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formation | recherche 10 OptionBio | lundi 22 novembre 2010 | n° 445 Thérapie cellulaire et insuffisance cardiaque La thérapie cellulaire connaît un regain d’intérêt du fait de son utilisation possible dans les insuffisances cardiaques, avec le repeuplement des zones détruites. Mais il s’avère que les cellules souches auraient plutôt un effet cardioprotecteur. Les recherches devront solutionner le problème du choix des cellules (déjà différenciées ?) et de leur transfert (forte apoptose liée à l’injection). L a thérapie cellulaire existe depuis longtemps (greffes de peau, greffes de moelle depuis plus de 20 ans). Elle s’appuie sur le double fait que les cellules souches sont capables d’auto-renouvellement, en principe infini, et qu’elles peuvent donner naissance à tous les types de cellules spécia- lisées, avec une plasticité relative. Cependant, la thérapie cellulaire connaît un regain d’intérêt récent du fait de son utilisation possible dans le cadre d’autres pathologies, et des insuffisances cardiaques notamment. L’ob- jectif dans ce contexte est de repeupler une zone du cœur, détruite au décours d’un infarctus du myocarde, par des cel- lules vivantes et contractiles, donc capables de régénérer une certaine fonctionnalité. Étude sur 21 centres européens Objectif Des études existent depuis plus de 15 ans, et ont toujours été menées à partir de deux types de cellules : les cellules souches musculaires et des cellules souches hématopoïétiques. À partir de 2000 eurent lieu les premiers essais cliniques, premières opérations avec transfert de cellules souches mus- culaires par simples injections, associées à un ou plusieurs pontages coronariens. Un essai randomisé en double aveugle s’est ainsi organisé dans 21 centres en Europe, dont les conclusions furent les suivantes : l’amélioration était identique entre les groupes avec et sans cellules souches musculaires, malgré le constat d’une réduc- tion du volume ventriculaire. D’autres essais menés avec des cellules souches hématopoïétiques ont donné les conclusions similaires, montrant une amélioration sur l’angiogenèse plutôt qu’une restauration de contractilité efficace. L’effet paracrine Les bénéfices constatés, modestes, sont en fait surtout liés à l’angiogenèse, et non à la régénération cellulaire muscu- laire cardiaque, et cela quelles que soient les cellules souches utilisées (musculaires ou hématopoïétiques). Les cellules ne deviennent pas de nouvelles cellules cardiaques mais auraient plutôt un effet dit paracrine, cardioprotecteur. Cet effet paracrine a récemment été démontré : les cytokines produites par les cellules donneuses disparaissent rapidement, mais elles ont le temps d’initier un certain nombre de mécanis- mes de signalisation pérennes pouvant expliquer ces modestes bénéfices. Ces constats ont permis de revenir à une question fondamen- tale : qu’attend-on de ces cellules souches dans le cadre de l’insuffisance cardiaque ? D’une manière générale, on attend de tout traitement qu’il soigne une maladie. Si la maladie est liée à un problème de production d’une substance donnée (maladie de Parkinson, diabète...), le traitement cherchera à produire la substance manquante. Il s’agit bien alors dans ce cas d’un objectif paracrine. Or, dans l’insuffisance cardiaque, cela ne suffit pas, l’objectif est structurel : il faut reconstituer un tissu détruit. Les leçons tirées de cette étude Les réflexions portent sur trois thèmes : le choix des cellules, la manière de les transférer et leur effet dans le myocarde. Des cellules à fonctions concrètes Pour reconstituer ce tissu détruit, constat est donc fait qu’il vaut mieux apporter des cellules cardiaques, c’est-à-dire appor- ter des cellules déjà engagées dans la voie de différenciation adaptée. Les premières cellules candidates pourraient être les cellules souches cardiaques dormantes (c-kit+). Celles-ci ont été recherchées directement chez les malades, à partir de biopsie (prélèvement d’une carotte ventriculaire). Ces prélèvements ont ramené peu de ces cellules, qui se sont avérées être éga- lement hématopoïétiques (cd 45+). D’autres études réalisées en pédiatrie évoquent l’hypothèse selon laquelle nous naissons sans doute avec ce pool de cellules, mais qu’il diminue ensuite au cours de la vie. De ce fait, de trop nombreuses inconnues existent autour de ces cellules souches pour en faire de bonnes candidates. Les secondes cellules candidates pourraient être les cellules souches embryonnaires. Il faut alors trois étapes : les propa- ger, les orienter vers un phénotype cardiaque, sachant qu’en- viron la moitié reste indifférenciée et peut être responsable de tératomes, et donc en troisième lieu trier les cellules avant de les injecter afin de n’utiliser que celles effectivement engagées dans la voie de la différenciation cardiaque (études sur modèles animaux). Dès lors que ces étapes seront résolues, le problème majeur de ces cellules “progéniteurs”, allogéniques, restera

Thérapie cellulaire et insuffisance cardiaque

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10 OptionBio | lundi 22 novembre 2010 | n° 445

Thérapie cellulaire et insuffisance cardiaque

La thérapie cellulaire connaît un regain d’intérêt du fait de son utilisation possible dans les insuffisances cardiaques, avec le repeuplement des zones détruites. Mais il s’avère que les cellules souches auraient plutôt un effet cardioprotecteur. Les recherches devront solutionner le problème du choix des cellules (déjà différenciées ?) et de leur transfert (forte apoptose liée à l’injection).

La thérapie cellulaire existe depuis longtemps (greffes de peau, greffes de moelle depuis plus de 20 ans). Elle s’appuie sur le double fait que les cellules souches sont

capables d’auto-renouvellement, en principe infini, et qu’elles peuvent donner naissance à tous les types de cellules spécia-lisées, avec une plasticité relative.Cependant, la thérapie cellulaire connaît un regain d’intérêt récent du fait de son utilisation possible dans le cadre d’autres pathologies, et des insuffisances cardiaques notamment. L’ob-jectif dans ce contexte est de repeupler une zone du cœur, détruite au décours d’un infarctus du myocarde, par des cel-lules vivantes et contractiles, donc capables de régénérer une certaine fonctionnalité.

Étude sur 21 centres européensObjectifDes études existent depuis plus de 15 ans, et ont toujours été menées à partir de deux types de cellules : les cellules souches musculaires et des cellules souches hématopoïétiques.À partir de 2000 eurent lieu les premiers essais cliniques, premières opérations avec transfert de cellules souches mus-culaires par simples injections, associées à un ou plusieurs pontages coronariens. Un essai randomisé en double aveugle s’est ainsi organisé dans 21 centres en Europe, dont les conclusions furent les suivantes : l’amélioration était identique entre les groupes avec et sans cellules souches musculaires, malgré le constat d’une réduc-tion du volume ventriculaire. D’autres essais menés avec des cellules souches hématopoïétiques ont donné les conclusions similaires, montrant une amélioration sur l’angiogenèse plutôt qu’une restauration de contractilité efficace.

L’effet paracrineLes bénéfices constatés, modestes, sont en fait surtout liés à l’angiogenèse, et non à la régénération cellulaire muscu-laire cardiaque, et cela quelles que soient les cellules souches utilisées (musculaires ou hématopoïétiques). Les cellules ne deviennent pas de nouvelles cellules cardiaques mais auraient plutôt un effet dit paracrine, cardioprotecteur.Cet effet paracrine a récemment été démontré : les cytokines produites par les cellules donneuses disparaissent rapidement, mais elles ont le temps d’initier un certain nombre de mécanis-

mes de signalisation pérennes pouvant expliquer ces modestes bénéfices.Ces constats ont permis de revenir à une question fondamen-tale : qu’attend-on de ces cellules souches dans le cadre de l’insuffisance cardiaque ? D’une manière générale, on attend de tout traitement qu’il soigne une maladie. Si la maladie est liée à un problème de production d’une substance donnée (maladie de Parkinson, diabète...), le traitement cherchera à produire la substance manquante. Il s’agit bien alors dans ce cas d’un objectif paracrine. Or, dans l’insuffisance cardiaque, cela ne suffit pas, l’objectif est structurel : il faut reconstituer un tissu détruit.

Les leçons tirées de cette étudeLes réflexions portent sur trois thèmes : le choix des cellules, la manière de les transférer et leur effet dans le myocarde.

Des cellules à fonctions concrètesPour reconstituer ce tissu détruit, constat est donc fait qu’il vaut mieux apporter des cellules cardiaques, c’est-à-dire appor-ter des cellules déjà engagées dans la voie de différenciation adaptée.Les premières cellules candidates pourraient être les cellules souches cardiaques dormantes (c-kit+). Celles-ci ont été recherchées directement chez les malades, à partir de biopsie (prélèvement d’une carotte ventriculaire). Ces prélèvements ont ramené peu de ces cellules, qui se sont avérées être éga-lement hématopoïétiques (cd 45+). D’autres études réalisées en pédiatrie évoquent l’hypothèse selon laquelle nous naissons sans doute avec ce pool de cellules, mais qu’il diminue ensuite au cours de la vie. De ce fait, de trop nombreuses inconnues existent autour de ces cellules souches pour en faire de bonnes candidates.Les secondes cellules candidates pourraient être les cellules souches embryonnaires. Il faut alors trois étapes : les propa-ger, les orienter vers un phénotype cardiaque, sachant qu’en-viron la moitié reste indifférenciée et peut être responsable de tératomes, et donc en troisième lieu trier les cellules avant de les injecter afin de n’utiliser que celles effectivement engagées dans la voie de la différenciation cardiaque (études sur modèles animaux). Dès lors que ces étapes seront résolues, le problème majeur de ces cellules “progéniteurs”, allogéniques, restera

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leur caractère immunogène qui imposera une incontournable stratégie d’immunomodulation délicate à mettre en œuvre.Les cellules induites pluripotentes, autologues, sont les troisièmes candidates possibles. Fibroblastes ou kératinocytes reprogrammés par transfection virale pour revenir à un stade pseudo-embryonnaire, ces cellules peuvent alors être redifféren-ciées vers un type cellulaire donné. À l’efficience très faible de ce procédé s’ajoutent toutes les questions d’éthique. De plus, si le caractère autologue de ces cellules est séduisant (suppression des problèmes immunitaires puisqu’il s’agit des propres cellules du patient), la mise en place d’une médecine ainsi personnalisée peut difficilement être envisagée dans un contexte de santé publique, de par sa complexité et son coût.

Le transfert de ces cellulesCe transfert cellulaire est très difficile à optimiser : environ 12 % seulement des cellules injectées restent dans l’organe cible... Il faut pouvoir travailler sur les modes de transfert : injection directe ou par voie veineuse périphérique, augmenter la visco-sité pour améliorer la rétention, travailler sur le type d’aiguilles utilisées...

La mort des cellules transféréesIl est important de réduire la mort des cellules transférées ; en effet, 99 % de ces cellules vivantes injectées (déjà peu nom-breuses) disparaissent très rapidement. Cette mort est liée à l’injection elle-même, dans la mesure où les cellules sont alors dans un milieu liquide (absence de signaux de connexion intercellulaire nécessaires à leur survie). Le fait d’utiliser une matrice pourrait réduire cette apoptose en favorisant la cohé-sion cellulaire.La mort de ces cellules est également liée à l’ischémie exis-tant dans la zone fibreuse où elles sont injectées. L’injection associée de cellules mésenchymateuses pourrait apporter le support vasculaire nécessaire pour limiter cette ischémie.

En conclusionLe mécanisme de régénération ne concerne pas uniquement les cellules myocardiques et leur fonctionnalité, mais également les vaisseaux et la matrice. Les effets paracrines ne suffisent pas à répondre aux nombreuses questions et constats mais correspondent cependant à un réel espoir, dont l’utilisation reste à préciser et affiner.Ce type d’essais cliniques, nécessairement innovants, doit toujours être réalisé en respectant les verrous réglementaires, verrous d’autant plus lourds en France qu’ils s’appliquent dans un contexte de principe de précaution fort, basé sur le fait qu’il n’existe pas de risque nul et qu’aucun modèle animal ne répond à l’ensemble des questions.À cela vient s’ajouter un phénomène tout à fait particulier à l’encontre des patients, effet pervers de l’hypermédiatisation moderne : il s’agit du “tourisme cellulaire” sur internet où des centaines de personnes peuvent se faire piéger dans des effets d’annonces tout à fait malhonnêtes. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication de P. Menasché (HEGP, Paris), lors des 52es Journées de biologie clinique de Necker, Paris, janvier 2010.

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Cellule souche. Illustration. |