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TITRE V LES HYPOTHEQUES ET LES PRIVILEGES SPECIAUX SUR IMMEUBLES CHAPITRE 1 ER LES HYPOTHEQUES SECTION 1. GÉNÉRALITÉS 1. Aux termes de l'article 41, alinéa 1 er de la loi hypothécaire, l'hypothèque est "un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation". Cette définition doit être complétée, pour y ajouter une caractéristique essentielle de l'hypothèque: l'absence de dépossession matérielle requise pour la constitution et l'opposabilité de la sûreté. 2. Comme l'indique la disposition légale précitée, l'hypothèque est un droit réel. Le corollaire de cette qualification est l'existence d'un droit de suite au bénéfice du créancier hypothécaire, attaché à l'opposabilité erga omnes du droit. C'est ce qu'exprime l'article 41, alinéa 3 de la loi hypothécaire, selon lequel "Elle suit (les immeubles grevés) dans quelques mains qu'ils passent". 3. L'article 41, alinéa 2 de la loi hypothécaire précise que l'hypothèque « est, de sa nature, indivise et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles ». L'indivisibilité présente un double aspect. D'une part, l'hypothèque grève l'immeuble ou les immeubles hypothéqués tout entiers. Ainsi, si une partie de l'assiette grevée est vendue par le constituant de la sûreté, celle-ci subsiste en garantie de toute la dette, aussi bien sur la partie dont le propriétaire demeure que sur la partie vendue, sur laquelle le créancier hypothécaire peut exercer son droit de suite. Il en va de même en cas de division de l'immeuble, à la suite du décès du constituant, entre ses héritiers.

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TITRE V

LES HYPOTHEQUES ET LES PRIVILEGES SPECIAUX SUR IMMEUBLES

CHAPITRE 1ER – LES HYPOTHEQUES SECTION 1. GÉNÉRALITÉS 1. Aux termes de l'article 41, alinéa 1er de la loi hypothécaire, l'hypothèque est "un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation". Cette définition doit être complétée, pour y ajouter une caractéristique essentielle de l'hypothèque: l'absence de dépossession matérielle requise pour la constitution et l'opposabilité de la sûreté. 2. Comme l'indique la disposition légale précitée, l'hypothèque est un droit réel. Le corollaire de cette qualification est l'existence d'un droit de suite au bénéfice du créancier hypothécaire, attaché à l'opposabilité erga omnes du droit. C'est ce qu'exprime l'article 41, alinéa 3 de la loi hypothécaire, selon lequel "Elle suit (les immeubles grevés) dans quelques mains qu'ils passent". 3. L'article 41, alinéa 2 de la loi hypothécaire précise que l'hypothèque « est, de sa nature, indivise et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles ». L'indivisibilité présente un double aspect. D'une part, l'hypothèque grève l'immeuble ou les immeubles hypothéqués tout entiers. Ainsi, si une partie de l'assiette grevée est vendue par le constituant de la sûreté, celle-ci subsiste en garantie de toute la dette, aussi bien sur la partie dont le propriétaire demeure que sur la partie vendue, sur laquelle le créancier hypothécaire peut exercer son droit de suite. Il en va de même en cas de division de l'immeuble, à la suite du décès du constituant, entre ses héritiers.

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D’autre part, la division de la dette garantie entre plusieurs débiteurs succédant au débiteur initial, laisse subsister la sûreté pour le tout, même si le propriétaire de l'immeuble grevé n'est obligé que pour une part de l'obligation. 4. L'hypothèque est une sûreté immobilière; elle ne peut grever que des droits immobiliers. Ceux-ci doivent être réels et principaux, même s'ils constituent des démembrements de la propriété. Dès lors, aux côtés du droit de propriété, peuvent servir d'assiette à une hypothèque: l'usufruit, l'emphytéose et la superficie. En revanche, l'usage et l'habitation ne présentent pas cette utilité en raison de leur caractère strictement personnel, incessible et insaisissable. La règle résulte explicitement de l'article 45 alinéa 1er de la loi hypothécaire, qui énonce que "sont seuls susceptibles d'hypothèques: (1°) les biens immobiliers qui sont dans le commerce; (2°) les droits d'usufruit, d'emphytéose et de superficie, établis sur les mêmes biens pendant la durée de ces droits". En outre, l'hypothèque, selon l'alinéa 2 dudit article 45, "s'étend aux accessoires réputés immeubles, et aux améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué". Il convient d'ajouter que l'article 45bis de la loi hypothécaire autorise la constitution d'une hypothèque sur des bâtiments dont la construction est commencée, ou même seulement projetée, pourvu que celui qui confère l'hypothèque ait un droit actuel lui permettant de construire à son profit. 5. L'article 43 de la loi hypothécaire énumère les différentes catégories d'hypothèques: elles sont d'origines légale, conventionnelle ou testamentaire. Selon l'article 44, l'hypothèque légale "est celle qui résulte de la loi"; l'hypothèque conventionnelle "est celle qui dépend des conventions et de la forme extérieure des actes et des contrats"; l'hypothèque testamentaire "est celle qui est établie par le testateur sur un ou plusieurs immeubles, spécialement désignés dans le testament pour garantir des legs par lui faits". 6. Entre les parties, l'hypothèque existe indépendamment de toute inscription, mais à l'égard des tiers, ce n'est que par l'inscription et à dater de celle-ci que l'hypothèque produit ses effets1. Cette jurisprudence constante repose sur la règle prescrite par l'article 81, alinéa 1er de la loi hypothécaire, qui dispose qu'"Entre les créanciers, l'hypothèque n'a de rang que du jour de l'inscription prise sur les registres du conservateur (…)". Le second alinéa du même article précise que "Tous les créanciers inscrits le même jour exercent en concurrence un hypothèque de la même date, sans distinction entre l'inscription du matin et celle du soir, quand cette différence serait remarquée par le conservateur". 1 Cass., 9 novembre 1877, Pas., 1879, I, 414.

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L'article 82 de la loi hypothécaire indique que "Les inscriptions se font au bureau de conservation des hypothèques dans l'arrondissement duquel sont situés les biens soumis (…) à l'hypothèque". SECTION 2. L’HYPOTHÈQUE EST UN DROIT RÉEL DE GARANTIE 7. Le créancier hypothécaire doit impérativement faire valoir ses prétentions, non pas sur le bien hypothéqué lui-même qui reste en la possession du constituant, mais sur le prix de celui-ci, en fonction de la date de son inscription. Il doit en outre affecter ce prix au désintéressement de la créance garantie. Enfin, le créancier hypothécaire ne peut empêcher le constituant d'aliéner le bien, ou ses créanciers de le saisir. Pour ces raisons, le droit d'hypothèque s'analyse en un droit réel de garantie ou sûreté réelle. L'opposabilité erga omnes de ce droit se manifeste au travers de deux phénomènes: le droit de suite et l'exercice du droit de préférence en fonction de la date de l'inscription de l'hypothèque. C'est ce qu'exprime l'article 96 de la loi hypothécaire, qui dispose, faisant écho à l'article 41, alinéa 3 précité, que "Les créanciers ayant privilège ou hypothèque inscrits sur un immeuble, le suivent, dans quelques mains qu'il passe, pour être colloqués et payés suivant l'ordre de leurs créances ou inscriptions". A. Le droit de suite § 1. Principe 8. Quelle que soit l'origine de l'aliénation du bien grevé par le constituant au profit d'un tiers (qu'il s'agisse d'une vente, d'un apport en société, d'un échange, d'une donation ou d'un partage) et quelle que soit la portée d'un nouveau droit réel portant sur ce bien (qu'il s'agisse d'un usufruit, d'une emphytéose ou d'une superficie), le créancier hypothécaire conserve ses droits entiers envers le tiers, qui sera tenu de la dette garantie propter rem. 9. Placé face aux prétentions d'un créancier hypothécaire, le tiers détenteur du bien grevé a le choix entre quatre comportements distincts: soit laisser le créancier hypothécaire poursuivre l'exécution forcée sur le bien grevé, trente jours après le commandement fait au débiteur originaire, et sommation faite au tiers détenteur de

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payer la dette exigible ou de délaisser le bien, ainsi que le prévoit l'article 99 de la loi hypothécaire; soit délaisser le bien, comme l'impose l'article 98 de la loi hypothécaire, sans réserve; soit conserver le bien, mais rembourser le créancier hypothécaire de toutes les dettes hypothécaires, tout en jouissant des termes et délais éventuels consentis au débiteur originaire, selon le prescrit de l'article 97 de la loi hypothécaire ; soit enfin provoquer la purge du bien hypothéqué en se conformant à la procédure prévue aux articles 109 et suivants de la loi hypothécaire. Ces trois dernières possibilités méritent les quelques développements qui suivent. § 2. La subrogation 10. Le paiement de la dette hypothécaire, en capital et intérêts "à quelque somme qu'ils puissent monter", comme l'énonce l'article 98 de la loi hypothécaire, donne lieu à l'application de l'article 1251-3 du Code civil, qui confère la subrogation de plein droit "au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt à l'acquitter". 11. Le tiers détenteur, solvens de l'obligation principale, peut sur le fondement de cette disposition légale élever un recours à l'encontre du débiteur initial, non pas en invoquant des droits personnels, mais, à l'instar de tout subrogé, les droits du subrogeant, en l'occurrence le créancier hypothécaire, dans les limites de la subrogation2. § 3. Le délaissement 12. Le délaissement de l'immeuble "se fait (par déclaration en ce sens) au greffe du tribunal de la situation des biens, et il en est donné acte par ce tribunal" (article 102 alinéa 1er de la loi hypothécaire). Une fois déclarée de la sorte la volonté de délaisser l'immeuble pour que le créancier hypothécaire en règle le sort en vue de l'apurement de sa créance, un curateur est désigné, à la requête de la partie intéressée la plus diligente, par le tribunal de la situation du bien, avec la mission d'en poursuivre la vente selon les formes de l'adjudication publique (article 102, alinéa 2 de la loi hypothécaire). 13. Se pose dans ce cas la question des comptes à établir entre le tiers délaissant l'immeuble et le créancier hypothécaire s'emparant de l'immeuble pour en extraire le 2 Cass., 9 mars 1992, Pas., 1992, I, 607.

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produit de réalisation. Elle se trouve réglée par l'article 103 de la loi hypothécaire. En ce qui concerne les détériorations éventuelles procédant du fait ou de la négligence du tiers délaissant, au mépris des droits acquis par le créancier ayant requis une inscription sur l'immeuble, une indemnité est due par le premier au second. A l'inverse, s'agissant des impenses et améliorations effectuées grâce au tiers délaissant, le remboursement ne peut être réclamé par lui au créancier hypothécaire (car l'inscription de sa sûreté en assure la préservation et l'opposabilité aux tiers sur le bien et ses améliorations) mais bien au propriétaire initial, constituant de l'hypothèque3. 14. Enfin, les fruits perçus par le tiers doivent être versés par lui au créancier hypothécaire à compter du jour de la sommation de payer ou de délaisser. § 4. La purge 15. Dans de très nombreuses situations, le droit de suite du créancier hypothécaire ne trouve pas à s'exercer, car la vente de l'immeuble grevé emporte, par le vœu de la loi, la délégation du prix, c'est-à-dire une affectation automatique du produit de réalisation de l'immeuble au désintéressement des créances inscrites sur le bien. Ce phénomène implique que le délégué (l'acquéreur de l'immeuble) paie le prix d'achat, non pas au délégant (le vendeur de l'immeuble), mais aux délégataires (les créanciers disposant d'une hypothèque, d'un privilège ou d'un droit réalisé sur l'immeuble). Ce faisant, le délégué, par un paiement unique, fait disparaître deux types de liens obligatoires: celui qui le reliait au vendeur sous la forme de la dette du prix, et celui du vendeur envers ses créanciers. Il en va ainsi dans les ventes judiciaires et dans les ventes sur exécution forcée. Même si le prix obtenu est insuffisant pour acquitter toutes les créances inscrites ou réalisées sur le bien, le paiement par délégation purge de plein droit le bien hypothéqué et les créanciers doivent se satisfaire du prix obtenu, sans pouvoir, nonobstant l'insuffisance, conserver leurs prétentions sur l'immeuble. 16. La purge volontaire n'est dès lors utile que dans les autres hypothèses, à savoir la vente volontaire sans délégation légale du prix de vente. La procédure pour y parvenir est plutôt complexe et formaliste; c'est pourquoi elle était pour ainsi dire complètement tombée en désuétude, les parties préférant s'accorder sur une répartition amiable du prix moyennant la mainlevée volontaire des garanties ou des saisies. Actuellement, le phénomène renaît cependant de ses cendres, de sorte qu'il est utile d'examiner la procédure décrite aux articles 109 et suivants de la loi hypothécaire. 17. L'article 109 de la loi hypothécaire réaffirme le principe de l'existence du droit de suite en ces termes: "Le cédant ne transmet à l'acquéreur que la propriété et les droits qu'il 3 Cass., 25 juillet 1886, Pas., 1886, I, 304.

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avait lui-même sur la chose cédée; il les transmet sous l'affectation des mêmes privilèges et hypothèques dont il était chargé". Pour débarrasser l'immeuble des effets du droit de suite et le conserver purifié de ses charges sans avoir à assurer le poids des obligations exprimées par celles-ci, le nouvel acquéreur volontaire doit procéder à diverses notifications successives. En premier lieu, soit dans les trente jours de la sommation qui lui aurait été faite par le créancier hypothécaire de délaisser l'immeuble ou de payer la créance garantie, soit avant que le créancier hypothécaire ne commence, comme il en a le droit, à procéder à l'exécution forcée de sa sûreté, et, en tous cas dans l'année de la transcription de son titre, le nouvel acquéreur doit notifier aux créanciers inscrits avant la transcription de son propre titre, aux domiciles élus dans l'inscription: (1°) la date de son titre authentique, la désignation du notaire ou du tribunal qui le lui a conféré, l'indication précise des parties et de l'immeuble concerné par cet acte, le prix et les charges faisant partie du prix de vente ou son évaluation si l'acquisition ne repose pas sur une vente; (2°) l'indication des renseignements relatifs à la transcription de l'acte d'acquisition; (3°) un tableau sur trois colonnes reprenant les inscriptions pesant sur l'immeuble, le nom des créanciers hypothécaires et le montant respectif de leurs créances; (4°) la déclaration qu'il entend acquitter les dettes et charges inscrites jusqu'à concurrence du prix ou de la valeur déclarée4. Après avoir reçu la notification précitée, les créanciers inscrits disposent du droit de faire vendre l'immeuble en vente publique, à la condition de prendre et faire signifier cette décision dans les quarante jours de la notification faite par le nouvel acquéreur, ce délai pouvant être étendu en fonction de la distance séparant le créancier du destinataire de la signification. Ce faisant, le créancier doit prendre l'engagement que le prix de l'immeuble sera porté, le cas échéant par son intervention, à un vingtième au-delà de celui consenti par le nouvel acquéreur tentant d'obtenir la purge volontaire5. Si l'immeuble est de la sorte vendu aux enchères à la requête du créancier le requérant, l'effet de délégation et de purge légale se produisent, en manière telle que l'adjudicataire de l'immeuble l'acquiert débarrassé de ses charges. Si au contraire, aucun créancier inscrit ne prend la décision de requérir cette forme de vente, l'article 116 exprime clairement les conséquences de cette situation: "A défaut, pour les créanciers inscrits d'avoir requis la mise aux enchères dans les formes et le délai prescrits, la valeur de l'immeuble demeure définitivement fixée au prix stipulé dans le contrat ou déclaré par le nouveau propriétaire. Les inscriptions qui ne viennent pas en ordre utile sur le prix seront rayées, pour la partie qui l'excédera (…), le nouveau propriétaire se libérera des privilèges et hypothèques, soit

4 Articles 110, 111, 112 et 113 de la loi hypothécaire. 5 Article 115 de la loi hypothécaire.

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en payant aux créanciers en ordre utile l'import des créances (…) soit en consignant le prix payé à concurrence de ces créances (…)". B. L'exercice du droit de préférence en fonction de la date de

l'inscription de l'hypothèque 18. L'hypothèque n'est opposable aux tiers qu'après son inscription dans le registre de la conservation des hypothèques. Parmi ces tiers, figurent les créanciers chirographaires, auxquels l'état des charges pesant sur l'immeuble donne la mesure de la solvabilité du débiteur et confère une appréciation utile du bénéfice potentiel à tirer d'une saisie de l'immeuble grevé. 19. Est également concerné par la publicité et l'opposabilité qu'il assure à la sûreté, le candidat tiers acquéreur de l'immeuble, qui sait par l'inscription qu'il conviendra, d'une manière ou d'une autre, de mener des démarches pour obtenir le dégrèvement de l'immeuble. Enfin, les créanciers ayant successivement fait inscrire des hypothèques sur le même bien voient régler leur conflit par application de la règle de l'antériorité, l'ordre des inscriptions dessinant leurs rangs. § 1. La technique de l’inscription 20. Aux termes de l'article 82, alinéa 1er de la loi hypothécaire, "les inscriptions se font au bureau de conservation des hypothèques dans l'arrondissement duquel sont situés les biens soumis (…) à l'hypothèque". L'inscription peut être requise par toute personne intéressée. Il s'agira le plus généralement du créancier hypothécaire ou du notaire ayant reçu l'acte authentique d'hypothèque. Le requérant doit présenter au conservateur deux bordereaux contenant les noms, prénoms, domiciles respectifs des parties, l'indication spéciale de l'acte conférant l'hypothèque avec sa date, l'indication spéciale de l'assiette de l'hypothèque et le montant du capital et des accessoires des créances pour lesquelles l'inscription est requise ainsi que le terme assigné à leur paiement. 21. En ce qui concerne les intérêts, l'effet de l'inscription est cependant limité à trois ans, en vertu de l'article 87 de la loi hypothécaire, au même rang que le capital, pour autant que le principe de la débition d'intérêts et le taux applicable soient indiqués au bordereau. Des inscriptions supplémentaires peuvent être prises pour les autres intérêts éventuellement convenus.

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22. L'inscription peut être prise dès que le droit d'hypothèque est né, mais il n'existe aucun délai pour la requérir, autre que celui de la prescription trentenaire de la sûreté elle-même. Bien entendu, dès lors que cette formalité assure l'opposabilité de son droit, le créancier hypothécaire a tout intérêt à en requérir l'accomplissement le plus rapidement possible. 23. Il n'existe à cet égard qu'un cas particulier: celui du décès de l'affectant hypothécaire. L'article 82, alinéa 2 de la loi hypothécaire dispose que "Les droits (…) d'hypothèque acquis et qui n'auraient pas été inscrits avant le décès du débiteur ne pourront plus l'être que dans les trois mois de l'ouverture de la succession (…)". Cette disposition est applicable aux promesses d'hypothèques6 et aux mandats irrévocables d'hypothéquer. § 2. Inscription hypothécaire et faillite 24. Le droit d'hypothèque étant inopposable aux tiers avant que l'inscription en ait été réalisée, il en découle, selon l'article 19, alinéa 1er de la loi sur les faillites, que les droits d'hypothèque valablement acquis ne peuvent être inscrits que jusqu'au jour du jugement déclaratif de la faillite. Après cette date, les droits réalisés des créanciers en concours interdisent la création de nouvelles charges réelles sur le patrimoine failli. 25. Pour le surplus, l'article 82, alinéa 3 de la loi hypothécaire renvoie pour ce qui concerne l'effet des inscriptions prises avant l'ouverture des faillites aux "lois particulières sur les faillites". Ainsi, l'article 17 de la loi sur les faillites dispose que "Sont inopposables à la masse, lorsqu'ils ont été faits par le débiteur depuis l'époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation des paiements (…) toutes les hypothèques constituées sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées". L'article 19 précité poursuit quant à lui en ces termes: "(…) les inscriptions prises postérieurement à l'époque de la cessation de paiement, peuvent être déclarées inopposables, s'il s'est écoulé plus de quinze jours entre la date de l'acte constitutif de l'hypothèque (…) et celle de l'inscription". La ratio legis de cette dernière disposition tend à éviter qu'une fausse apparence de solvabilité naisse de l'abstention commise par un créancier hypothécaire de rendre opposable sa sûreté avec diligence, trompant ainsi la juste appréciation par ses autres créanciers de la situation financière et de l'étendue du crédit d'un commerçant rencontrant des difficultés. § 3. Monnaie de libellé de la créance 6 Cass., 9 juin 1938, Pas., 1938, I, 213.

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26. Le libellé de la créance garantie peut être effectué en euro ou dans une unité monétaire d'un Etat membre de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (O.C.D.E.)7. Lorsque la monnaie exprimée est étrangère, la conversion en euro se fait au jour du procès-verbal de distribution ou d'ordre, c'est-à-dire au terme de la procédure d'exécution forcée, conformément à l'article 1650, alinéa 3 du Code judiciaire8. § 4. Montant visé par l’inscription 27. Le montant de la créance pour lequel l'inscription est requise ne doit pas nécessairement correspondre à celui pour lequel le créancier bénéficie d'une hypothèque, car ce dernier est toujours libre de n'utiliser sa sûreté que partiellement à l'égard des tiers. 28. Hormis les intérêts, les accessoires comprennent automatiquement les frais que le créancier a exposés pour constituer et inscrire l'hypothèque, à savoir les honoraires du notaire, le salaire du conservateur des hypothèques, les droits d'enregistrement, en principe, de 1% de la créance garantie, perçus lors de l'inscription, ainsi que les frais auxquels le créancier a dû consentir pour réaliser la sûreté, à savoir les coûts nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire et à l'exécution forcée du bien; il convient, le cas échéant, d'y ajouter les primes d'assurances que le créancier a dû verser pour le compte du débiteur défaillant afin de couvrir les risques de destruction totale ou partielle de l'immeuble, ainsi que les droits de dossier liés à l'ouverture du crédit. § 5. Le lieu de l’inscription 29. L’article 82 alinéa 1er de la loi hypothécaire précise que « Les inscriptions se font au bureau de la conservation des hypothèques dans l’arrondissement duquel sont situés les biens soumis au privilège ou à l’hypothèque ». 30. Si l’assiette de l’hypothèque est située dans plusieurs arrondissements, il y a lieu d’appliquer par analogie l’article 2 alinéa 3 de la loi hypothécaire, relatif à la formalité de la transcription : la publicité doit alors être effectuée dans chacun des bureaux compétents. 7 Voyez LOUIS, "Le franc belge n'est plus requis dans les actes publics et administratifs", J.T., 1991, p. 669. 8 Voyez DUQUESNE et DE BROUWER, "Aspects juridiques du passage à la monnaie unique", J.T., 1998, p. 81; BLOCK, "Les incidences du passage à l'euro en procédure civile", J.T., 1999, p. 97; CATARRUZZA et GEORGES, "Du mode de l'inscription des privilèges et hypothèques" in Privilèges et hypothèques, Story Scientia, p. 25, n° 20.

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§ 6. La forme de l’inscription 31. L’article 83 expose le déroulement de l’opération de l’inscription, énumérant les conditions de validité de la publicité : « Pour opérer l’inscription, le créancier représente, soit par lui-même, soit par un tiers, au conservateur des hypothèques, l’expédition authentique de l’acte qui donne naissance au privilège ou à l’hypothèque. Il y joint deux bordereaux écrits sur papier timbré, dont l’un peut être porté sur l’expédition du titre. Ces bordereaux contiennent :

1° les nom, prénoms, domicile et profession du créancier ; 2° les nom, prénoms, profession et domicile du débiteur ou une désignation individuelle

et spéciale, telle que le conservateur puisse reconnaître et distinguer, dans tous les cas l‘individu grevé d’hypothèque ;

3° l’indication spéciale des actes qui confèrent, confirment ou reconnaissent l’hypothèque ou le privilège et la date de ces actions ;

4° le montant du capital et des accessoires des créances pour lesquelles l’inscription est requise et le terme assigné à leur paiement ;

5° l’indication spéciale de la nature et de la situation de chacun des immeubles sur lesquels l’inscrivant entend conserver son privilège ou son hypothèque .

L’inscrivant sera, de plus, tenu de faire élection de domicile dans un lieu quelconque du ressort du tribunal de première instance de la situation des biens ; et, à défaut d’élection de domicile toutes significations et notifications relatives à l’inscription pourront être faites au procureur du Roi. Le conservateur fait mention, sur son registre, du contenu des bordereaux ; il remet aux requérants l’expédition du titre et l’un des bordereaux, au pied duquel il certifie avoir fait l’inscription dont il indique la date, le volume et le numéro d’ordre ». « Il est loisible », précise l’article 88 de la loi hypothécaire, « à celui au profit duquel une inscription existe, ou à ses représentants, de changer sur le registre des hypothèques le domicile par lui élu, à la charge d’en choisir et indiquer un autre dans le même arrondissement. A cet effet, il déposera soit par lui-même, soit par un tiers, au bureau des hypothèques, un acte authentique constatant sa volonté à cet égard, ou bien il signera, sur le registre même des hypothèques une déclaration portant changement de domicile. Dans ce dernier cas, son identité sera, si le conservateur l’exige, certifiée par un notaire qui apposera aussi sa signature au bas de la déclaration ».

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32. Ces règles de forme sont prescrites à peine de nullité, mais seulement dans la mesure limitée prévue par l’article 85 de la loi hypothécaire, énonçant que « L’omission de l’une ou de plusieurs des formalités prescrites par (l’article 81) n’entraînera la nullité de l’inscription (…) que lorsqu’il en résultera un préjudice au détriment des tiers »9. 33. L’exigence de la démonstration d’un préjudice ne se rapporte qu’aux conditions de forme de l’inscription. Lorsque la publicité souffre d’un vice de fond, touchant à la validité du droit d’hypothèque lui-même, aucun préjudice ne doit, en revanche, venir soutenir la contestation. Ainsi, dans une affaire où un curateur avait cru pouvoir demander et avait obtenu l’inscription de l’hypothèque de la masse contre le commerçant failli, mais qu’il était ultérieurement apparu que ce dernier ne possédait, en réalité, aucun droit sur l’immeuble, le juge peut, à la requête d’un créancier hypothécaire régulièrement et valablement inscrit sur le bien, déclarer sans effet l’inscription de l’hypothèque de la masse, sans avoir à rechercher si l’illégalité de celle-ci a causé préjudice au créancier invoquant la nullité10. § 7. La durée des effets de l’inscription 34. L’article 90 alinéa 1er de la loi hypothécaire prévoit que « Les inscriptions conservent l’hypothèque et le privilège pendant trente années à compter du jour de leur date ; leur effet cesse si les inscriptions n’ont pas été renouvelées avant l’expiration de ce délai ». Cette disposition, dans sa rédaction actuelle, est le résultat d’une modification votée à la faveur de l’insertion dans notre droit positif de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, ayant remplacé en le doublant le délai antérieur de quinze années. Quels sont les effets de la loi nouvelle dans le temps ? La modification apportée à l’article 90 de la loi hypothécaire est entrée en vigueur le 1er janvier 1993, par application de l’article 63 de la loi du 4 août 1992 elle-même. Selon l’article 2 du Code civil, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Il est constant que cette règle générale implique deux conséquentes : (1) la loi nouvelle ne concerne pas les situations nées et définitivement accomplies sous l’empire de la loi ancienne ; (2) une loi nouvelle doit recevoir application immédiatement, même quant aux effets futurs de situations nées sous l’empire d’une loi antérieur.

9 BYTTEBIER, « De hypothecaire inschrijving », R.W., 1993-1994, pp. 33-43, spéc. p. 37. 10 Cass., 18 février 1988, Pas., 1988, I, 727.

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En vertu de ces principes, on applique aux péremptions et prescriptions en cours, les délais prévus par la loi nouvelle, même si l’acte ou le fait initiateur de la péremption ou de la prescription est né ou survenu sous l’empire de la loi ancienne11. 35. Pour que soit maintenu le rang de l’hypothèque inscrite, il convient de faire procéder au renouvellement de l’inscription, avant l’expiration du délai de trente ans en cours, avec l’indication précise de l’inscription renouvelée. En cas de non respect de ces conditions, l'inscription en renouvellement ne peut être refusée par le conservateur12 mais ne vaut que comme inscription première, selon les termes de l’article 90 ter de la loi hypothécaire13. L’inscription en renouvellement doit contenir les mêmes informations que l’inscription renouvelée, à savoir les mentions prévues à l’article 83 de la loi hypothécaire précité. L’omission de l’une d’entre elles peut emporter la nullité de l’inscription, par application de l’article 85 de la loi hypothécaire, ainsi que pour l’inscription initiale14. Les tiers ne peuvent, en effet, être contraints de compléter leur information par l’examen de l’inscription initiale15. Une omission ou une erreur dans l'inscription initiale ou renouvelée, peut être rectifiée par le tribunal. Une fois effectuée, l’inscription ne produit ses effets qu’à dater de la rectification16. Pourvu que la procédure d’exécution forcée ait été introduite avant la péremption, elle peut être poursuivie jusqu’à son terme, sans qu’il soit nécessaire de procéder au renouvellement17. 36. Signalons enfin que l’inscription d’une hypothèque conclue sous condition suspensive est affectée de la même modalité, mais se trouve, en règle, confortée dans ses effets à sa date, et non à la date de réalisation de la condition, avec rétroactivité18.

11 DE PAGE, « Traité élémentaire de droit civil belge », t. 1er, éd. 1962, p. 335, n° 231 ter ; BAUDRY-LACANTINERIE, t. 1er, n° 128 ; COLIN et CAPITANT, T. 1er, n° 45. 12 Comp. Trib. de Grande Instance de Chambéry, 29 juin 1989, G.P. Jur., 1990, pp. 329-331. 13 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. 2ème éd., 1962, p. 344. 14 VERBEKE, « Hernieuwing van inschrijving, nieuwe inschrijving en derde-verkrijger van een meet voorrecht of hypotheek bezwaard onroerend goed”, T. Not., 1994, pp. 369-376. 15 Civ. Bruxelles, 18 mars 1976, R.G.E.N., 1977, pp. 373-382. 16 Même décision. 17 Cass. Fr., 21 janvier 1998, Somm. commentés, Rec. Dall., 1998, p. 381. 18 Voir au sujet de l’hypothèque elle-même, et donc a fortiori au sujet de son inscription : article 74 de la loi hypothécaire.

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§ 8. Responsabilités professionnelles liées à l’inscription hypothécaire a. Les conservateurs 37. En vertu de l’article 124 de la loi hypothécaire, les conservateurs tiennent un registre des dépôts, où sont constatées, par numéros d’ordre et à mesure qu’elles s’effectuent, les remises de titres dont l’inscription ou la transcription est requise, des registres où sont portées les transcriptions et des registres où sont portées les inscriptions de privilèges et hypothèques, ainsi que les radiations ou réductions. Depuis le 1er janvier 2001, les registres doivent être tenus sur support informatique, ainsi que l’impose l’article 1er de l'Arrêté royal du 12 décembre 2000. 38. L’article 130 de la loi hypothécaire fait interdiction au conservateur de refuser ou de retarder les transcriptions ou inscriptions qui leur sont demandées, sous peine de dommages et intérêts. En cas de refus ou de retard, un procès-verbal peut en être dressé, à la diligence des parties, par un juge de paix, un notaire ou un huissier de justice. 39. Il est constant que le conservateur n’a ni le droit ni l’obligation de se constituer juge du fondement du droit hypothécaire19. Son pouvoir de vérification est formel. Ainsi, en cas de demande de renouvellement d’une inscription hypothécaire, il a l’obligation de vérifier l’exactitude des références à la formalité antérieure, de s’assurer de la concordance des documents déposés et des documents antérieurement publiés, en ce qui concerne la désignation des parties et leur qualité, la désignation individuelle des immeubles20. En raison de la détermination ainsi conçue de la mission du conservateur des hypothèques, il peut arriver qu’un droit non soumis à la publicité foncière soit néanmoins publié dans l’un ou l’autre registre. En ce cas, l’accomplissement de formalité inutile n’ajoute ni ne retranche rien aux effets légaux de ce droit. Ainsi, le droit de rétention exercé par le détenteur d’un immeuble qui justifie d’un lien de connexité entre sa créance et la détention du bien est opposable au créancier disposant d’une hypothèque sur l’immeuble, sans qu’il importe que cet acte ait été ou non publié21. 40. En outre, comme l’indique l’article 126 de la loi hypothécaire, les conservateurs doivent délivrer des certificats constatant les mutations et concessions de droits réels, ainsi que les baux consentis par tous individus indiqués dans les réquisitions écrites qui leur sont faites à cette fin. Ils sont également tenus de délivrer à tout requérant copie

19 Cass., 17 juin 1886, Pas., 1886, I, 259. 20 Trib. de Grande instance d’Angoulème (Réf.) 20 juillet 1990, G.P. Jurisp., pp. 48-50. 21 Cass. Fr., 16 décembre 1998, J.C.P. – La semaine juridique, 1999, p. 1466, Comm. SIMLER et DELEBECQUE.

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des inscriptions ou transcriptions existantes ou de certificats constatant qu’il n’en existe pas. Dans le cadre de l’exercice de cette mission, l’article 128 de la loi hypothécaire les tient pour responsables du préjudice résultant de l’omission sur leurs registres des formalités dont l’accomplissement avait cependant été requis, ainsi que du défaut de mention dans les certificats de formalités existantes. Bien que, d’après l’esprit de la loi hypothécaire, consistant à fournir aux demandeurs, une analyse et une relation aussi fidèle que possible des actes publiés à mentionner dans un certificat hypothécaire, ce dernier ne peut pas être émis dans la langue de l’acte, si tel n’est pas la langue du demandeur. Une traduction en ce cas s’impose. Les conservateurs sont soumis aux lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative22. b. Les notaires 41. Le notaire, quant à lui, ne se trouve contraint par aucune disposition légale d’accomplir la formalité de l’inscription d’une hypothèque, dont il a dressé l’acte authentique. Toutefois, un mandat exprès ou tacite, pourvu qu’il soit certain, peut être confié à cette fin au notaire par le créancier. Il est admis par certains auteurs que la pratique systématique des notaires de requérir l’inscription de l’hypothèque après avoir la signature de l’acte authentique constitue aujourd’hui une véritable obligation d’origine coutumière23. C’est en vertu d’un mandat tacite qu’il incombe au notaire de veiller à l’inscription d’un acte d’affectation hypothécaire. Cette obligation présente un caractère mixte, à savoir une obligation de résultat, le fait de l’acheminement de la grosse au bureau de la conservation des hypothèques, et une obligation de moyen, à savoir l’obtention effective de l’inscription de l’hypothèque, dont l’exécution est en partie dépendante du comportement d’un tiers, le conservateur des hypothèques. Lorsqu’un notaire, chargé de passer un acte d’affectation hypothécaire d’extrême urgence, procède à l’envoi par recommandé simple de la grosse au bureau de la conservation des hypothèques dès le lendemain, mais que le pli est perdu par la poste, la responsabilité du notaire est engagée, car il lui appartenait de s’assurer activement du bon acheminement rapide du pli à sa destination, l’obligeant à verser au créancier hypothécaire les sommes qu’il n’a pu percevoir en exécution de l’ordre, en raison de la transcription de saisie-exécution antérieure à l’opposabilité de son propre droit. La perte par la poste du pli recommandé simple contenant la grosse ne saurait, en effet, constituer une cause étrangère de nature à exonérer le notaire du manquement à son obligation de résultat eu égard à la nature de l’envoi et des circonstances d’urgence24. Pour avoir confié le pli à

22 Questions et réponses, R.N.B., 1986, p. 444. 23 HARMEL et BOURSEAU, « Les sources et la nature de la responsabilité civile des notaires », Coll. Fac. Liège, 1964, pp. 244 à 254 ; Joisten, « Le bon pour grosse », R.N.B., 1988, pp. 554. 24 Civ. Bruxelles, 17 janvier 1986, R.N.B., 1986, pp. 204-211, confirmé par Bruxelles, 10 mars 1988, R.N.B., 1988, pp. 370-376.

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la poste, le notaire conserve sa responsabilité, car le mandataire est responsable du substitué s’il n’a pas reçu le pouvoir de substitution ou si l’ayant reçu sans désignation de personne, il choisit un sous-mandataire incapable ou insolvable25. 42. Il arrive que ces obligations soient infligées au notaire de manière expresse. Le document constatant de telles obligations porte généralement le nom de « bon pour grosse ». Ainsi, le notaire peut souscrire l’engagement envers un créancier hypothécaire, de faire accomplir une inscription le plus rapidement possible, ce qui constitue pour certains, on l’a vu, le droit commun coutumier, assorti de modalités diverses venant souvent en pratique alourdir la responsabilité du notaire. Ainsi, l’engagement pris par un notaire de délivrer dans les deux mois de la passation de l’acte authentique un état hypothécaire confirmant que l’inscription occupera exclusivement le premier rang implique une obligation de résultat et non de moyen. Sachant que la somme empruntée a été versée à un débiteur lors de la signature de l’acte, le notaire est tenu à une diligence particulière pour requérir l’inscription et de minimiser le risque du prêteur. Aux fins de rendre très diligente la prise d’inscription, le notaire doit recourir à l’article 173, 1er du Code des droits d’enregistrement, qui autorise par exception l’inscription accélérée d’un acte authentique, avant son enregistrement, pour autant que la demande soit effectuée dans les quatre jours de l’acte26. Toutefois, ne peut obtenir réparation de son dommage sur la base d’une prétendue responsabilité notariale, l’organisme de crédit qui reproche au notaire d’avoir omis dans un acte de prêt hypothécaire et dans un bordereau d’inscription, le nom de deux débiteurs solidaires, alors qu’aucune observation n’a été formulée par lui lors de la remise du projet d’acte, ne mentionnant pas ces personnes, et pas davantage lors de l’examen du bon pour grosse, ne contenant pas davantage les noms concernés27. Le bon pour grosse ne saurait toutefois étendre par trop la responsabilité notariale. En particulier, s’il devait aller jusqu’à comporter une obligation de garantie de la solvabilité de l’emprunteur ou d’efficacité de la sûreté réelle consentie, le bon pour grosse pourrait être annulé pour contrariété à l’article 6-5 de la loi du 25 ventôse au XI organique du notariat, qui dispose que « le notaire ne peut se constituer garant ou caution, à quelque titre que ce soit, des prêts qu'il est chargé de constater ». Cette disposition légale est considérée comme relevant de l’ordre public28.

25 Bruxelles, 10 mars 1988, R.N.B., 1988, pp. 370-376. 26 Anvers, 11 mars 1992, R.N.B., 1993, pp. 39-44. 27 Liège, 25 mars 1991, R.N.B., 1992, pp. 302-303. 28 Joisten, « Le bon pour grosse », R.N.B., 1988, p. 574.

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SECTION 3. L’HYPOHTÈQUE EST UN DROIT ACCESSOIRE, AFFECTÉ À

L'ACQUITTEMENT D'UNE OBLIGATION PRINCIPALE A. Principe 43. L'hypothèque est un droit accessoire, subordonné au sort d'une créance garantie. Pour être valablement consentie, l'hypothèque suppose dès lors une créance principale valable également. Le caractère accessoire de l'hypothèque conduit à ce que celle-ci s'éteigne en cas d'extinction de la créance, quelle que soit l'origine de cette disparition; qu'elle change de titulaire en cas de transfert de la créance garantie, et ne puisse être cédée ou circuler indépendamment de la créance garantie29. 44. Le caractère accessoire de l'hypothèque n'impose cependant pas que la créance garantie existe de manière contemporaine à la naissance de la sûreté. Comme pour toute garantie, la créance ne doit exister que lors de la phase de l'exécution, et peut seulement être déterminable lors de la formation du contrat. L'on se rappellera la formule de l'arrêt Mengal, prononcé le 28 mars 1974 par la Cour de cassation en matière de gage sur fonds de commerce consenti en garantie de toutes sommes dues ou à devoir par le constituant au créancier gagiste, selon laquelle "les créances futures ont un caractère suffisamment déterminé ou déterminable si la convention instituant la sûreté permet de les définir et s'il résulte des éléments de la cause qu'elles sont effectivement de celles que les parties avaient entendu assortir de la garantie"30. Il est actuellement admis que cet arrêt ait une portée générale, applicable à toutes les garanties conventionnelles31. L'article 51 bis de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, applicable à toute hypothèque et non pas seulement à celles tombant sous l'empire de la loi où il se trouve inséré, dispose à cet égard que: "§1 - Une hypothèque peut être constituée pour sûreté de créances futures, à la condition qu'au moment de la constitution de l'hypothèque, les créances

29 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 282, n° 547. 30 Cass., 28 mars 1974, Pas., 1974, I, 776; R.W. 1974-1975, 339. 31 STRANART, "L'hypothèque constituée pour sûreté de toutes sommes dues ou à devoir par un débiteur à son créancier", R.N.B., 1979, p. 553 et suivantes; WILLEMEN, "De hypotheek voor alle schulden en bij kredietverlening", R.W., 1990-1991, 1159; SIMONT et BRUYNEEL, "Le cautionnement donné en garantie de toutes les obligations d'un débiteur envers son créancier", R.C.J.B., 1974, p. 219; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 283, n° 548.

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garanties soient déterminées ou déterminables; son rang est fixé au jour de son inscription, sans égard aux époques auxquelles les créances garanties prennent naissance. §2 - Si une hypothèque est constituée pour sûreté de créances futures pouvant naître pendant une durée indéterminée ou pour sûreté de créances découlant d'un contrat à durée indéterminée, la personne contre laquelle une telle hypothèque est inscrite ou le tiers détenteur du bien affecté de l'hypothèque peut à tout moment résilier l'hypothèque, moyennant un préavis d'au moins trois mois et de maximum six mois, lequel préavis est adressé au créancier par lettre recommandée à la poste avec accusé de réception. Le délai de préavis prend cours à la date de l'accusé de réception. Quant aux créances futures, la résiliation a pour conséquence que l'hypothèque ne garantit plus les créances garanties qui existent à l'expiration du délai de préavis. Quant aux contrats à durée indéterminée, restent garanties par l'hypothèque, les seules créances issues de l'exécution de ces contrats qui existent à l'expiration du délai de préavis". Les solutions ainsi dégagées sont le fruit d’une évolution intéressante pouvant être retracée comme suit. B. Evolution ayant conduit à l’admissibilité des hypothèques

constituées en garantie de créances futures § 1. Portée de l’article 80 alinéa 1er de la loi hypothécaire 45. Aux termes de l'article 80 alinéa 1er de la loi hypothécaire, "L'hypothèque conventionnelle n'est valable qu'autant que la somme pour laquelle elle est consentie est déterminée dans l'acte". De cette disposition légale, se déduit le principe de la spécialisation de l'hypothèque quant à la somme garantie, principe dont le non respect est sanctionné d'une nullité absolue de l'acte constitutif32. 46. La portée de ce principe a donné lieu dans le passé à d'âpres controverses. Dans un premier temps, l'exigence de spécialisation était considérée comme satisfaite par l'indication dans l'acte d'un montant déterminé33. Par la suite, l'idée fut défendue qu'une description des créances garanties serait en outre indispensable, notamment par l'indication de leur cause34. Ce surcroît de rigueur

32 DE PAGE et DEKKERS, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, n° 566 et 567. 33 MARTOU, II, n° 1013, 1015 et 1018; LAURENT, t. XXX, n° 525, 526 et 529; LEPINOIS, t. IV, n° 1525 et 1545; Liège 31 décembre 1898, Pand. Périod. 1899, n° 247-8; Bruxelles, 1er mars 1899, Pas., 1899, II, 247; Cass., 14 juin 1900, Pas. I, 293.

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conduisit la jurisprudence à nier résolument la validité d'une hypothèque constituée pour garantir toutes sommes dues ou à devoir au créancier bénéficiaire35. L'on se souviendra cependant que, par son arrêt du 4 octobre 196336, la Cour de cassation décida que l'indication de la cause, de la nature, de l'origine ou du titre de la créance ne se trouve pas prescrite à peine de nullité de l'acte hypothécaire. § 2. Discussion sur la validité des hypothèques pour toutes sommes 47. Une doctrine autorisée en déduisit la validité d'une hypothèque constituée pour toutes sommes dues ou à devoir37, sous la condition, posée également en matière de gage et de cautionnement, que les dettes conditionnelles ou futures garanties soient déterminées ou déterminables au moment de l'octroi de la sûreté et qu'elles entrent dans le cadre contractuel que les parties ont voulu assigner à la garantie38. La jurisprudence épousa très généralement cette thèse39, parfois en précisant qu'un plafond devrait toutefois figurer dans l'acte, à concurrence duquel la dette serait couverte40, mais en admettant toujours que le rang de la sûreté était fixé lors de son inscription, nonobstant l'inexistence éventuelle à ce moment d'une dette contemporaine à garantir41. La loi du 13 avril 1995 modifiant la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire y a inséré un article 51 bis, prévoyant en ses deux premiers paragraphes, que "§1 Une hypothèque peut être constituée pour sûreté de créances futures, à la condition qu'au moment de la constitution de l'hypothèque, les créances garanties soient déterminées ou déterminables; son rang est fixé au jour de son inscription, sans égard aux époques auxquelles les créances garanties prennent naissance" et que "§2 Si une hypothèque est constituée pour sûreté de créances futures pouvant naître pendant une durée indéterminée, la personne contre laquelle une telle hypothèque est inscrite ou le tiers détenteur du bien affecté de l'hypothèque peut à tout moment résilier l'hypothèque moyennant un préavis d'au moins trois mois et de maximum six mois, lequel préavis est adressé au créancier par lettre recommandée à la poste

34 VAN DE VORST, "De la spécialité en matière hypothécaire", R.P.N., 1930, p. 547; GENIN, R.P.D.B., V° "Hypothèque conventionnelle", n° 1198 à 1200 et 1375. 35 Liège, 28 mai 1936, Jur. Liège, 1935-1936, p. 219. 36 Pas., 1964, I, 112, not F.D. 37 STRANART, "L'hypothèque constituée pour sûreté de toutes sommes dues ou à devoir par un débiteur à son créancier", R.N.B., 1979, p. 561 et "L'hypothèque pour 'toutes sommes'.", Rev. Banque, 1991, pp. 145 et suivantes. 38 Cas., 28 mars 1974, Pas., 1974, I, 776; Cass., 7 janvier 1972, Pas., 1972, I, 441; SIMONT et BRUYNEEL, "Le cautionnement donné en garantie de toutes les obligations d'un débiteur envers son créancier", note sous Cass., 7 janvier et Bruxelles, 23 février 1973, R.C.J.B., 1974, pp. 204 et suivantes. 39 Liège, 15 mai 1987, J.L.M.B., 1987, pp. 1221 et 1223, note DE LEVAL. 40 Comm. Charleroi, 8 septembre 1993, R.R.D., 1993, p. 419. 41 Anvers, 11 mars 1996, R.W., 1996-1997, p. 446.

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avec accusé de réception. Le délai de préavis prend cours à la date de l'accusé de réception. Quant au créances futures, la résiliation a pour conséquence que l'hypothèque ne garantit plus que les créances garanties qui existent à l'expiration du délai de préavis. Quant aux contrats à durée indéterminée, restent garanties par l'hypothèque, les seules créances issues de l'exécution de ces contrats qui existent à l'expiration de délai de préavis. Celui qui résilie l'hypothèque peut exiger que le créancier lui notifie par écrit l'inventaire des créances encore garanties au terme du délai de préavis". 48. Ce nouveau régime, applicable à la constitution de toute hypothèque (et non pas seulement aux opérations soumises, pour le surplus, à la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire), même conclue avant l'entrée en vigueur de la loi, soit le 20 juillet 1995, peut être résumé comme suit: - est admise la validité d'une hypothèque constituée pour sûreté de créances futures

à la condition qu'au moment de la constitution de l'hypothèque, les créances soient déterminées ou déterminables,

- le rang d'une telle hypothèque est fixé au jour de son inscription, sans égard aux

époques auxquelles prennent naissance les créances garanties, - la sûreté peut cesser ses effets par résiliation unilatérale précédée d'un préavis,

pour autant qu'elle garantisse des créances futures pouvant naître pendant une période indéterminée ou découlant d'un contrat à durée indéterminée42.

49. Si les dettes futures peuvent se trouver garanties, ainsi que nous venons de le voir, par une hypothèque que les parties ont entendu constituer à cette fin, il peut arriver que d'anciennes obligations, initialement dépourvues de sûreté, se voient assortir d'une garantie ultérieurement consentie. Dans ce cas, sauf intention partagée d'abandonner et d'éteindre les dettes primitives par la création de nouvelles, l'adjonction après coup d'une sûreté réelle – ou personnelle d'ailleurs – n’entraîne pas à elle seule de novation43. Ainsi, les parties à une convention d'ouverture de crédit peuvent décider de glisser sous la couverture de l'hypothèque constituée à l'occasion de la conclusion de cette convention, les avances de fonds antérieurement accordées. Il faut mais il suffit pour ce faire que les parties aient manifesté soit expressément soit tacitement cette volonté au

42 voir WERDEFROY, "Hypothèques pour sûreté de créances futures ou de créances découlant d'un contrat à durée indéterminée", R.G.E.N., n° 24599, p. 173: CUYPERS, "De hypotheek voor toekomstige vorderingen. De hypotheek voor "alle sommen". Het nieuwe artikel 51 bis van de wet op het hypothecair krediet: revolutie of evolutie in the hypotheekrecht?", T. Not., 1995, pp. 322-362; WILLEMEN, "De hypotheek "voor alle schulden" bij kredietverlening", R.W., 1990-1991, pp. 1158-1163; pour un commentaire critique, MOREAU-MARGRÈVE, "L'hypothèque pour toutes sommes", J.T., 1996, p. 181. 43 Liège, 18 janvier 1995, J.L.M.B., 1995, p. 1263.

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moment de la passation de l'acte d'ouverture de crédit, sans que le principe de la spécialité de l'hypothèque n'en soit heurté44. C. La dette garantie peut être celle d’une personne autre que le

constituant 50. La dette garantie ne doit pas nécessairement peser sur le constituant de l'hypothèque. Ce dernier peut être tenu propter rem et répondre sur un bien immeuble lui appartenant des engagements d'autrui. Dans une telle hypothèse, nonobstant le caractère accessoire de la sûreté, le contrat subsidiaire n'emprunte pas toutes les caractéristiques fondamentales du contrat principal. 51. Ainsi, dans une espèce où deux propriétaires d'immeubles, non commerçants, avaient pris les engagements séparés de constituer hypothèques en garantie de l'obligation contractuelle d'une société commerciale, la Cour de cassation, pas son arrêt du 9 décembre 1975, décide qu'il n'existe aucune solidarité entre les constituants, car « la présomption de solidarité, qui existe de plein droit entre débiteurs commerçants tenus par une même obligation contractuelle, déroge au principe (de la divisibilité des dettes); il échet dès lors d'appliquer cette présomption de manière restrictive et elle ne peut être étendue aux débiteurs non commerçants qui, par suite de constitution d'hypothèques, d'ailleurs séparées, ont la même obligation contractuelle de garantie hypothécaire, même si cette obligation a été contractée en vue de constituer la sûreté d'une dette principale commerciale existant entre d'autres personnes »45. D. Remarque au sujet des intérêts garantis 52. Relevons, pour terminer l'analyse de la portée de la créance garantie, que si celle-ci porte intérêts, l'hypothèque les garantit, sans inscription spéciale pour une période de trois ans46. Au-delà, une affectation spéciale devra être prévue, avec ses conséquences, notamment fiscales, le droit d'enregistrement perçu lors de l'inscription étant calculé sur la base du montant de la créance garantie47. SECTION 4. L’HYPOTHÈQUE EST UN DROIT INDIVISBLE 44 même décision. 45 Cass., 5 décembre 1975, R.C.J.B., 1977, p. 469, note DECLERCK-GOLDFRACHT, « La présomption de solidarité passive commerciale. Une solution: la responsabilité ‘in solidum’ ». 46 Article 87 de la loi hypothécaire. 47 Articles 87, 89 et 93 du Code des droits d'enregistrement.

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A. Principe § 1. Portée 53. Comme indiqué plus haut, l'hypothèque est en principe indivisible, selon le vœu de l'article 41, alinéa 2 de la loi hypothécaire. Cette caractéristique n'est pas d'ordre public. Le créancier hypothécaire peut y renoncer expressément ou même tacitement, pourvu que sa volonté soit certaine48. 54. L'indivisibilité, lorsqu'elle est maintenue, implique que le créancier hypothécaire ne puisse être contraint de donner mainlevée partielle de sa sûreté aussi longtemps que la dette n'est pas complètement remboursée, et ce même si plusieurs immeubles forment l'assiette de l'hypothèque. Elle confère en outre le droit au créancier hypothécaire de faire vendre un ou plusieurs biens choisis au sein de l'assiette de sa sûreté, globalement ou séparément, et en imputer par préférence sur sa créance le produit de réalisation. S'il advient que les biens grevés soient transférés à différentes personnes postérieurement à l'octroi de la sûreté par le constituant, chaque destinataire d'une partie de l'assiette est tenu sur celle-ci du paiement de la totalité de la dette garantie, en dépit de l'éventuel paiement de sa part de la dette dont il aurait hérité. Parallèlement, en cas de décès du créancier hypothécaire, si la créance se divise de plein droit entre ses héritiers conformément à l'article 1220 du Code civil, il n'en va pas de même de l'hypothèque qui reste entière et applicable au bénéfice de chaque ayant droit. § 2. Limites 55. Seule la théorie de l'abus de droit peut limiter l'invocation du bénéfice de l'indivisibilité par le créancier hypothécaire49.

48 Dirix et DE CORTE, Zekerheidsrechten, Kluwer, 1992, n° 483; GENIN, PONCELET, DE LEVAL et RENARD-DECLAIRFAYT, "Traité des hypothèques et de la transcription", Rép. Not., Bruxelles, Larcier, t. X n° 1251; HEURTERRE, "Overzicht van rechtspraak (1977-1990) - Voorrechten en hypotheken", T.P.R., 1992, 1429 et suivantes; LEDOUX, « Privilèges et hypothèques - Examen trentenaire de jurisprudence », R.N.B., 1982, 145.

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56. Ainsi, dans un arrêt du 15 février 199250, la Cour de cassation de France a décidé qu'"en vertu du principe de l'indivisibilité (…), le créancier dont l'hypothèque s'étend à plusieurs immeubles est en droit de choisir celui des immeubles sur le prix duquel il doit être colloqué pour la totalité de sa créance, sans que les créanciers ayant sur le même immeuble des hypothèques postérieures en rang puissent le contraindre à diviser sa demande de collocation pour la faire porter proportionnellement sur le prix de tous les immeubles qui lui sont affectés; que cette faculté d'option ne saurait être refusée que si elle est exercée frauduleusement ou sans intérêt légitime (…)" SECTION 5. L’ASSIETTE DE L’HYPOTHÈQUE : LES BIENS IMMOBILIERS

DANS LE COMMERCE A. Principe 57. Aux termes de l'article 45 de la loi hypothécaire, "Sont seuls susceptibles d'hypothèque: (1°) les biens immobiliers qui sont dans le commerce". En tant que droit réel de garantie, l'hypothèque peut conduire à l'exécution forcée de la créance principale et donc à la réalisation du bien grevé. Pour cette raison, il importe que celui-ci soit cessible. 58. Les biens hors commerce étant insaisissables et inaliénables ne peuvent, en conséquence, constituer l'assiette d'une hypothèque. 59. Le bien hypothéqué doit, à peine de nullité de la sûreté, appartenir au constituant. Seule la théorie de l’apparence permettrait de valider une hypothèque constituée sur la chose d’autrui, pour autant que le créancier ayant publié son hypothèque ait commis une erreur légitime quant à l’identité du véritable propriétaire de l’immeuble et qu’il ait pu croire, après des vérifications d’usage, normales en considération de sa position, que le constituant pouvait disposer du bien51. 60. Au sens de l'article 45 précité, les mots "biens immobiliers" doivent s'entendre comme signifiant le droit de pleine propriété portant sur ceux-ci. Dans la très grande 49 MICHIELS et GEORGES, "Commentaire de l'article 41 alinéa 2 de la loi hypothécaire", in Privilèges et hypothèques, Story Scientia, p. 275. 50 D. 1972, 463, note; Rep. Defresnois n° 30216, 1448. 51 Voir note D.L., « La théorie de l’apparence permettant de valider une hypothèque sur la chose d’autrui suppose que le créancier ayant publié ait commis une erreur légitime », sous Cass. fr., 24 septembre 2003, Rev. Dr. Banc. et fin., 2004, p. 23.

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majorité des cas, le constituant de l'hypothèque dispose, en effet, d'un tel droit sur l'immeuble grevé. Il arrive toutefois, comme l'indique au demeurant la suite de l'article 45, que des droits réels immobiliers formant des démembrements du droit de propriété soient affectés en garantie par leurs titulaires. De telles sûretés sont parfaitement valables, comme cela sera montré plus loin. B. Les biens du domaine public 61. Les biens du domaine public, définis comme ceux qui appartiennent à une personne de droit public qui, soit en raison de sa condition naturelle, soit en raison de son intérêt historique ou scientifique, est indispensable pour le service public ou pour la satisfaction d'un besoin public et qui ne peut être remplacé dans ce rôle par un autre bien52. Ce type de biens étant hors commerce, ils sont incessibles et insaisissables. Aucune hypothèque ne saurait y être constituée. 62. C’est ce que pose en règle l'article 1412 bis, § 1er du Code judiciaire, énonçant que "Les biens appartenant à l'Etat, aux Régions, aux Communautés, aux provinces, aux communes, aux organismes d'intérêt public et généralement à toutes personnes morales de droit public sont insaisissables". Toutefois, l'article 1412 bis § 2 du Code judiciaire édicte deux exceptions à ce principe général: sont saisissables, d'une part, les biens dont les personnes morales de droit public ont déclaré qu'ils pouvaient être saisis et, d'autre part, à défaut d'une telle déclaration ou si les biens saisis ne suffisent pas à désintéresser le créancier, les biens "qui ne sont manifestement pas utiles à ces personnes morales pour l'exercice de leur mission ou pour la continuité du service public". Dans la mesure dessinée par ces exceptions, les biens appartenant à une personne morale de droit public peuvent être valablement grevés d'une hypothèque. 63. Des constructions peuvent être aménagées sur un fond relevant du domaine public à la faveur d'une convention de concession conclue entre un particulier et une personne morale de droit public. De telles constructions peuvent-elles être hypothéquées? Il est actuellement admis que s'il est vrai que, par essence, la concession peut ad nutum être révoquée par l'autorité concédante en raison de l'appartenance du fonds au domaine public, le caractère provisoire qui en résulte n'empêche cependant pas l'hypothèque des constructions, pour autant que cela ne soit pas de nature à entraver les 52 MAST, ALEN et DUJARDIN, Overzicht van het Belgisch administratief recht, 1986, n° 187.

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prérogatives de l'autorité. En conséquence, l'hypothèque doit être enchâssée dans les mêmes conditions notamment de précarité, que les droits relatifs aux immeubles qu'elle grève53. C. Les droits d’usage et d’habitation 64. L'article 630 du Code civil délimite la portée des droits accordés à l'usager d'un bien: "Celui qui a l'usage des fruits d'un fonds ne peut en exiger qu'autant qu'il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille. Il peut en exiger pour les besoins même des enfants qui lui sont survenus depuis la concession de l'usage". 65. Le droit d'usage consiste donc en un droit réel temporaire, tout au plus viager, autorisant l'utilisation d'un bien meuble ou immeuble appartenant à autrui et conférant à son titulaire le droit d'en percevoir les fruits éventuels nécessaires à ses besoins et à ceux de sa famille. 66. Le droit d'habitation, quant à lui, permet restrictivement à celui qui en bénéficie de demeurer avec sa famille dans un immeuble, comme le prescrivent les articles 632 et 633 du Code civil. 67. L'un et l'autre de ces droits sont incessibles et doivent être exercés personnellement (articles 631 et 634 du Code civil). Cette dernière caractéristique fait obstacle à ce que les droits réels d'usage (à supposer qu'il grève un immeuble) et d'habitation fassent l'objet d'une hypothèque. Leur existence peut de surcroît entamer lourdement la valeur économique du bien sur lequel ils pèsent. En conséquence, il est fréquent en pratique que l'intervention à l'acte constitutif du bénéficiaire d'un droit d'habitation ou d'usage soit demandée par le créancier hypothécaire, afin qu'il renonce à son droit sous la condition et pour le cas où l'immeuble devrait être réalisé. Il convient d'être attentif à ce qu'une telle renonciation, en ce qu'elle porte sur un droit réel immobilier, est soumise à la publicité de la transcription sur le fondement de l'article 1er, alinéa 2 de la loi hypothécaire54. D. Les biens concernés par un engagement de ne pas en

disposer

53 CUYPERS et GEORGES, « Commentaire de l'article 45, 1° de la loi hypothécaire », Privilèges et hypothèques, Story Scientia, p. 320. 54 CUYPERS et GEORGES, « Commentaire de l'article 45, 1° de la loi hypothécaire », Privilèges et hypothèques, Story Scientia, p. 324.

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68. Il arrive que le titulaire d'un droit réel immobilier s'engage personnellement envers un cocontractant à ne pas aliéner son droit ni davantage à l'hypothéquer. Bien que ne pouvant déployer que des effets relatifs, limités aux parties liées par la clause contenant l'engagement de ne pas faire, une telle prohibition est de nature même à entamer voire même faire disparaître la liberté pour un créancier de se faire librement consentir une hypothèque. En effet, par le biais de la théorie de la tierce complicité, la violation de ses obligations contractuelles par le débiteur constituant peut rejaillir sur son créancier, en particulier lorsque l'interdiction apparaît à la lecture de l'acte constitutif du droit à hypothéquer, excluant l'ignorance légitime de son existence55. 69. Certes, les clauses d'inaliénabilité sont d'interprétation restrictive. En cela, elles ne sont admissibles qu'à la condition qu'une limite à leurs effets soit assignée dans le temps et qu'un intérêt sérieux et légitime les sous-tendent56. 70. En outre, si la volonté des parties peut être interprétée en ce sens, l'interdiction d'aliéner peut ne pas s'étendre nécessairement jusqu'à celle d'hypothéquer. En ce cas, les actes prohibés ne comprennent pas la vente dans le cadre d'une poursuite menée par le créancier hypothécaire, mais ne tendent à éviter que les actes d'aliénation volontaire. Toutefois, traditionnellement, il est admis qu'une interdiction d'aliéner emporte l'interdiction implicite d'hypothéquer57. E. Le droit d’usufruit 71. L'article 45 de la loi hypothécaire énonce que "sont susceptibles d'hypothèques (…) (2°) les droits d'usufruit, d'emphytéose et de superficie établis sur les mêmes biens pendant la durée de ces droits". "L'usufruit", édicte l'article 578 du Code civil, "est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance". 55 Voir sur la portée de la théorie de la tierce complicité: Cass., 22 avril 1983, R.W., 1983-1984, 427, note DIRIX. 56 Voir notamment: Anvers, 26 mars 1984, R.W. 1985-1986, 1769, note PUELINCKX-COENE; R.G.E.N., 1989, n° 23326; Civ. Anvers, 25 février 1988, R.G.E.N., 1989, n° 23773; Liège, 16 décembre 1971, Pas., 1972, II, 45. 57 MEINERTZHAGEN-LIMPENS, "Les engagements de ne pas faire" in Les sûretés issues de la pratique, ULB, 1983, L/12.

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72. Ce droit porte sur "toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils" produits par le bien (article 582 du Code civil); il "peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles" (article 581 du Code civil). C'est assurément en ce dernier cas que l'usufruit peut former l'assiette d'une hypothèque. F. Le droit d’emphytéose 73. Selon l'article 1er, alinéa 1 de la loi du 10 janvier 1824, concernant le droit d'emphytéose, "l'emphytéose est un droit réel, qui consiste à avoir la pleine jouissance d'un immeuble appartenant à autrui, sous la condition de lui payer une redevance annuelle, soit en argent, soit en nature, en reconnaissance de son droit de propriété". L'article 2 enserre la durée du droit d'emphytéose dans de strictes limites: il ne peut être établi "pour un terme excédant quatre-vingt dix-neuf ans, ni au-dessous de vingt-sept ans". Reprenant la règle inclue à l'article 45 précité, l'article 6 dispose que l'emphytéote "a la faculté d'aliéner son droit, de l'hypothéquer et de grever le fonds emphytéotique de servitude pour la durée de sa jouissance". L'hypothèque ne pourra en tous cas produire ses effets au-delà du terme de l'emphytéose grevée. G. Le droit de superficie 74. Le droit de superficie, quant à lui, "est un droit réel", énonce l'article 1er de la loi du 10 janvier 1824 concernant le droit de superficie, "qui consiste à avoir des bâtiments, ouvrages ou plantations sur un fonds appartenant à autrui". Comme c'est le cas dans le cadre de la loi concernant le droit d'emphytéose, l'article 2, alinéa 1 réitère la faculté reconnue par l'article 45 de la loi hypothécaire d'hypothéquer le droit de superficie. Le superficiaire peut également aliéner son droit ou le charger de servitude. Ce droit ne peut exister toutefois que "pour la durée de sa jouissance" (article 2, alinéa 2), à savoir un terme ne pouvant excéder cinquante années, sauf la faculté de la renouveler (article 4). H. Les variations autour du droit de propriété 75. La nue-propriété peut en tant que telle être grevée d'une hypothèque, au même titre que l'usufruit qui lui correspond, de manière simultanée ou séparée.

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76. Automatiquement et sans nouvel échange de consentements, acte constitutif ni a fortiori inscription, l'hypothèque portant sur la nue-propriété absorbera la pleine propriété du bien, lors de l'extinction, quelle qu'en soit la cause, de l'usufruit58. § 1. Le droit de propriété indivise 77. La propriété indivise peut valablement faire l'objet d'une hypothèque. En effet, l'article 577 - 2 § 4 du Code civil autorise chaque copropriétaire à "disposer de sa part et la grever de droits réels". En outre, l'hypothèque peut avoir été constituée avant la survenance de l'indivision, mais demeurer en raison de son caractère d'indivisibilité, une fois survenue la cause de copropriété. 78. Toutefois, en raison du caractère déclaratif du partage, défini comme l'opération par laquelle les copropriétaires substituent des parts matériellement déterminées appelées parts divises aux parts fixées seulement en quotité, parts indistinctes appelées parts indivises qu'ils possédaient le bien59, l'hypothèque consentie sur une part indivise risque de disparaître en cas d'attribution du bien partagé à l'un des anciens indivisaires non constituant de la sûreté. C'est pourquoi l'article 1561 alinéa 1er du Code judiciaire, prévoit que "la part indivise du débiteur (dans un bien immobilier) ne peut être exécutée par ses créanciers personnels avant le partage ou la licitation, qu'ils peuvent provoquer ou dans lesquels ils ont le droit d'intervenir, sauf à respecter la convention d'indivision conclue antérieurement à la demande en partage ou à l'acte constitutif d'hypothéquer". A cet égard, l'on se souviendra que si l'article 815 du Code civil pose en règle que "Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision; et le partage peut être toujours provoqué, nonobstant prohibition et convention contraires", il réserve cependant la faculté pour les indivisaires "de convenir de suspendre le partage pendant un temps limité; cette convention ne peut être obligatoire au-delà de cinq ans, mais elle peut être renouvelée. Cette convention est opposable aux tiers. Elle doit être transcrite sur les registres du conservateur des hypothèques si elle a un ou plusieurs immeubles pour objet". 79. Dans le cas où l'immeuble, à l'issue du partage, échoit au constituant, l'hypothèque prise initialement sur la part indivise sera maintenue sans pouvoir porter automatiquement, sauf clause en ce sens, sur la pleine propriété du bien60.

58 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 287, n° 559. 59 R.P.D.B., V° Succession, n° 1028; Civ. Bruxelles, 23 novembre 1979, R.N.B., 1981, p. 150; WATELET, « Partages et licitations judiciaires », Rép. Not., Livre V, Titre III, n° 3, p. 25. 60 GENIN, « Traité des hypothèques et de la transcription », Rép. Not. t. X-2, n° 1333, p. 534; Comp. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VII-1, n° 483, p. 406.

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80. Si le partage se dénoue par la licitation de l'immeuble à un tiers ou par l'attribution du bien à un co-indivisaire non constituant de l'hypothèque, la sûreté disparaît, mais le droit du créancier hypothécaire (y compris son droit de préférence) est respecté sur la part du débiteur dans le prix, selon le vœu de l'article 1561, alinéa 2 du Code judiciaire qui constitue une application particulière du principe général de la subrogation réelle. 81. C'est ce principe également qui assure, le cas échéant, le report des droits du créancier hypothécaire sur la soulte due au copartageant non attributaire de l'immeuble. L'article 1561, alinéa 3 du Code judiciaire en exprime très clairement les conséquences en ces termes: "en cas de partage avec soulte, les sommes que le copartageant est tenu de payer sont affectées au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, qui perdraient ce caractère, et ce, d'après le rang que ces créances avaient au moment du partage". § 2. Le droit de multipropriété 82. La multipropriété constitue un aménagement particulier du droit de copropriété tendant à "attribuer à une personne dans un même logement, un droit de séjour exclusif limité à une période déterminée et renaissant chaque année à la même date"61. C'est de cette définition que s'inspire – tout en s'en écartant quelque peu sur certains points – l’article 2-1° de la loi du 11 avril 1999 relative aux contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation d'immeubles à temps partiel, aux termes duquel il faut entendre par là "tout contrat ou groupe de contrats conclus pour au moins trois ans, par lequel, directement ou indirectement, à titre exclusif ou non, un droit réel ou tout autre droit portant sur l'utilisation d'un ou de plusieurs immeubles, est créé ou fait l'objet d'un transfert ou d'un engagement de transfert, moyennant un prix global, pour une période dans l'année qui ne peut être inférieure à deux jours". 83. Le droit appartenant à un multipropriétaire n'est susceptible d'hypothèque que s'il est de nature réelle, et non de nature personnelle, avec de surcroît les inconvénients, relevés plus haut, inhérents à l'hypothèque sur une part indivise62. I. Les accessoires de l’immeuble

61 VERHEYDEN-JEANMART, « La multipropriété en Belgique », XIIIème Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Montréal, 1990, n° 1, p. 2. 62 VERHEYDEN-JEANMART, « La multipropriété en Belgique », XIIIème congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Montréal, 1990, n° 8, p. 7; DELVOYE, « Multi-eigendom: een nieuw rechtsbegrip met kwalificatie – problemen », R.W., 1972-1973, col. 1941; FERON, « Le time-sharing: une nouvelle forme de propriété? », Ann. Dr. Louvain, 1994, n° 37, p. 23; T'KINT, Sûretés et privilèges généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 290, n° 567.

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§ 1. Principe 84. Selon l'article 45, alinéa 2 de la loi hypothécaire, "l'hypothèque acquise s'étend aux accessoires réputés immeubles et aux améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué". 85. Sans qu'il soit nécessaire de les viser précisément dans l'acte constitutif d'hypothèque ou dans l'inscription de celle-ci, et sauf exclusion expresse, les accessoires pouvant être considérés comme des immeubles et les améliorations apportées à l'immeuble sont automatiquement nichées dans l'assiette de la sûreté, même si elles adviennent postérieurement à sa constitution. § 2. Richesses naturelles, fruits et produits 86. Les accessoires sont composés des richesses naturelles du sous-sol; des fruits naturels de l'immeuble, jusqu'à leur détachement, ainsi que le précise l'article 46 de la loi hypothécaire qui dispose que "les meubles n'ont pas de suite par hypothèque", sous réserve de l'application par la voie de la subrogation réelle du droit de préférence du créancier hypothécaire sur le prix restant dû ou identifiable63. 87. Les loyers et les fermages en font partie également à dater de la signification de l'exploit de saisie-exécution immobilière, conformément à l'article 1576, alinéa 1 du Code judiciaire, qui dispose que "les loyers et fermages sont immobilisés à partir de l'exploit de saisie, pour être distribués avec le prix de l'immeuble par ordre d'hypothèque". § 3. Les immeubles par destination et les améliorations 88. Les immeubles par destination, définis comme des meubles corporels par nature réputés immeubles par une fiction de la loi en raison du lien qui les unit à l'immeuble auquel ils se trouvent attachés à perpétuelle demeure ou parce qu'ils ont été placés par leur propriétaire pour le service et l'exploitation d'un fonds (article 524 du Code civil) de manière effectivement utile64 par le propriétaire de ce fonds, même si ce dernier s'identifie au tiers acquéreur de l'immeuble subissant le droit de suite reconnu au créancier hypothécaire65, appartiennent autormatiquemnet à l’assiette de l’immeuble.

63 DIRIX, "Zakelijke subrogatie", R.W., 1993-1994, 273 et suivants. 64 Cass., 11 septembre 1980, R.W., 1980-1981, 1663; Pas. 1981, I, 36, note J.V; J.T., 1981, p. 221; R.C.J.B., 1981, p. 173, note HANSENNE. 65 Cass., 21 novembre 1986, R.W., 1986-1987, 1823; T. Not., 1987, p. 204; Pas., 1987, I, 324.

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89. Les améliorations comprennent largement tout ce qui par accession se joint à l'immeuble. Elles sont automatiquement intégrées à l'assiette de l'hypothèque, sans qu'il faille distinguer entre les additions apportées avant la prise de la sûreté et celles qui l'ont été postérieurement, hormis l'hypothèse où, par une clause contraire expresse, les parties auraient écarté l'application de cette règle66. 90. Certes, l'existence d'un droit réel d'usufruit, d'emphytéose ou de superficie conféré à un tiers auteur de constructions pouvant être considérées comme des améliorations, fait obstacle à ce que s'opère le phénomène de l'accession. En conséquence, l'hypothèque inscrite après que le droit réel a été rendu opposable aux tiers par la transcription au bureau de la conservation des hypothèques conformément à l'article 1er, alinéa 1 de la loi hypothécaire, ne peut s'étendre aux constructions érigées par le titulaire du droit réel aussi longtemps qu'il existe. A l'inverse, si la transcription du droit réel n'est intervenue qu'après l'inscription de l'hypothèque, l'assiette hypothécaire absorbera de plein droit les constructions nouvelles, et le créancier hypothécaire pourra poursuivre l'exécution forcée de l'ensemble, nonobstant l'éventuel accord en sens contraire conclu entre le constituant de l'hypothèque et le tiers constructeur67. 91. Il en ira autrement des constructions apportées par le locataire d'un bien non bâti hypothéqué, lorsque le bail répond aux conditions visées à l'article 45 alinéa 4 de la loi hypothécaire. Selon cette disposition, "les baux contractés de bonne foi après la constitution de l'hypothèque seront (…) respectés; toutefois, s'ils sont faits pour un terme qui excède neuf ans, la durée en sera réduite à la période de neuf ans en cours". Dans cette hypothèse et hormis le cas où le bail aurait reconnu le droit d'accession au profit du bailleur, le locataire qui construit dans le respect des termes de la convention, jouit pendant la durée du bail d'un droit de superficie, protégeant sa propriété à l'égard du créancier hypothécaire, de la faculté d'y exercer ses droits d'exécution, sans qu'une forme de publicité ne doive être réservée au bail68. J. Les bâtiments en construction

66 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 291, n° 570. 67 Civ. Arlon, 8 novembre 1988, R.G.E.N., 1991, p. 339, n° 24002; Jur. Liège, 1989, p. 84; HEURTERRE, « Overzicht van rechtspraak (1977-1990) - Voorrechten en hypotheken », TPR, 1992, p. 1432; LEDOUX, « Nieuwe trends in het hypotheekrecht » in Het zakenrecht, absoluut niet een rustig bezit, Cycle Delva, 1992, p. 53. 68 DE LEVAL, « La saisie immobilière », Rep. Not. t. XIII, L. VIII, p. 82, n° 69; VAN MUYLDER et VERSTAPPEN, « Actuele problemen inzake het recht van natrekking, de verzaking daarvan, en het recht van opstal », T. Not., 1992, p. 281.

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§ 1. Principe 92. Aux termes de l'article 45 bis de la loi hypothécaire, "l'hypothèque peut être constituée sur des bâtiments dont la construction est commencée, ou même seulement projetée, pourvu que celui qui confère l'hypothèque ait un droit actuel lui permettant de construire à son profit". La règle ainsi posée vient déroger au principe général exprimé par l'article 78, alinéa 2 de la loi hypothécaire qui énonce que "les biens à venir ne peuvent pas être hypothéqués". § 2. Conditions 93. Deux conditions doivent être rencontrées pour que des hypothèques sur de tels biens puissent être constituées: d'une part, la construction des bâtiments doit avoir commencé ou être projetée sur plans, et, d'autre part, le constituant de l'hypothèque doit disposer d'un droit réel (usufruit, superficie, emphytéose, copropriété) ou personnel (concession, par exemple) de construire à son profit69. SECTION 6. LES RÈGLES PROPRES AUX HYPOTHÈQUES

CONVENTIONNELLES A. Le consentement § 1. Un formalisme de protection 94. Instaurant un formalisme de protection du consentement des parties, l'article 76 de la loi hypothécaire dispose que "l'hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par acte authentique ou par acte sous seing privé reconnu en justice ou devant notaire. Les procurations à l'effet de constituer l'hypothèque doivent être données dans la même forme" L'hypothèque constitue donc un contrat solennel. 95. L'article 1er, alinéa 1er de la loi du 25 ventôse-5 germinal an XI contenant organisation du notariat confère aux notaires le pouvoir de "recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché

69 KLUYSKENS, « Beginselen van burgerlijk recht », VI, Voorrechten en hypotheken, p. 240, n° 248.

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aux actes de l'autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions". Le notaire se trouve ainsi investi de la qualité d'officier public compétent pour revêtir d'un caractère authentique les affectations hypothécaires conventionnelles. 96. Dans la plupart des cas, l'acte hypothécaire se trouve d'emblée coulé en forme authentique. Parfois cependant, un acte sous seing privé ayant pour objet la constitution d'une hypothèque peut être valablement reconnu devant notaire, c'est-à-dire déposé par toutes les parties au contrat parmi les minutes du notaire (voir pour les formalités d'authentification, la section 2 du Titre premier de la loi du 25 ventôse-5 germinal au XI contenant organisation du notariat). 97. L'exigence d'authentification du consentement vaut tant pour le constituant que pour le créancier acceptant la sûreté. La convention d'hypothèque formée entre parties absentes devra dès lors sa validité à l'établissement de deux actes authentiques venant se compléter mutuellement et ne pouvant séparément donner lieu à inscription au registre de la conservation des hypothèques70. Toutefois, l'exigence formelle se trouve atténuée lorsqu'elle s'attache au consentement de l'acceptant de l'hypothèque. En effet, la sûreté peut être acceptée par un mandataire du bénéficiaire, muni d'un mandat, non pas nécessairement authentique, mais simplement passé sous seing privé, voire même verbalement octroyé71. L'acceptation peut également prendre le truchement du porte-fort. Dans ce cas, un tiers comparaît à l'acte hypothécaire pour s'y porter fort que le créancier acceptera la garantie. La ratification peut ensuite intervenir valablement et rétroactivement sans forme particulière, y compris tacitement pourvu qu'elle soit certaine et attribuable sans conteste au créancier72. 98. Soumise par analogie au régime légal des hypothèques conventionnelles dans la mesure compatible avec sa nature particulière, l'hypothèque peut exceptionnellement se fonder sur un engagement par déclaration unilatérale de volonté. Les articles 493 et 494 du Code des sociétés pour les sociétés anonymes et 657 du Code des sociétés pour les sociétés en commandite par actions permettent la constitution d'une hypothèque sur les biens de la société afin de garantir un emprunt réalisé sous la forme d'une émission d'obligations. La comparution des obligataires à l'acte hypothécaire n'est pas requise par la loi pour assurer la validité de la sûreté, la désignation du créancier se trouvant alors

70 Bruxelles, 11 février 1976, R.N.B., 1976, pp. 187-190, obs. R.D.V. 71 BYTTEBIER "De hypothecaire inscrhrijving", R.W., 1993-1994, 34. 72 DE PAGE, "Traité élémentaire de droit civil belge"', t. VII, p. 355.

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remplacée par la description des titres émis, comme le prévoit l'article 493 alinéa 2, 1° du Code des sociétés73. 99. L'article 76 précité de la loi hypothécaire ne vaut pas en matière d'hypothèque maritime. En vertu des articles 10 et 272 du livre II, titre Ier du Code de commerce, aussi bien les actes hypothécaires sous seing privé enregistrés que les actes authentiques relatifs aux navires et bateaux peuvent être présentés, pour y être inscrits, au bureau des hypothèques maritimes d'Anvers. 100. Relevons que l'autorisation attendue de l'époux d'un constituant hypothécaire selon l'article 215 § 1er précité du Code civil ne doit pas obligatoirement revêtir la forme authentique. Il en va autrement évidemment du consentement des époux à grever chacun la part indivise d'un même immeuble. Dans une espèce où l'épouse d'un commerçant avait comparu à l'acte constitutif d'hypothèque octroyée par son mari sur la part indivise que possédait ce dernier dans l'immeuble familial, non seulement pour autoriser cet acte, mais également pour consentir également à grever sa propre part indivise dans le même bien, il a été décidé que la convention, considérée comme étant indivisible, devait être déclarée pour le tout inopposable à la masse des créanciers du mari failli, pour avoir été constituée en période suspecte afin de garantir des dettes antérieurement consenties74. § 2. La situation du constituant marié 101. Selon l'article 215 § 1er du Code civil, "un époux ne peut, sans l'accord de l'autre, disposer entre vifs à titre onéreux ou gratuit des droits qu'il possède sur l'immeuble qui sert au logement principal de la famille, ni hypothéquer cet immeuble (…). Si l'époux dont l'accord est requis, le refuse sans motifs graves, le conjoint peut se faire autoriser par le tribunal de première instance et, en cas d'urgence, par le président de ce tribunal, à passer seul l'acte". 102. Les actes accomplis en violation de cette exigence légale sont déclarés annulables par l'article 224 § 1er, alinéa 1 du Code civil. L'article 224 § 2 précise que l'action en nullité ou en dommages-intérêts doit être introduite à peine de forclusion dans l'année du jour où l'époux demandeur a eu connaissance de l'acte (Trib. Ypres, 2 mars 1992, R.G.D.C. 1993, p. 391). 103. En outre, selon l'article 223 alinéa 3 du Code civil, "le juge de paix peut (…) interdire à l'un des époux, pour la durée qu'il détermine, d'aliéner, d'hypothéquer ou de donner en gage des biens meubles ou immeubles, propres ou communs".

73 VAN HILLE et FRANÇOIS, « La société anonyme », Bruylant, 1990, p. 291, n° 657 et ss. 74 Comm. Neufchâteau, 19 décembre 1995, R.R.D., 1996, pp. 453-459.

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104. Le consentement d'un constituant d'hypothèque peut donc – on le voit – se trouver entravé par sa qualité d'époux. § 3. L’hypothèque constituée sur le bien d’un incapable 105. Pour faire naître une hypothèque valable, le consentement doit émaner, selon le droit commun de la formation des contrats, d'une personne capable. L'article 73 de la loi hypothécaire précise à cet égard que "les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent". En conséquence, comme l'énonce l'article 75 alinéa 1 de la loi hypothécaire, "les biens des mineurs et des interdits ne peuvent être hypothéqués que pour les causes et dans les formes établies par la loi", à savoir l'obtention par le tuteur d'une autorisation du conseil de famille pour le mineur (article 457 du Code civil), l'obtention par l'incapable lui-même d'une autorisation du conseil de famille homologué par le tribunal de première instance pour le mineur émancipé (article 483 du Code civil), l'obtention par l'administrateur provisoire d'une autorisation spéciale du juge de paix pour le majeur reconnu comme étant totalement ou partiellement hors d'état de gérer ses biens (article 488 bis § 3 c du Code civil), l'assistance d'un conseil judiciaire pour le prodigue (article 513 du Code civil). 106. A cet égard, il a été décidé que l'emprunt hypothécaire fait par un mineur émancipé sans que soient observées les formalités prévues par l'article 483 du Code civil est entaché de nullité relative, indépendamment du fait que le mineur en ait ou non éprouvé une lésion75. B. La promesse d’hypothéquer et le mandat irrévocable

d’hypothéquer § 1. La promesse d’hypothéquer 107. La promesse d'hypothéquer est le contrat par lequel une personne s'engage envers un créancier à constituer ultérieurement une hypothèque à son profit sur un ou

75 Cass., 21 septembre 1995, Pas., 1995, I, 837.

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plusieurs biens déterminés ou déterminables en garantie d'un créance déterminée ou déterminable76. 108. Le recours à ce type de convention suppose que le créancier se contente d'une promesse dont l'objet pour le débiteur consiste en une simple obligation personnelle de faire, à savoir constituer l'hypothèque à la demande du créancier, souvent accompagnée d'une obligation de ne pas aliéner le ou les immeubles concernés, ni de les grever de droits réels au profit de tiers. De la sorte, les frais et lourdeurs de l'accomplissement des formalités de constitution de la sûreté sont évités jusqu'à l'exécution éventuelle de la promesse. 109. Cette situation, si elle est économique et simple à réaliser, n'est pas cependant sans inconvénient pour le créancier. En effet, l'exécution forcée d'une promesse d'hypothéquer ne peut être obtenue en nature, car l'exécution de la condamnation judiciaire que pourrait obtenir le créancier contraignant le promettant à remplir son engagement de constitution se heurterait à l'adage "Nemo potest cogi ad factum" et le jugement ne saurait tenir lieu d'acte constitutif en raison de l'interdiction, liée au monopole notarial à cet égard, de l'hypothèque judiciaire77. Tout au plus, la condamnation pourrait-elle être assortie d'une astreinte, mais les droits du créancier dans ce cas ne porteraient pas davantage directement sur un bien du débiteur. § 2. Le mandat d’hypothéquer a. Notion 110. En raison de ces inconvénients, une atténuation significative du risque consenti par le créancier est obtenue par l'établissement d'un mandat authentique irrévocable d'hypothéquer, venant renforcer la promesse. 111. Il s'agit d'un contrat passé devant notaire, par lequel le propriétaire actuel ou futur d'un ou plusieurs immeubles donne irrévocablement à une ou plusieurs personnes le pouvoir de prendre, en faveur d'un créancier et à la première demande de celui-ci, une hypothèque sur un ou plusieurs biens immeubles actuels ou futurs déterminés ou déterminables, en garantie de ses propres obligations ou de celles d'un tiers, actuelles ou futures, déterminées ou déterminables.

76 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, n° 724, p. 658; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 2ème éd., p. 307, n° 608. 77 Cass., 21 janvier 1901, Pas. 1901, I, 113; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers", 3ème éd., p. 309, n° 612.

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b. Forme 112. Le mandat irrévocable d'hypothéquer doit être passé en forme authentique, à peine de voir déclarer l'hypothèque prise sur la base d'une procuration sous seing privé entachée de nullité absolue. Même une ratification de la sûreté ne pourrait remédier au vice. Certes, une nouvelle hypothèque pourrait être consentie et inscrite, mais se fixerait au rang déterminé par la date nouvelle. 113. Il en va autrement du mandat donné en vue de la constitution d'une hypothèque maritime, la volonté de l'affectant ne devant pas être authentique en ce cas, comme déjà indiqué plus haut. c. Bénéficiaire du mandat 114. Bien que soit contestable l'existence d'un principe général de l'évitement de l'opposition d'intérêts78, il est peu recommandé de conférer le mandat irrévocable au futur bénéficiaire de l'hypothèque lui-même, pour préférer la désignation d'un ou plusieurs mandataires tiers, même s'il s'agit d'une filiale de la société créancière d'un membre de son personnel79. Le mandataire ne doit pas, pour assurer la validité du mandat, l'accepter par acte authentique, au contraire de ce qui est exigé pour la constitution de l'hypothèque. Il est dès lors concevable d'établir une offre de mandat irrévocable d'hypothéquer par acte authentique, sans mention simultanée de l'identité de l'acceptant dans l'acte. 115. Le mandat peut ultérieurement être accepté par le ou les mandataires, sans formalité particulière, permettant alors la finalisation de l'acte notarié. Le danger de cette formule repose sur la révocabilité de l'offre de mandat jusqu'à son acceptation80. 116. Il est cependant parfois admis que le mandat irrévocable d'hypothéquer puisse être donné, non pas à un tiers, mais au créancier lui-même, car le consentement du constituant se trouve définitivement scellé dans l'instrumentum du mandat, sans plus aucune marge de négociation, de sorte que, même s'il contracte avec lui-même, lors de

78 GRÉGOIRE, « Le mandat », in Les contrats spéciaux, C.U.P. 1999, vol. xxxiv, pp. 189 et ss. 79 WATELET, La rédaction des actes notariés, Bruxelles, Larcier, 1980, p. 498. 80 CUYPERS, « Des hypothèques conventionnelles », in Privilèges et hypothèques, t. II, Kluwer, p. 62.

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l'exécution de sa mission, le bénéficiaire de l'hypothèque échappe à la tension propre au conflit d'intérêts81. d. Portée du mandat 117. Le principe de la spécialisation des immeubles dans l'acte et le bordereau d'inscription hypothécaire ne s'applique pas au mandat. Est valable dès lors la convention par laquelle des affectants ont consenti un mandat irrévocable d'hypothéquer tous immeubles dont ils étaient et deviendraient propriétaires, en plus d'immeubles déterminés82. Rédigé de la sorte, le mandat est exprès et spécial, puisqu'il est relatif à la réalisation d'un acte de disposition déterminé (la constitution d'une hypothèque), sans obligation d'indiquer précisément les biens sur lesquels les pouvoirs s'exerceront83. 118. Les biens visés par le mandat peuvent être hypothéqués au profit du créancier, avec leurs accessoires survenus entre l'émission du mandat et la constitution de l'hypothèque. Ainsi, il a été décidé que le mandat hypothécaire conféré par le propriétaire d'un terrain, à l'époque non bâti, permet au mandataire de prendre inscription hypothécaire sur le bien faisant l'objet du mandat, en ce compris les constructions qui y ont été ultérieurement érigées même lorsqu'elles ont été financées entièrement ou partiellement par un tiers, pourvu qu'à un titre ou un autre, il ne puisse se prévaloir d'un droit réel sur les constructions fondé sur une renonciation à l'accession84. 119. Lorsqu'un immeuble à hypothéquer appartient en indivision à deux personnes, le mandat doit être consenti, et l'acte signé, par celles-ci, et non par l'une d'elles seulement. Dans le cas contraire, seule la part indivise du signataire peut être grevée de la sûreté convenue85. e. Le passage à la constitution de l’hypothèque

81 STORME, « Hoever reikt de regel van de onherroepelijkheid van een lastgeving van gemeenschappelijk belang in het bijzonder bij enkele toepassingen in de notariële praktijk», Tijds. Not., 1996. 82 Civ. Bruxelles – saisies – 22 septembre 1983, R.N.B., 1984, pp. 257-260 – Note CHANDELLE. 83 CHANDELLE, « Le mandat irrévocable d'hypothéquer tous immeubles dont sont ou deviendraient propriétaires les affectants à la sûreté d'une dette déterminée », R.N.B., 1984, p. 262. 84 Civ. Arlon, 8 novembre 1988, J.L.M.B., 1989, p. 84. 85 Gand, 12 janvier 1985, T. Not., 1985, pp. 135-139, note F.B.

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120. Le bénéficiaire du mandat peut requérir le moment venu (et généralement lorsqu'il le juge opportun, sans condition et sans obligation de motivation86, la constitution immédiate de la sûreté, sous résserve de lapplication de la théorie de l’abus de droit87. Tel est en effet le pouvoir que lui a conféré le constituant. 121. Il convient toutefois de demeurer attentif à l'obligation d'ordre public dans laquelle se trouve le notaire requis de dresser l'acte, d'accomplir les formalités fiscales requises par la loi, au moment de la préparation de son acte hypothécaire. L'on sait qu'en vertu des articles 433 à 435 du Code des impôts sur les revenus, le notaire requis pour établir un acte ayant pour objet l'aliénation ou l'affectation hypothécaire d'un immeuble doit adresser au receveur chargé de la perception des impôts sur les revenus, un avis préalable destiné à permettre au Trésor l'exercice de ses droits sur le bien concerné pour la récupération d'un créance éventuelle. Après l'envoi de l'avis, le notaire doit respecter un délai d'attente de douze jours ouvrables avant de passer l'acte d'affectation hypothécaire. Pendant ce délai, le receveur a l'occasion de vérifier si des impôts sont dus par le propriétaire de l'immeuble sollicitant la passation d'un acte de disposition. Dans l'affirmative, le receveur peut en informer le notaire et prendre inscription pour fixer le rang de l'hypothèque légale dont dispose l'Etat en vertu de l'article 425 du Code des impôts sur les revenus. Si cette mesure n'est pas jugée nécessaire, l'acte prévu peut néanmoins être passé, mais l'information donnée au notaire par le receveur a la valeur d'une saisie-arrêt sur les sommes détenues en exécution dudit acte88. 122. Un système similaire est prévu en matière de T.V.A89, ainsi qu'en matière de taxes provinciales et communales90. Une clause par laquelle le notaire se trouverait garanti par le bénéficiaire d'un mandat irrévocable d'hypothéquer des conséquences de sa responsabilité civile professionnelle en cas de passation sans délai de l'acte hypothécaire sans respect des formalités imposées par les dispositions précitées serait entachée de nullité absolue, les obligations pesant sur le notaire en cette matière relevant de l'ordre public91. Ainsi, lorsque, sur la demande expresse d'une banque de prendre d'urgence à

86 Bruxelles, 30 septembre 2003, R.W., 2004, p. 674, note ; Delierneux et Buyle, obs. sous Civ. Bruxelles, 20 février 2004, R.D.C.B., 2006, p. 91, spéc. p. 98. 87 Civ. Bruxelles, 20 février 2004, R.D.C.B., 2006, p. 91, note Delierneux et Buyle. 88 Voir DESTERBECK, "De notaris en de invordering van directe belastingen en B.T.W.", R.W., 1986-1987, p. 561; WEYTS, "De fiscale notificatie inzake directe belastingen ent het notariaat", T. Not. 1977, pp. 161 et 193 et ss. 89 Articles 93 ter et suivants du Code de la TVA. 90 Arrêté ministériel établissant les modèles des avis et notifications visés par les articles 433 et 434 du Code des impôts sur les revenus en matière d'impositions provinciales, M.B. 16 juillet 1998, 23413. 91 EERMANN "Hypothecaire mandaat – Fiscale notificatie", T. Not. 1990, pp. 171 et ss. ; Civ. Bruxelles, 14 novembre 1980, R.N.B., 1983, p. 546.

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son profit une inscription hypothécaire sur un bien appartenant au signataire d'un mandat authentique irrévocable d'hypothéquer, un notaire omet de satisfaire aux obligations d'avis et de suspension de son ministère que lui impose le Code des impôts sur les revenus et commet de la sorte un faute causant un préjudice à l'Etat, dont l'hypothèque légale se trouve primée par celle de la banque, l'action en réparation dirigée contre lui par le fisc dans la mesure des impôts non recouvrés est "incontestablement fondée". De surcroît, le notaire ne peut en ce cas réclamer à la banque le montant de la condamnation sur le fondement de la théorie de l'enrichissement sans cause, car, d'une part, l'enrichissement de la banque puise sa cause dans l'acte d'affectation hypothécaire et dans l'inscription qui lui confère un rang préférable à celui occupé par l'hypothèque légale du Trésor, et, d'autre part, l'appauvrissement du notaire trouve sa source dans la faute professionnelle commise par lui pour n'avoir pas, fût-ce à la demande de la banque elle-même, procédé à la vérification de la situation fiscale du mandant92. 123. Quel est le sort du mandat irrévocable d'hypothéquer lorsque survient une mesure d'exécution concernant l'immeuble du mandant ou que s'ouvre à son égard une procédure liée à ses difficultés financières? L'on sait qu'en vertu de l'article 16 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le failli, à compter du jour du jugement déclaratif de la faillite, est dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens, de sorte que, comme le précise l'article 19, alinéa 1er de la même loi, une hypothèque, même valablement acquise antérieurement, ne pourrait plus être inscrite sur un immeuble du failli. A fortiori, un mandat irrévocable d'hypothéquer ne saurait-il être converti postérieurement au jugement déclaratif de faillite du mandant. Bien plus, à supposer que le mandataire ait été avisé du risque de l'intervention imminente d'une faillite et soit parvenu à constituer et inscrire l'hypothèque dès avant le jugement déclaratif, encore la sûreté pourrait-elle être déclarée inopposable à la masse, par application de l'article 19 alinéa 2 de la loi sur les faillites, aux termes duquel "les inscriptions prises postérieurement à l'époque de la cessation de paiement, peuvent être déclarées inopposables s'il s'est écoulé plus de quinze jours entre la date de l'acte constitutif de l'hypothèque (…) et celle de l'inscription", ou par application de l'article 17-3° de la même loi qui déclare inopposables à la masse, lorsqu'elles ont été prises en période suspecte, les hypothèques conventionnelles constituées sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées93. Au sens de cette dernière disposition, c'est, en effet, au

92 Civ. Bruxelles, 14 novembre 1980, précité. 93 Anvers, 3 octobre 1995, R.W. 1995-1996, p. 929.

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moment de la conversion du mandat et non de son émission, que l'hypothèque est donnée94. 124. La conversion d'un mandat d'hypothéquer ou même l'inscription d'une hypothèque prise en exécution d'un tel mandat postérieurement à la transcription d'une saisie immobilière conservatoire ne peut produire ses effets en vertu de l'article 1444 du Code judiciaire. Il en va de même en cas de transcription d'un commandement préalable à saisie-exécution proprement dite, conformément au prescrit de l'article 1577 du Code judiciaire. Une hypothèque prise néanmoins dans une telle occurrence serait inopposable au créancier saisissant95. La même sanction serait applicable dans le cadre d'une procédure de règlement collectif de dettes, car en vertu de l'article 1675/7 § 1er, alinéa 1er du Code judiciaire, la décision d'admissibilité de la demande de règlement collectif fait naître une situation de concours entre les créanciers et a pour conséquence l'indisponibilité du patrimoine du requérant. 125. Toutefois, rien ne s'oppose à notre sens, à la conversion d'un mandat irrévocable d'hypothéquer après l'ouverture d'un concordat judiciaire pendant la première phase de la procédure, à savoir la période d'observation. En effet, seuls sont interdits les actes d'exercice ou de poursuite d'une voie d'exécution ou d'une action en revendication sur un bien du débiteur concordataire, en vertu de l'article 21 § 1er, alinéas 1 et 2 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire. D'interprétation restrictive, ces dispositions légales ne font pas obstacle à la constitution d'une sûreté nouvelle sur un bien du débiteur concordataire, lequel ne se trouve pas dessaisi de son patrimoine. Le créancier hypothécaire, même s'il a acquis son droit réel de garantie pendant la période d'observation, devra consentir expressément au plan, si les mesures prévues ne lui assurent pas la protection particulière que lui offre, à l'instar du vendeur bénéficiant d'une clause de réserve de propriété, du créancier gagiste et des créanciers privilégiés spéciaux, l'article 30 alinéa 1er de la loi imposant que le plan prévoie pour ceux-ci le paiement intégral des intérêts et la limitation à dix-huit mois au maximum de la durée de la suspension des remboursements à leur égard. 126. En cas de fusion, scission, d'apport d'universalité ou de branche d'activités au sens des articles 671 et suivants du Code des sociétés, les droits et obligations nés d'un mandat d'hypothéquer poursuivent leurs effets à l'égard de la société devenant titulaire du patrimoine ou de l'ensemble transféré. La même continuité se produit à fortiori lors

94 HEURTERRE, "Overzicht van rechtspraak – 1977-1990 – Voorrechten en hypotheken", T.P.R., 1992, p. 1449; Comm. Namur, 14 février 1985, R.R.D., 1985, p.196; Comm. Mons, 25 février 1988, p. 286; R.D.C.B., 1989, p. 342; Liège, 29 novembre 1990, J.L.M.B., 1991, p. 945 ; Cass., 24 octobre 2002, R.W., 2002-2003, p. 1343, note Sagaert. 95 Voir DE LEVAL, Traité des saisies, Fac. Dr. Liège, 1988, p. 397, n° 312B.

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d'une transformation de société ou de simple changement de dénomination96. En revanche, la liquidation d'une personne morale, par le concours qu'elle engendre, entrave, en principe, la conversion du mandat en hypothèque, sauf au liquidateur, sous sa responsabilité, à y consentir expressément pour l'une ou l'autre raison justifiée par l'intérêt de la masse des créanciers97. SECTION 7. LES EFFETS DE L’HYPOTHÈQUE A. Au cours de la période de latence § 1. Prinicipe 127. Comme pour toute sûreté réelle, l’hypothèque entraîne des effets simplement conservatoires entre le moment où sont réunies les conditions de sa constitution et de son opposabilité aux tiers, et celui où se pose la question de l’exécution (volontaire ou forcée) de la créance principale. Pendant cette période, le propriétaire de l’immeuble conserve la titularité de ses droits et en garde la jouissance, sous réserve de ne pas porter atteinte à la sûreté consentie. § 2. Les baux 128. Illustration de l’articulation entre la liberté d’exercice de ses prérogatives par le constituant et le respect dû aux droits conférés au créancier hypothécaire, la question de l’opposabilité des baux mérite un examen attentif. Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 45 de la loi hypothécaire, « les baux contractés de bonne foi après la constitution de l’hypothèque seront respectés ; toutefois, s’ils sont faits pour un terme qui excède neuf ans, la durée en sera réduite conformément à l’article 595 du Code civil » (à savoir neuf ans).

96 CUYPERS, « Des hypothèques conventionnelles » in Privilèges et hypothèques, Kluwer, pp. 77 et ss., n° 64 et ss. 97 GRÉGOIRE, « L'effet d'une mesure conservatoire pratiquée après l'entrée en liquidation d'une personne morale », note sous Cass., 23 janvier 1992, R.C.J.B., pp. 398 et ss.

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Les baux de plus de neuf ans antérieurement conclus et transcrits antérieurement à l’inscription d’une hypothèque sont bien sûr opposables au créancier hypothécaire, par application de l’article 1er le la loi hypothécaire98. En revanche, pour ceux qui sont postérieurs à l’inscription hypothécaire, ont été considérées comme élisives de bonne foi au sens de cette disposition et donc, comme constitutives de fraude, la fixation d’un loyer anormalement bas, ce qui est de nature à décourager un amateur potentiel dans le cadre d’une vente forcée99, ou l’interposition d’un locataire principal, redonnant immédiatement le bien en sous-location au constituant, qui continue dès lors à occuper son bien, ou encore la mise en place des baux à un moment où le constituant a épuisé toutes les possibilités de pourparlers avec le créancier hypothécaire et où il a réalisé que la saisie était devenue inévitable100, ou enfin la constitution d’une société spéciale, notamment par le constituant de l’hypothèque, pour prendre en location l’immeuble grevé101. 129. Pour pouvoir invoquer la fraude et faire anéantir le bail conclu de mauvaise foi, encore faut-il, en cas de pluralité de créanciers hypothécaires bénéficiant de rangs différents, que le créancier demandeur puisse invoquer l’existence d’un préjudice à son détriment. Il est admis, en effet, que le créancier investi de droits particuliers sur certains biens de son débiteur peut, hors le cas d’insolvabilité du débiteur, faire invoquer les actes frauduleux faits par celui-ci sur ces mêmes biens, dès lors que, par cet acte, le débiteur a réduit la valeur de ses biens de manière à rendre impossible ou inefficace l’exercice de ses droits de créancier102. B. L’exécution forcée de l’hypothèque § 1. La problématique du titre exécutoire a. Position de la question 130. Comme tout créancier, en vue d’obtenir l’exécution forcée de sa créance, celui qui bénéficie d’une hypothèque se trouve contraint de satisfaire aux exigences de l’article

98 Liège, 30 mars 1995, J.L.M.B., 1995, pp. 1616-1620. 99 Liège, 24 avril 1987, R.N.B., 1987, pp. 671. 100 Mons, 5 septembre 1978, R.N.B., 1979, pp. 44-52. 101 Cass., 20 mars 1996, D. 1996, I.R., p. 99. 102 Cass. Fr., 18 juillet 1995, D. Somm., 1996, p. 208.

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1494 alinéa 1er du Code judiciaire aux termes duquel : « Il ne sera procédé à aucune saisie mobilière ou immobilière qu’en vertu d’un titre exécutoire et pour choses liquides et certaines ». 131. La portée exacte de cette disposition, en particulier, dans ses rapports avec l’exécution forcée des clauses d’un acte constitutif d’hypothèque, mérite d’être précisée. Pour ce faire, la jurisprudence récente doit être examinée, à la lumière parfois de décisions anciennes. L’article 1494 précité reproduit presque exactement les termes de l’article 551 de l’ancien Code de procédure civile, lequel énonçait : « Il ne sera procédé à aucune saisie mobilière ou immobilière qu’en vertu d’un titre exécutoire et pour choses liquides et certaines. Si la dette exigible n’est pas une somme d’argent, il sera sursis, après la saisie, à toutes poursuites ultérieures, jusqu’à ce que l’appréciation en ait été faite ». La similarité des deux textes permet d’exploiter la jurisprudence et la doctrine tant antérieures que postérieures à l’entrée en vigueur du Code judiciaire. 132. Par titre exécutoire, on entend un titre qui a vocation spéciale à s’imposer par la contrainte103. Si tout instrumentum, en général, consacre des droits et fixe ce qui doit se réaliser, il ne procure, en principe, nullement par lui-même un tel effet. Seul un titre investi de la force exécutoire, c’est-à-dire assorti de la formule exécutoire apposée par un fonctionnaire public, peut immédiatement donner lieu par la force à la contrainte104. Le titre exécutoire peut dès lors être défini comme celui qui peut donner lieu immédiatement à l’exécution par le concours de la force publique105. b. Acte de souveraineté et émission de consentements 133. Il existe diverses espèces de titres exécutoires, car le droit de conférer à un acte l’exécution forcée est un attribut de la souveraineté, une émanation du pouvoir, dépositaire de la force publique, déléguée aux tribunaux et aux notaires106. Les actes notariés sont assortis de la force exécutoire en vertu de l’article 19 alinéa 1er de la loi du 25 ventôse-5 germinal an XI contenant organisation du notariat, qui dispose que « Tous actes notariés feront foi en justice et seront exécutoires dans toute l’étendue du royaume ». Cette caractéristique des actes notariés résulte du pouvoir particulier conféré aux notaires qualifiés par l’article 1er alinéa 1er de la même loi, de « fonctionnaires publics

103 CAMBIER, Droit judiciaire civil – La fonction de juger, p. 204. 104 RENARD-DECLAIRFAYT, « La force exécutoire du règlement général d’ouverture de crédit annexé à l’acte notarié », R.N.B., 1994, p. 516 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, p. 118, n° 89 ; RÉMON, « La force exécutoire de l’acte notarié et son exécution directe », R.N.B., 1978, p. 304, note 6. 105 Pandectes belges, V° Titre exécutoire, n° 1 et 4. 106 Pandectes belges, V° Titre exécutoire, n° 19 ; Extraits du rapport de Monsieur J. de BRABANDERE, auditeur au Conseil d’Etat, précédant C.E. 10 juillet 1984, n° 24601, R.N.B., 1985, p. 370.

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établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer les grosses et expéditions ». Elle repose, en outre, sur l’autonomie de la volonté (article 1134 du Code civil), car en consentant à s’obliger par acte notarié, le débiteur se soumet à l’exécution forcée de la part de son créancier, en cas d’inexécution de ses obligations. Il accepte ainsi que le créancier se passe de l’intervention de la justice et délivre lui-même à ce dernier, par l’effet de sa volonté, un titre exécutoire107. Ainsi, les actes notariés ont pu être décrits comme « des jugements entre personnes qui consentent »108. Il en résulte que « lorsque les parties ont réglé leurs intérêts et fait constater leur convention par devant notaire, elles ne peuvent, sans nécessité et en dehors de toute contestation sérieuse, s’adresser à la juridiction contentieuse. Le ministère des notaires procure, en effet, aux conventions tous les effets d’un jugement. En conséquence, l’action intentée par celui qui est porteur ou qui peut se faire délivrer un titre exécutoire, est non recevable »109. La force exécutoire ne s’attache évidemment qu’aux documents répondant aux exigences posées par la loi pour l’authentification. 134. C’est dès lors à bon droit que par un arrêt du 17 novembre 1988110, la Cour de cassation a cassé un jugement qui avait reconnu un caractère exécutoire tant à l’acte authentique notarié lui-même qu’au cahier des charges qui y était, selon un usage constant, annexé, sans pour autant avoir été signé par le notaire, ni contenir la mention de sa date et de son lieu de réception, ni relever que la lecture en aurait été faite par le notaire en présence des parties111. c. Distinction entre le titre exécutoire et le titre

exécutoire judiciaire 135. Il existe toutefois d’importantes différences entre la force exécutoire attachée à l’acte notarié et celle qui l’est à la décision judiciaire.

107 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, p. 118, n° 89. 108 R.P.D.B., V° Notaire, p. 826, n° 1207. 109 Pandectes belges, V° Acte authentique, n° 529 ; Voy encore notamment : Civ. Huy, 20 novembre 1985, R.N.B., 1986, p. 244 ; RÉMON, « La force exécutoire de l’acte notarié et son exécution directe », R.N.B., 1978, p. 313 ; VAN COMPERNOLLE, « Saisies conservatoires et voies d’exécution – Ex. Jur. », R.C.J.B., 1987, p. 453, n° 44. 110 Rev. Not., 1989, p. 120; J.T., 1989, p. 181. 111 Voir sur cette décision : STRANART, « Les voies d’exécution – Développements récents », Recyclage Barreau de Bruxelles, Cahiers de droit judiciaire 1991. Cet arrêt ne recèle pas d’autre enseignement que celui-là, car la portée de la première branche du moyen unique, sur le fondement de laquelle la cassation est prononcée, se limitait – bien que prise de violation des articles 1er et 19 de la loi de ventôse comme de l’article 1494 du Code judiciaire – à critiquer le motif de l’arrêt attaqué faisant un titre exécutoire, du cahier des charges annexé à l’acte notarié.

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136. En premier, lieu, il est traditionnellement admis que seuls les actes qui peuvent ou qui doivent donner lieu à une saisie, à savoir les actes qui renferment l’obligation de payer une somme d’argent, justifient la délivrance de la grosse d’un acte notarié exécutoire112, alors que la décision judiciaire est exécutoire en dehors de ce cas. Toutefois, un évolution se dessine à ce sujet. Par un arrêt du 23 mai 1991113, la Cour de cassation, saisie de la question de savoir si l’expulsion d’un débiteur saisi peut avoir lieu sur la base de la grosse de l’acte notarié, constitutif du titre de propriété d’un immeuble adjugé, contenant une clause selon laquelle la partie devrait délaisser les immeubles et les mettre à la disposition des adjudicataires dans le mois de la signification de l’adjudication, à peine d’y être contrainte par le premier huissier à ce requis, avec l’aide au besoin de la force publique, ou si, au contraire, une décision judiciaire préalable devait intervenir, a décidé que cette grosse obligeait l’huissier de justice à prêter son ministère, en application de l’article 517 du Code judiciaire pour expulser le débiteur saisi. En deuxième lieu, il demeure une différence importante entre les deux types d’actes (notariés ou judiciaires), liée à ce que l’exécution d’un engagement constaté dans un acte notarié n’est jamais possible lorsque l’obligation est contestée sérieusement114. Dans ce cas, le pouvoir judiciaire interpose son autorité pour régler le droit. En troisième lieu, la force exécutoire d’un acte notarié peut être suspendue par l’octroi de termes et délais par le juge sur la base de l’article 1244 alinéa 2 du Code civil qui autorise le juge à « accorder des délais modérés pour le paiement et faire surseoir aux poursuites, même si la dette est constatée par un acte authentique, autre qu’un jugement »115. 112 Avis du Ministère public précédant Gand, 2 décembre 1953, J.T., 1954, p. 189 ; DE PAGE, « Traité élémentaire de droit civil belge », y. III, p. 119, n° 91 ; SCHIKS et VANISTERBEEK, « Traité formulaire de la pratique notariale, t. 1er , p .418 ; Anvers, 20 octobre 1976, R.N.B., 1977, obs. R.D.V., p. 500 ; Civ. Liège, 24 juin 1985, Jur. Liège, 1985, p. 561 ; DE LEVAL, Traité des saisies, p. 464, n° 235 ; « Quelques questions d’actualité en droit judiciaire – Le droit des saisies et la conciliation des contraires », Recyclage Mons, 1988 ; LEDOUX, « Chronique de jurisprudence – Les saisies », J.T., 1989, p. 615 ; STRANART, « Les voies d’exécution – Développements récents », Conf. 8 avril 1991, Barreau de Bruxelles, Cahiers de droit judiciaire, 1991 ; Contra : RÉMON, « La force exécutoire de l’acte notarié et son exécution directe », R.N.B., 1978, p. 312 ; DEMBON, « L’exécution de l’acte notarié peut-elle intervenir directement et peut-elle être suspendue ? », note sous Civ. Bruxelles, 29 juin 1987, Ann. Dr. Liège, 1988, p. 203. 113 R.N.B., 1991, p. 532. 114 Avis du Ministère public précédant Gand, 2 décembre 1953, J.T., 1954, p. 189 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, p. 119, n° 91, 2° ; VAN COMPERNOLLE, « Ex. Jur. Saisies conservatoires et voies d’exécution », R.C.J.B., 1987, p. 454 ; DE LEVAL, Traité des saisies, p. 468, n° 236, 3 ; « Le droit des saisies et la conciliation des contraires », op. cit., ibidem ; STRANART, op. cit., ibidem. 115 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, p. 119, n° 91, 3° ; DE LEVAL, Traité des saisies, p. 467, n° 236, 2.

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Enfin et surtout, en quatrième lieu, le contenu d’une décision judiciaire est nécessairement différent de celui d’un acte notarié au motif que « le premier intervient au moment de la conclusion du contrat alors que le second est postérieur à la survenance du litige »116. Il en résulte que seul le jugement peut constater les caractères actuels de liquidité et d’exigibilité d’une créance, alors que l’acte notarié ne peut en consacrer que l’existence. d. Les caractéristiques de la créance « cause » de l’exécution 137. Pour autoriser la saisie, la créance (cause de la saisie) doit être certaine, liquide et exigible, selon le vœu de l’article 1494 alinéa 1er du Code judiciaire. La créance certaine est celle qui est actuellement reconnue ou qui n’est pas sérieusement contestée117. La créance est liquide lorsque son montant est déterminé ou peut l’être à la suite d’une opération simple118. La créance est exigible lorsque le créancier peut en requérir le paiement immédiat119. 138. Toutes ces caractéristiques doivent s’attacher à la créance au moment où le créancier désire recourir à l’exécution forcée ; elles ne concernent la créance que lorsqu’elle a atteint la qualité de « cause » de la saisie, après avoir connu, depuis sa naissance, une évolution nécessaire, dépendant des rapports juridiques que les parties ont noués entre elles, concernant cette créance, depuis l’acte l’ayant fait naître. La créance, telle qu’elle se présentait lors de sa constitution, est en effet très généralement (quoique pas nécessairement) différente lors de son exécution. 139. De l’examen des différences entre les décisions judiciaires et les actes notariés d’une part, et des caractéristiques que doit présenter la créance « cause » de la saisie, d’autre part, il appert que l’acte notarié, titre exécutoire, ne peut, par définition, jamais receler, à lui seul et sur la base de ses propres termes, les caractéristiques exigées pour la cause de la saisie.

116 Civ. Liège, 24 juin 1985, Jur. Liège, 1985, p. 561 ; R.N.B., 1986, p. 42. 117 GUTT et STRANART, « Examen de jurisprudence – Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 1974, p. 667 ; CHABOT-LÉONARD, Saisies conservatoires et saisies-exécutions, p. 91 ; LEDOUX, « Chronique Jur. « Les saisies », J.T., 1983, n° 77 ; DE LEVAL, Traité des saisies, P. 299. BAERT et DECONINCK, « Les saisies immobilières conservatoires et d’exécution » in Les voies conservatoires et d’exécution – Bilan et perspectives, J.B., 1982, p. 216. 118 CHABOT-LÉONARD, Saisies conservatoires et saisies-exécutions, p. 95 ; LEDOUX, « Chronique Jur. – Les saisies », J.T., 1983, n° 79 ; DE LEVAL, Traité des saisies, p. 315. 119 GUTT et STRANART, « Examen de jurisprudence – Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 1974, p. 665 ; CHABOT-LÉONARD, Saisies conservatoires et saisies-exécutions, p. 98 ; LEDOUX, « Chronique Jur. – Les saisies », J.T., 1983, n° 79 ; DE LEVAL, Traité des saisies, p. 309.

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Il est ainsi matériellement impossible que l’acte notarié constatant l’acte juridique à l’origine de la naissance de la créance, témoigne de la certitude de la cause de la saisie. Celle-ci, en effet, cesse d’être certaine lorsque le débiteur invoque, par exemple, la disparition totale de la créance par compensation120, ce qui suppose nécessairement l’examen de la contestation au jour de l’exécution. Les constatations que l’acte notarié contient doivent donc toujours être complétées, pour que la certitude soit admise, par la considération soit que le débiteur ne conteste pas sa dette, soit qu’il n’a pas démontré le fait de sa libération et, conformément aux règles de la charge de la preuve121, a succombé au risque de la preuve non faite. 140. On remarquera que, même si le phénomène ne se produit que dans une moindre mesure, de même que les constatations de l’acte notarié doivent toujours être complétées, celles d’un jugement doivent l’être également dans de nombreuses circonstances, comme, par exemple, lorsqu’un débiteur a commencé par exécuter amiablement le jugement, qu’une exception de compensation peut être invoquée postérieurement à celui-ci, etc122. 141. Des principes semblables s’appliquent à l’appréciation de la liquidité de la créance, cause de la saisie. L’acte notarié dressé ab initio, lorsque la créance, à peine née, présentait un montant nominal égal à celui sur lequel le consentement mutuel des parties s’était formé, ne permet pas, à lui seul, de fixer le niveau des sommes restant dues au moment où l’exécution forcée devient nécessaire. La créance a pu, en effet, recevoir un paiement partiel, s’accroître d’accessoires tels que les intérêts et clauses pénales, ou connaître les deux situations en même temps. Le montant de la cause de la saisie doit dès lors être évalué, certes, à partir de l’acte initial, mais toujours complété par d’autres considérations ne pouvant être examinées que lors de la sollicitation de la voie d’exécution. 142. Enfin, l’exigibilité constitue, par excellence, la qualité dont l’existence ne ressort pas de l’acte notarié, qui, dans la très grande majorité des cas, établit la naissance d’une créance dont le remboursement ne doit se produire qu’ultérieurement. e. Le contenu du titre exécutoire

120 VAN COMPERNOLLE, « Ex. Jur. – Saisies conservatoires et voies d’exécution », R.C.J.B., 1987, p. 457. 121 Article 1315 du Code civil et 807 du Code judiciaire. 122 LEDOUX, « Chron. Jur. – Les saisies », J.T., 1983, n° 98.

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143. Face à la constatation que l’acte notarié est impropre à contenir seul la preuve de la réunion des qualités de certitude, de liquidité et d’exigibilité de la créance, cause de la saisie, il convient de cerner la portée que ce dernier doit avoir pour permettre l’exécution de la créance, selon le vœu de l’article 1494, alinéa 1er du Code judiciaire. En d’autres termes, il faut s’interroger sur le sens des mots : « en vertu d’un titre exécutoire », contenu dans cette disposition. La question est controversée. 144. Il a été enseigné que « le titre doit obliger au paiement de sommes certaines, liquides et exigibles, (mais) se contente parfois de fournir les éléments nécessaires à la détermination exacte de la somme », sous réserve, toutefois, de l’évolution des rapports juridiques entre parties, par exemple, comme on l’a déjà relevé plus haut, en raison de l’intervention d’une compensation ou de l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle ou encore du décès du débiteur, tous ces éléments affectant l’actualité du titre exécutoire123. Par application de cet enseignement, il fut décidé en jurisprudence que la force exécutoire de l’acte notarié est limitée à ce qui est susceptible d’exécution directe sans intervention d’éléments nouveaux et que lorsque l’exécution dépend de la réalisation d’une hypothèse prévue dans une clause introduisant une notion subjective, l’acte notarié voit son efficacité affectée par cette clause124. 145. Les remarques indiquées ci-dessus démontrent qu’il est pourtant impossible que l’acte notarié fournisse tous les éléments, fussent-ils objectifs, nécessaires à la détermination exacte de la somme due lors de l’exécution, sans aucun égard à de nouvelles informations. Il s’impose dès lors de nuancer la jurisprudence précitée pour régler la mesure exacte des exigences que peut avoir le juge, chargé d’examiner la légalité d’une voie d’exécution, à l’égard de l’acte notarié qui la fonde. 146. Pour découvrir cette mesure, une distinction doit être faite entre l’examen du caractère exécutoire du titre et celui des qualités de la cause de la saisie. Comme l’énonce un jugement du juge des saisies près le tribunal de première instance de Bruxelles, il y a lieu de ne pas confondre deux questions distinctes : le problème de savoir quels actes notariés ont force exécutoire (lequel est réglé par les dispositions de la loi organique du notariat) et celui de déterminer les conditions que doit réunir la créance dont l’acte notarié peut valablement former titre pour permettre la pratique d’une saisie (ce problème étant réglé par le Code judiciaire)125.

123 LEDOUX, « Chronique Jur. – Les saisies », J.T., 1983, n° 98 ; DE LEVAL, Traité des saisies, p. 463, n° 234. 124 Civ. Liège, 24 juin 1985, Jur. Liège, 1985, p. 561 ; R.N.B., 1986, p. 42. 125 Civ. Bruxelles, 29 juin 1987, Ann. Dr. Liège, 1988, note DEMBLON – note critique sur un autre aspect de la décision.

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Dans le cadre de la première vérification, le juge doit examiner si l’acte qui lui est présenté est un acte notarié revêtu de la formule exécutoire, de nature à permettre, sans autre formalité habilitante, l’exécution forcée des obligations qu’éventuellement il constate126. Une fois cette première vérification faite, il revient au juge d’examiner si l’exécution poursuivie correspond exactement à l’engagement contracté dans l’acte notarié, car on ne pourrait contraindre par grosse (pas davantage par jugement) à un fait qui n’est pas exprimé dans l’acte127. La cause de la saisie correspond à la créance constatée dans l’acte notarié, lorsqu’elle est issue de l’échange de consentement que ce dernier consacre ; l’existence de cet accord de volontés ne doit plus être prononcé de manière publique et authentique ; les parties seraient, au demeurant, non recevables à poursuivre une consécration judiciaire de la réalité de leur contrat, car « chacune des parties en approuvant l’instrumentum dressé par le notaire signe par avance sa propre condamnation pour le cas où elle ne remplirait pas ses engagements »128. Enfin, le juge des saisies doit procéder à l’analyse des qualités de la cause de la saisie et en vérifier les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité. Par définition, cette vérification ne peut être accomplie que lors de l’exécution et ne peut se déduire exclusivement de l’acte notarié. f. Applications jurisprudentielles 147. Analysons à présent les applications jurisprudentielles faites de ces principes. Dans une espèce où l’exécution était poursuivie sur la base de conventions préalables à un divorce par consentement mutuel faisant l’objet d’un acte notarié et prévoyant une modification du montant de la pension due à l’ex-épouse par son ex-mari en fonction d’éventuelles transformations de sa situation professionnelle, il a été décidé par le juge des saisies près le tribunal de première instance de Liège, devant qui une contestation s’était élevée quant à la situation de l’épouse saisissante, de suspendre la procédure d’exécution jusqu’à l’obtention d’une décision sur l’existence de la créance129. Cette décision est fondée sur deux ordres de motifs : en premier lieu, le jugement énonce que « l’existence d'un acte notarié ne permet l’exécution que dans l’hypothèse où celle-ci ne présente pas de contestation sérieuse ; dans le cas contraire, le créancier – comme lorsque son

126 DE LEVAL, Traité des saisie, p. 462, n° 233. 127 Civ. Bruxelles, 29 juin 1987, Ann. Dr. Liège, 1988, note DEMBLON – note critique sur un autre aspect de la décision. 128 GALOPIN, cité par DE LEVAL, Traité des saisies, p. 461, n° 234. 129 Civ. Liège, 16 octobre 1989, J.L.M.B., 1990, p. 493.

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droit résulte d’un acte sous seing privé – doit saisir le juge du fond pour faire reconnaître le bien fondé de sa créance » ; en second lieu, le juge relève que la créancier « ne peut procéder à une exécution forcée en l’absence d’une créance certaine et liquide ». Ce deuxième motif est le seul décisif car l’acte notarié existe, constituant dès lors un titre exécutoire en vertu de la loi ; le véritable obstacle qui s’opposait à l’exécution est la contestation sérieuse affectant le caractère certain de la cause de la saisie. 148. Un arrêt rendu le 5 mai 1978 par la Cour d’appel de Mons130, peut être également invoqué à l’appui de la thèse selon laquelle la contestation relative à la créance n’altère pas le caractère du titre, mais détruit l’une des conditions nécessaires à l’exécution. Dans cette affaire, les parties discutaient de la question de la validité de la clause d’indexation contenue dans un acte notarié de prêt hypothécaire. Après avoir constaté que « les parties s’accordent à reconnaître que leur différend se limite uniquement à la question de savoir si la créance supplémentaire de l’appelant résultant de la clause d’indexation querellée peut être provisoirement considérée comme certaine au vœu de l’article 1494 du Code judiciaire », l’arrêt estime que « pour qu’une créance puisse servir de base à une saisie- exécution immobilière, il faut que son existence présente un caractère de certitude suffisante pour qu’elle ne puisse être sérieusement contestée ; que des contestations sérieuses portant sur la somme réclamée enlèvent à la créance le caractère certain requis par la loi » et décide que « lorsque, comme en l’espèce, les parties discutent sur le point de savoir si le contrat dont l’exécution est poursuivie entre dans le champ d’application de l’arrêté royal n° 225 du 7 janvier 1936 réglementant les prêts hypothécaires et si, en conséquence, est licite la clause d’indexation qui y est insérée, la créance fait l’objet d’une contestation sérieuse et ne présente donc pas le caractère certain légalement exigé ». Cet arrêt doit être approuvé car il s’attache exclusivement à l’examen du caractère certain de la cause de la saisie, sans prétendre qu’en serait atteinte la force exécutoire de l’acte notarié, laquelle n’est pas à mettre en doute en raison de l’apposition sur l’expédition, de la formule ad hoc. 149. Un litige noué entre les parties sur la liquidité de la cause de la saisie n’entraîne pas davantage un affaiblissement de la force exécutoire du titre en soi, mais fait disparaître l’une des trois conditions dont la réunion autorise l’exécution de la créance. Il est admis que la condition de liquidité s’apprécie au jour du premier acte d’exécution131. Il n’est dès lors pas requis que le titre énonce expressément le montant dû132. Une telle énonciation serait, de toutes façons, impossible, l’établissement du titre de la créance étant antérieur à l’appréciation de sa liquidité. 150. Il faut admettre également que le créancier puisse bénéficier de l’exécution pour des intérêts dus, à défaut de stipulation conventionnelle ou légale relative à leur

130 J.T., 1978, p. 526. 131 DE LEVAL, « Chronique de droit à l’usage du Palais », Les saisies, p. 186. 132 Même référence.

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exigibilité de plein droit, à dater d’une mise en demeure, conformément à l’article 1153 du Code civil133. Il résulte de cette décision que la cause de la saisie – intérêts compris – ne peut être liquidée qu’à l’aide de documents probants postérieurs à l’acte notarié, à savoir la lettre de mise en demeure. Si la preuve de l’envoi de celle-ci ne peut être rapportée par le créancier, l’exécution pour les intérêts doit lui être refusée, non pas parce que la force de son titre s’en trouve amoindrie, mais plutôt parce que, dans la mesure de la contestation, la cause de la saisie est dépourvue de liquidité134. 151. A l’appui de cette analyse peut être invoqué un jugement rendu le 24 juin 1991 par le juge des saisies près le tribunal de première instance de Liège135. Dans cette affaire, des conventions authentiques préalables à un divorce par consentement mutuel prévoyaient que « (l’ex-épouse) (devrait) verser à (l’ex-époux) une pension alimentaire de 5.000 francs par mois pour l’enfant. Trois mille francs seront versés en espèces et 2.000 francs seront dépensés chaque mois pour l’achat ou le paiement de besoins essentiels tels que vêtements nécessaires, frais scolaires obligatoires … ». Une divergence de vue s’étant élevée entre les parties sur le point de savoir si le père avait rempli ses engagements en nature, le juge des saisies annule la saisie litigieuse aux motifs que « il s’agit en réalité d’un litige contractuel qui doit être soumis à l’appréciation du juge du fond ; que (…) dès l’instant où la créance est sérieusement contestée soit dans son principe, soit dans son montant, il incombe au créancier de requérir une décision judiciaire fixant le montant éventuellement dû sur la base de la convention intervenue ». Ainsi, le juge motive sa décision par le défaut de certitude et de liquidité de la créance. Il semble toutefois considérer que l’étendue de la force exécutoire du titre notarié s’en trouve également atteinte. En effet, le jugement déclare que « l’existence d’un acte notarié n’implique pas nécessairement le droit automatique à l’exécution » et qu’ « eu égard au caractère controversé de l’étendue de la force exécutoire de l’acte notarié, la saisie n’a été ni téméraire ni vexatoire ». L’on n’aperçoit pas toutefois en quoi la portée exécutoire du titre était concernée par le litige noué exclusivement sur la liquidité de la cause de la saisie. Si les parties s’étaient accordées sur la fixation du montant dû, le titre notarié aurait pu être exécuté tel quel, sans que le juge puisse élever une contestation que les conclusions des parties excluaient, ce qui démontre bien l’intangibilité de la force exécutoire de l’acte. 152. Une démarche identique doit être adoptée en ce qui concerne l’exigibilité de la créance.

133 Civ. Bruxelles, 16 juin 1986, cité par DE LEVAL, Traité des saisies, p. 463, n° 234. 134 En raison du caractère accessoire de la débition d’intérêts, ceux-ci relèvent de la liquidité de la créance principale. L’on ne pourrait donc soutenir qu’une contestation sur les intérêts provoquerait l’incertitude de la « dette d’intérêts », ceux-ci ne pouvant être considérés isolément. 135 Rev. Not., 1991, p. 546.

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Lorsque le créancier poursuit l’exécution d’une créance constatée dans un acte notarié, partiellement constituée de montants dus en application d’une clause de déchéance du terme, contestée par le débiteur, l’exécution ne peut être accordée car le créancier doit au préalable obtenir du juge du fond la déchéance du terme ou la résolution de la convention de prêt, ce contrôle judiciaire étant indispensable pour éviter des abus de la part de certains créanciers136. Cette décision doit être approuvée, car il ressort très clairement de ses motifs que la cause de la saisie n’apparaissait pas comme étant exigible. 153. Le juge rattache toutefois la solution du litige à la portée de la force exécutoire de l’acte notarié, en déclarant que « même les partisans de l’extension la plus grande de la force exécutoire des actes notariés admettent que l’intervention du pouvoir judiciaire sera nécessaire dès l’instant où la clause prête à interprétation ; qu’il en est ainsi d’un pacte commissoire exprès qui fait référence soit à des notions subjectives (insolvabilité notoire, par exemple), soit à des événements (comme un retard de plus de quinze jours dans le paiement d’une mensualité ou d’une trimensualité) en négligeant complètement l’imputabilité de ces événements, qu’il suffit pour s’en convaincre d’imaginer que le retard soit exclusivement imputable à un cas de force majeure : le solde restant dû deviendrait-il exigible par ce que l’acte notarié ne distingue pas ; que (…) Monsieur de Leval indique à juste titre que le débiteur pourrait invoquer l’abus de droit de la part du créancier ou la renonciation tacite du cessionnaire à se prévaloir du bénéfice de la clause ; qu’il existera toujours une différence essentielle entre l’acte notarié et le jugement, qui réside dans le fait que le premier intervient au moment de la conclusion du contrat, alors que le second est postérieur à la survenance d’un litige ; que la conséquence de cette différence fondamentale est que la force exécutoire de l’acte notarié sera limitée à ce qui est susceptible d’exécution directe sans intervention d’éléments nouveaux ; (…) que dans la mesure où l’exécution de l’acte notarié est conditionnée par la survenance de l’un ou l’autre événement, la situation se trouve modifiée postérieurement à l’acte notarié et d’une manière que celui-ci ne peut pas prévoir par définition ; (…) qu’on parlera d’actes directement exécutoires lorsque l’exécution portera sur le remboursement d’un prêt de 100.000 francs remboursables à une date déterminée, à majorer d’un intérêt de x% l’an ; que les actes seront indirectement exécutoires lorsque l’exécution dépendra de la réalisation d’une hypothèse prévue dans une clause introduisant une notion subjective ». 154. Cette distinction (entre notions objective et subjective) faite par le jugement cité, ne se justifie pas, car tout élément, même « objectivement » fixé par le contrat peut être contesté par le débiteur saisi, par exemple, sur la base du principe de l’exécution de bonne foi. Cette contestation portera atteinte aux qualités de la créance cause de la saisie, et non à la force exécutoire du titre, lequel pourrait entraîner l’expropriation du

136 Civ. Liège, 24 juin 1985, R.N.B., 1986, p. 42.

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débiteur, sans autre forme de procès, si les parties s’accordaient sur l’exigibilité de la créance 137. 155. Comme exposé ci-dessus, il incombe au créancier saisissant de produire un titre exécutoire constatant l’existence d’une créance, par la consécration authentique de l’échange de consentement, ou d’une autre cause juridique, qui en est l’origine. Il lui appartient ensuite de montrer que la cause de la saisie est issue de cette origine et qu’elle « correspond » à la créance constatée par l’acte, en dépit de son évolution. Ensuite, le juge vérifiera si la créance cause de la saisie est certaine (c'est-à-dire non contestée sérieusement par le débiteur), liquide et exigible, en se fondant sur les règles légales d’administration et de charge de la preuve. Ainsi, par exemple, l’établissement de l’exigibilité d’une créance civile à durée indéterminée ne peut résulter que de la preuve écrite de la résiliation, car les règles de la preuve civile s’appliquent également (en matière non commerciale) à l’extinction et la résiliation de la convention138. De la même manière, les conditions de modification du taux d’intérêt suivant une procédure déterminée dans l’acte peuvent ressortir d’un échange de lettres ultérieur, car il s’agit là, non pas de l’exécution du titre, mais du caractère certain, liquide et exigible de la dette139. En revanche, si l’exigibilité résulte du décès du débiteur, auteur du saisi, la preuve de la mort, en tant qu’élément de fait, pourra être rapportée par toute voie de droit. g. Le cas de l’ouverture de crédit 156. Le cas particulier de l’ouverture de crédit est particulièrement intéressant. L’ouverture de crédit peut être définie comme un contrat par lequel une personne – le créditeur – prend l’engagement actuel de se livrer pendant un certain temps à l’une ou l’autre opération de son commerce ou de son industrie, au profit d’une autre personne – le crédité – qui, de son côté, prend l’engagement aussi actuel d’indemniser le premier, à l’issue du contrat, des suites de l’exécution de cette promesse140. En droit commun, la preuve de la délivrance des fonds que le créditeur met à la disposition du crédité (ou, de manière plus générale, de l’exécution des engagements que celui-là a assumée à l’égard de celui-ci) peut être apportée par tous moyens légaux141. L’ouverture de crédit se

137 Voir pour une espèce semblable et une décision dans le même sens, également justifiée dans son principe, mais contestable dans ses motifs : Civ. Liège, 28 septembre 1989, J.L.M.B., p. 371. 138 Cass., 2 mars 1973, Pas., 1973, I, 617. 139 Civ. Bruxelles, 28 février 1994, R.N.B., 1994, p. 509, note RENARD-DECLAIRFAYT. 140 Rép. Not., « Traité des hypothèques et de la transcription », p. 612, n° 1569 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 2ème éd., n° 527, 528 et 535. 141 Rép. Not., « Traité des hypothèques et de la transcription », p. 614, n° 1576.

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caractérise par le fait que le crédité a le droit de prélever des sommes jusqu’au plafond fixé dans la convention, sans devoir obtenir à nouveau le consentement du créditeur142. Il convient d’examiner le caractère exécutoire d’un acte notarié d’ouverture de crédit à la lumière de ces principes. 157. En règle, un acte d’ouverture de crédit passé devant notaire possède le caractère exécutoire nécessaire à l’expropriation forcée143. 158. La preuve du montant de la dette ne doit toutefois pas résulter de l’acte authentique144. Le créancier peut en conséquence saisir à charge du crédité sans être muni d’un autre titre exécutoire que l’acte d’ouverture de crédit et sans que les remises faites en exécution du crédit soient constatées dans un autre acte authentique145. En d’autres termes, « l’obligation notariée par laquelle une partie s’engage à ouvrir un crédit à l’autre jusqu’à concurrence d’une certaine somme, est exécutoire contre le débiteur par le seul fait du versement de cette somme, et sans qu’il soit besoin que la réalisation du crédit soit constatée par acte authentique ou par jugement »146. « Il suffit qu’il n’y ait aucun doute sur les versements opérés, lesquels peuvent résulter, notamment de billets sous seing privé, souscrits par le crédité et représentés par le créditeur »147. 159. Ces principes reposent sur une jurisprudence très ancienne de la Cour de cassation et sur l’enseignement ressortant de l’avis du Ministère public précédant un arrêt du 28 mai 1851148. Par cet arrêt la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre une décision ayant admis notamment le caractère exécutoire d’un acte notarié constatant une ouverture de crédit. Dans ses conclusions conformes précédant cet arrêt, Monsieur le premier avocat général Dewandre rappelle en ces termes, les principes suivants : « La vente forcée des immeubles (…) ne peut être poursuivie qu’en vertu d’un titre authentique et exécutoire (…) pour une dette certaine et liquide ; ce que requiert la loi, c’est donc l’existence d’une dette à la fois certaine et liquide, que cette dette résulte d’un titre authentique et exécutoire, et enfin que les poursuites en expropriation aient lieu en vertu de ce titre. Dès que, en fait, ces trois circonstances substantielles se rencontrent, dès que leur existence est constatée en tête du commandement, les garanties dont la loi, en ce point, fait dépendre la validité de la saisie

142 VANDEPUTTE, « L’octroi des sûretés sur les actifs fixes des entreprises », Rev. Banque, 1966, p. 199. 143 Rép. Not., t. XI, p. 297, n° 559. 144 Même référence, R.P.D.B., compl. V° Hypothèques et privilèges immobiliers, p. 733, n° 559. 145 SCHIKS et VANISTERBEEK, Traité formulaire de la pratique notariale, t. VI, p. 340. 146 Pandectes belges, V° Acte authentique, p.389, n° 530. 147 R.P.D.B., V° Saisie, p. 544, n° 30. 148 Pas., 1851, I, 445.

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existent, et les droits du débiteur saisi étant à couvert, la loi doit être satisfaite (…). A la vérité, l’acte authentique d’ouverture de crédit non suivi de l’usage du crédit ne constitue pas, à lui seul, le créditeur créancier du crédité ; il n’établit par lui-même qu’un titre éventuel de créance, et, de là, la difficulté. Mais de ce que l’acte authentique et en forme exécutoire d’ouverture de crédit ne peut pas, aux yeux de la loi, suffire seul pour justifier une poursuite en vente forcée des immeubles affectés à la garantie de l’usage de ce crédit, et de ce que, d’autre part, sans ce titre authentique les écritures privées du créditeur ne pourraient d’aucune manière servir davantage de base à une saisie immobilière, ne suit-il pas que, puisque la loi cependant reconnaît cette sorte de contrat, qu’elle veut, par conséquent, s’ils sont revêtus des formes solennelles, qu’ils reçoivent leur exécution avec les conséquences qui y sont attachées ; ne s’ensuit-il pas, disons-nous, que, dès que l’usage du crédit et les sommes pour lesquelles il a eu lieu sont énoncés en tête du commandement avec la transcription du titre en vertu duquel ces sommes ont été fournies, c’est tout ce que peut exiger la loi (…). (…) il faut bien reconnaître (que les créanciers) ont procédé en vertu d’un titre exécutoire et authentique, et que la preuve de l’existence de la dette ne peut, en cette matière, résulter du titre lui-même, et qu’elle ne vient que comme condition ultérieure à débattre par le débiteur, sans que pour cela, si la dette existe réellement, la saisie en ait moins été faite en vertu de l’acte authentique d’ouverture de crédit, (car) ce que veut la loi, c’est que la saisie ait lieu en vertu d’un titre authentique et exécutoire et pour une dette liquide ». Cet enseignement fut approuvé par la doctrine, considérant que l’acte d’ouverture de crédit forme un titre exécutoire lorsqu’il a reçu la forme authentique, à charge pour le créancier de justifier l’utilisation qui a été faite du crédit. A défaut pour lui de ce faire, les tribunaux décréteront la nullité de la saisie, non pas en raison d’une déficience de l’acte notarié mais à cause de la défaillance des conditions requises pour la saisie. En outre, si le crédité conteste l’existence ou la liquidité de la dette, il peut faire reconnaître ses prétentions et faire annuler les poursuites. Ainsi, en irait-il si le créditeur se bornait à produire un extrait de ses livres constatant la réalisation du crédit et la clôture du compte alors que ce compte n’a pas été liquidé de commun accord et que le crédité prétend que différents postes ont été omis. Si cette contestation est sérieuse, la dette ne sera ni certaine ni liquide. En revanche, si le crédit oppose aux extraits des livres et au compte du créditeur des observations vagues, des critiques non fondées, le tribunal autorisera le créditeur à continuer les poursuites149. 160. Dans un arrêt légèrement postérieur du 3 juin 1870150, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence, en décidant que la réalisation du crédit ouvert ne devait pas ressortir d’un acte authentique pour justifier la saisie.

149 FALLOISE, pp. 427 et ss., n° 405 et ss. 150 Pas., 1870, I, 370.

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Dans ses conclusions conformes précédant cet arrêt, Monsieur le premier avocat général Faider déclarait : « (…) pour que le créditeur puisse vendre, pour et au nom du crédité, l’immeuble que celui-ci a donné en garantie, il faut qu’il se trouve dans les conditions stipulées pour l’existence de ce mandat, et par conséquent, que le crédit ait été utilisé, mais la loi ne dit pas qu’il faille une preuve authentique de ce fait ; l’article 80 de la loi hypothécaire dit même le contraire, puisqu’il permet la preuve de la remise des fonds par tous moyens légaux (…) ; il y a une dette certaine et liquide dérivant de cet acte. L’arrêt constate en invoquant la reconnaissance du débiteur et cela suffit »151. La Cour de cassation affirme dans le même sens que « l’inaccomplissement des obligations du demandeur est reconnu par l’arrêt attaqué ; que la Cour d’appel a constaté qu’il avait fait usage du crédit et qu’il avait continué à en devoir l’import, postérieurement au terme fixé, malgré les différents commandements qui lui avaient été signifiés en vue d’en obtenir le remboursement ; que d’après l’arrêt, les faits résultent des pièces du procès et des offres de paiement constantes, mais non suivies d’exécution (…) ; que vainement (le débiteur) soutient que les preuves sont insuffisantes et nonobstant sa reconnaissance de la dette que le règlement en eût dû être établi authentiquement, que (la loi sur la saisie), non plus qu’aucune autre, ne justifie pareille exigence ; que cette prétention est inconciliable avec la règle admise, même à l’égard des tiers, dans le dernier paragraphe de l’article 80 de la loi hypothécaire ; qu’elle est incompatible avec la nature des opérations successives et multipliées de comptabilité qui dérivent d’ordinaire du contrat d’ouverture de crédit ». 161. Au surplus, la Cour de cassation a estimé que les divers modes d’utilisation réservés conventionnellement à une même ouverture de crédit ne modifient pas l’identité de la créance née de cette utilisation. Elle a décidé, en effet, par un arrêt du 14 juin 1900152, dans une espèce où aux termes des actes de crédit, les créditeurs s’étaient engagés à faire certaines avances de fonds à concurrence d’un chiffre déterminé, avec une clause expresse lui réservant la faculté d’imputer sur les crédits ouverts les effets négociables à la Banque Nationale escomptés par eux et aussi les avances consenties de toute autre manière au crédité, que « cette clause spéciale, loin d’impliquer une condition potestative, ne rend pas même l’obligation alternative ; qu’en effet, il n’y a pas deux ou plusieurs choses comprises dans l’obligation ; qu’il s’agit d’un engagement unique ayant pour objet des avances de fonds et susceptibles seulement de se réaliser de différentes manières ; que le mode d’exécution est seul abandonné aux créditeurs, libres de choisir à cet égard dans les limites du contrat ». 162. Il ressort de ces arrêts que le caractère exécutoire s’attache à l’acte notarié d’ouverture de crédit, sans qu’il soit nécessaire que l’utilisation qui en a été faite, même selon divers modes, reçoive les mêmes formes, à charge, certes, pour le créancier de démontrer, au moment où la saisie s’impose, par les moyens légaux de droit commun,

151 Pas., 1870, I, 375. 152 Pas., 1900, I, 293.

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que sa créance est certaine, liquide et exigible. Toutefois, il est indispensable que l’engagement même du créditeur ressorte de l’acte authentique et en fasse l’objet ou l’un des objets. Une simple référence, dans un acte authentique, à un contrat sous seing privé, porteur de l’engagement lui-même et non simplement révélateur des modalités d’exécution, ne suffit pas. Le principe résulte de la combinaison de l’article 1er et de l’article 19 de la loi du 25 ventôse – 5 Germinal au XI contenant organisation du notariat, d’où il ressort que la force exécutoire s’attache aux actes ou aux contrats que les parties doivent ou veulent faire authentifier. C’est donc à l’objet même de cet acte ou ce contrat, sur lequel se porte le consentement des parties lors de l’établissement de l’acte authentique, que doit être reconnue la force exécutoire, puisqu’en agissant de la sorte, les parties ont voulu que leur engagement (quant à son existence même153) ne puisse plus être contesté en justice. C’est dès lors de l’association d’une double volonté : celle de former un engagement et celle de le rendre incontestable en justice que naît la force exécutoire. Il n’en est pas ainsi, par exemple, lorsque l’acte a pour objet la constitution d’une hypothèque, avec une simple référence à l’existence (issue d’un accord de consentement non authentifié) de la créance garantie. h. Le cas de l’acte hypothécaire 163. A l’issue de cet examen de la problématique, le cas des actes hypothécaires peut être éclairci. La question naît de ce que seul l’acte constitutif d’hypothèque doit être authentique pour être valable, et non l’acte d’ouverture de crédit dont il est l’accessoire154. En conséquence, si l’acte constitutif d’hypothèque doit désigner l’obligation principale qui est garantie, il n’est pas nécessaire du point de vue de la validité de la sûreté qu’il en forme le titre155. 164. Ces règles relatives à la formation de l’obligation principale et de l’hypothèque ne concernent toutefois pas l’exécution de l’engagement garanti. A défaut d’être consacré par un titre authentique, l’engagement ne sera pas exécutoire. Il ne suffit pas que le contrat accessoire y fasse référence (même précisément d’ailleurs ou en en relatant toutes les modalités), car une simple référence ne constitue pas le titre de l’obligation.

153 Autre chose sera de savoir lors de l’exécution forcée éventuelle, si la créance, devenue cause de la saisie, sera certaine, liquide et exigible. 154 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, p. 432, n° 510 ; Cass., 9 novembre 1877, Pas., 1978, I, 414 ; Cass., 14 juin 1900, Pas., 1900, I, 293 ; R.P.D.B., compl. V° Hypothèques et privilèges immobiliers, p. 829, n° 1198. 155 R.P.D.B., compl. V° Hypothèques et privilèges immobiliers, p. 829, n° 1198 ; Rép. Not., « Traité des hypothèques et de la transcription », p. 491, n° 1198.

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165. C’est pour cette raison, par exemple, qu’un acte d’affectation hypothécaire issu de la mise en œuvre d’un mandat authentique d’hypothèquer contenant une référence à la convention principale de leasing conclue sous seing privé, ne peut recevoir exécution, aux motifs que c’est le contrat de leasing qui est la source de la créance, l’acte d’affectation hypothécaire n’étant qu’un contrat de sûreté et de garantie accessoire156. Il en est de même pour l’acte d’affectation d’hypothèque qui rappelle l’existence d’un acte sous seing privé par lequel un débiteur reconnaît devoir le montant du solde débiteur d’un compte courant, sans en constituer le titre157, ou encore qui fait référence à des engagements cambiaires158. Dans ce cas, l’immeuble hypothéqué ne peut être réalisé car « un acte d’affectation hypothécaire ne peut être mis à exécution avant que l’obligation principale puisse l’être en vertu d’un titre ayant force exécutoire »159. 166. Telle était également l’hypothèse de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 21 juin 1990 par la Cour de cassation160. Dans cette affaire, les actes notariés hypothécaires constataient que la banque avait ouvert divers crédits au débiteur saisi, antérieurement à la constitution de la sûreté (sans modification ni augmentation). Il ressortait de certaines constatations des juges du fond que les actes hypothécaires faisaient référence à deux ouvertures de crédit dont certaines clauses et conditions étaient prévues dans la correspondance échangée entre elles. Ainsi, les parties n’avaient dès lors nullement fait consacrer véritablement leur lien juridique par l’authentification. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que la Cour de cassation admette qu’est légalement justifié le rejet de la requête adressée au juge des saisies, tendant à la désignation de l’immeuble. 167. Rien ne permet d’affirmer toutefois que, pour être exécutoire, un acte notarié d’ouverture de crédit doive révéler toutes les modalités particulières du crédit en particulier par l’authentification complète des annexes. i. Conclusion 168. En conclusion, la méthode à suivre pour cerner la portée exécutoire d’un acte hypothécaire peut être schématisée de la manière suivante. 156 Mons, 28 juin 1984, J.T., 1985, p. 147. 157 Civ. Tournai, 4 septembre 1984, J.T., 1985, p. 148 ; Civ. Gand, 17 décembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 369. 158 Civ. Tournai, 30 mars 1984, J.T., 1985, p. 148 ; voy. encore Mons, 20 octobre 1987, J.L.M.B., 1988, p. 85 ; Gand, 24 août 1984, Tijds. Not., 1984, 354 ; DE LEVAL, “Chronique de droit à l’usage du Palais – Les saisies », p. 463, n° 234 et les réf. citées ; « Aspects de la saisie immobilière et de l’ordre », in Le droit des saisies, DAOR, 1990, n° 1 ; BROECKX, « De uitvoerbare kracht van een notariële akte » , T.P.R., 1991, p. 70. 159 Mons, 20 octobre 1987, J.L.M.B., 1988, p. 85. 160 Pas., 1990, I, 1207 ; R.W., 1990-1991, p. 1053 ; R.N.B., 1990, p. 488.

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1. l’acte invoqué est-il un acte exécutoire régulièrement assorti de la formule et des formalités ad hoc ?

2. cet acte constitue-t-il le titre d’une créance, c’est-à-dire consacre-t-il les

consentements portant sur l’engagement authentique ? 3. la créance dont l’acte consacre l’existence correspond-elle à la créance, cause

de la saisie litigieuse ? 4. la créance, cause de la saisie, est-elle certaine, liquide et exigible au sens de

l’article 1494 alinéa 1er du Code judiciaire ? 169. Une fois ces vérifications effectuées, la saisie-exécution peut être requise sur la base de l’acte hypothécaire notarié. Remarquons qu’en ce cas, le créancier hypothécaire peut effectuer la saisie non seulement à l’encontre du débiteur lui-même, mais encore, le cas échéant, entre les mains du tiers qui, tenu propter rem, a hypothéqué son immeuble pour sûreté de la dette du débiteur. Le créancier hypothécaire a le droit de faire vendre l’immeuble du tiers constituant sans devoir préalablement obtenir un titre exécutoire contre lui161. § 2. Saisie-exécution et ordre 170. Tout créancier impayé dispose du pouvoir de poursuivre le paiement des sommes dues, sur un ou plusieurs biens appartenant à son débiteur, pourvu qu’il se plie aux dispositions légales régissant les exécutions forcées, inscrites aux articles 1494 et suivants du Code judiciaire. Deux observations fondamentales s’imposent d’emblée. En premier lieu, la saisie ne confère aucun privilège au créancier premier saisissant, qui risque de voir venir s’adjoindre à la procédure entamée par lui d’autres créanciers du même débiteur. Telle est la principale conséquence du caractère collectif de toute saisie, y compris la saisie-exécution immobilière. Le concours formé par la réunion des prétentions de plusieurs créanciers au sein de la même procédure entraîne le respect des sûretés et privilèges et, pour le surplus, de l’égalité des créanciers de même rang162.

161 Civ. Tournai, 29 mai 1987, J.L.M.B., 1988, p. 817. 162 VAN COMPERNOLLE, « Le caractère collectif des saisies », Liber Amicorum Krings, Story-Scientia, 1991, p. 84 ; DE LEVAL, Traité des saisies, 1988, p. 372.

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En second lieu, la circonstance qu’un bien soit grevé d’une sûreté – une hypothèque lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier – ne le soustrait pas au droit de poursuite d’autres créanciers, qu’ils soient privilégiés ou chirographaires163. Dans le cadre du concours engendré par la pluralité de poursuites, le créancier hypothécaire bénéficiera du respect dû au droit de préférence attaché à sa sûreté, mais sans pouvoir exercer la maîtrise exclusive de la procédure d’exécution. 171. Le créancier hypothécaire contraint de poursuivre l’exécution forcée de sa créance se tourne le plus souvent vers la saisie de l’immeuble grevé d’hypothèque à son profit. Il pourrait cependant saisir un autre bien du patrimoine du débiteur, ou en cas de pluralité de sûretés octroyées en garantie de la même créance, choisir librement l’assiette de la poursuite. N’étant ni d’ordre public, ni même impératif, en effet, l’article 1563 du Code judiciaire, selon lequel « le créancier ne peut commencer les poursuites en expropriation des immeubles qui ne lui sont pas hypothéqués, que dans le cas d’insuffisance des biens qui lui sont hypothéqués La valeur des biens est estimée, s’il s’agit de propriétés bâties, à raison de vingt fois, et s’il s’agit de propriétés non bâties, à raison de trente fois le revenu cadastral. Le créancier qui veut user de cette faculté, présente requête à cet effet au juge. Il joint à sa requête : (1°) l’extrait de la matrice cadastrale ; (2°) le certificat du conservateur des hypothèques (…). L’ordonnance du juge n’est susceptible d’aucun recours »164, est systématiquement écarté dans les actes notariés constitutifs d’hypothèques. Certains auteurs considèrent toutefois que, si elle est parfaitement valable entre parties, c’est-à-dire entre le débiteur et le créancier hypothécaire, la dérogation conventionnelle à l’article 1563 du Code judiciaire, n’est toutefois pas opposable aux tiers. D’autres créanciers du même débiteur pourraient dès lors imposer au créancier hypothécaire, s’ils y ont intérêt, de se soumettre aux limitations prévues à cet article, en dépit de la clause qui l’écarte insérée dans l’acte hypothécaire165. 172. Le créancier hypothécaire, avant de percevoir le produit de réalisation de l’immeuble hypothéqué, se soumettra aux règles déposées aux articles 1560 et suivants du Code judiciaire, qui, en tant que dispositions de procédure (hormis le sort particulier de l’article 1563 du Code judiciaire), relèvent de l’ordre public. Muni d’un titre

163 VAN COMPERNOLLE, « Sûretés réelles et voies d’exécution », Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 355 ; GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, Bruylant, 1992, p. 399, n° 549. 164 Cass., 3 mai 1985, Pas., 1985, I, 1084, avec les conclusions de Monsieur le Procureur général KRINGS ; R.W., 1985-1986, col. 176 ; Anvers, 30 avril 1985, R.G.E.N., 1986, n 23262, p. 8. 165 LEDOUX, « Les saisies – Chronique de jurisprudence 1989-1996 », J.T., Dossier n° 15, Larcier, 1997, p. 180, n° 225 ; VAN COMPERNOLLE, « Le caractère collectif des saisies », in Liber Amicorum Krings, n° 24, p. 857 ; T’KINT et FORGES, note sous Cass., 2l mai 1995, R.C.J.B., 1985, p. 432, note 32 ; contra DIRIX et BROECKX, Beslag, p. 392, n° 767 in fine.

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exécutoire, le créancier hypothécaire devra donc provoquer ou intervenir dans le partage pour dégager la part du débiteur dans le prix d’un immeuble indivis (article 1561 du Code judiciaire), faire signifier un commandement au débiteur (article 1564 du Code judiciaire) et, le cas échéant, le faire transcrire (article 1565 du Code judiciaire), faire signifier et transcrire une saisie-exécution entre quinze jours et six mois après la signification du commandement (articles 1566 et 1567 du Code judiciaire), déposer une requête devant le juge des saisies en désignation d’un notaire chargé de procéder à l’adjudication ou à la vente de gré à gré des biens saisis et aux opérations d’ordre (article 1580 du Code judiciaire), participer à la procédure d’ordre (article 1639 et suivants du Code judiciaire). 173. Postérieurement à l’inscription de l’hypothèque, les baux contractés de bonne foi, transcrits ou non, ne sont opposables au créancier hypothécaire, que pour une durée de neuf années au maximum166. Le créancier hypothécaire peut contester les baux consentis de mauvaise foi, c’est-à-dire constitutifs de fraude paulienne, mais cette contestation n’est pas de la compétence spéciale du juge des saisies et relève de la juridiction de droit commun167. Une fois transcrit le commandement ou l’exploit de saisie-exécution, sont inopposables aux créanciers poursuivants et à l’adjudicataire, suivant l’article 1575 du Code judiciaire, les baux dépourvus de date certaine avant la transcription et tous les baux consentis après cette transcription. Selon un arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2003168, il résulte de l’économie de l’article 1575 du Code judiciaire que l’adjudicataire ne peut être considéré comme un acquéreur au sens de l’article 12 de la loi sur les baux commerciaux. Selon celui-ci, lors même que le bail réserverait la faculté d’expulsion en cas d’aliénation, l’acquéreur à titre gratuit ou onéreux du bien loué ne peut expulser le preneur que dans les cas et selon les modalités que cet article précise, même lorsque le bail n’a pas date certaine antérieure à l’aliénation si le preneur occupe le bien loué depuis six mois au moins. L’article 1575 précité est toutefois considéré comme étant simplement impératif, de sorte qu’après la vente sur exécution forcée, il est permis aux parties concernées d’y déroger169. 174. Lorsque l’immeuble saisi est donné en location et que la créance de loyers a été cédée par le propriétaire saisi avant l’inscription de l’hypothèque bénéficiant au créancier saisissant, comment faut-il résoudre le conflit entre les règles régissant la cession de loyers et l’article 1576 du Code judiciaire selon lequel « les loyers et fermages sont immobilisés à partir de l’exploit de saisie pour être distribués avec le prix de l’immeuble par ordre d’hypothèques » ? 166 Voir supra, n° 72. La même règle s’applique au profit du créancier qui a fait signifier (et non encore transcrire) un commandement préalable à saisie – Voir article 1575 alinéa 2 du Code judiciaire. 167 Bruxelles, 8 octobre 1998, J.T., 1999, p. 109. 168 Cass., 19 juin 2003, J.T., 2003, p. 792. 169 Cass., 16 novembre 1990, Pas., 1994, I, 292.

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La solution prônée en doctrine et en jurisprudence consiste à reconnaître les effets de la cession jusqu’à l’exploit de saisie, mais à les considérer comme étant inopposables au créancier hypothécaire au-delà de la signification de cet exploit170. 175. En effet, l’immobilisation des loyers se limite à produire un effet de saisie-arrêt simplifiée, dont la mise en place tend simplement à une globalisation, en une seule procédure d’exécution portant sur une masse unique, de biens de natures différentes (l’immeuble et les loyers) fictivement considérés comme homogènes, soumis à un seul schéma de répartition entre les créanciers saisissants. Pas davantage que ne le ferait la saisie-arrêt, l’immobilisation prévue par l’article 1576 du Code judiciaire ne peut retirer au saisi le libre exercice de ses droits, comprenant la faculté d’en disposer, pour une période antérieure à la mise en œuvre de la poursuite par le créancier saisissant. Attribuer à la saisie un tel effet partiellement rétroactif heurterait radicalement les principes fondamentaux du droit de l’exécution forcée171. 176. A cet égard, le sort réservé au créancier hypothécaire se présente de manière plus favorable que celui des autres créanciers car la nature réelle de la sûreté, acquise dès sa constitution entraîne, dans une certaine mesure, une dérogation au droit commun. L’article 45, alinéa 2 de la loi hypothécaire dispose, en effet, que « L’hypothèque acquise s’étend aux accessoires réputés immeubles, et aux améliorations survenues à l’immeuble hypothéqué ». Les loyers produits par le bien hypothéqué, s’ils sont laissés à la disposition du constituant tout au long de la vie de l’hypothèque, entrent dans la catégorie des « accessoires réputés immeubles », lorsque s’exerce l’action hypothécaire par la signification d’un exploit de saisie. L’extension potentielle de l’assiette de l’hypothèque aux loyers connaît à dater de la création même du droit réel de garantie, une relative protection, inhérente à l’attention particulière que doit porter le propriétaire constituant au respect des prérogatives de son créancier hypothécaire. Tout acte anormal de nature à entraver l’exercice des droits

170 Gand, 5 novembre 1993, R.W., 1993-1994, p. 1029, note critique DIRIX ; Comp. DIRIX et BROECKX, Beslag, n° 803. 171 DE LEVAL, « Les saisies » in Chronique de droit à l’usage du notariat », vol. XX, p. 164 ; Dans le même sens, en droit néerlandais : Mijnssens Materieel beslagrecht, 1992, p. 58, n° 2-9 et les réf. citées ; Hoge Raad, 25 janvier 1991, Nerlandse jurisprudentie, 1992, n° 172.

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de ce créancier ou à diminuer ses expectatives légitimes doit être considéré comme dépourvu de la bonne foi nécessaire à son opposabilité. En conséquence, une cession de loyers même consentie avant l’exercice de l’action hypothécaire cesse de produire ses effets lors de la signification d’un exploit de saisie-exécution immobilière, à l’égard des créanciers hypothécaires, car ces derniers doivent pouvoir bénéficier du droit aux accessoires réputés immeubles que leur confère l’article 45, alinéa 2 précité172. C’est en application de ces derniers principes, que l’arrêt rendu le 5 novembre 1993 par la Cour d’appel de Gand173 a décidé que les effets de l’immobilisation prévue par l’article 1576 du Code judiciaire devaient prévaloir sur ceux d’une cession de loyers consentie antérieurement à la signification de l’exploit de la saisie-exécution, mais postérieurement à l’inscription de l’hypothèque du créancier poursuivant. 177. Insistons toutefois sur la nécessité pour le créancier hypothécaire voulant se prévaloir d’un tel bénéfice, d’avoir fait effectuer l’inscription de sa sûreté, consacrant l’emprise sur l’immeuble avant la conclusion de la cession des loyers174. En effet, si l’extension potentielle de l’assiette de l’hypothèque aux loyers a lieu dès la constitution de la sûreté, cet effet ne se manifeste à l’égard des tiers qu’à dater de l’inscription de celle-ci. Or, le cessionnaire des loyers et le créancier hypothécaire poursuivant sont des tiers l’un par rapport à l’autre, dans le conflit examiné ici. 178. Quant à l’hypothèque légale du Trésor, qui n’est que latente avant la naissance de la créance d’impôts qu’elle garantit, elle ne peut produire aucun effet utile avant la naissance de la créance d’impôts et doit, pour produire effet vis-à-vis du cessionnaire des loyers, être spécialisée par son inscription sur un ou plusieurs immeubles du contribuable, indiquant le montant (éventuellement partiel) de la créance garantie175. 179. Les solutions retenues pour le conflit pouvant surgir entre le cessionnaire des loyers et le créancier invoquant l’immobilisation octroyée par l’article 1576 du Code

172 Liège, 6 août 1885, Pas., II, 396 ; Cass., 1er juillet 1886, Pas., 1886, I, 144 ; Civ. Bruxelles, 5 décembre 1890, Rev. prat. Not., 1891, p. 670 ; Civ. Bruxelles, 20 décembre 1913, Pas., III, 318 ; RPDB, V° Hypothèques et privilèges immobiliers, p. 865, p. 865, n°1432 ; RPDB, V° Hypothèques et privilèges immobiliers », p. 865, n° 1432 ; RPDB, V° La saisie immobilière, p. 719, n° 170. 173 Gand, 5 novembre 1993, précité. 174 DE LEVAL, « Les saisies » in Chronique de droit à l’usage du notairat, vol. XX, p. 164. 175 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 292, n° 572 et p. 294, n° 575

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judiciaire peuvent-elles être transposées mutatis mutandis au règlement du concours entre ce dernier créancier et le bénéficiaire d’un gage constitué sur les loyers produits par l’immeuble saisi ? L’on sait que le gage n’entraîne pas la soustraction du bien grevé du patrimoine du débiteur constituant, de sorte que la saisie par des créanciers tiers à la convention de gage en reste possible176. Toutefois, le gage confère au créancier gagiste un droit réel de garantie, opposable à tous, y compris aux créanciers saisissant éventuels, dès la conclusion de la convention, sous réserve de la protection spéciale reconnue au débiteur de la créance nantie, aux cessionnaires ou créanciers gagistes subséquents à l’égard desquels la date de la notification ou de la reconnaissance par le débiteur doit être retenue177. La date d’opposabilité de la sûreté ainsi déterminée vaut pour les conventions portant sur des créances existantes ou éventuelles, certaines ou conditionnelles, échues ou à terme178. De la confrontation des règles rappelées ci-dessus, avec celles régissant la portée de l’article 1576 du Code judiciaire, il résulte que le droit de préférence du créancier gagiste devra être respecté dans le cadre d’une procédure de saisie-exécution immobilière, sans préjudice de la priorité reconnue au créancier hypothécaire pouvant se prévaloir d’une inscription au registre de la conservation des hypothèques antérieure à la conclusion de la convention de gage. 180. Rappelons que le droit de suite autorise le créancier hypothécaire à faire vendre le bien même s’il se trouve entre les mains d’un tiers179. En vertu de l’article 99 de la loi hypothécaire, le tiers détenteur dispose d’un délai de trente jours après mise en demeure pour exercer le choix entre le paiement de la dette et le délaissement de l’immeuble. Un jugement du juge des saisies de Bruxelles décide que, au-delà de l’expiration de ce délai de trente jours, le tiers détenteur continue de disposer du droit de contester la procédure d’exécution forcée aux motifs que le créancier ne disposait pas d’un titre exécutoire ou que la saisie n’était plus d’actualité en raison de l’apurement de sa dette par le débiteur saisi180.

176 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, p. 1095, n° 1078. 177 STRANART, « La loi du 6 juillet 1994 et les modifications apportées au gage sur créancie », in La cession de créance », J.B. Bruxelles,1995, pp. 54 et ss. 178 STRANART, « La loi du 6 juillet 1994 et les modifications apportées au gage sur créancie », in La cession de créance », J.B. Bruxelles, 1995, p 82. 179 Voir GRÉGOIRE, « Les sûretés réelles et les privilèges » Forum financier – Droit bancaire et financier, IIIème partie, n° 2002, II, p . 98. 180 Civ. Bruxelles – saisies – 28 février 1994, R.N.B., 1994, p. 509.

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Le tiers détenteur peut être le tiers acquéreur de l’immeuble ou la « caution réelle » du débiteur, selon une appellation inappropriée, puisque seules les règles de l’hypothèque – à l’exclusion du régime du cautionnement – sont applicables181. Définie comme la procédure ayant « pour objet, d’une part, de déterminer le rang de chaque créancier dans la distribution du prix provenant de la vente des immeubles du débiteur et de payer chacun dans l’ordre ainsi établi et, d’autre part, d’organiser la disparition des inscriptions et transcriptions grevant ces biens », la procédure d’ordre est organisée par les articles 1639 et 1653 du Code judiciaire. Le créancier hypothécaire s’y trouve nécessairement associé et doit attendre le moment de la distribution pour percevoir les sommes qui, en définitive, doivent lui revenir. 181. D’après la jurisprudence de la Cour de cassation, ces sommes ne sont acquises au créancier qu’après l’établissement par le notaire du procès-verbal définitif de distribution ou d’ordre et délivrance des bordereaux de collocation182. Jusque là, le prix de vente de l’immeuble demeure, bien qu’indisponible, dans le patrimoine du vendeur exproprié183. Ce prix ne constitue que la contre-valeur du bien adjugé tandis que le montant de la T.V.A. représente l’impôt dont le vendeur est redevable envers l’Etat sur le montant du prix et, pour cette raison, n’est pas soumis au droit de préférence du créancier hypothécaire184. 182. La procédure se déroule au fil des étapes suivantes : élaboration d’un projet de procès-verbal de distribution du prix de vente, respectant l’ordre des privilèges et hypothèques et l’égalité des créanciers de même rang (article 1643 du Code judiciaire) ; sommation, à l’initiative du notaire, par exploit d’huissier faite à toutes les parties concernées, sauf dispense expresse de leur part de recourir à cette formalité, de prendre connaissance de ce projet de procès-verbal et, le cas échéant, d’y contredire dans le délai d’un mois (article 1644 du Code judiciaire) ; signification ou déclaration éventuelles de contredit auprès du notaire (article 1644 du Code judiciaire) ; en l’absence de contredit ou après aplanissement amiable ou judiciaire des contredits existants, selon l’article 1646 du Code judiciaire, clôture du procès-verbal définitif et délivrance des bordereaux de collocation (article 1645 du Code judiciaire). Ces formalités doivent être respectées, même s’il n’existe qu’un seul créancier saisissant185.

181 Cass. fr. 1ère ch. civ., 4 mai 1999, Dalloz Affaires, 1999, n° 164, p. 899. 182 DE LEVAL, « L’ordre », Rép. Not., t. XIII, titre V, livre IV, 1990 , p. 29, n° 1. 183 Cass., 3 mai 1990, Pas., 1990, I, 1014. 184 Cass., 20 octobre 1988, Pas., 1989, I, 188. 185 R.P.D.B., V° « Distribution par contribution et ordre », n° 181.

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183. Toutefois, il est fréquent, en pratique, que les parties consentent à une répartition conventionnelle du prix de vente et au dégrèvement amiable de l’immeuble. Cette solution n’est pas sans risque car l’ordre conventionnel n’est, par définition, pas opposable aux créanciers qui n’y ont pas participé, de sorte que le notaire peut être jugé responsable des conséquences préjudiciables du non-respect de l’ordre judiciaire186. Doivent être appelés à participer à la procédure d’ordre, les créanciers ayant fait inscrire une hypothèque ou un privilège immobilier sur l’immeuble saisi187, le créancier poursuivant, c’est-à-dire celui qui a fait transcrire la saisie-exécution en suite de laquelle la réalisation de l’immeuble a été effectuée, ou le créancier qui s’est fait subroger dans les poursuites entamées par le poursuivant initial en vertu d’une décision du juge des saisies, les créanciers ayant fait transcrire un commandement, les créanciers ayant fait transcrire un exploit de saisie conservatoire immobilière, les créanciers révélés par la consultation du fichier des saisies (article 1644 du Code judiciaire, tel que modifié par la loi du 29 mai 2000), les créanciers munis d’un titre exécutoire ayant fait opposition sur le prix de vente de l’immeuble, par exploit d’huissier ou par déclaration, devant le notaire, avant l’expiration du délai prévu pour l’élaboration du procès-verbal d’ordre (article 1642 du Code judiciaire, tel que modifié par la loi du 29 mai 2000), c’est-à-dire, selon certains, dans le mois de la transcription du procès-verbal d’adjudication188, ou selon d’autres, avant que le notaire se soit dessaisi des fonds à distribuer189. § 3. Hypothèque et procédures collectives autres que la saisie a. La faillite 184. La saisie-exécution est une procédure certes collective mais d’initiative individuelle. Elle n’est d’ailleurs que potentiellement – et non nécessairement – collective. Les autres voies d’exécution qu’organise le droit positif belge ont pour vocation essentielle de rassembler autour de l’issue de la réalisation forcée du patrimoine d’un débiteur en difficultés, l’ensemble de ses créanciers. La procédure s’impose à eux, en définitive, comme à leur débiteur. Ils en subissent, parfois au prix du sacrifice d’une part importante de leur créance, tous les effets procéduraux et économiques. Le sort des créanciers privilégiés ou nantis de sûretés est évidemment, par définition, plus favorable que celui

186 Mons, 1er mars 1989, J.L.M.B., 1989, p. 654. 187 Civ. Namur, 18 novembre 1996, R.N.B., 1998, p. 212. 188 Civ. Bruges (saisies), 25 février 1997, T. Not. 1997, p. 221 ; Anvers , 5 novembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 22 ; Gand, 2 janvier 1996, R.W., 1996-1997, p. 441 ; Gand, 29 novembre 1994, R.W. 1994-1995, p. 1443. 189 Liège, 1er mars 1994, J.L.M.B., 1994, p. 692 ; Civ. Charleroi (saisies), 6 octobre 1997, J.T., 1998, p. 499.

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rencontré par les créanciers chirographaires ou subordonnés. Il n’est néanmoins pas entièrement dépourvu des inconvénients liés à l’état d’insolvabilité du constituant, ainsi que le montre la jurisprudence féconde rendue dans les matières aux confins du droit de la faillite, du concordat, de la liquidation, du règlement collectif de dettes, d’une part, et du droit de l’hypothèque, d’autre part. 185. Le jugement déclaratif de faillite arrête toute saisie faite à la requête des créanciers chirographaires ou privilégiés généraux (article 25, alinéa 1er de la loi sur les faillites – LF), ou hypothécaires (article 100 LF) jusqu’à la clôture du procès-verbal de vérification des créances, laquelle intervient en principe dans les soixante jours du jugement déclaratif. Lorsque, sur la poursuite déjà entamée par un créancier titulaire d’une sûreté ou d’un privilège spécial, le jour de la vente du bien grevé a déjà été fixé et publié avant le jugement déclaratif, la vente est poursuivie au bénéfice de la masse, sauf si l’intérêt de celle-ci requiert la suspension des opérations190. Après la clôture du procès-verbal de vérification des créances, les créanciers nantis de gages, privilèges spéciaux et le créancier hypothécaire premier inscrit reconnus comme tels, retrouvent le droit de poursuivre individuellement le remboursement de leurs créances par une exécution sur le bien grevé (articles 26 et 100 alinéa 2 LF). 186. Toutefois, si l’intérêt de la masse l’exige, le curateur peut solliciter du tribunal de commerce une prolongation du délai de suspension des poursuites individuelles pour une durée pouvant atteindre une année à dater du jugement déclaratif de faillite (article 100 alinéa 2 LF). Pendant ce délai, le bien peut être vendu à l’initiative du curateur191. 187. En ce qui concerne les créances privilégiées ou hypothécaires autres que le premier inscrit, une distinction s’opère selon la date de la transcription de la saisie-exécution. Si la transcription de la saisie est antérieure au jugement déclaratif de faillite, le créancier peut poursuivre la vente après la clôture du procès-verbal de vérification des créances. Toutefois, le curateur peut, lorsque l’intérêt de la masse le requiert, demander à être autorisé par le tribunal de commerce à procéder lui-même à la vente de l’immeuble saisi192. Si, en revanche, la transcription de la saisie immobilière est

190 ZENNER, « Faillites et concordats – Chronique de doctrine et de jurisprudence 1998-1999 », J.T. Dossier n° 23, 2000, p. 64, n° 79 ; BYTTEBIER, « Het nieuwe art. 100 Faill. W. – Welke houding moeten voortaan de hypothecaire schuldeiser, de notaris en de curator aannemen bij een onroerend uitvoerend beslag gevolgd door een faillissement ? », R.W., 1998-1999, p. 577; voir pour une application contestable: Comm. Hasselt (Réf.), 4 mai 1998, R.D.C.B., 1999, p. 214, note VAN BUGGENHOUT. 191 HERINCKX, « Le droit d’initiative d’un créancier hypothécaire premier inscrit en cas de faillite du débiteur », R.N.B., 1998, p. 500 ; ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, p. 642, n° 887. 192 Comm. Bruxelles, 14 août 1998, R.W., 1998-1999, p. 786.

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postérieure au jugement déclaratif de faillite, seul le curateur peut faire réaliser l’immeuble193. 188. Reste qu’en cas d’inaction du créancier autorisé à réaliser le bien, mais restant passif – ou avec accord de celui-ci –, le curateur peut se charger de l’exécution. A l’inverse, en cas de négligence du curateur, tout créancier hypothécaire ou privilégié peut demander au juge commissaire d’ordonner la vente194. Lorsque la vente est poursuivie par le curateur, la réalisation s’opère conformément aux articles 1190 à 1193 ter du Code judiciaire, régissant les ventes volontaires supervisées par justice, normalement par la voie de la vente publique195, mais avec l’autorisation du juge commissaire par la voie de la vente de gré à gré selon un projet préétabli et moyennant consultation des créanciers ayant fait inscrire un droit de préférence sur le bien. 189. La question de l’imputabilité des frais et honoraires dus au curateur pour avoir œuvré à la réalisation de l’immeuble grevé a donné lieu à une jurisprudence relativement importante et sur certains points, divergente. Dans l’état actuel du droit positif, les principes en vigueur peuvent être résumés de la manière suivante : les honoraires du curateur afférents aux devoirs accomplis pour la réalisation de l’immeuble sont prélevés par priorité sur le prix ; ils doivent être prélevés par préférence avant le remboursement des créanciers inscrits sur l’immeuble, dans la mesure où ceux-ci ont été dispensés d’effectuer eux-mêmes les actes posés par le curateur et dès lors bénéficié de son action ; le créancier hypothécaire premier inscrit supporte le paiement de ces honoraires et frais si le produit de la vente ne suffit pas à payer ceux-ci et le montant total de sa créance ; dans l’hypothèse où le prix de vente permet le remboursement total du créancier hypothécaire, deux solutions différentes sont préconisées. Selon certaines décisions, les honoraires et frais du curateur sont supportés par les créanciers venant en ordre subséquent196 ; selon d’autres, les créanciers hypothécaires ou privilégiés spéciaux ne doivent pas supporter les honoraires et frais du curateur, délaissés à la masse197 ; selon les derniers, les honoraires et frais du curateur doivent être supportés par les créanciers bénéficiant de sommes provenant du produit de

193 Voir article 101, alinéas 1er et 4 LF ; ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, n° 887. 194 ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, n° 637 ; Comm. Bruxelles, 18 janvier 1996, R.D.C.B., 1997, p. 11, note DERIJCKE. 195 Liège, 26 mai 1998, J.L.M.B., 1999, p. 978. 196 Mons, 27 novembre 1991, R.D.C.B., 1992, p. 325 ; Mons, 17 septembre 2002, J.T., 2003, p. 177 ; LEDOUX, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles et la publicité foncière (1987-1993) », J.T., 1994, pp. 328-329 ; J. des s. Hasselt, 2 octobre 2001, R.D.C.B., 2002, p.765 ; Mons, 17 septembre 2002, J.L.M.B., 2004, p. 50, J.T., 2003, p. 177 ; R.R.D., 2003, p. 47. 197 Liège, 26 mars 1996, J.L.M.B., 1996 ;Comm. Namur, 22 mai 1997, J.L.M.B., 2000, p. 871 ; Comm. Namur, 16 décembre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1002 ; Liège, 31 octobre 1997, J.L.M.B., 2000, p. 871, note CAEYMAEX ; Liège, 25 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1296.

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réalisation du bien grevé en proportion de leurs droits198. Cette dernière interprétation nous paraît plus conforme tant au concept de dettes de la masse qu’à celui de privilège pour frais de justice, inutilisés indifféremment pour qualifier les honoraires et frais du curateur199. b. Le concordat judiciaire 190. Le concordat judiciaire ne s’inscrit pas dans la perspective de la liquidation ; au contraire, il peut être accordé à un débiteur commerçant ne pouvant temporairement acquitter ses dettes et dont l’entreprise rencontre des difficultés pouvant mener à une cessation de paiements, pour autant que la situation financière puisse être assainie et que le redressement semble possible (article 9 de la loi sur le concordat judiciaire). Il s’agit d’une procédure collective, non pas d’exécution, mais plutôt de rétablissement de la situation du débiteur. Dès le dépôt de la demande en concordat, toute réalisation de biens meubles ou immeubles dans le cadre d’une procédure d’exécution est interdite (article 13, alinéa 2 de la loi sur le concordat judiciaire). Cette prohibition vise tous les créanciers, y compris les créanciers hypothécaires. 191. Lorsque le tribunal de commerce a décidé d’accueillir la demande en concordat, s’ouvre la période de sursis provisoire, au cours de laquelle les créanciers peuvent assigner le débiteur mais sans pouvoir entamer de nouvelles saisies-exécutions ou conservatoires. Les saisies déjà pratiquées, quelles qu’elles soient, ne produisent plus qu’un effet conservatoire (article 22 de la loi sur le concordat judiciaire). Le règle de la suspension de saisies s’impose également à tous les créanciers, y compris les créanciers hypothécaires, à condition que le débiteur paie les intérêts et charges de leurs créances. A défaut d’un tel paiement, les créanciers recouvreraient le plein exercice de leurs droits (article 21 de la loi sur le concordat judiciaire). La période de sursis provisoire doit être mise à profit par le débiteur, pour élaborer, avec l’assistance du commissaire au sursis, un plan de redressement de l’entreprise. Ce plan doit être soumis à l’examen et au vote de l’assemblée générale des créanciers, avant d’être rendu obligatoire pour l’ensemble des créanciers. Certains d’entre eux bénéficient, non pas d’un droit de préférence dans la répartition du produit de réalisation d’actifs (car le concordat judiciaire n’est pas destiné à entraîner la vente systématique des biens affectés à l’entreprise, mais au contraire, à favoriser la continuation de l’activité), mais d’une position plus favorable que d’autres : les créanciers hypothécaires, gagistes, privilégiés spéciaux, bénéficiant d’une réserve de propriété ainsi que l’administration fiscale ne peuvent se voir imposer les

198 Comm. Namur, 3 juillet 1995, J.T., 1996, p. 417 ; Comm. Namur, 14 mai 1998, J.T., 1999, p. 114. 199 Voir note VAN BUGGENHOUT et GRÉGOIRE sous Cass., 13 septembre 1991, R.D.C.B., 1992, p. 333.

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dispositions du plan que si celui-ci prévoit le paiement intégral des intérêts produits par leurs créances et la limitation à dix-huit mois de la suspension du remboursement du principal (article 30 de la loi sur le concordat judiciaire). 192. Une fois le plan adopté et homologué par le tribunal de commerce, s’ouvre la période de sursis définitif, au cours de laquelle s’exécutent les nouvelles prescriptions obligatoires, sans possibilité de poursuites individuelles, hormis l’hypothèse de la révocation du plan (article 37 de la loi sur le concordat judiciaire). 193. Un sort particulier est réservé aux dettes contractées par le commerçant avec l’assistance du commissaire au sursis durant la période concordataire. Celles-ci sont assimilées à des dettes de la masse, en vertu de l’article 44 de la loi sur le concordat judiciaire, en cas de faillite ultérieure200. La question s’est posée de l’imputation de ces dettes sur les sommes revenant aux créanciers du failli. La jurisprudence semble s’orienter vers la solution selon laquelle les dettes visées par l’article 44 précité ne pourraient porter atteinte, dans la faillite ultérieure, aux sûretés des créanciers gagistes, hypothécaires ou privilégiés spéciaux, à moins qu’elles n’aient effectivement bénéficié à ceux-ci et dans la mesure de ce bénéfice201. c. Le règlement collectif de dettes 194. Le règlement collectif de dettes constitue une avancée considérable du droit de l’insolvabilité. Est ainsi désignée la procédure tendant à la restauration de la situation financière d’un débiteur personne physique non commerçante, visant un équilibre budgétaire de nature à assurer la dignité pour la personne en difficultés et sa famille. Généreuse par son objectif, la procédure de règlement collectif de dettes soulève cependant d’épineuses questions dans son application. Le principe de base est clair : toute personne physique, non commerçante, domiciliée en Belgique, peut, si elle n’est plus, de manière durable, en état de payer ses dettes, privées ou professionnelles, exigibles ou à échoir et pour autant qu’elle n’ait pas organisé son insolvabilité, introduire une requête, devant le juge des saisies du lieu de son domicile, visant à obtenir un

200 Voir notamment, Comm. Bruxelles, 25 janvier 2001, J.L.M.B., 2001, p.1755, obs. CAEYMAEX. 201 Comm. Turnhout, 26 juin 2001, R.W., 2001-2002, p. 420; Comp. Liège, 6 mars 2003, qui affirme de manière radicale que « le passif de masse prime toujours les créanciers chirographaires et privilégiés généraux qui sont dans la masse. Par contre, les créanciers privilégiés spéciaux sont hors la masse et ne seront primés que par les créanciers de la masse qui peuvent se prévaloir d’un privilège d’un rang préférable au leur ». Cette analyse n’est plus entièrement appropriée au nouveau régime des créanciers nantis de sûretés ou privilégiés spéciaux selon la nouvelle loi sur la faillite, car il ne peut plus être considéré aussi fermement que ces créanciers seraient hors masse.

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règlement collectif de ses dettes et à se trouver placée, de la sorte, à l’abri des recours individuels de ses créanciers202. 195. Les effets de la procédure, en cas d’admissibilité de la requête, sont parfois plus difficiles à cerner. Schématiquement, il se comprend aisément que la procédure représente la transposition, pour les non commerçants, tantôt du concordat judiciaire, lorsqu’il est permis d’assurer la restauration durable de la situation économique du débiteur sans réalisation de tous ses actifs, tantôt de la faillite, dans le cas contraire. 196. Cette distinction apparaît au demeurant dans les dispositions légales régissant la matière, puisque des mesures particulières, notamment de remises de dettes en capital, peuvent être ordonnées uniquement lorsque tous les biens saisissables du débiteur ont été réalisés au profit de ses créanciers. Le trouble surgit toutefois d’une précision, pour une fois apportée par le législateur, mais, en l’occurrence, de manière – non pas inappropriée, puisque le législateur est souverain – mais en tous cas, incohérente, selon laquelle ce serait la décision d’admissibilité qui ferait naître une situation de concours entre les créanciers entraînant l’indisponibilité des biens du débiteur rassemblés en masse (article 1675/7 § 1er, alinéa 1 et 2 du Code judiciaire), indépendamment de la question de savoir s’il y aura lieu ou non de réaliser les actifs saisissables du débiteur en médiation. Or, le concours et ses conséquences, par application des principes dégagés à l’analyse des règles applicables aux autres procédures collectives, ne devrait naître que de la réalisation des actifs du débiteur au profit de ses créanciers203. La difficulté n’est pas académique. Elle produit un effet immédiat sur le sort des sûretés. En effet, outre la suspension automatique du cours des intérêts, à dater de la décision d’admissibilité, le juge des saisies peut ordonner le rééchelonnement ou la réduction des dettes du débiteur, qu’elles soient ou non assorties d’une sûreté réelle204. 197. Ainsi, dans une affaire où les juges du fond avaient déclaré que « le créancier hypothécaire n’est pas admis à réclamer le paiement (des) intérêts (échus postérieurement à la décision d’admissibilité de la demande visant à obtenir un règlement collectif de dettes) sur les sommes provenant de la réalisation du bien hypothéqué », aux motifs que « le respect d’un privilège qui s’impose dans cette hypothèse (à savoir l’hypothèse de la réalisation des biens conformément à l’article 1675/13 du Code judiciaire) est le privilège de la créance arrêtée au jour de la décision d’admissibilité » et que « comme pour les dettes du

202 Bruxelles, 10 décembre 1999, DAOR 2000, p. 53, note BALLON ; Civ. Marche (saisies), 12 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 735 (somm.) ; Civ. Anvers (saisies), 9 mars 1999, R.W., 1999-2000, p. 133. 203 VAN DEN HAUTE, « Le règlement collectif de dettes et la possibilité de vente de gré à gré », Kluwer, 1999, p. 24, note 46 ; BALATE et DOMONT-NAERT, « Le règlement collectif de dettes », Dossiers du J.T., Larcier, 2001, pp. 67 à 69 ; FORGES, observations sous Cass., 19 octobre 2001, J.T., 2002, p. 66 ; WEINBERGER, observations sous Cass., 19 octobre 2001, R.G.D.C., 2004, p. 96. 204 REGHIF, « Exécution des sûretés réelles » in Privilèges et hypothèques, Kluwer, p. 61, n°64.

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commerçant en faillite, la créance privilégiée est limitée au montant total du capital et des intérêts échus au jour de la faillite », la Cour de cassation, par son arrêt du 23 avril 2004, a estimé qu’est légalement justifiée la décision selon laquelle, dans le plan de règlement collectif, la demanderesse ne pouvait percevoir le produit de réalisation de l’assiette de son hypothèque que dans la mesure du capital de sa créance et des intérêts courus jusqu’à la date de l’admissibilité de la requête, à l’exclusion de ceux produits ultérieurement. L’arrêt de la Cour suprême énonce que cette solution se déduit des dispositions de l’article 1675/7 du Code judiciaire qui dispose, en son paragraphe 1er alinéa 1er, que la décision d’admissibilité a pour conséquence la suspension du cours des intérêts et, en son paragraphe 4, que les effets de la décision d’admissibilité se prolongent jusqu’au rejet, jusqu’au terme ou jusqu’à la révocation du règlement collectif de dettes, sous réserve des stipulations du plan de règlement. C’est avec difficultés que l’on tente d’appréhender l’enseignement de la Cour suprême. Certes, l’article 1675/7, § 1er, alinéa 1er du Code judiciaire – on l’a dit – pose le principe selon lequel la décision d’admissibilité de la demande visant à obtenir le règlement collectif de dettes « fait naître une situation de concours entre les créanciers et a pour conséquence la suspension du cours des intérêts et l’indisponibilité du patrimoine du requérant ». En conséquence, c’est « tout en respectant l’égalité des créanciers (que) le juge peut imposer un plan de règlement judiciaire pouvant comporter les mesures suivantes : (1°) le report ou le rééchelonnement du paiement des dettes en principal, intérêts et frais ; (2°) la réduction des taux d’intérêts conventionnels au taux d’intérêt légal ; (3°) la suspension, pour la durée du plan de règlement judiciaire, de l’effet des sûretés réelles, sans que cette mesure ne puisse en compromettre l’assiette, de même que la suspension de l’effet des cessions de créance ; (4°) la remise de dettes totale ou partielle des intérêts moratoires, indemnités et frais » (article 1675/12 § 1er du Code judiciaire). Toutefois, l’article 1675/13 § 1er, alinéa 1er, poursuit en précisant que « si les mesures (précitées) prévue à l’article 1675/12 §1er, ne permettent pas d’atteindre l’objectif visé à l’article 1675/3 alinéa 3 (à savoir ‘rétablir la situation financière du débiteur, en lui permettant notamment dans la mesure du possible de payer ses dettes en lui garantissant simultanément ainsi qu’à sa famille, qu’ils pourront mener une vie conforme à la dignité humaine’), à la demande du débiteur, le juge peut décider toute autre remise partielle de dettes, même en capital, aux conditions suivantes : - tous les biens saisissables sont réalisés à l’initiative du médiateur de dettes, conformément aux règles des exécutions forcées. La répartition a lieu dans le respect de l’égalité des créanciers, sans préjudice des causes légitimes de préférence ; - après réalisation des biens saisissables, le solde restant dû par le débiteur fait l’objet d’un plan de

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règlement dans le respect de l’égalité des créanciers, sauf en ce qui concerne les pensions alimentaires en cours, visées à l’article 1412 alinéa 1er ». C’est donc bien « sans préjudice des causes légitimes de préférence » que la destination du produit de réalisation des biens du débiteur doit s’opérer dans le cadre d’une procédure de règlement collectif de dettes. De la sorte, les articles 1675/7 § 1er, alinéa 1er et 1675/13 § 1er, alinéa 1er reprennent, pour le règlement collectif de dettes, les règles énoncées, pour toutes les procédures d’exécution forcée par les articles 8 et 9 de la loi hypothécaire, selon lesquels le produit de la réalisation des biens se partage au marc le franc entre ses créanciers, sauf les causes légitimes de préférence que sont les privilèges et les hypothèques. Or, dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 23 avril 2004, la créance litigieuse bénéficiait d’une hypothèque sur le bien immobilier réalisé conformément à l’article 1675/13 § 1er, alinéa 1er du Code judiciaire. Dès lors, l’article 41, alinéa 1er de la loi hypothécaire, aux termes duquel « l’hypothèque est un droit réel sur les immeubles affectés à l’acquittement d’un obligation », conférait donc au créancier le droit d’être payé, dans la mesure de la valeur de l’assiette de sa sûreté, de la totalité de la créance garantie, sans suspension des intérêts à dater de la décision d’admissibilité de la demande visant à obtenir un règlement collectif de dettes. En effet, l’article 80, spécialement alinéa 1er, de la loi hypothécaire dispose que « l’hypothèque conventionnelle n’est valable qu’autant que la somme pour laquelle elle est consentie est déterminée dans l’acte » et il résulte des articles 83, 4° et 87 de la loi hypothécaire que les intérêts produits par la créance garantie par l’hypothèque, sont, dans les limites précisées par ledit article 87, garantis par l’hypothèque, même s’ils ne sont pas échus et il est traditionnellement admis que la naissance d’un concours n’arrête pas le cours des intérêts garantis par une hypothèque (articles du Code judiciaire visés au moyen et, en tant que de besoin, article 23 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites et article 21 § 2 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire). 198. Telle n’a pourtant pas été la position de la Cour de cassation205. Cette situation s’intègre mal dans la théorie générale du concours, qui promeut, au contraire, la mise en œuvre des sûretés et privilèges (fût-ce avec certaines restrictions ou modalisations) dès la survenance du concours. Une limite devrait être apportée à la redoutable et surprenante inefficacité des sûretés dans le règlement collectif de dettes. En cas d’application de l’article 1675/13 du Code judiciaire, le créancier hypothécaire devrait pouvoir obtenir le paiement des intérêts échus avant ou après la décision

205 Cass., 23 avril 2004, n° C. 03-0017-F.

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d’admissibilité dans la mesure où le produit de réalisation de l’immeuble grevé permet de les recouvrer206. d. La liquidation d’une personne morale 199. La liquidation d’une personne morale est aussi à l’origine d’une situation de concours, comme l’enseigne la Cour de cassation au fil d’importants arrêts successifs207. 200. S’agissant de la position du créancier hypothécaire, il convient de retenir que les actes d’exécution ne sont entravés que dans la mesure exigée par le respect des règles du concours ou la bonne marche de la liquidation208. SECTION 8. L’EXTINCTION DE L’HYPOTHÈQUE OU DE SON INSCRIPTION

EN DEHORS DE L’EXÉCUTION FORCÉE A. L’extinction de l’hypothèque elle-même 201. En tant que droit accessoire, l’hypothèque s’éteint en cas de disparition de l’obligation garantie, quelle qu’en soit la cause (paiement volontaire, compensation, remise de dette, prescription …). Toutefois, la novation peut s’opérer avec réserve de sûretés et donc maintien exprès de l’hypothèque en garantie de la dette nouvelle209.

206 Voir en ce sens : BIQUET-MATHIEU, « Le sort des dettes en principal et intérêts », in Les procédures de règlement collectif du passif », CUP, Vol XXXV, 1999, pp. 127 à 134 ; DIRIX, « Belsag en collectieve schuldregeling – Overzicht van rechtspraak », T.P.R., 2002, p. 1313, n° 179, Liège, 9 mars 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1510. 207 Cass., 23 novembre 1939, Pas., 1939, I, 486 ; R.P.S., 1940, p. 47 ; Cass., 31 janvier 1964, Pas., 1964, I, 593 ; R.C.J.B., 1965, p. 99, note COPPENS et RENAULD ; Cass., 30 mai 1968, Pas., 1968, I, 1126 ; R.P.S., 1969, p. 239 ; Cass., 24 mars 1977 (2 arrêts), Pas., 1977, I, 792 et 796 avec les conclusions de Monsieur le Procureur général DELANGE ; R.P.S., 1977, p. 108 et 114 ; R.C.J.B., 1977, p. 628, étude GÉRARD ; Cass., 19 janvier 1984, Pas., 1984, I, 546 . R.P.S., 1985, p. 239, obs. T’KINT. ; J.T., 1984, p. 548; R.G.E.N., 1985, n° 23204, p. 281 ; Cass., 7 avril 1986, Pas., 1986, I, 951 ; J.T., 1987, p. 5 ; Cass., 23 janvier 1991, Pas., 1992, I, 445, avec les conclusions de Monsieur l’Avocat général JANSSENS DE BISTHOVEN ; J.L.M.B., 1992, p. 686 ; R.P.S., 1992, p. 62 ; R.R.D., 1992, p. 102, obs. ROLAND ; R.W., 1991-1992, p. 1085, obs. VAN HAEGENBORGH ; R.C.J.B., 1994, p. 398, étude GRÉGOIRE; Cass., 17 octobre 1996, I, 992 ; R.P.S., 1997, p. 145, obs. BOSLY; R.W., 1996-1997, p. 1395, obs. STORME; Cass., 15 octobre 1999, Pas., 1999, I, 1324 ; R.C.J.B., 2001, p. 166, étude THIRION ; Cass., 4 janvier 2001, Pas., 2001, I, 18. 208 Cass., 23 janvier 1992, précité. 209 Voir notamment KOKELENBERG, « Hypothecaire lening en schuldvernieuwing », R.W., 1984-1985, col. 2384 et ss.

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161. L’hypothèque disparaît également pour des causes propres, n’affectant pas la créance garantie. Ainsi, un créancier peut renoncer à son droit réel d’hypothéque et devenir ainsi créancier seulement chirographaire. Une telle renonciation, selon les principes généraux, ne peut être présumée et ne doit résulter que d’actes non susceptibles d’une autre interprétation. Toutefois, le juge dispose du pouvoir d’interpréter souverainement les actes par lesquels le créancier hypothécaire a exprimé sa volonté et en déduire avec certitude une renonciation pourvu qu’il ne viole pas la foi due aux actes interprétés. Ainsi, dans une espèce où un établissement de crédit avait octroyé un financement moyennant la constitution d’une hypothèque affectée « également à la garantie d’autres opérations de crédit ou de prêts qui pouvaient intervenir dans le futur », mais où, dans une correspondance avec le notaire du constituant de l’immeuble, ledit établissement de crédit avait confirmé que le crédit initial, garanti par l’hypothèque, avait été entièrement remboursé et qu’aucune reprise d’encours n’était possible, il a été jugé, par la Cour d’appel de Liège, que le créancier ne pouvait par la suite soutenir que la sûreté devait encore garantir un crédit ultérieur, car il ressortait clairement du contenu de la correspondance précitée que l’hypothèque avait fait l’objet d’une renonciation, valable entre parties et opposable aux tiers210. 202. La purge volontaire de l’immeuble peut être accordée par le créancier hypothécaire en cas d’aliénation amiable du bien grevé, même si le prix de vente est insuffisant pour rembourser la créance garantie. Il s’agit là d’un acte souvent inspiré par le réalisme dont l’avantage réside dans l’économie de moyens qu’entraîne un accord de cette sorte. Le tiers acquéreur peut également provoquer la purge de l’immeuble en se soumettant à la procédure organisée par les articles 109 et suivants de la loi hypothécaire211. 203. La vente volontaire judiciaire de biens appartenant en tout ou en partie à des propriétaires dont la loi entend protéger le consentement et les intérêts, tels les mineurs, interdits ou absents par exemple, opère également la purge des charges grevant l’immeuble vendu, et donc des hypothèques s’y trouvant inscrites. Ces ventes sont réglées par les articles 1186 à 1193 ter du Code judiciaire et se réalisent par adjudication publique ou de gré à gré. Dans un cas comme dans l’autre, quelle que soit l’importance du prix obtenu, elles emportent disparition de l’hypothèque. 204. La dénonciation par le constituant d’une hypothèque conventionnelle donnée en garantie de toutes sommes dues ou à devoir, expressément prévue par l’article 51 bis § 2 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, prive l’hypothèque d’effets

210 Liège, 15 mai 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1223, note DE LEVAL, confirmé par Cass., 18 mai 1989, R.W., 1989-1990, p. 711. 211 Voir supra, Forum financier – Droit bancaire et financier, n° 2002, II, p. 98.

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pour l’avenir. Seules les dettes nées antérieurement à la résiliation restent garanties par la sûreté212. 205. L’hypothèque est prescrite par trente ans à dater de l’acquisition de l’immeuble grevé par un tiers (article 108-5 de la loi hypothécaire), indépendamment de la prescription applicable à la créance garantie. L’action hypothécaire exercée contre ce tiers acquéreur interrompt évidemment la prescription de l’inscription213. 206. Enfin, la perte du bien fait disparaître l’hypothèque privée d’assiette, sous réserve de l’application de la subrogation réelle prévue à l’article 10 de la loi hypothécaire. Cette situation rend la créance exigible en vertu de l’article 79, alinéa 1er de la loi hypothécaire. B. L’extinction des effets de l’inscription de l’hypothèque 207. La radiation de l’inscription hypothécaire peut être volontaire ou judiciaire. Quelle qu’en soit la cause, la radiation n’entraîne pas en soi l’extinction de l’hypothèque, mais la rend seulement inopposable aux tiers. Il a été jugé toutefois que la mainlevée de l’inscription consentie volontairement par un créancier hypothécaire le prive du droit de recourir à l’exécution forcée sur la base de l’acte notarié constitutif de l’hypothèque, même en qualité de créancier chirographaire214. Cette décision paraît sévère eu égard à la portée limitée de la mainlevée de l’inscription, ne touchant pas au caractère de l’acte authentique en lui-même et pas davantage aux qualités de la créance qu’il consacre. 208. A l’inverse, le remboursement du créancier hypothécaire de premier rang n’emporte pas en soi la radiation d’office ou la péremption de l’inscription de sa sûreté215. Il faut encore que concrètement l’opération de radiation soit effectuée volontairement ou sous la contrainte d’une décision judiciaire. A cet égard, il a été jugé qu’est recevable et fondée la requête unilatérale tendant à obtenir la radiation d’une inscription hypothécaire prise au profit d’une entreprise ayant cessé d’exister216.

212 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 332, n° 671. 213 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 332, n° 672. 214 Civ. Anvers, 8 février 1999, R.W., 1998-1999, p. 1284. 215 Cass., 16 décembre 1994, Pas., 1994, I, 1113. 216 Civ. Bruxelles, 21 juin 2000, R.N.B., 2001, p. 204.

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SECTION 9. LES HYPOTHÈQUES LÉGALES A. L’hypothèque légale garantissant les impôts sur les revenus § 1. Principe 209. L’article 425, alinéa 1er du CIR 1992 accorde à l’Etat une hypothèque légale sur tous les biens appartenant au redevable situés en Belgique et qui sont susceptibles d’hypothèque afin de garantir le recouvrement des impôts directs et des précomptes. L’alinéa 2 de l’article 425 précise que les biens propres du conjoint ou des enfants du redevable sont également susceptibles d’être grevés lorsque les impositions peuvent être recouvrées à leur charge. Toutefois, le conjoint du redevable d’impôts peut soustraire ses biens propres à l’hypothèque légale lorsqu’il prouve que les revenus ayant donné lieu à taxation ont été personnellement et exclusivement recueillis par celui-ci217. Par ailleurs, l’hypothèque légale ne grève pas les immeubles des personnes condamnées solidairement au paiement de l’impôt, aux côtés du redevable, par la coréité ou complicité de délit de fraude fiscale218. § 2. Rang 210. Cette hypothèque prend rang à dater de son inscription, ainsi que le prévoit l’article 426 du CIR 1992. L’inscription est opérée à la requête du receveur (article 427 alinéa 1er du CIR 1992). L’inscription peut être requise à dater de l’exigibilité de l’impôt, car l’hypothèque elle-même naît en même temps que la créance d’impôts à dater de l’exécutoire du rôle219. 211. Dans les cas exceptionnels où « les droits du Trésor sont en péril », par exemple quand d’autres créanciers ont pris des mesures d’exécution, une inscription anticipative, c’est-à-dire antérieure à l’échéance de la dette fiscale, est permise (article 427 du CIR 1992). Ainsi, il a été jugé que les faits concrets résultant d’une infraction commise par le redevable, la précipitation de celui-ci pour revendre le bien, le manque de coopération

217 Gand, 29 mars 1993, Bull. Contr., 1996, p. 852. 218 Mons, 11 octobre 1984, J.T., 1984, p. 679. 219 Cass., 20 octobre 1977, Pas., 1978, I, 223 ; J.T., 1978, p. 190 ; R.G.E.N., 1978, p. 315.

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de sa part sont des éléments de nature à mettre en péril les droits du Trésor et donc à justifier l’inscription d’urgence de l’hypothèque légale220. 212. La protection des droits du Trésor est telle que le prononcé de la faillite du redevable ne fait pas, contrairement aux principes généraux, obstacle à l’inscription (article 427, alinéa 3 du CIR 1992). Cette dérogation est généralement sévèrement critiquée car elle permet de rendre opposable aux créanciers d’un commerçant un droit réel de garantie, postérieurement à l’effet du dessaisissement qu’engendre la faillite221. § 3. Intervention du notaire 213. Enfin, en vertu des articles 433 et suivants du CIR 1992, le notaire requis de dresser un acte d’aliénation ou d’hypothèque d’un immeuble est tenu, sous sa responsabilité personnelle, d’en informer le receveur du domicile du propriétaire et dans le ressort duquel le bien concerné est situé. 214. Le receveur est placé alors en position de saisir-arrêter, par la voie d’une notification spéciale, toute créance née de l’acte, à concurrence des impôts dus par son titulaire. Si les sommes provenant de cette créance son inférieures à la dette d’impôt, le receveur peut faire inscrire l’hypothèque du Trésor dans les huit jours de la passation de l’acte, lequel ne lui sera pas opposable. B. L’hypothèque légale garantissant les droits de succession § 1. Principe 215. Aux termes de l’article 84 du Code des droits de succession, les immeubles qui appartenaient au défunt sont grevés d’une hypothèque légale au profit du receveur chargé du recouvrement des droits de succession et de mutation par décès. § 2. Rang

220 Mons, 27 janvier 1998, J.L.M.B., 1999, p. 1643 ; Civ. Liège (saisies), 23 novembre 1994, Bull. Contr. 1996, p. 61. 221 COPPENS et T’KINT, « Examen de jurisprudence. Faillites et concordats », R.C.J.B., 1979, p. 411 et R.C.J.B., 1984, p. 553.

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216. L’hypothèque est inscrite à la requête du receveur. L’inscription a un effet rétroactif si elle est prise dans les dix-huit mois du décès (article 86 du Code des droits de succession). Pendant ce délai, la sûreté présente donc un caractère occulte222. C. L’hypothèque légale garantissant la T.V.A. § 1. Principe 217. L’article 86 du Code de la TVA octroie au Trésor une hypothèque sur tous les biens du redevable, situés en Belgique, pour garantir le paiement de la taxe, en principal, intérêts et frais. § 2. Rang 218. L’hypothèque prend rang à son inscription, prise à la requête du ministre ou de son délégué (article 88 Code de la TVA). § 3. Intervention du notaire 219. L’article 93 ter du même code impose au notaire requis de dresser un acte d’aliénation ou d’hypothèque d’un immeuble appartenant à un assujetti à la taxe, d’en informer l’administration. Si l’intérêt du Trésor l’exige, le receveur peut notifier au notaire le montant de la dette pouvant donner lieu à l’inscription de l’hypothèque légale. 220. Dans une espèce où un notaire estimait ne pas avoir à procéder à cette notification en cas d’acquisition (et non d’aliénation) de l’immeuble par l’autre assujetti, le Cour d’appel a accueilli cette thèse, à l’encontre de celle soutenue par l’administration, aux motifs que, même lorsque l’achat s’accompagne d’un prêt hypothécaire, le patrimoine de l’assujetti s’accroît d’un bien, de sorte que les droits de l’Etat ne sont pas en péril et la notification en devient superflue223. D. L’hypothèque légale garantissant le remboursement des

sommes relevant de l’aide sociale

222 T’Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 297, n° 583. 223 Liège, 15 juin 1995, Act. Dr., 1996, p. 461, note CATRICE.

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221. En vertu de l’article 101, alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique du CPAS, ce dernier est autorisé à prendre une hypothèque légale sur les biens de ceux qui doivent lui rembourser des sommes antérieurement consenties. 222. Il a été jugé que la sûreté ne s’étend pas aux sommes versées au titre de minimum de moyens d’existence224. CHAPITRE II – LES PRIVILEGES IMMOBILIERS SECTION 1. GÉNÉRALITÉS 223. Les privilèges immobiliers confèrent aux créanciers qui en bénéficient des prérogatives proches de véritables hypothèques, car ils en présentent les deux fonctions fondamentales : le droit de suite et le droit de préférence dans le cadre de l’exécution forcée. 224. Leur origine est toujours légale et non conventionnelle, alors qu’une hypothèque peut également découler d’une telle source. Là ne gît pas la distinction essentielle entre les deux institutions. 225. Le régime juridique des privilèges immobiliers est, en certains aspects, légèrement différent de celui de l’hypothèque, même légale. Ainsi, pour la plupart, ils sont rendus opposables aux tiers, non pas par l’inscription, mais par la transcription de l’acte ayant fait naître la créance privilégiée. Cette particularité technique entraîne, comme on le verra, la conséquence que les privilèges immobiliers priment les hypothèques, ainsi que l’affirme l’article 12 de la loi hypothécaire. En outre, ils ne sont reconnus, en cas de transfert du droit de propriété immobilière, que dans la mesure où le montant ou l’estimation des créances garanties est liquidé dans l’acte de transfert225. SECTION 2. LES PRIVILÈGES IMMOBILIERS ATTACHÉS AU TRANSFERT DE

LA PROPRIÉTÉ DE L’IMMEUBLE

224 Trib. Trav. Gand, 7 février 1997, O.C.R.W., 1997, p. 59 ; voir quest. parl. sénateur DE CONINK, 30 novembre 1984, R.G.E.N., 1985, n° 23220, p. 326 ; la loi du 26 mai 2002 créant le droit à l’insertion. 225 Cass., 21 novembre 1986, Pas., 1987, I, 369 ; J.T., 1989, p. 313. R.G.E.N., 1990, p. 416 ; R.G.D.C., 1987, p. 162 ; R.W., 1986-1987, col. 1743.

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A. Le privilège immobilier du vendeur 226. Aux termes de l’article 27-1° de la loi hypothécaire, le vendeur est privilégié sur l’immeuble vendu pour le paiement du prix. Celui-ci peut prendre plusieurs formes, qui ne donneront naissance au privilège, que si elles s’exécutent par le versement d’une somme en argent. Ainsi, il arrive que l’acheteur d’un immeuble s’engage au moment de l’achat à reprendre toutes les obligations de son vendeur, acheteur initial, à l’égard du vendeur initial. Dans ce cas, le dernier acheteur doit accepter et reconnaître les effets d’une nouvelle inscription d’office prise au profit du vendeur intermédiaire, et ce, même si l’inscription initiale n’a pas été renouvelée dans les délais226. 227. La notion de prix comprend non seulement le prix en principal mais également les charges pesant sur l’acheteur227. Les intérêts du prix de vente sont garantis pour trois ans par le privilège, même si l’inscription ne fait pas mention de ceux-ci228. B. Le privilège du copermutant 228. Aux termes de l’article 27-2° de la loi hypothécaire, dans un acte d’échange, le copermutant au profit duquel une soulte reste due par son cocontractant, pour combler la différence des valeurs présentées par les biens échangés, peut se prévaloir d’un privilège sur l’immeuble transféré par lui. 229. Le privilège garantit non seulement la soulte en principal, mais également les dommages-intérêts éventuels dus en cas d’éviction229. 230. Est assimilé à l’échange, au regard de l’article 27-2° de la loi hypothécaire, la dation en paiement d’un immeuble d’une valeur supérieure à la dette entraînant une créance en remboursement de la différence à charge du cessionnaire de l’immeuble230. C. Le privilège du donateur

226 Civ. Anvers, 2 décembre 1993, T. Not., 1994, p 377. 227 Cass., 21 novembre 1986, précité. 228 Bruxelles, 20 décembre 1978, R.N.B., 1979, p. 140. 229 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 336, n° 682. 230 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 336, n° 682.

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231. L’article 27-3° de la loi hypothécaire confère un privilège au donateur d’un immeuble, ayant stipulé des charges imposées du donataire. 232. Dans ce cas également, le privilège garantit le principal et les accessoires de la charge. D. Le privilège du copartageant 233. L’article 27-4° de la loi hypothécaire accorde à chacun des copartageants un privilège sur le ou les immeubles attribués aux autres pour garantir les soultes destinées à compenser l’inégalité des différents lots. 234. Les soultes garanties le sont en principal et accessoires. Elles peuvent consister en une rente viagère231. SECTION 3. LA PUBLICITÉ PAR TRANSCRIPTION DES PRIVILÈGES VISÉS À

L’ARTICLE 27, 1° À 4° DE LA LOI HYPOTHÉCAIRE A. Position de la question 235. Les quatre premiers privilèges énumérés par l’article 27 de la loi hypothécaire naissent d’actes translatifs ou déclaratifs de droits immobiliers, soumis à la formalité de la transcription par l’article 1er de la loi hypothécaire. En vertu des articles 30 à 33 de la loi hypothécaire, cette formalité ne se limite pas à rendre le transfert en lui-même opposable aux tiers, mais également le privilège attaché à la créance constituant la contrepartie de ce transfert. C’est à dater de la transcription de l’acte dès lors que les tiers sont informés de l’existence d’une créance dans le chef de la partie qui a transféré la propriété de l’immeuble232. 236. Pour des raisons de commodité et de sécurité dans les consultations des registres de la conservation des hypothèques, l’article 34 de la loi hypothécaire met à charge du conservateur, l’obligation de procéder, sous sa responsabilité, à l’inscription du privilège dont l’existence apparaît à la lecture de l’acte transcrit relatant une créance restant impayée en dépit du transfert de la propriété de l’immeuble. De cette façon, la

231 Mons, 23 mai 2002, R.G.E.N., 2004, p. 281, note HALEUR. 232 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 338, n° 688.

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consultation du registre des inscriptions suffit aux tiers pour cerner l’importance des charges grevant le bien. La seule sanction de l’omission de l’inscription, non sollicitée par le titulaire du privilège, réside, en principe, dans l’octroi de dommages-intérêts à la victime d’une erreur provoquée par la négligence du conservateur. B. La dispense d’inscription d’office 237. Toutefois, une clause formelle de l’acte peut dispenser expressément le conservateur de son obligation de procéder à l’inscription d’office du privilège (article 36 de la loi hypothécaire). Une telle dispense produit d’importantes conséquences. C’est pourquoi il pèse à cet égard une importante responsabilité de conseil sur le notaire ou l’avocat mandaté par le créancier, même s’il n’est pas le rédacteur de l’acte233. Non seulement cela entraîne la disparition du privilège, mais également, dans une certaine mesure, de l’action en résolution fondée sur l’inexécution fautive de ses obligations par le cocontractant du créancier, anciennement privilégié, devenu chirographaire. Il y a, en effet, solidarité entre ce privilège et l’action résolutoire. Quelles en sont les raisons et quelle en est la portée ? 238. Tout aliénateur d’immeuble possède deux actions pour contraindre l’acquéreur à respecter ses engagements : d’abord, une action en exécution forcée, laquelle est renforcée précisément par son privilège ; ensuite, une action en résolution du contrat pour inexécution des engagements. 239. L’action résolutoire qui est accordée au vendeur (ainsi qu’au donateur et au copermutant) est fondée sur la condition résolutoire qui est toujours sous-entendue dans les conventions synallagmatiques234. 240. Lors de la discussion du projet de la loi hypothécaire, certains parlementaires ont déclaré préférer que soit laissée à l’appréciation du vendeur l’opportunité de requérir l’inscription, plutôt que de l’imposer systématiquement au conservateur. A l’appui de ce souhait, on faisait valoir que cette inscription serait le plus souvent inutile et source d’embarras pour l’acquéreur, en raison de la radiation rendue ultérieurement nécessaire235.

233 Mons, 9 octobre 2004, J.T., p. 183 ; R.N.B., 2004, p. 508, note Tajmans ; note D.L. « Manque à son devoir de conseil, l’avocat qui n’attire pas spécialement l’attention de ses clents sur les risques de la renonciatin au privilège du vendeur », note sous Cass., 21 janvier 2003, Rev. Dr. Banc. et fin., 2004, p. 23. 234 LEPINOIS, Privilèges et hypothèques, III, n° 1209 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, n° 400. 235 R.P.D.B., V° Hypothèques et privilèges immobiliers, Compl. VII, n° 948, p .790.

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241. La possibilité de dispenser le conservateur de prendre d’office l’inscription est alors apparue comme le remède idéal aux inconvénients signalés et fut consacrée à l’article 36 de la loi hypothécaire. La dispense d’inscription ne pouvait évidemment avoir pour conséquence de supprimer la publicité – organisée dans l’intérêt des tiers – tout en laissant à l’aliénateur le bénéfice de son privilège. Il en serait résulté un privilège occulte. Pour cette raison, il a été décidé que cette dispense provoquerait la perte du privilège et de l’action résolutoire, avec pour seul réconfort, du point de vue de l’aliénateur, la possibilité de prendre une inscription hypothécaire, prenant rang à sa date (article 36, alinéa 2 de la loi hypothécaire). La loi a donc clairement assimilé cette dispense à une renonciation au privilège même236. 242. Quant à la perte de l’action résolutoire, elle se comprend aussi, dans la mesure où l’effet rétroactif avec lequel opère la résolution n’est pas neutre à l’égard des droits acquis par les tiers : si la résolution se produit, leurs droits sont anéantis. Lier le sort de l’action résolutoire à celui du privilège permet de réaliser, d’une certaine manière, la publicité de celle-ci et permet aux tiers de ne pas se faire surprendre lorsqu’ils pensent être prémunis contre toute atteinte potentielle à leurs droits. 243. Comme il a été dit plus haut, tant l’article 28 que l’article 36 de la loi hypothécaire traitent de l’extinction du privilège et de l’action résolutoire. Cependant, la manière dont ces articles sont rédigés, ainsi que les commentaires qui en sont faits par la doctrine, rendent incertaine la question du sort de la condition résolutoire lorsqu’elle est expresse et celle de la déchéance de l’action résolutoire entre les parties, tous droits des tiers saufs. L’article 28 énonce que : « L’action résolutoire de la vente établie par l’article 1654, et l’action en reprise de l’objet échangé, établie par l’article 1705 du Code civil, ne peuvent être exercées au préjudice ni du créancier inscrit, ni du sous-acquéreur, ni des tiers acquéreurs de droits réels, après l’extinction ou la déchéance du privilège établi par » (l’article 27). L’article 36 dispose quant à lui que « Le vendeur, les copermutants, le donateur, les cohéritiers ou copartageants pourront, par une clause formelle de l’acte, dispenser le conservateur de prendre l’inscription d’office. Dans ce cas, ils seront déchus du privilège et de l’action résolutoire ou en reprise ; mais ils pourront prendre, en vertu de leur titre, une inscription hypothécaire qui n’aura rang qu’à sa date ». 236 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, n° 397.

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Comme on le comprend, l’article 28 s’oppose au recours à l’action résolutoire dès lors que le privilège est éteint, de quelque manière que ce soit. L’article 36 vise précisément ce cas particulier d’extinction du privilège. Sur ce point, l’articulation entre les deux textes est parfaite et l’article 36 semble n’être qu’un cas d’application de l’article 28. Il ne serait donc pas nécessaire de préciser à l’article 36 que l’action résolutoire tombe avec le privilège. 244. Toutefois, l’article 28 ne concerne que l’action résolutoire de l’article 1654 du Code civil, laquelle n’est elle-même qu’une application de l’article 1184 du même code relatif à la condition résolutoire, toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques. Or, la résolution de l’article 1654 n’a pas lieu de plein droit et doit être prononcée par le juge, qui peut toujours accorder des délais pour l’exécution du contrat à la partie défaillante237. Dès lors, la jurisprudence décide que l’article 28 n’est pas applicable à la résolution de plein droit qui a lieu en vertu de l’article 1656. En conséquence, lorsque le vendeur a stipulé que la vente sera résolue de plein droit sur une simple sommation de payer faite au débiteur, il peut, bien qu’il soit déchu du privilège, provoquer la résolution de la vente au détriment des créanciers inscrits, du sous-acquéreur, ou d’un autre tiers disposant d’un droit réel ou réalisé sur l’immeuble238. Cela se comprend d’autant plus que le pacte commissoire exprès n’est qu’une condition résolutoire expresse qui, comme toute autre condition résolutoire stipulée dans un contrat transcrit, est rendue publique grâce à la transcription. Mais il faut, pour écarter l’application de l’article 28, que l’acte précise que la résolution se produira de plein droit239. 245. Qu’en est-il de la déchéance prévue par l’article 36 ? Celui-ci est rédigé en termes sensiblement différents puisqu’il se borne à énoncer que les créanciers concernés « seront déchus du privilège et de l’action résolutoire ou en reprise ». Faut-il considérer que le législateur a entendu déchoir le vendeur renonçant de toutes les formes d’actions en résolution ? Ou bien y a-t-il lieu de considérer que les actions mentionnées à l’article 36 sont les mêmes que celles de l’article 28 ? Cette dernière interprétation doit, selon nous, recevoir la préférence, car sa pertinence peut se déduire de ce que

237 R.P.D.B., V° Hypothèques et privilèges immobiliers, Compl. VII, n° 400. 238 R.P.D.B., V° Hypothèques et privilèges immobiliers, Compl. VII, n° 400. 239 R.P.D.B., V° Hypothèques et privilèges immobiliers, Compl. VII, n° 403.

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- l’énumération des actions visées se fait dans le même ordre dans les deux dispositions ;

- le commentaire de l’article 36 énonce que « dans ce cas, les personnes désignées sont

déchues du privilège et des actions mentionnées à l’article 28 »240 ; - un jugement du tribunal de première instance de Charleroi du 17 janvier 1997,

rappelle que « la résolution a été prononcée sur pied de l’article 1656 du Code civil et non de l’article 1654 ; (…) que seul ce dernier article est visé par l’article 28 de la loi hypothécaire, article dérogatoire au droit commun et qui doit, dès lors, être interprété restrictivement ; (…) que force est d’admettre que, nonobstant le fait que les vendeurs aient renoncé à leur privilège, la résolution est opposable (…) »241.

En outre, il n’existe aucune raison de restreindre le droit d’exercer l’action résolutoire vis-à-vis de l’acheteur. « Comme le vendeur, dans ses rapports avec l’acheteur, n’a nullement besoin d’invoquer un privilège, il ne pourrait être question entre eux de subordonner à l’existence du privilège le droit de résolution »242. SECTION 4. LE PRIVILÈGE DES ARCHITECTES, ENTREPRENEURS ET

OUVRIERS 246. Aux termes de l’article 27.5° de la loi hypothécaire, l’entrepreneur, l’architecte, les ouvriers engagés par le propriétaire de l’immeuble sont privilégiés pour ce qui leur est dû par le maître de l’ouvrage, sur la plus-value que les travaux qui leur ont été confiés ont apporté à l’immeuble. 247. Cette plus-value émerge de la comparaison entre deux procès-verbaux qui doivent être dressés avant et après les travaux par un expert nommé à la requête de l’un ou plusieurs titulaires du privilège par le président du tribunal de première instance du lieu de situation de l’immeuble. Sans ces procès-verbaux, le privilège n’existe pas243. CHAPITRE III – LE CREDIT HYPOTHECAIRE SECTION 1. GÉNÉRALITÉS

240 Pasin. 1851, 395, note 6. 241 Civ. Charleroi, 17 janvier 1997, Rec. gén. enr. not., 1998, p. 38. 242 MARTOU, Commentaire de la loi du 16 décembre 1851, p. 237. 243 Liège, 3 avril 1968, J.T., 1968, p. 366 ; Bruxelles, 4 juin 1984, J.T., 1984, p. 640.

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248. La loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire est entrée en vigueur pour l’essentiel le 1er janvier 1993244. Cette législation nouvelle a bouleversé, sans l’abroger néanmoins, l’ensemble de la matière jusque là régie par l’arrêté royal n° 225 du 7 janvier 1936. Deux facteurs principaux ont inspiré le législateur dans l’élaboration de la réforme : la nécessité de faire progresser l’harmonisation du droit belge et des droits des autres pays européens, d’une part, et la protection du consommateur, d’autre part. 249. Les innovations importantes touchent notamment à la variabilité des taux, les possibilités restreintes d’annexer un autre contrat au crédit hypothécaire en tant que tel, la titrisation des créances hypothécaires, le contrôle des entreprises hypothécaires et le régime des facilités de paiement245. SECTION 2. PORTÉE DE LA LOI DU 4 AOÛT 1992 RELATIVE AU CRÉDIT

HYPOTHÉCAIRE A. Champ d’application 250. Plusieurs critères doivent être réunis pour que s’applique la loi du 4 août 1992, considérée comme présentant un caractère impératif. En ce qui concerne les parties, l’emprunteur doit être une personne physique ayant sa résidence habituelle en Belgique lors de la conclusion du contrat ; le prêteur quant à lui, doit avoir son siège principal ou sa résidence principale en Belgique ; la loi s’applique encore si les pourparlers précontractuels entre parties ont pris place en Belgique. En ce qui concerne le but du crédit, celui-ci doit être principalement246 privé. Sont donc exclus les crédits accordés à des personnes morales, ou à des fins professionnelles ou mixtes247. 251. L’arrêté royal n° 225 du 7 janvier 1936 fait pour sa part, une distinction entre le crédit d’investissement et le crédit de circulation, à l’origine d’une controverse sur

244 M.B., 19 août 1992, pp. 18096 et ss. 245 Pour un exposé schématique mais complet de ces innovations : LEDOUX, « La réforme du crédit hypothécaire privé », Ann. Dr. Louvain, 1993, pp. 385 à 422 ; JAKHIAN, Le crédit hypothécaire, Larcier, 1994. 246 Voir article 83 de la loi du 24 mars 2003 modifiant la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation (M.B. 2 mai 2003) ; BIQUET-MATHEU, « Modification du champ d’application de la loi du 4 août 1992 sur le crédit hypothécaire », R.D.C.B., 2004, p. 365. 247 Gand, 25 janvier 1994, R.W., 1994-1995, p. 196 ; Civ. Bruxelles (saisies), 11 juillet 1996, J.T., 1997, p. 349.

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l’interprétation de ces notions. Ainsi, d’après un arrêt du 28 septembre 1987 de la Cour d’appel de Bruxelles, est exclu du champ d’application de l’arrêté royal en tant que crédit de circulation, le crédit avec garantie hypothécaire accordé à un commerçant en vue de l’acquisition du bâtiment dans lequel il exercera son activité commerciale et qu’il occupera à titre d’habitation248. Ce type de crédit relève dès lors du droit commun puisqu’il échappe à la fois à la loi du 4 août 1992 et à l’arrêté royal n° 225249. 252. Enfin, le crédit doit avoir pour objet le financement de l'acquisition ou la conservation de droits réels immobiliers, quels qu’ils soient (propriété, usufruit, superficie ou emphytéose). 253. Par ailleurs, l’application de la loi du 4 août 1992 est subordonnée à ce que la créance soit garantie par une hypothèque ou par un gage ayant pour assiette une créance hypothécaire ou privilégiée spéciale sur un immeuble. Il peut s’agir également d’une créance née de la subrogation dans les droits d’un créancier garanti de la manière précitée ; ou encore d’un crédit garanti par un mandat ou une promesse d’hypothéquer. En revanche, échappent à l’emprise de la loi, les ventes d’immeubles avec paiement différé de tout ou partie du prix, bien qu’elles donnent naissance à un privilège immobilier spécial250. B. L’information et la protection du consommateur 254. Le prêteur est contraint de communiquer au candidat emprunteur une offre préalable de contrat, de rendre publiques les conditions du crédit par la voie de prospectus indiquant précisément les taux proposés avec d’éventuelles réductions, ainsi que les frais pouvant être mis à charge de l’emprunteur251. Dans une espèce où plusieurs établissements de crédit avaient accordé des ristournes hors tarif et où l’Office de Contrôle des Assurances, compétente à l’époque pour assurer la contrôle des entreprises hypothécaires, aujourd’hui transféré à la Commission

248 Bruxelles, 28 septembre 1997, R.D.C.B., 1989, p. 783. 249 Voir sur l’articulation des réglementations en matière de crédit hypothécaire : BIQUET-MATHIEU « L’articulation des réglementations en matière de crédit hypothécaire », R.D.C.B. Dossier n° 2, 1995, pp. 54 et ss. 250 JOISTEN, « Les ventes d’immeubles à crédit et la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire », J.T., 1994, pp. 161 et ss. 251 MEULEMANS et LENS, « De nieuwe wet op het hypothecaire krediet », Droit de la consommation, 1993-1994, pp. 582 à 607 ; VAN INGELGHEM, « Hypothecair krediet », O.H.R.F., V, art. 47, pp. 1-14.

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Bancaire, Financière et des Assurances, avait condamné cette pratique par la voie d’une circulaire interprétant littéralement les termes de l’article 12 d’un arrêté royal de 1993 pris en exécution de la loi du 4 août 1992 selon lesquels le prospectus émis par le prêteur doit contenir « le tarif des taux d’intérêt pour les différents types de crédit y compris les réductions ou majorations éventuelles », ainsi que les modes de calcul et les conditions d’octroi des ristournes d’intérêt et éventuellement accordées, le Conseil d’Etat, par son arrêt du 3 juin 1993, avait écarté la thèse de l’autorité de contrôle au motif que la loi sur le crédit hypothécaire n’interdit pas à une entreprise hypothécaire, dont le prospectus prévoit des majorations ou réductions éventuelles et des modifications des conditions d’octroi du crédit de consentir au demandeur de crédit, à titre individuel et en raison de circonstances qui lui sont spécifiques, des conditions plus avantageuses pour celui-ci que celles qui sont portées à la connaissance du public et de l’Office de Contrôle des Assurances et accorder des ristournes hors tarif252. Sur la question des réductions et ristournes pouvant être accordées à un emprunteur, et de la publicité à y réserver, le législateur est intervenu, par la suite, à différentes reprises, imposant aux prêteurs diverses obligations techniques253. 255. La loi du 4 août 1992 limite la possibilité pour le prêteur d’exiger de l’emprunteur la souscription ou le maintien en vigueur d’un « contrat annexe », défini comme « un contrat d’assurance (…) dont le non respect pourrait entraîner l’exigibilité de la créance », aux cas suivants : l’assurance du solde restant dû, l’assurance couvrant le risque de dégradation de l’immeuble offert en garantie et l’assurance caution254. En outre, l’assureur ne saurait être désigné en vertu d’une obligation directe ou indirecte, faite à l’emprunteur par le prêteur (voir article 6 de la loi du 4 août 1992). Il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement si les conditions imposées sont de nature à obliger directement ou indirectement l’emprunteur à souscrire le contrat annexé auprès de l’assureur désigné par le prêteur pour autant qu’il ne méconnaisse pas la notion d’« obligation indirecte »255. Toutefois, peut être sanctionnée comme offre conjointe, la liaison d’un service à tarif réduit, notamment un crédit hypothécaire au taux d’intérêt avantageux, à l’acquisition d’autres services tels qu’une assurance solde restant dû et une assurance incendie256, 252 CE, 3 juin 1996, R.D.C.B., 1998, p. 231, note JAKHIAN. 253 LEDOUX, « Loi du 13 mars 1998 modifiant la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire et modifiant la loi du 13 avril 1995 modifiant la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire », R.N.B., 1998, p. 553. 254 Sur le caractère libératoire du paiement effectué par un tiers, notamment un assureur : Cass., 17 mars 1995, R.R.D., 1996, p. 432, note BOSLY, J.T., 1996, p. 169. 255 Cass., 30 mars 2001, Pas., 2001, I, 554. 256 Bruxelles, 20 octobre 1993, R.D.C.B., 1994, p. 628, note STRAETMANS ; les avantages négociés au cas par cas sont au demeurant autorisés expressément par l’article 47 § 2 alinéa 2 de la loi du 4 août 1992.

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pour autant qu’il s’agisse d’une offre connue des consommateurs en tant que groupe-cible de celle-ci et non d’un accord variable suivant les situations personnelles ayant fait l’objet de négociations entre les parties257. C. L’admission de la variabilité des taux d’intérêts 256. Antérieurement à la réforme de 1992, la Belgique était le seul pays en Europe à ne pas autoriser les crédits hypothécaires à taux d’intérêt variables. La loi du 4 août 1992 a fait disparaître cet anachronisme. La Cour de cassation avait au demeurant apaisé quelque peu la profonde agitation de la doctrine et de la jurisprudence sur ce thème258, en admettant la validité de la clause prévoyant, non pas l’adaptation du taux, mais la possibilité pour le prêteur de réclamer le remboursement anticipé du prêt après une période déterminée et stipulant que, si l’emprunteur demande la continuation du prêt, le taux d’intérêt sera adapté au taux généralement pratiqué à ce moment pour semblables prêts259. 257. Aujourd’hui, si l’emprunteur choisit le taux variable, la loi prévoit à son profit plusieurs garanties :

- le taux ne pourra varier qu’en fonction d’un indice de référence représentatif de

l’évolution du marché et déterminé par le Roi, à l’exclusion de toute autre référence ;

- le contrat devra prévoir que la variabilité doit jouer dans les deux sens, à la baisse

comme à la hausse, et qu’elle pourra éventuellement être plus importante à la baisse qu’à la hausse ;

- le contrat devra prévoir un plancher et un plafond que le taux d’intérêt ne pourra

pas dépasser ;

257 Cass., 30 mars 2001, Pas., 2001, I, 554. 258 Voir notamment : Trib. Huy, 28 novembre 1983, R.D.C.B., 1984, p. 704 ; Liège, 11 juin 1986, Rev. Banque, 1986, p. 87 ; Cattaruzza, « Validité des clauses prévoyant l’adaptation du taux d’intérêt d’un prêt hypothécaire », Ann. Dr. Liège 1987, pp. 375 et ss. ; MOERMAN, « Interestvastheid en hypothecaire leningen », R.D.C.B ., 1987, pp. 84-100; Anvers, 4 octobre 1989, Pas., 1990, II, p. 69 ; COTTIN, « La clause de révision quinquennale dans les prêts hypothécaires », R.N.B., 1987, pp. 386 et ss. ; TYTECA, « Variabilité des taux d’intérêts hypothécaire », Rev. Banque, 1976, pp. 348 et ss. ; DANCKAERT et CONSORTS, « Le crédit hypothécaire dans la tourmente », Rev. Banque, 1982, cahier n° 20 ; Trib. Huy, 28 novembre 1983, R.D.C.B., 1984, pp. 704, ; Trib. Anvers, 3 octobre 1989, Rev. Banque , 1990, p. 117 ; Huguet, « Le crédit hypothécaire en Belgique durant la dernière décennie », Rev. Banque, 1987, pp. 83 et ss.. 259 Cass., 15 février 1991, Rev. Banque, 1991, p. 253 ; R.D.C.B., 1991, p. 446 ; J.T., 1992, p. 311.

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- le taux d’intérêt ne pourra être adapté qu’une fois par an au maximum.

D. Les facilités de paiement et l’exigence de la conciliation préalable 258. Il n’est pas inutile de rappeler le libellé des quatre aliénas de l’article 59 de la loi du 4 août 1992 qui ont suscité, comme le montre la jurisprudence, tellement de difficultés d’interprétation : « Toute exécution ou saisie à laquelle il est procédé en vertu d’un jugement ou d’un autre acte authentique doit, dans le cadre de la présente loi, être précédée, à peine de nullité, d’une tentative de conciliation devant le juge des saisies, qui doit être actée à la feuille d’audience.

Toute demande de facilités de paiement par l’emprunteur, la caution et, le cas échéant, la personne qui constitue une sûreté personnelle est adressée au juge des saisies. Les articles 732 et 733 du Code judiciaire sont d’application. Par dérogation aux articles 2034, 4° et 2039 du Code civil, la caution et, le cas échéant, toute personne qui constitue une sûreté personnelle doivent respecter le plan de facilités de paiement octroyé par le juge des saisies à l’emprunteur ». Ce texte laisse incertaine la portée de plusieurs concepts fondamentaux pour sa bonne compréhension : qu’est-ce qu’une « exécution » au sens de l’alinéa 1er ? En quoi se distingue-t-elle de la « saisie » ? En quoi consiste la sanction de la « nullité » prévue ? Qu’est-ce qu’une demande de « facilités de paiement » ? Comment insérer ce nouveau fondement de demande de réorganisation d’endettement au sein des règles préexistantes tendant au même objectif ? L’ensemble de ces questions a été exploré soigneusement par la jurisprudence et la doctrine, déplorant, sur tous ces points, le mutisme des travaux préparatoires260. 259. En outre, l’on sait que d’autres dispositions tentent de répondre aux mêmes préoccupations. Ainsi, l’article 38 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation autorise l’emprunteur à solliciter du créancier des facilités de paiement, cette demande, d’abord

260 MOREAU-MARGRÈVE, « L’article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, un texte abscons », R.N.B., 1993, pp. 114-133.

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amiable, pouvant trouver une prolongation judiciaire conformément aux termes des articles 1337 bis et suivants du Code judiciaire. D’une manière plus générale, l’article 1244 du Code civil confère au juge le pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur, même si la dette est constatée par un acte authentique autre qu’un jugement. L’octroi de tels délais de grâce postérieurement à l’introduction de poursuites (c’est-à-dire après la saisie ou le commandement) est soumis aux articles 1334 et suivants du Code judiciaire. L’articulation de ces diverses dispositions n’a pas toujours été aisée, d’autant que les juges compétents pour connaître de ces demandes ne sont pas identiques, et que les moments assignés par la loi pour leur introduction divergent également. 260. Le préliminaire de la conciliation est imposé au créancier par l’article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire. C’est à ce type de contrainte légale que fait allusion l’article 731 alinéa 2 du Code judiciaire, lorsqu’il dispose, après l’énoncé à l’alinéa 1° de la possibilité de soumettre tout litige à une conciliation préalable, que « sauf dans les cas prévus par la loi, le préliminaire de conciliation ne peut être imposé ». L’article 59 de la loi relative au crédit hypothécaire rend donc expressément impossible sans conciliation préalable l’exécution ou la saisie à poursuivre sur le fondement de cette loi. Une controverse a vu le jour sur la question de savoir si le commandement signifié par le créancier désireux de poursuivre l’exécution forcée de sa créance constitue ou non un acte d’exécution. S’il l’est, la tentative de conciliation doit nécessairement précéder la signification du commandement. Dans le cas contraire, il suffit qu’il précède sa transcription. Dans l’état actuel des choses, la doctrine la plus autorisée penche pour l’intégration du commandement dès sa signification dans la notion d’acte d’exécution. Sa description et ses effets sont, en effet, placés dans le titre II intitulé « Des exécutions forcées » de la cinquième partie du Code judiciaire consacré aux « Saisies conservatoires et voies d’exécution »261. 261. L’article 59 prescrit la tentative de conciliation avant toute exécution, « à peine de nullité », sans autre précision.

261 MOREAU-MARGRÈVE, « L’article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, un texte abscons », p. 119 ; dans le même sens : DE LEVAL, Traité des saisies, p. 600, n° 283 ; DIRIX, « Wijzingingen aan het opslagrecht », R.W., 1992-1993, p. 899 ; Comp. WERDEFROY, « La loi du 4 août 1992 sur le crédit hypothécaire et les conservations des hypothèques », R.G.E.N., 1993, p. 71, n° 15 ; ENGELS, Het uitvoerend onroerend beslag, n° 180.

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Il est revenu aux cours et tribunaux de clarifier cette approximation. Il est constant à présent que la nullité n’est que relative. Seul le débiteur privé de la possibilité de convenir d’un arrangement dispose dès lors du pouvoir d’invoquer la nullité des actes accomplis au mépris de cette obligation. Il convient en outre que le débiteur démontre le préjudice que l’omission lui a causé262. 262. Encore faut-il, pour produire un effet utile, que la demande en nullité soit formée par le débiteur dans le délai prévu à l’article 1622 alinéa 2 du Code judiciaire, selon lequel « la nullité des actes accomplis avant l’adjudication doit être proposée, à peine de déchéance, au plus tard dans les huit jours de la sommation prévue à l’alinéa 3 de l’article 1582 du Code judiciaire » (à savoir la sommation faite aux parties intéressées par le notaire désigné par le juge des saisies pour présider à la procédure d’adjudication sur saisie-exécution immobilière, de prendre connaissance du cahier des charges). Le juge statue toutes affaires cessantes. Le cas échéant, il fixe une nouvelle date pour la vente. Le comportement du débiteur a pu, dans certaines circonstances, être analysé comme valant, en quelque sorte, confirmation de la nullité prévue à l’article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire. Ainsi, il a été jugé que lorsqu’il apparaît que le créancier a tenté de nombreux efforts pour aboutir à une conciliation et que les débiteurs se sont vu offrir plusieurs fois la possibilité de s’acquitter de leurs obligations, il n’y a plus d’utilité à procéder à une tentative de concertation devant le juge des saisies. Cela ne signifie pas qu’en principe, la nullité ne pourrait être prononcée chaque fois qu’à tout le moins, le créancier aurait tenté la conciliation amiable, mais cette solution est justifiée dans les cas où les débiteurs ont bénéficié d’une année et demie de délais de paiement en ne répondant pas à toutes les invitations adressées par les créanciers et que c’est au dernier moment (c’est-à-dire le dernier jour du délai suivant la sommation de prendre communication du cahier des charges) qu’ils sollicitent l’annulation de la procédure de saisie-exécution pour défaut de tentative de conciliation. Le juge conclut que, dans ces conditions, la demande de nullité revêt un caractère dilatoire, d’autant qu’après l’introduction de la demande d’annulation, les parties ont à la demande du juge tenté entre elles un règlement amiable, sans succès malheureusement, car là où les créanciers souhaitent recevoir un acompte, les débiteurs n’ont pas versé celui-ci au moment promis263.

262 Civ. Furnes (saisies), 28 juin 1995, Act. Dr., 1996, p. 398 ; Civ. Bruxelles (saisies) 1er février 1994, cité par DE LEVAL, obs. J.L.M.B., 1994, p. 701 ; Liège, 15 décembre 1994, Act. Dr., 1996, p. 340. 263 Civ. Bruxelles (saisies), 1er février 1994, cité par de Leval, obs. J.L.M.B., 1994, p. 701.

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263. Bien que relative, la nullité engendrée par le défaut de conciliation peut être soulevée d’office par le juge des saisies appelé à statuer sur la requête unilatérale déposée devant lui par le créancier en vue de l’obtention de la désignation d’un notaire. Il appartient dans ce cas au juge des saisies de vérifier motu proprio si l’omission constatée est susceptible de causer un préjudice à la partie protégée264. 264. De manière constante, la jurisprudence estime que le créancier hypothécaire ne peut prétendre avoir satisfait à l’obligation prévue par l’article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire en se bornant à comparaître à la première audience de conciliation sans se présenter à l’audience ultérieure à laquelle le juge des saisies, dans le cadre de sa mission de médiation, a remis la cause en continuation. Une telle attitude de la part du créancier est assimilée à une absence de tentative de conciliation265. Le créancier ne peut donc participer de manière purement formelle à la tentative ; il convient qu’il recherche véritablement une solution en respectant les rendez-vous judiciaires fixés par le juge des saisies. Bien entendu, le consentement du créancier reste libre et le juge ne saurait le contraindre à accepter des délais de paiement en faveur du débiteur. 265. Il a été admis par la Cour d’appel de Bruxelles que l’article 59 de la loi du 4 août 1992 est applicable, non seulement au profit de l’emprunteur, mais également, le cas échéant, du tiers détenteur qui a affecté son immeuble à la garantie d’un crédit hypothécaire privé. Selon cette jurisprudence, il est donc requis du créancier, non seulement qu’il informe les tiers affectants du résultat de la tentative de conciliation menée auprès des emprunteurs, mais qu’il les convoque afin de leur permettre de faire valoir les droits que leur confère l’article 59266. Dans le même ordre d’idées, signalons que la conciliation est requise également lorsque l’immeuble saisi appartient au débiteur, mais n’est pas celui qui a été grevé d’hypothèque267. 266. Comme on l’a vu, plusieurs textes légaux aménagent la possibilité pour un débiteur de rechercher, avec son créancier, lorsque l’exécution volontaire semble irréalisable, les termes d’un plan d’apurement adouci permettant d’éviter la vente de ses biens par saisie.

264 Liège, 15 décembre 1994, Act. Dr., 1996, pp. 340-341 ; Civ. Liège (saisies), 31 août 1993., J.LM.B., 1993, p 1205. 265 Civ. Furnes (saisies), 19 avril 1995, Act. Dr., 1996, p. 398 et 16 novembre 1993, Proces en bewijs, 1994, p. 47. 266 Bruxelles, 15 janvier 1999, J.T., 1999, p. 330. 267 Civ. Liège (saisies), 6 mars 1995, Act. Dr., 1996, p. 370.

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L’énumération de ces dispositions est bien connue ; répondent à l’objectif rappelé ci-dessus : l’article 1244 du Code civil, les articles 1334 et suivants du Code judiciaire et l’article 38 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation. Les auteurs ont dénoncé l’incohérence de ces textes épars et leur impuissance à percer le cœur du problème de société engendré par le phénomène du surendettement268. La jurisprudence, quant à elle, a tenté d’éclaircir les questions liées à la coexistence de ces diverses procédures. L’article 59 de la loi du 4 août 1992 impose le préalable de conciliation devant le juge des saisies avant toute exécution ou saisie en vertu d’un jugement ou d’un acte authentique et rend ce même magistrat compétent pour connaître des demandes de facilités de paiement, alors que l’article 38 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, prolongé par les articles 1337 bis et suivants du Code judiciaire, désignent la compétence du juge de paix. L’article 1334 du Code judiciaire, quant à lui, loin de placer la tentative d’arrangement dès avant tout acte d’exécution, autorise la formulation d’une demande de facilités de paiement jusqu’à l’expiration du délai de quinze jours à dater du commandement ou de la signification du premier acte de saisie. Placés en face de cette diversité, les tribunaux décident que « chaque demande doit être appréciée tant à l’égard de sa recevabilité que de son fondement par la juridiction compétente »269. 267. A la lecture de toutes les difficultés liées à la recherche judiciaire de la meilleure résorption possible d’une situation de surendettement, l’on comprend pourquoi, dans l’intérêt – semble-t-il – des consommateurs comme de leurs prêteurs, des voix se sont élevées, réclamant l’instauration d’un système plus global et cohérent. La loi du 5 juillet 1998 instaurant la procédure de règlement collectif de dettes répond à leurs vœux. En premier lieu, cette loi, comme chacun sait, crée une situation de concours amenant au règlement collectif de tout le passif d’une personne non commerçante. Pour atteindre la cohérence tant recherchée auparavant, la décision d’admissibilité d’une demande en règlement collectif entraîne la radiation des autres procédures de délais (article 1675/5 du Code judiciaire). En second lieu, le résultat économique des ventes sur saisies immobilières devrait être rendu plus favorable par l’instauration de la possibilité de vendre de gré à gré, dans certaines conditions, les immeubles saisis.

268 MOREAU-MARGRÈVE, « L’article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, un texte abscons », R.N.B., 1993, pp. 114 à 133. 269 Trib. Arr. Huy, 6 février 1995, Act. Dr., 1996, p. 365 ; Anvers, 8 janvier 1996, R.W., 1995-1996, p. 1216, note DELESIE.

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CHAPITRE IV – CONCOURS ENTRE HYPOTHEQUES ET PRIVILEGES SECTION 1. CONCOURS ENTRE HYPOTHÈQUE ET L’UN DES PRIVILÈGES DE

L’ARTICLE 27-1° À 4° DE LA LOI HYPOTHÉCAIRE 268. Pour l’ensemble des privilèges visés à l’article 27-1° à 4° de la loi hypothécaire, l’opposabilité aux tiers est acquise dès la transcription de l’acte authentique constatant le transfert de la propriété de l’immeuble, ainsi que l’existence de la créance privilégiée. L’inscription d’office effectuée ultérieurement sous la responsabilité du conservateur ne vient que conforter le privilège et son opposabilité, trouvant son rang à la date de la transcription. 269. Les hypothèques consenties par le nouveau propriétaire, nécessairement inscrites postérieurement à son acquisition, sont primées par les privilèges fixés à la transcription de cette acquisition. Dans cette mesure, la règle contenue à l’article 12 in fine de la loi hypothécaire, selon laquelle le privilège permet d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires, rejoint tout simplement le principe classique de l’antériorité. 270. En revanche, les hypothèques inscrites, le cas échéant, antérieurement au transfert de la propriété de l’immeuble demeurent, en vertu du droit de suite, opposables aux titulaires de la créance privilégiée née en contrepartie de ce transfert270. SECTION 2. CONCOURS IMPLIQUANT LE PRIVILÈGE PRÉVU À L’ARTICLE

27-5° DE LA LOI HYPOTHÉCAIRE 271. Le rang du privilège de l’architecte, entrepreneur et ouvrier est soumis à l’inscription en vertu de l’article 38 de la loi hypothécaire. Selon les principes généraux, ce serait la date de l’accomplissement de cette formalité qui en conserverait le rang. La rigueur de la règle de l’antériorité devrait ainsi s’imposer. 272. Toutefois, il est parfois suggéré que, par dérogation à cette règle en s’attachant davantage à une analyse économique des charges diverses pouvant grever un immeuble, ce soit le critère de l’enrichissement du patrimoine du débiteur qui serve à faire triompher ce privilège. 270 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 342, n° 698.

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Ainsi, il peut être soutenu que le créancier hypothécaire déjà inscrit sur l’immeuble avant la réalisation des travaux soit primé au motif qu’il ne pouvait compter sur la plus-value lors de la constitution de sa sûreté, de sorte qu’il serait normal qu’il supporte la charge du privilège correspondant à cette plus-value271. 273. Cette thèse ne convainc pas entièrement. D’une part, la règle de l’antériorité constitue l’un des fondements essentiels de la sécurité juridique, reliée à des principes essentiels du droit telle que la prévisibilité des effets erga omnes d’un droit réel ou réalisé, en fonction de la publicité qui lui est donnée. Le législateur – et le législateur seul – peut y déroger en l’indiquant clairement et expressément par une loi spéciale dérogatoire. Ce n’est pas le cas ici. D’autre part, l’argument économique n’est pas absolument fiable. En effet, le créancier hypothécaire dispose d’une sûreté qui est destinée à s’étendre aux améliorations et aux accessoires, en vertu de l’article 45 de la loi hypothécaire. C’est en considération de l’éventualité de ces plus-values futures qu’il peut consentir un crédit garanti par l’hypothèque. Souvent, ce crédit est d’ailleurs à l’origine du financement des travaux à réaliser par l’architecte, l’entrepreneur et les ouvriers. Leur accorder une priorité conduirait à trahir la confiance dans sa sûreté que pouvait pourtant avoir légitiment le créancier hypothécaire. SECTION 3. CONCOURS ENTRE HYPOTHÈQUES ET AUTRES PRIVILÈGES 274. Le privilège pour frais de justice, prévu à l’article 17 et 19-1° de la loi hypothécaire, peut grever un meuble ou un immeuble selon le cas. Dans cette seconde hypothèse, le créancier ayant supporté de tels frais peut se trouver en concours avec un créancier hypothécaire ou privilégié immobilier. La règle spéciale selon laquelle le privilège pour frais de justice prime les créanciers qui ont concrètement bénéficié de ceux-ci sera d’application272. 275. Le privilège de l’assureur, pour le recouvrement des primes d’assurances, prime également les créanciers hypothécaires ou privilégiés immobiliers en vertu de l’article 60 de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres.

271 T’KINT, Sûretés et privilèges généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 344, n° 700. 272 Mons, 27 novembre 1991, R.D.C.B., 1992, p. 325.

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276. Lorsque le créancier qui a consenti des frais de conservation a déposé sa facture pour assurer la présentation de son privilège en dépit de l’immobilisation des biens d’équipement professionnel consommés grâce à son intervention, le créancier hypothécaire ou privilégié immobilier peuvent se prévaloir de leur droit de préférence sur une assiette s’étendant à ces biens. Dans ce cas, une règle spéciale trouve encore à s’appliquer : l’article 22 de la loi hypothécaire apporte la clé en imposant que le conservateur prime les créanciers dont la créance est née antérieurement à la sienne. 277. En revanche, une règle spéciale de cette sorte, n’existant pas pour régler le conflit entre le vendeur d’équipement professionnel et le créancier hypothécaire ou privilégié immobilier, c’est la règle générale de la primauté de la sûreté rendue opposable aux tiers avant le concours qui, selon nous, doit prévaloir. La position de la jurisprudence va cependant dans le sens de la priorité reconnue au vendeur273. 278. C’est la règle de l’antériorité strictement appliquée qui gouverne le conflit noué entre créanciers hypothécaires ou privilégiés immobiliers, d’une part, et prêteur agricole ou gagiste sur fonds de commerce, d’autre part. La solution ressort clairement, dans le premier cas, de l’article 12 alinéa 3 de la loi du 15 avril 1884 et, dans le second, de l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 26 mai 1972274.

273 Mons, 14 septembre 1983, R.R.D., 1984, p. 59 ; Liège, 4 octobre 1984, J.L., 1985, p. 1. 274 Pas., 1972, I, 889.