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M6decine et Maladies Infectieuses -- 1979 -- 9 -- n ° 3 -- 144-146. Trois cas humains de Fibvre Q - professionnelle dans la R6gion poitevine* )) par J.L. JACQUEMIN**, F. PATTE***, B. BECQ-GIRAUDON**** et A.M. ROUSSEL***** RESUME Trois cas de Fibvre Q typique, dont deux ont pu recevoir une preuve serologique, ont 6t6 diagnostiqu6s parmi les 61eveurs de moutons de la r6gion poitevine od Coxiella (Rickettsia) burneti n'6tait jusqu'ici pas signal6e. Cette constatation confirme le caractbre souvent professionnel de l'affection qui est certainement plus repandue qu'il n'appara~t dans les statistiques. Mots-clef : Rickettsioses - Fi~vre Q - Elevage - Epid6miologie. Un article (1), paru dans M~decine et Maladies Infectieuses, est venu rappeler l'importance du cheptel ovin dans l'entretien et la diffusion de Coxiella (Rickettsia} burneti, agent de la Fibvre Q ; l'enqu6te s6rologique men6e par Fontaine et coll. montre que l'infection animale est end6mique dans tout le Sud-Est de la France, mais que la maladie est 6galement r6pandue par foyers dans la plupart des d6partements d'61evage. Les auteurs insistent sur la facilit6 de la transmission directe par contact avec les ovins, les d6chets et les produits de l'61evage, cette transmission a6rienne 6tant, 6pid6miologique- ment, beaucoup plus efficace que la transmission traditionnelle par l'arthropode vecteur (Ixodes). Bien que cet aspect n'ait pas 6t6 explor6 en parallble de leur 6tude v6t6rinaire, les auteurs sugg~rent que !a contamination humaine ,, profes- * Accept6 le 23 novembre 1978. ** Laboratoire de MicrobiologieA (Prof. Y. de Rautlin de la Roy) *** Service de Pneumophtisiologie (Prof. G. Morichau- Beauchant} **** Service de M6decine Interne (Prof. Y. Sudre)... Centre Hospitalier R6gional, La Mil6trie, 86 Poitiers. ***** M6decine du Travail, Caisse Mutuelle Agricole de la Vienne. sionnelle, doit ~tre importante dans routes les zones off le cheptel est infect6 et citent a l'appui deux Fi~vres Q typiques contract6es par leur personnel d'enqu~te dans l'Ard~che. I1 nous a paru int6ressant de signaler trois observations locales qui rejoignent tout-/l-fait cette opinion : nous avonseu, en effet, l'occasion, dans le courant de 1'6t6 1975, de rencontrer 3 cas de Fi~vre Q caract6ris6e, frappant des 61eveurs de moutons du Poitou. Premibre observation Le premier cas est apparu en juin 1975 chez un 61eveur montmorillonnais ~g6 de 28 ans, Monsieur R... Michel, hospitalis6 dans le Service de Pneumo-phtisiologie de Poitiers a la suite d'une image radiologique anormale d6pist6e par le M6decin du Travail. Chez cet homme, petit fumeur, sans ant6c6dents notables, l'histoire des troubles se r6sume ~ deux 6pisodes bronchitiques f6briles en mars 1975, avec une toux s6quellaire persistante. Une radiophoto thoracique du 14 avril 1975 montre une petite opacit6 axillaire gauche, floue, alors que l'image 6tait normale au contrSle pr6c6dent, en septembre 1973. 144

Trois cas humains de Fièvre Q « professionnelledans la Région poitevine

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Page 1: Trois cas humains de Fièvre Q « professionnelledans la Région poitevine

M6decine et Maladies Infectieuses -- 1979 -- 9 -- n ° 3 -- 144-146.

Trois cas humains de Fibvre Q - professionnelle dans la R6gion poitevine*

))

par J .L. J A C Q U E M I N * * , F. PATTE*** , B. B E C Q - G I R A U D O N * * * * et A.M. ROUSSEL*****

R E S U M E Trois cas de Fibvre Q typique, dont deux ont pu recevoir une preuve serologique, ont 6t6 diagnostiqu6s parmi les 61eveurs de moutons de la r6gion poitevine od Coxiella (Rickettsia) burneti n'6tait jusqu'ici pas signal6e. Cette constatation confirme le caractbre souvent professionnel de l'affection qui est certainement plus repandue qu'il n'appara~t dans les statistiques.

M o t s - c l e f : Rickettsioses - Fi~vre Q - Elevage - Epid6miologie.

Un article (1), paru dans M~decine et Maladies Infectieuses, est venu rappeler l ' importance du cheptel ovin dans l 'entret ien et la diffusion de Coxiella (Rickettsia} burneti, agent de la Fibvre Q ; l 'enqu6te s6rologique men6e par Fonta ine et coll. montre que l ' infection animale est end6mique dans tout le Sud -Es t de la France, mais que la maladie est 6galement r6pandue par foyers dans la plupar t des d6par tements d'61evage.

Les auteurs insis tent sur la facilit6 de la t ransmission directe par contac t avec les ovins, les d6chets et les produi ts de l'61evage, cette t ransmission a6rienne 6tant, 6pid6miologique- ment , beaucoup plus efficace que la t ransmiss ion traditionnelle par l ' a r thropode vecteur (Ixodes).

Bien que cet aspect n 'a i t pas 6t6 explor6 en parallble de leur 6tude v6t6rinaire, les auteurs sugg~rent que !a contamina t ion humaine ,, profes-

* Accept6 le 23 novembre 1978. ** Laboratoire de Microbiologie A (Prof. Y. de Rautlin de la

Roy) *** Service de Pneumophtisiologie (Prof. G. Morichau-

Beauchant} **** Service de M6decine Interne (Prof. Y. Sudre)...

Centre Hospitalier R6gional, La Mil6trie, 86 Poitiers. ***** M6decine du Travail, Caisse Mutuelle Agricole de la

Vienne.

s ionne l l e , doit ~tre impor tante dans routes les zones off le cheptel est infect6 et citent a l 'appui deux Fi~vres Q typiques contract6es par leur personnel d 'enqu~te dans l 'Ard~che.

I1 nous a paru int6ressant de signaler trois observat ions locales qui rejoignent tout-/l-fait cette opinion : nous a v o n s e u , en effet, l 'occasion, dans le courant de 1'6t6 1975, de rencontrer 3 cas de Fi~vre Q caract6ris6e, f rappant des 61eveurs de moutons du Poitou.

Premibre observat ion

Le premier cas est apparu en juin 1975 chez un 61eveur montmori l lonnais ~g6 de 28 ans, Monsieur R.. . Michel, hospitalis6 dans le Service de Pneumo-phtis iologie de Poitiers a la suite d 'une image radiologique anormale d6pist6e par le M6decin du Travail.

Chez cet homme, peti t fumeur, sans ant6c6dents notables, l 'histoire des troubles se r6sume ~ deux 6pisodes bronchit iques f6briles en mars 1975, avec une toux s6quellaire persistante.

Une radiophoto thoracique du 14 avril 1975 montre une petite opacit6 axillaire gauche, floue, alors que l ' image 6tait normale au contrSle pr6c6dent, en septembre 1973.

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A l'entr~e dans le Service, l 'examen est normal mais la radiographie pulmonaire montre un nodule axillaire flou h gauche, surtout visible en tomographie, qui semble en r~gression par rapport au clich~ precedent.

La fibroscopie montre une muqueuse hyper6- mi~es, sans anomalies cytologiques. Numeration globulaire et forme sanguine sont sub-normales, ainsi que la VS. La recherche de Bacilles de Koch est n6gative.

L'exploration s~rologique pratiqu~e le 26 juin 1975 se r~v~le positive au 1/160e face a l'antig~ne Rickettsia burneti en microagglutination de Gi- roud, nSgative face aux autres antig~nes ticket- tsiens, n~gative vis-h-vis de la Brucellose et des Mixo et Ad~novirus, et non significative, enfin, {1/16e) vis-a-vis des virus Herpes et Coxsackies B4.

Une seconde s~rologie, un mois plus tard, confirmait ce r4sultat et la fixation du compl6- ment, pratiqu~e a titre de contr61e, avec l'antig~ne de l ' Inst i tut Behring, assurait formellement le diagnostic avec un titre au 1/64e.

L'enqu~te ~pid~miologique, malheureusement limit~e, pouvait 4tablir que, si le cheptel du malade ~tait apparemment sain, ce dernier avait, peu de temps avant l'apparition de la maladie, aid~ un voisin dont le troupeau subissait de nombreux avortements.

Deuxieme observation

Elle devait 6galement r6v61er qu'un jeune stagiaire de la Formation Professionnelle des Adultes, en stage dans l'exploitation incrimin6e avait, h la m~me 6poque, pr6sent6 lui aussi un syndrome f6brile aigu diagnostiqu6 et trait6 comme une Fi~vre Q par un M6decin de Thouars. Nous n'avons toutefois pu obtenir jusqu'ici la confirmation s6rologique de ce deuxi6me cas.

Troisieme observation

Le troisi6me cas 6tait observ6 en fin d'6t6 dans les Deux-S6vres, dans la r6gion de Vasles. Un cultivateur de 40 ans 6tait adress6, d6but septembre, au Service de M6decine Interne du C.H.U. de Poitiers pour fi6vre inexpliqu6e 6voluant depuis 8 jours dans un contexte d'allure grippale, fait de c6phal6es, de courbatures et d'arthralgies. L'examen clinique 6tait pauvre, la biologie simplement inflammatoire avec une VS h 75 h la I e" heure.

La radiographie, par contre, montrait une image de pneumopathie atypique du lobe sup6rieur droit.

La microagglutination de Giroud, pratiqu6e h deux reprises h 15 jours d'intervalle, se r6v61ait positive au 1/40e h Rickettsia burneti, tandis que la fixation du compl~ment pratiqu~e sur le 2" s~rum ~tait positive h 1/64e.

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DISCUSSION

Ces trois observations son t les premieres, notre connaissance, ~ signaler la Fi~vre Q dans le Poitou : le seul cas humain enregistr~ et publi~ Poitiers (2) en 1968 concernait un sujet Maghrebin en transit, contamin~ ailleurs, et l'~pid~miologie chez l'animal ~chappe, pour des raisons locales, aux statistiques officieUes et ~ la diffusion.

La profession de nos patients conduit h admettre que le cheptel poitevin, qui est, comme on le sait, tr~s important, h~berge la Rickettsie ; l'~loigne- ment relatif de deux foyers reconnus incite ~ penser que l'infection y est r~pandue. Une enqu~te ~pid~miologique de fond serait ici souhaitable.

I1 faut s'attendre, surtout si la vigilance m~dicale est ~veill~e, h ce que d'autres cas humains soient observ6s et identifi~s.

I1 est probable, en effet, que la Fi~vre Q intervient plus fr6quemment qu'elle n'est recon- nue. Les ,, infestations frustes ,, que Giroud a d~montr~ fort nombreuses (3), n'am~nent pas toujours h consulter, et m~me les formes caract~ri- s~es peuvent, en l'absence d'explorations s~rologi- ques et radiologiques, ~tre facilement confondues avec la grippe et parfois avec la brucellose.

On doit rappeler l'absolue n6cessit~ du recours la s~rologie.

La microagglutination sur lame de Giroud, tr~s d~cri~e, surtout en raison des difficult~s de lecture et d'une trop grande d~pendance de la rigueur d'ex6cution technique, a fini par disparaitre, l ' Inst i tut Pasteur ayant renonc~ ~ poursuivre la commercialisation des antig~nes n~cessaires. C'est peut-~tre dommage ; elle restait un moyen commode (malgr~ ses limites) d'investigations ~pid6miologiques.

La fixation du compl~ment, qui est praticable par t ous l e s laboratoires grace ~ un antigone du commerce, est plus fid~le et sera syst~matique- ment effectu~e. En l'absence de s~rum t~moin positif propose, on peut utiliser des s6rums t~moins de provenance animale fournis par les Services v~t6rinaires.

Sur le plan g~n~ral cette raise en ~vidence de Fi~vre Q humaine dans le Poitou s'ins~re darts le contexte, qui commence /~ ~tre mieux connu, de l'importance des rickettsioses en pathologie autochtone.

Les travaux de Giroud et Capponi (4) ont, ici aussi, ~t~ d~terminants, mais plusieurs articles sont venus, sur le plan local, y apporter leur contribution : Seigneurin 15) a fait la revue de la situation pour le Sud-Est de la France off l'affection est end~mique chez le b~tail et bien repr~sent~e chez l'homme. Plus pros de nous, darts

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l'Ouest de la France, le Guyon et coll./t Rennes (6), Vermeil et coll. & Nantes (7) et Lemenager et coll./t Caen (8), ont conduit des 6tudes s6rologiques syst6matiques et isol6 de nombreux cas cliniques.

I1 ne faut d'ailleurs pas croire que la Fi6vre Q Se borne ~ cet aspect de maladie professionnelle des 61eveurs. L'extr~me contagiosit6 et la r6sistance de la rickettsie dans tous les produits d6riv6s de l'61evage, ou ayant 6t6 en contact avec le germe, font largement d6border de ce cadre les possibilit6s de contamination humaine : les quatre observa- tions de Fi6vre Q clinique cit6es par Lemenager et coll. concernent un ma~on, une employ6e de

presbyt6re, un ouvrier m6taHurgiste et une femme sans profession.

En ville comme ~ la campagne, le recours ~ la s6rologie devrait donc ~tre syst6matique devant toute fi6vre inexpliqu6e, tout syndrome pseudo- grippal, surtout hors d'une p6riode d'6pid6mie, toute image pulmonaire atypique et devant d'autres manifestations atypiques comme, par exemple, des arthralgies ou des 6panchements s6reux inexpliqu6s.

L'acquisition du diagnostic est d 'autant plus int6ressante que la Fi6vre Q r6agit parfaitement au traitement par les cyclines.

S U M M A R Y Three patients with clinical symptoms of Q fever, two of them having been confirmed by serological evidence have been encountered amongst sheep-farmers in Poitou {France} where Coxiella bu rne t i had not yet been mentioned.

This points out again the quite professional aspects of Q Fever, an affection probably more scattered than usually mentionned.

Key-words : Rickettsiosis - Q Fever - Breeding - Epidemiology.

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