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© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. L’Encéphale (2010) Supplément 6, S155–S156 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Éditorial Troubles affectifs : nouveaux modèles et innovations thérapeutiques Affective disorders: From new models to novel treatments J.-M. Azorin Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital S te Marguerite, 270 bd de S te Marguerite, 13274 Marseille CEDEX 9, France * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. En psychiatrie, la relation qu’entretiennent les modèles avec leurs applications semble relativement complexe. Bien qu’il en soit probablement de même dans d’autres domaines, le nôtre est particulièrement illustratif, du fait de la multiplicité et de l’hétérogénéité des paramètres en jeu. La relation dont nous parlions y est, à la vérité, beau- coup plus circulaire que linéaire. Mais le cercle, pour n’être pas vicieux, suppose que l’on observe son développement dans le temps. Le modèle chronobiologique servira d’exemple. La richesse des travaux physiologiques, neurobiologiques et neuroendocriniens de la fin du siècle dernier [3] s’est révé- lée dans un premier temps, relativement peu satisfaisante quant à ses applications thérapeutiques potentielles qu’il s’agisse de la privation de sommeil ou des avances de phase [1]. Après une période de latence, on a cependant assisté aux progrès réalisés en matière de luminothérapie qui ne peut plus être considérée comme réservée aux seules dépressions saisonnières [5], puis plus récemment à sa transformation médicamenteuse, avec la découverte de l’agomélatine (light in a pill) [5]. Les progrès de la généti- que ont, parallèlement, conduit à la découverte des gènes d’horloge et à une compréhension plus fine de la produc- tion des rythmes biologiques au sein du système nerveux central, avec le rôle central du noyau supra-chiasmatique. Des pistes se sont ainsi ouvertes pour rendre compte du rôle que pouvaient jouer des médiateurs tels que la séroto- nine dont il est possible que certains récepteurs qui pou- vaient sembler avoir une fonction indéterminée, puissent s’avérer être essentiels à ce titre. Les récepteurs 5 HT 7 sont concernés : ils seraient particulièrement sensibles aux changements de phase à la lumière et leur blocage par la clozapine pourrait expliquer certains des effets particuliè- rement puissants de cette drogue [4]. Le domaine médicamenteux et neurobiologique en général, n’est pas seul concerné. Ainsi la mise en évidence du rôle pathogénique des évé- nements de vie susceptibles de perturber les rythmes sociaux a conduit à s’intéresser d’avantage à ceux-ci et à la mise au point de psychothérapies visant de manière spéci- fique leur restauration au sein des maladies affectives [2]. Les progrès nous l’avons dit, ne sauraient se faire dans un domaine unique d’intérêt, pour être véritablement considérés comme tels. Une autre preuve en est l’essor pris par les recherches génétiques en psychiatrie. Elles aussi ont semblé de peu d’effet pendant quelques années. Leur progrès est proba- blement lié en grande partie à l’existence de modèles plus ouverts, ne mettant plus l’accent sur le seul génome mais sur les interactions de celui-ci avec l’environnement, qu’il soit précoce ou plus tardif. Des perspectives considérables se sont ainsi fait jour tant pour enrichir les modèles que nous avions du développement des troubles affectifs que pour comprendre le mécanisme d’action des médicaments psychotropes. Le rôle du neuro-développement, des effets conjoints du stress et de la vulnérabilité, ainsi que d’une psychopharmacologie et de traitements en général, plus

Troubles affectifs : nouveaux modèles et innovations thérapeutiques

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© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.

L’Encéphale (2010) Supplément 6, S155–S156

Dispon ib le en l igne sur www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.el sev ier .com/locate/encep

Éditorial

Troubles affectifs : nouveaux modèles et innovations thérapeutiquesAffective disorders: From new models to novel treatments

J.-M. Azorin

Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 270 bd de Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France

* Auteur correspondant.E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.

En psychiatrie, la relation qu’entretiennent les modèles avec leurs applications semble relativement complexe. Bien qu’il en soit probablement de même dans d’autres domaines, le nôtre est particulièrement illustratif, du fait de la multiplicité et de l’hétérogénéité des paramètres en jeu.

La relation dont nous parlions y est, à la vérité, beau-coup plus circulaire que linéaire. Mais le cercle, pour n’être pas vicieux, suppose que l’on observe son développement dans le temps.

Le modèle chronobiologique servira d’exemple. La richesse des travaux physiologiques, neurobiologiques et neuroendocriniens de la fin du siècle dernier [3] s’est révé-lée dans un premier temps, relativement peu satisfaisante quant à ses applications thérapeutiques potentielles qu’il s’agisse de la privation de sommeil ou des avances de phase [1]. Après une période de latence, on a cependant assisté aux progrès réalisés en matière de luminothérapie qui ne peut plus être considérée comme réservée aux seules dépressions saisonnières [5], puis plus récemment à sa transformation médicamenteuse, avec la découverte de l’agomélatine (light in a pill) [5]. Les progrès de la généti-que ont, parallèlement, conduit à la découverte des gènes d’horloge et à une compréhension plus fine de la produc-tion des rythmes biologiques au sein du système nerveux central, avec le rôle central du noyau supra-chiasmatique.

Des pistes se sont ainsi ouvertes pour rendre compte du rôle que pouvaient jouer des médiateurs tels que la séroto-nine dont il est possible que certains récepteurs qui pou-

vaient sembler avoir une fonction indéterminée, puissent s’avérer être essentiels à ce titre. Les récepteurs 5 HT7 sont concernés : ils seraient particulièrement sensibles aux changements de phase à la lumière et leur blocage par la clozapine pourrait expliquer certains des effets particuliè-rement puissants de cette drogue [4].

Le domaine médicamenteux et neurobiologique en général, n’est pas seul concerné.

Ainsi la mise en évidence du rôle pathogénique des évé-nements de vie susceptibles de perturber les rythmes sociaux a conduit à s’intéresser d’avantage à ceux-ci et à la mise au point de psychothérapies visant de manière spéci-fique leur restauration au sein des maladies affectives [2].

Les progrès nous l’avons dit, ne sauraient se faire dans un domaine unique d’intérêt, pour être véritablement considérés comme tels.

Une autre preuve en est l’essor pris par les recherches génétiques en psychiatrie. Elles aussi ont semblé de peu d’effet pendant quelques années. Leur progrès est proba-blement lié en grande partie à l’existence de modèles plus ouverts, ne mettant plus l’accent sur le seul génome mais sur les interactions de celui-ci avec l’environnement, qu’il soit précoce ou plus tardif. Des perspectives considérables se sont ainsi fait jour tant pour enrichir les modèles que nous avions du développement des troubles affectifs que pour comprendre le mécanisme d’action des médicaments psychotropes. Le rôle du neuro-développement, des effets conjoints du stress et de la vulnérabilité, ainsi que d’une psychopharmacologie et de traitements en général, plus

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adaptés à l’individu et à son environnement y gagnent une signification nouvelle. Les communications de ce colloque s’attachent à en exprimer les contours.

Références [1] Bauer M, Bschor T, Pfennig A et al. World Federation of Soci-

eties of Biological Psychiatry (WFSBP) Guidelines for Biologi-cal Treatment of Unipolar Depressive Disorders in Primary Care. World J Biol Psychiatry 2007 ; 8 : 67-104.

[2] Frank E, Swartz HA, Boland E. Interpersonal and social rhythm therapy : an intervention addressing rhythm dysreg-ulation in bipolar disorder. Dialogues Clin Neurosci 2007 ; 9 : 325-32.

[3] Papousek M. Chronobiologische Aspekte der Zyklothymie. Fortsch Neurol Psychiatr Grenzgeb 1975 ; 43 : 381-440.

[4] Wirz-Justice A, Hang HJ, Cajochen C. Disturbed circadian rest-activity cycles in schizophenic patients : an effect of drugs ? Schizophr Bull 2001 ; 27 : 497-502.

[5] Wirz-Justice A. Biological rhythms and depression : treatment opportunities. WPA Bulletin on Depression 2008 ; 13 : 5-8.