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TOUS LES SECRETS DE PARIS PAR RENÉ GAST ET GUILLAUME RATEAU RENNES ÉDITIONS OUEST-FRANCE RUE DU BREIL, 13 2019

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T O U S L E S S E C R E T SD E

PARISPAR RENÉ GAST

ET GUILLAUME RATEAU

R E N N E SÉDITIONS OUEST-FRANCE

RUE DU BREIL, 13

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A L B U M S E C R E T D E P A R I S

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ne pas s’étonner qu’il y a seulement quelques générations nos aïeux se livraient sans arrière-pen-sées à des réjouissances dont l’extravagance et l’obscénité feraient aujourd’hui scandale, que les plus convenables de nos grands-pères s’étranglaient de rire aux exploits fl atulents d’un pétomane, que les naïves horreurs du Grand-Guignol faisaient s’évanouir des salles entièresb? Comment ne pas rester stupéfait devant l’effarante cruauté d’une justice qui, encore au siècle des Lumières, mettait en spectacle la torture et la mort, pour la plus grande joie des foules qui se rendaient en famille aux exécutions publiques comme on va à la fêteb? Comment enfi n concevoir, alors que la moindre atteinte à la sécurité est vécue aujourd’hui comme insupportable, que le Paris d’hier était un coupe-gorge hanté par les détrousseurs et les truands, et que dans ces zones de non-droit absolu qu’étaient les cours des miracles s’entassaient par dizaines de milliers des hommes, des femmes et des enfants n’obéissant qu’à leurs propres chefs et à leurs propres loisb?

I N T R O D U C T I O N G É N É R A L E

LES SECRETSD’UN PARIS OUBLIÉ

Il y a le Paris que nous connaissons, si majestueux, si ouvert par les larges perspectives de son fl euve, de ses avenues et de ses places, si lumineux, même sous les ciels d’hiver, qu’il semble

ne plus recéler aucun mystère. Mais pour qui sait en lire la géographie intime se dévoile peu à peu sa mémoire secrète, héritière d’un passé millénaire, ombre portée de la Ville lumière…

Parce que les grands travaux d’Haussmann en remodelèrent de fond en comble la phy-sionomie, parce que les crimes urbanistiques des années soixante et soixante-dix –bvoies sur berges, Front de Seine ou Forum des Hallesb– défi gurèrent quelques-uns de ses sites les plus admi-rables, ne subsistent, hormis ses grands monuments, que peu de traces visibles de la ville qu’était Paris voici seulement cent cinquante ans. Mais les souvenirs in- vi-sibles sont partout. Emprunter la rue Mouffetard, traverser le square des Innocents ou déambuler place de la Bastille, c’est fouler une ancienne voie romaine, un cimetière aban-donné, une forteresse démantelée, les ruines enfouies d’une cour des miracles… C’est aussi mettre ses pas dans ceux de millions de disparus, ces Parisiens d’autre-fois dont les mœurs nous paraissent parfois aussi bizarres que celles d’une peuplade exotique. Comment

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Certes, il reste dans la capitale des lieux dont l’étrangeté donne des ailes à l’imagination, des souterrains mal connus, des stations fantômes du métro, des cimetières où se perpétuent des rites nocturnes qui ne vont pas sans rappeler, en moins excessif et moins sanglant, ceux des convulsionnaires de Saint-Médard, preuve que la frontière entre religion et magie reste parfois très fl oue… Enfermés dans un carcan de lois morales, religieuses et pénales bien plus étroit que le nôtre, nos ancêtres surent paradoxalement s’ouvrir des espaces de liberté inattendus. Quels détenus pourraient, comme ceux de la prison de Clichy, tenir aujourd’hui table ouverte dans leurs cellules, et quel génial risque-tout oserait sans être menotté dans l’heure lancer une machine volante au-dessus des Champs-Élyséesb? Plus encore que dans la mémoire des pierres, c’est dans les souvenirs d’une société disparue que résident les vrais mystères de Paris. Un Paris proche de nous dans le temps, mais si éloigné de celui dans lequel nous vivons qu’il nous paraît souvent appartenir à une autre civilisation…

Légende. Légende.

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PARIS CANAILLE

C H A P I T R E P R E M I E R

Quand les Parisiens se lâchaient… – Maisons closes – Les Halles –Le Grand-Guignol – Le Pétomane – Une forteresse en pièces détachées…

Quand les Parisiens se lâchaient • Courtille • Notre-Dame

Maisons closes • One Two Two et Chabanais • Sphinx

Les Halles • Halles de Paris

Le Grand-Guignol • Théâtre du Grand-Guignol

Le Pétomane • Moulin Rouge

Une forteresse en pièces détachées • Bastille

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Le temps n’est pas si lointain où,en réaction à un conservatisme qui sanctionnait

tout manquement à l’ordre moral ou social,les Parisiens se livraient, parfois jusqu’à l’excès,

à des réjouissances d’une liberté inconcevable de nos jours…

Les faubourgs ouvriers aux beaux quartiers, les Parisiens se sont toujours rebellés contre des carcans que la société leur imposait, s’en libérant épisodiquement dans

des fêtes débridées ou des manifestations artistiques hautement licencieuses. Ces pra-tiques de transgression de la morale établie sont si présentes à travers les siècles qu’il est encore aujourd’hui possible d’en retracer la pittoresque et savoureuse géographie.

Un langage universel… qui fi t grand bruit !Légende

Le Paris canaille, c’est d’abord une ville de spectacles effarants de grossièreté potache ou d’horreur naïve, comme ceux donnés par le cultissime Pétomane du Moulin Rouge ou la troupe sanguinolente du Grand-Guignol, qui fi rent au tournant du xixebsiècle le bonheur des humbles tout autant que des mondains. Une ville de fêtes ensuite, qui voyait se rassembler des centaines de milliers de Parisiens à l’occasion du Carnaval, de la Descente de la Courtille, ou, jusqu’au xviebsiècle, de la Fête des Fous, quand les ministres du culte se vautraient en public dans le stupre et l’ivrognerie. Une ville de plaisirs encore, lorsque du petit peuple jusqu’au sommet de l’État, on venait jouir sans remords dans les innombrables maisons closes que comptait alors la capitale…

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QUANDLES PARISIENS

SE LÂCHAIENT…Drôles de processions, processions de drôles

Qu’elles paraissent sages nos Gay Pride, Techno Parade, Nuit Blanche et autres Fête de la musique…

Bien convenues même, en comparaison des réjouissances auxquellesse livrèrent durant des siècles, et parfois avec une outrance à peine croyable,

populace, bourgeois et ministres du culte.

chrétienne était durement sanctionné, chaque année à l’occasion de grandes célébrations religieuses –bNoël, Pâques…b– cathédrales, collégiales ou monas-tères étaient le théâtre de débauches stupéfi antes.

Légende

Si la Fête des Fous –bappelée aussi Fête de l’Âne ou des Diacres-Saoulsb– était largement répandue en France, c’est à Paris qu’elle fut portée à son paroxysme.Les protagonistes de ces manifestations orgiaques, la plupart issus du clergé mineur, prenaient très offi ciellement part à un rituel –b il n’était en effet pas rare que le roi y assisteb– s’ouvrant par une parade qui voyait, pour le plus grand bonheur des passants hilares,

La procession de Sa Sainteté le « pape des fous ».

L’une des plus anciennes et subversives baccha-nales parisiennes serait aujourd’hui à n’en pas douter tout simplement interdite… À une époque où pourtant le moindre manquement à la morale

des repentants, certains dans le plus simple appa-reil, s’infl iger toutes sortes de sévices corporels tout en proférant jurons et blasphèmes. Dans Notre-Dame ensuite, dont les encensoirs garnis d’excréments exhalaient pour la circonstance des effl uves méphitiques, un jeune clerc était solennellement élu «bpape des fousb». Une fois intronisée, Sa Sainteté, vêtue d’un costume gro-tesque, bénissait l’assistance en termes obscènes tandis que des ouailles se bâfraient de tripailles

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À cette tradition, interdite au xviebsiècle, en succéda une autre, moins excessive et moralement plus acceptable… La fête du Bœuf Gras, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, allait au fi l des siècles devenir l’un des temps forts du Carnaval de Paris, son essence même, si l’on se réfère à l’éty-mologie «bcarneb», viande, «blevareb», ôter (sous-en-tendu l’interdiction). Pour célébrer la fi n des «bjours grasb», les garçons bouchers de la capitale exhibaient trois jours durant, dans un joyeux tinta-marre et de quartier en quartier, un bœuf aux pro-portions spectaculaires qu’accompagnait un cor-tège bon enfant composé de chars et de cavaliers.

et s’enivraient. Venait alors le moment du recueil-lement… Une messe, accompagnée de cantiques orduriers et de chorégraphies libertines, était dite par des prêtres travestis en femmes. Pour clore les cérémonies, la pieuse compagnie, jurant, se jetant des immondices et se bagarrant, défi lait dans les rues en prenant soin de ne pas déroger aux sacro-saintes règles, entre autres se saouler et solliciter les services de «bprofessionnellesb».Au terme de ces licencieuses journées, qu’on imagine sévèrement expiées le reste de l’année, l’institution reprenait le cours immuable de ses chastes occupations.

Légende

Immaculée «bMissb»À la fi n du xixebsiècle, on recense près de 100b000blavandières exerçant sur les bateaux-lavoirs parisiens. Jusqu’aux années trente, leur défi lé fut l’un des moments phares du Carnaval… Après son élection, la Reine des Blanchisseuses était reçue à la Préfecture de Paris, à l’Hôtel de Ville et même à l’Élysée.

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Affublé d’étoffes colorées et escorté par une foule déguiséeb – l’édition de 1897 réunit quelque 600b000bparticipants –, l’animal était conduit de ministères en ambassades, où il était reçu en grande pompe par des personnalités qui lui rendaient les honneurs, la coutume voulant qu’après le sacrifice de la bête un mor-ceau de choix soit remis au chef de l’État. Par dérision, les Montmartrois organisèrent à la fin du xixebsiècle une contre-fête du Bœuf Gras, en instituant à deux reprises une Promenade de la vache enragée…Bien des années auparavant, le rendez-vous d’une autre espèce d’enragés eut la préfé-rence du Tout-Paris… C’est sur les hauteurs de Belleville, à la Courtille, un lieu-dit à cheval sur l’ancienne barrière d’octroi où l’on venait de loin le dimanche pour s’encanailler à bon compte, que la plus phénoménale des fêtes parisiennes vit le jour un matin de ribote. Le carnaval, qui à cette époque réunissait encore des centaines de milliers de personnes, allait donc voir, deb1822 àb1860, de quelles extravagantes saturnales le petit faubourg à guinguettes était capable.

Descente de la Courtille : le plus excentrique des cortèges parisiens.

Comme un seul homme…Son succès, la Descente de la Courtille le doit au plus fantasque de ceux qui en fi rent le prestige… Adulé pour ses frasques, admiré pour ses réparties cinglantes, jalousé aussi pour le luxe qu’il déployait, Charles de La Battut, alias Milord l’Arsouille, richissime rentier à l’imagination fertile, entraîna à sa suite, de 1832 à 1835, tous les viveurs de Belleville et les noceurs d’un jour «bmontésb» pour l’occasion. Après une nuit passée en goguette à noyer sa troupe sous des torrents de champagne, c’est juché sur un somptueux attelage qu’il faisait à lui seul le spectacle, distribuant friandises, pièces d’or et quolibets mémorables.

* Le Carnaval ancien et moderne, Benjamin Gastineau, Poulet-Malassis libraire-éditeur, Paris, 1862.

Après des années d’oubli…Depuis 1998, une association redonne des couleurs au Carnaval de Paris, en or-ganisant chaque année à la mi-carême la Promenade du Bœuf Gras. Le défi lé des Reines Blanchisseuses fut également res-suscité en 2009.

www.carnaval-paris.org

La fameuse Descente de la Courtille, pour laquelle les plus modestes économisaient toute l’année et où se louaient à prix d’or des places aux fenêtres en guise de loges, voyait dès potron-minet, chaque mercredi des Cendres, une horde de bambocheurs enquiller la rue du Faubourg-du-Temple dans un formidable charivari. Ouvriers, notables, provinciaux ou étrangers s’y oubliaient alors le temps d’une procession délirante, emmenée à ses grandes heures par le plus distingué des poissards (voir encadré pageb20).Pour la décrire, rendons ici la politesse à l’un de ses contemporains, manifestement effarouchéb : «bCette foule en délire serpente dans la rue, dans le ruisseau, clapotant, chantant, hurlant, cancanant,grinçant, glapissant, grimaçant et s’accrochant aux liquoristes, aux marchands de trois-six, et rendant toute cette boisson, toute cette débauche,toute cette volupté de pourceau, en injures aux passants, en gestes impossibles à traduire.Ce sont des cris imitatifs des animaux, c’est une cacophonie diabolique. Les épithètes empruntés à Piron et au dictionnaire de la compagnie géné-rale des vidanges viennent de tous côtés, de la chaussée, des fi acres, des croisées. Les spectateurs débraillés, les spectatrices décolletées et avinées aux fenêtres escortent leurs aimables paroles d’une grêle d’arlequins, débris de volaille, de poisson, de ragoût, qui tombent sur la tête des masques de la rue et que ceux-ci ramassent pour les jeter à la face des privilégiés traînés par des voitures de placeb*.b»

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MAISONS CLOSESLes alcôves de la République

Si leur existence remonte à la plus haute antiquité,si en France la lanterne rouge et les volets clos

qui les signalaient aux passants ont, malgréde récurrentes et vaines tentatives de prohibition,toujours fait partie du paysage urbain, c’est sous

la IIIe République que se situe leur âge d’or…

Les maisons closes bénéfi cièrent durant des décennies d’une étrange tolérance, d’où le nom qu’on prit alors l’habitude de leur donner. La bour-geoisie triomphante, pourtant aussi étroitement corsetée dans ses principes que dans ses redin-gotes, en défendait hypocritement l’existence au nom de l’hygiène et de la paix sociale tout en les condamnant au nom de la morale. Il faut croire qu’elle s’en accommodait fort bien. En témoigne la publication annuelle du Guide Rose, une sorte de Michelin des maisons de tolérance, qui les recen-sait tous les ans en assortissant chaque adresse de commentaires et d’appréciations. À Paris, leur nombre variait suivant les années –bcomme tout commerce, celui du sexe connaît ses modes, ses succès et ses faillitesb– mais descendait rarement à moins de deux cents. Des claques minables où les fi lles condamnées à l’abattage voyaient défi ler chaque jour par dizaines ouvriers et sol-dats, aux maisons luxueuses où des «bpension-nairesb» triées sur le volet accueillaient ministres, Légende

écrivains célèbres et artistes en vogue, en passant par les «bbrasseries de femmesb» et leurs «bser-veuses montantesb » des quartiers populaires, le monde du bordel renvoyait alors une image exacte des catégories sociales.

Un prince au bordelLe prince de Galles, futur Édouard VII, me-nait sans vergogne une vie de débauche qui défrayait régulièrement la chronique. Il avait au Chabanais sa chambre attitrée, meublée d’un lit écussonné à ses armes, d’un bizarre fauteuil à étriers métalliques –bsa «bchaise de voluptéb»b– qu’il avait conçu pour se livrer à des ébats compliqués, et d’une baignoire en cuivre ornée d’une fi gure de proue en forme de sirène qu’il avait pour habitude de remplir de champagne pour le bain de ses favorites.

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Gangsters, préfets et ministresAussi chic et mondain que le Chabanais et le One Two Two, le Sphinx, au kitschissime décor néo-égyp-tien, ouvrit 31bboulevard Edgar-Quinet au début des années trente, dans le quartier Montparnasse alors en pleine vogue. Sa tenancière, Marthe Le Mestre dite Marmoute, était en fait le prête-nom de gangsters célèbres, Paul Carbone et François Spirito. Ce qui ne l’empêchait pas d’entretenir d’excel-lentes relations avec le préfet de police, Jean Chiappe, le ministre Paul Reynaud et le président du Conseil Albert Sarraut, qui lui apportèrent une protection constante. De quoi rassurer les habitués, Joseph Kessel, Georges Simenon, Francis Carco, Blaise Cendrars, Foujita et –bune fois de plusb– Marlène Dietrich, qui n’eurent jamais à s’éclipser par le souterrain prévu pour échapper à la police des mœurs, qui reliait le Sphinx aux Catacombes…

Cupidon dans l’édition du Guide rosede 1936, une publication qui recensedes centaines de maisons de plaisir.

Des clients à croix gamméesSitué au 122brue de Provence, le One Two Two fut dans les années trente et quarante fréquenté par toute la haute société. On pouvait y croiser LéopoldbIII, roi de Belgique, Sacha Guitry, Jean Gabin, Charlie Chaplin, Cary Grant, Humphrey Bogart et Katherine Hepburn, Mistinguett, Marlène Dietrich ou Édith Piaf. Certains n’y venaient que pour voir et être vus, se contentant d’y dîner entre amis, parfois accompagnés de leurs épouses. Les autres venaient «bconsommerb» dans des chambres au décor extravagant, salle de torture médiévale, grenier à foin, igloo ou cabine de navire corsaire. Entre 1940 et 1945, le One Two Two fut le bordel favori des offi ciers allemands et des membres de la Gestapo française.

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Au sommet de la hiérarchie, des maisons closes d’un luxe inouï prospèrent au cœur de la capi-tale, autour des Grands Boulevards. Filles superbes et constamment renouve-lées, mobilier précieux, tentures épaisses, salons feutrés, boudoirs, chambres décorées à l’orientale, à la japonaise ou tapissées de miroirs, tout est fait pour satis-faire les fantasmes du client et lui donner le sentiment d’avoir pénétré dans un paradis de richesse et de volupté.Célèbre parmi toutes, celle du 12brue Chabanais, créée en 1878 par une certaine MadamebKelly, reçut pendant soixante-dix ans le Gotha mondial. Sa trentaine de pensionnaires éduquées comme des jeunes fi lles de bonne famille, ses chambres à thème –b la chambre hindoue, la chambre mau-resque, la chambre médiévale et surtout la chambre japonaise, qui reçut un prix lors de l’Exposition uni-verselle de 1900b– comptèrent des habitués fameux, parmi lesquels Pierre Louÿs, Maupassant ou Anatole

France, et même des habituées, comme Marlène Dietrich. Il était d’usage d’y amener les hôtes offi ciels de la France, têtes couronnées ou chefs d’État. Le

programme offi ciel mention-nait alorsb: «bVisite au président du Sénatb». On frôla l’incident

diplomatique un jour où la reine mère d’Espagne devant rendre réel-

lement visite au président du Sénat, le service du protocole la conduisit

vers le Chabanais, avant de se raviser in extremis…

En avrilb 1946, la loi Marthe Richard –bdu nom d’une ancienne

pensionnaire de maison close qui se forgea un passé contro-versé d’héroïne des deux guerres et fut une élue de la

Résistanceb– décrétait la fermeture des maisons de tolérance. Ainsi disparurent, du moins offi ciellement, des lieux où l’esclavage avait, un siècle après Victor Schoelcher, continué de prospérer avec le soutien de l’État et l’accord tacite de la société tout entière…