotidiennement à quelques-uns des grands de la cité. Du reste, Flavius était né d'un père fils d'affranchi51 (libertino pâtre alioqui genitus), et il était lui-même le secrétaire (scriba) d'Appius Caecus ; c'est ce dernier qui l'engagea à recueillir les jours fastes en consultant de façon assidue et en réfléchissant avec sagacité, puis à les publier. Cela lui valut une telle faveur auprès de la plèbe qu'il fut créé édile curule avec Quintus Anicius de Préneste, qui peu d'années auparavant était encore un ennemi de Rome, alors qu'on repoussa les candidatures de Caius Poetelius et

49. Pline, Histoire naturelle, XXXm, VI, 17-20 : Frequentior autem usus anulorum non ante Cn. Flauium Annifilium deprehenditur. Hic namque publicatis diebus fastis, quos populus a paucis principum cotidie petebat, tantum gratiam plebei adeptus est - libertino pâtre alioqui genitus et ipse scriba Appi Caeci, cuius hortatu exceperat eos dies consultando adsidue sagaci ingenio promulgaretque - ut aedilis curulis crearetur cum Q. Anicio Praenestino, qui paucis ante annis hostis fiiisset, praeteritis C. Poetelio et Domitio, quorum patres consules fuerant. Additum Flauio, ut simul et tribunus plebei esset, quo facto tanta indignatio exarsit, ut anulos abiectos in antiquissimis reperiatur annalibus. Fallit plerosque quod tum et equestrem ordinem idfecisse arbitrantur ; etenim adiectum hoc quoque sed et phaleras positas propterque nomen equitum adiectum est ; anulos quoque depositos a nobilitate in annales relatum est, non a se-natu uniuerso. Hoc actum P. Sempronio L. Sulpicio cos. Flauius uouit aedem Concordiae, si populo reconciliasset or dines, et, cum ad id pecunia publice non decerneretur, ex multaticiafe-neratoribus condemnatis aediculam aeream fecit in Graecostasi, quae tunc supra comitium erat, inciditque in tabella aerea factam earn aedem CCIIII annis post Capitolinam dedicatam. Id a. CCCCXXXXVIIII a condita urbe gestum est et primum anulorum uestigium extat [...]. (Texte et trad. CUF, H. Zehnacker 1982, avec notes et commentaires).

50. Tite-Live, IX, 46 : supra n 20.

51. On observera au passage - j'y reviendrai - l'adoption, par le traducteur de Pline, de la définition des libertini comme « fils d'affranchis ».

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de Domitius, dont les pères avaient été consuls. De surcroît, Flavius obtint en même temps le tribunat de la plèbe. Ce fait souleva une telle indignation que « Ton déposa les anneaux », d'après ce qu'on lit dans les plus anciennes annales. La plupart pensent à tort que Tordre équestre en fit autant ; et de fait, le texte ajoute encore : « Mais les phalères également furent déposées », et c'est pour cette raison qu'on a ajouté le nom des chevaliers ; les annales rapportent aussi que les anneaux furent déposés par la nobilitas, non par le Sénat tout entier. Cela se passa sous le consulat de P. Sempronius et de L. Sulpicius. Flavius voua un temple à la Concorde, s'il parvenait à réconcilier les ordres avec le peuple ; et comme on n'affectait pas d'argent à ce vœu sur le budget de l'État, il employa le produit des amendes infligées aux usuriers à faire construire une chapelle de bronze dans la Graecostasis, qui était alors au-dessus du Comitium ; et il fit graver sur une plaque de bronze que cette chapelle avait été construite 204 ans après la dédicace du temple du Capitole. Ce fait se situe 449 ans après la fondation de la Ville, et constitue la première trace de l'emploi des anneaux ».

Pline, comme Tite-Live, mêle mesures politiques et innovations religieuses, parce que certainement elles sont liées. Pour les commodités de l'exposé cependant, c'est aux questions politiques que je m'intéresserai ici, me réservant de revenir ultérieurement sur les secondes52.

Les deux textes de Tite-Live et de Pline donnent un certain nombre d'informations, que l'on peut tenir pour certaines53 :

- Cn. Flavius a été scriba ; Pline précise : scriba d'Appius Claudius ;

- né d'un père libertinus, il est sorti, assure Tite-Live, d'une condition humilis (humili fortuna ortus) ;

- il est parvenu non seulement à réduite curule, mais aussi au tribunat de la plèbe ; en outre Tite-Live, citant Licinius Macer, ajoute « qu'auparavant (ante), il avait exercé deux triumvirats : le triumvirat nocturne, et celui pour la déduction d'une colonie (coloniae deducendae) ».

Donc Cneus Flavius a obtenu, avec réduite curule et (peut-être) le tribunat de la plèbe54, des charges que l'on peut tenir pour importantes, et qui appellent plusieurs observations.

Elles peuvent être considérées comme équivalentes dans le cursus honorum - elles le sont en tout cas à la fin de la République -; mais surtout, on observera que l'édilité curule faisait partie des plus anciennes magistratures qui aient donné qualification pour entrer au Sénat, et cela peut-être dès la lex Ouinia55 : si donc Appius Claudius a échoué, lors de sa censure, à imposer sa lectio senatus, la modification qu'il a fait subir à l'as-

52. Recherches en cours.

53. Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 692-695, pour une analyse critique des sources.

54. Sur la carrière de Cn. Flauius, les observations de Zehnacker, 1982, p. 132.

55. Cl. Nicolet, Rome et la conquête..., p. 367.

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semblée tribute, et qui assure l'élection de Cneus Flavius, aboutit bel et bien à ouvrir le Sénat au fils d'un lïbertinus ; et cela expliquerait bien aussi, dans le Sénat, le deuil de la noblesse à la suite d'une pareille élection.

Mais là s'arrête l'ascension politique de Cneus Flavius56. Or, les élections pour réduite - serait-elle curule -, tout comme pour le tribunat de la plèbe, incombent aux assemblées tributes57, tandis que les élections à des charges supérieures reviennent aux comices centuriates. Par conséquent laforensisfactio, si c'est elle qui a porté Cneus Flavius à réduite curule, domine l'assemblée tribute, mais non l'assemblée centuriate58 : je rappellerai au passage que l'assemblée tribute pouvait être réunie aussi bien au Champ de Mars qu'au forum59, et Tite-Live est parfaitement fondé à écrire, à son propos, que la censure d'Appius Claudius «forum et campum corrupit » ; il n'y a en tout cas aucune raison de penser que cette expression ait pu de quelque façon concerner l'assemblée centuriate, que rien ne liait encore au mode d'inscription des citoyens dans les tribus60. Et l'on observera que les comices tributes ont alors accordé à Cneus Flauius tout ce qui était en leur pouvoir de lui accorder : c'est cela, me semble-t-il, qui donne tout son poids à la remarque de Tite-Live, lorsqu'il He le succès électoral de Cneus Flavius au mode d'inscription des citoyens dans les tribus qu'avait adopté Appius Claudius, pour compenser l'échec de sa lectio senatus. Autrement dit, l'élection d'une telle personnalité à réduite curule ne doit pas être considérée comme le fruit du hasard, malgré l'intervalle de quelques années qui sépare le recensement des citoyens effectué par Appius Claudius, et l'élection de

56. En ce sens, F. Cassola, I gruppi politici...

57. C'est-à-dire en toute rigueur, s'agissant d'élections à réduite curule, l'assemblée du populus réparti dans les tribus, et présidée par un censeur, un consul ou un préteur ; on peut penser que Pline, en donnant le nom des consuls de l'année, n'a pas seulement le souci de préciser une date - pour laquelle il donne aussi bien d'autres précisions - mais aussi d'indiquer les relations d'amitié qui pouvaient lier P. Sempronius et L. Sulpicius à Appius Claudius.

58. Cela prouve en même temps que la censure de 312 n'a en rien concerné les comices centuriates - dont les Anciens du reste, à son propos, ne parlent en aucune manière -; pour d'autres discussions et d'autres analyses cependant : Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 691-711.

59. Je remercie F. Coarelli de me l'avoir rappelé ; pour cela : L. R. Taylor, Roman Voting Assemblies..., en particulier p. 47; pour d'autres analyses : R. A. Bauman, Lawyers..., pp. 50-55.

60. À la fin de la République, l'organisation centuriate semble avoir été alignée, pour la première classe, sur l'organisation tribute ; mais cela résulte d'une « réforme » qui n'est pas antérieure à 241 av. J.-C. ; sur cela : Cl. Nicolet, Rome et la conquête..., pp. 342-343, avec l'exposé des discussions et la bibliographie.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 267

Cneus Flavius à l'édilité curule : il y a tout lieu de penser que le Censeur avait souhaité cette élection, et que son recensement en avait établi les conditions.

Est-il possible de préciser davantage ?

DE LA CENSURE D'APPIUS CLAUDIUS À L'ÉDILITÉ DE CNEUS FLAVIUS

Qui était Cneus Flavius ?

« Cneus Flauius, fils de libertinus »

On peut tenir pour assez sûr que Cneus Flavius, qui avait assisté Appuis Claudius comme scriba, appartenait à son entourage, de la façon la plus officielle et politique qui soit61. Le père de Cneus Flavius était un libertinus, et l'on comprend très ordinairement par là que ce père avait été affranchi de l'esclavage, ou encore, comme pourrait le suggérer Suétone62, qu'il était né d'un esclave affranchi. Or le gentilice Flauius n'est pas inconnu à Rome - on connaît pour 323 un Marcus Flauius, tribun de la plèbe63 - et il ne serait pas impossible que le père de Cneus Flavius ait été esclave d'un Flavius, et affranchi par lui. Il convient cependant de revenir aux informations que l'on tient de Suétone, ainsi qu'à celles données par Diodore.

J'ai déjà dit comment Suétone, à propos de la censure d'Appius Claudius, et de sa lectio senatus, affirme en effet « qu'au temps d'Appius [Claudius] et longtemps ensuite, on appelait libertini non pas ceux qui avaient été manumissi, mais les ingenui qui étaient nés d'eux »64. Or dans

61. Sur les scribae et sur X'ordo scribarum : B. Cohen, Some neglected Ordines : The appari-torial status-groups, Des Ordres à Rome (sous la direction de Cl. Nicolet), Paris, 1984, particulièrement pp. 54-60; F. D'Ippolito, Guiristi..., pp. 27-29, avec l'exposé des discussions pp. 34-36.

62. Suétone, Claude, 24 : pour cette « définition » donnée par Suétone des libertini, « au temps d'Appius Claudius », cf. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 350 sq.

63. J. R. S. Broughton, The Magistrates..., p. 149 ; R. A. Bauman, Lawyers..., p. 45, propose de reconnaître le père de Cn. Flauius dans le tribun de la plèbe de 327 av. J.-C

64. Suétone, Claude, 25 : [...] temporibus Appi et deinceps aliquamdiu 'libertinos' dictos non ip-sos, qui manu emitterentur, sed ingenuos ex is procreatos ; pour l'analyse de ce passage, cf. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 354-360.

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le vocabulaire juridique, on l'a vu65, manumissi ne désigne pas exclusivement les esclaves affranchis ; mais le mot les désigne aussi. Le texte de Suétone paraît donc contenir trois éléments d'information, de portées au reste fort inégales.

Avec l'emploi du mot manumissi, et non pas liberti, il est d'abord porteur d'une ambiguïté majeure : car si, dans le contexte où Suétone l'utilise, le mot renvoie clairement à l'acquisition de la citoyenneté romaine, il ne permet pas, à lui seul, de déterminer avec certitude le statut antérieur de celui qui a été manumissus ; mais en même temps, il insiste sur une citoyenneté qui n'est pas de naissance, mais acquise ;

Cependant, en donnant les libertini pour des ingenui qui seraient nés de manumissi, Suétone fait naître les libertini dans la citoyenneté : et cette identité du libertinus et de l'ingenuus, même à date haute, ne manquera pas de surprendre66 ;

Mais par là, Suétone suggère aussi - et surtout - que ce n'était pas le père, mais le grand-père de Cneus Flavius qui avait fait l'objet d'une ma-numissio.

Sur le père de Cneus Flavius, on ne sait à peu près rien : on dispose d'une seule information, qui vient de Diodore67 ; or celui-ci affirme que Cneus Flavius était fils à'apeleutheros, et que son père avait été relevé de la condition de doulos dans laquelle il se trouvait68. Diodore, il est vrai, présente tous ces épisodes en leur donnant une coloration plus scandaleuse encore, semble-t-il, que toutes les autres sources : A. Garzetti a montré comment Diodore, avec une grande malveillance, joue sur les mots, prend des aises avec la chronologie, invente même, pour renforcer l'impression de scandale ; et la partialité de son récit est à certains égards flagrante69. Doit-on donc en conclure à une hostilité à l'égard de Cneus Flavius qui pourrait aller jusqu'à la calomnie ? Car il est vrai aussi que Diodore est seul à préciser que le père de Cneus Flavius avait été, pendant un temps, dans la condition d'un doulos.

On en retiendra d'abord, en tout cas, qu'à la fin de la République au moins, selon toute apparence, les Anciens pensaient que le père, et non le grand-père de Cneus Flavius, avait accédé à la citoyenneté romaine : les

65. Supra, chap. X.

66. Elle est en particulier formellement contredite par Gaius, Institutes, I, 10 : Rursus libero-rum hominum alii ingenui sunt, alii libertini ; la formule exclut les exceptions, aussi bien qu'une évolution des mots telle que par le passé, ils aient pu se confondre.

67. Diodore, XX, 36.

68. Diodore, XX, 36 : patros ón dedouleukótos, et encore : huiós apeleuthérou.

69. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 192-196.

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propos que tient Diodore sur le père de Cneus Flavius - que les sources latines disent libertinus - pourraient aussi montrer que dans les dernières annéers du IVe siècle, comme au temps de Plaute, à la fin de la République, ou à l'époque de Suétone, les libertini n'étaient pas nés dans la citoyenneté : ils l'avaient acquise. Mais avec Diodore se pose en outre la question de l'adéquation du vocabulaire grec, pour transcrire des réalités qui sont spécifiquement romaines. L'on sait en effet que le mot eleuthéros désignait pour les Grecs le citoyen de plein droit, et que tout individu qui ne justifiait pas pleinement de ce statut pouvait être qualifié de doulos. Ainsi, à Athènes, des métèques : si certains d'entre eux avaient pour ancêtres des esclaves affranchis, beaucoup d'autres descendaient d'étrangers de condition libre, qui avaient un jour élu domicile à Athènes, mais qui ne pouvaient devenir, au mieux, que des métèques, et qui ne pouvaient faire souche que de métèques ; en d'autres termes, ils ne pouvaient être, eux et leurs descendants, que des apeleutheroi - comme c'était le cas pour les esclaves affranchis70. En ce sens, apeleutheros pourrait fort bien s'appliquer, à Rome, à un peregrin qui aurait acquis la citoyenneté romaine : on ne ferait que retrouver, avec le vocable grec, l'ambiguïté que recèlent, en latin, manumissus aussi bien que libertinus. Mais à Rome, le fils d'un manumissus né après la manumissio de son père était citoyen romain de plein droit, ingenuus71, et sa dénomination comportait la mention de sa filiation : ce pourrait être le cas de Cneus Flavius, fils de Cneus selon Tite-Live, ou à'Annius selon Pline.

La dénomination de Cneus Flavius suggérera alors d'autres observations

Les enseignements de l'onomastique

Car lorsque Tite-Live dit Cneus Flavius « fils de Cneus », il énonce une filiation « à la romaine », en rappelant apparemment le prénom paternel ; Pline quant à lui, qui paraît s'inspirer d'une tradition plus ancienne et peut-être plus sûre72, le donne pour « fils d'Annus », ou « d'Annius »73 : les manuscrits donnent en effet deux leçons différentes.

70. A. R. W. Harrison, The laws of Athens. Family and Property, Oxford 1968, pp. 184-188 ; Ph. Gauthier, « Générosité » romaine..., pp. 207-215. Je remercie P. lévêque qui m'a signalé ces deux études, ici du plus haut intérêt.

71. Au latin ingenuus correspondrait le grec eleuthéros.

72. Cl. Nicolet, Le double forum..., p. 692 : en ce sens aussi, Zehnacker, notes à Pline, p. 131 ; Cicéron, Lettres à Atticus, VI, 1,8, rapporte la même tradition que Pline.

73. H. Zehnacker, dans son édition de Pline, Histoire naturelle, XXXHI,, p. 131, interprète le texte de Pline comme Annifilius, et non comme Anniifilius - comme y engagerait le

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Deux remarques s'imposent alors. On observera d'abord que le prénom Annus est inconnu et comme prénom latin, et comme prénom osque. En revanche, Annius est connu comme un gentilice latin, dans lequel se survivrait un ancien gentilice osque, Anniis74 ; de la même façon Flauius aussi bien que Cnaeus, ou encore le composé du prénom Cnaeus avec le gentilice Flauius, renvoient à des éléments de l'anthroponymie osque75. On trouve en effet, à Nola, une inscription vasculaire comportant le nom de Cnaiues Flauies, [fils de] P.76 ; à Capoue, le prénom [Cnai]us figure d'autre part sur une défixion ancienne, où il est associé à Fuvfdis, et le document paraît dater du IVe siècle av. J.-C77 ; à Capoue encore, on connaît un magistrat local - un meddix - dont le nom est Mi. Anniiei78 ; et tous ces documents sont inscrits en alphabet indigène, ce qui est un indice certain de leur caractère local - indigène - en même temps que de leur ancienneté. Enfin, ces éléments de dénomination se retrouvent dans l'onomastique osque romanisée : Annius figure plusieurs fois dans des inscriptions chez les Hirpins, et le nom est fréquent en Lucanie79 ; quant à Flauius, on le trouve dans toute l'Italie du Sud80.

Mais il y a plus ; s'il convient en effet de retenir, à la suite de Pline, que Cneus Flauius est « fils d'Annius », on observera que Cneus Flavius ne porte pas le même nom que son père : en d'autres termes, le système gentilice - dont l'usage est à ce moment complètement implanté à Rome - pourrait ne pas rendre compte, en tout cas pas de façon totalement satisfaisante, de la dénomination de Cneus Flavius. Cette dénomi-

manuscrit B, pourtant à son avis le meilleur (p 33) : Annus serait donc prénom ; à l'appui de ce choix, H. Zehnacker cite TTL U, s. v. Ann- « qui croit savoir qu'Annus est fortasse uetus liberinorum praenomen » ; mais cela reste à démontrer.

74. Sur cela, M. Lejeune, L'anthroponymie osque, Paris, 1976, en particulier pp. 139-144.

75. Plus exactement, on dispose d'une documentation qui autorise une recherche méthodologique pour les domaines de Tosque « central » — soit : Campanie, Samnium, territoire des Hirpini et des Trentuni - et de Tosque « méridional » - soit : Lucanie, Brut-tium et Messine ; sur cela : M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., en particulier ici pp. 3-4.

76. M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., p. 22 n. 218 (au génitif).

77. M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., p. 20 n. 158.

78. M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., p. 13 n° 22 (au génitif) ; il s'agit ici d'un gentilice qui, comme la plupart des gentilices osques, doit être un ancien adjectif patronymique dérivé d'un idionyme - ou d'un prénom, les prénoms étant « eux-mêmes d'anciens idionymes » ; conformément aux règles de la dénomination romaine, Pline traite comme prénom paternel ce qui pouvait être, dans la dénomination osque, encore un idionyme (qui est formé sur le thème ann-), bientôt dérivé en un Annius, qui est parfaitement attesté : idem, pp. 140-141.

79. M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., p. 141.

80. M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., p. 142, en renvoyant aux CIL DC et X.

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nation peut-elle donc relever du système de dénomination qu'utilisaient les populations osques, auxquelles Flauius ou Annius renvoient ? On sait que le système gentilice, s'il a été aussi adopté par les populations du Sud de l'Italie81, l'a été plus tardivement qu'à Rome : c'est au plus tôt au IVe siècle av. J.C. qu'il y est devenu officiel82 ; et dans les inscriptions en alphabet indigène - qui datent au plus tôt du IVe siècle av. J.C. - on trouve des vestiges du système pré-gentilice de dénomination qu'avaient utilisé les populations osques jusque dans un passé récent83 : dans un certain nombre d'inscriptions en effet, qui datent du IVe siècle av. J.C, Ton peut voir que chaque individu y était déterminé par un idionyme qui lui était personnel ; à cela pouvait s'ajouter - facultativement - l'indication de la filiation, par la référence à l'idionyme du père. À ce moment, où se fait la transition vers la dénomination gentilice, n'est-ce pas d'un système de ce type que relèverait encore le nom de « Cneus Flavius, fils d'Annius » ?

En tout cas, la dénomination de Cneus Flavius84 pourrait, en cette fin du IVe siècle av. J.-C, renvoyer à l'onomastique indigène en voie de se latiniser, en même temps sans doute qu'aux relations de clientèle politique qu'Appius Claudius devait avoir nouées avec des principes des peuples d'Italie méridionale : c'est là en effet l'un des aspects de la politique d'ouverture vers le Sud dont A. Garzetti85, et plus nettement encore E. S. Staveley86, ont crédité le censeur de 312 av. J.-C.

Est-on donc autorisé à conclure que le père de Cneus Flavius - auquel Pline donne le nom osque d'Annius - appartenait au cercle de ces principes de l'Italie méridionale avec qui le censeur Appius Claudius, mais d'autres hommes politiques aussi87, avaient noué sans doute des relations d'amitié et de clientèle ; qu'il avait reçu la citoyenneté romaine ; qu'enfin on devait le désigner comme libertinus parce que sa citoyenneté

81. Sur tout cela : M. Lejeune, La romanisation des antrhroponymes indigènes d'Italie, Actes du colloque international sur l'onomastique latine, Paris, 1977, pp. 35-41.

82. M. Lejeune, La romanisation..., pp. 36-37.

83. M. Lejeune, La romanisation..., pp. 33-38 et pp. 107-122.

84. On remarquera, si c'était le cas, la conservation du gentilice indigène, dont seulement la finale en -iies - a été romanisée en -ius ; il en va de même d'Anniis (ou Anniies), latinisé en Annius : M. Lejeune, L'anthroponymie osque..., pp. 141-142.

85. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 196-198 ; en particulier, la politique menée par Appius Claudius prolongerait celle de Quintus Publilius Philo, après les guerres contre les Samnites et les Latins ; pp. 182-187.

86. E. S. Staveley, The political aims..., p. 418 et surtout pp. 424-431.

87. E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 175-187 ; E. S. Staveley, The political aims..., pp. 417-418 et pp. 426-428.

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était non de naissance, mais acquise ? Ce serait peut-être conclure trop hâtivement.

On remarquera d'abord que Tite-Live le dit aussi humili fortuna ortus. Qu'est-ce à dire ?

Humilis - on l'a souvent rappelé - ne révèle sans doute pas, et en tout cas pas nécessairement, ce qu'aujourd'hui on entendrait par « une humble origine » : l'expression humili (ou infima) fortuna ortus est employée, à la fin de la République, pour qualifier tous les individus qui n'appartiennent pas à la nobilitas ; on l'utilise en particulier à propos des homines noui88. Pour me borner à un seul exemple - mais combien révélateur - je rappellerai comment Quintus Pompée, ancêtre de Pompée le Grand, qui le premier dans sa famille, était devenu consul en 141 av. J.-C, est décrit comme humili atque obscuro loco natus89 : ce qui est une façon d'insister sur le fait qu'il n'appartenait pas à la nobilitas romaine ; mais on ne pense guère pour autant que ce Pompée était issu des classes populaires : plus vraisemblablement, sa famille faisait partie de l'élite de la société italienne. Sans doute convient-il d'ajouter qu'elle n'avait pas une citoyenneté romaine des plus anciennes - ce qui suffirait à expliquer la date tardive de son accès à la nobilitas - : dire d'un individu qu'il était humilis, c'est peut-être surtout dire, on le verra, que sa citoyenneté romaine n'avait pas une très grande ancienneté, quel qu'ait été d'autre part son rang social dans son peuple d'origine.

Cependant toutes les études qui ont jusqu'ici été consacrées à Cneus Flavius ne tiennent aucun compte de ce sens du mot humilis : toutes les analyses, en effet - sans doute parce que le personnage est dit non seulement humili fortuna, mais aussi pâtre libertino ortus - admettent que l'expression renvoie soit au bas peuple, soit à des individus qui pouvaient certes être riches - et donc relever, d'une certaine manière, d'une élite sociale - mais qui n'étaient pas propriétaires fonciers, et qui participaient exclusivement à des activités urbaines nécessairement dévalorisantes90.

Pourtant, cette interprétation ne s'impose peut-être pas91 : d'abord parce qu'elle ne rend pas véritablement compte de la signification du

88. Sur cela, Cf. E. Ferenczy, The Censorship..., pp. 52-56, qui fait l'exposé des différentes opinions, et souligne la pertinence de l'opposition humilis/nobilis ; Hellegouarch, Le Vocabulaire latin des relations et des -partis politiques sous la République, Paris, 1972.

89. Ciceron, Verr., II, V, 181 :[...] Q. Pompeius humili atque obscuro loco natus nonne plurimis inimicitiis maximisque suis periculis ac laborious amplissimos honores est adeptus ?, pp. 39-44.

90. En ce sens E. S. Staveley, The political aims..., p. 415.

91. Cf. les observations de F. D'Ippolito, Guiristi..., pp. 15-16.

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mot humilis - en particulier de son opposition à nobilis - à l'époque de Tite-Live ; ensuite, parce qu'elle admet pour le mot libertinus un sens approximatif92, qui est de pure hypothèse.

On peut aussi bien penser qu'en disant de Cneus Flavius qu'il était pâtre libertino, humili fortuna ortus, Tite-Live donne deux informations qui ne sont pas seulement liées par une simple effet de redondance, mais qui, peut-être, se complètent. Or si pâtre Ubertino [ortus], signifie exclusivement « né d'un ancien esclave affranchi », on ne voit pas bien quelle information supplémentaire apporterait le fait d'ajouter « humili fortuna ortus » : quelle pourrait donc en être la portée ?

En revanche, si « libertinus » ne fait qu'insister sur le caractère acquis de la qualité de citoyen romain, et si Tite-Live donne bien deux informations distinctes et complémentaires, préciser que Cneus Flavius était humili fortuna ortus aurait surtout un sens par référence au peuple d'où son père était issu : en d'autres termes, l'expression pourrait indiquer que le père de Cneus Flavius n'appartenait pas à la noblesse indigène ; mais cela ne veut peut-être pas dire, pour autant, qu'il relevait d'un milieu modeste : peut-être avait-il été, dans son peuple d'origine, ce qu'à Rome on aurait appelé un homo nouus.

Cependant, on ne saurait affirmer en toute certitude que le père de Cneus Flavius n'avait pas été esclave, et affranchi : le vocabulaire tend ici à confondre irrémédiablement, quelles qu'aient été leurs conditions économiques et sociales réelles, tous les individus qui avaient une origine étrangère, par opposition aux citoyens romains de souche : c'est dans ce contexte - avec l'idée de cette ambiguïté fondamentale du vocabulaire -qu'il convient sans doute de lire les récits qu'ont laissés les Anciens des conflits politiques du temps, et qui ont mis aux prises, dans les assemblées tributes, Y integer populus et la forensis factio.

La faction « du forum » triomphe du vrai peuple

« Forensis factio » et « opes urbanae »

On comprend très généralement l'expression forensis factio comme renvoyant aux masses populaires citadines qui, déjà à ce moment, fréquentaient assidûment le forum : ainsi - pense-t-on - a pu se constituer

92. Ainsi E. S. Staveley, The political aims..., p. 413, qui, on Ta vu, suggère de ne pas prendre à la lettre les textes des Anciens, lorsqu'ils disent qu'Appius Claudius avait fait entrer au Sénat des fils de libertini.

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une forensis factio - une factio qui trouve son existence au forum, dans les assemblée tributes qui s'y tiennnent ; et une fois accomplie, du fait d'Appius Claudius, l'inscription des humiles dans toutes les tribus, cette forensis factio est devenue capable de contrôler les votes de ces assemblées93 : et c'est bien là, en effet, une interprétation qu'impose assez sûrement la lecture «[...] urbanis humilibus per omnes tribus diuisis », suivie très ordinairement par les éditions actuelles de Tite-Live.

Or, le texte des manuscrits pourrait peut-être admettre une autre interprétation - si du moins l'on veut bien considérer que peut-être, on ne désignait pas par le mot libertini, exclusivement, les affranchis de l'esclavage.

L'adjectif forensis doit certainement être rapproché de forum, qui est le nom du centre traditionnel de la vie politique à Rome - et certainement il a une signification politique qui en est dérivée, avec la nuance péjorative que Cl. Nicolet y a décelée94.Cependant, il prend peu à peu aussi un autre sens, tout aussi péjoratif, qui sera bien attesté au IIe siècle ap. J.-C. : il en vient à renvoyer à ce qui est « extérieur » et « étranger » - peut-être par un faux rapprochement avec foras /foris95, mais tout autant, peut-on penser, parce que le forum est aussi un lieu de transactions, et de rencontre de personnes venues des horizons les plus divers.

De la sorte, l'expression forensis factio ne pouvait-elle évoquer aussi une « faction étrangère », agissant dans l'assemblée tribute ? Cela, alors même que l'assemblée était tenue ailleurs qu'au forum, comme on le voit dès une haute époque96 : pour les élections, très tôt, elle est réunie au Champ de Mars. Sans doute Tite-Live joue-t-il ici de la polysémie et de la consonance, en utilisant un mot -forensis - qui pouvait évoquer chez le lecteur aussi bien l'idée du forum, que celle de l'étranger ; comme il joue sur les mots lorsqu'il affirme que de la sorte, Appius Claudius campum et forum corrupit : j 'y reviendrai.

Cependant Pline, à propos de l'élection à rédui te curule de Cneus Flavius, donne une information qui me paraît de nature à confir-

93. Cl. Nicolet, he double forum..., pp. 709-713.

94. Cl. Nicolet, he double forum..., pp. 701-710.

95. A. Ernout et A. Meillet, sv forum, tient ce sens pour assez précocement établi - chez Pline déjà, qui peut-être le tenait de Vairon : cf. Pline, Histoire naturelle, XIV, 42 ; cf. aussi Dictionnaire d'étymologie M. L., 3344, ou encore le Thesaurus Linguae Latinae, s.v. forum.

96. L. R. Taylor, Roman Voting Assemblies from the Hannibalic war to the dictatorship of Caesar, Ann Arbor 1966, en particulier pp. 34-58.

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mer cette interprétation. Pline dit en effet97 qu'en 304 av. J.-C, en même temps que Cneus Flavius, était parvenu à réduite curule Quintus Anicius Praenestinus, dont le cognomen dénonce clairement l'origine étrangère : très exactement, il venait de Préneste. Pline d'ailleurs précise : peu d'années avant, c'était un hostis - un ennemi98. De fait, Préneste fait partie de ces cités latines soulevées dans une dernière guerre contre Rome, en 339 et 338, et dont, après leur défaite, un règlement du Sénat avait décidé du statut99. À Préneste, ainsi qu'à quelques autres cités latines, avait été confirmée leur autonomie de cité fédérée, avec les privilèges, renouvelés, de l'ancien traité que Spurius Cassius avait passé avec les cités latines en 493 - lefoedus Cassianum100. Et cefoedus comportait un ius migrandi, « droit d'immigrer » qui devait permettre aux ressortissants de ces cités latines d'accéder à la citoyenneté romaine et sans doute aussi d'accéder aux honneurs - à condition, bien entendu, de venir vivre à Rome101 : l'on pensera que Quintus Anicius devait être de ceux-là102.

On sait aussi qu'en 340, les mêmes droits avaient été accordés aux chevaliers campaniens restés fidèles à Rome103, et en 340, l'un des deux consuls avait été précisément un Decius Mus, dont l'origine cam-panienne paraît avérée104 : selon toutes probabilités, le personnage avait profité de la citoyenneté potentielle qui lui était offerte105, était venu vivre à Rome, et y avait aussitôt occupé une des plus hautes charges de l'État106.

97. Pline, Histoire naturelle, XXXm, 6 : cf. supra, n. 38.

98. Les Modernes ont supposé que le qualificatif d'hostis s'appliquerait mieux à son père ; mais on ne connaît pas l'âge de Quintius Anicius : celui-ci pourrait fort bien avoir eu dix-sept ans en 338 - et avoir participé à la guerre de la ligue latine contre Rome - et être devenu trente quatre ans plus tard, âgé de quelque cinquante ans, édile curule à Rome.

99. M. Humbert, Municipium..., pp. 176-194.

100. Supra, chap. m.

101. M. Humbert, Municipium..., pp. 88-90.

102. M. Humbert, Municipium..., p. 190 n. 135, fait observer que « le clan des Plautii vint de la même façon, de Tibur et Préneste à Rome, mais en utilisant le ius migrandi avant la dissolution de la ligue latine en 338 : avant cette date, les Plautii avaient obtenu un consulat en 358, en 347, et en 341.

103. Tite Live, Vm, 11,15-16.

104. J. Heurgon, Recherches sur l'Histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine des origines à la deuième Guerre punique, Paris, 1942, pp. 260-277, et pour l'analyse du nom, pp. 275-277.

105. Sur le contenu de la citoyenneté romaine accordée aux équités Campani, et sur la carrière de Decius Mus : M. Humbert, Municipium..., pp. 173-176.

106. J. Heurgon, Recherches..., pp. 260-277.

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Il apparaît alors que certains Latins - tout comme certains chevaliers campaniens -, qui ont pu choisir par la suite de s'installer dans la Ville, devaient remplir toutes les conditions économiques, sociales et culturelles107 requises pour la carrière des honneurs : pour peu qu'un Appius Claudius leur ait facilité l'entrée au Sénat, par eux s'expliquerait aisément les opes urbanae sur lesquelles le Censeur avait pu compter - et il ne serait nul besoin de « corriger » les manuscrits pour les comprendre. Mais si l'on admet cette lecture, on aboutit, à l'évidence, à une interprétation de la lectio senatus d'Appius Claudius qui n'a rien à voir avec l'entrée au Sénat romain d'individus dont les pères avaient été affranchis de l'esclavage : cela, encore, invite à revenir sur le sens traditionnellement accordé au vocable libertinus.

Défaite politique de /'integer populus et victoire de la forensis factio

Ainsi, Quintus Anicius Praenestinus et Cneus Flauius sont devenus, ensemble, édiles curules, « alors qu'on repoussa - s'étonne Pline108 - les candidatures de Caius Poetelius et de Domitius, dont les pères avaient été consuls »109 : une telle opposition renverra aisément à celle que formule Tite-Live : lors de ces élections, la forensis factio a mis en échec dans les comices tributes Y integer populus ,fautor et cultor bonorum. Au delà du vocabulaire très « fin de la République », nettement cicéronien aussi, que Tite-Live emploie110, l'idée est bien celle de la défaite politique du « vrai » peuple romain - du peuple romain « de souche », qui révérait les hommes de bien, et les portait aux honneurs111 - et de la victoire, scandaleuse, d'une faction qui était « étrangère ».

107. Dans le cas précis de Quintius Anicius, le fait qu'il vienne d'une grande cité latine ne peut être sans importance : son accès à l'édilité curule est une preuve de plus que les droits garantis par \efoedus Cassianum, après son renouvellement, devaient comporter le ius honorum - et donc l'accès au Sénat - pour qui accéderait à la citoyenneté romaine ; en même temps, le cas des Latins et des Campaniens devenus citoyens romains, et entrés au Sénat, pourrait donner une singulière confirmation aux dires de Philippe de Macédoine, quand il écrivait aux Larisséens, en 215-214, que les Romains donnaient l'accès au Sénat à des individus qu'ils avaient « affranchis » : Insc. gr., IX, 2, 179 : Cf. sur cela les observations de J. Heurgon, Recherches..., p. 275-277 : un Decius Mus n'aurait pu être à Athènes qu'un oiketes, un métèque.

108. Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 6,17 : cf. supra.

109. Sur ces personnages : H. Zehnacker, Traduction et commentaire de Pline, Histoire naturelle, XXXm (éd. CUF, 1983), p. 133 n. 5.

110. Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 696-701.

111. A. Ernout et A. Meillet, 1967, s.v. tangere : 1) entier ; 2) Ancien : dans son état primitif.

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Aucun texte ne dit que Quintus Anicius - ou son père - ait été un li-bertinus ; mais Pline dit que « peu d'années avant », il avait été « hostis » du peuple romain. L'on pensera d'abord que l'emploi de ce terme - qui était beaucoup moins infamant, sans doute, à la fin de la République112, à la différence du mot libertinus - pourrait révéler que Quintus Anicius était issu de l'aristocratie de Préneste ; mais en outre, et surtout peut-être, il paraît bien qu'à partir des premières décennies du IIe siècle av. J.-C, ont été désignés comme libertini non seulement ceux qui accédaient à la citoyenneté romaine, mais aussi ceux que Rome gratifiait du droit latin : l'exemple des colons de Carteia l'atteste clairement113, en toute logique, à partir de ce moment, les Latins qui devenaient citoyens romains ne pouvaient plus être dits libertini - et de fait, jamais ils ne le sont ; ainsi, compte tenu du sens qu'avait le mot libertinus au temps de Pline, Quintus Anicius, Latin venu de Préneste, et devenu citoyen romain, pouvait être désigné comme ancien hostis, non comme libertinus.

En revanche, Cneus Flavius est désigné comme fils de libertinus, et cela peut s'entendre comme « fils d'un ancien esclave affranchi » ; mais certains indices de la dénomination, ajoutés à la différence de présentation qui est faite des deux personnages, donneront à penser : le père d'un Cneus Flavius pourrait aussi bien être de ces Italiens du Sud qui avaient reçu depuis peu la citoyenneté romaine114 ; venu s'établir à Rome, où il pouvait jouir de la plénitude des droits du citoyen, il appartenait à un milieu social assez relevé115 pour qu'il fût permis à son fils d'être inscrit dans l'ordre des scribae116. L'appui d'Appius Claudius allait en outre ouvrir à celui-ci la carrière des honneurs - en même temps qu'à d'autres, et par exemple à Quintus Anicius -117 ; mais dans l'opinion, l'origine étrangère de Cneus Flavius était aggravée, selon toute vraisemblance, du fait qu'elle n'était pas aristocratique.

112. Cicéron, Les Devoirs, I, 11, 37-38, pour les sens de hostis : « on nommait hostis chez nos aïeux, celui que nous nommons maintenantperegrinus [...]».

113. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 352-354.

114. Sur l'octroi de la citoyenneté romaine à des individus ou à des groupes d'individus : M. Humbert, Municipium..., pp. 335-350.

115. Cl. Nicolet, Introduction à Des Ordres à Rome, Paris, 1984, pp. 14-19 : outre l'ordre sénatorial et l'ordre équestre, il existait un ordre des scribes, auquel correspond, comme pour les autres ordres, une qualification sociale et censitaire.

116. B. Cohen, Some neglected Ordines..., pp. 23-61, et particulièrement ici pp. 54-61.

117. Le cas de Cn. Flavius rejoindrait alors ceux, mieux connus dans les siècles suivants, de ces Italiens nés de pères gratifiés de la citoyenneté romaine, qui ont pu entrer dans l'ordre équestre, et gérer à Rome les premières charges du cursus honrum. Sur cela : Nicolet, en particulier p. 287 ; sur les relations politiques entre Appius Claudius et Cneus Flauius : F. D'Ippolito, Guiristi e sapienti in Roma arcaica, Bari, 1986, pp. 27-67.

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278 La République des tribus

L'important, me semble-t-il, est qu'en définitive, le vocabulaire employé par Pline suggère une sirnilitude profonde entre les deux personnages : sans doute Cneus Flavius était-il humili fortuna ortus, tandis que Quintus Anicius était issu, selon toute probabilité, de l'aristocratie de Préneste ; mais l'essentiel n'est pas là. Ce qui compte surtout, c'est qu'ils aient eu tous deux une origine étrangère avérée.

C'est aussi, à mon sens, ce que pourrait suggérer Tite-Live, lorsqu'il parle de l'entrée au Sénat, par la lectio qu'en avait fait Appius Claudius, de fils de libertini. Peut-être, parmi les nouveaux inscrits, y avait-il des fils d'esclaves affranchis : ce n'était certainement pas le cas de Quintus Anicius, qui pourtant venait de Préneste et qui était à Rome de citoyenneté récente ; peut-être était-ce le cas de Cneus Flavius ; mais le personnage pourrait aussi bien faire figure d'« homme nouveau ». Or tous deux, devenus édiles curules grâce à la forensis factio qui dominait maintenant l'assemblée tribute, étaient entrés au Sénat.

Il convient donc de distinguer deux temps, dans la censure d'Appius Claudius. D'abord, le Censeur procède à une lectio senatus, par laquelle il tente de faire entrer au Sénat des fils de libertini : c'est-à-dire de quelque façon que l'on comprenne le terme, des hommes capables d'y tenir leur place - ce qui suppose à la fois richesse, culture, et résidence à Rome. N'est-on donc pas conduit, une fois encore, à reconnaître en ces fils de libertini des citoyens de date récente, capables de fournir à Appius Claudius un appui assuré dans la Curie, et que Tite-Live désigne par l'association de l'adjectif urbanae, vraisemblablement péjoratif, et du substantif opes ? Mais on sait l'échec d'Appius Claudius à imposer sa lectio - en d'autres termes, à imposer au Sénat son ouverture à des hommes issus de peuples étrangers, et entrés depuis peu dans la citoyenneté romaine. De là, par la suite, une seconde mesure, prise peut-être à la fin de sa censure, et qui devait porter ses fruits lors des élections de 305 pour 304 : c'est la distribution dans toutes les tribus des humiles qui, renforçant la « faction étrangère » dans l'assemblée tribute, devaient permettre à cette faction de remporter une victoire politique sans précédent sur le peuple romain de souche ; elle avait en effet élu à l'édilité cu-rule ceux-là même - ou leurs semblables - qu'Appius Claudius avait échoué, quelques années avant, à inscrire comme sénateurs.

Sur cette inscription des humiles dans toutes les tribus, il convient de revenir.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 279

L'inscription des hutniles dans toutes les tribus

Les humiles ont-ils eu le choix de leurs tribus ?

On remarquera d'abord que l'association de cette mesure avec la victoire politique de la forensis factio invite à voir, dans ces humiles, non seulement tous ceux qui n'appartiennent pas à la nobilitas romaine - ce qui est un sens bien connu du mot - , mais encore ceux dont la citoyenneté romaine est récente, et qui ne sont pas tous des anciens esclaves : et cela rejoint, on s'en souvient, les observations d'A. Garzetti et A. Staveley. Cela rejoint encore tout ce que l'on soupçonne de l'intégration dans la citoyenneté - romaine ou latine - d'Italiens qui avaient sans doute contribué, aux côtés d'authentiques citoyens romains de souche, à fonder des colonies118 : je rappellerai ici la fondation des colonies latines de Cales en 334, de Fregellae en 328, de Suessa Aurunca en 313 et à'interamna Lirenas en 312, et encore l'établissement de la colonie romaine de Tarracina en 329. Si l'on tient compte des facilités que la loi donnait alors aux « Alliés de nom latin »119 pour entrer dans la citoyenneté romaine optimo iure - de plein droit120 - , on pensera que de telles fondations121, en même temps que l'octroi de la pleine citoyenneté à des individus, à des groupes, ou à des communautés entières, sur les territoires que Rome annexait122, peuvent expliquer pour une large part - beaucoup plus, selon toute vraisemblance, que les affranchissements d'esclaves - la progression du

118. L. R. Taylor, Voting Districts..., évoque Tite Live, X, 21, 7-10, qui dit la difficulté qu'il y eut à recruter des colons pour les colonies romaines de Minturnae et de Sinuessa, en 296 : selon toutes probabilités, des indigènes furent recrutés alors ; il en fut sans doute de même pour bien d'autres fondations.

119. Ce sont les « alliés de nom latin », considérés comme héritiers, au moins pour une part, des vieilles relations qui liaient Rome avec les autres peuples latins.

120. Sur ces facilités, que les sodi nominis Latini devaient garder jusque dans les premières décennies du IIe siècle av. J.-C. : J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 348-352 (et la bibliographie).

121. L'origine osque de Cneus Flauius pourrait aussi expliquer qu'il ait été appelé à présider- en tant que triumuir, comme l'affirme Tite Live-,. la fondation d'une de ces colonies.

122. Sur cela : M. Humbert, Municipium..., pp. 198-202; un exemple particulièrement révélateur d'un tel processus est celui de Priuernum, municipe sans suffrage, dont le territoire et les habitants ont fini par être versés dans la tribu Oufentina ; l'auteur souligne : « on ignore les étapes de cette mutation ; mais elle fut sans doute imperceptible et l'osmose fut si parfaite, que pour les Romains au ne siècle av. J.-C, le centre de Y Oufentina et son point de départ était Priuernum ».

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nombre des citoyens, passé de 165 000 en 340 / 339123 à 262 321 en 294 / 293124.

Mais comment comprendre, concrètement, l'inscription par Appius Claudius des humiles dans toutes les tribus ? En quoi ce mode d'inscription innovait-il ?

Dans la mesure où l'on associe humiles et l'adjectif urbani, qui qualifieraient « les habitants de la ville », on est très logiquement conduit à rechercher la signification de ce mode d'inscription dans l'expansion urbaine de Rome - au reste difficilement discutable. On a donc très généralement admis que les nouveaux inscrits, s'ils n'étaient pas tous des affranchis de l'esclavage, et si tous n'étaient pas de pauvres gens, n'en étaient pas moins liés à des activités et une résidence urbaines, et par conséquent au développement de l'artisanat et des échanges: aussi l'inscription dans les tribus rurales devait-elle leur être interdite. Si donc Appius Claudius avait innové, ce ne pouvait être qu'en donnant aux citadins et à tous les nouveaux inscrits le choix de leur tribu125. De la sorte, Appius Claudius aurait fait disparaître dès ce moment le lien qui attachait tribu et résidence.

Cependant, si l'indépendance entre le lieu de résidence des citoyens et la tribu à laquelle ils appartenaient est certaine à la fin de la République - du moins quand il s'agit des citoyens de souche, des ingenui - il est très douteux qu'elle ait été établie à une date aussi haute, à une époque où l'on continue à créer de nouvelles tribus, notamment pour les territoires où sont établies des colonies de citoyens : à partir de 387 av. J.-C, et jusqu'en 242/238, date d'établissement des dernières tribus, qui portent à trente-cinq leur nombre définitif, toutes les tribus ont reçu une base territoriale, et un nom géographique126. De plus, L. R. Taylor a montré que même après 242, le lien a dû rester très fort entre la résidence et l'appartenance à une tribu, puisque l'on inscrit alors les communautés intégrées dans la citoyenneté romaine en étendant les tribus où elles sont assignées dans la direction des territoires où ils vivent127. C'est seulement

123. Cl. Nicolet, Rome et la Méditerranée, pp. 88-89.

124. Tite-Live, X, 17.

125. Ainsi E. Garzetti, Appio Claudio Cieco, p. 187 et pp. 200-205 ; E. S. Staveley, The political aims, pp. 414-421 ; E. Ferenczy, The Censorship, p. 57.

126. À l'exception de la Poblilia, créée en 358, et dont le nom mériterait une analyse particulière que je ne puis développer ici ; sur cela : L. R Taylor, Voting Districts, pp. 50-51 ; sur la création des quatorze tribus, entre 387 et 242/238 : L. RTaylor, Voting Districts, pp. 47-67.

127. L. R. Taylor, Voting Districts, pp. 79-93.

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en 188 av. J.-C, avec l'inscription des citoyens de Fundi, de Formiae et à'Arpinum, que se font jour d'autres préoccupations128.

Mais il est possible, à mon sens, de donner une autre interprétation à la mesure prise par Appius Claudius.

Les « humiles » dans les tribus : enjeux politiques et jeux de mots

Si Ton considère en effet les tribus qui existaient au moment de cette censure, et si l'on a à l'esprit les débats et les conflits qui avaient déjà marqué l'établissement de l'assemblée tribute129, puis l'évolution de cette assemblée, avec la création des nouvelles tribus130, on sera conduit à penser qu'existaient, à la fin du IVe siècle, plusieurs catégories de tribus. Les plus anciennes, au nombre de neuf, avaient été créées au VIe siècle par Servius Tullius131, pour que puissent être intégrés dans la communauté civique les « plébéiens », qui avaient élu domicile sur le territoire romain sans entrer pour autant dans une gens : ce sont ces tribus qui ont dû former la plus ancienne assemblée tribute132, institutionnalisée pour l'élection des tribuns et des édiles de la plèbe, en 471 av. J.-C, par la lex Publilia133. Puis, entre 470 et 449 sans doute, les tribus à noms gentilices avaient été créées par les patriciens, soucieux de retrouver, avec le contrôle de l'assemblée tribute, celui des élections des tribuns de la plèbe, aussi bien que celui des lois qui pouvaient être soumises à cette assemblée ; tribus différentes des précédentes - l'indiquent assez leurs noms, qui sont empruntés à des gentes - elles ne se sont pas substituées aux anciennes tribus de Servius Tullius : elles s'y sont ajoutées. À partir de 387 enfin, et jusqu'en 242, de nouvelles tribus seront créées dans les territoires conquis, et toutes - à l'exception de la Poblilia, qui porte le nom des Poblïlii, et qui a été créée en 358 en même temps que la Fomptina, à toponyme celle-ci - reçoivent des noms géographiques ; et c'est dans ces tribus que sont inscrites les communautés établies sur les territoires où

128. Étude à paraître.

129. Cf. supra, chap. IL

130. Cf. supra, en particulier chap. V.

131. On Ta vu : Seruius Tullius aurait d'abord créé quatre tribus sur lé territoire urbain, puis cinq autres, sur ce qui devait être Vager Romanus Antiquuç : cf. infra, chap. I.

132. Peut-être faut-il y ajouter la Crustunmina et la Galeria, à noms géographiques comme les précédentes, et comme les précédentes exemptes, selon toute vraisemblance, du contrôle économique des patrons des gentes : supra, chap. IL

133. Supra, chap. IH.

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elles sont assignées, lorsque ces communautés sont intégrées, collectivement, dans le corps civique.

Mais où étaient donc inscrits ceux des vaincus d'hier qui parvenaient individuellement à la citoyenneté romaine, et dont l'accès au corps civique, précisément parce qu'il était individuel, était difficile à contrôler134 ? Pour qui voulait garder inchangées les conditions du contrôle de l'assemblée, il fallait y préserver la prééminence du peuple romain de souche qui favorisait et révérait les hommes de bien - Y integer populus, fautor et cultor bonorum ; il n'était alors guère d'autre moyen, à mon sens, que d'inscrire ces nouveaux citoyens selon la plus ancienne tradition : dans les tribus créées par Servius Tullius pour recenser les immigrants qui alors constituaient la « plèbe ».

Si l'on admet que les humiles, à la fin du IVe siècle, sont bien de ces gens d'origine étrangère qui sont entrés dans la citoyenneté romaine, et qui forment la forensis factio, on pensera qu'ils étaient jusque-là inscrits dans les neuf tribus les plus anciennes, qu'avait créées Servius Tullius ; et de la sorte, dans une assemblée qui comptait en 312 av. J-C. trente et une tribus, ces humiles, à supposer même, contre tout vraisemblance, qu'ils aient eu une opinion unanime, étaient incapables de dominer le vote de l'assemblée tribute. Appius Claudius, disent les Anciens, avait inscrit les humiles dans toutes les tribus : si l'on admet qu'il les avait tout simplement inscrits dans la tribu de leur résidence - et non plus seulement dans les tribus de Servius Tullius - un nombre non négligeable de ces nouveaux citoyens avait dû se trouver réparti dans toutes les tribus : au point de faire triompher la volonté politique de la forensis factio, et de faire basculer le vote de l'assemblée tribute en faveur de deux hommes d'origine étrangère, l'un venu de Préneste, l'autre fils de libertinus. On observera d'autre part que de la sorte, Appius Claudius, en même temps qu'il avait corrompu toutes les tribus, avait corrompu la ville et la campagne : forum et campum corrupit, écrit Tite-Live en jouant sur les mots.

La riposte de Quintus Fabius, censeur en 304, s'inscrit parfaitement dans cette perspective : « Fabius » - dit Tite-Live -« à la fois pour rétablir la concorde, et pour empêcher la mainmise des humiles sur les comices, ayant séparé toute la tourbe "forensis", la rassembla en quatre tribus, et il appela ces tribus "urbaines" [...]». L'on sera tenté de reconnaître dans ces quatre tribus les toutes premières qu'avait créées Servius Tullius, dans la ville même, et de comprendre la mesure comme restrictive par rapport au mode d'inscription qui avait pu être jusque-là suivi pour ces

134. Sur la façon dont les hommes politiques rivalisaient pour patronner l'accès à la citoyenneté romaine, et s'assurer ainsi de puissantes clientèles politiques dans les assemblées du peuple romain : L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 18-24 ; pp. 298-315.

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humiles : non plus dans neuf, mais dans quatre tribus. De plus, le texte laisse entendre que c'est à partir de ce moment - et du fait d'une décision de Quintus Fabius : « urbanasque eas appellami » - que l'on a commencé à distinguer, nommément, les quatre tribus « urbaines » des autres tribus135.

À ce propos, je ferai encore deux observations. D'abord, pour remarquer que ce mode d'inscription est celui même que l'on devait suivre aussi pour les libertini : par là les humiles, qui formaient la forensis jactio à la fin du IVe siècle av. J-C, se trouvaient confondus avec les libertini dans une même mesure d'exclusion. Ensuite, pour rappeler qu'au début du Ie siècle av. J.-C, Cornelius Baibus, qui était un très grand personnage de l'aristocratie de Gadès, fut inscrit, en recevant la citoyenneté romaine, dans une tribu urbaine : en cela au moins, son exemple rejoint et celui des humiles des siècles passés, et celui des libertini.

INNOVATIONS RELIGIEUSES ET INTERVENTIONS DANS LE DOMAINE DU DROIT

Elles paraissent avoir été inspirées par deux projets politiques différents, sinon opposés.

Appius Claudius, Cneus Flavius, Hercule et la Concorde

Les Anciens gardaient le souvenir de l'intervention d'Appius Claudius à Vara Maxima d'Hercule - intervention malheureuse, s'il faut en croire une tradition que rapporte Tite-Live136 :

« C'est grâce à ce même Appius que les Potitii, dont la gens possédait comme un privilège de famille le sacerdoce du Grand Autel d'Hercule, avaient enseigné à des esclaves publics, pour leur déléguer leur ministère, les

135. Texte supra, n. 34 ; sur les quatre tribus urbaines, L. R. Taylor, « The Four Urban Tribes and the Four regions of Ancient Rome », Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia 17,1952-1954, p. 227.

136. Tite-Live, DC, 29, 9-11 : Eodem Appio auctore, Potitii, gens, cuius ad Aram Maximam Her-culis familiare sacerdotium fuerat, seruos publicos, ministerii delegandi causa, solennia eius sacri docuerat. Traditur inde dictu mirabile, et quod dimouendis statu suo sacris religionem facere posset, quum duodecim familae ea tempestate Potitiorum essent, pubères ad triginta, omnes intra annum cum stirpe exstinctos : nec nomen tantum Potitiorum interisse, sed censo-rem etiam Appium, memori deum ira, post aliquot annos luminibus captum. (trad. E. Lasserre, Paris, Garnier, 1936).

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cérémonies de ce culte. On rapporte que après cela - chose étonnante et propre à inspirer des scrupules quand il s'agit de modifier les cérémonies sacrées - alors qu'il y avait à ce moment-là douze familles de Potitii, comprenant environ trente adultes, tous moururent dans l'année avec leur lignée. Et que non seulement le nom des Potitii disparut, mais que le censeur Appius, sous l'effet de la colère des dieux qui n'oublie pas, fut privé de ses yeux ».

Cette histoire - de même que celle de la grève des tibicines et de leur retraite à Tïbur Tannée suivante137 -, mériterait une étude que je ne puis développer ici. De tout cela, je retiendrai cependant l'interprétation proposée naguère par D. Van Berchem138 : pour les Potitii, cet auteur proposait de reconnaître en eux non pas une gens, comme le fait Tite-Live, mais les desservants qui étaient attachés au culte de l'Hercule de l'ara Maxima - comme on le voit dans le culte singulièrement proche du Melqart punique, et par exemple à Gadès. En revanche, les Pinarii, qui au contraire des Potitii, sont bien attestés dans les Fastes139, appartenaient à une gens patricienne, vraisemblablement chargée traditionnellement du culte de l'ara Maxima. Mais cette gens paraît en plein déclin au IVe siècle : on peut penser avec quelque raison que de telles circonstances ont joué en faveur d'une transformation de ce culte prestigieux en culte public.

De surcroît et surtout peut-être, l'Hercule Inuictus de l'ara Maxima, qui était depuis toujours sans doute un dieu protecteur des étrangers au Forum Boarium, était très lié à l'Hercule Victor de Tïbur ; par là, il apparaissait aussi lié au souvenir de Servius Tullius, le roi originaire peut-être de Tïbur, le roi intégrateur par excellence140.

La politique d'ouverture engagée par Appius Claudius lors de sa censure, au Sénat aussi bien que dans les assemblées, prend aisément sa place dans une telle interprétation.

On sait aussi comment Cneus Flavius, l'ancien scriba d'Appius Claudius devenu édile curule, « dédia un temple de la Concorde dans le sanctuaire de Vulcain ». Ce fut, insiste Tite-Live141, « à la grande indignation des nobles. ». L'opposition d'une partie de la noblesse ne paraît alors faire aucun doute. Cneus Flavius put pourtant procéder à la fondation

137. Tite-Live, DC, 30 : le flûtistes font grève, parce qu'on leur a interdit de banqueter dans le temple de Jupiter ; de qui vient l'interdiction ? La chose n'est pas claire ; quoi qu'il en soit, les deux histoires pourraient être liées ; cf. recherches en cours.

138. D. Van Berchem, Hercule-Melqart, pp. 61-68 ; D. Van Berchem, Sanctuaires d'Hercuke-Melqart, pp. 73-109 et pp. 307-338 ; cf. aussi supra, chap. I.

139. Cf. tableau I, chap. IV ; les Potitii sont totalement inconnus des Fastes.

140. Supra chap. I

141. Tite Live, IX, 46 ; cf. supra, n. 34.

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qu'il avait projetée, car - explique encore Tite-Live - « par la volonté du peuple, le grand pontife Cornelius Barbatus fut contraint de lui dicter les formules, bien que celui-ci niât que selon la coutume des ancêtres, on eût le droit de dédier un temple si l'on n'était consul ou Imperator ».

On sait de plus par Pline l'Ancien142 que Cneus Flavius, s'étant vu interdire l'utilisation de fonds pris sur le trésor public pour construire son temple à la Concorde, employa le produit des amendes qui avaient été infligées aux usuriers. L'on sait enfin qu'il ne data pas le temple par le nom des consuls de l'année - qui étaient Publius Sempronius et Lucius Sulpicius, des amis et des alliés de de la faction des Fabii - : il « fit graver sur une plaque de bronze que cette chapelle avait été construite deux cent quatre ans après la dédicace du temple du Capitole ». La volonté de « laïcisation » de la chronologie est ici patente.

Il est à peine besoin d'insister sur la portée de toutes ces décisions, qui s'ajoutaient à d'autres, plus considérables encore. Cneus Flavius en effet, à l'instigation d'Appius Claudius, avait procédé à la publication des jours où une action en justice était possible ; plus largement, encore, il publia le ius Flauianum - un recueil qui portait à la connaissance du public les formules judiciaires jusque là gardées soigneusement dans le secret des archives pontificales - in penetralibus pontificum.

Toute cette politique était placée sous le signe de la libertas143. En particulier, elle aboutissait à lever quelque peu le secret dans lequel le droit était tenu, et le pouvoir du collège pontifical s'en trouvait amoindri d'autant ; en cela, elle agissait en faveur de tous ceux qui, jusque là, devaient s'adresser à un Sage du collège pontifical, pour la moindre action en jus-

142. Pline, Histoire naturelle, VI, 17-20 : [...]Hic namque publicatis diebusfastis, quos populus a paucis principum cotidie petebat, tantam gratiam plebei adeptus est - libertino pâtre alioqui genitus et ipse scriba Appi Caeci, cuius hortatu exceperat eos dies consultando adsidue sagaci ingenio promulgaretque - ut aedilis curulis crearetur [...]. Hoc actum P.Sempronio L. Sulpicio cos. Flauius uouit aedem Concordine, si populo reconciliasset ordines, et, cum ad id pecunia publice non decerneretur, ex multaticia feneratoribus condemnatis aediculam aeream fecit in Graecostasi, quae tunc supra comitium erat, inciditque in tabella aerea factam earn aedem CCIIII annis post Capitolinam dedicatam. Id a. CCCCXXXXVIIII a condita urbe ges-tum est et primum anulorum uestigium extat [...]. (Texte et trad. CUF, par H. Zehnacker 1982, avec notes et commentaires) : « Cela se passa sons le consulat de P. Sempronius et de L. Sulpicius. Flauius voua un temple à la Concorde, s'il parvenait à réconcilier les ordres avec le peuple ; et comme on n'affectait pas d'argent à ce vœu sur le budget de l'État, il employa le produit des amendes infligées aux usuriers à faire construire une chapelle de bronze dans la Graecostasis, qui était alors au-dessus du Comitium ; et il fit graver sur une plaque de bronze que cette chapelle avait été construite 204 ans après la dédicace du temple du Capitole ». Cf. supra, n. 49.

143. Sur ce thème, et sur la véritable guerre de symboles que se sont alors livrée les factions rivales, F. Coarelli, // Foro Romano, I, pp. 86-123.

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tice ; elle agissait tout particulièrement en faveur de ceux qui, par leur position sociale, auraient eu capacité pour engager de telles actions • mais qui ne le pouvaient de fait, étant entrés depuis trop peu de temps dans la citoyenneté romaine. Elle intéressait, en un mot, ceux-là mêmes qu'avait pu impliquer l'œuvre censoriale d'Appius Claudius.

La riposte des Fabii et de leurs amis

Quintus Fabius et ses alliés organisèrent leur riposte point par point.

Ce fut d'abord pour l'avenir une interdiction, que rapporte Tite-Live144 : « En vertu de l'autorité du Sénat, fut porté devant le peuple un décret qui interdit à quiconque de dédier un temple ou un autel, s'il n'avait pour cela un ordre du Sénat et de la majorité des tribuns de la plèbe ». Ce furent ensuite des fondations qui paraissent, au moins pour une part, répondre aux innovations religieuses décidées par Appius Claudius. Vers 300 av. J.-C. la statue de Marsyas fut établie au Comitium, sur l'initiative probable de Caius Marcius Censorinus145. Puis, sur l'initiative de deux tribuns de la plèbe, les Ogulnii, la statue de deux jumeaux fut adjointe à celle de la Louve : a-t-on voulu représenter Rémus et Romulus ? Ou bien faut-il y reconnaître l'image de la plèbe et du patriciat ? Plus simplement encore, les deux jumeaux furent placés là pour rappeler l'œuvre des deux Ogulnii, qui avaient été ensemble tribuns de la plèbe, et qui avaient contribué à achever 1'« égalisation de la plèbe » avec le patriciat146.

Pour ces fondations, comme précédemment, fut employé le produit des amendes levées sur les feneratores. Et comme précédemment, elles furent mises sous le signe de la libertas. Mais était-ce bien la même libertas, dans tous les cas ? C'est peut-être dans les débats suscités en 300 par la rogatio de deux tribuns de la plèbe, Cneus et Quintus Ogulnius, qu'apparaît avec le plus d'évidence le thème de la défense de la libertas, et de la signification ambiguë que le mot pouvait prendre.

Cette défense est ici transposée dans un conflit donné pour opposant plébéiens et patriciens : la rogatio Ogulnia tendait à ouvrir aux plébéiens le collège des pontifes, jusque-là réservé aux patriciens.

144. Tite Live, IX, 46 :[...] ex auctoritate senatus latum ad populum est ne quis templum aramue iniussu senatus aut tribunorum plebei partis maioris dedicaret.

145. F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 91-119 ; Marsyas est ici symbole de libertas ; il conviendrait peut-être d'étudier d'autre part les relations que ce maître des flûtistes pourraient avoir avec les tibicines et avec Hercule ; sur cela, recherches en cours.

146. F. Coarelli, // Foro Romano, I, pp. 88-89 (avec la bibliographie).

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 287

Tite-Live expose ainsi l'affaire147 :

«Sous le consulat de Marcus Valerius et de Quintus Appuleius, [...] un brandon de discorde fut jeté entre les premiers de la ville, patriciens et plébéiens, par les tribuns de la plèbe Quintus et Cneus Ogiulnius. Ceux-ci [...] imaginèrent [...] un projet de loi propre à échauffer non le menu peuple, mais les principaux d'entre les peuples, les consulaires et les triomphateurs plébéiens, aux honneurs desquels il ne manquait plus que les sacerdoces, qui n'étaient point encore accessibles à tous. Comme il n'y avait alors que quatre augures et quatre pontifes, et qu'on devait augmenter le nombre des prêtres, ils demandèrent que les quatre pontifes et les cinq augures qu'on voulait ajouter fussent tous tirés de la plèbe [...]. Au reste, cette adjonction de prêtres, tous pris parmi les plébéiens, n'offensait pas moins les patriciens que ne l'avait fait le partage du consulat ; mais ils affectaient de dire que cette innovation regardait les dieux encore plus qu'eux-mêmes [...]. Cependant lors de la discussion de la loi, il y eut des débats animés, surtout entre Appius Claudius et Publius Decius Mus148.

[...] La loi passa à une grande majorité. Publius Decius Mus, qui avait parlé en faveur de la loi, Publius Sempronius Sophus, Caius Marcius Rutilus, Marcus Livius Denter furent créés pontifes. Les cinq augures, également tirés de la plèbe, furent Caius Genucius, Publius Aelius Paetus, Marcus Minucius Faesus, Caius Marcius, Titus Publilius [...]».

Selon l'interprétation classique, la loi ouvrait « à la plèbe » les collèges des pontifes et des augures. Appius Claudius, par son opposition intransigeante au projet de loi, aurait alors révélé des positions politiques en apparence inverses de celles qu'il avait précédemment mises en œuvre, lors de sa censure. Mais en réalité, dans l'un et l'autre cas, son action aurait été dictée par la seule considération de ses intérêts personnels immédiats, qui aurait fait de lui tantôt un démagogue, protecteur et patron

147. Tite-Live, X, 6-9 : 6. M. Valerio et Q. Appuleio consulibus, satis pacataeforis resfuere [...]. Tarnen, ne undique tranquillae res essent, certamen iniectum inter primores ciuitatis patricios plebeiosque, ad tribunis plebis Q. et Cn. Ogulniis. Qui, undique criminandorum Patrum apud plebem occasionibus quaesitis, postquam alia frustra tentata erant, earn actionem susceperunt, qua non infimam plebem accédèrent, sed ipsa capita plebis, consulares triumphalesque ple-beios : quorum honoribus nihil, praeter sacerdotia, quae nondum promiscua erant, deesset. Ro-gationem ergo promulgauerunt, ut, quum quatuor augures, quatuor pontifices ea tempestate essent, placeretque augeri sacerdotum numerum, quatuor pontifices, quinque augures de plebe omnes, allegerentur [...]. 7- Certatum tarnen suadenda dissuadendaque lege inter Ap. Claudium maxime ferunt, et inter P. Decium Murem [...]. 9- Vocare tribus extemplo po-pulus iubebat, apparébatque accipi legem : ille tarnen dies est intercessione sublatus. Postero die, deterritis tribunis, ingenti consensu accepta est. Pontifices creantur suasor legis P. Decius Mus, P. Sempronius Sophus, C. Marcius Rutilus, M. Liuius Denter. Quinque augures item de plebe, C. Aelius Paetus, M. Minucius Fessus, C. Marcius, T. Publilius. Ita octo pontificum, nouem augurum numerofactus [...]

148. Il s'agit d'Appius Claudius Caecus, le censeur de 312, et de P. Decius Mus, fils d'un P. Decius Mus qui était capouan d'origine, et qui, devenu consul en 340, s'était « dévoué » en pleine bataille pour sauver l'armée romaine.

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de la multitude, tantôt un conservateur des plus bornés, défenseur intransigeant des privilèges de son Ordre.

La réalité est peut-être moins simple149. Je renverrai ici en particulier aux observations de F. D'Ippolito150. Ce dernier rappelle qu'un rôle essentiel du collège des pontifes était la garde du droit et des formulaires ; et de la sorte, on ne peut prendre la pleine mesure des effets de la lex Ogulnia, si l'on ne replace pas les débats auxquels elle avait donné lieu dans le contexte large des discussions qui étaient ouvertes, depuis l'édilité de Cneus Flavius, sur la publication du droit et des formulaires. À cet égard, la personnalité des plébéiens qui furent les premiers bénéficiaires de la loi pourrait livrer quelques éléments de réponse des plus intéressants.

Pour les pontifes, si l'on en croit Tite-Live, furent élus Publius Decius Mus, Marcus Sempronius Sophus, Marcus Livius Denter et Marcus Marcius Rutilus Censorinus; du côté des augures plébéiens, ce furent Caius Genucius, Publius Aelius Paerus, Marcus Minucius Faesus, Titus Publilius, et Marcus Marcius Rutilus Censorinus, élu par conséquent à deux sacerdoces à la fois. La loi faisait donc entrer dans le collège pontifical, en tout, huit plébéiens.

De ces huit personnages, quatre étaient certainement des adversaires de la faction claudienne, et des alliés de Quintus Fabius151 : ce sont Publius Decius Mus, Marcus Sempronius Sophus, Publius Aelius Paetus, et Marcus Marcius Rutilus. De surcroît, trois d'entre eux appartenaient à des familles qui avaient pu jadis être patriciennes, et avoir obtenu une transit io ad plebem, et ce sont Marcus Sempronius Sophus, Marcus Minucius Faesus, enfin Caius Marcius Rutilus. Dans ces conditions, il y a tout lieu de s'interroger sur le sens réel de la loi Ogulnia

Appius Claudius lui opposa la volonté la plus résolue.

Les Modernes y ont vu volontiers l'expression d'une contradiction majeure chez Appius Claudius, qui aurait défendu des orientations politiques soumises à chaque moment aux impératifs de ses intérêts personnels les plus étroits152. Mais n'y verra-t-on que cela ?

149. P. Leveque, « Problèmes historiques de l'époque hellénistique en Grande Grèce », La Magna Grecia nel mondo hellenistico (Taranto 1969), Naples, 1970, pp. 31-67 ; idem, « La genèse et les premières réductions du monnayage », Les dévaluations à Rome, 2 (Gdansk, 1978), Rome, 1980, pp. 19-29.

150. F. D'Ippolito, Giuristi, pp. 39-66.

151. Sur cela, cf. aussi F. Cassola, I gruppi politici, pp. 147-159.

152. Cf. l'exposé des débats par F. Cassola, I gruppi politici, pp. 132-137.

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De la censure d'Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia 289

Sous des apparences d'ouverture du collège pontifical à la « plèbe », la loi l'ouvrait en réalité à un tout petit nombre d'hommes, tous anciens consulaires ou fils d'anciens consuls, très implantés dans la nobilitas, et pour certains très liés à la faction des Fabii.De ce fait, elle contribuait en réalité à perpétuer le secret du droit, et son contrôle étroit par une élite, sinon par une faction de nobiles.

L'opposition d'Appius Claudius à une loi qui aboutissait à ruiner toute l'œuvre qui avait été entreprise se comprend alors aisément.

La loi fut votée par l'assemblée tribute à une énorme majorité : preuve éloquente du fait que la censure de 304 avait rétabli la supériorité de Yinteger populus, f autor et cultor bonorum, sur la forensis factio - et qu'elle avait restauré les conditions du contrôle sur l'assemblée par la faction des Fabii, identifiée avec « les hommes de bien ».

Dans les décennies suivantes, tandis que les Fabii et leurs amis continuaient de dominer toute la vie politique, une loi allait donner l'élection du grand pontife à l'assemblée tribute : plus que jamais, le contrôle des tribus fera partie des préoccupations majeures de la classe politique.

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CHAPITRE IX

NOMS PATRICIENS ET NOMS PLÉBÉIENS DANS LES FASTES ENTRE 509 ET 367

Il me faut encore indiquer les critères que j'ai cru devoir suivre, pour distinguer dans les Fastes les noms patriciens et les noms « plébéiens ».

REMARQUES PRÉALABLES

Les éléments du problème

Les récits de rannalisuque, on l'a vu, ne sont pas exempts d'erreurs et de contradictions internes, et Tite-Live lui-même avertit le lecteur des falsifications qui y ont été introduites, dès une haute époque1 : « À mon sens, les éloges funèbres et les fausses inscriptions des images des ancêtres ont altéré les souvenirs du passé, chaque famille cherchant par de fallacieux mensonges à s'attribuer la gloire des hauts faits et des magistratures ; d'où naît assurément la confusion dans les exploits des indivi-

1. Tite-Live VTH, 40,4-5, : Vitiatam memoriam funebris laudibus reor falsisque imaginum titu-lis, dumfamiliae ad se quaequefamam rerum gestarum honorumque fallente mendacio tra-hunt ; inde certe et singulorum gesta et publica monumenta rerum confusa. Nec quisquam aequalis temporibus Ulis scriptor exstat quo satis certo auctore stetur. Cf. dans le même sens Cicéron, Brutus, XVI, 62.

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dus et dans les monuments publics des choses passées. Et il n'est pas un écrivain ayant vécu à cette époque qui offre une garantie assez sûre pour qu'on s'y tienne ».

À cela doit s'ajouter la probable réélaboration des récits de la tradition, à des fins partisanes, par les auteurs de la fin de la République eux-mêmes, sous l'obsession des problèmes économiques, sociaux et politiques qui étaient ceux de leur temps : ainsi doivent s'expliquer, pour une part, les interprétations contradictoires qu'ils présentent, et qui rendent compte au moins autant, sinon davantage, des affrontements du moment entre factions de la nobilitas que de l'histoire des luttes du Ve siècle à Rome2.

Dans ces récits cependant, l'on peut retrouver, souvent citée, et toujours présente même si elle demeure fort difficile à saisir, la plus ancienne documentation : en particulier celle qui était contenue dans les annales pontificales, certainement utilisées par les premiers annalistes3 ; et malgré les contradictions que l'on relève dans les récits d'un Tite-Live, ou entre Tite-Live et Denys d'Halicamasse ou encore Diodore, demeure un fond commun qui doit renvoyer à la plus ancienne tradition, et sans doute à un fond de vérité : la confrontation des données entre elles, et avec d'autres éléments d'information - fournies en particulier maintenant par l'archéologie4 -, permet de fait l'établissement d'un certain nombre de conclusions relativement assurées.

En particulier, si l'on accepte les analyses que j'ai précédemment proposées, l'on reconnaîtra une cohérence globale des informations, telles que les livrent Tite-Live ou Denys d'Halicamasse, avec les Fastes du premier siècle de la République, et cela invite à tenir le plus grand compte de ces listes de magistrats. Toute interprétation qui parviendra à les préserver më paraît devoir être préférée aux explications par l'ignorance ou les manipulations des Anciens : de telles explications risqueraient fort de remplacer des éléments essentiels de connaissance par d'autres manipulations.

2. Sur tout cela, cf. en particulier les analyses très suggestives de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 53-77 (pour le processus de formation de la tradition annalistique), et pp. 79-133 (pour une étude comparée des interprétations de l'histoire du premier siècle de la République proposées par les Anciens) avec la bibliographie.

3. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 64-65.

4. Pour un rappel des découvertes archéologiques récentes, et la confirmation qu'elles apportent aux données de la tradition littéraire, cf. par exemple J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 380-381 ; G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 69-77 ; F. Coarelli, Il foro Romano, I; F. Coarelli, Il foro Romano, U ; F. Coarelli, Il foro Boario... (avec une très abondante bibliographie).

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 293

Le problème est alors de démêler, pour chacun des termes des contradictions reconnues, lequel doit être rejeté, et lequel retenu comme authentique5. Ainsi, comment concilier la présence, dans les listes consulaires du Ve siècle av. J.-C, de noms connus pour être « plébéiens »6, avec raffirmation des Anciens selon laquelle, depuis la naissance de la République en 509, jusqu'aux lois licinio-sextiennes en 367, seuls les patriciens eurent accès aux hautes magistratures ?

Sans doute pourra-t-on objecter, même si l'on admet l'authenticité globale des Fastes, qu'il n'y a pas là contradiction véritable, et donner à l'objection plusieurs justifications7. D'abord, le fait qu'un nom soit plébéien aux trois derniers siècles de la République ne saurait constituer la preuve qu'il l'était aussi au premier siècle, pour lequel on ne dispose d'aucune source directe : il faudrait pour cela d'abord être assuré qu'il y a bien continuité du nom et de la famille, de l'une à l'autre époque. Ensuite, on rappellera qu'un même nom, à la fin de la République encore, pouvait être porté à la fois par des plébéiens et par des patriciens8 : c'était certainement aussi le cas à l'époque archaïque, ne serait-ce que du fait des clients, qui portaient le nom de leur patron sans évidemment pouvoir se prévaloir comme lui de la qualité de patriciens9. Il suffirait donc de supposer, pour ces noms donnés pour plébéiens à la fin de la République, qu'ils ont bien été portés en même temps, au Ve siècle av. J.-C., par des familles patriciennes et des familles plébéiennes, mais que seules se sont perpétuées les familles plébéiennes : soit que les patriciens

5. En ce sens encore : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 68-69 en particulier.

6. La liste des noms connus exclusivement comme « plébéiens » a été rappelée par I. Shatzman, « Patricians and Plebeians : the case of the Veturii », Classical Quarterly XXIII, 1973, p. 75 ; ce sont les Aquilii, les Aternii, les Cassii, les Cornimi, les Genucii, les Iunii, les Minucii, les Sicinii (ou Siedi), les Tullii, et les Volumnii. Il conviendra de revenir sur les Aquilii, les Minucii et les Tullii ; si Ton admet d'autre part l'authenticité du second collège décemviral, on y ajoutera les Antonii, les Poetelii, les Duillii, et sans doute aussi les Oppii et les Rabuleii : cf. infra. Entre 400 av. J.-C. et 374, apparaissent onze noms nouveaux : les Atïlii, les Rutilii, les Licinii, les Titinii, les Maelii, les Publilii, les Trebonii, les Sextilii, les Albinii, les Antistii, et les Erenii, et encore trois autres entre 359 et 356 : les Popilii, les Plautii et les Mardi.

7. Cf., à propos des Veturii, l'exposé et la discussion d'une telle argumentation par I. Shatzman, Patricians and Plebeians..., pp. 65-77.

8. Pour l'identitié de noms entre patriciens et « plébéiens » : P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat » (509-366 av. J.-C), Paris, 1975, pp. 143-180, avec des analyses et des conclusion différentes.

9. Premerstein, RE IV, 97 sq., s.v. Clientes. Un cas au moins est clairement attesté par les récits de l'annalistique : celui des Vergimi, sur lequel j'aurai à revenir.

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n'aient pas laissé de descendance10, soit qu'ils aient fait l'objet d'une transitio ad plebem11.

Ainsi se trouverait résolue une contradiction qui ne serait qu'apparente, les noms de tous les hauts magistrats cités par les Fastes jusqu'aux lois licinio-sextiennes étant, par définition, patriciens.

Mais ce ne sont pas là autre chose que des hypothèses, dont I. Shatzman par exemple, dans son analyse du cas des Veïurii, a montré qu'on ne saurait s'en satisfaire : on ne peut éluder aussi facilement la question de la présence possible de noms plébéiens dans les Fastes consulaires du Ve siècle av. J.-C, ni par conséquent esquiver deux problèmes : d'une part, celui des critères qui permettront de différencier les noms plébéiens des noms patriciens, afin de déceler les plébéiens éventuels, dans ces listes de hauts magistrats du premier siècle de la République ; d'autre part, celui de la signification que l'on devra accorder à la présence de tels noms - si l'on en trouve.

L'insuffisance du critère politique pour déterminer les noms patriciens

Or, il me paraît devoir revenir ici sur des recherches récentes qui, tout en admettant l'authenticité fondamentale des listes livrées par les Fastes, mais en faisant la part des manipulations probables, ont tenté de résoudre le problème en s'appuyant fondamentalement sur le critère politique de l'accès au consulat ; et les résultats en sont aujourd'hui cités avec honneur12. Quels sont les éléments essentiels de la démonstration ?

10. C'est par exemple l'interprétation, nettement affirmée, de J. R. S. Broughton, The Magistrates, l..., p. XI : l'auteur indine à accepter l'authenticité de la presque totalité des Fastes, sauf quelques interpolations possibles pour les tribuns militaires à pouvoir consualaire ; il tient pour patriciens tous les consuls et les détenteurs des grands sacerdoces, pontificat et augurât.

11. Pour la possibilité à haute époque de la transitio ad plebem de patriciens : I. Shatzman, Patricians and Plebeians, p. 76 ; cf. aussi, pour d'autres conclusions, P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat » (509-366 av. J.-C), Paris 1975, pp. 160-167. On songera cependant que dans la seconde moitié du Ve siècle, le monopole patricien sur la gestion des hautes magistratures est quasi total : la transitio ad plabem de patriciens doit avoir été alors très rare - manœuvre de pure tactique ? ou solution du désespoir pour des gentes magirnalisées ? - en tout cas inspirée par de puissantes motivations dont il importe de rechercher les traces possibles.

12. Pour un exposé de cette interprétation : M. Humbert, Institutions..., pp. 177-180 et 191-201.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 295

Déjà par le passé13, l'analyse des Fastes avait conduit à remarquer d'une part la disparition, dans les années 490 av. J.-C, de familles aux noms étrusques, ou connus plus tard comme plébéiens, et d'autre part le fait que, tandis que l'on avance dans le siècle, les noms nouveaux se font de plus en plus rares, pour disparaître tout à fait après 433. P.-Ch. Ranouil14, reprenant l'étude des Fastes - dont il admet pour l'essentiel l'authenticité - à la lumière de ces deux ruptures chronologiques, a pensé reconnaître le patriciat républicain dans le cercle restreint des très anciennes familles aristocratiques, gentes maiores ou minores. Ces familles, confisquant le droit d'auspices de la même façon qu'aux premiers temps de la royauté elles avaient confisqué Y interregnum15, auraient réussi au cours des deux premières décennies de la République à accaparer la gestion des magistratures ainsi que celle des sacerdoces, que sans doute ils avaient confisquée dès l'époque royale. C'est dans ces vieilles familles de l'aristocratie gentilice qu'il conviendrait de reconnaître le patriciat républicain. L'élite plus récente, représentée jusque-là au Sénat par les conscripti, aurait alors été exclue des charges publiques et des sacerdoces, et c'est elle qui allait fournir ses dirigeants à la plèbe.

P.-Ch. Ranouil admet donc, a priori, aux premiers temps de la République, la concordance nécessaire entre l'accès aux plus hautes magistratures et la qualité de patricien : il ne peut exister de consuls plébéiens. Deux solutions s'imposent, par conséquent : ou bien les noms de consuls tenus habituellement pouf plébéiens sont en réalité patriciens, à ce moment-là au moins - ainsi le nom de Marcius, ou ceux de Cassius, d'Aternius ou de Tarpeius, qui seraient ceux de minores gentes ; ou bien leur présence dans les Fastes résulte d'interpolations qu'auraient voulues des familles plébéiennes, soucieuses de se donner de brillantes origines -comme ce serait le cas des Iunii, des Genucii, des Poetelii, des Antonii, des Duillii, des Oppii, des Rabuleii, des Atilii, des Rutilii enfin16.

Or, un tel raisonnement me semble appeler plusieurs objections. D'abord, admettre a priori que l'accès aux hautes magistratures va néces-

13. Pour un exposé de la question, et la bibliographie : J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 274-275.

14. P.-Ch. Ranouil, Recherches..., p. 42 et 66-67; la démonstration se fonde sur une définition de la gens où les critères économiques et sociaux n'ont aucune part.

15. A. Magdelain, « Auspicia », p. 427-473 ; en cas de vacance du consulat - parce que les deux consuls étaient morts, ou parce qu'ils avaient abdiqué en cours de charge, ou encore parce qu'on n'avait pu procéder aux élections consulaires -, on avait recours à l'interrègne pour procéder à la désignation d'un cnadidat éventuel ; sur cela, cf. aussi J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., p. 203.

16. P. Ch. Ranouil, Recherches..., pp. 68-112.

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sairement de pair avec la qualité patricienne, n'est-ce pas mettre la conclusion dans les prémisses ? N'est-ce pas cette nécessité que l'on aimerait voir démontrer ? Ensuite, tout le monde s'accorde à penser qu'il y eut des interpolations ; mais pour certains noms, qui sont attachés à des épisodes fort peu glorieux - et par exemple celui du second collège dé-cemviral - on voit mal quel intérêt des familles plébéiennes ont pu avoir par la suite à de telles interpolations ; pour les autres - et certains très obscurs - comment comprendre qu'autant de tentatives frauduleuses n'aient pas donné lieu, de la part des familles puissantes et d'authentique ancienneté, à de cinglants démentis ? Enfin - et surtout peut-être -, si l'on ne prend en compte que le critère politique de l'accès au consulat, ne se prive-t-on pas de toute possibilité de mettre au jour et de comprendre les relations profondes - que les sources évoquent avec tant d'insistance - entre les luttes politiques de toute la période et les problèmes économiques et sociaux que Rome connaît pendant le même temps17 ? Ne se heurtera-t-on pas, dans certains cas, à des contradictions insurmontables ? Pour me borner à un seul exemple, comment interpréter toute l'œuvre d'un Spurius Cassius, si, comme le veut P.-C. Ranouil, il est patricien ? À tout le moins, Spurius Cassius apparaît comme un des plus fermes défenseurs des revendications agraires de la plèbe, et l'un des adversaires les plus résolus des prétentions patriciennes18 ; si l'on admet, comme le fait P.-Ch. Ranouil, l'historicité du personnage et sa qualité de patricien, on ne saurait alors, à son propos, esquiver le problème des alliances nouées entre l'élite plébéienne et certains patriciens, capables d'agir de la même façon que s'ils étaient eux-mêmes plébéiens... Comment alors exclure la possibilité que des hommes de l'élite plébéienne aient pu, tout simplement, accéder au consulat, avec l'aide de leurs alliés patriciens ?

Des critères économiques et sociaux aussi bien que politiques

De façon plus générale, je rappellerai ici19 que l'obstacle principal à une acceptation sans réserve des données de la tradition tient moins, peut-être, à la présence de noms plébéiens dans les Fastes consulaires du Ve siècle av. J.-C, qu'à la présentation linéaire donnée par les Anciens des

17. Pour une tout autre interprétation : I. Hahn, The Plebeians..., particulièrement pp. 70-75 ; pour J. Cl. Richard, Les Origines de la plèbe..., les critères économiques n'ont aucune part dans la définition de la « plèbe ».

18. Cf. supra, pp. 39-46.

19. Cf. dans le même sens les observations de J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 283-285, ou encore de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 200-201 et 223.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 297

premières décennies de la République : à les en croire, toute l'histoire de la République archaïque serait celle d'une construction continue et progressive, sans ruptures ni régressions, de l'égalité des droits des citoyens - et singulièrement de l'égalité entre patriciat et plèbe - et de la Liberté républicaine. Or, une telle linéarité du processus historique -toujours suspecte - est ici contredite par de multiples données20, et plutôt que la présence de noms plébéiens dans les Fastes, c'est bien une telle présentation qui doit inviter au doute critique21.

Bien des indices, en fait, montrent que selon toutes probabilités, dans les deux premières décennies de la République au moins et sans doute aussi entre 470 et 44522, des hommes issus de l'élite plébéienne ont pu gérer de très hautes magistratures - en accord, peut-on croire, avec des patriciens qui y trouvaient leur intérêt ; et la logique de toute une évolution, qui est économique et sociale autant que politique, bien perceptible depuis la fin du VIIe siècle et au cours du VIe, et que n'a pas arrêtée la chute de la royauté, invite à se demander dans quelle mesure les luttes que les récits de la tradition donnent pour celles de la plèbe contre le patriciat ne sont pas en réalité des luttes de factions23. C'est dans ce contexte, si l'on veut bien accepter pour l'essentiel l'authenticité des noms que recèlent les Fastes, qu'il convient de déterminer, s'il se peut, lesquels d'entre eux ont pu être plébéiens.

Des indices de différenciation doivent donc être recherchés, à mon sens, dans les contradictions mêmes et les luttes que connaît la société hétérogène et en pleine mutation qui est celle, encore, des premières décennies de la République ; des contradictions que l'on peut déceler dans les rapports économiques, sociaux et politiques qui opposent l'un à l'autre24 un patriciat conservateur, émanation d'une société structurée en gentes telle qu'elle s'était affirmée au VIIIe siècle, mais que menaçait, depuis la fin du VIIe siècle, le développement de nouvelles productions et de nouveaux rapports sociaux25, et une plèbe dont le développement,

20. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 198-200, qui expose les éléments du débat.

21. Cf. les réflexions de J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 382-384.

22. Supra, chapitre m, et tableaux 1,1 et 1,2.

23. J. Cels-Saint-Hilaire et Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 127-131 ; dans le même sens : G. Poma, Tra legislatori e tiranni, en particulier pp. 201-207.

24. Pour de tout autres définitions, P. Ch. Ranouil, Recherches..., p. 42 : pour cet auteur coexistent des gentes patriciennes - celles qui ont « détenu imperium et auspicium avant que le patriciat ne se ferme » - et des gentes plébéiennes - qui se définissent de façon négative par rapport aux premières - ; cf. aussi supra, n. 13.

25. Cependant la récession de ces activités, nettement marquée à partir des environs de 475 av. J.-C, et qui s'accentue dans la seconde moitié du Ve siècle, a dû permettre à ce

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298 La République des tribus

plus récent, est lié à celui des productions nouvelles et des échanges ; une plèbe qui, excluant les rapports gentilices, dépend de l'appropriation privée de la terre ; une plèbe dont il y a tout lieu de croire que son élite, dès avant l'avènement de la République, a noué avec certains patriciens des alliances qui ne sont sans doute pas seulement politiques, et qui ont pu perdurer malgré la récession du Ve siècle et la résurgence des structures gentilices.

Il est en effet plus que probable que certains chefs de gentes, en dépit de tout ce qui pouvait les opposer d'autre part à la plèbe, ont eu très tôt des intérêts très proches de ceux de l'élite plébéienne, avec qui ils ont eu sans doute partie liée ; qu'ils ont très tôt participé à l'essor des nouvelles activités de production et d'échange - sans pour autant abandonner les prérogatives que pouvait leur donner leur appartenance à l'ancienne société gentilice : l'avènement à la royauté de Servius Tullius, et les innovations institutionnelles que la tradition rapportait à ce roi, pourraient être lus en ces termes, et paraître exemplaires de l'évolution d'une partie de la vieille aristocratie, en liaison avec le développement de la plèbe ; en ce domaine en tout cas, on aurait sans doute tort de croire à l'existence de limites socio-économiques et politiques tranchées.

De telles alliances ont dû favoriser la fusion des familles et préparer un rapprochement des élites, qui se précisera après la prise de Véies en 396, jusqu'à la dissolution des structures gentilices et à l'unification institutionnelle de la Cité - en particulier l'unification de son élite - sous les lois licinio-sextiennes de 367 av. J.-C. Mais avec l'effacement des gentes auront disparu les conditions qui avaient permis au patriciat de se constituer : jusqu'à la fin de la République et aux créations de César et d'Auguste, les patriciens seront, nécessairement, les descendants de chefs de gentes à qui, à l'époque royale ou au premier siècle de la République, avait été reconnue la qualification héréditaire de Patres parmi les sénateurs, avec toutes les prérogatives attachées à cette qualification26.

patriciat, appuyé sur les forces de ses clientèles, de consolider ses positions de façon décisive.

26. Ce qui n'implique pas nécessairement l'accès au consulat, comme l'a montré I. Shatzman, 1984, p. 72, à propos des Folii : le nom apparaît pour la première fois dans les Fastes avec M. Folius Flaccinator, qui ne fut que tribun consulaire, en 433 av. J.-C. ; il faut attendre 318 av. J.-C. pour trouver au consulat le premier Folius Flaccinator, en association avec un plébéien - preuve presque certaine, à cette date, de sa qualité de patricien - ; pour les prérogatives des patriciens, acquises dès l'époque royale et conservées très longtemps sous la République, cf. A. Momigliano, « An intérim Report on the origins of Rome », Journal of Roman Studies 1963, pp. 95-121 ; je rappellerai ici en particulier que le pontificat et l'augurât ont été réservés aux patriciens jusqu'en 300 av. J.-C., et que les plébéiens n'ont jamais accédé à Vinterregnum : cf. n. 17.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 299

NOMS PATRICIENS ET NOMS PLÉBÉIENS

Les noms patriciens27

Si Ton admet un tel raisonnement, il me paraît que pour reconnaître les consuls patriciens dans les Fastes du premier siècle de la République, Ton peut disposer d'un certain nombre d'indices, les uns certains, les autres offrant un caractère de grande probabilité.

les indices certains

J'admettrai donc comme patriciens certains :

- l e s ascendants de familles désignées par la suite comme patriciennes, jusqu'à la fin de la République ;

- les individus désignés comme tels par l'exercice de sacerdoces -pontificat et augurât - qui ont été réservés aux patriciens jusqu'à la lex Ogulnia de 300 av. J.-C28 ;

- à toute période, les individus appartenant à des gentes qui ont fourni des interrois : l'élite plébéienne n'a jamais eu accès à Vinterregnum19 ;

- les consuls du Ve siècle dont le nom est aussi celui d'une tribu30.

Les indices vraisemblables

Mais on a tout lieu de considérer également comme patriciens tout haut magistrat du Ve siècle (consul ou tribun miliaire à pouvoirs consulaires) dont la qualité de patricien est, en dehors de sa présence dans les Fastes, expressément attestée par des sources anciennes, même s'il porte un nom connu comme plébéien par la suite : ainsi des Tullii, qui ont fourni en 500 av. J.-C. un consul dont Cicéron affirme qu'il était patri-

27. Supra, tableau 1,1, p. 187.

28. G. J. Szemler, RE suppl. XV, s.v. Pontifex ; supra chap. Vffl.

29. Ciceron, Sur sa maison, 14, 38 ; cf. les analyses proposées par A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », 1964, p. 450 sq.

30. Cf. encore les observations de I. Shatzman, Patricians and Plebeians..., p. 71, contre R. E. A. Palmer, The archaic Communauty of the Romans I, Cambridge, 1970, p. 292 ; supra chap. HL

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300 La République des tribus

cien31 ; ainsi encore des Aquilii qui, au témoignage de trois documents épigraphiques datables du VIe siècle, font partie du groupe des très grandes gentes étrusques actives, sous la royauté étrusque, à Rome comme à Vulci et Véies, et qui fournissent un consul en 487, puis disparaissent pour un siècle32. Le nom à'Aquïlius reparaîtra en 388 avec un tribun consulaire, dont Tite-Live assure qu'il est plébéien ; mais à ce moment, l'élite « plébéienne » se trouve dans une situation beaucoup plus favorable qu'au siècle précédent, elle se révèle capable d'imposer aux patriciens le partage du pouvoir, et des patriciens marginalisés ont pu être tentés de la rejoindre : les Aquilii pourraient être de ceux-là, et leur réussite pourrait manifester que la transitio ad plebem n'était plus pour un patricien une solution du désespoir- comme elle l'était certainement encore deux ou trois décennies plus tôt, quand l'appartenance à la plèbe signifiait presque sûrement l'exclusion du pouvoir33.

Doivent être également patriciens les personnages qui se manifestent, au Ve siècle av. J.-C, par leur opposition irréductible à des revendications plébéiennes qui porteraient atteinte aux structures gentilices, et par là même à la puissance patricienne : on pensera tout particulièrement -bien que non exclusivement - à l'opposition que des Patres opposent aux revendications de partage uiritim de Yager publicus, et j'évoquerai ici l'exemple des Minucii, sur lequel j'aurai à revenir (infra).

Les noms plébéiens34

Plusieurs cas doivent être considérés.

Les noms tenus pour plébéiens par les récits de Vannalistique

Denys d'Halicarnasse, à propos du second collège des décemvirs législatifs, donne expressément trois d'entre eux pour plébéiens35 : cette

31. Il s'agit de M' Tullius Longus, consul en 500, et dont Cicéron affirme qu'il était patricien : Cicéron, Brutus, 62 ; aucun élément ne permet de contredire cette affirmation. Cf. sur cela les observations de I. Shatzman, Patricians and Plebeians..., p. 66 n. 1 et p. 77 ; contra : R. E. A. Palmer, The archaic Communauty..., p. 132 n. 2 et p. 290 sq.

32. Sur ce personnage, cf. C Ampolo, « Gli Aquilii del V secolo A.C. e il problema dei Fasti consolari più antichi », La Parola del Passato, XXX, 1975, pp. 410-416.

33. Supra, pp. 76-79 et pp. 101-102.

34. Supra, tableau H.

35. Denys d'Halicarnasse X, 58.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 301

affirmation, ajoutée à certaines invraisemblances du récit - aussi bien celui de Denys d'Halicamasse que celui de Tite-Live - ont conduit à douter de l'authenticité de ce collège36. Mais là encore, on tend aujourd'hui à réhabiliter la tradition. Je me bornerai ici à renvoyer aux analyses récentes de G. Poma qui, reconnaissant dans les textes de Tite-Live et de Denys d'Halicamasse l'utilisation de sources pontificales hostiles à l'expérience décemvirale, a montré que là se trouvait l'origine probable des contradictions et des invraisemblances que ces textes contiennent37 ; dans une telle perspective,il y aurait tout lieu d'interpréter l'établissement du second collège comme une tentative d'unification politique de la Cité qu'il faudrait rapporter à une faction patricio-plébéienne, et que la fraction la plus conservatrice de l'élite patricienne aurait réussi à mettre en échec38. Si l'on accepte une telle hypothèse, ce second collège décemviral, selon une grande vraisemblance, aurait comporté non pas trois, mais cinq « plébéiens ». Peut-on préciser davantage ?

Denys d'Halicamasse donne pour plébéiens les noms de Poetelius, Duillius et Oppius39 ; mais Rabuleius - qui porte le même nom qu'un tribun de la plèbe de 486 av. J.-C. - pourrait l'être également ; le cinquième nom pourrait être Antonius, plutôt que Minucius40.

Les noms communs à de hauts magistrats et à des tribuns de la plèbe

Quatre cas doivent être ici considérés :

1) - il s'agit de tribuns connus pour leurs projets de lois relatifs au partage uiritim de Yager publicus, et pour leur opposition violente aux patriciens : selon toutes probabilités, et sauf si la qualité de patriciens est démontrée pour les consuls - ce qui posera d'autres problèmes poli-

36. Par exemple R. M. Ogilvie, A Commentary..., en particulier pp. 461-463 et p. 477 ; P. Ch. Ranouil, Recherches..., pp. 101-109 ; cf. l'exposé du débat par G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 236-243, et la discussion pp. 243-279.

37. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 191-197, et n. 83-106.

38. G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 242-271 et pp. 323- 327 ; cf. déjà J. Bayet, à propos de Tite-Live m, 34, 6 (p. 52 n. 3) et 35,11 (p. 54, n. 3).

39. Denys d'Halicamasse X, 58 ; on remarquera d'autre part qu'un M. Duillius a été tribun de la plèbe en 470 et en 449 ; un C. Oppius est également tribun de la plèbe en 449, un Poetelius l'aurait été en 442 et 441, et aurait agi en faveur d'une loi agraire : Tite-Live, II, 61,1-9 ; m, 54,12-13 ; 64,4-11 ; IV, 12,3-5.

40. Denys d'Halicamasse, VIQ, 72,1-4 ; sur tout cela, cf. supra, chap. n.

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302 La République des tribus

tiques, qu'il conviendra d'analyser41 - , ces noms doivent renvoyer pour l'essentiel à des plébéiens ; on pourra évoquer ici le nom de Duillius, qui est celui de l'un des premiers tribuns de la plèbe, Marcus Duillius, à avoir été élus par les comices tributes pour 470 en vertu de la lex Publilia, et qui par conséquent devait être inscrit dans une tribu : et cela exclut, à ce moment, son appartenance à une gens42. Marcus Duillius s'était fait alors remarquer par son action en faveur d'une loi de partage de Yager publicus, et il avait assigné en justice un Appius Claudius, pour son opposition acharnée à la loi ; or Duillius est aussi le nom de l'un des decemvirs législatifs du collège de 450, Caeso Duillius - dont d'ailleurs Denys d'Halicarnasse, on l'a vu, précise d'autre part qu'il était plébéien.

2) - Les noms sont communs à des patriciens certains (cf. les critères ci-dessus) et à des tribuns de la plèbe : faut-il en conclure à la coexistence de deux familles indépendantes l'une de l'autre43 ? Peut-être. Mais les tribuns de la plèbe peuvent aussi bien être clients de patriciens de même nom - qui sont en fait leurs patrons - sauf, si mon interprétation est exacte, aussitôt après la promulgation de la lex Publilia, qui a exclu les clients des procédures de vote, et par conséquent aussi, en toute logique, du droit à être élus44 : mais pour combien de temps ? Je reviendrai sur ce problème, avec le cas des Vergimi.

3) - des consuls deviennent tribuns de la plèbe : c'est peut-être le cas de Spurius Cassius ; mais toute la politique du personnage à l'égard de la plèbe en fait un de ses partisans les plus fidèles, et selon une grande vraisemblance, un plébéien lui-même45 ; cela doit être aussi le cas de Tarpeius et d'Atemius, consuls en 45446, et cooptés comme tribuns de la plèbe en 44847 : n'y a-t-il pas lieu en effet d'inverser les termes de la proposition de Tite-Live - qui s'étonne d'un tel choix - et de penser que c'est précisément parce qu'ils sont plébéiens qu'ils ont pu être cooptés, bien que consulaires ? On n'oubliera pas à cet égard que la procédure de la cooptation pour compléter le collège tribunicien, utilisée en 448 en leur

41. Cf. infra, le cas de la gens patricienne des Verginii et du tribun de la plèbe Au-lus Verginius.

42. Cf. Tite-Live, X, 8, 9 ; sur ce point, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 196-197 ; M. Torelli, Lavinio, pp. 274-275 ; supra, chap. IL

43. P. Ch. Ranouil, Recherches..., particulièrement pp. 167-180.

44. Cf. supra, chap. HI.

45. Cf. supra, chap. IH; contra : P. Ch. Ranouil, Recherches..., pp. 76-81.

46. J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 43 (avec les références aux sources).

47. Denys d'Halicarnasse, X, 50 et 52 ; Tite-Live, m, 65,1 ; cf. supra, chap. HE; pour de tout autres analyses : P. Ch. Ranouil, Recherches, pp. 95-97.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 303

faveur, l'a été sous la présidence et à l'instigation de Marcus Duillius48

qui est alors tribun de la plèbe pour la seconde fois49, et dont Tite-Live affirme que « pendant les troubles du décemvirat, il n'avait pas ménagé son appui à la plèbe »50. Enfin, la cooptation qui a fait de Spurius Tar-peius et d'Aulus Aternius, consulaires, deux tribuns de la plèbe, flattait, affirme Tite-Live, les désirs des patriciens51 : dans tout cela encore - si du moins l'on accepte que les faits rapportés par la tradition puissent avoir une certaine authenticité - on pourra reconnaître les indices d'alliances nouées entre certaines personnalités marquantes de la plèbe - aussi bien Marcus Duillius que Spurius Tarpeius et Aulus Aternius -, et une partie du patriciat.

4) - On aimerait pouvoir analyser avec quelque précision le cas des tribuns dont l'action politique - ou l'inaction - s'accorde avec les intérêts des patriciens les plus conservateurs : ainsi des tribuns qui, en 473 - donc avant la lex Publilia- n'osent pas protester contre le meurtre de Cneus Genucius ; l'on est conduit à soupçonner que ces tribuns pourraient bien appartenir au monde des gentes ; si c'est le cas, ce sont nécessairement des clients, puisque le tribunat de la plèbe a été interdit par la loi de 493 aux patriciens52 - autrement dit aux patrons des gentes - et ces tribuns doivent porter le nom de leur gens et du patron qui en est le chef. De même, en 439 - après la création de tribus sur les territoires contrôlés par les gentes, et donc après la réintégration des clients dans les procédures d'élection des tribuns de la plèbe -, au moins certains des sept tribuns qui ne s'élèvent pas contre la mise à mort de Spurius Maelius pourraient appartenir aux clientèles gentilices ; mais la tradition, si elle a gardé le souvenir de leur existence et de leur passivité, n'en parle que collectivement et ne livre aucun nom : le lecteur reste ainsi privé, sans recours, d'une contre-preuve qui serait fort intéressante.

Les noms connus par la suite exclusivement comme plébéiens

En l'absence de toute autre information, et surtout si le laps de temps écoulé entre l'apparition d'un nom dans les Fastes du Ve siècle et le moment où il est attesté comme plébéien n'est pas trop important, on pourra

48. Tite-Live, m, 64,4.

49. Tite-Live, II, 61, 2 ; Denys dTialicarnasse, X, 52,1 ; 54,6.

50. Tite-Live, m, 54,12.

51. Tite-Live, m, 65,1.

52. Mais non pas aux clients : Tite-Live, E, 33,1 ; cf. supra.

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304 La République des tribus

admettre la continuité du nom et de la famille, et penser que le consul du Ve siècle a pu être plébéien. Est-ce le cas des Cominii, que j 'ai classés parmi les « plébéiens » dès le Ve siècle ? Un tel classement est discutable53, mais l'on ne dispose pas de raison péremptoire non plus pour en faire des patriciens. L'on retiendra surtout que les Cominii ont participé à la gestion de l'État pendant le temps très court où dominent d'autre part le nom de grandes familles étrusques - les Lard, les Tullii, les Herminii -, qu'il y a tout lieu de croire favorables à une politique d'ouverture et d'alliance avec l'élite de la plèbe, comme devaient l'être aussi dans une certaine mesure les Verginii, des patriciens pourtant ; il y a tout lieu de penser que c'est là le cercle des familles qui avaient noué des alliances avec des hommes de l'aristocratie plébéienne - tels que Spurius Cassius, dont le nom domine aussi les mêmes années - et les Cominii pourraient bien en avoir fait partie, qu'ils aient été des patrons de gens favorables à de telles alliances, ou qu'ils soient déjà passés à la plèbe.

Le cas des Mardi inspire des réflexions semblables. Sous la République, ils apparaissent en 493 avec un Cneus Marcius, qui sert dans la guerre que Rome mène contre les Volsques d'Antium et les Latins de Corioli, sous le consulat de Spurius Cassius et de Postumus Cominius ; héros de la prise de Corioli et véritable artisan de la victoire, Cneus Marcius y aurait gagné le surnom de Coriolan ; mais en 491, il aurait été contraint à l'exil - chez les Volsques - pour s'être opposé à la « plèbe ». Et certes Deny s d'Halicarnasse le présente comme un très grand chef de gens, tandis que Tite-Live en fait un patricien des plus conservateurs : mais doit-on faire tout à fait confiance à de telles interprétations ? Plusieurs indices invitent au doute critique : déjà au VIe siècle, on le verra, les Mardi ont pu être des patriciens alliés à Servius Tullius54 - alliés aussi, dès ce moment, avec des familles « plébéiennes ». Or c'est l'année même du consulat de Spurius Cassius et de Postumus Cominius, et sous le commandement de ce dernier, que Cneus Marcius Coriolan gagne ses plus beaux titres de gloire ; son procès et son exil sont trop étroitement liés dans le temps d'abord à la disparition définitive des Cominii de la scène politique, ensuite à la condamnation et à l'exécution de Spurius Cassius, pour qu'on ne soupçonne pas dans les récits de la tradition la réélaboration possible, dans un sens favorable au patriciat le plus conservateur55, de conflits où Coriolan a pu être entraîné dans la dé-

53. I. Shatzman, Patricians and Plebeians..., p. 76 ; P. Ch. Ranouil,Recherches..., qui croit à l'authenticité de Postumus Cominius Auruncus et de ses consulats de 501 et 493, et le classe parmi les patriciens en raison même de ces consulats.

54. Cf. supra.

55. Le recours à de telles réélaborations du passé pourrait prendre sa place, au dernier siècle de la République, dans les propagandes rivales des optimates et des populäres : cf.

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Noms patriciens et noms plébaens dans les fastes 305

faite de la plèbe, pour avoir joué un rôle quelque peu différent de celui que l'histoire a retenu. Lorsque les Mardi reparaissent au IVe siècle, nul ne doute qu'ils sont plébéiens ; pourtant, toute la tradition de la famille insistera par la suite sur le fait qu'ils descendaient du roi Ancus Marcius : généalogie fabriquée ? Peut-être. Mais il faudrait, là encore, le démontrer, et l'on ne saurait écarter ni la possibilité d'une telle ascendance, ni, en ce cas, celle d'une transitio ad plebem des descendants de Coriolan, après le procès et l'exil de celui-ci.

Il faut encore évoquer pour mémoire le cas des lunii, et en particulier celui de Lucius lunius Brutus, qui avait été l'artisan le plus important, peut-être, de l'expulsion des Tarquins ; la tradition le présentait comme membre du premier collège consulaire de la République, avec pour collègue Tarquin Collatin ; et il avait été, disait-on, le principal responsable de l'exil de ce dernier, rendu suspect par son nom même. Or, Lucius lunius Brutus avait pour mère une Tarquinia, et comptait, dit Tite-Live56, parmi les primores duitatis, parmi « les premiers de la cité » : ce qui paraît le désigner comme patricien. Cependant, la tradition donnait les lunii pour plébéiens dès les débuts de la République ; et si entre 509 et 325, aucun lunius ne parvient à revêtir une magistrature à imperium, Denys d'Halicarnasse57 citait en revanche un Lucius lunius Brutus parmi les tribuns de la plèbe de 493, et Tite-Live un Caius lunius parmi ceux de 42358 : tout cela pourrait indiquer que les lunii avaient noué très tôt des relations avec la plèbe, et qu'ils ont été entraînés dans la même défaite politique que les Mardi. Dans une telle perspective, la mort au combat de lunius Brutus, dans la guerre qui opposa Rome à Tarquin et aux cités étrusques dès 509, pourrait avoir été des plus opportunes pour la faction conduite par les Valerli et les Horatii ; et l'on peut penser que très tôt, les lunii ont fait l'objet d'une transitio ad plebem.

Cependant la plus grande prudence s'impose : si la transitio ad plebem d'une famille patricienne a certainement toujours été possible, comme est possible aussi le fait que l'annalistique n'en ait gardé aucune trace59, il y

à cet égard les informations des monnaies, analysées par H. Zehnacker, Moneta. Recherches sur l'organisation et l'art des émissions monétaires de la République romaine, Rome, 1973, en particulier pp. 517-627.

56. Tite-Live, I, 56, 6.

57. Denys d'Halicarnasse, VI, 89.

58. Tite-Live, IV, 37,1 ; 40,2.

59. Ce pourrait être le cas des lunii, si Lucius lunius Brutus a bien été l'un des chefs de la première sécession de la « plèbe », a été élu en 493 comme tribun de la plèbe, et encore comme édile pour Tannée suivante : Denys d'Halicarnasse, VI, 89 ; Vu, 14, 2-17, 6 ; Plutarque, Cor. 7,1 ; pour l'exposé des sources et pour une discussion sur les premiers

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306 La République des tribus

a tout lieu de croire qu'à partir du moment où l'élite plébéienne s'est trouvée presque totalement exclue du pouvoir, des familles patriciennes n'ont pas dû y recourir sans avoir pour cela de très bonnes raisons. Et il me paraît devoir revenir sur deux noms.

Je reviendrai d'abord sur celui des Verginii60 : c'est à la fois le nom d'une très grande famille patricienne - comme l'attestent au Ve siècle l'augurât d'un Titus Verginius Tricostus, en même temps que le nombre des magistratures obtenues par les Verginii - et celui d'un tribun de la plèbe, et des plus offensifs à l'égard du patriciat conservateur.

Je reviendrai ensuite sur le cas des Minucii, dont on a fait des plébéiens dès la plus haute époque, à tort à mon sens.

LE CAS PARTICULIER DES VERGINII ET CELUI DES MINUCII

Les Verginii

Les données du problème

L'augurât d'un Titus Verginius Rutilus, que signale Tite-Live en 46361, désigne la famille comme patricienne, et parmi les plus importantes alors, si l'on en juge par le nombre des hautes magistratures que des Verginii ont gérées au cours du Ve siècle62.

Mais un Aulus Verginius est tribun de la plèbe en 461, et réélu sans discontinuité jusqu'en 45703. Lors de son premier tribunat, c'est lui qui mène l'accusation contre le jeune Caeso Quinctius, patricien, pour ses violences contre la plèbe. L'enjeu des luttes plébéiennes est alors la limitation des pouvoirs consulaires, proposée l'année précédente par le tribun de la plèbe Terentilius Harsa : la rogatio Terentilia est à l'origine, on s'en souvient, de la création en 451 du décemvirat chargé de publier les

collèges de tribuns et d'édiles : cf. J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 16-17 ; P.-Ch. Ranouil, Recherches..., pp. 73-76, pour les Iunii.

60. Pour d'autres analyses : P.-Ch. Ranouil, Recherches..., p. 169 et n. 1,170,174-175,184, 187-189, 210-212.

61. Tite-Live, m, 7,6 ; cf. J. R. S. Broughton, The Magistrates, I..., p. 35 ; cf. supra, n. 16.

62. Cf. supra, tableau I.

63. Tite-Live, ni, 11,9-14,6 ; 19, 6 ; 21, 3 ; 24,9 ; 25,4 ; 29, 8 ; Denys d'Halicarnasse, X, 2,1 ; 6, 1-8, 5-13, 7 ; 19, 3 ; 22, 1 ; 26, 4-30 ; cf., pour l'authenticité du personnage, R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 419 ; cf. aussi P. Ch. Ranouil, Recherches..., p. 169, n. 3.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 307

lois, et renouvelé en 45064. Mais il y faudra cinq ans de luttes, au cours desquelles, inlassablement, les tribuns, réélus armée après année, reprennent la rogatio Terentilia ; et s'il faut en croire Tite-Live, Lucius Quinctius Cincinnatus, le père de Caeso Quinctius, consul en 460, aurait dénoncé tout particulièrement le tribun Aulus Verginius pour son acharnement en faveur de la rogatio : un acharnement qui ne s'était même pas démenti en un temps dramatique, alors que la citadelle était occupée par un parti d'exilés et de Sabins, et la Ville en grand danger d'être prise65. La rogatio avait été présentée à nouveau en 459 et 458 par Aulus Verginius : en vain. C'est seulement en 454 - sous le consulat de Spurius Tarpeius et d'Aulus Aternius, deux plébéiens selon toute vraisemblance66 - qu'un compromis devait être trouvé, avec l'envoi à Athènes d'une commission chargée d'étudier la constitution de Solon et d'autres cités grecques, pour donner des lois écrites à Rome67.

Aulus Verginius, tribun de la plèbe, peut évidemment avoir appartenu à une famille plébéienne indépendante des Verginii patriciens68. On peut aussi supposer qu'un Aulus Verginius, issu de la famille patricienne des Verginii, a été l'objet, lui et sa descendance, d'une transitio ad plebem : mais on n'en a nulle trace ; de plus, les Fastes révèlent la puissance des Verginii patriciens, qui ont obtenu un nombre de magistratures nettement supérieur à celui des Aemïlii par exemple69, et dont on peut se demander quel avantage politique ils pouvaient trouver à ce que l'un d'eux fût versé dans la plèbe. On songera cependant que c'est au cours de ces années que sont créées, selon toutes probabilités, les tribus à noms gentilices : les patriciens ont dû avoir besoin de la présence d'alliés et d'amis sûrs dans les rangs de la « plèbe », pour apaiser les soupçons. Et des clients, pourvu qu'ils fussent assez haut placés dans la hiérarchie des clientèles, et capables de jouer un rôle de premier plan dans les luttes du moment - comme avaient dû l'être certains tribuns jusqu'en 471 -pouvaient jouer ce rôle : Aulus Verginius a pu être de ceux-là ; il faudrait alors supposer qu'en 461 av. J.-C, la gens Verginia était déjà inscrite dans le réseau des tribus, et que ses clients étaient capables de faire élire un des leurs par l'assemblée tribute. Or plusieurs arguments pourraient étayer une telle hypothèse.

64. Cf. supra, chap. III.

65. Tite-Live, m, 19,6.

66. Supra.

67. Tite-Live, m, 31,7-8 ; Denys dTialicarnasse, X, 52,3.

68. En ce sens : R. M. Ogilvie, A Commentary..., p 419 ; P. Ch. Ranouil, Recherches, p. 169, n.3.

69. Avec qui les Verginii pourraient avoir été liés : cf. infra.

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308 La République des tribus

Aulus Verginius : un client de la gens Verginia ?

On l'a vu : il est permis de penser qu'en 467 a pu être organisée la tribu Aemilia - première tribu à nom gentilice - sous l'autorité du consul Titus Aemilius70. Depuis quatre ans en effet, la création de telles tribus s'imposait aux patriciens, s'ils voulaient recouvrer le contrôle de l'élection des tribuns de la plèbe, que la lex Publilia de 471 avait enlevée aux comices curiates pour les donner aux comices tributes. Or, pour prendre une telle initiative, la personnalité du consul Titus Aemilius convenait, semble-t-il, parfaitement : ne le voit-on pas œuvrer pendant son consulat en faveur d'un partage à la plèbe de terres de Yager publicus, provoquant ainsi la fureur, dit Tite-Live, des autres patriciens71 ? Certes, ce pouvait être là une manœuvre de diversion, destinée à faciliter la création, sur les territoires que contrôlaient les gentes, de la première tribu à nom gentilice, que d'autres créations devront suivre. Mais les Aemilii pourraient être aussi - et en même temps : les deux interprétations ne sont pas contradictoires - de ces patriciens qui avaient noué, peut-être depuis longtemps déjà, des alliances avec l'élite plébéienne, qui étaient capables de lui faire des concessions, qui pouvaient garder la confiance des plus soupçonneux des chefs de la plèbe, et pour qui l'unification de la cité devait aussi se faire par la création de tribus sur les territoires que contrôlaient les gentes.

On remarquera d'autre part que les Verginii pourraient, eux aussi, avoir eu partie liée avec la plèbe, comme cela semble avoir été souvent le cas des familles d'origine étrusque ; ils pourraient fort bien de plus avoir eu des alliances au moins occasionnelles avec les Aemilii : ainsi on observera qu'en 478, un Verginius est appelé à partager le consulat avec un Aemilius, après la mort de l'autre consul ; et en 473, à nouveau, un Verginius est consul en même temps qu'un Aemilius ; et rien ne s'opposerait à ce que la gens Verginia ait été inscrite dans la tribu Aemilia.

De tels indices seraient sans doute tout à fait insuffisants, si on ne remarquait en outre en 467, parmi les trois triumvirs chargés de la fondation de la colonie dîAntium, en application de la loi agraire du consul Titus Aemilius, la présence d'un Aulus Verginius72. Certes, rien ne prouve que des liens existaient entre le triumvir agraire et le tribun de la plèbe qui, élu pour 461 et réélu sans interruption jusqu'en 457, allait mener l'action pendant cinq ans en faveur de la lex Terentilia - mais rien ne

70. Cf. supra, pp. 94-95.

71. Tite-Live, m, I ; cf., dans le même sens, Denys d'Halicamasse, IX, 51 et 59.

72. Tite-Live, DŒ, 1,6 ; Denys d'Halicamasse, IX, 59,2.

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le contredit non plus. On observera en particulier qu'en 461, pour faire obstacle à la discussion de cette loi, c'est malgré les protestations d'Au-lus Verginius, tribun de la plèbe, que les patriciens décrètent un enrôlement contre les Èques et les Volsques, accusés de menacer - est-ce là pur hasard, et fantaisie de l'annalistique ? - la toute récente colonie d'Antium73. C'est dans ce contexte qu'Aulus Verginius, en tant que tribun de la plèbe, est conduit à mener l'accusation contre Caeso Quinctius pour violences faites à la plèbe, et obtient sa condamnation et son exil74.

Une telle action, qu'elle soit menée par un Verginius d'origine patricienne ou par un client des Verginii, suppose le soutien actif- et nécessaire - de la gens et de son patron ; or, tout cela s'inscrirait très bien dans la politique d'une faction patricienne ouverte au compromis avec la plèbe, opposée à la faction la plus conservatrice du patriciat, et où les Verginii patriciens pourraient à ce moment75, aux côtés des Aemilii, avoir joué un rôle de premier plan.

Lucius Verginius, tribun de la plèbe en 449

C'est dans ce contexte qu'il convient, à mon sens, d'évoquer l'histoire de Virginie, victime de la passion du décemvir Appius Claudius, et de son père Lucius Verginius76.

Pour tous ces épisodes, l'authenticité des noms des protagonistes, que connaissait seulement une partie de la tradition, est peut-être sujette à caution : ainsi, Diodore connaît bien le scandaleux procès en liberté, intenté à une jeune fille par l'un des magistrats du second collège décemvi-ral, en 459 ; mais il rapporte l'histoire sans donner aucun nom. Aussi celui des Verginii qui s'y trouve mêlé a-t-il été, de la part des Modernes, l'objet de doutes et de débats. Je me bornerai ici à souligner que toute l'affaire pourrait être l'indice de conflits sociaux et politiques fort complexes ; en particulier le flou dans lequel la tradition reste pour le statut de Virginie, certaines particularités de l'histoire aussi, laissent à penser que ces conflits étaient liés, au moins pour une part, à la question de la légitimité des mariages qui ne seraient pas patriciens, et singulièrement des mariages qui conduiraient à de graves confusions sociales, en mêlant

73. Tite-Live, IH, 10 ; on ignore tout de la tribu dans laquelle Antium, colonie de citoyens romains, a pu être d'abord inscrite : cf. L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 319-321.

74. Tite-Live, m, 11-13.

75. Cf. supra, chap. m.

76. Pour le procès de Virginie et ses enjeux, cf. supra, chap. IV.

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310 La République des tribus

la plèbe avec les clients et les gentiles. La tradition donne ces conflits pour nés de l'opposition entre la plèbe et le patriciat ; mais une lecture plus attentive pourrait permettre d'y déceler des oppositions de factions qui -là encore - regroupent des plébéiens et des patriciens, et qui luttent pour deux modèles de société aux intérêts désormais inconciliables.

Les Minucii

Les données du problème

On observera d'abord la présence en 450, dans le second collège des décemvirs législatifs, d'un Lucius Minucius Esquilinus Augurinus, ancien consul77. On l'a vu : Denys d'Halicarnasse donne trois des décemvirs pour plébéiens, et il est possible en fait d'interpréter l'établissement de ce second collège décemviral comme une tentative pour remplacer le consulat - qui a été supprimé en même temps que le tribunat de la plèbe - par une nouvelle direction collégiale de dix magistrats, recrutés pour moitié dans l'élite plébéienne. Lucius Minucius Esquilinus Augurinus compterait-il donc parmi les cinq décemvirs plébéiens ?

Pour étayer une telle conclusion, on pourra faire remarquer qu'en 305 av. J.-C, le nom des Minucii, disparu des Fastes depuis le milieu du Ve siècle, réapparaît avec un consul qui, incontestablement, est plébéien ; en outre en 300, un Minucius Faesus devient augure : or pour la tradition unanime, il est l'un des cinq premiers plébéiens entrés dans le collège des augures en vertu de la lex Ogulnia™.

Si l'on admet - ce qui n'est pas certain, mais n'est pas impossible -que les Minucii de la fin du IVe siècle descendaient de ceux du Ve, faut-il donc admettre en même temps, comme on l'a dit79, que la famille avait toujours été plébéienne ?

77. Il avait été consul ou consul suffect en 458 : cf. J. R. S. Broughton, The Magistrates, p. 39 et 47. ; pour une discussion des données disponibles pour les Genucii et les Minucii : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 222-225.

78. J. R. S. Broughton, The Magistrates..., p. 173 (qui donne les références aux sources) ; sur la lex Ogulnia et ses enjeux, cf. supra, chap. VIE.

79. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 275 ; I. Shatzman, Patricians and Plebeians..., pp. 76-77.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 011

Des patriciens, passés à la plèbe vers 420 ?

Il me paraît pourtant que deux indices désignent sans équivoque les Minucii du Ve siècle comme patriciens, au moins jusqu'en 439, et peut-être jusqu'en 420.

Pour 440 et 439 en effet, un Lucius Minucius Esquilinus (Augu-rinus ? ) - est élu praefectus annonae par la plèbe, tandis que la famine sévit à Rome80 ; faut-il reconnaître en lui le consul de 458 et l'ancien membre du second collège des décemvirs législatifs81 ? C'est en tout cas comme praefectus annonae que Lucius Minucius se trouve confronté aux entreprises d'un riche plébéien, Spurius Maelius, qui sont interprétées comme des menées séditieuses ; et Lucius Minucius porte au Sénat contre ce fauteur de troubles, trop cher à la plèbe, une accusation de conjuration. On se souvient que Spurius Maelius devait être exécuté sans même avoir comparu, et que sa mort allait marquer pour l'élite plébéienne une éviction politique presque totale jusqu'en 40082.

Si Lucius Minucius est plébéien, comme l'est sans doute aucun Spurius Maelius, un tel affrontement pourrait révéler l'existence - il y en avait certainement - de rivalités sans merci et de clivages au sein même de l'aristocratie plébéienne : Lucius Minucius, en 440-439, n'aurait été en définitive que l'instrument et le jouet des patriciens les plus conservateurs, habiles à tirer avantage de toutes les situations. Mais une telle politique s'expliquerait bien mieux, si Lucius Minucius était lui-même patricien.

Or, Tite-Live ajoute : « À propos de ce Minucius, je trouve en certaines de mes sources qu'il se serait fait de patricien plébéien, qu'il aurait été choisi par le collège comme onzième tribun et aurait apaisé une émeute soulevée par le meurtre de Maelius ». Il est vrai que Tite-Live tient ces informations pour invraisemblables, et ce pour deux raisons83 :

80. Tite-Live, IV, 12, 8, précise qu'il le fut à l'instigation des tribuns de la plèbe, et sans opposition de la part du Sénat.

81. C'est, semble-t-il, l'interprétation acceptée par J. R. S. Broughton, The Magistrates..., pp. 47 et 55, mais discutée par J. Bayet dans son commentaire de Tite-Live, IH, 34 (éd. CUF, p. 52 n. 3) et IV, 12 (éd. CUF, p. 23 n. 1) ; discussion aussi de G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 22-225.

82. Cf. supra, chap. m.

83. Tite-Live, IV, 16, 3-4 : Hune Minucium apud quosdam auctores transisse a patribus ad ple-bem, undecimumque tribunum plebis cooptatum seditionem motam ex Maeliana caede sedasse inuenio. Ceterum uix credibile est numerum tribunorum patres augeri passos, idque potissi-mum exemplum a patricio homine introductum, nec deinde id plebem concessum semel obti-nuisse aut certe temptasse. Sed ante omnia refellit falsum imaginis titutlum paucis ante annis

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312 La République des tribus

d'abord parce que jamais les Pères n'auraient laissé ainsi augmenter le nombre des tribuns, surtout si la décision venait d'un patricien ; et la « plèbe », quant à elle, n'aurait jamais laissé se perdre un tel avantage ; ensuite et surtout, parce qu'une loi avait interdit aux tribuns, quelques années auparavant, de se choisir un collègue.

C'est à Tite-Live lui-même - à ses propres contradictions - que l'on pourra emprunter les arguments contraires, et d'abord sur le nombre des tribuns. Un certain nombre d'épisodes montrent en effet que l'augmentation en a été non seulement consentie, mais sans doute voulue par le patriciat : la loi de création du tribunat84 avait en effet prévu que Y intercessa d'un seul tribun suffirait pour paralyser tout le collège ; et si l'on suit Tite-Live, les patriciens avaient très vite compris qu'ils trouveraient d'autant plus facilement un allié parmi les tribuns que ceux-ci seraient plus nombreux : en ce sens, le discours que Tite-Live fait déjà tenir à un Appius Claudius en 480 av. J.-C. est sans ambiguïté85 ; quant à l'élite plébéienne, on ne croira pas qu'elle n'ait pas eu conscience des dangers que pouvait représenter une augmentation du nombre des tribuns, même si le tribunat donnait à ceux qui l'obtenaient une autorité enviable et enviée sur les assemblées ; on ne saurait donc être très étonné qu'elle ne se soit pas attachée à garder ce qui était un avantage fort discutable pour elle. Pour ce qui est de la loi qui interdisait la constitution du collège tribuni-cien partie par élection, partie par cooptation, on se souviendra que de l'aveu même de Tite-Live, si une rogatio avait bien été déposée en ce sens en 447 par le tribun Lucius Trebonius, la loi paraît n'avoir jamais été promulguée ; en revanche Tite-Live a cité quelques lignes plus haut, avec complaisance, la loi de rétablissementdu tribunat de la plèbe en 449 av. J.-C. : la cooptation tribunicienne y est expressément prévue, et c'est elle qui a permis en 448 pour 447, par ceux des tribuns qui ont été élus, le choix de deux consulaires, pour la plus grande satisfaction des patriciens ; c'est contre elle enfin que proteste - en vain - Lucius Trebonius86.

lege cautum ne tribunis collegam cooptare liceret : « mais il est invraisemblable que les Pères aient laissé augmenter le nombre des tribuns, et surtout que ce précédent ait été créé par un patricien ; que, d'autre part, la plèbe, une fois cet avantage acquis, ne Tait pas conservé ou du moins n'ait pas tenté de le faire. Mais ce qui mieux que tout prouve la fausseté de l'inscription mise sous son buste, c'est que peu d'années auparavant une loi avait interdit aux tribuns de se choisir un collègue ».

84. Tite-Live E, 33, 2-3 : en 493, on aurait nommé deux tribuns, qui auraient peut-être coopté trois collègues ; mais Tite-Live H, 58, 1, ajoute - seul à donner cette information - que selon Pison, il n'y aurait eu que deux tribuns créés en 493, et le nombre en aurait été porté à cinq en 471.

85. Cf. supra, chap. m.

86. Sur tout cela, cf. supra.

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Noms patriciens et noms plébéiens dans les fastes 313

Reste l'éventualité, trouvée par Tite-Live « dans certaines sources », d'une transitio ad plebem de Lucius Minucius, peu après la mort de Spu-rius Maelius.

Mais on remarquera que s'il faut en croire Plutarque, un Spurius Minucius, en 420 av. J.-C, a eu à juger de la méconduite d'une Vestale, Postumia, en tant que pontifex maximus : critère déterminant, on l'a vu, pour faire des Minucii des patriciens87.

Il y a alors tout lieu de penser que si un Minucius a bien fait l'objet d'une transitio ad plebem, elle a pu avoir lieu pour lui seul (et sa descendance), et dès 439, tandis qu'une autre branche de la famille restait patricienne et fournissait un pontifex maximus, mais s'éteignait peu après ; si cependant on admet que la transitio ad plebem a concerné l'ensemble de la famille, il faut la dater d'après 420 : on sera alors conduit à penser que la tradition a pu anticiper la transitio ad plebem, pour la faire coïncider avec l'affrontement du praefectus annonae et de Spurius Maelius.

87. Cf. supra.

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CONCLUSION

Au terme des siècles de conflits qui, à en croire la tradition, ont opposé la plèbe et le patriciat, les gentes disparaissent et la plèbe l'emporte. Un héritage s'est constitué, qui marquera profondément la vie de la Cité dans les siècles futurs. Quels en sont les éléments essentiels ?

Deux thèmes de réflexion me paraissent devoir être surtout retenus :

- Quels sont, d'abord, les caractères fondamentaux - les droits et les devoirs - qui marquent désormais la citoyenneté romaine ?

- Quels sont ensuite les procédés qui pourraient permettre aux « grands », comme le veut Cicéron, d'exercer un contrôle sur l'usage de leurs droits politiques par les masses populaires? Qui sont ces « grands », et de quels moyens disposent-ils ?

LES CARACTÈRES ORIGINAUX DE LA CITOYENNETÉ ROMAINE

La constitution par Servius Tullius, le « père » des institutions républicaines, de la citoyenneté romaine comme citoyenneté « ouverte »

Il faut, en premier lieu, souligner l'importance de la création, par Servius Tullius, des tribus topographiques pour la répartition du corps

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316 La République des tribus

civique, puis des premières significations que cette répartition devait prendre, pour la définition de la citoyenneté romaine.

On a voulu voir, dans l'établissement par Servius Tullius de quatre tribus sur le territoire de la ville - suivi sans doute, dans Vager Romanus antiquus, de l'établissement de cinq tribus rurales -, l'influence d'un « modèle » grec, solonien. Mais cette interprétation ne saurait rendre compte de tout : car les tribus de Servius Tullius ont reçu, et ont gardé par la suite pour premier rôle, celui d'assureiiaux- étrangers cjui venaient s'établirji Rome leur pleine intégration dans le corps civique, avec tous les devoirs mais aussi tous les droits du citoyen"; et en cela, la citoyenneté romaine a été marquée dès ce temps par un caractère d'une indéniable originalité, qui ne se démentira pas dans les siècles suivants. En d'autres termes, lorsque Servius Tullius procède à la création des tribus topographiques - au nombre de neuf selon une grande vraisemblance - , et qu'il y recense en fonction de leur domicile ceux qui, étant hors des gentes, ne pouvaient jusque-là faire partie du corps civique, il fonde la citoyenneté romaine comme une citoyenneté ouverte aux immigrants, et il établit pour l'avenir les cadres de son développement en dehors des gentes. Certes, ce faisant, Servius Tullius introduit dans la composition du corps civique, au moins pour l'immédiat, une évidente hétérogénéité : être ci^ toyen romain^estjtppartenir soit à unejgens, soit à une tribu topographique ; et cette hétérogénéité se révélera lourde de conséquences quelques décennies plus tard. Mais pour l'instant, l'intégration des « plébéiens » - de ceux qui n'ont pas de gens - dans la communauté politique des Romains, par le biais de leur inscription dans les tribus de leur domicile, ne paraît pas porter atteinte à la domination des chefs de gentes : le peuple romain ne connaît alors qu'une assemblée politique, l'assemblée curiate, que les patriciens contrôlent aisément grâce à leurs clients, répartis dans vingt-trois des trente curies que compte l'assemblée ; les « plébéiens » participent certainement à cette assemblée, mais leur regroupement vraisemblable dans les sept curiae ueteres - héritières des anciennes communautés de villages qui, selon toutes probabilités, ont précédé la constitution des gentes - , ne peut en rien mettre en péril cette prééminence.

Le rôle des tribus comme « circonscriptions de votes », et Tintégration des nouveaux citoyens

Lors de leur création, et jusque dans les premières décennies du Ve siècle, les neuf tribus topographiques créées par Servius Tullius -auxquelles ont peut-être été ajoutées deux autres vers 493/491, sur des territoires annexés par Rome dans les décennies précédentes - , n'ont

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Conclusion 317

donc été rien d'autre que des cadres de recensement, pour ceux qui avaient leur résidence sur le territoire urbain, ou dans Vager Romanus an-tiquus ; les patriciens, qui avaient leur demeure dans la ville, ont pu être inscrits dès le début dans les tribus urbaines ; mais surtout, les tribus topographiques, tant de la ville que de Vager Romanus aniiauus, permet-^ taient le recensement des plébéiens qui, à la différence des clients, n'avaient pas de gens qui leur assurât leur intégration dans le corps civique ; et sans doute aucun, ces plébéiens étaient beaucoup plus nombreux que ne l'étaient les patriciens.

Vers 475 cependant, tandis que l'on assiste à une recrudescence des conflits entre « plèbe » et parriciat, les tribus commencent à apparaître comme des cadres dans lesquelles peut s'organiser la défense des « plébéiens » contre la toute-puissance des patrons de génies, et contre les usages que certains patriciens font de leur monopole du droit. Et en 471, concurremment à l'assemblée curiate - que dominent toujours largement les patriciens, grâce aux votes de leurs clients -, l'assemblée tribute se constitue en assemblée politique, où chacun des membres de l'assemblée est appelé à donner son avis au sein de sa tribu, sans distinction de fortune : prélude à l'établissement d'une « souveraineté populaire », que fonde l'exercice d'un droit de suffrage réel. Mais pour participer à l'assemblée tribute, il faut être inscrit dans une tribu : ce que sont peut-être les patriciens, mais non les clients des génies qui, n'ayant pas de tribu, sont par là même exclus de l'assemblée tribute ; et leur absence interdit à leurs patrons tout espoir d'établir véritablement leur contrôle sur cette assemblée.

Cependant, les patriciens détenaient le secret du droit et des formulaires, us ont trouvé une première parade, dans le refus de reconnaître aux décisions de l'assemblée tribute toute légitimité, humaine et plus encore divine ; et par l'obstruction et la violence, ils ont, avec leurs clients, interdit la tenue des assemblées dont ils n'approuvaient pas l'ordre du jour. Mais de telles pratiques, d'ailleurs sans doute combattues par certains patriciens déjà liés avec la plèbe, ne pouvaient avoir qu'un temps : dans les années qui suivent 471, pour restaurer leur domination politique sur l'ensemble du corps civique, les patriciens ont créé sur les territoires qu'ils contrôlaient dix nouvelles tribus rurales, portant les noms de dix génies, et ils y ont inscrit leurs clients, qui vivaient sur ces territoires ; désormais ceux-ci pourraient participer, de plein droit, à l'assemblée tribute - pour y faire prévaloir la volonté de leurs patrons.

On ne saurait sous-estimer l'importance d'une telle création. Elle allait en effet aboutir, en 449 av. J.-C, à ce que la tradition présente comme la « refondation » des institutions républicaines : il s'agit en fait de l'organisation institutionnelle, et de la reconnaissance en termes politiques et re-

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ligieux, des deux assemblées de citoyens qui, dans la vie politique de la Cité, allaient remplacer l'assemblée curiate. Certes, les magistrats, une fois élus, doivent encore être investis par une loi curiate, sous peine de voir leur élection frappée de nullité ; mais la loi curiate, si elle reste une nécessité sacrée et donc imprescriptible, résulte d'une procédure de plus en plus formelle, où se révèle la discordance de plus en plus profonde entre cette institution héritée des premiers temps de Rome, et les structures sociales et économiques qui ont commencé de se développer dès avant le règne de Servius Tullius : à la fin de la République, trente licteurs remplaceront les trente curies de l'ancienne assemblée, qui n'est plus jamais réunie.

À partir de 449 av. J.-C. en tout cas, la notion de légitimité - des magistrats, et des lois -, est devenu inséparable de l'exercice d'un droit de suffrage reconnu à tout citoyen romain, qu^il soit citoyen romain de souche ancienne, ou que sa citoyenneté soit récemment acquise ; sans douj!e^cIâniFTassemT5^^ supérieurs, seuls votent ceux qui appartiennent à une élite de la fortune - quel qu'ait pu être alors le mode d'évaluation de la richesse - ; mais dans l'assemblée tribute, chaque citoyen donne son avis, dans la tribu où il est inscrit de droit, en fonction de sa résidence : là paraît s'exprimer pleinement une « souveraineté populaire » qui intéresse maintenant non plus seulement la « plèbe », mais le peuple romain tout entier. Et aussi bien, c'est à l'assemblée tribute qu'a été reconnue pleine compétence pour le vote des

( lois qui doivent obliger tout le peuple romain des Quintes, maintenant confondu avec la « plèbe » : les lois de 449 ont-elles donc fondé la souveraineté du peuple romain, en même temps que sa liberté ? Il y a tout lieu d/en douter.

En ce milieu du Ve siècle en effet, l'organisation de la société engentes, que régit rigoureusement le « code de la clientèle », est encore largement prevalente ; et dans l'assemblée tribute où les clients sont maintenant entrés en masse, la « souveraineté populaire » est sans nul doute, à ce moment, beaucoup plus apparente que réelle : la reconnaissance institutionnelle de l'assemblée tribute est allée de pair avec l'établissement d'un contrôle étroit que les patriciens exercent sur elle par le biais de leurs clients.

Au cours du Ve siècle cependant, et malgré les efforts des patriciens pour empêcher un tel processus, la croissance du corps civique s'est accomplie pour l'essentiel hors des gentes : cela, à la fois par le jeu des intermariages entre la « plèbe » et les gentiles, et par l'accès à la citoyenneté romaine d'immigrants peu soucieux de se lier par les liens de la clientèle gentilice, à tous égards paralysants. Sans doute, la longue dépression économique qui marque tout le Ve siècle favorise-t-elle la conservation

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des structures gentilices de la société, et sauve le pouvoir patricien. Mais à la fin du Ve siècle et au début du IVe, lorsque la conjoncture se renverse, et que se développent à nouveau les activités liées aux échanges, le déclin des gentes devient patent : la prééminence des patriciens au sein des assemblées se révèle alors de plus en plus précaire. La condamnation de Camille par l'assemblée tribute, aux lendemains de la prise de Véies, constitue de cette évolution un indice des plus clairs.

Plus que jamais pourtant, le contrôle des tribus - et des votes de l'assemblée tribute - reste à l'ordre du jour ; mais il intéresse désormais une élite qui s'est élargie à l'aristocratie plébéienne.

Le contrôle des tribus : un enjeu politique majeur

Au lendemain de la prise de Véies, les tribus, parce qu'elles sont des circonscriptions électorales autant que des cadres de recensement, se trouvent plus que jamais au centre d'un débat qui ne cessera plus. Pour la classe politique, elles ont pour enjeu le contrôle d'un corps électoral que la conquête du monde risque de (sur)peupler - et deux tendances antagonistes se révèlent :

- pour qui veut accéder aux pouvoirs les plus hauts, ou encore s'y maintenir - l'expérience de Camille est ici, à tous égards, fort claire - , il importe de contrôler les votes de l'assemblée en la peuplant de clients dévoués : ce qui conduit les hommes politiques à patronner l'entrée dans l'assemblée de nouveaux citoyens - qui sont autant d'électeurs et de votants dont ils attendent une fidélité politique assurée. Là trouvent leur explication aussi bien l'octroi de la citoyenneté romaine aux vaincus de la veille - ou au moins aux plus riches d'entre eux : aux « meilleurs » - , que la création de nouvelles tribus, sous l'égide des hommes au pouvoir.

- Mais en même temps il faut à ces hommes politiques, de toute nécessité pendant qu'ils tiennent le pouvoir et en vue des élections prochaines, empêcher leurs rivaux d'acquérir eux aussi la clientèle de nouveaux citoyens : ceux-là mêmes qui sont aujourd'hui partisans de la diffusion de la citoyenneté romaine pour l'élite des vaincus - à condition que ce soit sous leur patronage - , deviendront demain, pour empêcher leurs adversaires politiques d'accroître leurs propres clientèles, des partisans farouches de la « pureté » du peuple romain de souche, et les tenants de la fermeture de la Cité.

C'est qu'à chaque moment, tout homme politique doit veiller, avec ses amis, à organiser et maintenir son contrôle sur les assemblées dont les votes, par quoi s'exprime la « souveraineté populaire », manifestent le plus clairement du monde le consensus du peuple-roi : ce sont ces votes

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qui donnent à toute élection, à toute loi, à toute condamnation aussi que cette assemblée peut être invitée à prononcer, leur légitimité la plus tangible.

En d'autres termes, il convient de contrôler le plus grand nombre de tribus possible. Bientôt se posera la question des règles à suivre pour la création de nouvelles tribus, puis du mode d'inscription des citoyens dans les tribus1, quand le nombre en sera définitivement fixé à trente-cinq2.

De tels débats, sans cesse renaissants, sous-jacents à toutes les querelles sur la composition des assemblées, ont commandé dès les premières décennies du IVe siècle av. J.-C. toutes les luttes d'influences qui ont accompagné les moments d'ouverture et de fermeture de la citoyenneté romaine ; ils ont donné lieu dès ce moment, et dans les siècles suivants, à des conflits d'importance majeure : au delà du droit de cité, très tôt aussi, c'est la question du ius honorum qui a été posée, et celle de l'ouverture du Sénat à l'élite des peuples qui recevaient la citoyenneté romaine.

De surcroît, les compétences de l'assemblée tribute n'allaient cesser de s'alourdir. Il convient d'en prendre la pleine mesure, pour comprendre le sens et l'importance des débats sur la citoyenneté romaine et sur sa diffusion qui marqueront les siècles suivants, et qui sont inséparables de l'héritage politique venu des temps « archaïques », et que la République léguera aux fondateurs du Principat.

Car dans les premières décennies du IIIe siècle av. J.-C. - après la promulgation en 300 av. J.-C, de la lex Ogulnia, qui ouvrit à l'élite plébéienne l'accès au collège des pontifes -, l'élection du pontifex maximus passa de ce collège à l'assemblée tribute3 : On ne saurait sous-estimer l'importance très considérable que dut prendre dès lors le contrôle de l'assemblée, pour un tel vote. L'assemblée électorale fut ici réduite à dix-

1. L.R. Taylor, Voting Districts..., pp. 35-68 ; infra, en particulier chap. : en cela, la censure d'Ap. Claudius Caecus en 312-308 est des plus riches cTenseigements.

2. Après 242/238, date de rétablissement de deux tribus encore, la Velina et la Quirina, on ne procédera plus à de nouvelles créations : les citoyens, comme les territoires que Ton intégrera dans Vager Romanus, seront répartis dans les trente-cinq tribus existentes.

3. Sur l'élection du grand pontife par une assemblée de dix-sept tribus, sans doute tirées au sort, en vertu d'une loi du IIIe siècle, et sur les compétitions auxquelles cette élection donna lieu à la fin de la République, on se reportera tout particulièrement à L. R. Taylor, « The election of the pontifex maximus in the late Republic », Classical Philology 37,1942, pp. 421-424 ; L. R. Taylor, Party politics..., 1977, pp. 176-186 (avec la bibliographie).

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sept tribus : pour être assuré du résultat4, le candidat devait disposer de clientèles politiques considérables, non seulement dans dix-huit tribus sur trente-cinq, comme en temps ordinaire, mais dans vingt-sept tribus au moins, et un tel contrôle devenait très difficile. On peut pourtant être assuré que se développèrent par la suite des compétitions effrénées, où le patronage de nouvelles citoyennetés prit une importance plus considérable encore que par le passé. Je me bornerai ici à évoquer l'élection pour le grand pontificat à laquelle César participa en 63 av. J.-C. : il l'emporta, mais non sans difficulté. Revêtu après 49 de la dictature, il songea à assurer sa succession au pouvoir : la transmission du grand pontificat joua alors un rôle majeur dans ses préoccupations. Plusieurs solutions furent envisagées, que Dion Cassius évoque clairement5. Ce qu'il souligne moins nettement peut-être, c'est le fait que César, octroyant à des provinciaux la citoyenneté romaine, intervint dans la composition d'un nombre fort important de tribus : L. R. Taylor a mis en particulier en évidence ces interventions qui, à ne considérer que les colonies latines de la seule Gaule cisalpine, intéressèrent au moins vingt des trente et une tribus rurales6 ; si l'on songe encore aux promotions de nouveaux citoyens que César fit, en particulier dans la Péninsule ibérique, en Afrique, ou en Gaule narbonnaise, on pensera qu'il put être en mesure de dicter à l'assemblée le choix de son successeur au grand pontificat. Mais c'était là le fruit d'une attention qui ne pouvait se relâcher.

On sait que dans les grands moments de crise, les hommes forts du moment - Sylla par exemple, et aussi bien César - songèrent à rétablir l'antique désignation du grand pontife par le collège des pontifes ; on peut imaginer qu'en introduisant de leurs amis dans le collège, il leur aurait été plus facile d'en dominer les votes. Mais l'élection du grand

4. Pour lui-même, ou pour un ami politique. Pour lever toute ambiguïté, il convient de rappeler que le candidat devait déjà faire partie du collège des pontifes, et que le vote de l'assemblée des tribus devait être ratifié par ce collège. À la fin de la République, l'élection pour tous les sacerdoces en vint à relever de l'assemblée des dix-sept tribus.

5. Dion Cassius, V, 3 ; sur tout cela : L. R. Taylor, The election..., pp. 423-424 (avec les sources et la bibliographie).

6. Les magistrats des colonies latines étaient, es qualité, citoyens romains, et l'on sait comment César venait, en Cisalpine, les engager personnellement à participer aux votes qui se tenaient à Rome ; sur cela, César, Guerre des Gaules, VIÏÏ, L, 1-2 : « L'hiver fini, [César] partit plus tôt que de coutume, et en forçant les étapes, pour l'Italie, afin de parler aux municpes et aux colonies, à qui il avait recommandé son questeur M. Antonius, candidat au sacerdoce. Il l'appuyait, en effet, de tout son crédit, parce qu'il était heureux de servir un ami intime qu'il venait d'autoriser à partir en avant pour s'occuper de sa candidature, mais aussi parce qu'il désirait vivement combattre les intrigues d'une minorité puissante qui voulait, en faisant échouer Antoine, ruiner le crédit de César à sa sortie de charge [...].

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pontife par l'assemblée des dix-sept tribus avait une telle popularité, que l'un et l'autre renoncèrent. Dans les semaines troubles qui suivirent l'assassinat de César, Lèpide osa pourtant, avec l'aide d'Antoine, se faire élire grand pontife par le collège des pontifes ; Auguste, qui lui en fait reproche dans ses Res Gestae7, se glorifie quant à lui d'avoir obtenu le grand pontificat d'un vote triomphal des tribus, après la mort de son rival.

Lèpide, cependant, pouvait se réclamer de traditions qui donnaient à sa famille, plus qu'à d'autres, des « droits » au grand pontificat : les Ae-milii ne descendaient-ils pas du roi Numa, qui l'avait institué ?

Ainsi, à la fin de la République, les conflits pour le pouvoir passaient par la main-mise sur le grand pontificat : et l'on put voir alors les adversaires opposer des traditions toutes très vénérables, et des institutions léguées par les temps fondateurs...

À l'époque augustéenne en tout cas, on insistait sur l'ampleur des fonctions qui, selon la tradition, étaient celles du pontifex maximus, « juge et arbitre des choses divines et humaines »8, et la préérninence que lui avaient donnée les fondateurs de la République9 - sinon déjà les rois10 -

7. Res Gestae, 10, 2 : « Quand le peuple m'offrit le grand pontificat, que mon père avait occupé, je le refusai, pour ne pas être élu à la place de mon collègue en vie. Je ne pris ce sacerdoce que quelques années plus tard, après la mort de celui qui s'en était emparé à la faveur de la guerre civile ; en cette circonstance, sous les consulats de P. Sulpicius et de C. Valgius, il accourut aux comices qui m'élirent, de toute l'Italie une foule telle qu'on n'en avait jamais vue de pareille : Pontifex maximus nefierem in uiui conlegae mei locum, populo id sacerdotium deferente mihi quod pater meus habuerat, recusaui. [...] Quod sacerdotium aliquod post annos, eo mortuo qui ciuilis motus occasione occupauerat, cuncta ex Italia ad comitia mea confluente multitudine quanta Romae nunquam fuisse ante id tempus fertur, recepì P. Sulpicio C. Valgio consulibus. (d'après l'éd. de J. Gagé, 1977 ; trad. Etienne, 1970).

8. Festus 185 M = 200 L : pontifex maximus, quod iudex et arbiter habetur rerum divinarum humanarumque.

9. Tite-Live, H, 2,1-2, précise : 1. Rerum deinde diuinarum habita cura ; et quia quaedam publica sacra per ipsos reges factitata erant, necubi regnum desiderium esset, regem sacrificolum créant. Id sacerdotium pontifici subiecere, ne additus nomini bonos aliquid libertati, cuius tunc prima erat cura, officeret : « Les questions religieuses furent ensuite examinées. Comme certains sacrifices publics étaient régulièrement accomplis par le roi en personne, on ôta tout prétexte aux regrets en créant un roi des sacrifices. Mais il fut subordonné au grand pontife : on craignait, en joignant à ce titre une fonction importante, d'en faire un danger pour la liberté, le principal souci du moment ». (texte et trad. CUF). Dans la même logique, l'étroite relation de parenté de Tarquin Collatin -qui avait été pourtant l'un des artisans de l'expulsion des Tarquins - avec la famille royale déchue lui vaut l'exil : Tite-Live, H, 2-11.

10. Institué par Numa pour la garde des institutions religieuses et des cultes, tant publics que privés, le premier grand pontife aurait été Numa Marcius, fils de Marcius, « l'un

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sur les flamines, les vestales et les pontifes11 ; et l'on n'a aucune raison de mettre en doute ces traditions, pour les premiers temps de la République.

Mais à cela ne se réduit pas le legs des premiers siècles de Rome : deux thèmes de réflexion doivent encore retenir l'attention.

PAROLE « LÉGITIME », RELIGION ET PROPAGANDE

Familles charismatiques et récurrence de leurs noms

À plusieurs reprises, dans les récits de la tradition, certains noms, patriciens ou plébéiens, apparaissent en effet comme des thèmes récurrents, liés à des épisodes auxquels ils semblent conférer des significations particulières ; au point que les Modernes ont soupçonné, dans les conflits divers auxquels ces noms étaient mêlés, des inventions de l'annalistique : par le récit répété, avec quelques variantes sans grande valeur, d'un seul et même épisode, mettant en scène des protagonistes dont ils reprenaient inlassablement les noms, les Anciens auraient masqué les lacunes de leurs connaissances sur les siècles archaïques. On l'a vu cependant : de telles interprétations ont conduit les Modernes à rejeter des informations que donnait pourtant la tradition à peu près unanime, et qui étaient de première importance ; ainsi, pour me borner à un seul exemple - mais combien révélateur de la méthode -, ils ont rejeté les enseignements que Tite-Live aussi bien que Denys d'Halicarnasse transmettent sur la création des tribuns de la plèbe, et sur les assemblées chargées de les élire ; cela les a conduits en même temps à considérer le grand pontife comme d'importance toute secondaire aux premiers siècles de la République, et ce n'est pas sans grande conséquence pour comprendre son rôle dans les siècles suivants, et jusque sous l'Empire. De la sorte, les récits des Anciens sont amputés de passages essentiels, pour « excès d'imagination ». Ils finissent par perdre leur cohérence profonde ; et leur adéquation, d'autre part de mieux en mieux affirmée aujourd'hui, avec les enseignements de l'archéologie, reste de ce fait pour une grande partie sans objet. De proche en proche, c'est toute l'histoire des temps « archaïques » qui se trouve mise en question ; il devient alors impossible de comprendre ce

des Pères » : Tite-Live, I, 20, 5-7 ; sur la valeur de ces traditions, et en particulier sur celle qui attribuait à Ancus Marcius une première publication des lois qui, conservées par le collège des pontifes, auraient composé plus tard le ius Papirianum : E. Gabba, « Considerazioni sulla tradizione letteraria sulle origini della Repubblica », Entretiens XIII, Fondation Hardt, Vandceuvre-Genève, 1966, pp. 162-163.

11. Les informations données par les Anciens sur le pontifex maximus, jusqu'en 300 av. J.-C, ont été rassemblées par G. J. Szemler ; RE Suppl. XV, s.v. pontifex, 342-371.

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que fut la société de ces siècles obscurs, et de percevoir son évolution jusqu'à l'émergence des institutions de la République classique. Mais ce qui se trouve aussi compromis, c'est la possibilité de retrouver les souvenirs dont se nourrissait, pour une part essentielle peut-être, l'idéologie du Principat d'Auguste, et sans doute aussi de ses successeurs.Si au contraire on accepte que la tradition annalistique, dans sa cohérence profonde, rend compte d'une certaine réalité - comme des découvertes considérables y invitent aujourd'hui -, on sera conduit à adopter une autre démarche : le sens des épisodes auxquels certaines familles sont mêlées pourrait en effet révéler les charismes que ces familles tenaient de temps immémorial, et qu'elles devaient garder jusque sous l'Empire ; des charismes dont les Anciens connaissaient si bien les significations, qu'ils n'ont guère pris la peine d'en informer leurs lecteurs. De la sorte, les noms composent en eux-mêmes comme un langage codé, qu'il importe, autant que faire se peut, de décrypter.

Projets politiques et cautions religieuses

Au cours de ces siècles d'autre part - siècles de la royauté, et premiers siècles de la République - un autre héritage s'est aussi constitué, intimement lié à l'héritage politique, et qui pèsera d'un poids tout aussi lourd dans les conflits de la fin de la République et dans l'établissement du Principat : c'est l'héritage religieux.

Sans doute plus difficilement perceptible pour les Modernes que l'héritage institutionnel et politique - on sépare aujourd'hui volontiers politique et religion -, cet héritage parcourt pourtant en filigrane tous les récits de la tradition ; sa présence se fait certes particulièrement prégnante aux moments les plus dramatiques de l'histoire de la Ville, mais sans doute n'est-il jamais tout à fait absent : ainsi, c'est sous la présidence du pontifex maximus que sont élus les premiers tribuns de la plèbe en 493, ou que sont « restaurées » en 449 les institutions de la République ; c'est à Cérès que sont consacrés les biens de Spurius Cassius après son procès et sa mise à mort ; ce sont les dieux du Capitole que Marcus Manlius invoque dans son affrontement avec Camille, qui pour sa part montre une dévotion particulière pour Apollon, pour Juno Regina, pour Mater Matuta...

Les exemples abondent de ces traditions religieuses, dont la signification politique devait être assez claire pour les contemporains de Tite-Live et de Denys d'Halicarnasse, et aujourd'hui l'est beaucoup moins : tout comme les noms des familles, ceux des dieux pourraient composer un « langage », lui aussi codé.

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On consultera d'autre part les Encyclopédies et les Dictionnaires des Antiquités, et en particulier :

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PAULY, A. ; WISSOVA, G. Real-Encyclopädie der kalssischen Atertumwissen-schaft, Stutthart, en cours de publication depuis 1893 avec des volumes de supplément).

Thesaurus Linguae Latinae, en cours de publication depuis 1900, Leipzig, Teubner.

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INDEX (thématique et topographique)

A

abolition de la royauté, 137,209 absence de certains noms, 159 abstention, 142 abus de pouvoir, 65,68,184,198 Acca Larentia, 42, 75,80,89 accaparement du sol, 119,131 accès

- au pouvoir politique, 229 - au corps civique, 282 - aux hautes magistratures, 293, 295

accusation(s), 63,133,153,169, 218, 243,245,262,306,309,311

accusé, 142,152,153,235,244,245 acquisition de la citoyenneté, 268 activités

- agraires, 119 - de l'État, 26 - domestiques, 47 - économiques, 43,45,47, 64,69-70 - pastorales, 71,133

- productives, de production et d'échange, 67,69,70, 92,99,100, 123,133,247,272,280, 297,298 - urbaines, 272,280

adfines, 54,88; voir : parenté, parentèles

Aemilia (tribu), voir : tribu(s) affranchi(s), 183,187,252,256,258,

264,267,269,273-274,276-278,280 affranchissement, 182,252 affrontements, 33,34,52,76,137,146,

179,292 âge mycénien, 16 ager (le territoire)

- priuatus, 61,116 - publiais, 61,114,115,116,118, 125,127,129,131,132,134,300, 301,308 -Pupinius, 120 - Romanus, 31,66,75,81,83,98, 102,104,107,108,109,112,114, 118,119,122,127,155,192,211, 233,281,316,317,320 - Romanus Anïiauus, 31,75,83,98, 114,118,155,281,316,317

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342 La République des tribus

- Vaticanus, 108,148 agriculteurs, 69 agriculture, 36,42,43, 44,45,47, 71;

uozr aussi activités agraires, pastorales, productives

agriculture de subsistance, 36, 71 Aius Locutius, 90 Albe, Albe la Longue, 36, 62, 68, 69,

192,210,212,217,218 192,209,210,212 Algide, 180,181,182,183,186 Allia, 236 alliances, 46,149,151,188,247,296,

298,303,304,308 amende, 63,148,169,231,237 ancêtres, 18, 55,64,260,269,285,291 ancêtres fictifs, 18 Angerona, 74,89,90 Ardo, 60,61,103 annales pontificales, 292 annalistique, 51,58,97,103,108,116,

127,135,145,208,227,291,292, 293,300,305,309,323

annexer, 16,114 Annius (nom gentilice), 269,270,271 Annus (prénom), 269,270 Antium, 304,308, 309 Anxur,228 Aphrodite, 94,97 appel au peuple, 201,203 appropriation privée (de la terre), 117,

119,177,178,234,298 ara Ditis, 220; voir : Dispater, Terentum ara Maxima, 80,283,284; voir aussi :

Hercule, Melqart, Appius Claudius Caecus, Pinarii, Potitii

arbitraire - d'une oligarchie, 26 - des consuls, 146 - des patriciens, 196 - du gouvernement décemviral, 189

archéologie (informations de 1' - ), 25, 43,49,52,80,117,152,210,216, 217,220,221,292

archives - de la Ville, 236 - des grandes familles, 18 - pontificales, 18,144, 224,260, 285

arguments juridiques et religieux (des patriciens), 198

arguties procédurières (des patriciens), 198

Aride, 96, 97,182 aristocratie

- de Gadès, 283 - de Préneste, 277,278 - étrusque, 51, 57 - gentilice, des gentes, 69,70 81, 83,84,99,100,117,123,139,190, 295,298 - guerrière, 117 - plébéienne, 304,311,319; voir aussi : élite(s) - romaine, 23,26, 34 - urbaine, 51,57,61

aristocraties (constitution des - ) 46, 49,51,53,65,66,69,72

armée(s) - civique(s), 179-192,212,229,235, 236,248,287 - de clients, 53,147,177 - gentilice(s), 52,60, 72,87, 96, 121,143

artisanat, 47,280 artisans, 69,119,194,322 Arx 76,77,78,218; voir aussi citadelle ascendance, 223,305 ascendance royale, 223 ascendants, 284, 299 asile, 70,98 assemblée(s)

- centuriate(s), 29, 31,140,145, 199,227,246,266, 318 - curiate(s), 116,122,135,136,138-139,144,147,171,198-201,213, 215, 225,316, 317, 318 - de la plèbe, 137,141-148,170, 204

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Index 343

- du peuple, populaire(s), 15,28, 30, 65,91,104,116,137,140,203, 218,225,229,248,252,254,316, 317 - réparties tributim (selon l'inscription dans les tribu), 202 - tribute(s), 15,28-31,102,128, 136,137,140,142,144,145-150, 154,161,166,168-170,180,186, 188,199-203,205,227-228,231, 232,237,243,246,266,273-274, 278,281,282,289,307,317,318, 319,320

voir aussi : comices asservissement pour dettes, 108,177;

voir aussi : nexum assignations viritanes (de lots de

terre), 113,115,165,244 association(s) (entre les hommes,

entre les villages), 44,45,54,59 Astarté, 94,95 Athéna 94,96 Atrium

- de Vesta, 89,90 - Regium, 80

Atta Clausus, 57-61; voir aussi Appius Claudius, gens Claudia

augmentation démographique, 44 augurât, 294,298,299,306 augure(s), 40, 77, 310,136,287,288,

310 auspices, 65,67, 74, 77,138,295 autel

- d'Hercule (ara Maxima), 40,42, 89,286 - de Dispater et Proserpine, 220 - de Fortuna Redux, 214 - de Juno Sororia et de Janus Curiatius 211,213 - de Vulcain (Volcanal), 89,91 - dédier un - ou un temple, 260

authenticité - des listes des Fastes, 293,294, 295,297,301; voir aussi historicité - des noms et des faits de la tradition, 22,23,45,112,129,130,

135,145,149,175,176,178,184, 188,194,208,210

autorisation - préalable du Sénat, 147 - de la loi, 108 - du Sénat, 140,147,239

autorité - d'un consul, 180,195,235, 308, 312 - d'un dictateur, 153 - d'un traité, 217 - d'un tribun de la plèbe, 229 - de Camille, 240 - des Grands), 28 - du Palatin (sur les monts et les collines), 75,76 - du patron de la gens, 55, 60, 65 - du père de famille, du pater familias, 38,88 - du roi, - royale, 84,118 - d u Sénat, 260,286,308 - politique, 15,26

auxilium, 139,143; voir : tribuns de la plèbe

Aventin, 20,68-70, 81,93-94,96-98, 176,181-184,194,235,247

B

bina iugera (lots de terre de deux jugères), 233; voir heredium

Bois Petelinus, lucus Petelinus, 245, 246; voir : Marcus Manlius Capitolinus

c

cabanes, 51, 76, 80 Cacus, 42,43; voir : Hercule Caelius (mont), 45,46,69,87,121, 210 Caéré, Caere, 24, 36, 51,56, 57, 70, 92,

94 calendes d'octobre 213 Camilia (tribu), voir : tribu(s)

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344 La République des tribus

Camïllus, (surnom, cognomen), 122; voir aussi : Furii, Camille, Marcus Furius Camillus

campagne(s) (opposée(s) à la ville), 35, 77,84, 99,117,118,120,180, 282

campum et forum corrwpiï, 274; voir : Claudii, Appius Claudius Caecus

Capénates, 239,240 Capitole, 38,40,44,48, 75,76,81,82,

212,239,244,245,265,285,324 Capitolinus, 17,153,234,240,242,243,

244,246,257; pozVMarcus Manlius caput Ferentinae 82 caractère révolutionnaire (des tribuns

de la plèbe), 138,198 caractères fondamentaux (de la

citoyenneté romaine), 315 Corinne 211,213,218 carrefour (convergence)

- de routes, 48,182 - lares des - , 88-90, 93; voir : compitalia, lares compitales

Carteia, 252,277 catégories

- de la population, 69,221 - de statuts de la terre, 61; 179 - de tribus, 281 - sociales et politiques, 35,179;

caution religieuse, 200 censeur(s), 28,29,164,235,257,260-

261,263-264, 266,271, 282,284, 287 censure, 165-166,169,251-257, 259-

261,263,265-267,278,281,284, 287,289,320

centre - politique et religieux dans Rome, 51,76,81,274 - politique et religieux de la ligue latine, 82,87,93,96,166,183,279

centres - d'échanges, 70 - de peuplement, 44, 47,48,

centuries équestres, 186 centurions, 177; voir : asservissement

pour dettes

cérémonie d'auspication, 222 Cérès, Liber et Libera

- patronage des mariages plébéiens, 21,193-196 - temple de l'Aventin, 130,144, 204,324

César, 94,98,137,262,298,321 Champ de Mars, Campum, 220, 245,

255,260,261,266,274 charges décemvirales, 165 charisme, 133,214,215,221,222 chef(s) de gen(te)s, 34,54-55,116,122-

123,131-133,145,209,298,304-305,308,316

chefs de famille, 38,54 chefs de la plèbe, 100, 308; voir : plèbe Chiusi, 57 chronologie (questions de - ), 22,40,

73,103,104,107,108,137,268,285 chthonienne (divinité), 94 circonscriptions, 28, 84,115,167,198,

319; voir : tribus Cispius (mont), 46 citadelle, 77,218,235,236,243,245,

307; voir aussi Arx citadins, 252, 255,258,280 citation en justice, 244 cité ouverte, 30 cité romuléenne, 211 cités latines, 78,81,97-98,108-109,

112-113,129,275 citoyenneté

- ancienne, de souche, 29,196, 240,273,276,279-280,282,318-319; voir : integer populus - optima iure, 101,279 - ouverte, 315-316 - potentielle 275 - romaine, 27-28,30-31,240,252, 268-269,271-272,275,277-280,282-283,286,315-316,318-321

citoyens - de date récente, 278-279 - optimo iure (de plein droit), 101, 279

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Index 345

- romains, 15,28-29, 31, 69, 83, 87, 93,101-102,108,116,118,122,134, 137,166,180,190,196,205,216, 239,240,244, 248,252,254,263-264,266,269, 273,276-280,282, 297,309, 318-321 - sans terre, 116,118

ciuitas sine suffragio (citoyenneté sans droit de suffrage), 107

classe - dirigeante, 123,247 - du recensement, 29; voir : classis - politique, 169,232,247,266, 304, 319

classis 177,179 voir armée(s), comices centuriates, recensement

Claudia (tribu), voir : tribu(s) client(s), clientèle(s), 51-55; 58-69, 72,

88,99,116-119,124,131,133-136, 139,141-145,148,150,152,154, 166,169,171,175-180,183,187-191,193,196-200,202-203,205, 229,233-234, 237,246-247,271, 282,293,297,302-308,316-319,321

clientèles d'un type nouveau, 232 clientèles politiques, 234,246,282,321 cloaca Maxima, 78 Cloacina, Cloacine, 95,181,190-192,

195,212,219 cluere, 191,212,219 Clustumina (tribu), voir : tribu(s) code de la clientèle, 63,65, 66,141,

142,178,237, 318 coercition, 59,145 cognomen (surnom) Camillus, 122 collège

- des décemvirs législatifs à pouvoir consulaire, - décemviral, 149,151,164,167-168,223,229, 293,296,301,309-310 - des pontifes, pontifical, 224,238, 285,286,288,289,320-323 - des tribuns de la plèbe, tribunicien, 140,149-152,154,229, 302,312 - des tribuns militaires à pouvoir consulaire, 152,238

colline plébéienne, 69 collines (de Rome), 33,34,36, 40,43,

44,48, 69, 72, 75,218 colon(s), 27,277,279 colonia lïbertinorum, voir : Carteia

(colonie latine près de Gadès), 252 colonies, 36,46,108,279,280,321 comices

- centuriates, 266,282 - curiates, 91,138,140,198-200, 235,308 - tributes, 112,135,145,180,261, 264,266,276,302,308

voir aussi : assemblée(s), comitia, concilium plebis

comitia, 146,170-171,182,201,234, 259,322

Comitium, 76,77,91,93,212, 215,216, 264,265,285,286

communauté - civique, 95, 98,166,192,212,281 - politique, 65,117,316

communauté(s) de village, 33, 35,38-39,44,46,48-49,54,56,72, 75,118, 139,316

compétitions (économiques, sociales et politiques), 33,52,62,168,320, 321

compilation des lois, 224 compitalia, 84,88,90,93,120; voir aussi

lares des carrefours composition des assemblées, 145,205,

320 comput (calendrier), 40,73 concentration(s) (du peuplement, des

richesses), 44,47,48,49, 75 concilium (concilia) plebis, 140,146,180,

201 concorde, 181 Concorde, 260, 282; voir : temple(s);

voir aussi : Cneus Flavius condamnation(s)

- de Caeso Quinctius, 168, 309 - de Camille, 237,319 - de Marcus Manlius Capitolinus, 245-246

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346 La République des tribus

- de patriciens par l'assemblée populaire, 142,145,167-169, 237, 320 - de Spurius Cassius, 21,129,133, 153,194,223,304 - de Spurius Maelius, 153 - des endettés, des insolvables (nexi), 178,242

confins, 42, 74,75,95,182,192,211, 212,219; voir aussi : passage(s)

conquête(s) - de territoires, 16,29,31, 61,107, 112,114,119,125,131,182,248, 252,263,265,266,277,319 - et création de tribus, 61,112, 112,134,135,145

conscripti (aristocrates plébéiens inscrits comme sénateurs), 129, 295

constitution romaine, 26,28 consulaire(s), voir tribuns militaires à

pouvoir consulaire consulats, 149,153,158,163, 209,216,

243,304,322 consuls, 16,26,60,103,129,132-133,

139-140,142-144,146,149,151-154, 157-158,168,170,180,189-190, 196,199-200,204,231-232,234, 248,263,265-266,275-276,285, 289,294-295,299,301-302

consuls plébéiens, 129,194, 223,295 continuité du nom et de la famille,

293,304 contraintes

- de la clientèle, 69,188,190,193 - des structures gentilices, 116

contrôle (par les patriciens) - de la légitimité des mariages et des naissances (conubium), 188-191,194-196,217; voir aussi intermariage - du droit {ius), 61,66, 289; voir : droit {ius), détenteurs du droit, maîtrise du droit - du passage du Tibre, 46 - militaire, 72

- politique, 36,46, 83, 99,128,149-151,188,201, 203-204, 227,244, 126,128,142, 200,201, 281, 282, 289,308,315,317, 318, 319,321 - social, 51,57 - sur les terres, les productions et les richesses, 52, 61,62, 69,100, 134,178,232,247 - sur les tribuns de la plèbe et les assemblées, 137-147,149-151,154, 168,170,171,177,188,201,246, 289,319

conubium, voir intermariage convoquer (l'assemblée), 199,200 cooptation (des tribuns de la plèbe),

81,150,151,152,228,229,303,312 Corioli, Corioles, 304 corps civique, 30, 33, 39, 60, 70, 73,81,

84,93,101,116,122,124,169,196, 210,213,249,252,282,316,317, 318

couches sociales, 53, 69,72,116,122 création 28,31,57, création

- de Vager Romanus Antiquus 114 - de la dénomination gentilice, 57 - de tribus, 31,101-103,107,109-110,113,115,122-128,134-137, 139-140,144-145,154,157-158,160-163,165-166,168-169,175,196, 200,203-204,240, 245-246, 280-281, 303,308,316,319-320,323 - des comices tributes, 112 - du décemvirat législatif, 306 - du grand pontificat, 223 - du tribunat de la plèbe, 28

crime contre l'État, 245 critères

- de distinction entre plébéiens et patriciens, 294,295,296,302 - pour le choix (par les patriciens) des génies éponymes de tribus, 123,129,154,160,161, 291

cruauté 189 Crustumerium 126,180,181

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Index 347

culte - ancestral, 55 - aristocratique, 194 - d'Hercule à l'ara Maxima, 284 - de " passage ", funéraires 42 - de confins, de frontières, 42,45, 48,80-81,217 - de Diane sur l'Aventin, 97 - de Dispater et Proserpine, 221, 229, - de Feronia, de Diane, 182 - de Fortuna, 192-194 - de Vulcain, 92-94 - des lares des carrefours (lares compitales), 89-90 - des origines 42,74,89 - impérial, 16 - infernal, 221 - privé, 88 - prophylactique, 221

curiae ueteres (curies ancienes), 40,72, 139,316

curie(s), 33,39,73,110,116,122,138-139,160,171,316,318

curies anciennes, 316

D

datation, 22,98,112,158,159,161,182, 213

decemuiri consulari imperio (decemvirs [législatifs] à pouvoir consulaire), 169

décemvirat législatif, 123,146-150, 163,168

decemvirs du second collège, 180 deditio infidem, entrée en clientèle, 59 définition du citoyen, 190 demeures des Valerii, 217 démission immédiate (des

décemvirs), 182 démocratie, démocratique, 26,28 demos, 142 dénomination

- de Cneus Flavius, 269-271,277

- des citoyens optimo iure, 101 - des curies, 160 - des tribus, 110,112,125,158,163 - gentilice, 55-58

dépendance, 55, 61,63 dépendants, 30,33, 51,117,118 descendance, 50,191,294, 307, 313 descendants, 58,65,187,201,269,298,

305 détenteurs du droit, 178 dettes, 71,108,177,179,247,248 développement

- architectural, 80 - de couches sociales nouvelles, 69 - démographique, 47 - des relations maritimes, 94 - des villes, urbain, 21,49,57,72 - pré-urbain, 39

Diana Nemorensis (Diane de Némi), 97, 182,183

Diane, 20,45,70,81-82,93,95-98,182-183 - de l'Aventin 93,97,98

Dianium (autel de Diane), 94 dictateur, 153,165, 235,239,242,247,

248 dictature, 163,237,238,321 différenciations, 38,48-49, 54,71, 99,

100,129,297 difficultés pour les patriciens, 227 diffusion de la citoyenneté romaine,

du droit de cité, 30,252, 319, 320 direction de l'État, 227 disparition des gentes, 196,246 Dispater, 220,221 dissolution des structures gentilices

de la société, 179,230,298 dissoudre l'assemblée, 199 distribution(s)

- agraires, 134 - d e blé, 152 - des terres, 61 66,83,232,240, 246

Diualia, 74

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348 La République des tribus

Dius Fidius, 20 divagations des troupeaux, 71 division sociale du travail, 47,119 documentation, 17,18,21, 35,43, 53,

54,102,107,112,160,162, 209,270, 292

documents épigraphiques, 56, 78, 300 domaine public, 60,130 domaines

- des patriciens, 247 - des plébéiens, 178 - des vivants et des morts, 74 - des gentes, gentilices, 118,130, 134,144,178-179

domination 16,34,54, 94,100,107, 118,122-123,134,139-140,145, 148,152,162,171,203,316,317 - patricienne 107,123,140,152

domus - de Marcus Valerius Maximus, 218 - regis sacrorum, 76,80 - Regia, 89,91,93

Droit (iws), 61,63-66,143-144,146,168, 178,191,200,222,224,260,283, 285,288,289,317

droit - augural, 66 - d'auspices, 65,295 - d'intermariage, (conubium), voir : intermariage - de cité, 27,28,29,30,59, 69,103, 320 - de juger, 178 - de proposer des lois, 147 - de suffrage, 28,317,318 - de vote, 28,29,30,31 - des Quirites, 27

duxfatalis, 234,235; voir : Furii, Camille, Marcus Furius Camillus

E

effacement des gentes, 185,298 enceinte sacrée, 122

endettement, 177,179,242,248 enjeu(x) (politiques), 135,137,168,

178,183,194, 207,228,238, 281, 306,310,319

enrichissement, 84 entrée en clientèle, deditio infidem 59 Eretum, 180,182,220 esclavage, 27,181,184,187,190-191,

193,248, 252, 258, 267, 274,276, 280

esclavage-marchandise, 248 esclave(s) affranchi(s), 252,267,269,

273,277-278 espace 31,42-44,50-51, 61,73-78, 89-

93,212-214,216,218 - civique, 76, 212, 213 - urbain, 31, 73

Esquilin, 44,48,50, 94,218 Esquilina (tribu), voir : tribu(s) exclusion de la communauté, 65 exclusion de la plèbe, 132,136,227,

283,300 expansion

- territoriale, 104 - urbaine, 280

exploitation collective, 177 expulsion, 199,224

- des Tarquins, 305,322 extension, 21,35,102,107,108,109,

110,112,113,126,160,213,248 extension du territoire, 110,112,113,

126

E

échanges, 47,61,64,69,70,84,107, 115-117,119,123,131,141,152, 167-168,176-180,183,197,202, 247,252,280,297,319

écriture, 19,22,56, 57,78 édiles de la plèbe, 144,281 édilité, 255,264-267,274, 288 élargissement du territoire, 66,83,93,

248 élargissement du corps civique, 84,93

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Index 349

électìon(s) - à l'édilité curule (de Cneus Flavius), 264,243,255,261,266-267,274,276,278 - aux sacerdoces, 288,321-322 - consulaires, des consuls, 149, 152-153,180,228,295 - des " magistrats de la plèbe ", des édiles de la plèbe, 136,161, 202,281 - des magistrats, 318,320 - des tribuns militaires à pouvoir consulaire, 123,230 - du grand pontife, 204,289,320-322 - tribuniàennes, des tribuns de la plèbe, 135,138-139,143-146,150, 152,164,170-171,180,184,186, 197-202,222,243,281,303,308,312

élevage, 36,43,45,47 élevage transhumant, de

transhumance, 36 43,47 élimination politique, 229 élite(s)

- plébéienne, 123,126,128,148-149,151-153,168-169,178-179,188, 223,227,229-230,247,296-298, 300,306,310-312,320 - sociale(s), 29-30,52,100,123, 128,167,177,188,190,193-194, 210,238,257,272,289,295,301, 304,308,317-318

émancipation des clients, 189 émeute, 135,143,311 émigration, 154,230,231,232,237 empêchements religieux, 200 épeautre, 39

éponymes (gentes - de tribus), 154, 162-165,167

époque - augustéenne, 15, 25,183,184, 185,209,218,232,322 - royale, 18, 62,65,66, 67,123, 158,160,295,298

épuration, 166

État, 26, 63, 65-66,69, 75,81,99,163, 168,178, 211,215,222,227,229, 245,265, 275,285,304

étrangers, 30,69, 70,84, 96,98,134, 183,196,269,278,284, 316

étrusque(s), 22,24,46,53,55-58, 78, 80,87, 92,94,97,100,121,124,133, 300, 308

Étrusques, 16, 22,24,30,34,46-47, 56-57\ 70,72,78,87,92,94,98,215, 235,239,295,300,304,305

événements fondateurs, 170,204 événements politiques falsifiés, 222 éviction politique, 311 évolution(s), 25,27,31,33-35,38, 43,

45,49-50,52,67,99,118,131,133, 140,162-163,201,205,230,249, 268,281,297,298,319,324

F

Fabia (tribu), voir : tribu(s) faction(s), 112,151,169,194,223,229-

231,244,253-256,273-274,276, 278,285,288-289,292,297,301, 305,309-310; voir aussi iforensis factio - patricienne, 223,229, 309 - dirigeante, 254

Fagutal, 46,218 Faléries, 239,240 Falisques, 56,239, 240 falsifications (dans les archives des

grandes familles), 18,20, 291 famïliajamiliae, 21,54,204,291 famille(s), 18,24-26,38,46-56,58, 60-

64,66, 69,71, 78,88,100,104,133, 158-160,162-165,168,187,193, 207, 209,211,214,223,232,244, 272,283-284,291,293,295-296, 298-299,302,304-308, 310, 313, 322, 324 - illustres, 64 - patriciennes, 162,163,193,293, 306 - plébéiennes, 293,295,296, 304

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350 La République des tribus

Fastes, 40, 74, 87-89,91,122-123,133, 149,154,157-164,166-167,169, 201,209,214,216,227,284,291-295,297-299,303,307,310 - consulaires, 20,132

fata (destins) tyrrhéniens, 122,235 Faunus, 42, 74,80;voir aussi : Acca

Larentia fautor et cultor bonorum, 259,260,276,

282,289; voir : citoyens romains de souche, integer populus

fédérales, 108; voir : colonies feneratores, 286; voir : dettes,

endettement, nexum feriae stultorum 39; voir : fêtes, curies,

Quirinalia, Fornacalia fériés latines, 45 fermeture

- de la citoyenneté, 319-320 - du patriciat, 125,128

Feronia, 182,183 fêtes, 39,48,74,84,89,90,114 fétial, 217 Ficana, 36, 69 fidélité politique, 239,319 Fidènes, 108,113,114,126,180 fils d'affranchi, petit-fils d'affranchi,

252,256; voir : libertini fin

- de la période royale, du VIe

siècle,33,52,100,114 - de la République, 25-26, 73,101, 104,116,121,138,141,153,182, 183,184,185,193,195-196, 209, 213-214, 232,261-262,265-266, 268, 272,276-277,280,292-293,298-299, 318,320-322,324 - des communautés de village, 49, 160 - des gentes, 188,230 - des temps archaïques, 247 - du IVe siècle, 262-263,271,281-283,310

fixation rituelle des confins, 211 flamines 323, foedus Cassianum, 20,109,130, 275,276

fonction des tribus, 135 fonctions religieuses des rois, 224 fondateur(s)

- de la gens, 54,88 - de la République, 201, 208,216, 221, 223, 224 - des institutions de la République, 72

fondation(s), 17,27-28,34, 39-40,46, 48,60,67,72-73, 81-82,91, 93,95, 98,132,150,168,187,191,194-195, 207-209,217,219-221, 236,238, 260,265, 279,284,286,308 - de la République, 28, 67,132, 207,209 - de la Ville, 34,195,265

forensis -factio, 253,255,258-262,264,266, 273-274,276,278-279,282-283,289 - turba, 258,260

formulaire, 200,224 formule de convocation (de

l'assemblée), 199 formules rituelles, 200 Fortuna, Fortune, 43,58,59,70,87,88,

91,93-98,182,187,192-196,214, 217,235 - et Mater Matuta, 70, 95 - Muliebris, 187,192,193,194,195, 196,217

forum 19,38, 40,42-44,48,50-51, 70, 72,76, 78, 80,91-92,94-95, 98,147, 231,239,253,255-256,259-261, 265-266,269,273-274,276,282,284

Forum Boarium 40,42,44, 70, 78,94, 95,98,284

fossae Cluiliae, 192,210,212,216,217 fosso Galeria, 126,127 foyer(s), 55, 77,87-90

- familiaux, 88,89 - royal, 77, 87-90

frontière(s), 76, 89,95,108,114,182, 192,210-212,216-217

fusion des familles, 298

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Index 351

G

Gabii, 20,35,38,48,49 Gadès, 283,284 Galena (tribu), voir : tribu(s) garantie religieuse, 210 Gaule cisalpine, 321 Gaule narbonnaise, 321 Gaulois, 18,56,102,234-237,242,245 généalogie fabriquée 305 génétique(s) (tribus), 83,102,115 gens, génies, 24,46,53-55,58-72, 81-84,

88,91,99,100,114,116-120,122-123,126-128,131-135,139-142,147-148,150-155,158,160-167,170-171, 176-180,183,183,185,187-190, 194-202, 204-205,209,213-215,220, 221,228,230,233-234,237,243, 245-248, 260,280-284,294-295,297-300,302-304,307-309,315-319 - de second rang, minores, 62 - éponymes (de tribus), 154,162-165,167 - maiores, 295

gentilis, gentiles, 58,187,189-191,195-196,203,205,310

gentilices (noms), 53,58, 70-72,104, 108-110,112-113,116-119,121-125, 128,131,133-137,139,144-145, 157,160,162-163,165-166,168-169, 179,187,196,201,202,208,230, 234,270,281,298,300,303,307, 319

géographique(s) (nom(s) - de curie ou de tribu), 30,57,115, 127,167,280

Germai (mont), 46 gestion de l'État, 65,168,229, 304 grand pontife, 182,201,223-225,260,

285,289,320-323 Grande-Grèce, 288 grands jeux (ludi Maximi), 235 Gravisca, 70, 92,94, 95 Grecs, 16,22,43,56,57,69,70, 92, 94,

97-98, 269

guerre(s), 17,21,26,42,52, 58-60,62-63,66,74,76,82,87,100,107,121, 137,177,182,194,209-210,212, 220,235,239,242,248, 271, 275, 285,304,305,322 - privées, 100

- punique, 17,177,220

H

Haspnas (nom gentilice étrusque), 53, 58; voir : armées gentilices, clients, clientèles

hautes charges, 169,275 hautes magistratures, 123,134,148,

152-153,162,178,227,230,293-295,297,306

hégémonie, 81 Hercule, 40,42-43,70,80, 96,283,284,

286; voir aussi : ara Maxima - Inuictus de Vara Maxima, 284 - Victor de Tibur 284

heredium, heredia 66,71 héréditaire(s)

- domination - , 54 - droit - , 66 - nom - , 56,58 - pouvoirs - , 123 - rapports économiques et sociaux - , 67 - suprématie - , 52

héritage(s), 16,34, 72,90,118,146, 315, 320,324

Herniques 130,131,137,193-194, 242 héroon de Romulus 91 hétérogénéité, 316 hiérarchisation, 38,49,52,53,118 histoire événementielle, 25 historicité, 17,22,137,140,184,216,

296 hommes de bien (boni [dues]), 282 honestus, 186 honneurs (rendus), 16,81,132,

Page 352: (Tempus_ Collection historique) Janine Cels-Saint-Hilaire-La République des tribus _ Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République romaine, 495-300 av. J.-C -Presses

352 La République des tribus

honneurs (magistratures), 216, 275-277,287; voir aussi : ius honorum, magistratures; sacerdoces

hoplites, 53; voir : armée(s) Horatia (tribu), voir : tribu(s) hostis 264, 275,277; voir : Quintus

Anicius de Préneste huile, 69 humble, d'humble condition 255,260,

272; voir : humilis-humiles humilis, humiles 252-253,257,260,261,

262,265,272,274,278-283 humili fortuna ortus, 259-260,265,272-

273,278; voir : Cneus Flavius hypercritique, 20, 35,107, 253

I

identité (personnelle), 55,58, 268 idéologie, 26,49,51,58, 65,96, 99,261,

324 idionyme, 56, 58,270,271; voir aussi :

dénomination ignorance, 65,292 immigrants, 57,69, 84,95, 98,282,316 imperium, 15,67,74,138,199, 213,297,

305; voir : pouvoir impôts, 84,99,116,118 in summa Velia ( en haut de la Velia),

218 incendie

- de la Ville, 236 - de Rome, 18

incensus (citoyen non recensé), 27; voir aussi : droit de cité

incinération, 38,44 indépendance, 84,118,122,142,144,

145,146,148,149,150,198,280 indices de différenciation (entre

patriciens et plébéiens), 297 indivision (régime de 1'- ), 131 inégalité(s), 49-50 informations (des textes, de

l'archéologie), 15,17-18,35, 64,73, 80,102,109,110,112,121,127,133, 136-137,138,141,146,158,162,

176,180-181,183,186,198,200, 209,210,214,219, 220-221,222, 223,227,229,236, 256,259,264, 265,267-268,273-274,292, 303-304, 311,323

ingenuus, ingenui, 267-268,269,280 inhumation, 44 initiative tribunicienne, 154 injustice, 188,237 innovation(s), 93, 99,198,237-238-238,

265,283,286,298 Inregillum, 59 insolvables (nexï), 178, 242 institution(s), 16,19,33, 35,39,54,72,

88,99,104,120,125,130,137,139, 147,149,170,204,205,207,209, 221,222,315,318, 322,324 - de la République, 72,204,209, 324 - politiques, 19 - religieuses, 120,170,204,322 - républicaines, 16,33,137,149, 207,221, 315

integer populus 259,260,273,276,282, 289; voir : citoyens de souche

intégrateur, 101,169,284 intégration (des immigrants), 57,60,

70,81,83,-84,92-93,98,101,103, 116,196,252,279, 316,317

inter cessio (d'un tribun de la plèbe), 139,140,154,204, 312

intérêts - privés, 254 - publics, 131

intermariage, 189,193,195,205; voir aussi : droit d'intermariage, conubium

interpolation(s) (des noms, des événements...), 222,294,295,296

interpolé(s) (noms, événements), 208 interprétation(s) (des Modernes), 18-

19,23,34,49,53, 64, 73,81, 83, 91, 92,101,104,107-109,114-117,124-127,144,147,151,153,157,162, 165,166,168,180,188-189,209, 216, 233-236,244,247,252,253, 259, 261,272,274,275,276,281,

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Index 353

284,287,292,294,296,302,304, 308,311,316,323

interrois, 299 inventions (des Anciens), 25,183,215,

222,323 inviolabilité (tribunicienne), 170,204,

205 invraisemblances du récit, 152,301 Ischia di Castro, 53 Ishtar, 94 iunior es, 168 ius (le Droit), 64,146,179,199,224,

225,259,271,275,276,285,320, 323; voir aussi : droit - honorum (droit aux honneurs), 276,320 - Papirianum, 224,225,323

J

jachère, 71 Janicule, 108 Janus, 192,211,212,213

- Curiatius, 213 jeux séculaires, 220; voir : ludi

saeculares; Valerii jugères, 71,148,232,233,248 /imo, Junon, 95, 97,235, 239,245,247,

324 - Sororia, 211,213 - Regina, Reine, 235,245

Jupiter - Capitolin, 21,215, 235 - des régions infernales, 141 - Latiaris, 45,77, 81 - Stator, 76,212,218,219

L

Ubici, 108,131 lacunes religieuses, 200; voir tribuns,

tribunat de la plèbe Lavis Niger (Volcanal), 19,21 lar familiaris 88; voir : Lares Larentalia 75; voir : Acca Larentia

Lares 40,55,72, 74,87, 88,89, 90,218 - compitales (lares des carrefours) 88,89,90 -familiäres, lares familiaux, 55, 88 - Praestites (lares Tutélaires) 89 - royaux 88

Latins 23,24,36,45,56,57, 62, 75-76, 78,82,92,97,98,104,113,125,130, 132,137,194,242,271,276,277, 304

Latium, 21,24, 34-36,38,43-45,47-50, 62,98,114,121

Latium Vêtus, 35,44 Lauinium 36,48 lectio senatus (liste des sénateurs), 255,

257-258,261-263,265-267,276,278; voir : Appius Claudius Caecus

légende(s), 17,23,24,39,42-43,76, 130,209,211-212,215,221,236

leges, 143; voir aussi : loi(s), lex législateur, 93,120 législation, 27,149 légitimation, 25,171,193,194,204

- des mariages, 193,194; voir ausi droit d'intermariage, conubium, légitimité

légitime(s), 55,189-191,192, 323 légitimité, 66, 83, 86,93,180,188-190,

192,194-196,217,225,309,317-318,320

légitimité - des mariages, 189,190,192,194-195,217, 309 - des naissances, 188,190,192, 194-196 - du roi Servius Tullius, 86

Lemonia (tribu), voir : tribu(s) levée militaire 139,143 lex (loi) 20-21,127,130,136,138,140,

144-145,147-148,153,161-162,166-167,171/175,180,186,197-200, 202,204-205,222,228,231,244, 265,281,288, 299, 302-303,308, 310,320 - Canuleia, 153 - Ogulnia, 222,288,299,310,320

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354 La République des tribus

- Publilia, 122,136,140,142,144-145,148,161-162,166-167,170-171, 180,186,197-200, 202,205, 222, 244,281,302-303, 308; voir : Publilii, Voleron, Volerò Publilius - sacrata, 175 - Trebonia, 228

üben (" libres "), 55,166,233 libertas, 17,28,285,286 Hberté, 27-28,31,69,87,120,130,170,

175,180,181,182,183,185,190-191,195,196-197,201,205,221, 243-244,248, 260, 309,318, 322 - des citoyens, 180,205 - républicaine, 190,196, 221

lïbertinus, libertini, 28,251,252,253, 255,256,257,258,260-261,262, 264,267-269,271,273-274,276-279, 282-283

Hens de cHentèle, 144,179,193,234 Heu(x)

- (sacré) du temple de Jupiter Capitolin, 82 - d'asile, 182-183 - de culte liés au Vélabre, 42 - de cultes et centres d'échanges, 70 - de la première sécession de la plèbe, 184,188 - de rassemblement, 45 - des demeures des rois, 218 - primordiaux du culte des lares compitales, 89,90 - sur les frontières de Yager Romanus antiquus, 114

Hgnage(s) 58 Hgue

- des trente peuples albains, 45, - des vülages sabins, 75 - latine, 20,81,93,96,126,182-183,210,220,275

Hrnites sacrées, 40,72,74,114,119 Hstes de magistrats, 18,21,161,292 loi(s), 20,54, 63-64,67,71-72, 74,82,

91,123,127,129,130,131,133, 135-154,162,165,167,169-170,178,

180,186,188,189,190,193,196, 197,198,199,200,202-205,217, 224-225,228-234,236-237,243,245, 247-248,260,263,279,281,287, 288,289, 293-294,298,301-303, 307-308,312,318,320,323; voir aussi lex, leges - agraire, 127,130,133,139-142, 154,193, 229, 233-234,236,248, 301,308 - de 449, lois Valeriae-Horatiae, 171,203-205,318 - des Xn Tables, 144,146,148-149, 178 - iniques, 189 - tribuniciennes, 248

lots de sept jugères, 232; voir aussi : bina iugera

lucus Feroniae, 182,183; voir : Feronia ludi saeculares, 220,221; voir : jeux

séculaires, Valesius, Valerii lustrations, 211

M

magistrats, 18, 21, 68,103,133,135-136,138-139,144,161,197,202, 213,230,238,292,294,301,309-310,318, 321 - de la plèbe, 135,136,144,161, 197,202 - revêtus de l'imperium, 213 - sine vrouocatione, 204

magistratures, 26, 63,70,123,134,148, 152,153,162,166,167,178,179, 202,225, 227, 230, 265,291, 293-295,297,306, 307,

maison(s), 51,53,77,87,89,93,94, 217,218, 219, 232-233,243,248, 299; voir aussi : domus - construites en pierre, 51 - royale(s), 51, 89

majorité d'une voix (=d'une tribu), 232

manipulation (de l'opinion, des assemblées), 244,292,294

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Index 355

manumissus, manumissi, (affranchi(s), émancipé(s)), 267-269

marchands, 69,119 mariage, 153,188-196,217,223,309;

voir aussi intermariage, droit d'intermariage, conubium

mariages patriciens, 189,195 mariages plébéiens, 193,195 Mars, 23, 74, 220, 245, 255,260-261,

266,274 Marseille, 97-98 Marsyas, 286 masses populaires, 273,315 Mater Matuta, 70, 78,95-96,192,247,

324; voir aussi sanctuaire, temple matronae uniuirae, 193; voir aussi :

légitimité des mariages matrones, 191,239 Melqart, 42, 70, 80, 96,284; voir aussi :

Hercule mémoire du groupe, 66 Menerva, 22,94 mère des Lares, 74; voir : Acca Larentia Mézence, 24 Minerve, 22, 95,245 minores gentes, 295 mobilité, (géographique et sociale) 30,

57-58,92 modèles orientaux, 51 monopole (des patriciens sur les

éléments du pouvoir), 65-66,123, 132,152,153,294,317

mont Sacré, 61,176,181,183,184,221 mont Corné, 97 monts de la Tolf a, 36 monts Albains, 45 muraille(s), 40, 72, 73,74,78,83,90,

213 mutations (économiques, sociales,

religieuses), 34,44,46, 69,101,102, 168,185,232-233, 236,246,249, 279,297

N

naissances, voir légitimité des naissances

nation latine, 82 nécropoles, 44,49,58 Némi, 182 nexus, nexi, nexum, 108,177-179; voir

dettes, endettement, asservissement pour dettes

nobiles, nobles, 199,259,289 nobilitas, 265,272,279,289,292 noblesse, 131,198,262,266, 273, 284 nombre des tribuns de la plèbe, 311,

312 noms

- gentilices, 104,108-110,112-113, 123-125,128,135,137,139,145, 160,162,165-166,202,281,307 - géographiques, 84,122,227,281; voir aussi - topographiques - patriciens, 193,291,294,299 - plébéiens, 123,193,230,291,294, 297,298,300 - topographiques, 102,107,115, 119,124,126,127;voir aussi noms géographiques

nouveaux citoyens, 28, 93,116,122, 239,240,252,263,282,319, 321

nouvelles productions, 47, 67, 71,297 nouvelles tribus, 31,104,109,124,125,

134-135,137,200,227,239, 240, 245,246, 280, 281,317,319, 320

nubiles, 213; voir aussi mariage, matrones, légitimité des mariages

o

obstruction (manoeuvres d'- des patrons de gentes), 146,147,148, 168,200,317

occupatio (régime de la terre), 43,125 oligarchie, 26,27 olivier, 47,69 Opalia, 74t; voir fêtes, fêtes religieuses

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356 La République des tribus

Oppius (mont,) 46 oppositions de factions, 229, 310 ordre équestre, 186,265, 277 organisation

- centuriate, 29, 84,266 - gentilice, 99,138,191 - patriarcale, 57

organisations de la plèbe, 148,154 origine(s)

- patricienne (d'un personnage), 187,309 - de la Ville, 118,139 - de Servius Tullius, 34, 86

ouvert (caractère - de la cité), 57 ouverture des relations extérieures,

252,271 ouverture (à la plèbe, aux nouveaux

citoyens) - de la cité, du corps civique, 23, 29,30,304,320 - de la classe politique, du Sénat, des hautes magistratures, 169,229, 230,278,320

- du collège pontifical, 289

P

paganalia, 84,120; voir aussi fêtes,

lares, lares compitales pagus, pagi, 75,83,116,118,120

- Lemonius, 120 - Sucusanns, 120

Palatin, 38,40,42,44,46,48, 72-77, 90, 211-212, 218, 219

Paies, 40; voir : fêtes, Parilia blé dur, triticum durum, 39 parentèle(s), 49-50,52,55 Parilia (fêtes de Paies), 39 partage

- agraire, 165,234,236,245,247 - du consulat, du pouvoir avec la plèbe, 230,, 247,287,300 - individuel des terres, - uiritim, 26,119,125,126,128,131,132,134,

165,193,195,229,132,232, 237, 232,234, 236,237,245,301,308

participation, 29,84,141,145,154,166, 178, 202,232

passage(s), 75,89,90,130,192,212-216,220-221,323; voir aussi rites, rituels - du Tibre, 33,40,42,43,46,48, 215, - passages d'âge, 214,221

paterfamilias, patres familias, 88, 233 Patres, 65-66,117,123,131,136,143,

165,169,179,182-183,185,189, 197,201, 205,210, 227,229, 231-232, 234, 238,240,242,244,256, 295,298-300

patriciat, patriciens, 31,58, 60-61, 63-69.71, 83,100,104,117,119,122-123,125,128,129-154,168-169, 177-179,182-183,187-200,202-203, 205,209,221,223,227-232,236, 240,244, 247-248,281,286-287, 291,293-304,307-313,316-318,323

patriciens conservateurs, 179,188, 194, 303,311

patricii, 66,228 patronage(s), 55 63-64,66,82, 84,93,

95,190-191,194-196,213-216,220, 221, 225, 238,239-240,245, 319,321

patronner, 97,215,221,282,319 patron(s) (de gens), 34, 53-55,58, 61-

69.72, 82,84,88,91,93,99,117-119,122-123,126,128,131,134, 135,139,141-142,144,147-148, 154,166,171,177,178,179,187-189,191,196,198-200,202, 204-205, 233, 237,243, 281,287, 293, 302-304,309,317

paysannerie, 177 Pénates, 218,247 pérégrin(s), 252,263,269 pérennité des clientèles, 191 Pères (sénateurs), 62,69, 81,84,130,

132,153,170,204,228,230,231, 232, 311,312

pestilences, 222 petites gens, 61; voir aussi : humïles,

libertini

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Index 357

peuple, 26-31, 56,60, 65,69, 73, 80, 88, 91,110,116,133,135,138,140,143, 146-147,149-150,166-167,176,183-184,190-191,193,196-197,199-203, 205,216,218-219,225,229, 232, 234-235, 237,243-246,248, 256, 260,264,272-273,276-278,282, 285-287,316,318-319,322 - romain, 28-29,31,60,69, 73,80, 88, 91,110,150,176,183-184,190, 196,201-203, 205,216,225, 232, 234,237,248,276-277,278, 282, 316,318-319

peuplement, 39,44-45,47,49,108 peuples latins, 45, 81, 82,211,279 Phéniciens, 43, 70,80, 94 plaine Pontine, 36,43 plèbe, 28,31,64, 67-70,71,81-84,95,

98-101,115,119,123-126,128,129-154,161,164,166-170,175-186, 188-191,193-205,207,221-223,228-237,240,242-245,247-248,260, 264-267, 281-282,286-289,295-312, 315,317-318,323-324

plébiscites, 144,203 Poblilia (tribu), voir : tribu(s) Politorium, 69, 97 Follia (tribu), voir : tribu(s) pomérium, 74, 83,107,120,127 Pomptina (tribu), voir : tribu(s) pont Sublicius, 215,216 pontifex, pontife, 215

- maximus (grand pontiife), 138, 150,164-165,170,171,182,184, 200,201,206,222-225,259, 313, 320, 322-324

pontificat, 164,204,223,224,294,298, 299,321, 322

population, 20,47,48,68, 69, 81, 84, 98,99,102,116,133,183,210,221, 242,258

populi Albenses (peuples albains), 45 populus, 146,170-171,196,201-203,

245,259-261,264,266,273, 276, 282,285,287,289

porte - Capène, 120,210,213,214

- Flumentane, 245, 246 - Mugonia; 76,80, 212, 218,219 - triomphale, 212,213, 218

potestas du paterfamilias (pouvoir du père de famille), 233

Poutre de la Soeur, 211; voir : Tigillum Sororium

pouvoir, 24,26-28,50,52, 55,56-58, 60,61,65-70,72, 75-76,80,84,86, 88-89,94-95,100,107,116-117,123-124,126,131-132,134-135,138-139, 141,144-146,152-154,162,166-170, 176-180,183-184,196-202,204-205, 221,223,229-230,238, 243,244, 261,266,285,293-294,297,299-300,303,306,319,321-322 - consulaire, des consuls, 123,146, 152,154,169,200,238,243 - de décision, 60,132 - des patrons, 61, 84 - des tribuns de la plèbe, tribunicien 138,141,144 - du collège pontifical, 285 - royal, 24, 80,84, 86

praefectus annonae (préfet de l'annone), 311, 313

Praeneste, Préneste, 51,53, 264,275, 277-278,282

prééminence, 47,48,128,159,179,196, 219,282,319

première classe (du recensement), classis 29,266

premiers siècles de Rome, 18,21,72, 208,323

prénom(s), 24,56,57,58, 59,224,269, 270

Prés Flaminiens, 201 prestige, 38,69,99,195,248 prêts, 139,147,178 Principat, 15,214,320,324 procédures de vote, 139,197, 302 procès, 60, 63,133,140-141,143,153,

167,' 169,175,181,184-185,190-191,196,212,229,234-236, 243-246, 248,304,309,324 - de Virginie, 185,191,196, 309 - en liberté, 181,309

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358 La République des tribus

procession(s), 46,53 prodiges, 222 production(s), 45,47,51,66, 67,69, 71,

83, 92,99,100,131,133, 202,247, 297-298

productions nouvelles, 297 productivité, 47 projet(s)

- de loi, 131,133,135,146,147, 151,152,154,189,193,197,198, 200,229,231,287 - institutionnels, 110 - tribuniciens (d'émigration à Véies), 237

promulgation (d'une loi), 139,144-145,148-149,166-167,199-201,247, 248,302,320

proposer des lois 147,200 propriété, propriété privée (de la

terre), 61,66,71,117,119,132,177, 179,233,243

propriété quiritaire, 233 Proserpine, 220-221; voir aussi :

Dispater prouocatio ad populum, 167,201 puissance

- patricienne, 184,300 - publique, 118,119,123,131

purification(s), voir : rites purification de l'armée, 212

Q

qui gentem non habent (définition de la plèbe), 141,150,179,202

Quirina (tribu), voir : tribu(s) Quirinal, 44,48, 76,218 Quirinalia, 39; voir aussi curies,

Fornacalia, feriae stultorum, fêtes des sots

Quirinus, 91, 93,199 Quirites (les citoyens romains dans

leur rôle politique), 27, 91,146, 199,234,248,318

R

rappel de Camille, 235 rapports

- de clientèle, 53,65,117,133 - de production, 83,202 - économiques et sociaux, 67 - sociaux, 116,131,297

rapprochement des élites, 298 raptus et usus, 191; voir mariage(s) ratification du Sénat 203 recensement 31, 99,101,109,116,122,

198,240,261,266,317, 319 recenser 27,84,282 réception 59 récession 100,119,123,133,178,246,

297,298 réciprocité 64,65 recrutement

- militaire, 84,99,118,140 - du Sénat, 263

rédaction des lois 169 réduction en esclavage 184 réélaboration

- des données 236 - des récits 292

Regia, domus Regia, 51, 76, 80,89,90, 91,92,93,217

Regillum 59,60 régime

- des institutions, 26 - des terres, 115,116,117,130, 131,134,135,179

réglementer, 146,200 régression économique, 123; voir aussi

récession relations familiales, 196 remparts (de Romulus), 89 renouvellement de l'année (rituels de

- ) , 9 0 renversement des perspectives

(d'interprétation), 19 répartition des terres 125 Res Gestae (Divi Augusti), 214,322

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Index 359

résidence - et inscription dans une tribu, 31, 102,282,317,318 - à Rome et activité politique, 147, 280

récession (économique, des nouvelles activités), 100,119,123,133,178, 246,298

restauration - des institutions de la République (en 449), 149,150,164, 199,202,204-208,225,227,232 - des lois anciennes et des traités (en 389), 238 - du Comitium vers 570-550,93 - du contrôle patricien sur les assemblées, 204 - du tribunat de la plèbe en 449, 170,181,199,202,204,222

retour de Camille, 242 revendications plébéiennes, 70,119,

125,130,140,167,168,179,181, 195,236,296,300

révolte (de la plèbe, du peuple), 177, 181,184,186,188,191,196,200, 229,243

rex sacrorum, 164,184 rite(s)

- à Vara Maxima d'Hercule, 42 - de fondation, 195,210,212,213, 214,215 - de la plantation du clou, 21 - de passage, d'initiation, 74-75, 192-193,213,218-219 - de procédures électorales, 152 - de purification 210,212-215,219 - familiaux 38 - funéraires (inhumation, incinération), 44

rituel(s), 38,44,46,84,90,93,192,210, 214,217,221,238

rivalité, 153 rivalité(s) (politiques, sociales), 100,

153, 311 roche Tarpéienne, 245

rogatio (projet de loi tribunicien), 136, 137,140,142,146,147,148,153, 189,198,200,286,306,312 - Terentilia, 146,147,148,153,306

Roma Quadrata (fondation par Romulus), 73

Rome royale, 73,207,209 Romilia (tribu), voir : tribu(s) routes (carrefour, convergence de

- ), 48,182 royauté, 26,34,67,77,80,88,89,137,

152,153,193,207,209,216,243, 244,295,297,298,300,324

ruraux, 69,129,252

S

S. Omobono, 22,48,95 Sabatina (tribu), voir : tribu(s) Sabine, 58,59,60, 77,180,181,183,186 Sabins, 30,43,56,57,59-60,76,82,91,

98,103,108,113,180,182,190,191, 212,307

sac de Rome (par les Gaulois), 237 sacellum (sanctuaire) de Cloacina 190;

voir aussi : sanctuaire sacerdoce(s), 67,70,162,179,184,200,

202,223-224,283,287,288,294, 295,299,321

Sacra via, 44,75-76, 78,80,89-90,190, 211,212,219 192,213; voir aussi : via Sacra

sacrifices, 200,211,214,322 sacrosanctitas (des tribuns de la plèbe),

204,205 saeculum (génération), 221 salines, 126 sanction préalable du Sénat, 200 sanctuaire(s)

- de Fortuna Muliebris, 190,192, 193 - d'Héra, 92 - d'Hercule-Melqart, 42,80,212, 284 - de Cloacine, 190,192-193,211-212,219

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360 La République des tribus

- de confins, 192-193 - de Diane de l'Aventin, 97-98, - de Diane de Némi, Diana Nemorensis,182-183 - de Fortuna et Mater Matuta, 70, 78, 94,96,97 - de Fortuna Muliebris, 192-193 - de Janus Geminus, 192-193 - de Jupiter au monte Cavo, 45,77 - de Jupiter Latiaris, 45,78 - de Jupiter Stator, 212 - de Mater Matuta, 78 - de Menerva, 22 - de Vesta, 72,77,80,89, 93 - de Vulcain, 90-91; voir aussi : Volcanal, 260,284 - des lares compitales, des lares des carrefours, 88,90 - des Lares, 72,77,89-90 - du Comitium, 216; voir aussi : Lapis Nige - extra-urbains, 70,94-95 - fédéral des Latins, 78 - fédéraux, Ì92 - Lapis Niger, 91; voir aussi : Volcanal

Santa Maria di Galena, 127 Sappinates, 235 Satricum, 19,21,23,36,48,51,52,61,

62,209 Saturnales, 74,224,253 sauvegarde

- des étrangers, 183 - des générations, 221

savoir(s), savoir-faire, 43,53,69,71, 96,132,162,176,260,270

scepticisme (des Modernes à l'égard de la tradition), 17,25,175

sécession(s) de la plèbe 68,70,175-180,184,188,191,194,197,203, 205,243,248,305

secret - des archives pontificales 144, 260 - des formulaires, 238

- des prescriptions sacrées, 238 - du droit, droit tenu secret, 64, 66,144,146,178,224, 260,285,289, 317

sédition, 243 sel, 43 senatus consultum, senatus consulte,

232,234 seniores 168; voir aussi : iunior es sept jugères (lots de terre de - ),

232,233

Septimontium (fête du - ), 46,48 sépultures, 38,44,48-49,50 siècles archaïques de Rome, 17,20,22,

323 sites consacrés, 114 société, 15,33,34,49,55,57,67,71,72,

74,80,83,92,100,116,117,124, 138,177,189,195,196,234,236, 245,257,258,272,297,298,310, 318,319,324

sodalis, sodales, 22,23,87,92,121 soulèvement (populaire), 70,181,185,

196 soumission (aux patrons des gentes)

- de l'assemblée curiate, 139 - des clients, 58

sources pontificales, 301 spectio augurale, 77, 78 statut juridique

- accordé à la plèbe par Servius Tullius, 66,98 - accordé aux cités latines, 275 - d'origine d'un libertinus, - des personnes, 268-269 - de Virginie, 185,186,187,190, 309; voir : Vergimi, Virginie - des clients, 166 - des terres, 66,132,269,309

Stellatina (tribu), voir : tribu(s) stratégie politique (des patriciens),

166-167; voir : tribus gentilices structures

- économiques, 49

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Index 361

- gentilices (de la société), 71, 72, 116,118,119,122,123,131,133, 134,135,179,230,234,298,300, 319 - sociales, 46,55, 68,110,185,186, 318 - sociales, économiques et politiques, 110

Suburana (tribu), 119,120 Subure, 46 Suessa Pometia, 61,62 sujétion (des tribuns de la plèbe), 144 suprématie

- de quelques familles, de quelques-uns, 26, 52,65,99 - de Rome,, 82

symbolique (valeur - ) du char, 52 - - de la tradition,182,214,247 - d'un nom pour une dictature, 153 - (fonction - ) d'un passage, d'un site, d'un espace, 192,212,216, 219,220

symbolique du pouvoir, 89 système

- d'exploitation du sol, 116,246 - de dénomination, 45,55,56,58, 270-271 - de l'endettement, 178 - hoplitique, 84

T

Tarquinies, 22,56,57, 70, 78, 92 Tellènes 69 témoins des siècles archaïques, 20 temple

- augurai, 77 - de Diane, 20,81, 93,98 - de Junon-Reine 235 - de Jupiter, 21, 76, 215,284 - de Jupiter Capitolin, 21,215 - d e Jupiter Stator, 219 - de Vica Pota, 218 - des Pénates, 218,247

- fédéral, 94 temples 93,96,114,245 tenir une assemblée 200 Terentum 220,221; voir aussi : Valerii,

Valesius terre(s)

- confisquées (aux vaincus), 113, 131,179 - conquise(s), 62,66,71,100,102, 113-114,117-119,125,131-132,134, 194,236,246 - de pacage, 71 - labourées, 71

territoire - rural, 116,117,127 - urbain, 83,115,281,317

terroirs, 71,75 thètes, 83,116 Tibre, 35,40,42,43,46,48,104,108,

112,126,127,158,215,220,221 Tibur, 87,92,96,121-122,275,284; voir

aussi : Servius Tullius Tigillum Sororium, 211,212,213,214,

218; voir aussi : Poutre de la Soeur tombe Bernardini (Préneste), 53 tombe François (Vulci), 121 toponyme(s) (noms de tribus), 83,110,

122,125-127,155,158,240,245,281 traité(s) (foedus)', voir aussi :foedus

Cassianum, - de Servius Tullius avec la ligue latine, 20,97 - de Spurius Cassius avec les Latins, foedus Cassianum, 20,129-130,194 275 - de Tarquin le Superbe avec Gabii, 20 - de Tullus Hostilius avec Albe la Longue, 192,210,212,217 - premier - de Rome avec Carthage, 21 - textes des - rétablis par Camille, 238

transformations, 35,44,46,48,49, 78, 149,185,197,236,248 - sociales 196

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' 362 La République des tribus

transitu ad plebem, 187,288,294, 300, 305,307,312,313

travail productif, 64 triade capitoline, 215,245 tribu(s), 28,60,101,103,108,114,115,

120,121,122,124,125,126,128, 136,155,158,159,160,161,162, 164,165,166,231,232,237,243, 259,279,280,282,283,299,302, 308,309,316,317,318 - comme cadres de recensement de la plèbe, 83,122 - comme circonscriptions de vote, 135-136,142,144-145 - génétiques, 31,73,83,102,115 - gentilices, à noms gentilices 108, 110,112,113,123,124-126,128, 136-137,145,161,162,165,166, 169,201- 202,281,307 - rurales 102,104,107,109,115, 119,122,124,126,127,155,157, 158,252,280,316,317,321 - serviennes 115,124,125,126, 127,128 - territoriales 176 - topographiques, à noms géographiques, à toponymes, 83, 107,110,115,119,124-127,197, 316,317 - traditionnelles 115 - urbaines 102,104,120,122,144, 147,260,283,317 - noms des tribus - Aemilia 166,308 - Camilia, 119,121,122,158,159 - Claudia 60,103,108,114,136,161 - Clustumina, 126,127,128,158 - Esquilina, 119 - Fabia, 108,114 - Galeria, 126,128,158,159,281 - Horatia, 204 - Lemonia, 120,158,159 - Menenia, voir : Menenii, et Tableau I - Poblilia, 281 - Pollia, 120,158,159

- Pomptina, 281 - Pupinia, 159 - Quirina, 113, 320 - Romilia, 114 - Sabatina, 240 - Sergia 161 - Stellatina, 240 - Suburana, 119,120 - Tromentina, 240 - Velina, 113,320 - Voturia, voir Veturii, et Tableau I - Voltinia, 120,158-159

tribuns militaires à pouvoir consulaire, 152-153,162,169,181, 183,228,230,238,294

tribunat [militaire à pouvoir] consulaire, 123

tribunat de la plèbe, 135,139,145,149, 150,167,170,175,181,197,201, 203,204,222,223,228,229,265, 266,303,310,312

tribuns de la plèbe 28, 68,131,133, 135-145,147-148,150-152,154,164, 169-170,175,180,182,184,186, 197-202,204-205,222,228-231,243, 244,247,260,281,286-287,301-303,305,308,311, 323-324

tributivi (par tribu), 202,203 triomphe(s), 26,212,214,237,239,248,

273 - du passé 214

Troie 36 Tromentina (tribu), voir tribu(s) tumuli, 50 Turan, 95 Tusculum 180,182

U

uetus tribus (" tribu ancienne "), 103 uicus Cuprius 94,211 uindex libertatis 242 uirgo 186,187,189; voir aussi : Vergimi,

Virginie, Verginia

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Index 363

uiritim (individuellement) 29,119, 125.126.131.132.134.193.234, 300,301

unanimité des Patres 244 Uni (divinité)94, 95 unification

- de la Cité 166 - du peuple romain 196,203 - institutionnelle 169,232,298

unités de vote 101 urbanisation 48,57

V

valeur symbolique 52,192,216,219, 220

Vei, 95 Véiens 239,240 Véies 22,45,48,58,94,102,108,109,

114,122,123,125,126,127,145, 154.228.230.231.232.234.235, 236,237,239,240,247,248,298, 300,319

Vélabre 36,38,42,74,76,78,80 Velia, 45,46,48,51,217,218,219 Velienses (habitants de la Velia)45 Velina (tribù), voir : tribu(s) Velitrae 51, 62,182 Venus, 191,219

- Equestris 219 vestales 323 Vestins 113 Vetulonia 53,58 via Appia 210,213 via Sacra, voir Sacra via via Latina 120,210 victoire 60,98,108,109,113,125,126,

149,194,212,213,214,218,232, 235,237,247,262,276,278,279, 304

victoire(s) - d e Camille, 237,247 - de laforensisfactio, 262,276,278-279

- de Rome sur Albe la Longue, 212-214,218 - de Rome sur les Étrusques, 235 - de Rome sur les Gaulois, 235 - de Rome sur les Latins au lac Régule, 108-109,113 - de Rome sur Véies, 235 - des patriciens sur la plèbe, 194, 232 - plébéienne(s), - de la plèbe sur les patriciens, 125-126,140,149, 227

vie de relations 35,43,252 vigne 47,69,71 ville

- (la - ) et la campagne, 77,84,99, 117-118,120,122,282; voir aussi : campum et forum - commencements de la - 18,29, 31,33,34,36,40,48,51,60,61,69, 72,73,74,75,78,81, - de Romulus, fondée par Romulus, 40,82,107 - du Palatin, 72-75 - et aristocratie, 51,60-61,287 - et patriciens, 147,287,317 - et patrons de gentes, 287 - e t plèbe, 181,186,287 - habitants, population de la - , 84,88-89,91,183,280 - inaugurée, 77 - incendie, sac de la Ville par les Gaulois, 18,102,234,237 - Rome devient une - , 78 - tribus de la - , 31,116,119-120, 122,124,127,282,316

Viminal (colline) 44,45,48 violence(s), 34,86,135,136,143,146-

148,153,168,197,200,231,306, 309,317

vocabulaire 54,117,183,185,186,187, 189,200,205,248,249,254,259, 261,268,269,272,273,276,278

voisinages 167 Volcanal 91,93,216

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364 La République des tribus

135,137,140,143,144,149,198,230, Vulci 23,53,56,86,92,121,300 243

Volsiniens 235 X volsque 62,192 Volsques 108,137,239,242,304,309 X Q a n o n ( d e D i a n e d e VAyen^ =

Volhnia (tribu), voir : tribu(s) 1* Artémis d'Éphèse ?), 98 Vulcain 87,88,91, 92, 93,260,284

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INDEX DES NOMS DE PERSONNES

A

Aemilii (patriciens, gens maior) - Titus Aemilius Marnerais (consul en 470 et en 467), 165,308 - Marcus Aemilius Lepidus (consul en 187 et en 175, pontifex maximus de 180 à 152), 322 - Lèpide, Marcus Aemilius Lepidus (consul en 46, pontifex maximus de 44 à 12), 322

Albinii (plébéiens), 293 Ancus Marcius, voir : Mardi, Ancus

Marcius Antistii (plébéiens), 293 Antonii (plébéiens), 293,295

- Antonius (décemvir législatif en 450, plébéien), 301,321 - Antoine, Marc Antoine (et César), 322

Aquilii (plébéiens), 163,293, 300 - Caius Aquilius (Tuscus ?) (consul en 487), 300

Apuldi - Lucius Apuleius (tribun de la plèbe en 391), 236

Aternii (plébéiens) - Aulus Aternius Fontinalis (consul en 454), 295,302,307

Atilii (plébéiens), 293,295 Auguste, 15,21,25,26,90,196,204,

214,220,229,298,322,324

C

Caeridii (plébéiens) - Lucius Caedicius (tribun de la plèbe en 473), 141

Camille, poir :-Furii, Marcus Furius Camillus

Camillius (nom gentilice inconnu à Rome, fréquent à Tibur), 121,122

Camitlnas (gentilice étrusquisé), 121; voir : Macstrna, Servais Tullius

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366 La République des tribus

Canuleii - Caius Canuleius (tribun de la plèbe en 445), 188,189,196,197

Cassii (plébéiens) - Spurius Cassius Vicellinus (consul en 502, en 493, en 486), 223,234,296,302,304,324

Claudii (patriciens, gens maior) - Atta Clausus (fondateur de la gens), 57-61 - établissement de la gens à Rome, 103,114 - e t la plèbe, 136,139,199 - et les tribus à noms gentilices, 164,167,169, - Appius Claudius Caecus, 251-255,257-263,265-267,271,273-278, 280-289,302,309,312 - Appius Claudius, 139,164,176, 180,181,184,188,189,199 - Caius Claudius Pulcher (censeur en 168), 28

Cloelii (patriciens), 69 Cornimi (plébéiens ?), 293,304

- Postumus Cominius (consul en 493), 304

Considii (plébéiens) 141 - Quintus Considius (tribun de la plèbe en 476), 141

Cornelii (patriciens, gens maior), 164 - Lucius Cornelius Maluginensis (consul en 465, en 467 et en 459), 166 - Marcus Cornelius Maluginensis (decemvir législatif en 450), 164 - Aulus Cornelius Cossus (consul en 413, dictateur en 385), 242 - Publius Cornelius Maluginensis (tribun militaire à pouvoir consulaire en 397 et en 390; consul en 393?), 238 - Sulla (ou Sylla), Lucius Cornelius Sylla Felix, (consul en 88 et en 80, dictateur de 82 à 79), 321 - Cneus Cornelius (Scipio) Barbatus (consul en 328, dictateur

en 306, pontifex maximus en 304), 260,285 - Lucius Cornelius Baibus (aristocrate de Gadès, devenu citoyen romain, consul suffect en 40), 283

Curiata (patriciens, gens albaine) - Curiatii (champion d'Albe la Longue contre Rome), 211 - Publius Curiatius FistusTrigeminus (consul en 453), 164 - Publius Curiatius (tribun de la plèbe en 401), 228

D

Decimus Verginius (le père de Virginie, selon Cicéron), 189; voir Vergimi

Decii (plébéiens) - Publius Decius Mus (consul en 312, en 308, en 297, en 295; pontife de 300 à 295) 275,276,287

Démarate (d'origine corinthienne, émigré à Tarquinies, père de Tarquin l'Ancien) 22,92

Domitii - Cneus Dominus Calvinus Maximus (candidat malheureux à lédilité curule pour 304, édile curule en 299, consul en 283), 265, 276

DuiUii (plébéiens) - Marcus Duillius (tribun de la plèbe en 470 et en 449), 150,151, 181,186,201,205,229,230,301, 302,303

E,É

Erenii (plébéiens), 293 Énée, 24,36 Évandre, 40

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Index des noms de personnes 367

F

Fàbii (patriciens, gens maior), 58,164, 167,208,236,285-286,289 - Quintus Fabius Vibulanus (consul en 486), 133 - Caeso Fabius (questeur en 485, consul en 484, en 481 et en 479), 133 - Quintus Fabius Vibulanus (consul en 465 et en 459), 165-166 - Quintus Fabius Maximus Rullianus (consul en 322, en 310, en 308, en 297 et en 295; censeur en 304), 260,282,286,288

Flavii (plébéiens) - Cneus Flavius, fils de libertinus (scriba d'Appius Claudius Caecus, édile curule en 304), 260,264-275, 277-278,283-285,288

Furii - Lucius Furius Medullinus (consul en 474), 142 - Quintus Furius [Pacilus Fusus ?] (pontifex maximus en 449 ?, consul en 441), 164,184 - Spurius Furius Medullinus (tribun militaire à pouvoir consulaire en 400), 230 - Camille, Marcus Furius Camillus, 398,394,386,384,381), 17,122,231-232,234-240,242,245-248,319,324

G

Geganii (patriciens, gens albaine), 69 Genucii (plébéiens), 293,295,310

- Caius Genucius (augure plébéien en 300) 287,288 - Cneus Genucius (tribun de la plèbe en 473), 142,143,167, " 03 - Cneus Genucius (tribun militaire à pouvoirs consulaires en 400), 230

- Marcus Genucius Augurinus (consul en 445), 152,153, - Titus Genucius (tribun de la plèbe en 476), 141 - Titus Genucius Augurinus (decemvir législatif en 451), 164

H

Herminii (plébéiens ?), 304 Horatii (patriciens), 62,208-210,214,

216,218,221,223,305 - Horatius Codes, 215-216 - Horace (vainqueur des Curiaces), 202-203,206,208,210 - Marcus Horatius (consul en 449), 180,182,189-190,196,201, 221 - Marcus Horatius Pulvillus (consul suffect en 509),

Hostilii - Tullus Hostilius (roi de Rome), 192,211,217,218 - Lucius Hostilius Saserna (un partisan de César), 98

I

Icilii (plébéiens) - Spurius Icilius (tribun de la plèbe en 471), 181 - Lucius Icilius (tribun de la plèbe en 456, en 455, en 449), 181,185, 190

Iule (fils d'Énée, ancêtre des Iulii), 36 Iulii (patriciens, gens albaine), 69

- Caius Iulius Caesar (consul en 59 et en 49, dictateur en 49, en 48-47, en 46-45, dictateur à vie en 44, pontifex maximus à partir de 63), 94,98,137, 262-263,298, 321-322

lunii (plébéiens), 223,293, 295,305 - Iunius Brutus Lucius (fin de la royauté), 23,215,218, 305

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368 La République des tribus

L

Laetorii (plébéiens), 293 - Caius Laetorius (tribun de la plèbe en 471), 199; voir : Voleron Publilius, lex Publilia

Lardi (patriciens), 163 Licinii (plébéiens), 293; voir aussi lois

licinio-sextiennes - Caius Licinius Stolo(tribun de la plèbe de 377k 367; consul en364 ou 361), 247-248

Lucretii - Lucrèce (épouse de Tarquin Collatin) 163,176,221

Lucumon (=Tarquin l'Ancien à Tarquinies) 22,57,92

M

Macstrna, 23,86,121; voir : Servius Tullius

Maelii (plébéiens), 293 - Spurius Maelius (procès et mort en 439), 303,312,313

Manlii (patriciens, gens maior) - Caius Manlius Vulso (consul en 474), 142 - Publius Manlius Vulso (tribun militaire à pouvoir consulaire en 400), 230 - Marcus Manlius Capitolinus (consul en 392, condamné à mort et exécuté en 384), 17,142,230, 234,238,240,242-247,257, 324

Mardi, 223,293,304,305 - Coriolan, Cneus Marcius Coriolan, Coriolanus (héros de la victoire sur Corioles en 493; exilé chez les Volsques en 491), 140,142,192-194,223,304 - Ancus Marcius (quatrième roi de Rome, assassiné en 616 selon la tradition), 76,92,217,305,323

Menenii - Marcus Menenius (tribun de la plèbe en 384), 243 - Titus Menenius (consul en 452), 165 - Titus Menenius (consul en 477), 140,142

Minudi (patriciens jusque vers 420, plébéiens par la suite), 163,293, 300,306,310-311,313 - Lucius Minucius Esquilinus Augurinus (consul en 458, decemvir législatif en 450, préfet de l'annone en 440), 164, 301,310-312 - Marcus Minucius (tribun de la plèbe en 401), 228 - Marcus Minucius Faesus (augure plébéien en 300), 287,288, 310 - Spurius Minucius (grand pontife en 420?), 312-313

N

Numitorii (plébéiens) - Numitoria (mère de Virginie), 185,189 - Publius Numitorius (grand-père maternel de Virginie, tribun de la plèbe en 449), 181,185-186

o

Ocresia (mère du roi Servius Tullius), 87,121

Ogulniii (plébéiens), 286; voir lex (loi) Ogulrüa - Cneus Ogulnius (tribun de la plèbe en 300), 251,286 - Quintus Ogulnius (tribun de la plèbe en 300, consul en 269), 251, 286

Oppii, 293,295,301 - Spurius Oppius (decemvir législatif en 450), 180,229

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Index des noms de personnes 369

P

Papirii (patricens), 164,165,184,222, 223,224 - Marcus Papirius (en 449), 184, 22,225 - Manius Papirius (rex Sacrorum en 509), 164 - Caius Papirius (pontifiex maximus en 509 ?), 164-165,223-224 169,184 - [Papirius ?] Carventus (consul en 458), 164

Pinarii (patriciens), 284; voir aussi Hercule, Melqart, Potitii

Plautii (plébéiens), 275,293 Poetelii (plébéiens), 293,295,301

- Caius Poetelius (candidat à Tédilité curule pour 304), 264, 276, 301

Pompilii - Numa, Numa Pompilius (second roi de Rome), 51,56,58, 76, 77,89,90,93,217,223,322

Pomponii (plébéiens) - Quintus Pomponius (tribun de la plèbe en 393), 231

Popilii (plébéiens), 293 Porcii (plébéiens)

- Marcus Porcius Caton (le Censeur), 18,102,103

Porsenna, 126,215,216, 219 Potitii 283,284; voir aussi Hercule,

Melqart, Pinarii Postumii 163

- Publius Postumius (consul en 505), 60 - Spurius Postumius (décemvir législatif en 451), 165 - Marcus Postumius (tribun militaire à pouvoir consulaire en 426), 169 - Lucius Postumius (tribun militaire à pouvoir consulaire en 389), 238

Publicola, voir : Publius Valerius Publicola

Publilii (plébéiens), 293 - Voleron, Volerò Publilius (tribun de la plèbe en 472 et en 471), 129,135,137,140,143,149, 186,198,230,243; voir : lex Publüia - Lucius Publilius Philon Vulscus (tribun militaire à pouvoir cosulaire en 400 et en 399) - Quintus Publilius (tribun de la plèbe en 384), 243-244 - Titus Publilius (augure plébéien élu en 300), 287-288

Q

Quinctii (patriciens) - Caeso Quinctius (fils de Cincinnatus), 148,309 - Lucius Quinctius Cincinnatus (consul suffect en 460; dictateur en 458, et en 439), 148,153,306

R

Rabuleii (plébéiens), 293,295 - Manius Rabuleius (décemvir législatif à pouvoir consulaire en 450) 301

Romilii (patriciens), 164 - Titus Romilius Rocus Vaticanus (consul en 455), 164

Romulus (fondateur et premier roi de Rome), 29,30,40,56,58,63-64,72-74,76-77,82,90-91,93,107,114, 141,190,212,235,286; voir aussi : Titus Tatius

Rutilii (plébéiens), 293,295

S

Scipion Émilien, voir : Cornelii, Publius Cornelius Scipio Africanus Aemilianus

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.370 La République des tribus

Sempronii (patriciens aux débuts de la République)

Sempronii (plébéiens à la fin de la République) - Tiberius Sempronius Gracchus, père de Tibérius (tribun en 133) et de Caius (tribun de la plèbe en 123 et en 122), (consul en 177 et en 163, censeur en 169), 28

Sergii (patriciens), 164,229 - Marcus ? Sergius Esquilinus, (décemvir législatif en 450), 164 - Marcus Sergius Fidenas (tribun militaire à pouvoir consulaire en 402), 228,229

Servius Tullius - " père " des institutions républicaines, 15-16,33, 72 - et Diane, 81-83,93, 95-98,183 - et Fortuna, 88-98 - e t Hercule, 96,284, - et l'armée (hoplitique), 84 - et l'organisation centuriate, 29 - et la plèbe, 83,99,115-116,119, 122,124,131,176,197,298, - et les frères Vibenna (ou Vivenna, ou Wipinas), 23,86-87,92, 121 - et les gentes, 98,115,118,119, 121-122,124 - et les lares des carrefours (lares compitales), 88-91,93,95,97,120 - et les tribus, 31, 99,101-104,115-116,119-122,124,159,197,281-282,315-316 - et Vulcain, 88, 91, 93 - l'élargissement du corps civique, 93,122,124,315 - sa " constitution ", 34, 83-84 - sa légitimité, 86 - ses origines, 23, 34,86-87,90-92, 121 - son règne, 34,83, 86, 91,115,318

Sextilii (plébéiens), 293 Sicinii ( ou Sicciï) (plébéiens), 293

- Lucius Siccius (ou Sicinius) Bellutus (tribun de la plèbe en 493) 180,181,184 - Gaius Sicinius (tribun de la plèbe en 449), 184 - Titus Sicinius (tribun de la plèbe en 494 et en 493), 231

Sestii (patriciens ?) - Publius Sestius Capitolinus ? Vaticanus (consul en 452), 164

Spurianas (nom d'une grande famille de Yarquinies), 78

Statii (plébéiens ?) - Titus Statius (tribun de la plèbe en 475), 141

Sulpicii (patriciens) - Servius Sulpicius Camerinus (décemvir législatif en 451), 164 - Lucius Sulpicius Saverrio (consul en 304), 265,266,285 - Publius Sulpicius (consul en 12 av.J.-C.,322

Sylla (Sulla), voir : Lucius Cornelius Sylla Felix

T

Tarpeii (plébéiens ?), 295 - Spurius Tarpeius Montanus Capitolinus (consul en 454, tribun de la plèbe en 448), 302-303,307

Tanaquil (épouse de Tarquin l'Ancien), 87, 88

Tarquin l'Ancien, 22,46,52, 62, 78, 80-82,84,86-88,90,218-219

Tarquin le Superbe, 20, 81-82,215,218 Tarquin Collatin, 23, 322 Tarquinia 305 Tarutius (épouse Acca Larentia), 80 Terentilii (plébéiens ?)

- Caius Terentilius Harsa (tribun de la plèbe en 462), 146,200

Titinii (plébéiens), 293

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Index des noms de personnes 371

Titus Tatius (roi Sabin, adversaire puis allié de Romulus) 30,56, 76, 91,159,191,212,218

Trébonii (plébéiens) - Lucius Trebonius (tribun de la plèbe en 448), 151-152,312

Tullii (patriciens ?), 163, 293,299, 304 - Tullius (aristocrate de Tibur et princeps de Corniculum, père de Servius Tullius), 87, 92 - Servius Tullius, voir ce nom - Manius Tullius Longus (consul en 500), 300

V

Valerii (patriciens, gens maior), 23,52, 61,62,133,159,161,163,195,208, 209,214,216,217,219,220,221, 223,238,305 - Valesius (venu de Sabine à Rome) 220,221 - Publius Valerius Publicola (consul en 509,508,507,504), 23, 59-60,103,133,192,216-221,238 - Marcus Valerius Maximus (frère de Publicola ; consul en 505 ?), 216,219 - Valeria (première prêtresse du temple de Fortuna Muliebris, en 486) 192,195, 216-220 - Lucius Valerius (fils ou neveu de Publicola, questeur en 486), 133 - Lucius Valerius Potitus (consul en 449,180,182,189,190,196,201, 202,203,206, 221,234 - Lucius Valerius Publicola (tribun militaire à pouvoir consulaire en 394, 389,387,383), 238

Verginii (patriciens) - Aulus Verginius (tribun de la plèbe de 461 à 457), 306-309 - Aulus Verginius (tribun de la plèbe en 395 et 394), 230-231 - Lucius (ou Decimus ?) Verginius (père de Virginie), 176,181,185, 186-189,195 - Lucius Verginius (tribun militaire à pouvoir consulaire en 394), 238,302 - Lucius Verginius Esquilinus (tribun militaire à pouvoir consulaire en 402), 228-229 - Proculus Verginius Tricostus Rutilus (consul en 486) 133,193-195 - Titus Verginius Tricostus Rutilus (augure en 463), 306-307 - Virginie, Verginia, 175-176,181, 184-189,190-192,195-196,205,309

Veturii (patriciens), 123,164,293,294 - Veturia, mère de Caius Marcius Coriolan, 193 - Marcus Veturius Crassus Cicurinus (tribun militaire à pouvoir consulaire en 394), 230 - Titus (? Spurius ? Lucius ?) Veturius Crassus Cicurinus (decemvir législatif en 451) 193

Vipiennas, Vipinas, 22-23; voir : Vibenna Vibenna, 22,86, 92

- Aule (Aulus) Vibenna, 22, 86; voir aussi : Caelius Vibenna, Servius Tullius - Caelius Vibenna, 22,87

Voleron, voir : Publilii, Voleron Publilius

Volumnii (plébéiens), 293 - Volumnia (épouse de Cneus Marcius Coriolan) 193,194

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TABLE DES CARTES ET DES TABLEAUX

Carte générale de l'Italie 32

Carte I. Le Latium à l'époque archaïque 37

Carte H. Le site de Rome aux VÏÏF-VLF siècles av. J.-C 41

Carte HT. Rome sous le règne de Servius Tullius 79

Carte IV. Politique et religion sous Servius Tullius 85

Carte V. Rome et son territoire à la fin du VIe siècle 105

Carte VI. Rome et le Latium jusque vers 420 106

Carte VU. Rome et le Latium à la fin du VIe siècle 111

Carte VHT. La localisation des 17 tribus rurales au milieu

du Ve siècle 155

Carte IX. La localisation des 21 tribus rurales en 387 av: J:-C 241

Carte X. Rome vers 270 av. J.-C 250

Carte XI. La localisation des 29 tribus rurales au début du IIIe siècle av. J.-C 290

Tableaux des Fastes (509-367)

I. Les patriciens 172

H. Les plébéiens 173

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376 La République des tribus

Les gentes et la guerre 58 Un « code de la clientèle » ? 63

La plèbe 67 Les plébéiens sont ceux qui « n'ont pas de gens » 68 La montée des antagonismes 71

La Rome des rois 72

La « fondation » de Rome 72 Romulus et la ville du Palatin 72 Les villages des monts et des collines 75 Un centre du pouvoir au cœur de l'espace civique 76

Rome sous Tarquin l'Ancien 78 Les transformations de la ville 78 Une population considérablement accrue 81 Rome et les peuples latins 81

Le règne de Servius Tullius 83 La Constitution de Servius Tullius 83 Les origines de Servius Tullius 86 Servius Tullius et l'institution des compitalia 88 Servius Tullius, Fortuna et Diane de l'Aventin 93

CHAPITRE II : LES TRIBUS EN 495 AV. J.-C 101

Les « reconstructions » des dernières décennies 104

A. Alföldi, L. R. Taylor 104

Les analyses proposées par M. Humbert 107 La critique de la chronologie basse proposée par A. Alföldi pour l'extension de Vager Romanus 107 Les nouvelles tribus ont pu et ont dû - selon M. Humbert - être créées en 493 av. J.-C 109

Critiques, et tentatives d'interprétation 109

Création de tribus et extension du territoire : une concordance obligée au début du Ve siècle ? 112

La conquête de territoires ne donne pas nécessairement lieu, sur le champ, à la création de tribus 112 À la fin du VIe siècle av. J.-C, tout le territoire était-il réparti dans les tribus ? 113

La signification et le rôle des tribus au début du Ve siècle 115 Les tribus « serviennes » 115 Les tribus à noms gentilices 123

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Table des matières 077

La création de tribus au début du Ve siècle 124

CHAPITRE III : LES TRIBUS À NOMS GENTILICES 129

De la condamnation de Spurius Cassius à la loi de Voléron Publilius 129

Spurius Cassius : le sens d'une condamnation 129 Les débats à propos de Vager publicus 129 Les patriciens et les tribus 134

La loi de Voléron Publilius 135 Les contradictions de l'annalistique 135 Les patriciens et les élections des tribuns de la plèbe 138 Tribus et vie politique 141

La création des tribus à noms gentilices dans la tradition 145

Les conséquences de la lex Publilia 145 Le temps de l'indépendance des comices tributes 145 Indépendance des tribuns de la plèbe, et accès des plébéiens aux plus hautes magistratures 148

La « restauration » de 449 av. J.-C 150 Une nouvelle définition de la plèbe 150 Le renouveau du contrôle patricien sur le tribunat de laplèbe 150 Le rétablissement du monopole patricien sur les hautes magistratures 152

CHAPITRE IV : LES ENSEIGNEMENTS DES FASTES DU Ve SIÈCLE 157

Un problème de lecture ? 157

L'état de la question 157 L'interprétation de L. R. Taylor 157 Les analyses proposées par A. Alföldi 159 Les critiques de M. Humbert 159

Une autre lecture des Fastes est-elle possible ? 160 L'« absence » de certains noms 160 Les enseignements de la lex Publilia 161 Un problème de méthode de lecture 161

Les informations données par les Fastes de 509 à 367 av. J.-C 162

Familles dominantes et noms de tribus 162 Une évolution chronologique ? 162 Pour une première interprétation 165

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TABLE DES MATIÈRES

Remerciements 7

Préface 11

Introduction 15

CHAPITRE I : DES COMMUNAUTÉS DE VILLAGE À LA ROME

DES ROIS 33

Les communautés de village 35

Au commencement étaient des communautés de village 35 Le Latium aux Xe~IXe siècles av. J.-C 35 Légende et réalité 39

Le temps des premières mutations 44 De la fin du IXe siècle au milieu du VIIIe siècle : premiers signes de transformations et premières associations 44 L'apparition des villes 46

Des villages aux villes. Développement des inégalités et montée des contradictions 49

Familles étroites et parentales révélées par l'archéologie 49 Les indices d'une nouvelles idéologie funéraire 49 D'autres demeures pour les vivants 51 Parentèles et armées privées 52

Les gentes dans la documentation littéraire 54 Les gentes et les familles 54 La dénomination gentilice 56

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378 La République des tribus

Le projet politique révélé par les Fastes entre 471 et 443 166 Un choix de stratégie politique ? 166 Trois temps peuvent être discernés entre 470 et 449 167

CHAPITRE V : VARIATIONS SUR LE MOT « PLÈBE » 175

La « plèbe » au Ve siècle : problèmes de définition 176

La sécession de 494-493 177 La plèbe et Vasservissement pour dettes : les données de la tradition 177 Les enjeux du « nexum » : élite plébéienne contre patriciens 178 Plèbe et gentes : deux catégories sociales antagoniques 179

La crise décemvirale et la sécession de 449 av. J.-C 180 Les données de la tradition dans les récits de Tite-Live 180 Symbolique et dynamique de la tradition 182

Conflits et luttes pour la liberté : l'histoire de Virginie 185

Le procès de Virginie 185 Le problème du statut de Virginie 185 Des ambiguïtés voulues ? 188

La loi d'interdictionjiu conubium 188 Les données de la question 188 Conflits sur la légitimité des mariages et des naissances 190

Conflits autour du tribunat de la plèbe 197

Les conséquences de la lex Publilia 197 Les acquis apparents de la loi 197 La remise en cause des « lois sacrées » de 493 198

Plebs et populus en 449 av. J.-C 201 Une nouvelle définition de la plèbe ? 202 Les lois Valeriae Horatiae 203

CHAPITRE VI : LE LANGAGE DES NOMS 207

Les Horatii : entre l'histoire et la légende 209

Trois espaces retiendront l'attention 211 Les fossae Cluiliae 211 Le Tigillum Sororium 212 La Porte Capène 213

Un patronage des passages d'âge 214

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Table des matières 079

Les Valerli 216

Un patronage des frontières 216

Les Valerii et les fossae Cluiliae 216

Les demeures des Valerii 217

Les Valerii et les jeux séculaires 220

Les Papirii et la garde du droit au Ve siècle 222

Numa et la création du grand pontife, juge et arbitre de toutes choses 223

Les Papirii et la publication des lois royales 224

CHAPITRE VII : QUAND LES GENTES DISPARAISSENT 227

Le déclin des gentes ? 228

Les premiers signes des difficultés patriciennes 228 Les événements de 402-401 228 Les indices de la dissolution des structures gentilices 231 La loi agraire de 393 av. J.-C 233

Camille, porteur d'un projet politique ? 234

Camille, duxfatalis 234 Camille, porteur du destin de Rome 234 Les leçons du procès intenté à Camille en 392 236

Camille et le rétablissement de Rome 238 Le rétablissement des lois et des traités 238 Le redressement de la situation extérieure 239 Nouveaux citoyens, nouvelles tribus 239

Camille et M. Manlius Capitolinus 242 Endettement et troubles sociaux 242 Marcus Manlius Capitolinus contre les Patres 242 Marcus Manlius Capitolinus condamné à mort et exécuté : nouvelles leçons d'un procès 243

CHAPITRE VIII : DE LA CENSURE D'APPIUS CLAUDIUS CAECUS À LA LEX OGULNIA 251

La censure d'Appius Claudius 253

Ce qu'écrit Tite-Live de la censure d'Appius Claudius 254 Manuscrits et éditeurs 254 Questions de vocabulaire 259

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•380 La République des tribus

La forensis factio au pouvoir 261 Le Sénat « dégradé » ? La lettre morte d'une /ectio senatus 262 La « forensis factio » porte à l'édilité curale Cneus Vlauius,fils d'un libertinus 264

De la censure d'Appius Claudius à l'édilité de Cneus Flavius 267

Qui était Cneus Flavius ? 267 Cneus Flavius, fils de libertinus 267 Les enseignements de l'onomastique 269

La faction « du forum » triomphe du vrai peuple 273 « Forensis factio » et « opes urbanae » 273 Défaite politique de /'integer populus et victoire de la forensis factio 276

L'inscription des humiles dans toutes les tribus 279 Les humiles ont-ils eu le choix de leurs tribus ? 279 Les humiles dans les tribus : enjeux politiques et jeux de mots 281

Innovations religieuses et interventions dans le domaine du

droit 283

Appius Claudius, Cneus Flauius, Hercule et la Concorde 283

La riposte des Fabii et de leurs amis 286

CHAPITRE IX : NOMS PATRICIENS ET NOMS PLÉBÉIENS DANS LES FASTES ENTRE 509 ET 367 291

Remarques préalables 291

Les éléments du problème 291

L'insuffisance du critère politique pour déterminer les noms patriciens 294 Des critères économiques et sociaux aussi bien que

politiques 296

Noms patriciens et noms plébéiens 299

Les noms patriciens 299 Les indices certains 299 Les indices vraisemblables 299

Les noms plébéiens 300 Les noms tenus pour plébéiens par les récits de l'annalistique 300

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Table des matières 381

Les noms communs à de hauts magistrats et à des tribuns de la plèbe 301 Les noms connus par la suite exclusivement comme plébéiens 303

Le cas particulier des Vergimi et celui des Minucii 306

Les Verginii 306 Les données du problème 306 Aulus Verginius : un client de la gens Virginia ? 308 Lucius Verginius, tribun de la plèbe en 449 309

Les Minucii 310 Les données du problème 310 Des patriciens, passés à la plèbe vers 420 ? 311

CONCLUSION 315

Les caractères originaux de la citoyenneté romaine 315

La constitution par Servius Tullius, le « père » des institutions républicaines, de la citoyenneté romaine comme citoyenneté « ouverte » 315

Le rôle des tribus comme circonscriptions de vote, et

l'intégration des nouveaux citoyefft 316

Le contrôle des tribus : un enjeu politique majeur 319

Parole « légitime *, religion et propagande 323

Familles charismatiques et récurrence de leurs noms 323

Projets politiques et cautions religieuses 324

BIBLIOGRAPHIE 325

INDEX GÉNÉRAL 341

INDEX DES NOMS DE PERSONNES 365

TABLE DES CARTES ET DES TABLEAUX 373