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telechargement_gratuit_des_livre s_de_tertullien file:///C|/Users/Atlantic/Desktop/Nouveau%20dossier/ www.JesusMarie.com [email protected] Tertullien père de l'église Apologétique Apologie du christianisme écrite en l'an 197 après J.-C Plan de l'Apologétique de Tertullien I. Introduction (ch. I à III). Les trois premiers chapitres forment l'introduction, la préface, comme dit Tertullien (IV, 1 : quasi praefatus haec). Après avoir dit qu'il prend la plume, parce qu'on ne permet pas aux chrétiens de parler en public pour se défendre (I, 1), il montre l'iniquité du traitement dont les chrétiens sont l'objet devant le tribunal du gouverneur 1° Il est inique de condamner une cause sans l'instruire, de haïr ce qu'on ignore, ce qu'on veut ignorer (I, 2-3). 2° Il est à la fois inique et absurde de poursuivre le seul nom de « chrétien », sans dire et sans rechercher ce que ce nom contient de criminel (II-III). II. Division (IV, 1-2). Tertullien réfutera les accusations qui ont rapport: 1° à la vie cachée des chrétiens (in occulto), 2° à leur vie publique (palam). Ils ne sont pas : 1° scelesti: crimes secrets (VII-IX); 2° vani : crime de sacrilège (X-XXVIII) ; 3° damnandi : crime de lèse-majesté, hostilité contre l'Empire et la société (XXIX-XLV) ; 4° inridendi: la morale et les croyances chrétiennes (XLVI-L). III. Prémunition (IV, 3 à VI). Avant d'aborder son sujet, Tertullien veut prévenir une objection (3). On oppose aux chrétiens l'autorité de la loi, qui défend la religion chrétienne et qui dit nettement Non licet esse vos! (4). S'il existe une loi injuste portée contre les chrétiens, il faut l'abroger, car l'équité seule rend les lois respectables. Les Romains ont abrogé beaucoup d'autres lois, qu'ils ont fini par trouver iniques (IV, 5-10) ; la législation contre les chrétiens n'est pas seulement inique, mais absurde (11-fin). Ce qui prouve que ces lois sont injustes, c'est qu'elles n'ont jamais été exécutées que par les mauvais empereurs (V). D'ailleurs, les Romains eux-mêmes ont renoncé à beaucoup de leurs anciennes institutions (VI). Sur la législation romaine d'après les chapitres IV-VI, |px voy. C. Callewaert, Revue d'histoire ecclésiastique, t. II (1901), p. 777-80. Transition et Division : Nunc enim ad illam occultorum facinorum infamiam respondebo, ut viam mihi ad manifestiora purgem (VI, 11).

Tertullien - apologetique

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Quintus Septimius Florens Tertullianus, dit Tertullien, né entre 150 et 160 à Carthage (actuelle Tunisie) et décédé vers 220 à Carthage, est un écrivain de langue latine issu d'une famille berbère romanisée et païenne. Il se convertit au christianisme à la fin du IIe siècle et devient la figure emblématique de la communauté chrétienne de Carthage. Théologien, Père de l'Église, auteur prolifique, catéchète, son influence sera grande dans l'Occident chrétien.

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Tertullienpre de l'glise

ApologtiqueApologie du christianisme crite en l'an 197 aprs J.-C Plan de l'Apologtique de TertullienI. Introduction (ch. I III).Les trois premiers chapitres forment l'introduction, la prface, comme dit Tertullien (IV, 1 : quasi praefatus haec). Aprs avoir dit qu'il prend la plume, parce qu'on ne permet pas aux chrtiens de parler en public pour se dfendre(I, 1), il montre l'iniquit du traitement dont les chrtiens sont l'objet devant le tribunal du gouverneur

1 Il est inique de condamner une cause sans l'instruire, de har ce qu'on ignore, ce qu'on veut ignorer (I, 2-3).2 Il est la fois inique et absurde de poursuivre le seul nom de chrtien , sans dire et sans rechercher ce que ce nom contient de criminel (II-III).

II. Division (IV, 1-2).Tertullien rfutera les accusations qui ont rapport: 1 la vie cache des chrtiens (in occulto), 2 leur vie publique (palam).

Ils ne sont pas :

1 scelesti: crimes secrets (VII-IX);2 vani : crime de sacrilge (X-XXVIII) ;3 damnandi : crime de lse-majest, hostilit contre l'Empire et la socit (XXIX-XLV) ; 4 inridendi: la morale et les croyances chrtiennes (XLVI-L).

III. Prmunition (IV, 3 VI).

Avant d'aborder son sujet, Tertullien veut prvenir une objection (3). On oppose aux chrtiens l'autorit de la loi, qui dfend la religion chrtienne et qui dit nettement Non licet esse vos! (4). S'il existe une loi injuste porte contre les chrtiens, il faut l'abroger, car l'quit seule rend les lois respectables. Les Romains ont abrog beaucoup d'autres lois, qu'ils ont fini par trouver iniques (IV, 5-10) ; la lgislation contre les chrtiens n'est pas seulement inique, mais absurde (11-fin). Ce qui prouve que ces lois sont injustes, c'est qu'elles n'ont jamais t excutes que par les mauvais empereurs (V). D'ailleurs, les Romains eux-mmes ont renonc beaucoup de leurs anciennes institutions (VI).

Sur la lgislation romaine d'aprs les chapitres IV-VI, |px voy. C. Callewaert, Revue d'histoire ecclsiastique, t. II (1901), p. 777-80.

Transition et Division : Nunc enim ad illam occultorum facinorum infamiam respondebo, ut viam mihi ad manifestiora purgem (VI, 11).

Premire partie (VII-IX).Crimes secrets reprochs aux chrtiens.On leur reproche : 1 des infanticides; 2 des incestes aprs leurs banquets.

Rfutation gnrale (VII). On le dit, mais on ne le prouve pas (1-2); les chrtiens n'ont jamais t pris sur le fait (3- 5). O seraient les dnonciateurs (6-7)? Ce n'est qu'un bruit mensonger (8-13).

Rfutation particulire (VIII-IX).1 Ces accusations monstrueuses sont invraisemblables: appel la nature (VIII). 2 Accusation rtorque (IX, 3-18) : ce sont les paens qui commettent ces crimes. Les chrtiens s'en prservent par une vie pure (19-20).

Deuxime partie.Actes publics des chrtiens.Deux actes sont reprochs aux chrtiens: 1 deos non colitis, 2 pro imperatoribus sacrificia non penditis. C'est, en d'autres termes, le crime de sacrilge (sacrilegii rei) et celui de lse-majest (majestatis rei).

I. Le sacrilge (X-XXVIII, 1-2).A. DEOS NON COLITIS. Nous ne commettons pas de sacrilge en n'adorant pas vos dieux, parce que ce ne sont pas des dieux (X, 1-2). Tertullien s'attaque au principe mme du polythisme.

1. Les dieux sont des hommes diviniss (X et XI). Appel la conscience des paens et leur rudition.

a) Dmonstration historique concernant Saturne, le plus ancien des dieux (X, 5-11).

b) Argumentation logique. Qui les aurait faits dieux? Sans doute, un dieu suprme (XI, 1-3). Mais ce dieu n'avait aucune raison de s'adjoindre des dieux infrieurs: 1 avant eux, ce dieu suprme gouvernait l'univers (4-6); 2 ils n'ont rien invent d'utile aux hommes (7-9); 3 ils n'ont pas mrit par leur vie de devenir dieux, mais plutt |pxi d'tre punis pour leurs crimes (10-14) ; 4 il y a une foule d'hommes qui l'auraient mieux mrit (15-16).

2. Comment sont fabriques les statues et les images des dieux : ce ne sont pas l des dieux et l'on ne peut par consquent les offenser (XII).

3. Comment les dieux sont traits par les paens eux&endash;mmes (XIII et XIV, 1).

4. Comment les potes et les philosophes ont trait les dieux (XIV, 2-15).

B. LE CULTE DES CHRTIENS. a) Ce qu'il n'est pas. Les chrtiens n'adorent pas une tte d'ne, ni une croix, ni le soleil, ni un dieu hybride (XVI).

b) Ce qu'il est. 1. Le Dieu unique (XVII), rvl par les Ecritures (XVIII), qui sont plus anciennes que tous les livres des paens (X1 X), et dont l'autorit est tablie, en outre, par les prophties dj ralises (XX).

2. Nature, naissance, vie et miracles, passion, rsurrection et ascension du Christ. Mission des aptres (XXI).

3. Dmonologie : existence et oprations des dmons. Identit des dieux et des dmons (XXII-XXIII).

C. LA LIBERT RELIGIEUSE (XXIV). 1. Les dieux paens n'tant pas des dieux, les chrtiens ne se rendent pas coupables de sacrilge en refusant de les adorer; au contraire, les paens sont coupables d'impit, eux qui refusent d'adorer le vrai Dieu (1-2).

2. Mme si Dieu avait son service des dieux infrieurs, c'est encore au Dieu suprme que reviendraient les suprmes honneurs (3-5).

3. Mais qu'on laisse chacun libre d'adorer qui il veut supprimera libert religieuse, voil le vrai crime d'irrligion (6).

4. Cette libert est accorde tous (7-8), except aux chrtiens, qui on refuse le droit commun (9-10).D. L'ARGUMENT POLITIQUE : Ce ne sont pas les dieux qui ont fait la grandeur de Rome (XXV-XXVI). Ce ne sont pas les dieux trangers, videmment (3-9), ni les dieux romains (7-9) qui donnent l'Empire. De quil'auraient-ils reu eux-mmes? (10-11). Ils sont venus aprs l'accroissement de la puissance romaine (12-13). Enfin, ce n'est pas par leur piet, mais par leur impit que les Romains sont devenus grands (14-17).

Qui donc a donn le pouvoir successivement tous les peuples, finalement aux Romains? C'est le seul vrai Dieu, de qui relvent tous les empires (XXVI).

Conclusion gnrale des ch. X-XXVI : Puisque les dieux n'existent pas, les chrtiens ne se rendent pas coupables de sacrilge en leur refusant des honneurs qui ne vont qu'aux dmons (XXVII, 1). |pxii

E. RFUTATION D'UNE OBJECTION. Sacrifiez aux dieux, dit&endash;on aux chrtiens, pour vous sauver et puis pensez ce que vous voulez (XXVII-XXVIII,1-2).

1. Ce serait une trahison de notre foi, dit Tertullien, et c'est ce que le dmon attend. Mourir pour notre foi, c'est le plus beau triomphe que nous puissions remporter sur l'esprit du mal (XXVII).

2. La religion est affaire de bonne volont et n'admet pas la contrainte. Nouvelle revendication de la libert religieuse (XXV1I1, 1-2).

II. Lse-majest (XXVIII, 3, XLV).Ce crime est plus grand aux yeux des Romains que le sacrilge : pour eux, la majest Impriale est plus auguste que celle des dieux, parce qu'elle est plus redoutable (XXVIII, 3-4).

A. - Attitude des chrtiens envers l'empereur.l Les dieux ne peuvent rien pour l'empereur et ce n'est pas manquer celui-ci que de ne pas sacrifier pour lui des dieux impuissants (XXIX).

2 Les chrtiens invoquent, en faveur de l'empereur, le vrai Dieu, qui est tout-puissant (XXX) ; les Ecritures leur en font un devoir (XXXI).

3 Les chrtiens ne peuvent jurer par le gnie de l'empereur, car le gnie est un dmon, mais ils peuvent jurer par le salut de l'empereur (XXVII).

4 Les chrtiens ne peuvent regarder l'empereur comme un dieu, mais ils lui donnent le premier rang aprs Dieu et ils respectent en lui le souverain choisi par Dieu (XXXIII).

5 Les chrtiens ne peuvent appeler l'empereur ni seigneur et matre , ni dieu : ces appellations appartiennent Dieu seul (XXXIV).

B. - Les chrtiens et l'tat.l On ne peut pas accuser les chrtiens d'tre les ennemis de l'Etat , sous prtexte qu'ils ne prennent aucune part publique aux ftes impriales (XXXV).

a) Ces ftes sont une occasion de scandales (1-4).

b) Pour beaucoup, c'est une crmonie hypocrite : au milieu de l'enthousiasme populaire, ils dsirent ou trament la mort de l'empereur (5-13). |pxiii

2 Les chrtiens veulent du bien l'empereur comme tous les hommes : c'est un devoir pour eux (XXXVI).

3 Malgr leur grand nombre, les chrtiens ne songent pas se venger des perscutions qu'ils subissent (XXXVII, 1-4). Et cependant il leur serait si facile de se venger, soit par une rvolte ouverte (4-5), soit par une scession, qui serait dsastreuse pour l'Empire (5-9).

4 Les chrtiens ne troublent pas l'Etat, parce qu'ils ne briguent pas les honneurs (XXXVIII, l-3). S'ils s'abstiennent des spectacles, c'est que ceux-ci font partie du culte paen : qu'on les laisse libres de chercher leur plaisir o ils veulent (4-5). Ici encore, il revendique le droit commun.

5 Les communauts chrtiennes sont inoffensives (XXXIX). Tertullien trace un admirable tableau de la vie des associations chrtiennes.

6 Les chrtiens ne sont pas la cause des calamits publiques (XLV). Au contraire, ce sont les paens qui les attirent sur l'Empire, en mprisant le vrai Dieu. Pourquoi ces calamits frappent les chrtiens comme les paens (XLVI).

7 Les chrtiens ne sont pas des membres inutiles de la socit.

a) Ils s'occupent des affaires humaines, en tant qu'elles ne sont pas contraires la religion et la morale (XLII).b) Ils ne sont inutiles qu'aux gens qui font un commerce infme ou criminel (XLVIII).

c) Il n'y a pas de chrtiens dans les prisons (XLIV).d) Les chrtiens seuls s'abstiennent du mal. Pourquoi ? (XLV).

Conclusion : Ergo nos soli innocentes ! Les chrtiens, ces prtendus ennemis publics , sont au fond les meilleurs citoyens, les plus fidles sujets de l'empereur.

III. Les croyances des chrtiens (XLVIII-L).Transition : Constitimus, ut opinor, adversus omnium criminum intentationem... ; ostendimus totum statum nostrum.

La dfense entreprise par Tertullien est finie ; il a rfut toutes les accusations portes contre les. chrtiens. C'tait le but de cette apologie (????????, dfense). Mais l'habile avocat a su faire entrer dans son plaidoyer une dmonstration assez complte de la doctrine chrtienne (totum statum nostrum). C'est la partie dogmatique, qui est fondue dans la thse juridique, car elle vient l'appui de cette thse. Tertullien n'a pas seulement voulu montrer que les chrtiens ne doivent pas tre poursuivis pour des |pxiv crimes qu'ils ne commettent pas (apologie et thse juridique) ; il a voulu faire voir aussi que le christianisme est la vrit (veritas nostra, XLVI, 2), et c'est sur la religion des chrtiens qu'il veut maintenant ajouter quelques claircissements dans cette troisime partie. P. Monceaux, 1, Histoire littraire de l'Afrique chrtienne, p. 236-244.

A) LE CHRISTIANISME ET LA PHILOSOPHIE (XLVI-XLVI).

1) Le christianisme n'est pas une philosophie entre autres : c'est une affaire divine (XLVI. 2). La doctrine des chrtiens compare celle des philosophes:a) On traite les philosophes autrement que les chrtiens : pourquoi ? (3-6).

b) Les chrtiens seuls et jusqu'au moindre d'entre eux connaissent la vrit complte. Exemples (7-9).

c) Parallle moral (10-16).

d) Rponse une objection (17-18).

2) Les vrits connues des philosophes et des potes ont t puises dans l'criture, qui leur est antrieure et qu'ils ont souvent dfigure (XLVI, 1-8).

Les hrtiques ont dfigur de mme 1e Nouveau Testament en mlant la vrit les thories des philosophes (9- 10).

Les dmons ont inspir aux potes et aux philosophes des fables qui ressemblent aux dogmes chrtiens, pour empcher de croire ceux-ci. Exemples (11-14).

B) LA RSURRECTION DES CORPS ET LA VIE FUTURE. Preuves de cette croyance (XLVIII).

Elle est salutaire, car elle rend les hommes meilleurs et par consquent elle n'est pas absurde. Elle est, en tout cas, inoffensive et il est injuste de la perscuter (XLIX).LE MARTYRE CHRTIEN (L). Conclusion. - Le martyre c'est la victoire, parce qu'il conduit au but (1-2). Hrosme des martyrs chrtiens : ils meurent pour Dieu, comme tant de hros paens sont morts pour leur patrie :de l vient leur nergie, et non pas du dsespoir ni du fanatisme (3-11).

Double effet du martyre: 1 il produit des conversions Semen est sanguis Christianorum (12-15) ; 2 il vaut au chrtien le pardon et la grce de Dieu. C'est pourquoi le martyr remercie ses juges (16).

Sur ce cri de triomphe se termine l'Apologtique. Ce plaidoyer, qui avait tourn vite au rquisitoire, puis au pamphlet, s'achve par un dfi. On dirait que Tertullien, dsesprant de convaincre la justice humaine, a voulu d'avance en appeler la justice divine. P. Monceaux, 1, p. 243-4.

--------------------------------------------------------------------------------|p15 L'APOLOGTIQUEDE TERTULLIEN

CHAPITRE PREMIER1. Magistrats de l'Empire romain, qui prsidez, pour rendre la justice, dans un lieu dcouvert et minent, presque au sommet mme de la cit, s'il ne vous est pas permis d'examiner devant tout le monde et de peser sous les yeux de tous la cause des chrtiens pour la tirer au clair; si, dans cette espce seule, votre autorit craint ou rougit d'informer en public, avec une attentive justice; si enfin, comme il est arriv nagure, la haine pour notre secte, trop occupe des jugements domestiques, ferme la bouche la dfense, qu'il soit du moins permis la vrit de parvenir vos oreilles, silencieusement, par la voie secrte d'un plaidoyer crit.

2. La vrit ne demande point grce pour elle, parce qu'aussi bien elle ne s'tonne pas de sa condition. Elle sait qu'elle vit dans ce monde en trangre; que, parmi des trangers, elle trouve facilement des ennemis, que d'ailleurs c'est dans les cieux qu'elle a sa famille, sa demeure, son esprance, son crdit et sa gloire. En attendant, elle n'a qu'un dsir, c'est de ne pas tre condamne sans tre connue. - 3. Qu'ont ici perdre vos lois, qui commandent souverainement dans leur propre empire, si la vrit tait tendue? Est-ce que par hasard leur puissance clatera mieux, si elles condamnent la vrit, mme sans l'entendre? Mais, si elles la condamnent sans l'entendre, outre l'odieux de |p16 l'iniquit, ne s'attireront-elles pas le soupon d'une arrire&endash;pense, en refusant d'entendre une chose qu'elles ne pourraient plus condamner aprs l'avoir entendue?

4. Voici donc le premier grief que nous formulons devant vous : l'iniquit de la haine que vous avez du nom de chrtien. Le motif qui parait excuser cette iniquit est prcisment celui qui l'aggrave et qui la prouve, savoir votre ignorance. Car quoi de plus inique que de har une chose qu'on ignore, mme si la chose mrite la haine? En effet, elle ne mrite votre haine que si vous savez si elle la mrite. - 5. Si la connaissance de sa valeur relle fait dfaut, comment prouver que la haine est juste? Cette justice, en effet, ne peut se prouver par le fait seul, mais par la connaissance que nous en avons. Puisque donc les hommes hassent parce qu'ils ne connaissent pas l'objet de leur haine, pourquoi cet objet ne serait-il pas tel qu'ils ne doivent pas le har? Par consquent, nous confondons la fois leur haine et leur ignorance, l'une par l'autre : ils restent dans l'ignorance, parce qu'ils hassent, et ils hassent injustement, parce qu'ils ignorent.

6. La preuve de leur ignorance, qui condamne leur iniquit prcisment en lui servant d'excuse, est fournie par ce fait que tous ceux qui jusqu'ici hassaient parce qu'ils ignoraient, cessent de har aussitt qu'ils cessent d'ignorer. Ceux-l deviennent chrtiens, et ils le deviennent assurment en connaissance de cause; et alors ils commencent har ce qu'ils taient et professer ce qu'ils hassaient, et ils sont aussi nombreux que vous voyez que nous sommes. - 7. L'Etat, s'crie-t-on, est assig; jusque dans les campagnes, dans les bourgs fortifis, dans les les, il n'y a que des chrtiens; des personnes de tout sexe, de tout ge, de toute condition, de tout rang mme, passent au nom chrtien, et l'on s'en afflige comme d'un dommage! |p17

8. Et pourtant, malgr ce fait, ils ne s'avisent pas de prsumer l'existence de quelque bien cach. Il ne leur est pas permis d'tre plus justes dans leurs soupons ; il ne leur plat pas de s'assurer de plus prs. En cette occasion seule, la curiosit humaine est engourdie. Ils aiment ignorer, alors que d'autres sont ravis de connatre! Anacharsis blmait les illettrs qui se font juges des lettrs : combien plus aurait-il blm ceux qui ne savent pas et qui se font juges de ceux qui savent! - 9. Ils aiment mieux ne pas connatre, parce que dj ils hassent. Ils prjugent ainsi que ce qu'ils ne connaissent pas est tel que, s'ils le connaissaient, ils ne pourraient pas le har. En effet, si l'on ne dcouvre aucun juste motif de har, le mieux est, coup sr, de renoncer une haine injuste; si, au contraire, on acquiert la certitude que le juste motif existe, non seulement la haine ne perd rien de sa force, mais on trouve une raison de plus pour persvrer, prcisment parce qu'on peut se glorifier d'tre juste. - 10. Mais, dites-vous, on ne peut prjuger qu'une chose est bonne, de ce qu'elle attire beaucoup d'hommes; que de gens, en effet, se laissent faonner au mal, que de gens passent au vice comme des transfuges? - Qui le nie ? Mais pourtant ce qui est vraiment mauvais, ceux-l mmes que le mal entrane n'osent pas le dfendre comme bien. La nature a rempli de crainte ou couvert de honte tout ce qui est mal.

11. Aprs tout, les mchants cherchent se cacher, ils vitent de se montrer; pris sur le fait, ils tremblent; accuss, ils nient; mme si on les met la torture, ils n'avouent pas facilement ni toujours; condamns sans espoir, ils sont tristes, ils se reprochent en eux-mmes leurs actes, ils imputent au destin ou aux astres les garements de leur esprit malfaisant. En effet, ils ne veulent pas tre les auteurs du mal, parce qu'ils |p18 reconnaissent que c'est le mal. - 12. Chez un chrtien, que voit-on de semblable ? Aucun chrtien ne rougit, aucun ne se repent, si ce n'est, naturellement, de ne pas avoir t chrtien auparavant. S'il est dnonc, le chrtien s'en fait gloire ; s'il est accus, il ne se dfend pas ; interrog, il confesse de lui-mme sa foi; condamn, il rend grces. - 13. Quel est donc ce mal, qui n'a pas les caractres naturels du mal, ni crainte, ni honte, ni faux-fuyants, ni repentir, ni regret? Quel est ce mal, dont l'accus se rjouit, dont l'accusation est l'objet de ses vux et dont le chtiment fait son bonheur? Tu ne peux appeler folie ce que tu es convaincu d'ignorer.

CHAPITRE II1. Enfin, s'il est certain que nous sommes de grands criminels, pourquoi sommes-nous traits autrement par vous- mmes que nos pareils, c'est--dire que les autres criminels? En effet, si le crime est le mme, le traitement devrait tre aussi le mme. - 2. Quand d'autres sont accuss de tous ces crimes dont on nous accuse, ils peuvent, et pareux-mmes et par une bouche mercenaire, prouver leur innocence ; ils ont toute libert de rpondre, de rpliquer, puisqu'il n'est jamais permis de condamner un accus sans qu'il se soit dfendu, sans qu'il ait t entendu. - 3. Aux chrtiens seuls, on ne permet pas de dire ce qui est de nature les justifier, dfendre la vrit, empcher le juge d'tre injuste; on n'attend qu'une chose, celle qui est ncessaire la haine publique : l'aveu de leur nom et non une enqute sur leur crime. - 4. Au contraire, si vous faites une enqute sur quelque criminel, il ne suffit pas, pour prononcer, qu'il s'avoue coupable d'homicide, ou de sacrilge, ou d'inceste, ou |p19 d'hostilit envers l'Etat, - pour ne parler que des inculpations lances contre nous. Vous l'interrogez aussi sur les circonstances, la qualit du fait, le nombre, le lieu, le temps, les tmoins, les complices. - 5. Avec nous, rien de semblable, et pourtant il faudrait galement essayer de nous arracher l'aveu de ces crimes qu'on nous impute faussement : de combien d'enfants gorgs chacun a dj got, combien d'incestes il a commis la faveur des tnbres, quels cuisiniers, quels chiens ont assist. Quelle gloire pour un gouverneur, s'il dcouvrait un chrtien qui aurait dj got de cent enfants!

6. Au contraire, nous voyons qu'il a mme t dfendu d'informer contre nous. En effet, Pline le Jeune, gouvernant une province, aprs avoir condamn quelques chrtiens, aprs en avoir dmont quelques-uns, effray toutefois de leur grand nombre, consulta l'empereur Trajan sur ce qu'il devait faire dans la suite. II lui exposait que, sauf l'obstination des chrtiens ne pas sacrifier, il n'avait pu dcouvrir, au sujet de leurs mystres, que des runions tenues avant le lever du soleil pour chanter des cantiques en l'honneur du Christ comme en l'honneur d'un dieu, et pour s'astreindre tous ensemble une discipline qui dfend l'homicide, l'adultre, la fraude, la perfidie et les autres crimes. - 7. Alors Trajan lui rpondit que les gens de cette espce ne devaient pas tre recherchs, mais que, s'ils taient dfrs au tribunal, il fallait les punir.

8. Oh! l'trange arrt, illogique par ncessit! Il dit qu'il ne faut pas les rechercher, comme s'ils taient innocents, et il prescrit de les punir, comme s'ils taient criminels! Il pargne et il svit, il ferme les yeux et il punit. Pourquoi, censeur, te contredire ainsi toi&endash;mme? Si tu les condamnes, pourquoi ne les recherches&endash;tu pas aussi ? Si tu ne les recherches pas, pourquoi ne |p20 les absous-tu pas aussi? Pour la recherche des brigands, il y a dans chaque province un dtachement militaire dsign par le sort ; contre les criminels de lse-majest et les ennemis de l'Etat, tout homme est soldat et la recherche s'tend aux complices, aux confidents. - 9. Le chrtien seul, il n'est pas permis de le rechercher, mais il est permis de le dnoncer, comme si la recherche avait un autre but que la dnonciation ! Vous condamnez donc un chrtien dnonc, alors que personne n'a voulu qu'il ft recherch! Et je le crains bien, s'il mrite un chtiment, ce n'est pas parce qu'il est coupable, mais parce qu'il s'est fait prendre, alors qu'il ne devait pas tre recherch.

10. Mais voici un autre point, on vous ne nous traitez pas non plus d'aprs les formes de la procdure criminelle : c'est que, quand les autres accuss nient, vous leur appliquez la torture pour les faire avouer; aux chrtiens seuls vous l'appliquez pour les faire nier. Et pourtant, si c'tait un crime d'tre chrtien, nous nierions et vous auriez recours la torture pour nous forcer d'avouer. Et en effet, il n'est pas vrai que vous croiriez inutile de rechercher par la torture les crimes des chrtiens, parce que l'aveu du nom de chrtien vous donnerait la certitude que ces crimes sont commis car vous-mmes, chaque jour si un meurtrier avoue, bien que vous sachiez ce que c'est que l'homicide, vous lui arrachez par la torture les circonstances de son crime. - 11. Par consquent, c'est contrairement toutes les rgles de la justice que, prsumant nos crimes d'aprs l'aveu de notre nom, vous nous forcez par la torture rtracter notre aveu, pour nous faire nier, en mme temps que notre nom, tous les crimes que l'aveu du nom vous avait fait prsumer.

12. Mais peut-tre ne voulez-vous pas que nous prissions, nous que vous considrez comme de grands |p21 sclrats! Voil pourquoi, sans doute, vous avez coutume de dire un homicide : Nie ; et un sacrilge, vous le faites dchirer, s'il persiste avouer. Si vous n'en agissez pas ainsi envers des criminels, vous nous jugez donc tout fait innocents; vous ne voulez pas que nous persvrions dans un aveu que vous savez devoir condamner par ncessit et non par justice.&endash;13. Un homme crie : Je suis chrtien. Il dit ce qu'il est, et toi tu veux entendre ce qu'il n'est pas. Vous qui prsidez pour arracher la vrit, de nous seuls vous vous efforcez d'entendre le mensonge! Tu me demandes, dit l'accus, si je suis chrtien : je le suis. Pourquoi me tortures-tu au mpris des rgles de la justice? J'avoue et tu me tortures? Que ferais-tu, si je niais? - Il faut en convenir, quand les autres nient, vous ne les croyez pas facilement, et nous, si nous nions, vous nous croyez aussitt!

14. Un tel renversement des rgles de la justice doit vous tre suspect : craignez qu'il n'y ait quelque puissance cache qui se serve de vous contre les formes judiciaires, contre la nature des jugements, contre les lois elles- mmes. En effet, si je ne me trompe, les lois ordonnent de dcouvrir les malfaiteurs, non de les cacher; elles prescrivent de les condamner quand ils avouent, non de les acquitter. Voil ce que disent formellement les dcrets du snat et les dits des princes. Le pouvoir dont vous tes les ministres est un pouvoir rgl par les lois et non un pouvoir tyrannique. - 15. Chez les tyrans, en effet, la torture tait employe mme comme chtiment; chez vous, elle ne sert qu' l'enqute. Observez bien votre loi l'gard de la torture, qui n'est ncessaire que jusqu' l'aveu, et si elle est prvenue par l'aveu, elle sera inutile; il faut cder le pas la sentence. Il ne faut effacer le nom du coupable qu'aprs justice faite et non pour le soustraire la peine. |p22

16. Enfin, il n'est pas un juge qui dsire acquitter l'accus en aveu; il n'est pas permis de le vouloir. C'est aussi pourquoi on ne contraint personne de nier. Un chrtien, tu le crois coupable de tous les crimes, ennemi des dieux, des empereurs, des lois, des murs, de la nature entire, et tu le forces de nier, pour l'acquitter, ne pouvant l'acquitter que s'il nie. - 17. Tu ludes les lois. Tu veux donc qu'il nie son crime, pour le dclarer innocent, et cela malgr lui et bien que dans le pass il ne ft pas coupable. D'o vient cet aveuglement trange qui vous empche de rflchir qu'il faut plutt croire un accus qui avoue spontanment que celui qui nie par force; ou encore de penser qu'il est craindre que, contraint de nier, il ne nie pas sincrement et que, absous, l'instant mme, aprs avoir quitt le tribunal, il ne rie de votre haine, tant redevenu chrtien?

18. Puisque donc, en toutes choses, vous nous traitez autrement que les autres criminels, puisque tous vos efforts ne tendent qu' nous faire perdre le nom chrtien - nous le perdons, en effet, si nous faisons ce que font ceux qui ne sont pas chrtiens - vous pouvez conclure que ce n'est pas un crime qui est en cause, mais un nom, et ce nom est poursuivi par une oeuvre de haine qui n'a qu'un seul but: c'est d'amener les hommes refuser de connatre une chose qu'ils sont srs de ne pas connatre. - 19. Aussi croient-ils sur notre compte des choses qui ne sont pas prouves, et refusent&endash;ils de s'en enqurir, de crainte qu'on ne leur prouve le contraire de ce qu'ils veulent croire, afin de pouvoir condamner ce nom si odieux cette mme uvre de haine, non pas en prouvant les crimes, mais en les prsumant, et aprs un simple aveu.

Si l'on nous met la torture quand nous avouons, si l'on nous punit quand nous persvrons, et si l'on |p23 nous acquitte quand nous nions, c'est parce qu'on fait la guerre au nom seul. - 20. Enfin, pourquoi, quand vous lisez votre arrt sur la tablette, qualiflez-vous un tel de chrtien ? Pourquoi ne l'appelez vous pas aussi homicide , si un chrtien est un homicide? pourquoi pas aussi incestueux ? pourquoi enfin ne lui donnez-vous pas tous ces noms que vous nous imputez? Pour nous seuls, vous rougissez ou vous ddaignez, en prononant l'arrt, de nommer les crimes. Si le nom de chrtien n'est le nom d'aucun crime, c'est le comble de l'absurdit de faire un crime du nom seul.

CHAPITRE III1. Que dis-je ? la plupart ont vou ce nom de chrtien une haine si aveugle, qu'ils ne peuvent rendre un chrtien un tmoignage favorable, sans y mler le reproche de porter ce nom. C'est un honnte homme, dit l'un, que Gaius Seius, cela prs qu'il est chrtien. Un autre dit de mme : Pour ma part, je m'tonne que Lucius Titius, un homme si clair, soit tout coup devenu chrtien. Personne ne se demande si Gaius n'est honnte et Lucius clair que parce que s'ils sont chrtiens, ni s'ils ne sont pas devenus chrtiens, parce que l'un est honnte et l'autre clair ! - 2. On loue en eux ce que l'on connat, on blme ce qu'on ignore, et, ce que l'on connat, on l'attaque cause de ce qu'on ignore : il est plus juste pourtant de prjuger de ce qui est cach par ce qui est manifeste que de condamner d'avance ce qui est manifeste d'aprs ce qui est cach.

3. D'autres fltrissent prcisment ce qu'ils louent en ceux qu'ils avaient connus nagure libertins, mpri&endash;sables et malhonntes avant leur conversion: aveugls par la haine, ils leur donnent, sans le savoir,

un |p24 suffrage favorable. Cette femme, disent-ils, comme elle tait libre, comme elle tait galante! Ce jeune homme, comme il tait joueur, comme il tait dbauch! Les voil devenus chrtiens. Ainsi donc le nom de chrtien est regard comme la cause de leur amendement ! - 4. Quelques-uns vont jusqu' sacrifier leurs intrts cette haine, se rsignant un dommage, pourvu qu'ils n'aient pas chez eux ce qu'ils dtestent. Une femme devenue chaste est rpudie par le mari qui n'a plus besoin d'tre jaloux; un fils devenu docile est dshrit par le pre qui supportait auparavant ses dsordres; un esclave devenu fidle est chass loin des yeux du matre qui le traitait nagure avec douceur : ds qu'on s'amende en prenant le nom de chrtien, on devient odieux. Le bien qui en rsulte ne fait pas contrepoids la haine qu'on a des chrtiens.

5. Eh bien ! si c'est le nom qu'on dteste, quelle peut donc tre la culpabilit des noms? De quoi peut-on accuser des mots, sinon de ce que le son du vocable est barbare, ou de mauvais augure, ou injurieux ou impur? Le mot christianus, au contraire, considrer son tymologie, drive du mot onction . Mme quand vous le prononcez de travers chrestianus - car vous n'avez pas ure exacte connaissance de ce nom - il signifie la fois douceur et bont . On hait donc chez des gens inoffensifs un nom qui est tout aussi inoffensif. - 6. Mais, dira-t-on, c'est la secte qu'on hait dans le nom, qui est coup sr celui de son fondateur. Qu'y a-t-il d'trange, si une doctrine donne ses sectateurs un surnom tir de celui du matre?Les philosophes ne s'appellent-ils pas, du nom de leur matre, Platoniciens, picuriens, Pythagoriciens? Ou encore, du lieu o ils se runissent ou sjournent, Stociens, Acadmiciens ? De mme, les mdecins ne tirent-ils pas leur nom d'rasistrate, les grammairiens d'Aristarque, |p25 les cuisiniers eux-mmes d'Apicius ? - 7. Et pourtant personne ne se sent offens de ce que ceux-l professent un nom transmis par le matre avec la doctrine. Sans donte, si quelqu'un prouve que l'auteur est mauvais et que la secte est mauvaise, il prouvera que le nom aussi est mauvais, digne de haine, cause de la culpabilit de la secte et de l'auteur. Et par consquent, avant de har le nom, il et convenu de s'enqurir de la secte par l'auteur ou de l'auteur par la secte. - 8. Mais ici on nglige de s'enqurir de l'un et de l'autre, de les connatre, et on accuse le nom, on perscute le nom, et un mot seul suffit pour condamner d'avance une secte inconnue, un auteur inconnu, parce qu'ils portent tel nom, et non pas parce qu'ils sont convaincus.

CHAPITRE IV1. Et prcisment, aprs cette sorte d'introduction destine fltrir l'injustice de la haine publique dont nous sommes l'objet, je veux maintenant plaider la cause de notre innocence. Je ne rfuterai pas seulement les reproches qu'on nous fait, mais je les rtorquerai contre leurs auteurs, pour apprendre ainsi aux hommes qu'on ne trouve pas chez nous autres chrtiens ces crimes dont ils se savent eux-mmes pertinemment coupables, et aussi pour qu'ils rougissent d'accuser, je ne dis pas des hommes irrprochables, tant eux-mmes trs mauvais, mais leurs pareils, les entendre. - 2. Nous rfuterons, l'un aprs l'autre, les crimes qu'ils nous accusent de commettre en secret et ceux qu'on nous voit commettre en public, crimes pour lesquels on nous dclare ou criminels ou vains ou punissables ou ridicules.

3. Mais puisque, quand la vrit rpond tout par notre bouche, on lui oppose finalement l'autorit des lois, en disant ou bien qu'aprs les lois il n'y a plus |p26 rien examiner ou bien que, bon gr mal gr, la ncessit d'obir (aux lois) est au-dessus de la vrit, je vais d'abord discuter ce qui regarde les lois, avec vous qui tes les tuteurs des lois. - 4. Et d'abord, quand vous prononcez, suivant la loi, cet arrt dfinitif : Il n'est pas permis que vous existiez , et que vous nous opposez cette fin de non-recevoir sans aucune considration inspire par l'humanit, vous faites profession de violence et d'une domination inique, pareille celle d'un tyran commandant du haut de sa citadelle, si du moins vous prtendez que cela ne nous est pas permis parce que tel est votre bon plaisir, et non pas parce qu'en effet cela ne devait pas tre permis. - 5. Que si vous ne voulez pas que cela soit permis, parce que cela ne doit pas tre permis, je vous rpondrai : sans aucun doute, ce qui est mauvais ne doit pas tre permis, et l'on peut conclure de l, assurment, que ce qui est bien est permis. Si je dcouvre que ce que ta loi a dfendu est bon, d'aprs le principe que je viens d'noncer, n'est-il pas vrai qu'elle ne peut pas me dfendre ce qu'elle me dfendrait bon droit si cela tait mauvais? Si ta loi s'est trompe, c'est, je pense, qu'elle est l'uvre d'un homme; et en effet, elle n'est pas tombe du ciel.

6. Est-il tonnant qu'un homme ait pu se tromper en tablissant une loi, ou que, revenant de meilleurs sentiments, il l'ait rpudie? Et en effet, les lois de Lycurgue lui-mme ne furent-elles pas corriges par les Lacdmoniens, et leur auteur n'en fut il pas affect d'une si grande douleur qu'il se fit justice lui-mme en se laissant mourir d'inanition dans sa retraite? - 7. Et vous-mmes, tous les jours, quand la lumire de l'exprience claire les tnbres de l'antiquit, ne fouillez-vous pas et n'mondez-vous pas toute cette vieille et confuse fort de vos lois, en y portant la hache des rescrits et des dits impriaux? 8. La loi Papia, |p27 loi vaine et absurde, qui force de procrer des enfants avant le temps fix pour le mariage par la loi Julia, malgr l'autorit que lui donnait sa vieillesse, n'a-t- elle pas t abroge nagure par Svre, le plus ferme des princes? Et puis encore, il existait des lois qui

permettaient aux cranciers de couper en morceaux les (dbiteurs) condamns; d'un commun consentement, cette loi cruelle fut plus tard abolie. La peine de mort fut commue en note d'infmie : on eut recours la confiscation des biens et l'on prfra faire monter le sang (le rouge de la honte) au visage du dbiteur que de le rpandre.

10. Combien de lois, qui passent inaperues jusqu'ici, vous reste-t-il rformer? Elles ne sont protges ni parle nombre des annes, ni par la dignit de leurs auteurs, mais par l'quit seule. Et voile. pourquoi, quand elles sont reconnues injustes, elles sont bon droit condamnes, quand bien mmes elles condamnent. - 11. Mais pourquoi dis-je injustes ? Bien plus, quand elles punissent un nom, il faut mme les appeler insenses ; si ce sont des actes qu'elles condamnent, pourquoi punissent-elles nos actes cause du nom seul, elles qui poursuivent, chez les autres, les crimes prouvs par le fait et non par le nom ? Je suis incestueux : pourquoi ne fait-on pas d'enqute? Ou infanticide : pourquoi ne m'arrache-t-on pas un aveu par la, torture? Ou je commets un crime envers les dieux, envers les Csars: pourquoi ne pas m'entendre, moi qui puis me justifier? - 12. Aucune loi ne dfend d'examiner ce qu'elle interdit de commettre, parce que le juge n'est pas en droit de punir, s'il ne reconnat qu'on a commis ce qui n'est pas permis, de mme que le citoyen ne peut obir fidlement la loi, s'il ignore ce que la loi punit. - 13. Il ne suffit pas que la loi seule ait conscience de sa justice; elle doit cette conscience |p28 ceux dont elle attend obissance. Mais une loi est suspecte, qui ne veut pas tre examine ; elle est tyrannique, si elle s'impose sans tre examine.

CHAPITRE V1. Pour remonter l'origine des lois de ce genre, il existait un vieux dcret qui dfendait qu'un dieu ft consacr par un imperator, s'il n'avait t agr par le snat. M. Aemilius l'a appris propos de son dieu Alburnus. C'est encore un point qui est utile notre cause : chez vous, c'est le bon plaisir de l'homme qui dcide de la divinit. Si un dieu n'a pas plu l'homme, il ne sera pas dieu ; voil donc que l'homme devra tre propice au dieu. - 2. Donc Tibre, sous le rgne de qui le nom chrtien a fait son entre dans le sicle, fit rapport au snat sur les faits qu'on lui avait annoncs de Syrie-Palestine, faits qui avaient rvl l-bas la vrit sur la divinit du Christ, et il les appuya le premier par son suffrage. Le snat, ne les ayant pas agrs lui-mme, les rejeta. Csar persista dans son sentiment et menaa de mort les accusateurs des chrtiens. - 3. Consultez vos annales et vous y trouverez que Nron le premier svit avec le glaive imprial contre notre secte, qui naissait alors prcisment Rome. Qu'un tel prince ait pris l'initiative de nous condamner, c'est pour nous un titre de gloire. Car qui connat Nron peut comprendre que ce qu'un Nron a condamn ne peut tre qu'un grand bien. - 4. Un essai fut tent aussi par Domitien, ce demi- Nron par la cruaut, mais comme il lui restait quelque chose de l'homme, il renona vite son projet et rappela mme ceux qu'il avait exils. Tels furent toujours nos perscuteurs, hommes injustes, impies, infmes : |p29 vous- mmes avez coutume de les condamner et vous rappelez toujours ceux qu'ils ont condamns.

5. Mais parmi tant de princes qui suivirent jusqu' nos jours, de tous ceux qui ont le respect des lois divines et humaines, citez-en un seul qui ait fait la guerre aux chrtiens! - 6. Nous, au contraire, nous pouvons citer parmi eux un protecteur des chrtiens, si l'on veut bien rechercher la lettre de Marc-Aurle, ce trs sage empereur, dans laquelle il atteste que la soif cruelle qui dsolait l'arme de Germanie fut apaise par une pluie accorde par hasard aux prires de soldats chrtiens. S'il n'a pas expressment rvoqu l'dit de perscution, il en a publiquement neutralis les effets d'une autre manire, en menaant mme les accusateurs d'une peine, et d'une peine plus rigoureuse encore. - 7. Que penser donc de ces lois que seuls excutent contre nous des princes impies, injustes, infmes, cruels, extravagants, insenss, que Trajan luda en partie en dfendant de rechercher les chrtiens, que ne fit jamais appliquer un Vespasien, bien qu'il ft le destructeur des Juifs, jamais un Hadrien, curieux scrutateur de toutes choses, jamais un Antonin le Pieux, jamais un Vrus. - 8. Et pourtant, des sclrats devraient, coup sr, tre extermins par les meilleurs princes, leurs ennemis naturels, plutt que par leurs pareils.

CHAPITRE VI1. Je voudrais maintenant que ces trs religieux protecteurs et vengeurs des lois et des institutions nationales me rpondissent au sujet de leur fidlit, de leur respect et de leur obissance envers les snatus-consultes de leurs pres: n'en ont-ils abandonn aucun, ne se sont-ils carts d'aucun, n'ont-ils pas laiss |p30 tomber dans l'oubli prcisment les rgles les plus ncessaires et les plus aptes maintenir la discipline morale? - 2. Que sont donc devenues ces lois qui rprimaient le luxe et la brigue, qui dfendaient de dpenser plus de cent as pour un repas, et de servir plus d'une volaille, encore ne devait-elle pas tre engraisse ; ces lois qui exclurent du snat un patricien, parce qu'il avait eu dix livres d'argent, comme si c'tait une preuve clatante de son ambition ; qui ordonnaient de dmolir aussitt les thtres levs pour corrompre les murs; qui ne permettaient pas qu'on usurpt sans droit et impunment les insignes des dignits et de la noble naissance? - 3. Je vois, en effet, que maintenant les repas mritent le nom de repas centenaires, parce qu'ils cotent cent sesterces, et que l'argent des mines est converti en plats, je ne dis pas chez des snateurs, mais chez des affranchis ou chez des gens qu'on dchire encore coups de

fouet. Je vois aussi qu'un seul thtre par ville ne suffit pas et que les thtres ne sont plus dcouverts. Pour empcher, mme en hiver, les voluptueux spectateurs d'avoir froid, les Lacdmoniens les premiers inventrent, pour assister aux jeux, leur pesant manteau. Je vois enfin qu'entre les matrones et les prostitues il n'y a plus aucune diffrence quant au vtement.

4. Au sujet des femmes, ils sont galement tombs, ces rglements de vos anctres qui protgeaient la modestie et la temprance. Autrefois, aucune femme ne portait de l'or, si ce n'est un seul doigt, o le mari avait mis l'anneau nuptial comme un gage ; les femmes s'abstenaient de vin, au point que ses proches firent mourir de faim une matrone, parce qu'elle avait ouvert les loges d'un cellier; au temps de Romulus, une femme n'avait fait que goter du vin et Mtennius, son mari, la tua impunment. - 5. C'est aussi pourquoi |p31 c'tait une obligation pour les femmes d'embrasser leurs parents, afin qu'on pt les juger par leur haleine. - 6. Qu'est devenue cette antique fcondit des mariages, heureuse suite des murs, grce laquelle, pendant prs de six cents ans depuis la fondation de Rome, pas une maison ne connut le divorce? Aujourd'hui, au contraire, les femmes ont tous les membres chargs d'or, elles n'osent embrasser sans crainte , cause du vin qu'elles ont bu; quant au divorce, il est devenu l'objet de leurs vux et comme un fruit du mariage !

7. Et les sages dcrets de vos pres, au sujet de vos dieux eux-mmes, c'est vous encore qui les avez abolis, vous qui tes si respectueux pour eux ! Le vnrable Liber (Bacchus) avec ses mystres fut banni par les consuls en vertu d'un snatus-consulte, non seulement de Rome, mais de toute l'Italie. - 8. Srapis et Isis et Harpocrate avec leur Cynocphale furent tenus loin du Capitole, c'est--dire chasss de l'assemble des dieux, par les consuls Pison et Gabinius, qui n'taient pas chrtiens assurment. Ces consuls renversrent mme leurs autels et ils repoussrent ces dieux, voulant arrter les dsordres de ces infmes et vaines superstitions. Vous les avez rappels de l'exil et vous leur avez confr la majest suprme.

9. O est la religion, o est la vnration due par vous vos anctres ? Par votre habillement, par votre genre de vie, par vos gots, par vos sentiments, enfin par votre langage mme, vous avez reni vos anctres. Vous ne cessez de vanter les anciens, mais de jour en jour vous changez de manire de vivre. On peut voir par l que, vous cartant des sages institutions de vos anctres, vous retenez et vous conservez ce que vous ne deviez pas retenir et conserver, et vous ne gardez pas ce que vous deviez garder. - 10. Il est une |p32 tradition de vos pres, que jusqu'ici vous paraissez garder le plus fidlement, et que vous accusez surtout les chrtiens de mpriser, je veux dire le zle pour le culte des dieux, en quoi l'antiquit est tombe dans la plus grossire erreur. Or, je montrerai en son temps que cette tradition elle-mme est pareillement mprise, nglige, abolie par vous, en dpit de l'autorit des anctres, bien que vous ayez reconstruit les autels de Srapis devenu un dieu romain, bien que vous immoliez vos fureurs Bacchus devenu un dieu italique. -11. En effet, maintenant, je vais rpondre l'accusation bien connue de commettre en secret des crimes infmes, afin de me prparer les voies pour discuter les crimes publics.

CHAPITRE VII1. Nous sommes, dit-on, de grands criminels, cause d'une crmonie sacre qui consisterait gorger un enfant, nous en nourrir, commettre des incestes aprs le repas, parce que des chiens, dresss renverser les lumires, vritables entremetteurs des tnbres, nous affranchissent, dit-on, de la honte de ces plaisirs impies.

Mais on le dit toujours, et cependant, ce que depuis si longtemps on dit de nous, vous n'avez cure de le dmontrer. Dmontrez-le donc, si vous y croyez, ou n'y croyez pas, si vous ne le dmontrez pas. - 2. Votre silence mme prouve d'avance, contre vous, qu'il n'y a rien de rel dans ce que vous n'osez pas rechercher vous-mmes. C'est un office tout diffrent que vous imposez au bourreau l'gard des chrtiens : il doit les forcer non pas dire ce qu'ils font, mais nier ce qu'ils sont.

3. L'origine de notre doctrine, comme nous l'avons |p33 dj dit, remonte Tibre. La vrit a t dteste, ds qu'elle est ne : aussitt qu'elle a paru, elle est traite en ennemi. Autant d'trangers, autant d'ennemis, et spcialement les Juifs par haine, les soldats par besoin d'exactions, et nos serviteurs eux-mmes par leur nature. - 4. Tous les jours on nous assige, tous les jours on nous trahit, et bien souvent, jusque dans nos runions et nos assembles mme, on nous fait violence. - 5. Qui donc est jamais survenu pour entendre les vagissements de cet enfant gorg, comme on le dit? Qui donc a jamais pu conserver, pour les montrer au juge, ces lvres couvertes de sang, comme celles des Cyclopes et des Sirnes ? Avez-vous jamais surpris dans vos pouses chrtiennes quelque trace immonde? Qui donc, ayant dcouvert de pareils faits, les a tenus cachs et a vendu son secret, tout en tranant les auteurs devant les tribunaux? Si nous nous cachons toujours, quand donc les crimes que nous commettons ont- ils t mis au jour ?

6. Ou plutt qui a pu les rvler? En effet, ce ne sont pas les coupables eux-mmes, assurment, puisque la rgle formelle de tous les mystres impose un silence inviolable. Les mystres de Samothrace et d'Eleusis sont tenus secrets : combien plus forte raison le sont des mystres dont la rvlation provoquerait la vengeance des hommes, en attendant celle de Dieu ? - 7. Si donc les chrtiens n'ont pu se trahir eux-mmes, il faut conclure que les tratres sont des trangers. Mais d'o les trangers ont-ils eu connaissance de nos mystres, puisque toujours les initiations, mme les initiations pieuses, loignent les profanes et se gardent des tmoins, moins qu'on ne dise que les impies craignent moins?

8. La nature de la renomme est connue de tous. Ce mot est d'un des vtres : La renomme est un flau plus |p34 rapide que tous les autres. (Virg., Enide, IV, 174.) Pourquoi la renomme est-elle un flau ? Est-ce parce qu'elle est rapide, parce qu'elle rvle tout, ou bien parce qu'elle est le plus souvent menteuse? Mme quand elle rapporte quelque chose de vrai, elle n'est pas exempte du reproche de mensonge, parce qu'elle retranche de la vrit, qu'elle y ajoute, qu'elle la dnature. - 9. Bien plus, sa nature est telle, qu'elle ne continue exister qu' condition de mentir, et elle n'existe qu'aussi longtemps qu'elle ne prouve pas ce qu'elle dit. En effet, ds l'instant qu'elle a prouv, elle cesse d'exister et, comme si elle remplissait l'office de messagre, elle transmet un fait; ds lors, c'est un fait qu'on tient, c'est un fait qu'on rapporte. - 10. Et l'on ne dit plus, par exemple : On dit que cela s'est pass Rome , ni Le bruit court qu'un tel a obtenu par le sort le gouvernement d'une province ; mais bien : Un tel a obtenu le gouvernement d'une province , et : Cela s'est pass Rome .

11. La renomme, nom de l'incertain, ne peut exister l o est le certain. Est-ce que par hasard quelqu'un pourrait en croire la renomme, s'il n'est irrflchi? Non, car le sage ne croit pas l'incertain. Chacun peut s'en rendre compte : quelle que soit l'tendue de sa diffusion, quelle que soit son assurance, c'est videmment un seul auteur qui lui a donn naissance un jour. 12. Ensuite elle glisse de bouche en bouche, d'oreille en oreille, comme par autant de canaux, et le vice inhrent cette humble semence est tel point dissimul par l'clat des rumeurs qui circulent ensuite, que personne ne se demande si la premire bouche n'a pas sem le mensonge, chose qui arrive souvent grce une jalousie naturelle, ou par les soupons tmraires, ou encore cause du plaisir de mentir qui n'est pas une chose si extraordinaire, mais inne beaucoup. |p35

13. Heureusement que le temps dvoile tout : vos proverbes et vos maximes m'en sont tmoins, et c'est une disposition de la nature qui a voulu que rien ne reste longtemps cach, pas mme ce que la renomme n'a pas divulgu.

Il est donc naturel que depuis si longtemps la renomme seule soit tmoin des crimes des chrtiens. C'est elle seule que vous produisez comme dnonciatrice contre nous : or, les bruits qu'elle a un jour rpandus contre nous et qu'avec le temps elle a accrdits jusqu' en faire une opinion gnrale, elle n'a pu jusqu'ici les prouver.

CHAPITRE VIII1. Pour en appeler au tmoignage de la nature contre ceux qui soutiennent qu'il faut croire de pareils bruits, supposons que nous proposions rellement une rcompense de ces mfaits, que c'est la vie ternelle qu'ils nous promettent. Croyez-le pour un moment. Je demande ce sujet : Toi qui le crois, penses-tu que cela vaille la peine d'arriver la vie ternelle avec la conscience de tels crimes? - 2. Viens, plonge le fer dans le corps de cet enfant, qui n'est l'ennemi de personne, qui n'est coupable envers personne, qui est le fils de tous; ou bien, si un autre accomplit cet office, toi, va voir cet homme qui meurt avant de vivre; attends que cette me toute neuve s'chappe, recueille ce jeune sang, trempes-y ton pain, rassasie-toi avec dlices. 3. Pendant le repas, compte les places, celle de ta mre, celle de ta sueur; note-les soigneusement, afin de ne pas te tromper, quand les chiens auront fait tomber les tnbres. Car tu te rendras coupable d'un sacrilge, si tu ne commets pas un inceste.

4. Initi de pareils mystres, revtu de ce sceau, tu vivras ternellement. Rponds-moi, je le veux, si |p36 l'immortalit vaut ce prix. Si elle ne le vaut pas, il ne faut pas non plus croire tout cela. Mme quand tu y croirais, j'affirme que tu n'en voudrais pas ; mme quand tu en voudrais, j'affirme que tu ne le pourrais pas. Pourquoi donc d'autres le pourraient-ils, si vous ne le pouvez pas ? Pourquoi ne le pourriez-vous pas, si d'autres le peuvent? - 5. Nous sommes d'une autre nature, apparemment, des Cynopennes ou des Sciapodes; nos dents sont autrement disposes, nous sommes autrement conforms pour la passion incestueuse. Toi qui crois ces horreurs d'un homme, tu peux aussi les commettre ; tu es, toi aussi, un homme, comme les chrtiens. Toi qui es incapable de les commettre, tu ne dois pas les croire. En effet, un chrtien est un homme, comme toi.

6. Mais, direz-vous, on suggre ce crime des ignorants, on le leur impose. - Ils ne savaient pas, en effet, qu'on affirmait pareille chose des chrtiens ! Ils devaient sans doute l'observer par eux-mmes et s'en assurer force de

vigilance? - 7. Mais ceux qui veulent tre initis ont coutume, je pense, d'aller trouver d'abord le pre des mystres et de fixer avec lui les prparatifs faire. Il leur dit alors : II te faudra un enfant, encore tendre, qui ne sache pas ce que c'est que la mort, qui sourie sous ton couteau ; et puis, du pain, pour recueillir le sang coulant ; en outre, des candlabres, des lampes et quelques chiens avec des bouches de viande, pour les faire bondir et renverser les lumires. Surtout, tu devras venir avec ta mre et avec ta sur. - 8. Et si elles ne veulent pas venir ou si le nophyte n'en a pas? Combien de chrtiens sont seuls de leur famille ? Tu ne seras, je suppose, pas un chrtien selon les rgles, si tu n'as ni sur ni mre? - Et qu'arrivera-t-il, si tous ces prparatifs sont faits l'insu des nophytes? - Mais sans aucun doute, ils |p37 apprennent tout dans la suite, et ils le supportent, et ils ferment les yeux ! - 9. Ils craignent d'tre punis, s'ils le proclament. - Mais en le proclamant, ils mriteront d'tre protgs par vous ; mais ils prfreront mourir que de vivre avec une telle conscience ! - Mais soit ! qu'ils aient peur : pourquoi donc persvrent-ils ? Il est naturel, en effet, qu'on ne veuille pas continuer d'tre ce qu'on n'aurait pas t, si on avait su ce que c'tait.

CHAPITRE IX1. Pour mieux rfuter ces calomnies, je vais montrer que c'est vous qui commettez ces crimes, partie en public, partie en secret, et c'est peut-tre pour cette raison que vous les avez crus de nous. - 2. Des enfants taient immols publiquement Saturne, en Afrique, jusqu'au proconsulat de Tibre, qui fit exposer les prtres mmes de ce dieu, attachs vivants aux arbres mmes de son temple, qui couvraient ces crimes de leur ombre, comme autant de croix votives : je prends tmoin mon pre qui, comme soldat, excuta cet ordre du proconsul. - 3. Mais, aujourd'hui encore, ce criminel sacrifice continue en secret. Les chrtiens ne sont pas les seuls qui vous bravent ; il n'est pas de crime qu'on puisse extirper pour toujours ; il n'y a pas de dieu qui change de moeurs. - 4. Saturne, qui n'pargna pas ses propres enfants, continuait plus forte raison ne pas pargner les enfants trangers, que leurs parents venaient eux-mmes lui offrir, s'acquittant de bon cur d'un vu et caressant leurs enfants, pour les empcher de pleurer au moment o ils taient immols. Aprs tout, il y a une grande diffrence entre un simple homicide et un parricide.

5. Chez les Gaulois, c'taient des hommes faits qu'on sacrifiait Mercure. Je laisse leurs thtres les tragdies|p38 de la Tauride. Voyez : dans cette trs religieuse cit des pieux descendants d'Ene, il y a un certain Jupiter, que dans ses jeux on arrose de sang humain. Mais c'est le sang d'un bestiaire , direz-vous. Apparemment, c'est l moins que de l'arroser du sang d'un homme ! Est-ce que donc la chose n'est pas plus honteuse, parce que c'est le sang d'un malfaiteur ? Ce qui est sr du moins, c'est qu'il est vers par suite d'un homicide. Oh ! que ce Jupiter est vraiment chrtien, et vraiment fils unique de son pre pour sa cruaut !

6. Mais, puisqu'un infanticide est toujours un infanticide, peu importe qu'il soit commis dans une crmonie du culte ou par simple caprice, part toutefois la diffrence que fait le parricide, je vais m'adresser maintenant au peuple. Combien de ces hommes qui nous entourent et qui sont altrs du sang des chrtiens, combien mme d'entre ces gouverneurs, pour vous si justes et si svres envers nous, voulez-vous que je touche dans leur conscience, en leur disant qu'ils tuent les enfants qui viennent de leur natre? - 7. Et puisqu'il y a encore une diffrence quant au genre de mort, je vous dirai qu'il est assurment plus cruel de les touffer dans l'eau ou de les exposer au froid, la faim et aux chiens (que de les immoler); la mort par le fer serait mme prfre par un homme fait. - 8. Quant nous, l'homicide nous tant dfendu une fois pour toutes, il ne nous est pas mme permis de faire prir l'enfant conu dans le sein de la mre, alors que l'tre humain continue tre form par le sang. C'est un homicide anticip que d'empcher de natre et peu importe qu'on arrache la vie aprs la naissance ou qu'on la dtruise au moment o elle nat. C'est un homme dj ce qui doit devenir un homme ; de mme, tout fruit est dj dans le germe.

9. Pour en revenir ce repas de sang et aux plats |p39 de ce genre, dignes de la tragdie, voyez s'il n'est pas rapport quelque part - c'est dans Hrodote, je pense - que certaines nations, pour conclure un trait, se sont procur du sang tir des bras, que l'une et l'autre partie buvait. Devant Catilina, il y eut aussi je ne sais quelle dgustation de ce genre. On dit encore que, chez certaines nations scythiques, tous les dfunts sont mangs par leurs parents. - 10. Mais je cherche trop loin. Aujourd'hui mme, chez vous, c'est le sang tir de la cuisse ouverte, et recueilli dans la main, qu'on donne boire aux fidles de Bellone pour les initier. De mme, ceux qui, dans un combat de gladiateurs dans l'arne, ont bu avec avidit, pour gurir la maladie comitiale, le sang chaud des criminels gorgs et dcoulant de la gorge, o sont-ils (sinon chez vous) ? - 11. De mme encore ceux qui se nourrissent de la chair de btes fauves venant de l'arne, qui se repaissent de la chair d'un sanglier ou d'un cerf. Ce sanglier, en luttant, s'est souill du sang de l'homme qu'il a dchir; ce cerf est mort couch dans le sang d'un gladiateur. On recherche mme les membres des ours qui n'ont pas encore digr la chair humaine ; c'est un homme qui se gorge de la chair nourrie d'un homme. - 13. Vous qui mangez tout cela, combien peu vous tes loin des prtendus repas des chrtiens

! Et ceux qui, par une passion monstrueuse, convoitent les membres des hommes, sont-ils moins coupables parce qu'ils les dvorent vivants ? N'est-ce pas par le sang humain qu'ils sont initis l'impudicit, parce qu'ils boivent ce qui doit seulement devenir du sang ? Ce ne sont pas des enfants sans doute, ce sont des hommes faits qu'ils mangent !

13. Rougissez donc de votre aveuglement devant nous autres chrtiens, qui n'admettons pas mme le sang des animaux dans des mets qu'il est permis de |p40 manger, et qui, pour cette raison, nous abstenons de btes touffes ou mortes d'elles-mmes, pour n'tre souills en aucune manire de sang, mme de celui qui est rest enferm dans les chairs. -14. Aussi, l'un des moyens que vous employez pour mettre les chrtiens l'preuve, c'est de leur prsenter des boudins gonfls de sang, convaincus que cela leur est dfendu et que c'est un moyen de les faire sortir du droit chemin. Comment pouvez-vous donc croire que ces hommes qui ont horreur du sang d'un animal (c'est une chose dont vous tes persuads) sont avides de sang humain? moins peut-tre que vous n'ayez, par exprience, trouv vous-mmes ce sang plus agrable au got. - 15. Ce sang, il fallait donc l'employer aussi pour prouver les chrtiens, aussi bien que le foyer du sacrifice, que le coffret encens. Ils seraient, en effet, convaincus d'tre chrtiens tout aussi bien en voulant goter le sang humain qu'en refusant de sacrifier; il faudrait, au contraire, nier qu'ils soient chrtiens, s'ils ne le gotaient pas, comme vous le feriez s'ils sacrifiaient. Et, assurment, le sang humain ne vous ferait pas dfaut, au moment o vous interrogez les prisonniers et o vous les condamnez.

16. Ensuite, qui donc est incestueux plutt que ceux qui Jupiter lui-mme a enseign l'inceste ? Les Perses ont commerce avec leurs propres mres : c'est Ctsias qui le rapporte. Les Macdoniens sont aussi suspects, car, voyant pour la premire fois la tragdie d'dipe, la douleur du roi incestueux les fit rire et ils s'criaient :Hlaune ei0j th_n mhte&ra. - 17. Rflchissez maintenant, combien faciles sont les mprises qui font commettre les incestes, quand la promiscuit de la dbauche en multiplie les occasions. D'abord, vous exposez vos fils pour qu'ils soient recueillis par la compassion de quelque tranger qui passe, ou vous les |p41 mancipez pour qu'ils soient adopts par des parents meilleurs. Leur famille leur devient trangre et il est invitable qu'un jour ils en perdent le souvenir. Et aussitt que l'erreur a pris racine, ds lors l'occasion de l'inceste se produira, la famille s'tendant avec le crime. -18. Enfin, en tout lieu, chez vous, l'tranger, au del des mers, la passion vous accompagne, et les carts qu'elle fait partout peuvent facilement, votre insu, vous faire procrer quelque part des enfants mme d'un parent, de sorte que ces enfants dissmins, par les relations qui se nouent entre les hommes, tombent sur leurs auteurs, sans que, dans leur ignorance d'une parent incestueuse, ils les reconnaissent. 19. Nous, au contraire, nous sommes garantis d'une pareille ventualit par une trs vigilante et trs constante chastet, et autant nous sommes l'abri de la dbauche et de tout excs aprs le mariage, autant nous le sommes aussi du hasard de l'inceste. Beaucoup d'entre nous, plus srs encore, loignent tout le danger de cette erreur par une continence virginale, vieillards et enfants tout ensemble. - 20. Si vous rflchissiez que vous commettez ces crimes, alors vous verriez clairement qu'ils n'existent pas chez les chrtiens. Les mmes yeux vous auraient appris l'un et l'autre. Mais il y a deux espces d'aveuglements qui existent facilement ensemble : on ne voit pas ce qui est et l'on croit voir ce qui n'est pas. C'est ce qui ressortira de toute la suite. Maintenant je veux en arriver ce qui est public.

CHAPITRE X1. Vous n'honorez pas les dieux, dites-vous, et n'offrez pas de sacrifices pour les empereurs. - Que conclure de l ? Uniquement que nous ne sacrifions pas pour d'autres par la raison qui nous empche de |p42 sacrifier pour nous-mmes, et cette raison, c'est qu'une fois pour toutes, nous nous abstenons d'honorer les dieux. Voil pourquoi nous sommes poursuivis comme coupables de sacrilge et de lse-majest. C'est l le point capital de notre cause ; ou plutt c'est l notre cause tout entire, et coup sr elle mriterait d'tre approfondie par vous, si ce n'tait pas la prvention ou l'injustice qui nous jugent, car l'une ne s'occupe pas de la vrit et l'autre la repousse.

2. Vos dieux, nous cessons de les honorer, du moment que nous reconnaissons qu'ils ne sont pas des dieux. Ce que vous devez donc exiger de nous, c'est que nous prouvions qu'ils ne sont pas des dieux et partant qu'il ne faut pas les honorer, parce qu'il ne faudrait les honorer que s'ils taient des dieux. De mme, les chrtiens ne seraient punissables que s'il tait prouv que ceux qu'ils refusent d'honorer, dans la croyance qu'ils ne sont pas des dieux, sont rellement des dieux. - 3. Mais pour nous, dites-vous, ils sont des dieux. - Nous en appelons, oui, nous en appelons de vous-mme votre conscience: que celle-l nous juge, que celle-l nous condamne, si elle peut nier que tous vos dieux ont t des hommes ! - 4. Et si elle aussi le nie, elle sera confondue, et par les monuments de l'antiquit, de qui elle tient la connaissance des dieux et qui rendent tmoignage jusqu' nos jours, et par les villes o les dieux sont ns, et par les pays o ils ont laiss des traces de leurs uvres, o l'on montre mme leurs tombeaux.

5-6. Passerai-je donc maintenant en revue tous vos dieux, si nombreux et si divers, dieux nouveaux et anciens,

barbares ou Grecs, Romains ou trangers, captifs ou adoptifs, particuliers ou communs, mles ou femelles, des champs ou de la ville, marins ou guerriers? Il serait oiseux d'numrer mme leurs noms. Pour rsumer donc brivement - et je le ferai, non pas pour |p43 vous les faire connatre, mais pour vous les rappeler, car vous simulez de les avoir oublis - je vous dirai qu'avant Saturne, il n'y a chez vous aucun dieu : c'est lui que remonte l'origine de tout ce qu'il y a de meilleur et de plus connu en fait de divinits. Donc, ce qui aura t tabli pour l'auteur de vos dieux s'appliquera aussi ses descendants. - 7. Saturne donc, si je m'en rapporte ce que disent les documents crits, n'est pas autrement mentionn que comme un homme, ni par Diodore le Grec, ni par Thallus, ni par Cassius Severus, ni par Cornlius Npos, ni par aucun des auteurs qui ont trait des antiquits religieuses. Si je m'en rapporte ce que nous apprennent les preuves tires de faits historiques, je n'en trouve nulle part de plus sres qu'en Italie mme, o Saturne, aprs de nombreuses expditions et aprs son sjour en Attique, s'tablit et fut reu par Janus, ou, comme le veulent les Saliens, par Janis. - 8. La montagne qu'il avait habite fut appele la montagne de Saturne (mons Saturnius) et la ville dont il avait trac l'enceinte porte encore le nom de Saturnia ; toute l'Italie enfin, aprs avoir reu le nom d'notria, portait le surnom de Saturnia. C'est lui qui inventa les tablettes crire et la monnaie marque d'une effigie : et voil pourquoi il prside au trsor public. - 9. Et pourtant, si Saturne est un homme, il est coup sr n d'un homme, il n'est coup sr pas n du ciel et de la terre. Mais, comme ses parents taient inconnus, on a pu facilement le dire fils de ceux dont nous pouvons tous paratre tre les fils. Qui, en effet, ne donnerait pas au Ciel et la Terre les noms de pre et de mre, pour montrer par l son respect et sa vnration, ou bien pour se conformer une coutume gnrale, qui nous fait dire des inconnus et de ceux qui se montrent l'improviste devant nous, qu'ils sont tombs du ciel ? -10. Donc, comme Saturne |p44 paraissait l'improviste partout, il lui arriva d'tre appel fils du Ciel , comme le vulgaire appelle aussi fils de la Terre ceux dont il ignore l'origine. Je m'abstiens de dire qu'alors les hommes menaient une vie si grossire, que l'apparition de n'importe quel homme inconnu les frappait l'gal d'une apparition divine, puisqu'aujourd'hui, devenus civiliss, ils consacrent et mettent au nombre des dieux des hommes dont ils ont attest la mort en les enterrant, au milieu du deuil public, quelques jours auparavant. - 11. J'en ai dit assez de Saturne, bien que je l'aie fait en peu de mots. On dmontrera de mme que Jupiter aussi est un homme, tant fils d'un homme, et que tout l'essaim des dieux issus de cette famille est mortel, tant semblable son auteur.

CHAPITRE XI1. Mais, n'osant pas nier que ces dieux taient des hommes, vous avez pris le parti d'affirmer qu'ils sont devenus dieux aprs leur mort. Examinons donc les causes qui ont amen cette apothose. - 2. Tout d'abord, il faut que vous admettiez l'existence d'un dieu suprme, en quelque sorte propritaire de la divinit, lequel a pu changer les hommes en dieux. En effet, vos dieux n'auraient pu s'attribuer eux-mmes la divinit qu'ils n'avaient pas, et nul autre n'aurait pu la fournir ceux qui ne l'avaient pas, s'il ne la possdait pas personnellement. - 3. Si, au contraire, il n'existait personne qui et pu les faire dieux, c'est en vain que vous prtendez que vos dieux sont devenus dieux, car vous supprimez leur auteur. Assurment, s'ils avaient pu se faire dieux par eux-mmes, jamais ils n'auraient revtu la condition humaine ayant le pouvoir d'en prendre une meilleure. - 4. S'il existe donc un tre qui peut faire des dieux, je reviens l'examen |p45 des raisons qu'il avait de changer des hommes en dieux ; et je n'en vois aucune, moins que ce grand dieu n'ait eu besoin de serviteurs et d'aides pour accomplir ses fonctions divines. Or, en premier lieu, il serait indigne de lui qu'il et besoin du concours de quelqu'un, et surtout d'un mort, car il et t plus digne de lui de crer un dieu ds le commencement, puisqu'il allait avoir besoin du concours d'un mort. - 5. Mais encore je ne vois pas qu'il y ait eu place pour ce concours. En effet, supposez que le vaste corps du monde que nous avons sous les yeux, ne soit pas n et n'ait pas t fait, suivant l'opinion de Pythagore, ou qu'il soit n et qu'il ait t fait, suivant celle de Platon : ce qui est certain, c'est que, aprs sa formation, il s'est trouv, une fois pour toutes, dispos, pourvu du ncessaire, ordonn suivant les rgies de la raison. Le principe qui a donn tout la perfection ne saurait tre imparfait. - 6. Il n'attendait nullement Saturne et la race de Saturne. Bien simples d'esprit seront les hommes, s'ils ne croient pas que ds l'origine les pluies sont tombes du ciel, que les astres ont rpandu leurs rayons, que les lumires ont brill, que les tonnerres ont grond, que Jupiter lui-mme a craint les foudres que vous lui mettez dans la main ; et encore, que tous les fruits sont sortis en abondance du sein de la terre avant Liber, Crs et Minerve, que dis-je ? avant le premier homme, parce que rien de ce qui est destin la conservation et l'entretien de l'homme n'a pu tre introduit seulement aprs lui. - 7. Enfin, on ne dit pas que ces dieux ont cr, mais qu'ils ont dcouvert toutes les choses ncessaires la vie. Or, une chose qu'on dcouvre existait dj, et une chose qui existait dj ne doit pas tre attribue celui qui l'a dcouverte, mais celui qui l'a cre ; car elle existait avant d'tre dcouverte. - 8. Au reste, |p46 si Liber est dieu pour le motif qu'il a fait connatre la vigne, on a mal agi envers Lucullus, qui le premier apporta les cerises du Pont et en rpandit l'usage en Italie, de ne pas l'avoir divinis comme auteur d'un fruit nouveau, pour l'avoir fait connatre. - 9. Par consquent, si ds l'origine l'univers s'est maintenu, tant pourvu du ncessaire et dfinitivement ordonn de telle faon qu'il pouvait remplir ses fonctions, il n'existe de ce ct aucun motif d'associer l'humanit la divinit : en effet, les emplois et les

pouvoirs que vous avez rpartis entre vos dieux existaient ds l'origine, aussi bien que si vous n'aviez pas cr ces dieux.

10. Mais vous vous tournez vers un autre motif et vous rpondez que la divinit est un encouragement accord pour rcompenser les services rendus. Et vous nous accordez ensuite, je suppose, que ce dieu, faiseur de dieux, se distingue surtout par sa justice, n'ayant pas dispens une pareille rcompense au hasard, ni sans qu'on la mrite, ni avec prodigalit. - 11. Je veux donc passer en revue les mrites, pour voir s'ils ont t de nature lever vos dieux jusqu'au ciel et non pas plutt les plonger au fond du Tartare, que vous regardez, quand cela vous plat, comme la prison des chtiments infernaux. - 12. Car c'est l qu'on a coutume de relguer tous ceux qui se sont rendus coupables d'impit envers leurs parents, d'inceste envers une sur, d'adultre l'gard d'une pouse, les ravisseurs de jeunes filles, les corrupteurs d'enfants, les violents, les meurtriers, les voleurs, les fourbes et quiconque est semblable un de vos dieux, car vous ne pourrez pas prouver qu'un seul d'entre eux soit exempt de crimes ou de vices, moins de nier qu'il ait t homme.

13. Mais aux motifs qui vous empchent de nier qu'ils aient t des hommes, viennent s'ajouter encore les |p47 caractres qui ne permettent pas de croire non plus qu'ils sont devenus dieux aprs. En effet, si c'est pour punir ceux qui leur ressemblent que vous prsidez vos tribunaux, si tous les honntes gens fuient le commerce, la conversation, le contact des mchants et des infmes, et que, d'autre part, le dieu suprme ait associ leurs pareils sa majest, pourquoi donc condamnez-vous ceux dont vous adorez les collgues ? - 14. C'est un outrage au ciel que votre justice ! Divinisez plutt tous les plus grands criminels, afin de plaira vos dieux ! C'est un honneur pour ces dieux que l'apothose de leurs gaux !

15. Mais, pour laisser de ct l'expos de ces indignits, supposons qu'ils aient t honntes, intgres et bons : combien d'hommes avez-vous laisss dans les enfers, qui valent mieux qu'eux : un Socrate par la sagesse, un Aristide par la justice, un Thmistocle par ses exploits militaires, un Alexandre par sa grandeur, un Polycrate par son bonheur, un Crsus par sa richesse, un Dmosthne par son loquence ! - 16. Qui, parmi vos dieux, est plus grave et plus sage que Caton, plus juste et plus vaillant que Scipion ? Qui est plus grand que Pompe, plus heureux que Sylla, plus riche que Crassus, plus loquent que Tullius ? Combien il et t plus digne du dieu suprme d'attendre de tels hommes pour les associer sa divinit, lui qui certes connaissait d'avance les meilleurs ! Il s'est trop ht, je suppose, il a ferm le ciel une fois pour toutes, et maintenant il rougit certainement d'entendre les meilleurs murmurer au fond des enfers.

CHAPITRE XII1. En voil assez sur ce point, car je sais que, quand je vous aurai montr ce que sont vos dieux, je vous |p48 aurai fait voir d'aprs l'vidence mme, ce qu'ils ne sont pas. Or, au sujet de vos dieux, je ne vois que les noms de quelques anciens morts, je n'entends que des fables et je m'explique votre culte par ces fables. - 2. Pour ce qui est de leurs statues, je ne vois rien d'autre que des matires surs de la vaisselle et des meubles ordinaires ; ou bien encore une. matire qui provient de cette mme vaisselle et de ce mme mobilier, et qui change de destine par la conscration, grce la libert de l'art, qui lui donne une autre forme, mais d'une manire si outrageante et par un travail si sacrilge, que vraiment nous autres chrtiens, qui sommes torturs prcisment cause des dieux, nous trouvons l une consolation nos souffrances, en voyant vos dieux supporter, pour devenir dieux, les mmes tourments que nous.

3. Vous attachez les chrtiens des croix, des poteaux. Quelle est la statue qui ne soit d'abord forme par l'argile applique une croix et un poteau ? C'est sur un gibet que le corps de votre dieu est d'abord bauch ! - 4. Avec des ongles de fer, vous dchirez les flancs des chrtiens. Mais tous les membres de vos dieux sont assaillis plus violemment par les haches, par les rabots et par les limes. On nous tranche la tte. Avant le plomb, les soudures et les clous, vos dieux sont sans tte. Nous sommes livrs aux btes. Ces btes sont celles que vous mettez ct de Liber, de Cyble et de Clestis. - 5. On nous livre au feu : on fait subir le mme sort la matire de vos dieux sous sa forme premire. On nous condamne aux mines : c'est de l que vos dieux tirent leur origine. On nous relgue dans les les : c'est dans une le que tel de vos dieux nat ou meurt. Si tout cela donne un caractre divin quelconque, ceux que vous punissez sont diviniss et il faut regarder les supplices comme une apothose. |p49

6. Mais assurment vos dieux ne sentent pas ces outrages et ces affronts qu'ils subissent pendant qu'on les fabrique, pas plus qu'ils ne sentent les hommages qu'on leur rend. Paroles impies, injures sacrilges , dites-vous. Frmissez, cumez de colre ! C'est vous-mmes qui applaudissez un Snque parlant de votre superstition plus longuement et en termes plus amers. - 7. Si donc nous n'adorons pas les statues et les images glaces, tout fait semblables aux morts qu'elles reprsentent, et qui ne trompent pas les milans, les souris et les araignes, le fait de

rpudier une erreur aprs l'avoir reconnue ne mritait-il pas plutt des loges qu'un chtiment ? En effet, pouvons- nous passer pour offenser des dieux qui, nous en sommes certains, n'existent pas ? Ce qui n'existe pas ne peut souffrir de la part de personne, parce qu'il n'existe pas.

CHAPITRE XIII1. Mais, dit-on, pour nous ce sont des dieux. - Comment se fait-il, d'autre part, qu'on vous trouve impies, sacrilges, irrespectueux envers vos dieux ? que vous ngligiez ces dieux dont vous affirmez l'existence, que vous dtruisiez ces dieux que vous craignez, que vous vous moquiez de ces dieux dont vous vous constituez mme les vengeurs? - 2. Jugez si je ne dis pas la vrit. D'abord, comme chacun de vous adore ses dieux, vous offensez certainement ceux que vous n'adorez pas. La prfrence accorde l'un ne peut exister sans un affront pour un autre, car il n'y a pas de choix sans rprobation. - 3. Vous mprisez donc ceux que vous rprouvez et que vous ne craignez pas d'offenser en les rprouvant. En effet, comme je l'ai dit plus haut en passant, le sort de chaque dieu dpendait du jugement du snat. Un dieu n'tait pas dieu, |p50 si un homme consult sur lui n'en avait pas voulu et si, en n'en voulant pas, il l'avait condamn.

4. Les dieux domestiques, que vous appelez Lares, vous les soumettez, en effet, l'autorit domestique : vous les engagez, vous les vendez, vous les changez, faisant parfois une marmite d'un Saturne, une cumoire d'une Minerve, mesure qu'ils se sont uss ou casss par les hommages mmes qu'ils ont longtemps reus, ou quand le matre a senti que la ncessit domestique tait plus sainte qu'eux. - 5. Quant vos dieux publics, vous les outragez de mme avec l'autorit du droit public : dans la salle d'enchre, ils sont dclars tributaires. On se rend au Capitole, comme au march aux lgumes ; de part et d'autre, on entend la voix du crieur, une pique est plante en terre, et le questeur prend note : la divinit est adjuge au plus offrant ! - 6. Et pourtant les terres charges de tributs perdent de leur prix, les hommes soumis l'impt de la capi-tation perdent de leur estime, car ce sont l des marques de captivit. Au contraire, plus les dieux paient de tributs, plus ils sont saints ; ou plutt, plus ils sont saints, plus ils paient de tributs. Leur majest devient l'objet d'un trafic infme ; la religion fait le tour des cabarets en mendiant. Vous exigez qu'on paie, tant pour entrer dans l'enceinte sacre, tant pour avoir accs l'autel du sacrifice ; on ne peut pas connatre les dieux pour rien, ils sont vendre.

7. Pour honorer vos dieux, que faites-vous donc que vous ne fassiez aussi pour honorer vos morts ? Vous leur levez des temples tout comme aux morts, des autels tout comme aux morts. Mme attitude et mmes insignes dans les statues des uns et des autres : le mort, devenu dieu, garde son ge, sa profession, son occupation. Quelle diffrence y a-t-il entre le banquet de Jupiter et le repas funbre, entre le vase sacrifice |p51 et le vase libations funbres, entre l'haruspice et l'embaumeur de morts ? En effet, l'haruspice remplit aussi des fonctions auprs des morts.

8. Mais il est naturel que vous accordiez aux empereurs dfunts les honneurs de la divinit, puisque vous les leur rendez dj pendant leur vie. Vos dieux vous en seront reconnaissants, que dis-je ? ils se fliciteront de voir leurs matres devenir leurs gaux. - 9. Mais quand c'est une Larentine, une courtisane (encore si c'tait Las ou Phryn !) que vous adorez parmi les Junons, les Crs et les Dianes ; quand c'est Simon le Magicien qui vous ddiez une statue avec cette inscription : Au dieu saint ; quand c'est je ne sais quel favori, sorti des coles d'esclaves de la cour, que vous faites entrer dans le conseil des dieux, alors vos anciens dieux, bien qu'ils ne vaillent pas mieux, regarderont comme un affront de votre part que vous ayez permis d'autres ce que l'antiquit leur avait rserv eux seuls !

CHAPITRE XIV1. J'ai envie de passer aussi en revue vos rites. Je ne parle pas de ce que vous faites dans vos sacrifices : vous n'immolez que des btes demi mortes, pourries et galeuses; des victimes grasses et saines, vous ne dcoupez que les morceaux de rebut, c'est--dire les ttes et les pieds, choses que, chez vous, vous auriez destines aux esclaves et aux chiens ; de la dme d'Hercule, vous ne placez pas mme le tiers sur son autel. Je louerai plutt le bon sens que vous montrez en sauvant au moins une partie de ce qui est perdu.

2. Mais, si je me tourne vers vos livres, qui vous forment la sagesse et vos devoirs d'hommes libres, que de choses ridicules j'y trouve ! Vos dieux en sont venus aux mains entre eux cause des Troyens et des |p52 Achens et se sont battus comme des couples de gladiateurs. Vnus fut blesse par la flche d'un mortel, parce qu'elle voulait sauver son fils ne, que le mme Diomde avait failli tuer. - 3. Mars enchan pendant treize mois faillit en mourir ; Jupiter et subi la mme violence de la part des autres habitants du ciel, s'il n'avait t dlivr par une sorte de monstre ; tantt il pleure la mort de Sarpdon ; tantt, honteusement pris de sa sur, il lui rappelle ses amantes antrieures, dont aucune, dit-il, ne lui a inspir une passion aussi vive. - 4. Dans la suite, quel pote,

l'exemple de leur prince, ne voit-on pas dshonorer les dieux ? L'un voue Apollon la garde des troupeaux du roi Admte ; l'autre loue Neptune Laomdon comme maon. - 5. Il est un pote fameux parmi les lyriques, je veux dire Pindare, qui chante qu'Esculape fut frapp de la foudre cause de sa cupidit, parce qu'il exerait la mdecine d'une manire criminelle. Jupiter fut mchant, si c'est lui que la foudre appartient : il fut inhumain envers son petit-fils et jaloux de cet habile mdecin. - 6. Ces faits, s'ils sont vrais, ne devaient pas tre divulgus, et, s'ils sont faux, ils ne devaient pas tre invents par des hommes zls pour la religion. Les potes tragiques ou comiques ne se font pas faute non plus d'attribuer un dieu les malheurs ou les garements de quelque famille illustre.

7. Je ne dis rien des philosophes, me contentant de citer Socrate, qui, pour faire honte aux dieux, jurait par un chne, par un bouc et par un chien. Mais, dira-t-on, Socrate fut condamn prcisment parce qu'il dtruisait les dieux. - Oui, depuis longtemps, ou mieux depuis toujours, la vrit est en butte la haine. - 8. D'ailleurs les Athniens se repentirent de leur sentence, ils frapprent plus tard les accusateurs de Socrate et lui levrent une statue d'or dans un temple : |p53 l'abrogation de la sentence rend tmoignage en faveur de Socrate. Mais Diogne se permet aussi je ne sais quelles railleries envers Hercule, et Varron, ce cynique romain, met en scne trois cents Jupiters sans tte.

CHAPITRE XV1. Les autres inventions bouffonnes font mme servir vos divertissements le dshonneur des dieux. Voyez les lgantes bouffonneries des Lentulus et des Hostilius : est-ce des mimes ou de vos dieux que vous riez en entendant ces plaisanteries, en voyant les tours qu'on leur joue ? C'est Anubis adultre , et La Lune homme , et Diane battue de verges , et L'ouverture du testament de feu Jupiter , et Les trois Hercules affams tourns en ridicule . - 2. Les pices joues par les pantomimes montrent aussi toutes les turpitudes de vos dieux. Le Soleil pleure son fils prcipit du ciel, et cela vous divertit; Cyble soupire pour un berger ddaigneux, et vous n'en rougissez pas ; vous supportez qu'on chante les aventures de Jupiter et que Junon, Vnus et Minerve aient un berger pour juge. - 3. Et quand l'image de votre dieu revt une tte ignominieuse et infme, quand c'est un corps impur et dress cet art par une vie effmine qui reprsente une Minerve ou un Hercule, la majest divine n'est- elle pas viole et la divinit n'est-elle pas outrage ? Et vous applaudissez !

4. Vous tes plus religieux, sans doute, dans l'amphithtre, o l'on voit galement vos dieux danser dans le sang humain, sur les restes souills des supplicis, car ils fournissent aux criminels des thmes et des sujets, moins que les criminels n'y jouent mme au naturel le personnage de vos dieux. - 5. Nous avons vu nagure nous-mme Attis mutil, ce dieu |p54 fameux de Pessinonte, et un autre, qui jouait Hercule, brl vif. Nous avons ri aussi, dans les intermdes cruels de midi, de Mercure qui prouvait les morts avec le fer rouge ; nous avons vu encore le frre de Jupiter, arm d'un marteau, emmener les cadavres des gladiateurs. - 6. Tous ces spectacles et ceux qu'aujourd'hui encore on pourrait trouver, s'ils jettent bas le fate de la majest divine, tirent leur origine du mpris de ceux qui les reprsentent et de ceux pour qui on les reprsente.

7. Mais, soit, ce ne sont l que des jeux ! Si j'ajoutais (ce que vos consciences ne dsavoueront pas) que c'est dans les temples que se concertent les adultres, que c'est entre les autels que se traitent les marchs infmes, que c'est le plus souvent dans les cellules mmes des gardiens du temple et des prtres, sous les bandelettes, les bonnets et la pourpre, que la passion s'assouvit, tandis que l'encens brle ; si j'ajoute tout cela, je me demande si vos dieux n'ont pas plus se plaindre de vous que des chrtiens. Ce qui est sr, c'est que, si l'on prend sur le fait des sacrilges, ils sont des vtres ; car les chrtiens ne frquentent pas vos temples, mme le jour. Il est vrai que, s'ils honoraient ces temples, ils les dpouilleraient peut-tre, eux aussi.

8. Qu'adorent-ils donc, ceux qui n'adorent pas de pareils dieux ? Il est facile de comprendre qu'ils adorent la vrit, ceux qui n'adorent pas le mensonge, et qu'ils ne vivent plus dans l'erreur. Comprenez d'abord cela et puis coutez toute l'ordonnance de notre religion; mais auparavant, je vais rfuter les opinions fausses que vous en avez.

CHAPITRE XVI1. Donc, avec certain de vos auteurs, vous avez rv qu'une tte d'ne tait notre dieu. C'est Cornlius |p55 Tacite qui est l'auteur de ce soupon. - 2. En effet, dans le quatrime livre de ses Histoires, qui traite de la guerre des Juifs, il remonte l'origine de cette nation et, sur l'origine mme, sur le nom et la religion de ce peuple, il expose tout ce qu'il lui plat. Puis il raconte que les Juifs, dlivrs du joug de l'Egypte ou, comme il le pense, exils de ce pays, furent tourments par la soif dans les dserts de l'Arabie, tout fait dpourvus d'eau. Prenant pour guides des nes sauvages, qui, croyaient-ils, allaient chercher boire, au sortir du pturage, ils auraient trouv des sources. Par reconnaissance pour ce service, ils auraient consacr la figure d'un animal semblable. - 3. Et voil, je pense, d'o l'on a conclu que, nous autres, tant apparents la religion juive, nous sommes initis au culte de la mme idole.

Cependant ce mme Tacite, si fertile en mensonges, rapporte encore, dans la mme histoire, que Gnaeus Pompe, ayant pris Jrusalem, entra dans le temple pour surprendre les mystres de la religion juive, mais qu'il n'y trouva aucun simulacre. - 4. Et pourtant, si l'objet du culte des Juifs avait t une image quelconque, c'est dans le sanctuaire qu'ils l'auraient expose plutt que partout ailleurs, d'autant que leur culte, tout vain qu'il pt tre, n'avait pas craindre les tmoins trangers. En effet, il n'tait permis qu'aux prtres d'entrer dans le sanctuaire, et un voile dploy en drobait la vue aux autres. - 5. Quant vous, vous ne nierez pas que vous n'adoriez toutes les btes de somme et les chevaux tout entiers, avec leur Epone. Voici peut-tre pourquoi on trouve redire chez les chrtiens : c'est que, parmi les adorateurs de btes de toute espce, nous n'adorions que les nes.

6. Quant celui qui croit que nous rendons un culte une croix, il sera, lui aussi, notre coreligionnaire. Quand un morceau de bois est ador, peu importe |p56 l'aspect qu'il nous prsente, puisque la qualit de la matire est la mme ; peu importe la forme du bois, si le bois lui-mme est cens le corps d'un dieu. Et d'ailleurs, quelle diffrence y a-t-il entre le montant d'une croix et Pallas d'Athnes et Crs de Pharos, qui sont exposs aux regards du public, sans image, sous la figure d'un pieu grossier et d'un informe morceau de bois ? - 7. Tout morceau de bois, qui est fix dans une position verticale, est une partie de la croix. Aprs tout, si nous adorons une croix, nous adorons le dieu entier. Nous avons dit plus haut qu' leur origine vos dieux sont bauchs par les modeleurs au moyen d'une croix. Mais vous adorez aussi les Victoires, bien que dans les trophes il y ait des croix, celles qui forment les entrailles des trophes. - 8. Toute la religion militaire des Romains rvre les enseignes, jure par les enseignes, met les enseignes au-dessus de tous les dieux. Toutes ces images dont vous ornez les enseignes, sont la parure des croix ; les voiles de vos tendards et de vos bannires sont le vtement des croix. Je loue votre got : vous n'avez pas voulu consacrer des croix nues et sans ornements.

9. D'autres, se faisant de nous une ide plus humaine et plus vraisemblable, croient que le soleil est notre dieu. Si cela est, on nous rangera parmi les Perses, bien que nous n'adorions pas le soleil peint sur une toile, ayant partout le soleil lui-mme dans la vote cleste. - 10. Pour en finir, l'origine de ce soupon, c'est le fait bien connu que nous nous tournons vers l'Orient pour prier. Mais beaucoup d'entre vous, affectant parfois d'adorer, eux aussi, les choses clestes, se tournent vers le soleil levant, en remuant les lvres. - 11. De mme, si nous donnons la joie le jour du soleil pour une tout autre raison que pour rendre un culte au soleil, nous ne faisons que suivre en cela ceux |p57 d'entre vous qui vouent le jour de Saturne l'oisivet et aux festins, et qui s'cartent d'ailleurs aussi de la coutume juive, qu'ils ignorent.

12. Mais rcemment on a publi dans cette ville une reprsentation nouvelle de notre Dieu : un sclrat, qui se loue pour exciter les btes fauves, a expos en public un tableau avec cette inscription : Le dieu des chrtiens, race d'ne. Ce dieu avait des oreilles d'ne, un pied de corne, portait un livre la main et tait vtu de la toge. Nous avons ri, et du nom et de la figure. - 13. Mais vraiment nos adversaires auraient d l'instant adorer ce dieu double forme, puisqu'ils ont accueilli des divinits avec des ttes de chien et de lion, avec des cornes de chvre et blier, boucs depuis les reins, serpents depuis les cuisses, portant des ailes aux pieds et au dos. - 14. J'ai dit tout cela sans qu'il en ft besoin, ne voulant pas sciemment ngliger de rfuter un seul des reproches que nous fait la renomme. Nous allons maintenant nous tourner vers l'expos de notre religion et nous achverons de nous justifier de toutes ces calomnies.

CHAPITRE XVII1. Ce que nous adorons, c'est un Dieu unique, qui, par sa parole qui commande, par son intelligence qui dispose, par sa vertu qui peut tout, a tir du nant toute cette masse gigantesque avec les lments, les corps, les esprits qui la composent, pour servir d'ornement sa majest : c'est aussi pourquoi les Grecs ont donn au monde un nom qui signifie ornement (ko&smoj). - 2. Dieu est invisible, bien qu'on le voie ; il est insaisissable, bien que sa grce nous le rende prsent ; incomprhensible, bien que nos facults puissent le concevoir : c'est ce qui prouve sa vrit et sa grandeur. |p58 Les autres choses qu'on peut voir, saisir, comprendre la manire ordinaire, sont infrieures aux yeux qui les voient, aux mains qui les touchent, aux sens qui les dcouvrent. - 3. Mais ce qui est infini n'est parfaitement connu que de soi-mme. Ce qui fait comprendre Dieu, c'est l'impossibilit de le comprendre : l'immensit de sa grandeur le dvoile et le cache tout la fois aux hommes. Et toute leur faute consiste ne pas vouloir connatre celui qu'ils ne sauraient ignorer. 4-5. Voulez-vous que nous prouvions l'existence de Dieu par ses ouvrages, si nombreux et si beaux, qui nous conservent, qui nous soutiennent, qui nous rjouissent, par ceux- mmes qui nous effraient ? par le tmoignage mme de l'me, qui, bien qu' l'troit dans la prison du corps, bien que pervertie par une ducation mauvaise, bien qu'nerve par les passions et la concupiscence, bien qu'asservie aux faux dieux, lorsqu'elle revient elle-mme, comme si elle sortait de l'ivresse ou du sommeil, ou de quelque maladie, et qu'elle recouvre la sant, invoque Dieu sous ce seul nom, parce que le vrai Dieu est un