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et ont participé au suivi des parcelles. Ces sites sont utilisés également comme lieux de démonstra- tion et de vulgarisation. Plusieurs recommandations résultent du suivi pluriannuel des parcelles améliorées concernant les pratiques culturales, les aménagements et les couvertures végétales. Les pluies simulées démon- trent les effets majeurs du travail du sol sur l’infil- tration et la nécessité d’apport de matière organi- que pour augmenter l’agrégation. Mais défoncer la cangahua présente des risques de ruissellement dès que s’amenuise la taille des agrégats, avec un matériau pulvérulent très battant et pauvre en matière organique. Les doses appliquées de fumier de poulet sont insuffisantes. Un billonnage profond et isohypse et plusieurs sarclages, si possible trois, sont ensuite recommandés. Les résidus de récolte devraient être laissés au sol au lieu d’être pâturés par les animaux et l’utilisation de pierre ponce, comme l’ont montré les maraîchers, pourrait être généralisée pour augmenter la réserve en eau. La construction de terrasses progressives per- pendiculairement à la pente est réalisable avec des matériaux locaux, mottes de terre enherbées ou blocs de cendres indurées, disposés en ligne de niveau. Ces pseudo-terrasses, construites tous les 10–12 m jusqu’à 15–20 % de pente, sont des terras- ses de formation lente puisqu’elles sont surcreu- sées par chaque travail du sol. Au-delà de cette pente, il faut rehausser les ouvrages chaque année (0,35 m/an) jusqu’à cinq ans pour stabiliser la pente entre deux versants à 10–15 %. Cependant 1,5 m de hauteur semble un maximum pour ne pas fragiliser les talus et 1 m une hauteur raisonnable. Il faut donc également ralentir l’accumulation de terre en amont des ouvrages et évacuer les reports hydriques issus du ruissellement dans des fossés d’infiltration et de drainage. Par ailleurs une palette de possibilités s’offre pour la couverture végétale des talus ou des bandes enherbées : Pennisetum clandestinum, Pennisetum purpureum, Eragrostis curvula, Dactylis glome- rata, Stipa ichu et, sur les murets de cangahua, Spartium junceum. Le coût de construction de ces différents aména- gements s’accroît, en fonction des matériaux utili- sés, depuis les bandes enherbées, les talus à mottes herbeuses jusqu’aux murets de blocs de cendres indurées. Leur applicabilité dépend donc des dispo- nibilités de main-d’œuvre et des possibilités de transport de terre. Le groupe villageois parvient à se mobiliser pour compenser une capacité d’inves- tissement quasi nulle. L’approche de l’érosion proposée est originale car elle s’appuie sur un diagnostic des processus pour ensuite aborder le volet socio-économique, mais elle en reste, sur ce dernier point, à une déclaration d’intention : « une nouvelle démarche axée sur l’homme ». Les dénominations employées pour caractériser le milieu humain sont très géné- rales : « L’Homme, l’homme, l’agriculteur, le pay- sannat, le paysan andin, le milieu paysan, la men- talité paysanne » ; elles tendent à uniformiser les pratiques et les systèmes de production. L’usage du terme minifundio, qui fait référence à la taille des exploitations et au type de propriété foncière, tend aussi à uniformiser « un type d’agrosystème » ou « la société du minifundio ». Par ailleurs l’adoption des recommandations proposées aux agriculteurs n’est pas seulement individuelle mais également collective dans la mesure où l’érosion ne sera ré- duite que lorsque l’ensemble d’un versant pourra être corrigé. Les propositions qui découlent du diagnostic géomorphologique et du dispositif expé- rimental interpellent donc d’autres disciplines, des sciences sociales (géographie humaine, sociologie, économie), comme des sciences de l’action (agro- nomie, gestion). Les agriculteurs participant au dispositif expérimental sont des récepteurs privilé- giés de la démonstration mais la participation pay- sanne ne va-t-elle pas au-delà ? Il faudrait pour cela accepter la diversité des agriculteurs (avec un « s ») et de leurs activités de production, les considérer comme des acteurs avec une capacité de décision et se donner les moyens de relier la parcelle indivi- duelle à l’exploitation familiale et au parcellaire villageois ou au bassin versant. C’est ce que permet d’aborder l’enquête agronomique en situation pay- sanne. Au-delà d’une culture test, supposée mesu- rer l’impact de l’aménagement sur la production, la question qui se pose est celle des systèmes de culture qui valoriseront le mieux les aménagements et procureront les revenus les plus élevés aux agri- culteurs. L’association de pédologues et de géogra- phes résout intelligemment les passages entre les échelles du m 2 de la station d’observation aux 1000 m 2 de la parcelle expérimentale puis aux formes d’érosion décrites au 1/2 000 000. Mais il manque à ces disciplines physiques des outils pour introduire à des échelles locales intermédiaires les unités de décision des agriculteurs et analyser les relations étroites entre les systèmes de production, les itinéraires techniques et les manifestations de l’érosion. La diffusion de ces propositions fait également intervenir le foncier, la combinaison d’actions indi- viduelles et collectives à partir de la mobilisation du travail, l’action publique qui nécessite des concertations et des décisions partagées dans la mesure où des plans d’occupation du sol ou d’amé- nagement du territoire dépassent les initiatives locales d’agriculteurs. Une autre interdisciplinarité 113 Lectures - Comptes rendus

Terres d’altitude, terres de risque. La lutte contre l’érosion dans les Andes équatoriennes: G. De Noni, M. Viennot, J. Asseline, G. Trujillo IRD, 2001, coll. « Latitudes 23

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et ont participé au suivi des parcelles. Ces sitessont utilisés également comme lieux de démonstra-tion et de vulgarisation.Plusieurs recommandations résultent du suivi

pluriannuel des parcelles améliorées concernantles pratiques culturales, les aménagements et lescouvertures végétales. Les pluies simulées démon-trent les effets majeurs du travail du sol sur l’infil-tration et la nécessité d’apport de matière organi-que pour augmenter l’agrégation. Mais défoncer lacangahua présente des risques de ruissellement dèsque s’amenuise la taille des agrégats, avec unmatériau pulvérulent très battant et pauvre enmatière organique. Les doses appliquées de fumierde poulet sont insuffisantes. Un billonnage profondet isohypse et plusieurs sarclages, si possible trois,sont ensuite recommandés. Les résidus de récoltedevraient être laissés au sol au lieu d’être pâturéspar les animaux et l’utilisation de pierre ponce,comme l’ont montré les maraîchers, pourrait êtregénéralisée pour augmenter la réserve en eau.La construction de terrasses progressives per-

pendiculairement à la pente est réalisable avec desmatériaux locaux, mottes de terre enherbées oublocs de cendres indurées, disposés en ligne deniveau. Ces pseudo-terrasses, construites tous les10–12 m jusqu’à 15–20 % de pente, sont des terras-ses de formation lente puisqu’elles sont surcreu-sées par chaque travail du sol. Au-delà de cettepente, il faut rehausser les ouvrages chaque année(0,35 m/an) jusqu’à cinq ans pour stabiliser lapente entre deux versants à 10–15 %. Cependant1,5 m de hauteur semble un maximum pour ne pasfragiliser les talus et 1 m une hauteur raisonnable. Ilfaut donc également ralentir l’accumulation deterre en amont des ouvrages et évacuer les reportshydriques issus du ruissellement dans des fossésd’infiltration et de drainage.Par ailleurs une palette de possibilités s’offre

pour la couverture végétale des talus ou des bandesenherbées : Pennisetum clandestinum, Pennisetumpurpureum, Eragrostis curvula, Dactylis glome-rata, Stipa ichu et, sur les murets de cangahua,Spartium junceum.Le coût de construction de ces différents aména-

gements s’accroît, en fonction des matériaux utili-sés, depuis les bandes enherbées, les talus à mottesherbeuses jusqu’aux murets de blocs de cendresindurées. Leur applicabilité dépend donc des dispo-nibilités de main-d’œuvre et des possibilités detransport de terre. Le groupe villageois parvient àse mobiliser pour compenser une capacité d’inves-tissement quasi nulle.L’approche de l’érosion proposée est originale

car elle s’appuie sur un diagnostic des processuspour ensuite aborder le volet socio-économique,

mais elle en reste, sur ce dernier point, à unedéclaration d’intention : « une nouvelle démarcheaxée sur l’homme ». Les dénominations employéespour caractériser le milieu humain sont très géné-rales : « L’Homme, l’homme, l’agriculteur, le pay-sannat, le paysan andin, le milieu paysan, la men-talité paysanne » ; elles tendent à uniformiser lespratiques et les systèmes de production. L’usage duterme minifundio, qui fait référence à la taille desexploitations et au type de propriété foncière, tendaussi à uniformiser « un type d’agrosystème » ou« la société du minifundio ». Par ailleurs l’adoptiondes recommandations proposées aux agriculteursn’est pas seulement individuelle mais égalementcollective dans la mesure où l’érosion ne sera ré-duite que lorsque l’ensemble d’un versant pourraêtre corrigé. Les propositions qui découlent dudiagnostic géomorphologique et du dispositif expé-rimental interpellent donc d’autres disciplines, dessciences sociales (géographie humaine, sociologie,économie), comme des sciences de l’action (agro-nomie, gestion). Les agriculteurs participant audispositif expérimental sont des récepteurs privilé-giés de la démonstration mais la participation pay-sanne ne va-t-elle pas au-delà ? Il faudrait pour celaaccepter la diversité des agriculteurs (avec un « s »)et de leurs activités de production, les considérercomme des acteurs avec une capacité de décisionet se donner les moyens de relier la parcelle indivi-duelle à l’exploitation familiale et au parcellairevillageois ou au bassin versant. C’est ce que permetd’aborder l’enquête agronomique en situation pay-sanne. Au-delà d’une culture test, supposée mesu-rer l’impact de l’aménagement sur la production,la question qui se pose est celle des systèmes deculture qui valoriseront le mieux les aménagementset procureront les revenus les plus élevés aux agri-culteurs. L’association de pédologues et de géogra-phes résout intelligemment les passages entre leséchelles du m2 de la station d’observation aux1000 m2 de la parcelle expérimentale puis auxformes d’érosion décrites au 1/2 000 000. Mais ilmanque à ces disciplines physiques des outils pourintroduire à des échelles locales intermédiaires lesunités de décision des agriculteurs et analyser lesrelations étroites entre les systèmes de production,les itinéraires techniques et les manifestations del’érosion.

La diffusion de ces propositions fait égalementintervenir le foncier, la combinaison d’actions indi-viduelles et collectives à partir de la mobilisationdu travail, l’action publique qui nécessite desconcertations et des décisions partagées dans lamesure où des plans d’occupation du sol ou d’amé-nagement du territoire dépassent les initiativeslocales d’agriculteurs. Une autre interdisciplinarité

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doit être alors mobilisée pour l’action, qui associed’une part des sciences sociales et d’autre part,l’agronomie. À propos de cet exemple de l’érosion,on comprend en effet comment l’agronomie pour-rait constituer la cheville d’articulation entre desdisciplines physiques et des disciplines sociales.

Tout ceci peut apparaître évidemment plus com-plexe que de planter des arbres, en délocalisantune fois de plus les petits agriculteurs. C’est pour-tant là une alternative aux échecs répétés de lalutte anti-érosive.

Finalement, un bref commentaire sur la forme :l’exposé est tout au long du livre très clair etremarquablement bien illustré. Deux erreurs sesont glissées dans le texte : la désignation des lamascomme animaux de trait alors qu’ils ne sont utilisésque comme animaux de bât (p. 25) et la citation deDollfus (1981) au sujet de la taclla, charrue à piedutilisée dans les Andes centrales mais inconnue enÉquateur (p. 28). On peut regretter par ailleursqu’il ne soit pas fait référence à d’autres contextesvolcaniques en montagne tropicale et aux possibili-tés de généralisation géographique des référencesobtenues dans le cas équatorien.

Dominique Hervé(IRD, France)

Adresse e-mail : [email protected].

© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales ElsevierSAS.PII: S1240-1307(03)00026-8

Du marron à la châtaigne d’Ardèche, La relanced’un produit régional

L. DupréComité des travaux historiques et scientifiques(CTHS), 2002, 334 p.

L’ouvrage de Lucie Dupré est un important tra-vail de compilation, d’observation, de constructionet de réflexion sur la production de la châtaigne enArdèche. Il se situe dans le cadre d’une ethnosocio-logie des phénomènes de revitalisation, de réinven-tion d’une activité traditionnelle. Il se réfère àquelques courants de pensées qui organisent etconsolident le cheminement intellectuel (Haudri-court, Callon, Serres, Chiva...).

Le parti est clair, l’ethnologue n’est plus « lecroque-mort de pratiques moribondes » mais sesitue délibérément dans un mouvement de déve-loppement en cours. C’est le processus de relancecomme objet en train de se construire, commeentité collective qui cherche à se définir, qui estanalysé.On pouvait craindre un nouvel ouvrage sur la

châtaigne et la châtaigneraie. Or il s’agit en faitd’une entreprise originale et d’un texte clair, pré-cis, documenté et vivant sur une dynamique socio-technique actuelle où l’auteur procède, au cours detrois mouvements et sept chapitres, par observa-tions de situations diverses en changement quiéclairent les mécanismes et les enjeux.Le qualificatif de traditionnel donné à cette pro-

duction agricole est au cœur de l’ouvrage. C’estbien la tradition, ce « mot-problème », qui estanalysée comme ressource ambiguë, mobiliséecomme « mode de coordination » pour fabriquer« un propre », sans faire table rase du passé et sansrenoncer à inventer un avenir.La première séquence (2 chapitres) « enracine »

le châtaignier et la châtaigneraie dans l’histoire,étape essentielle pour comprendre ce que la re-lance contient de résistance, d’imagination et d’in-certitude. Il en ressort une étonnante succession decontrastes qui correspondent à des logiques diffé-rentes d’acteurs. La châtaigne apparaît commeressource industrielle et essence fruitière (fruit-fourrage ou fruit-alimentation), comme appoint etbase alimentaire, comme produit vivrier et mar-chand. Elle a un statut sauvage et domestiqué (nongreffé ou cultivé), la châtaigneraie est verger devariétés hybrides et châtaigneraie de variétés tra-ditionnelles plus ou moins anciennes, espace ouvertet clôturé, plat et en pente, espace de production,mais aussi espace d’agrément et de loisir, espacepaysager et patrimonial.Face à cette polyvalence de l’arbre, à cette

multifonctionnalité de l’espace et du produit et àun avenir incertain, la tradition est interpelléecomme « arbitre » par les acteurs, elle est soumiseà une évaluation critique, à une restauration, à unereconquête.Le troisième chapitre aurait pu se rattacher à

cette première séquence. Il examine l’étonnantegamme variétale, les difficultés de classification etéclaire l’ambiguïté du marron-objet et de lachâtaigne-fruit.Les deux chapitres de la deuxième séquence

mettent en cause d’une part la science, d’autrepart les pratiques de production. La création etl’introduction des hybrides, comme objet techni-que nouveau et comme source d’innovations, est unvolet particulièrement pertinent de l’ouvrage.

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L’hybride fait irruption dans le système de la châ-taigneraie traditionnelle. Malgré les multiples in-terrogations qui demeurent, il interpelle, fragiliseles acquis, bouscule les réseaux et les filières, créedes solidarités, contraint à la réinvention des pra-tiques notamment. La description des pratiques etleur adaptation aux contraintes des exploitationsest plus classique. Ayant enquêté dans de nombreu-ses exploitations sur les ajustements sociotechni-ques, on aurait vu une analyse des structures, dufonctionnement et de l’évolution des exploitations.On apprend que pour l’une d’elles le revenu serépartit pour 60 % de la châtaigne, 30 % pourl’élevage ovin et 10 % pour le miel. Il y a doncdiversité des systèmes d’activités dans l’exploita-tion. Comment la relance de la production de châ-taigne modifie-t-elle les équilibres dans ces systè-mes ?La très vivante présentation des nombreuses

réactions des producteurs qui s’interrogent, refu-sent ou acceptent l’hybride témoigne d’un remar-quable travail de terrain.La dernière séquence de l’itinéraire proposé par

L. Dupré est l’étude des formes de valorisation dela production de châtaigne. En fait, face aux hybri-des c’est une nouvelle façon d’être producteur quise construit, imaginative dans la diversification desproduits, dans la création de relations différentesavec le consommateur et le touriste, dans « l’inves-tissement patrimonial ». Cette dernière notion,fondée sur un objet et un lieu exemplaires, setraduit par un foisonnement d’initiatives non dé-nuées d’objectifs politiques, de tensions entre rai-sons esthétiques et professionnelles, mais qui ontun effet progressif d’entraînement autour d’un« objet-frontière »(le terme semble impropre car ils’agit d’un objet qui induit plutôt des coopérationsnouvelles que des divisions). Les sites remarquablesdu goût, les paysages de reconquête, les circuitstouristico-gastronomiques, l’évolution des logos, lacréation d’un parc naturel régional, les musées, lesfêtes de villes et de pays, marquent une progressionvers une AOC. Celle-ci apparaît comme le résultatd’un mouvement de défense et d’une stratégieactive de « modernisation » de la tradition.L’ouvrage est suivi d’une très large bibliogra-

phie. Il est écrit dans une langue limpide, rigou-reuse, rendue vivante par de nombreuses citations,parfois poétique voire humoristique.

Jean-Pierre Deffontaines(Inra/Sad)

© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales ElsevierSAS.PII: S1240-1307(03)00027-X

Les vaches de la République.Saisons et raisons d’un chercheur citoyen

B. VissacINRA, coll. « Espaces ruraux », 2002, 506 p.

L’ouvrage que, pour clore sa carrière à l’Inra,Bertrand Vissac vient de publier avec le concours deBernadette Leclerc est remarquable ; le titre et lesous-titre en annoncent déjà toute la richesse.Un prologue nous apprend que Bertrand Vissac

est né entre ville et campagne, dans une positionmédiane, qui va marquer la suite de sa carrière ;que, son bac en poche, il fuit vers la capitale etdécouvre la modernité à l’« Agro » ; qu’au hasardde rencontres, à la sortie de cette école, en 1954, ilcommence une carrière scientifique à l’Inra. Ceque l’on apprend de cette carrière est développédans la suite de l’ouvrage. Retenons, pour l’instant,qu’en fin de prologue, Vissac en appelle à MichelSerres pour souhaiter une réconciliation des tech-niques et des humanités.Le corps de l’ouvrage est chronologique ; il com-

porte cinq parties. La première s’intitule :« L’émergence de la modernité dans la générationdu bétail ». Elle couvre une large période : de ladomestication des animaux au début du XXe siècle.En s’appuyant sur la thèse de Nicholas Russell(1981) qui distingue au cours de l’histoire six stra-tégies de sélection, Vissac montre que jusqu’à laRenaissance, les pratiques de sélection ne faisaientpas la part de l’hérédité, de l’état physiologique etdu milieu et qu’il a fallu attendre le XVIIIe sièclepour qu’apparaisse l’idée que des caractères pro-ductifs du bétail sont améliorables. C’est en Angle-terre qu’émerge une conception moderne de lasélection animale. Elle ne tire pas ses origines desconnaissances biologiques, encore bien frustes àl’époque, mais des transformations agraires ; cesdernières résultent d’une conjugaison d’un mouve-ment social (apparition d’une gentry qui enclôt lesterres et de la sorte, tire profit des améliorationsqu’elle réalise, en associant culture et élevage) etd’une économie marchande, favorable aux produitsanimaux. Les premières innovations reconnaissantune plus-value à des animaux se dessinent dans leLancashire, puis se répandent. Mais il faut attendreRobert Bakewell pour voir apparaître une doctrinecohérente de sélection animale, très spécialiséesur un seul objectif de production : la viande. Sansbases scientifiques encore bien établies, elle sous-tend une conception de la génération animale quis’étend à une population animale, plus large que lesimple couple et sa descendance : l’ensemble destroupeaux de la strate sociale des éleveurs les plusavancés. Sans doute, est-ce pour rendre hommage

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