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Q UELS souvenirs gardez-vous de Rodemack, qui fut le berceau de votre petite enfance ? J’ai passé une grande partie de mon enfance dans le beau jardin de mon grand-père, qui était jardinier en re- traite chez un maître de forge. Lorsque l’école était ter- minée, je courais le retrouver dans son jardin. L’école maternelle était tenue par des sœurs – que nous appe- lions les « chères sœurs », coiffées d’extraordinaires cornettes amidonnées et vêtues d’un grand plastron blanc. Dès l’âge de deux ans, j’ai appris à jardiner, à semer, à planter, à tirer le cordeau... Ensuite, mon grand-père me prenait sur ses genoux et me racontait des histoires sur les fleurs et les animaux, ou des contes de Perrault et d’Andersen. Sa barbe me piquait le vi- sage et je sentais l’odeur de sa transpiration... Puis ve- nait l’heure de l’instruction religieuse... Là, il m’apprenait le Notre-Père et le Je vous salue Marie. Il avait été dit, dans ma famille, que, le jour de mes trois ans, je devrais réciter le Notre-Père et le Je vous salue Marie à notre oncle Jean-Baptiste Pelt, qui était évêque de Metz. À deux ans trois quarts, je savais les textes par cœur ! Mais une phrase me posait problème : « Le fruit de vos entrailles est béni. » Mon grand-père ne m’avait pas expliqué le sens de cette expression. « Je t’expli- querai cela quand tu seras plus grand », me disait-il. Moi, je croyais qu’il s’agissait d’un arbre qui s’appelait « Entraillébéni », que mon grand-père ne voulait pas me montrer. Sans connaître le fameux mythe du jardin d’Éden, j’avais, en quelque sorte, réinventé ce bonheur absolu d’être dans le jardin avec mon grand-père, avec un arbre caché auquel il ne fallait pas toucher. Aux mois de mai et d’octobre, arrivait le temps des prières à la Vierge Marie. Dès qu’il entendait sonner les cloches, mon grand-père laissait tomber tous ses ins- truments de travail et nous descendions à l’église. En octobre, le mois du Rosaire, il faisait nuit dans l’église. Seule la Vierge était éclairée. Nous égrenions le chape- let en priant. Ce murmure, dans le silence de l’église sombre, avec cette seule Vierge éclairée, m’impres- sionnait énormément. J’étais dans le sacré. De plus, comme mon grand-père était jardinier, c’est lui qui réa- lisait les bouquets pour l’autel de la Vierge. Je l’aidais dans cette tâche. Nous avions un peu la paternité de l’autel ! Ma petite enfance s’est déroulée de manière paradisiaque. C’était tout le temps le bonheur... Une seule chose me chagrinait : j’étais très maladroit de mes mains et, à l’école, je n’étais pas doué pour les travaux manuels. Tresser de petits bouts de papier était pour moi un supplice raffiné ! Mais, lorsque je me retrouvais dans la nature, j’étais au paradis ! Tout petit, déjà, – 47 – Jean-Marie Pelt est connu d’un large public pour ses nombreux livres, ses émissions pour la radio et pour la télévision, comme par son activité de conférencier très recherché. Pionnier de l’écologie – il a fondé en 1971 l’Institut européen d'écologie –, professeur agrégé de pharmacie, il a longtemps enseigné la botanique en Lorraine, sa région natale. Ses travaux sur la toxicologie de l’environne- ment, les OGM, le changement climatique, l’ethno-pharmacomologie… il les place sous l'égide de saint François d’Assise, qu’il considère comme le patron des écologistes. C’est que ce scientifique est aussi un homme de foi, une foi chrétienne qui l’habite depuis sa petite enfance. Son amour de Dieu est pour lui indissociable de celui des hommes et de la Création, à laquelle il souhaiterait que l’Église soit plus attentive. Pour lui, la foi religieuse est l’autre voie de la connaissance humaine, qu’il convient désormais d’associer à la rationalité scientifique. – 46 – Une vie dans le jardin de Dieu entretien avec Jean-Marie Pelt chemin de vie

UELS Une vie dans le jardin de Dieu · 2015. 12. 30. · dans le jardin de Dieu entretien avecJean-Marie Pelt chemin de vie. pendant la guerre. Mon père était aussi doué pour le

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QUELS souvenirs gardez-vous de Rodemack, quifut le berceau de votre petite enfance ?

J’ai passé une grande partie de mon enfance dans lebeau jardin de mon grand-père, qui était jardinier en re-traite chez un maître de forge. Lorsque l’école était ter-minée, je courais le retrouver dans son jardin. L’écolematernelle était tenue par des sœurs – que nous appe-lions les « chères sœurs », coiffées d’extraordinairescornettes amidonnées et vêtues d’un grand plastronblanc. Dès l’âge de deux ans, j’ai appris à jardiner, àsemer, à planter, à tirer le cordeau... Ensuite, mongrand-père me prenait sur ses genoux et me racontaitdes histoires sur les fleurs et les animaux, ou des contesde Perrault et d’Andersen. Sa barbe me piquait le vi-sage et je sentais l’odeur de sa transpiration... Puis ve-nait l’heure de l’instruction religieuse... Là, ilm’apprenait le Notre-Père et le Je vous salue Marie. Ilavait été dit, dans ma famille, que, le jour de mes troisans, je devrais réciter le Notre-Père et le Je vous salueMarie à notre oncle Jean-Baptiste Pelt, qui était évêquede Metz. À deux ans trois quarts, je savais les textes parcœur ! Mais une phrase me posait problème : « Le fruitde vos entrailles est béni. » Mon grand-père ne m’avaitpas expliqué le sens de cette expression. « Je t’expli-querai cela quand tu seras plus grand », me disait-il.

Moi, je croyais qu’il s’agissait d’un arbre qui s’appelait« Entraillébéni », que mon grand-père ne voulait pasme montrer. Sans connaître le fameux mythe du jardind’Éden, j’avais, en quelque sorte, réinventé ce bonheurabsolu d’être dans le jardin avec mon grand-père, avecun arbre caché auquel il ne fallait pas toucher.

Aux mois de mai et d’octobre, arrivait le temps desprières à la Vierge Marie. Dès qu’il entendait sonner lescloches, mon grand-père laissait tomber tous ses ins-truments de travail et nous descendions à l’église. Enoctobre, le mois du Rosaire, il faisait nuit dans l’église.Seule la Vierge était éclairée. Nous égrenions le chape-let en priant. Ce murmure, dans le silence de l’églisesombre, avec cette seule Vierge éclairée, m’impres-sionnait énormément. J’étais dans le sacré. De plus,comme mon grand-père était jardinier, c’est lui qui réa-lisait les bouquets pour l’autel de la Vierge. Je l’aidaisdans cette tâche. Nous avions un peu la paternité del’autel ! Ma petite enfance s’est déroulée de manièreparadisiaque. C’était tout le temps le bonheur... Uneseule chose me chagrinait : j’étais très maladroit de mesmains et, à l’école, je n’étais pas doué pour les travauxmanuels. Tresser de petits bouts de papier était pourmoi un supplice raffiné ! Mais, lorsque je me retrouvaisdans la nature, j’étais au paradis ! Tout petit, déjà,

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Jean-Marie Pelt est connu d’un large public pour ses nombreux livres, ses émissions pour la radioet pour la télévision, comme par son activité de conférencier très recherché. Pionnier de l’écologie– il a fondé en 1971 l’Institut européen d'écologie –, professeur agrégé de pharmacie, il a longtempsenseigné la botanique en Lorraine, sa région natale. Ses travaux sur la toxicologie de l’environne-ment, les OGM, le changement climatique, l’ethno-pharmacomologie… il les place sous l'égide desaint François d’Assise, qu’il considère comme le patron des écologistes. C’est que ce scientifiqueest aussi un homme de foi, une foi chrétienne qui l’habite depuis sa petite enfance. Son amour deDieu est pour lui indissociable de celui des hommes et de la Création, à laquelle il souhaiterait quel’Église soit plus attentive. Pour lui, la foi religieuse est l’autre voie de la connaissance humaine,qu’il convient désormais d’associer à la rationalité scientifique.

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Une viedans le jardin de Dieu

entretien avec Jean-Marie Pelt

chemin de vie

Page 2: UELS Une vie dans le jardin de Dieu · 2015. 12. 30. · dans le jardin de Dieu entretien avecJean-Marie Pelt chemin de vie. pendant la guerre. Mon père était aussi doué pour le

pendant la guerre. Mon père était aussi doué pour le jar-din que son père l’avait été. À cette époque, les cir-constances familiales étaient dramatiques. Nous étionstrès pauvres. Nous ne recevions plus la petite allocationde réfugiés qui nous avait été accordée à Marcillat, et lapetite affaire de mon père, qui était installateur électri-cien, ne marchait pas fort. Mes parents, ensemble, ontfait une dépression carabinée, aussi suis-je devenu, àl’âge de douze ans, le parent de mes parents ! Je m’oc-cupais des factures de l’entreprise de mon père. Les Peltn’ont jamais été des battants, mais plutôt des poètes,des mystiques... Ma mère ne s’intéressait pas aux ques-tions métaphysiques et religieuses, contrairement à monpère qui était un contemplatif. Il pouvait rester delongues heures à regarder les abeilles dans son rucher.« Les Pelt ne savent pas gagner leur vie, disait ma mère,ils ne pensent qu’à courir à l’église... » Comme il fallaitfaire bouillir la marmite, le week-end, au marché, jevendais les fruits et légumes de notre jardin.

Après l’obtention de votre bac – avec la mentionbien ! –, votre goût pour les sciences naturelles et lachimie vous conduit vers des études de pharmacie.Vous suivez un stage d’un an en officine, qui vousenchante, avant de rejoindre la faculté de pharma-cie de Nancy...

J’étais heureux comme un poisson dans l’eau, heu-reux d’être débarrassé du lycée, heureux de travaillerdans une pharmacie. J’adorais préparer des prescrip-tions, confectionner des baumes, fabriquer des sirops,aller à la cave renifler les plantes dans les bocaux...C’était extraordinaire ! J’aimais l’ambiance de l’offi-cine de l’époque. Ensuite, effectivement, je suis partisuivre mes études de pharmacie à la fac de Nancy. C’està partir de ce moment-là qu’est né mon amour incon-ditionnel pour les plantes. J’adorais récolter dans leschamps de la camomille, des coquelicots, des ortiesblanches, toutes les plantes à tisanes, puis les faire sé-cher avec application, dans le grenier... La nature m’ap-portait beaucoup de bonheur, j’étais profondément ému

par sa beauté. Je me sentais en communion avec elle. Jevivais ma relation avec Dieu de manière très dévotion-nelle. J’aimais écouter des chants grégoriens dans deséglises. Ces liturgies chantées en latin, très solennelleset esthétiques, me mettaient en larmes. Elles me trans-portaient dans un recueillement intérieur, dans une di-mension sacrée.

Au cours de ces années universitaires, à chaque Pen-tecôte, je participais au pèlerinage de Chartres. Nousmarchions pendant deux jours dans la Beauce avant devoir apparaître la cathédrale Notre-Dame. Ces marchesanimées par la foi me réjouissaient, je me sentais reliéà tous les pèlerins qui avaient marché sur ces mêmesroutes, en quête de Dieu. À cette même époque, j’étaisresponsable du groupe des étudiants catholiques deNancy et ne voyais en cette fonction aucune contradic-tion avec mes études scientifiques. J’avais une foi trèssolide et j’étais un vrai scientifique. Pendant mesétudes, j’étais très évolutionniste, dans la mesure oùmon professeur de botanique avait été élève de Teilhardde Chardin. C’est seulement plus tard que j’ai creusécette question et compris que l’évolutionnisme pouvaitêtre une critique du religieux.

Au cours de votre carrière de botaniste, vousn’avez jamais délaissé le terrain. Vous vous êtes en-gagé dans de nombreuses missions scientifiques, enAfghanistan, au Togo, au Bénin, en Côte d’Ivoire,au Maroc...

Ces voyages m’ont permis d’aller à la découverte duvaste monde, de dépasser les frontières de ma petite vieen Lorraine. Scientifiquement, pour un botaniste,l’Afghanistan était un pays passionnant par sa diversitévégétale. J’ai été impressionné par l’extrême beauté despaysages, par l’hospitalité et la convivialité naturelledes musulmans dans tous les villages que j’ai traversés.En compagnie de mes amis afghans, j’avais le senti-ment d’appartenir à une même communauté spirituelle,par le simple fait d’être croyants, ensemble, même sid’un côté il y avait le christianisme et, de l’autre, l’is-

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UNE VIE DANS LE JARDIN DE DIEU

J’adorais les belles histoires d’animaux de saint François d’Assise. J’avais glissé saphoto dans mon livre de messe. Aujourd’hui encore, il m’accompagne.

Ma relation à la nature est la même que celle de François. Comme lui, je vois l’unité dans la diversité.

j’avais un sentiment d’appartenance à la nature, un sen-timent d’harmonie et de cohérence.

Un événement est venu ébranler cette « enfanceémerveillée » : la Seconde Guerre mondiale. Toutevotre famille se réfugie alors dans l’Allier, dans levillage de Marcillat-en-Combraille...

Oui. J’avais six ans quand nous avons fui laLorraine. Nous avons été accueillis avec beaucoup dechaleur et d’hospitalité par les habitants de la région.Je me souviens avoir été très ému lorsque j’ai pénétrépour la première fois dans l’église romane de Marcillat.Je me suis senti enveloppé, protégé par sa voûte arron-die, qui m’évoquait la voûte céleste... J’aimais beau-coup cette église. Je la trouvais très belle. À l’âge deonze ans, je suis devenu enfant de chœur. Je connaissaistoutes les prières en latin par cœur. J’avais un goût trèsprononcé pour les offices de l’après-midi, les vêpres.La psalmodie des psaumes avait le même effet sur moique le murmure des prières avec le chapelet… Ce douxbercement me transportait ! À cette époque, Dieu avaitpour moi le visage du Tout-Puissant. Il était le grandBon Dieu et m’impressionnait ! Jésus, lui, était présentdans ma vie, mais sous la forme de l’Enfant-Jésus, àNoël. À Rodemack, un jour, alors que j’allais chercherle pain, j’ai glissé sur une bouse de vache. En rentranttout sale à la maison, j’ai dit à ma mère que c’était lepetit Jésus qui m’avait poussé. Il était mon copain...

Si, à Rodemack, j’avais découvert l’Éden dans le jar-din de mon grand-père, à Marcillat, j’ai fait connais-sance avec la campagne. J’aimais courir dans leschamps et les bocages. J’étais fasciné par l’exubérancedes haies, des fougères, des ronces, des mûriers... Avecmes camarades, nous fabriquions des cabanes dans lesarbres. J’aimais m’enivrer dans l’odeur des séquoias.Nous vivions dans une joyeuse simplicité, complète-ment immergés dans la nature. Je passais beaucoup detemps avec le chien des voisins et les bêtes de la ferme.Je suis devenu louveteau, la branche cadette du mou-vement scout. Deux choses dans le scoutisme ont beau-

coup compté pour moi : saint François d’Assise et LeLivre de la jungle de Rudyard Kipling. J’adorais lesbelles histoires d’animaux de saint François d’Assise.J’avais glissé sa photo dans mon livre de messe.Aujourd’hui encore, il m’accompagne. Ma relation à lanature est la même que celle de François. Comme lui,je vois l’unité dans la diversité. À Rodemack, c’est sousla protection de Thérèse de Lisieux que je m’étais ré-fugié. J’avais posé une petite statue de sainte Thérèsesur ma table de nuit. Elle portait sa bure brune de car-mélite, et, avec mes ongles, je grattais le brun pour qu’ildevienne blanc. Vous voyez, elle est encore devant moiau moment où nous parlons. C’est le seul et uniqueobjet que j’ai gardé de ma toute petite enfance.

Puis, le 8 mai 1945, avec votre famille, vous re-partez pour la Lorraine...

J’ai mal vécu mon retour à Rodemack. Quitter mescamarades et ma vie auvergnate a été difficile. Je mesuis retrouvé dans un lycée où, après plusieurs annéesd’occupation allemande, les élèves ne parlaient plus lefrançais. Les garçons de ma classe étaient âgés de treizeet quatorze ans, et moi, j’avais seulement onze ans. Jesuis donc devenu leur souffre-douleur ! Je vivais unenfer au lycée. Comme j’étais bon élève, je leur passaismes devoirs. J’étais très malheureux, mais je n’ai ja-mais rien dit à personne, même pas à mes parents. J’aiappris à subir les sévices qu’ils m’infligeaient en si-lence. Je me réfugiais à la chapelle du lycée. Là, je neme sentais plus seul. J’avais l’impression d’être ac-compagné, protégé par Dieu. Il y a deux sentiments queje n’ai jamais ressentis dans ma vie : celui de victimed’un ciel méchant et la révolte adolescente. Pendant cesannées difficiles, le Ciel a été ma seule consolation. J’aidécouvert l’esprit des Béatitudes, vécu, en quelquesorte, l’état du plus faible, du persécuté, du pauvre, dudoux en larmes...

J’étais pensionnaire et rentrais le week-end à la mai-son. Je retrouvais avec un immense plaisir le magni-fique jardin de mon père. Mon grand-père était mort

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Dieu t’aime infiniment. » Et, crac, il raccrocha ! Cetteparole eut sur moi l’effet d’un éclair fulgurant ! Sou-dain, j’ai été envahi par un sentiment de paix, de joieet d’amour ; un sentiment de bonheur sans communemesure avec le bonheur que l’on éprouve en faisantl’amour avec une personne qu’on aime. C’était beau-coup plus fort. Comme je n’avais plus la force de mon-ter vers Dieu, c’est Lui qui était venu vers moi. Lepoids de ma peine avait disparu ! Je n’étais plus pros-tré. J’étais dans un état de béatitude indescriptible. Jeme suis levé, j’ai tapé le sol pour être sûr qu’il étaitbien réel, puis j’ai quitté ma chambre sur-le-champ. Jecroisai le concierge, qui me dit : « Monsieur Pelt, vousavez l’air bien mieux que tout à l’heure ! » Je lui ré-pondis : « Oui, j’ai eu de la visite ! » Il s’étonna :« Mais personne ne vous a demandé ! – C’était une vi-site très spéciale ! »

Quelque temps plus tard, Roger m’envoya un livrede Karlfried Graf Dürckheim, Dialogue sur le chemininitiatique, dans lequel il était interviewé par le prêtreorthodoxe Alphonse Goetmann. J’ai dévoré cet ou-vrage ! Puis, j’ai eu envie de rencontrer ces deuxhommes. Tout se mit en place pour que je retrouve lechemin de la vie et de la joie. Je n’ai plus jamais penséau suicide. En un milliardième de seconde, toute ma dé-tresse s’était envolée. J’en ai déduit que lorsque Dieu sedécide à être thérapeute, il est plus efficace que les psy-chanalystes de la Salpêtrière ! Les effets de cette ful-gurance se sont atténués et je suis retourné à une vienormale. Mais le souvenir de ces jours exceptionnelsest devenu un cap dans ma vie, auquel je me réfère enpermanence. J’ai gardé un profond attachement à laprière. Je comprends mieux aujourd’hui ce que les or-thodoxes veulent dire lorsqu’ils enseignent que l’expé-rience prime sur le discours. Lorsque je prie, je me sensthéologien.

Il y a deux ans, vous avez subi un grosse opérationdu cœur et avez frôlé la mort. Quelle est votre rela-tion à la mort ?

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Pour aller plus loin :- Derniers livres de Jean-Marie Pelt :

Heureux les simples, Flammarion, 2011

Cessons de tuer la terre pour nourrir l’homme ! Pour en finir avec lespesticides (avec la collaboration de Franck Steffan), Fayard, 2012.

- Institut Européen d’Écologie (IEE)

Cloître des Récollets

BP 4005 - 57040 Metz Cedex

[email protected]

Lorsque le médecin m’a dit que j’avais un gros ané-vrysme et que j’étais en danger de mort imminente, jeme suis senti très calme et j’ai revécu une expériencespirituelle intense. Je voyais ma vie terrestre s’en aller,les Récollets disparaître à l’horizon, comme des feuillesmortes sur le macadam quand il y a du vent... Toute mavie s’effaçait. Mais, en même temps, j’avais l’impres-sion d’être enfin arrivé dans la vraie vie. J’étais en paix,plein de joie et d’amour. Cet état était pour moi l’abso-lue réalité... Ce que j’avais vécu avant m’apparaissaitcomme éphémère et provisoire. Toutes les personnesqui ont vécu des NDE témoignent que cet instant a étéun basculement décisif dans leur existence...

Quelles sont vos pratiques spirituelles quoti-diennes ?

Je ne vais pas à la messe, car j’éprouve de la diffi-culté à rester debout, mais je suis un très grand fidèle dela messe à la télévision. Chaque soir, je partage un rituelprivilégié avec ma petite chienne Sarah. Je lui consacrecinq minutes de conversation, avant de monter dans machambre. Dans la manière émouvante dont elle me re-garde, se manifeste la beauté de la création et du créa-teur. Je remercie alors le créateur pour la beauté de lacréation. La petite chienne retourne sur son tapis, et,moi, je me mets en prière.

Propos recueillis par Nathalie Calmé

lam. Aucune séparation ne nous divisait. Nous étionstrès proches.

Après avoir enseigné la biologie végétale et lacryptogamie à la faculté de pharmacie de Nancy,ainsi que la botanique et la physiologie végétale à lafaculté des sciences de l’université de Metz, en 1971,vous fondez l’Institut européen d’écologie...

Lorsque l’on m’a demandé de faire partie du conseilmunicipal de Metz et de m’occuper de l’urbanisme, j’aiaccepté cette mission, car, pour la première fois de mavie, j’ai senti l’impérative nécessité de faire mon devoir,de ne pas me soustraire à l’appel des circonstances. Jepense que si j’avais refusé, cela aurait été sans doute pré-judiciable pour la ville de Metz. J’ai donc rompu avecmon travail de chercheur en botanique au laboratoire deNancy. J’avoue qu’au début de cette aventure, je me suissenti dépaysé. Avec l’équipe municipale, qui était formi-dable, nous nous sommes lancés dans la rénovation ducloître des Récollets, qui est situé au cœur de Metz, ausommet de la colline Sainte-Croix, pour y installer l’Ins-titut européen d’écologie. Nous avons restauré avecbeaucoup de ferveur ce lieu qui avait été créé en 1230,quatre ans après la mort de saint François d’Assise, parles Frères mineurs. Nous voulions que ce bâtiment pres-tigieux invite à la réflexion, au recueillement, à l’éclo-sion de pensées nouvelles, comme la défense del’environnement et de l’écologie. Avec le maire de Metz,Jean-Marie Rausch, et mon ami Roger Klaine, nousavions inventé le concept d’écologie urbaine, quiconsiste à respecter à la fois la nature et la qualité de viedes hommes et des femmes. J’ai beaucoup aimé ces an-nées d’effervescence créative... mais ce fut au prix d’unegrande souffrance. J’étais complètement absorbé par laville de Metz, et la rupture avec mon existence passée debotaniste restait un déchirement. J’avais un travail dé-ment... De plus, c’est au cours de ces années que monpère et ma mère sont morts, ainsi que mon oncle. Commej’étais fils unique, j’ai beaucoup souffert de leur départ.Je me sentais dans un abandon extrême.

Comment votre spiritualité, votre foi, vous a-t-elleaidé pendant cette période délicate ?

Le divin avait désormais le visage du Jésus desÉvangiles. Je communiais avec Lui. J’allais chercherrefuge au monastère de Clervaux, au Luxembourg. Toutau long de ma vie, j’ai fait de très nombreux séjoursdans des monastères, toujours avec bonheur. J’empor-tais de la lecture, des documents de travail, je préparaismes cours, écrivais mes livres... je participais aux of-fices. Le chant des psaumes me ravissait, me remplis-sait de paix. Jusque-là, la vie religieuse m’avait toujourspermis de rebondir, mais, cette fois-ci, ce ne fut pas lecas. Malgré mon séjour à Clervaux, je n’avais trouvéni secours ni consolation. J’étais envahi par un vide ter-rible. Pour soigner ma profonde dépression, pendanttrois mois je me suis rendu tous les jours à l’hôpital dela Salpêtrière, à Paris. J’habitais dans un petit hôtel ouchez un ami. À part le psychanalyste, je ne voyais per-sonne. J’ai écrit des textes que j’ai intitulés Dialoguessur la tendresse de Dieu. Le soir, je sortais... J’allais meposer tantôt dans une église, tantôt dans un bistrot. Jevivais un abandon total du point de vue humain, mais ledivin m’habitait. Ce fut une période exceptionnelle dema vie... À travers l’écriture de ces dialogues, Dieu étaitlà. Le Jésus des Évangiles était devenu extrêmementprésent, et il l’est resté. Et puis, un jour, j’ai vécu uneexpérience mystique qui m’a sorti de la dépression. Unaprès-midi d’été, j’étais au plus bas, prostré sur mon lit,au bord de la limite extrême de la capacité de vivre. Dumatin au soir, je faisais d’innombrables scénarios demon suicide, mais, en même temps que je les imagi-nais, je savais que je ne passerais pas à l’acte. Le mé-decin m’avait conseillé de me concentrer sur le momentprésent, de vivre instant après instant. Lorsque sonnadix-sept heures, je m’encourageai donc : « Jean-Marie,il faut que tu vives jusqu’à dix-huit heures... » Mais, àdix-sept heures cinquante, je souffrais trop et décidaid’appeler mon ami Roger, qui est prêtre. Je lui dis : « Tusais, Roger, je suis prostré sur mon lit, je ne peux mêmeplus me lever ! » Il me lança : « Prostré comme tu es,

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UNE VIE DANS LE JARDIN DE DIEU

Comme je n’avais plus la force de monter vers Dieu, c’est Lui qui était venu vers moi.