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Éditorial : Culture et disproportion Sommaire Éditorial : Culture et disproportion Mais où est passée la « centralité » ? Hamas: chantage et provocation Le regard d’un musulman sur la guer- re du Hamas contre Israël Illusions d’optique occidentales Le monde est en flammes Un autre regard sur le Proche-Orient Bulletin Internet de France-Israël Marseille Section de Marseille de l’Association France-Israël, Alliance général Koenig Octobre 2014 Numéro 15 Le Figaro rapportait à la mi-octobre que selon un haut responsa- ble militaire français, "L'adversaire est intelligent, et il s'adapte: Daech se mêle à la population des villes, installe ses postes de com- mandement dans les hôpitaux, les écoles." On lit bien Daech et non Hamas. Conclusion, pour éviter les dégâts collatéraux, les avions français patrouillent au-dessus de l'Irak, mais ne bombar- dent pas. L'efficacité du dispositif: nulle. Ce n'est pas grave sem- ble-t-il. Pour nous Français, l'Irak c'est loin. Sur le même théâtre d'opérations, les premières frappes améri- caines ont multiplié les victimes civiles, femmes et enfants, en particulier quand un "Tomawak " a impacté un regroupement de réfugiés dans le village de Kafr Daryan en Syrie. De nombreux autres civils ont trouvé la mort quand l'Air Force a confondu un peu plus loin, des silos à blé avec une base de l'État islamique. Le porte-parole du Conseil National de Sécurité américain, Caitlin Hayden, en a pris acte: "les normes élevées [fixées par Obama pour éviter les dommages collatéraux], ... ne couvrent pas les frappes actuelles sur la Syrie et l'Irak." Les États-Unis renoncent donc ouvertement à minimiser les victimes civiles. Pourtant, il y a quelques semaines, les mêmes ignoraient les bou- cliers humains du Hamas et accablaient l'État juif d'accusations de "disproportion" et de "massacres". Cependant, même si les critiques occidentales de la défense si difficile d'Israël étaient in- famantes, l'écart entre le nombre de victimes de part et d'autre, 2.100 morts à Gaza, 73 victimes pour Israël, est plein de sens. Il indique paradoxalement de quel coté se trouve la cause juste. 1) Du coté du Hamas, il n’y avait strictement aucun dispositif de protections des civils, alors que sa stratégie de tirs indiscriminés sur les zones vitales d'Israël allait nécessairement déclencher un retour de feu. Pas le moindre abri, alors que le Hamas sait si bien creuser et bétonner, pas de système d'alerte, pas d’équipes médi- cales dédiées. Par contre les chefs était parfaitement protégés dans les étages et les sous-sols des hôpitaux; 2) Amateur de boucliers humains, le Hamas a contraint sa popu- lation à rester sur les sites où des frappes étaient annoncées, ou même à s'y rassembler. Il en a été si fier que son porte-parole Sami Abou Zouri, a revendiqué publiquement ce crime de guerre; 3) Le Hamas a tiré ses roquettes depuis les sites civils les plus po- puleux (écoles, mosquées, hôpitaux, hôtels, quartiers d'habita- tion), suscitant des pertes civiles en retour. Les images de civils trépassés, d'enfants en particulier, étaient souhaitées comme gages de victoire dans la guerre des média en Occident, et fer- ments d'agitation de la rue arabe. En transportant le djihad de la sphère militaire au cœur de la vie civile et de la société, en procé- dant à l'exécution publique de civils sans jugement, aux antipo- des de la philosophie des Conventions de Genève http://fim13.blogspot.fr Suite p. 2

Un autre regard sur le Proche-Orient · 2015. 4. 23. · Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 3 Octobre 2014 Hamas : chantage et provocation Editorial de Clause Lanzmann, Les

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  • Éditorial : Culture et disproportion Sommaire

    Éditorial : Culture et disproportion

    Mais où est passée la « centralité » ?

    Hamas: chantage et provocation

    Le regard d’un musulman sur la guer-

    re du Hamas contre Israël

    Illusions d’optique occidentales

    Le monde est en flammes

    Un autre regard sur l e P r o c h e - O ri e n t

    Bulletin Internet de France-Israël Marseille Section de Marseille de l’Association France-Israël, Alliance général Koenig

    Octobre 2014 Numéro 15

    Le Figaro rapportait à la mi-octobre que selon un haut responsa-ble militaire français, "L'adversaire est intelligent, et il s'adapte: Daech se mêle à la population des villes, installe ses postes de com-mandement dans les hôpitaux, les écoles." On lit bien Daech et non Hamas. Conclusion, pour éviter les dégâts collatéraux, les avions français patrouillent au-dessus de l'Irak, mais ne bombar-dent pas. L'efficacité du dispositif: nulle. Ce n'est pas grave sem-ble-t-il. Pour nous Français, l'Irak c'est loin.

    Sur le même théâtre d'opérations, les premières frappes améri-caines ont multiplié les victimes civiles, femmes et enfants, en particulier quand un "Tomawak " a impacté un regroupement de réfugiés dans le village de Kafr Daryan en Syrie. De nombreux autres civils ont trouvé la mort quand l'Air Force a confondu un peu plus loin, des silos à blé avec une base de l'État islamique. Le porte-parole du Conseil National de Sécurité américain, Caitlin Hayden, en a pris acte: "les normes élevées [fixées par Obama pour éviter les dommages collatéraux], ... ne couvrent pas les frappes actuelles sur la Syrie et l'Irak." Les États-Unis renoncent donc ouvertement à minimiser les victimes civiles.

    Pourtant, il y a quelques semaines, les mêmes ignoraient les bou-cliers humains du Hamas et accablaient l'État juif d'accusations de "disproportion" et de "massacres". Cependant, même si les critiques occidentales de la défense si difficile d'Israël étaient in-famantes, l'écart entre le nombre de victimes de part et d'autre, 2.100 morts à Gaza, 73 victimes pour Israël, est plein de sens. Il indique paradoxalement de quel coté se trouve la cause juste.

    1) Du coté du Hamas, il n’y avait strictement aucun dispositif de protections des civils, alors que sa stratégie de tirs indiscriminés sur les zones vitales d'Israël allait nécessairement déclencher un retour de feu. Pas le moindre abri, alors que le Hamas sait si bien creuser et bétonner, pas de système d'alerte, pas d’équipes médi-cales dédiées. Par contre les chefs était parfaitement protégés dans les étages et les sous-sols des hôpitaux;

    2) Amateur de boucliers humains, le Hamas a contraint sa popu-lation à rester sur les sites où des frappes étaient annoncées, ou même à s'y rassembler. Il en a été si fier que son porte-parole Sami Abou Zouri, a revendiqué publiquement ce crime de guerre;

    3) Le Hamas a tiré ses roquettes depuis les sites civils les plus po-puleux (écoles, mosquées, hôpitaux, hôtels, quartiers d'habita-tion), suscitant des pertes civiles en retour. Les images de civils trépassés, d'enfants en particulier, étaient souhaitées comme gages de victoire dans la guerre des média en Occident, et fer-ments d'agitation de la rue arabe. En transportant le djihad de la sphère militaire au cœur de la vie civile et de la société, en procé-dant à l'exécution publique de civils sans jugement, aux antipo-des de la philosophie des Conventions de Genève

    http://fim13.blogspot.fr

    Suite p. 2

    http://fim13.blogspot.fr

  • 2 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    sur la guerre, le Hamas et ses satellites affichaient leur proximi-té idéologique avec al-Qaeda, al-Nusra, et l'État islamique. 4) De nombreuses roquettes, plus de 700, sont retombées sur le territoire de Gaza causant des pertes nombreuses et des des-tructions, comme l'incendie des réservoirs de carburant de la centrale électrique. Le Hamas aura aussi répandu l’horreur par amateurisme, en négligeant totalement les conséquences mor-telles de la malfaçon de ses roquettes pour les civils de Gaza. Inversement, le nombre de victimes israéliennes du Hamas a été bien mince, même si la douleur a été immense. Cela malgré ses commandos de marine, ses tunnels d'attaque, et ses 4.500 roquettes tirées au jugé (à la différence des missiles, les roquet-tes, non guidées, ont toutes les chances de ne tuer que des ci-vils). Ce résultat étonnant de tient pas du miracle, mais d'un intense effort collectif de l’État juif. La protection des civils d'Israël repose sur l'éducation perma-nente de la population à la conduite à tenir en cas d'alerte. En-suite, depuis des décennies, la population est encouragée à équiper son logement d'une pièce hautement protégée. En complément, de nombreux abris étaient disponibles dans les villes, les villages et toutes les aires civiles. A coté de ce dispositif, les autorités israéliennes ont créé un réseau d'alertes sonores instantanées dans les zones visées par les tirs. Et bien sûr, une merveille de la technologie israélienne, Dôme d'acier, a assuré les interceptions en vol. Enfin, un Centre de Commandement Médical, entrainé aux situations d'urgence, déployait le plus promptement possible ses équipes soignantes sur le Front intérieur.

    Israël aime infiniment la vie, la vie des êtres humains, des siens bien sûr, mais aussi celles des autres, et même celles de ses adversaires. C'est en partie un legs de la Shoah. Ne plus perdre une seule vie désormais. C'est aussi une éthique. Pour gagner, le Hamas résume son avantage en une formule: "Nous aimons la mort, plus que vous n'aimez la vie." L'éthique de la mort, à l'usage de ses enfants d'abord, est revendiquée officiellement. C'est la culture du djihad contemporain, aux couleurs du nazis-me, le noir, à Gaza tout comme en Irak.

    La "valeur-vie" d'Israël lui a fait construire un hôpital de campa-gne pour Gaza au passage d'Erez (le Hamas l'a bombardé au mortier), et continuer d'accueillir les civils gazaouis pour des traitements lourds dans ses hôpitaux, en dépit des hostilités. Elle lui a fait multiplier avant ses frappes toutes sortes d'aver-tissements, y compris personnalisés, qui mettaient parfois ses propres soldats en danger. Ainsi, les dommages infligés aux civils gazaouis ont été radicalement inférieurs aux "normes" ordinaires de la guerre. Un civil perdu pour un militaire à Gaza, contre en moyenne dans les guerres, 4 pertes civiles pour un combattant, soit quatre fois moins. C’est pourquoi il n’y a eu "que" 2.100 morts à Gaza, dont 49% de moujahids en armes.

    C'est ici qu'il faut souligner que les accusations occidentales de massacre et de carnage proférées contre Israël, les "manifestations de solidarité" de la gauche et l'extrême gau-che, le financement de la reconstruction sans démilitariser le Hamas, contribuent à valider la stratégie des têtes brûlées dji-hadistes de la région, et à arracher toujours plus de vies à la malheureuse population-otage de Gaza.

    Suite de l’éditorialSuite de l’éditorialSuite de l’éditorial Culture et disproportionCulture et disproportionCulture et disproportion

    L'an dernier, avec ses gros sabots, Laurent Fabius repre-nait à Ramallah l'antienne favorite : « il demeure que la question israélo-palestinienne est une, et peut être la ques-tion centrale de la région… », suivi de François Hollande à Paris :"j’ai bien conscience que rien de solide ne pourra se faire sans que le conflit israélo-palestinien n’ait été réglé." Israël, et son défi aux Arabes, comme cause de l'instabilité du Moyen-Orient, et par contagion, du monde entier, c'est l’un des vieux thèmes officiels de la propagande anti israélienne qui devait conduire en 2003, 59% des Euro-péens à faire d'Israël "la menace la plus sérieuse pour la paix du monde." (Sondage Eurobaromètre)

    Obama avait aussi présenté le conflit israélo-arabe com-me "une source majeure d’instabilité depuis trop long-temps," et au plus haut de la tension avec Jérusalem, il avait autorisé ses deux bras droits, Hillary Clinton et le général David Petraeus, à affirmer que "les soldats améri-cains risquent leur vie en Irak et en Afghanistan parce que le problème palestinien n'a pas été résolu."

    Était-on si loin des thèses nazies imputant aux Juifs la res-ponsabilité des guerres? Dans la version prisée à Paris Israël était le chiffon rouge attisant le choc des civilisa-tions avec l’islam, avec tous ses risques pour l’Occident. Le journaliste anglais Douglas Murray s'indignait de cette rhétorique accusatrice et stupide : « Rarement dans l’his-toire diplomatique, quelque chose d’aussi faux a été véhiculé par tant de gens, pendant aussi longtemps. »

    Et voila qu'une révolution conceptuelle vient de dissiper une vérité si profondément ancrée. Dans son discours de-vant l'assemblée générale de l'ONU, le 1er octobre der-nier, Barack Obama a assené : "La situation en Irak, en Syrie et en Libye doit guérir tout le monde de l'illusion que le conflit israélo-arabe est la principale source des problèmes de la région. Depuis trop longtemps on en a fait une excuse pour détourner les gens des problèmes intérieurs."

    La surprise a été grande. Des idées enfin censées étaient exprimées à la tribune de l’ONU, par l’un des présidents américains les moins bien disposés à l’endroit d’Israël.

    Peut-être avait-il les raisons du politicien qui voit appro-cher les élections de midterm. Peut-être voulait-il relativi-ser son incapacité personnelle d’apporter une solution, après la cuisante débâcle de John Kerry ? Peut-être se rendait-il compte de la gravité de la menace d’extension à l’Europe et aux États-Unis du chaos actuel au Moyen-Orient, et du péril à masquer ce problème majeur derrière le conflit israélo-palestinien, un différend annexe au re-gard de la chaudière allumée par les djihadistes.

    Les grands théoriciens de la « centralité » du conflit israélo-palestinien, Fabius, Védrine, Villepin, le Quai d’Orsay dans son ensemble, n’ont pas commenté cette déclara-tion ravageuse d’Obama.

    En tout état de cause, ces paroles solennelles dans l’en-ceinte de l’ONU resteront, et il faudra en tenir compte.

    Jean-Pierre Bensimon

    Mais où est passée Mais où est passée Mais où est passée

    la «la «la « centralitécentralitécentralité » ?» ?» ?

  • 3 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    Hamas : chantage et provocationHamas : chantage et provocationHamas : chantage et provocation Editorial de Clause Lanzmann, Editorial de Clause Lanzmann, Editorial de Clause Lanzmann, Les Temps Modernes Les Temps Modernes Les Temps Modernes JuilletJuilletJuillet---septembre 2014septembre 2014septembre 2014

    Cela s'appelle « l'échange inégal ». Éric Marty en avait impeccablement parlé dans le numéro 677 des Temps Modernes. Pour récupérer et restituer aux siens un seul de leurs soldats, Gilad Shalit, otage du Hamas depuis plus de cinq ans, les Israéliens avaient rendu à la liberté 1027 prisonniers palestiniens, purgeant de longues pei-nes pour crimes de sang, la plus lourde étant la perpétui-té puisque la condamnation à mort n'existe pas là-bas. 1027 contre un !

    Et ce n'était pas le premier troc de ce type. Quatre ou cinq fois auparavant, la théorie de l'échange inégal avait déjà été mise en œuvre par les gouver-nements successifs d'Israël - de droite comme de gauche (cf. note 13, du même numéro des T.M.). Nul alors, aussi bien par-mi les parties qui s'était enten-dues sur l'échange que chez les vigilants et les sourcilleux par état, pointilleux comptables des méfaits d'Israël, ne s'était avisé de hurler à la dispropor-tion, n'avait dénoncé le scanda-le ontologique de l'échange inégal, scandale parce qu'il impliquait au premier chef que les vies humaines n'ont pas le même prix !

    La vérité est que, depuis la Shoah et la mort de six mil-lions de juifs, on a presque honte d'oser rappeler, les Israéliens accordent à la vie de chacun des leurs un prix sans mesure, une valeur telle que ce pays semble autori-ser ses ennemis à exercer sur lui un chantage permanent, qui débouche sur des provocations de la pire espèce. Ce n'est pas le lieu ici de disserter sur la relation unique en-tre le judaïsme et la vie qui, depuis la Shoah précisé-ment, n'a cessé de croître et de s'approfondir. Mais les soixante-quatre jeunes recrues qui viennent de perdre la leur à Gaza ont eu à peine droit à une mention de com-passion dans l'étonnante « sommation » à François Hol-lande, Président de la République, publiée par Le Monde et cosignée de Messieurs Rony Brauman, Régis Debray, Edgar Morin, accompagné, pour faire bonne mesure et museler toute objection, d'une quatrième mousquetaire, épouse de feu l'indigné Stéphane Hessel, Christiane de son prénom.

    Texte partisan, menteur, sans courage et racoleur, dont les esprits augustes qui l'ont rédigé ne pouvaient pas ne pas avoir conscience de sa fausseté, de sa faiblesse, de

    son vide en un mot. On comprend qu'au cœur du mois d'août et pour être certains qu'on prêterait à leur propos la gravité requise, ils aient imaginé d'appeler à la res-cousse le Président de la République, en l'enrôlant sous leur bannière pour se donner chair et poids, lui assénant qu'il était « comptable » (sic) d'une certaine idée de la France et le sommant (c'est leur mot !) d'agir, autrement

    dit de déclencher une croisa-de anti Israélienne et d'en prendre la tête. Ils n'ont pas osé recommander de dé-ploiement d'une ou deux escadrille de Rafales, qui réglerait la question à la li-byenne et garantirait à la France qu'elle n'avait pas perdu son honneur. Mais ne doutons pas que cette bril-lante idée ait été caressée par quelques-uns. Faisons confiance à François Hollan-de : « Pour qui se prennent-ils ? », pensera-t-il à l'instar de François Mitterrand qui savait répondre à toutes les formes de sommation : « Pour qui vous prenez-vous ? Pour qui me prenez-vous ? »,

    avait-il coutume de dire à ceux qui prétendaient lui forcer la main.

    Actif fera-t-on croire que le Hamas, ennemi numéro un d'Israël et de son existence (les programmes scolaires enseignés à Gaza aux filles comme aux garçons sont sur ce point d'une évidence et d'une unanimité sans espoir), ait été pris par surprise par les bombardements israé-liens ? Il les a voulus. Quelles que puissent être l'horreur et la colère inspirées par le nombre des morts et des blessés civils, c'est le Hamas qui en est le premier res-ponsable. Il joue les vierges effarouchées avec un cynis-me froid relayé par les quatre belles âmes de la « som-mation » qui ont toutes - c'est leur problème - des comp-tes à régler avec leur propre judaïsme et qui devraient-si elles avaient un semblant de bonne foi-se récuser com-me témoins, acteurs ou même simples commentateurs des événements du Moyen-Orient. Ce n'est pas la pre-mière fois que l'armée d'Israël pénètre dans Gaza et, cha-que fois, ses pertes sont si lourdes, au trébuchet de l'his-toire de ce peuple, qu'on comprend ses réticences à en-voyer ses enfants à la mort. Une réglementation unique, propre à Tsahal, ordonne que si, parmi deux ou trois membres d'une même famille mobilisés dans des unités

  • combattantes, l'un d'eux est tué, les autres doivent immé-diatement quitter le combat et rentrer chez eux. Personne ne déroge à cette loi : la perpétuation de la famille est pri-mordiale et la référence à la Shoah est explicitement re-vendiquée dans le texte qui la fonde.

    Mais telle est cette bête, méchante quand on l'attaque, elle se défend. Elle attaque même, sans s'attacher aux « disproportions » qui lui seront de toute façon reprochées. Nos mousquetaire s'enferment dans une comparaison gro-tesque entre l'accident d'avion de la Malaysia Airlines, im-puté à Poutine, et les morts palestiniens, victimes « ciblées » et revendiquées d'Israël. Le fait qu'Israël « cible » ses victimes doit être porté à son crédit et à son honneur. Téléphones, tracts, SMS, préviennent les gens qu'ils vont être bombardés. On félicite risiblement le Président de la République de « prendre en main le sort et le deuil des fa-milles d'une catastrophe aérienne au Mali » - comme s'il n'avait pas mieux à faire ! - , mais on tait soigneusement les 10.000 missiles au garde-à-vous dans les tunnels de Gaza comme les statues des guerriers Xian du Shaanxi, atten-dant leur tour d'être lancés d'une façon, elle, indiscriminée sur les villes israéliennes, Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa pour la première fois à portée de tir. Les fusées semblent pren-dre la place des volontaires des attentats suicident qui, jus-qu'à la construction du mur de protection, on fait des cen-taines de morts israéliens, la plupart civils, dans les auto-bus, les discothèques, les restaurants, les synagogues…

    Le Hamas savait parfaitement que l'assassinat de trois ado-

    lescents israéliens kidnappés, couplé avec le déferlement des missiles sur les cités juives, entraînerait la riposte, et le voulait. Sa provocation réussie, ce qui ne veut pas dire qu'elle a été capable de briser l'isolement grandissant du Hamas dans le monde arabe, qui était sans doute le but inavoué du déploiement des grandes orgues.

    On parle de Gaza comme d'une prison à ciel ouvert et les protestations du Hamas contre la fermeture par les Égyp-tiens du point de passage de Rafah et le démantèlement des tunnels de sa frontière Sud sont prises pour argent comptant. Cette propagande est bien faite, mais elle est menteuse comme toute propagande. Les gens ne meurent ni de faim ni de soif à Gaza, les magasins regorgent, il suffit d'avoir de l'argent et la lutte de classes existe là-bas com-me ailleurs. Les riches gazaouis, qui vivent dans leur grande villa des hauteurs, ne font pas la charité aux réfugiés qu'ils entretiennent comme un cancer. « Nous avons eu l'occa-sion de nous rendre à Gaza où il existe un institut culturel français ; et les SOS que nous recevons de nos amis sur place, qui voient les leurs mourir dans une terrible solitude, nous bouleversent », écrivent Rony, Edgar, Régis et Chris-tiane. L'Institut culturel français à Gaza, parlons-en : c'est une pétaudière humanitaire qui crée des faux témoins, ins-tallée là comme un avant-poste de la propagande anti israélienne relayée parmi mille haut-parleurs qui cherchent à faire passer une ville ennemie, et comme telle soumise au blocus, pour le ghetto de Varsovie.

    Hamas : chantage et provocation Claude Lanzmann Hamas : chantage et provocation Claude Lanzmann Hamas : chantage et provocation Claude Lanzmann (suite et fin)(suite et fin)(suite et fin)

    4 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    Le présent numéro de « Pour un autre regard sur le Proche Orient » clôt un cycle de 15 publications parues sur un rythme trimestriel. Nous allons faire le bilan de ce travail et promouvoir d’autres projets qui donneront sans doute matière à publication sans périodicité. Nous espérons que la série qui se termine ici a alimenté votre réflexion et éclairé certains sujets brûlants dans la phase historique tumultueuse que nous vivons aujourd’hui. Nous souhaitons conserver et entretenir le lien que nous avons noué avec nos lecteurs à travers « Pour un autre regard sur le Proche-Orient » et nourrir encore cet « autre regard » tellement essentiel dans un paysage dominé par les préjugés et la pitoyable « pensée correcte. »

    e-mail : [email protected] Blog : http://fim13.blogspot.fr

    http://fim13.blogspot.fr

  • 5 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    Je me suis rendu en Israël il y a quelques années. J’avais pour but précis de faire un pèlerinage à Jérusalem. Je re-vois cet été de 2010. Israël jouissait d’un fragile intermède de paix. Un peu plus d’un an auparavant, en décembre 2008-janvier 2009, son armée avait été envoyée à Gaza pour désarmer le Hamas qui tirait des roquettes sur son voisin juif; deux ans plus tard, en novembre 2012, elle devait retourner à Gaza pour les mêmes raisons.

    J’avais observé comme tous les peuples, que l’ar-mée israélienne, fort réti-cente, avait été contrainte de lancer une opération militaire pour empêcher le Hamas d’envoyer des cen-taines de roquettes en pro-fondeur dans son pays . J’avais tenté de dépasser les condamnations faciles et simplistes de la brutalité de la guerre, et de ne pas manifester une sympathie rituelle pour ses victimes.

    Comme l’aurait peut-être dit Albert Camus, nous avons vu un Israël englué dans un combat à la Sisy-phe contre le Hamas, les Palestiniens, les Arabes, les Musulmans, et une fraction croissante de l’opinion occidentale qui a de moins en mois de scrupules à afficher ouvertement son antisémitisme ranci sous le paravent de la solidarité envers des gens ma-nifestement favorables à un nouvel Holocauste contre les Juifs.

    La critique de l’opération militaire contre le Hamas leur avait fait oublier qu'en 2005 le gouvernement d’Ariel Sha-ron avait réalisé un retrait unilatéral de Gaza, remise aux représentants du peuple palestinien. L’armée avait reçu de Sharon et de son gouvernement l'autorisation d'utili-ser la force contre les habitants des implantations locales qui voulaient absolument rester sur place.

    Il avait fallu procéder à leur éviction forcée, malgré l’ab-sence de signe des Palestiniens indiquant qu’ils étaient disposés à vivre en paix aux cotés des Juifs. La nouvelle qu'à titre symbolique quelques Juifs au moins seraient bien acceptés , ou simplement tolérés , aurait indiqué que les Palestiniens s'étaient faits à l’idée d’une coexistence pacifique avec les Juifs. Un tel geste aurait témoigné d’un changement d'optique de leur part, en cohérence avec la

    promesse des accords d’Oslo au moment de leur signatu-re en 1993 […] Les Accords d’Oslo représentaient une bifurcation, dont l'une des branches conduisait à la ré-conciliation avec les Juifs. Elle n’a pas été empruntée par les Palestiniens.

    L’évacuation de Gaza était un test qu’Ariel Sharon propo-sait aux Palestiniens. Elle venait quelques quatre années après le détournement des avions de ligne américains par

    des terroristes arabes liés à Al-Qaeda. […]. Dans le monde, la plupart des gens exprimèrent leur répu-gnance devant le spectacle de la mort et de la dévas-tation, l’œuvre des auteurs des détournements de la matinée du 11 septembre 2001. Mais dans le monde musulman, il y a eu des gens pour les applaudir. Parmi eux des Palestiniens qui distribuèrent des dou-ceurs comme si une gran-de victoire avait été rem-portée. Néanmoins, les Israéliens désiraient avan-cer dans une direction sus-ceptible de conduire à un règlement entre Juifs et Arabes [palestiniens] fon-

    dé sur le principe de deux États en Palestine. C'était l’ob-jectif original du plan de partition de l’ONU que les Arabes avaient rejeté en novembre 1947.

    Cependant, avant de mettre en œuvre ce plan, il fallait créer un climat de confiance (c’était le raisonnement du premier ministre israélien de l’époque). Les Palestiniens allaient démontrer, en paroles et en actes, leur volonté de bâtir un "Singapour de la Méditerranée" florissant, et d'accepter les Juifs et Israël après un demi-siècle de rejet et de guerre.

    […]

    Les choses n'ont pas suivi le cours prévu. À l'époque [de Balfour], les Arabes n'étaient pas prêts - et ils ne le sont pas encore aujourd'hui - à reconnaître les Juifs - "l'autre,"- comme des égaux. Les Juifs pensaient de leur coté qu'ils avaient un droit légitime à un État, ce qui est indéniable qu'on examine le problème sous l'angle religieux, politi-que, ou moral.

    C'est cette négation de "l'autre," le refus de reconnaître que "l'autre" a aussi des droits égaux légitimes et des re-

    Le regard d’un musulman sur la Le regard d’un musulman sur la Le regard d’un musulman sur la guerre du Hamas contre Israëlguerre du Hamas contre Israëlguerre du Hamas contre Israël

    par par par Salim MansurSalim MansurSalim Mansur, Gatestone Institute 24 juillet 2014 (Extraits), Gatestone Institute 24 juillet 2014 (Extraits), Gatestone Institute 24 juillet 2014 (Extraits)

    Traduction: Traduction: Traduction: JeanJeanJean---Pierre BensimonPierre BensimonPierre Bensimon

  • 6 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    vendications historiques qui a fait de l'histoire des Arabes et des Musulmans dans leurs rapports avec "les autres" une horrible parodie de la justice jusqu'à notre époque. Et cela indépendamment des différences ethniques ou religieuses avec ces "autres." Cette histoire aux racines tribales anti-ques, s'incarne sous nos yeux sous la forme de combattants islamistes et de saccages « djiadistes » sur les terres du Croissant fertile, ou dans des guerres tribales avec des ar-mes modernes qui réduisent en cendres des Arabes et des Musulmans. Les antiques animosités sectaires entre les sunnites et les chiites ont retrouvé vie. Les minorités, com-me les Chrétiens d'Irak et de Syrie, dont l'histoire remonte aux temps des Apôtres, sont frappées de plein fouet par la tornade du fanatisme islamis-te qui se répand dans la ré-gion.

    Cette négation de "l'autre" donne une tonalité spécieuse et intéressée aux discours sur la droiture morale et la justice historique des Arabes et des Musulmans. Quand le pre-mier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, déclare pu-bliquement que les réponses du gouvernement israélien aux tirs de roquettes indiscriminés du Hamas, dépassent Hitler en barbarie, nous avons la preuve du manque de sé-rieux actuel des dirigeants musulmans dès que la compré-hension de l'histoire de "l'autre" est en jeu, et cela dure peut-être depuis longtemps.

    […]

    Les Arabes et les Musulmans, pour qui le Coran est la Parole de Dieu, doivent tout simplement lire ce Livre avec sincérité pour voir par eux-mêmes à quel point l'histoire des Juifs est présente dans leur texte sacré. Cependant, une lecture sin-cère exige au préalable de se purifier le cœur. Le Coran dit, "les yeux ne sont pas aveugles, mais les cœurs sont aveu-gles dans les poitrines" [22:46]. En d'autres termes, sans un cœur éclairé par la sincérité, tout effort en direction de la paix et de la justice - deux objectifs de la lutte contre les Juifs dans le discours des Arabes et des Musulmans - est un exercice futile, contradictoire avec les buts apparemment recherchés, puisqu'un respect symétrique est refusé à "l'autre."

    Dans un récent article du National Post sous le titre "L'improbable Goliath juif" George Jonas note que "les Juifs étaient le peuple du Livre, et les Arabes étaient les Guerriers du désert." Les circonstances des temps modernes ont transformé les Juifs en guerriers défendant leurs droits, mê-me si leur droit de se défendre rencontre le mépris des Ara-bes et des Musulmans, alors qu'eux-mêmes rasent les villes et les villages des "autres", dénoncés comme Infidèles ou pire encore.

    Dans une perspective culturelle et historique plus large,

    l'observation de George Jonas résume le problème et le dilemme des Juifs aux prises avec les Palestiniens, les Ara-bes, et les Musulmans, sur tous les fronts. Le Coran lui-même affirme de façon répétitive que les Juifs sont le pre-mier "peuple du Livre" (ahl al kitab) au sein des peuples considérés comme sémites par la race ou la langue. Qu'est-ce que cela signifie dans notre approche qui consiste à ob-server le passé à la lunette du XXIe siècle ? Je propose de donner au "peuple du Livre" le sens d'un peuple qui lutte pour la liberté et la justice par les moyens de l'intelligence, du raisonnement, de la réflexion, de l'introspection, du questionnement - en fait, de tous les questionnements, - et

    qui ne s'incline jamais devant le pouvoir s'il prétend quelque chose au nom de son autorité et non au nom de la raison. Ce questionnement doit même inclure Dieu, comme lors de l'affrontement (métaphorique) de Jacob avec Dieu, et ne pas faire abstrac-tion de la dignité humaine.

    Le contraire du "peuple du Livre," c'est rester irréducti-blement attaché à sa tribu, être animé par l'instinct et non par l'intelligence, magni-

    fier les codes guerriers, et interdire le raisonnement en l'ac-cusant de "subvertir" la culture de la tribu.

    Dans le monde arabo-musulman, on constate l'absence sidérante de la signification profonde de l'expression " peu-ple du Livre", c'est-à-dire d'une culture qui progresse à tra-vers la critique et l'introspection. Les Musulmans en vien-nent à sacraliser le Coran au lieu de le lire, de l'analyser, de réfléchir à son propos, de le contextualiser, et de le discuter publiquement en partant de l'idée que les significations de la Parole de Dieu sont infinies.

    Le Coran dit : "si tous les arbres de la terre étaient des plu-mes et les océans de l'encre, avec beaucoup d'autres océans pour les remplir, la discussion sur Dieu ne se terminerait jamais. » [31:27] Ce verset signifie, et c'est presque un aver-tissement pour les Musulmans, qu'aucun d'entre eux ne doit affirmer stupidement qu'il a le monopole de la lecture du Coran, car si c'était le cas, la majesté de Dieu serait réduite à la petitesse de l'homme.

    Néanmoins, le Coran a été transformé par beaucoup de Musulmans en une arme pour tuer, mutiler, détruire, rédui-re en esclavage, et paradoxalement, pour prévenir efficace-ment le développement d'une culture des livres, en d'autres termes, d'une culture des Lumières. En l'absence de cette culture des Lumières, le monde trouve chez les Arabes et les Musulmans une culture de l'envie, du déni, du ressenti-ment, du fanatisme, dont les bouillonnements conduisent à un état de guerre larvée pour régler, pour un temps, des différends sans cesse ravivés, dans un cycle sans fin de mu-tilations et de meurtres. Le tout en accusant "les autres" de

    Le regard d’un musulman Le regard d’un musulman Le regard d’un musulman

    sur la guerre du Hamas contre Israël sur la guerre du Hamas contre Israël sur la guerre du Hamas contre Israël (suite)(suite)(suite)

  • 7 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    la poursuite de cette sinistre comédie.

    Dans ces conditions, il n'y a pas le moindre espoir que les Juifs, en tant que "peuple du Livre," puissent apaiser les Arabes et les Musulmans, faire la paix avec les Palesti-niens, ou renoncer à se défendre aussi efficacement qu'ils le doivent pour se préserver de l'absurdité et de la mal-veillance d'un peuple qui a transformé la Parole de Dieu en culte de la mort.

    Les Musulmans, ou nombre d'entre eux, ont cadenassé leur cœur, bouché leurs oreilles, fermé leurs yeux, tant et si bien qu'ils cheminent sans émois vers le désastre qu'ils ont choisi d'embrasser. Ceux qui s'interrogent sur l'imbé-cillité pure et simple d'une telle conduite sont immédiate-ment qualifiés d'apostats ou d'hérétiques.

    Et il y a en Occident des gens qui encouragent les Palesti-niens à suivre une voie des-tructrice avec de faux argu-ments de moralité, une complaisance victimaire, l'évocation de droits hu-mains, sans porter la moin-dre attention aux droits historiques des Juifs, insis-tant pour leur interdire ce qu'ils feraient eux-mêmes dans une situation similai-re, face à des abus et des violences sans fin.

    Encore que derrière les soi-disant "cycles de violence" qui défigurent la terre où les prophètes ont marché et prêché la Parole de Dieu, la promesse de la paix par la réconciliation soit tou-jours présente. C'était évi-dent en novembre 1977 lors de la visite du président égyptien Anouar Sadate à Jérusalem, poursuivant des objectifs sincères dans sa recherche de la paix. Israël tout entier s'est immobilisé pour souhaiter la bienvenue à Sadate à l'instant où le pre-mier ministre israélien de l'époque, Menahem Begin, le recevait. Israël a rendu le Sinaï en échange d'une paix du-rable avec l'Égypte, une paix que le Caire a préservée jus-qu'à nos jours.

    Mais avec Yasser Arafat les intentions de paix étaient marquées par un manque de sincérité, toujours absente quand les Palestiniens refusent de reconnaître les Juifs comme "l'autre", avec ses droits propres. La négation de ces droits signifie qu'ils ne désirent pas la paix.

    Quant à moi, malgré les douleurs et la fureur de la bataille qui embrase Gaza, je chéris le doux souvenir d'une visite à Jérusalem. C'était un samedi soir, juste avant la fin du shabbat juif. J'arpentais la rue de Jaffa dans le quartier de

    la Vieille Ville pour aller dire mes prières du soir sur le Dô-me du Rocher. Plus tard, comme la lune brillait, je me dirigeais vers le Mur Occidental, et là, parmi mes frères juifs absorbés dans leurs prières, je récitais quelques ver-sets du Coran en priant pour la paix de tous les enfants de Dieu. J'ai passé alors une bonne partie de la soirée assis sur la place du Mur occidental, bruissant de la clameur d'un peuple qui célébrait joyeusement les rituels de sa foi tout autour de moi. Je me souviens que plus tôt dans la soirée, quand j'avais voulu entrer sur le Mont du Temple en direction du Dôme du Rocher, je fus stoppé par des gardes de sécurité palestiniens qui avaient exigé que je leur prouve que j'étais bien un Musulman en récitant quel-ques versets du Coran, ce que je fis. Tandis qu'en prenant le chemin du Mur occidental, j'avais passé la sécurité israélienne à l'entrée de la Place sans avoir à répondre à

    des questions, sans que personne ne me fasse des remarques suspicieuses. Ce fut un soulagement et un signe. J'ai ressenti, qu'en un lieu de prière aussi sacré que le Mur occidental, tout pèlerin en quête sincère de réconciliation avec "l'autre" devait être sincère dans ses efforts pour que la Parole de Dieu illumine son cœur. Le reste vient tout aussi facilement qu'une respira-tion.

    Si seulement les Arabes et les Musulmans finissaient d'être des Guerriers du dé-sert et apprenaient à être un peuple du Livre, prier au Mur occidental serait aussi facile et euphorisant pour eux que prier au Dôme du Rocher. Les querelles d'hier seraient écartées dans la célébration de la paix qui

    suit la réconciliation avec "l'autre". En quittant le Mur oc-cidental, j'ai senti, avec une quasi certitude, que les Juifs attendaient encore que les Palestiniens, les Arabes, et les Musulmans les reconnaissent comme "l'autre", avec de la peur et de l'espoir dans leur cœur qui n'est pas différent du notre. Une fois cette reconnaissance acquise, il y aurait une réconciliation et la fin de tant que querelles absurdes. Ces querelles persistent, le bruit de la bataille est toujours plus fort que l'appel à la prière. Cela signifie que dans la logique impénétrable et hostile du Hamas et de ses sou-tiens Palestiniens, des Arabes et des Musulmans, la guer-re sans fin contre les Juifs est encore jugée préférable à la réconciliation et à la vie à leur cotés dans la paix.

    Titre original : Hamas's Absurd War against Israel

    http://www.gatestoneinstitute.org/4468/hamas-war-israel

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    http://www.gatestoneinstitute.org/4468/hamas-war-israel

  • 8 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    Il y a eu au cours de l'été cette héroïque défense d'Israël arrosé sur tout son territoire par une épouvantable pluie de 4.500 roquettes. Elle suivait les enlèvements de trois de ses adolescents au sortir de leur école, et leur froide exécution, un traumatisme inouï pour la nation. Pendant près de deux mois, dans un concert d'alarmes stridentes, toute une po-

    pulation s'est ruée nuit et jour dans les abris, les entrées d'immeuble et les magasins, quand elle ne se couchait pas à même le sol, à distance des véhicules, comme le prescri-vaient les consignes. A peu près au même moment l'État islamique (EI) prenait Mossoul et étalait dans les média, avec toute l'arrogance de sa foi, les destructions massives, la déportation des habitants, les boucheries de masse, les décapitations, l'enlèvement et la vente des femmes.

    L'Occident a tressailli devant ces horreurs, y voyant l'œuvre du "terrorisme islamique." Il était d'autant plus inquiet de l'avènement de ce "terrorisme" qu'après la décomposition de l'État syrien, l'État irakien se disloquait à son tour, an-nonçant un risque généralisé sur les structures politiques du Moyen-Orient.

    En revanche, dans le cas d'Israël arrosé de roquettes, si le Hamas était désavoué du bout des lèvres, Jérusalem deve-nait la cible d'une campagne médiatique féroce en Europe. Jacques Attali, l'un des plus vils, accusait "le gouvernement d'Israël... de tirer aveuglément sur les civils palestiniens." François Hollande parlait de "massacre" et Laurent Fabius de "carnage" pour désigner les tentatives d'Israël de mettre fin au déluge de feu, et de neutraliser les tunnels d'attaque contre son territoire. Le Hamas se transmutait en "résistant" plus qu'en "terroriste," et, à la différence de l'EI,

    son attaque brutale de la démocratie voisine était ramenée mezzo voce à un simple épisode d'un conflit d'importance secondaire, localisé et sous contrôle.

    Double illusion: l'EI n'est ni "terroriste" ni "résistant," pas plus que le Hamas. Ils sont l'un et l'autre djihadistes. La menace de l'EI est "stratégique," mais celle du Hamas l'est

    tout autant. L'EI et le Hamas sont deux bras d'une même pieuvre qui s'acharne sans répit à modifier les cartes du pouvoir dans la région, en rêvant de soumettre un jour le monde entier à la "vraie reli-gion."

    Terrorisme ou djihadisme?

    Le terrorisme consiste à utiliser une violence par-fois sans limites, comme les bombes au milieu de la foule, à des fins politiques, hors de toute légali-té, et sans épargner les civils. Il escompte que la terreur provoquée par les destructions, les mutila-tions, et les morts, désorientent ses adversaires et les fassent céder.

    Le terrorisme se distingue radicalement du djihadisme:

    1 - Les objectifs du terrorisme sont particuliers et limités: ce dernier vise un gouvernement, un groupe, une catégorie sociale, et ses motifs sont rarement religieux. Les démar-ches de l'IRA, de l'ETA, des Brigades rouges italiennes, d'Action directe, sont de bons exemples du terrorisme contemporain. Comparativement, les objectifs du djihadis-me sont extraordinairement amples, touchant le monde entier et le destin de l'humanité : répandre la soumission à Allah à toute la planète, implanter la charia (loi islamique), mettre fin partout au pouvoir des Infidèles, telles sont ses perspectives;

    2 - Les méthodes et les moyens d'action divergent: le mo-de d'action principal et souvent unique du terrorisme est la violence. Le djihadiste lui, dispose d'une panoplie infini-ment plus variée. Il peut "répandre la Parole de Dieu," par la prédication. A l'autre bout, il combat "sur le chemin de Dieu", c'est à dire qu'il mène la guerre sainte contre les pouvoirs Infidèles" ou "Hypocrites" (les faux-musulmans). Le djihadiste ne commet jamais d'acte terroriste puisqu'il ne reconnait pas les lois des hommes et leurs interdits concernant la violence: il se contente d'agir au service d'Al-lah selon les prescriptions de la charia. Et à la différence du terroriste qui réaliste des "coups" ponctuels successifs, son

    Illusions d’optique occidentalesIllusions d’optique occidentalesIllusions d’optique occidentales JeanJeanJean---Pierre BensimonPierre BensimonPierre Bensimon

    Le diagnostic des dirigeants occidentaux sur le chaos actuel au Moyen-Orient semble gravement faussé par trois illusions d'optique, explicables sans doute autant par la naïveté que le calcul :

    - la confusion entre le terroriste et le djihadiste;

    - la sous-estimation du risque stratégique global posé par un Hamas militarisé;

    - l'idée que l'Iran, reconnu comme puissance régionale, pourrait jouer un rôle stabilisateur.

    Hassan al-Banna

  • 9 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    utilisation de la violence s'inscrit dans une vaste guerre sainte, avec une stratégie et des tactiques. Cela durera éventuellement pendant des générations, comme l'en-seignait Yasser Arafat à ses ouailles. Au-delà de la guerre et de la prédication, le champ d'action du djihadisme s'étend naturellement aux modalités annexes de la conquête du pouvoir : aux sphères diplomatique, juridi-que, médiatique, technologique, artistique, etc. Le djiha-diste mène alors le djihad diplomatique (Mahmoud Ab-bas, Hassan Rouhani), le djihad judiciaire, le djihad tech-nologique... qui sont autant d'efforts sur le chemin d'Allah;

    3 - Les acteurs du terrorisme ont peu de choses en commun avec ceux du djihad: les terro-ristes ont en commun l'ethnie, la nation, l'appartenance à un groupe social, un adversaire donné. Les acteurs du djihadis-me sont innombrables puisqu'il suffit d'appartenir à l'espèce humaine pour rejoindre ses rangs. Tout être humain ayant récité la profession de foi est susceptible de devenir un dji-hadiste, de petit ou de haut grade. Il n'y a aucune barrière induite par la nationalité (une notion humaine et non divine), la race, les frontières, la tribu, l'appartenance sociale, la langue... C'est ainsi que de jeunes français ne parlant pas l'arabe sont intégrés aux forces du djihad en Syrie ou en Irak, de plein droit en vertu de leur foi, et non en tant que "Brigade internationale." Tous sont "frères" en religion, du combattant du Hamas, de Boko Aram, ou du Mujao, aux hommes de Jabbat al Nosra, ou du calife Abou Bakr al Baghdadi. Les terroristes ont peu d'amis, ceux du dji-hadiste ne se comptent pas;

    4 - L'inscription dans la durée différencie aussi terroris-me et djihadisme: l'agenda du terrorisme découle de ses objectifs, qui sont limités. Relativement au djihadisme, son horizon est proche. Celui du djihadisme, planétaire, est au-delà de la vie humaine. Il est recommandé au moudjahid "d'aimer la mort;" il ne verra jamais le fruit de son sacrifice, du moins sur terre. Avec l'évolution du rap-port de forces, la stratégie et les objectifs du djihad chan-gent, la conquête progresse par étapes. L'OLP offre l'exemple particulièrement significatif d'un djihad par étapes, formalisé dans la Résolution du Caire du 9 juin 1974. Dans la phase actuelle, en vertu de son évaluation du rapport des forces, Mahmoud Abbas met provisoire-ment l'accent sur le djihad diplomatique plutôt que mili-taire. Il se tourne vers l'ONU, tente d'élargir une coalition

    mondiale contre Israël, avec des revendications limitées : le retrait d'Israël sur les lignes de 1967 et la re-division de Jérusalem. Mais ce n'est pas de la diplomatie, c'est le djihad. A l'étape suivante, le territoire concédé par Israël devient une nouvelle base avancée du combat sacré, avec des volets politiques, diplomatiques, médiatiques, et militaires adaptés. Les deux grandes erreurs stratégi-ques d'Israël (l'évacuation du Liban sud en mai 2000 et de Gaza en août 2005, sous les insistants auspices des Etats-Unis) ont montré cruellement que le djihad est un virus

    mutant qui ne perd jamais de vue ses objectifs stratégiques. Le terrorisme est un virus infi-niment plus modeste ;

    5 - La dernière différence entre le terrorisme et le djihadisme réside dans le corpus doctrinal. Le fond doctrinal du terrorisme est extrêmement sommaire ; l'anarchisme, le nihilisme, le totalitarisme pour le terrorisme d'État. Le djihadisme, au contraire, repose sur un socle idéologique et théorique consi-dérable. On peut le rattacher au Coran des début de l'Islam (le mot djihad y figure 41 fois) et à l'école de Ibn Hanbal du début du 9ème siècle. De nom-

    breux stratèges/théologiens l'ont enrichi dans des œu-vres imposantes : les plus connus sont Ibn Taymiyya au 14ème siècle, Abd al Wahhab au 18ème siècle, Maulana Maududi et Sayyid al Qotb au 20ème siècle.

    En cataloguant comme "terroristes" des actes commis dans le cadre du djihad, l'Occident masque la réalité et l'ampleur de la menace. Cette requalification du djihad en terrorisme est inconnue dans le monde islamique où les horreurs de la guerre sainte déclenchent parfois l'en-thousiasme, comme à l'annonce des exploits du 11 sep-tembre. Elle "innocente" aux yeux des Occidentaux la "religion de paix et de tolérance" de la violence et de la barbarie de certains de ses adeptes engagés "sur le che-min de Dieu." C'est une tartufferie. Ce sont des musul-mans et non des anarchistes ou des nationalistes qui mettent aujourd'hui le Moyen-Orient en feu, et qui sacri-fient leur vie pour le triomphe de leur foi, de l'islam. Les mêmes, enhardis par leurs victoires, louchent vers l'Euro-pe, une autre terre à purifier. Tant que l'Occident inven-tera des "terroristes" ou des "résistants" pour masquer les djihadistes, il ne pourra pas élaborer une réponse adé-quate et cohérente. En attestent ses difficultés à com-prendre l'affection et le respect sonnants et trébuchants que réservent à ces soi-disant "terroristes," ses alliés de la

    Illusions d’optique occidentales Illusions d’optique occidentales Illusions d’optique occidentales (suite)(suite)(suite)

    Sayyid Qotb

  • 10 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    coalition contre EI, les Saoudiens, les Qataris, les Turcs, etc.

    Tout cela ne signifie pas que tous les musulmans adeptes du jihad pratiquent leur foi à l'unisson ou selon les mêmes méthodes. Ils divergent, polémiquent, se font la guerre, se réconcilient parfois. Le djihad de Mahmoud Abbas et celui de Khaled Meschaal, leurs méthodes, leurs objectifs opéra-tionnels, leurs priorités, sont différents. Mais leur but stra-tégique est identique, Mahmoud Abbas l'a dit et répété, et il faut avoir une âme européenne ou washingtonienne pour ne pas l'entendre.

    L'assimilation du djihadiste à un "terroriste" (ou un "résistant," dans la sémantique de légitimation en Occident) a l'avan-tage, on l'a vu, d'épargner à l'islam et aux mu-sulmans le far-deau des actes de barbarie médiati-sée des "soldats de Dieu" bien qu'ils lèvent haut le Coran. Elle a le grave inconvénient d'amener les autorités occidentales à traiter le djihadisme comme un phénomène terroriste et de lui apporter de simples réponses policières et militaires. Or le djihad est une idéologie toxique et funeste qui doit être traitée en tant que telle. Par exemple en s'en prenant à ses foyers de diffusion, à son financement, aux filières qui l'acheminent au plus près de ses premières victimes: les populations musulmanes et les convertis. Cela renvoie à la questions essentielle des alliances entretenues par l'Occi-dent, les Etats-Unis en tête, avec les pétro-théocraties, architectes de cette peste contemporaine. Et second exemple, il est possible d'agir en accordant des soutiens massifs aux vraie élites arabo-musulmanes, remarquables et nombreuses, qui tentent de moderniser l'islam et d'abro-ger ses archaïsmes.

    Le risque stratégique posé par l'EI et le Hamas

    Un sentiment d'impuissance et d'inquiétude a saisi l'Occi-dent au spectacle de l'offensive d'al Baghdadi et des mons-truosités qui l'ont accompagnée. Benjamin Netanyahou a souligné l'unité profonde des mouvements djihadistes, du Hamas à Boko Aram en passant par l'EI, "fruits du même arbre empoisonné." La Maison Blanche a radicalement re-jeté cette analyse. Elle a identifié le risque stratégique de l'EI et de son califat sur les États éclatés (Syrie, Irak) ou fra-gilisés du Moyen Orient, l'Arabie saoudite, la Jordanie et les

    Émirats du Golfe. Mais elle tient à respecter la susceptibili-té de ses alliés arabes et à préserver l'unité de l'étrange coalition imaginée pour "dégrader" et "détruire" l'EI. Elle refuse donc de reconnaitre la profonde unité doctrinale du Hamas, de Boko Haram, de l'EI et de beaucoup d'autres.

    Ce qui est plus grave à moyen terme, c'est que la Maison Blanche ne voit pas que le Hamas est une force au moins aussi toxique que l'EI pour d'autres États-clé du monde ara-be. En effet, le Hamas, aux avant postes de la propagation de l'idéologie des Frères musulmans, est inlassablement impliqué dans des menées djihadistes, contre Israël, mais

    aussi contre les "modérés" de Ra-mallah, et surtout l'Égypte, qui com-bat les clones de l'EI et du Hamas au Sinaï et sur sa frontière libyenne. Les liens du Ha-mas avec le Hez-bollah ne font pas non plus l'affaire des Saoudiens ni des Jordaniens. Combattre l'EI et épargner le Ha-mas, ne pas faire

    de sa démilitarisation une priorité occidentale, c'est l'assu-rance de l'échec de la coalition et d'une la fragilisation sup-plémentaire au cœur du monde arabe. C'est la seconde illusion d'optique grave dont il faut prendre conscience.

    L'Iran comme futur stabilisateur du Moyen-Orient

    La troisième illusion d'optique est de loin la plus grave. Dans le désir ardent d'éviter à tout prix l'affrontement di-rect avec les moudjahids fanatiques de l'EI, nombre d'Occi-dentaux se sont inventé le conte apaisant d'un Iran fré-quentable, prêt à d'endiguer le chaos qui ronge le Moyen-Orient, une fois adoubé comme puissance régionale. Fran-çois Hollande et d'autres voulait l'inviter aux conférences de la coalition. Le sénateur américain Lindsay Graham avait ouvert la voie avant de se rétracter, et John Kerry a lancé des ballons d'essai, au point qu'il est difficile de se faire aujourd'hui une idée précise de la position américaine, laquelle intègre dans ses calculs l'éventualité d'un accord avec Téhéran sur le dossier nucléaire.

    Au niveau zéro de l'analyse, l'Iran semble légitime. Il parait être un État relativement solide, dont les institutions fonc-tionnent, et qui affiche un esprit de conciliation et de mo-dération depuis le remplacement d'Ahmadinejad par Has-san Rouhani. Mais quand on remise les fantasmes et les mirages, l'étiquette de modération de l'Iran se dissipe vite.

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  • 11 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    Non seulement l'Iran a armé le Hamas et le Hezbollah, et entrainé leurs moudjahids, mais les généraux des Gardes de la Révolution ont inventé le binôme tactique missiles/guerre des souterrains qui pose un défi si complexe à Israël. Rouhani s'est engagé en septembre à réarmer le Hamas et à libérer al Qods (Jérusalem). Lors de sa derniè-re attaque à la bombe dans le nord d'Israël, le Hezbollah qui agit sur instructions iraniennes, dit avoir envoyé un "message" à l'État juif, c'est-à-dire proféré une lourde menace. L'Iran continue de tenir à bout de bras le régime massacreur de Assad. Téhéran agit aussi puissamment au Yémen. Ce pays, de 24 millions d'habitants et porte de la Mer Rouge, vient de basculer entre les mains des rebel-les Houthis. Ce sont des chiites appartenant à l'obédien-ce zaïdite alors que les Iraniens sont duodécimains. Cela n'a pas empêché Téhéran de les armer et de les entrainer des années durant, avec le concours du Hezbollah, pour aboutir au renversement stratégique d'aujourd'hui. Des Houthis auraient même été envoyés sur le front syrien.

    En un mot l'Iran est le premier foyer du djihad mondial. Il est à l'offensive sur tous les fronts qu'il a ou-verts depuis des dé-cennies et il demeure le premier sponsor du djihadisme mon-dial. Le régime des mollahs reste le régi-me expansionniste de la "vraie foi" qu'il a toujours été. Quand en 1991, au sortir de la guerre avec l'Irak, on demandait à Ali Khamenei: "Cherchez-vous à préserver l'intégrité de notre terre ou son extension?", il répondait, "Nous voulons son extension". En 2008, l'actuel chef des Gardiens de la révolution, Mohammad Ali Jafari, confir-mait: "Notre imam n'a pas limité le mouvement de la Révo-lution islamique à ce pays, il a tracé de plus vastes hori-zons." Aujourd'hui, l'Iran poursuit son programme d'ar-mement nucléaire dans les filières uranium et plutonium, et de développement de missiles balistiques. Les négo-ciations avec le groupe P 5 + 1 piétinent depuis plus de six mois car l'Iran veut accroitre et non pas réduire le nombre de ses centrifugeuses, conserver la filière plutonium, et refuser de mettre sur la table ses missiles intercontinen-taux, conformément aux "vastes horizons" djihadistes souhaités plus haut.

    Ce régime "modéré" s'illustre aussi en politique intérieu-re. Depuis l'élection de Rouhani, il y a quinze mois, le ré-gime a exécuté officiellement 1.000 peines de mort, ce

    qui en fait le numéro 1 mondial du nombre d'exécutions par habitant. Aujourd'hui, un ayatollah, Hossein Kazama-ni Boroujerdi, le "Mandela" iranien, partisan de la sépara-tion entre la religion et l'État, attend la mort dans sa cel-lule de Evin. Reyhaneh Jabbari, condamnée à 19 ans à la même peine pour avoir poignardé un homme qui voulait la violer, pourrait avoir été sauvée après un simulacre d'exécution. Son cas avait pu être évoqué à l'ONU. Ghon-cheh Ghavami, une juriste formée à Londres attend son jugement en prison, depuis plusieurs mois, pour avoir assisté à un match de volley-ball masculin. Les peines d'amputation et de flagellation, la lapidation, et l'exécu-tion capitale bien sûr, font toujours partie de l'arsenal pénal iranien, celui de la charia.

    On a beaucoup parlé de l'élection démocratique de Has-san Rouhani, à la différence de son prédécesseur Ahma-dinejad dont la reconduction truquée avait provoqué une phase d'émeutes, la Révolution verte de 2009. Mais il est aujourd'hui certain que l'élection de Rouhani a été tout

    aussi frauduleuse, et le peuple iranien en-core une fois berné (voir l'étude de Marie Ladier-Foulani in Confluence Méditerra-née Hiver 2013/2014).

    Et pour résoudre l'équation de l'EI, pour stabiliser la ré-gion en ébullition, c'est au premier régi-me djihadiste au monde que l'Occident remettrait les clés du Moyen-Orient ! Quel-

    le illusion ! D'autant que pour isoler l'EI et le priver de sa principale ressource en hommes, la seule option est de convaincre les tribus sunnites de lui retirer leur soutien. Or la seule évocation d'une interférence chiite dans la coalition d'Obama suffirait à les river un peu plus à Abou Bakr al-Baghdadi. Le chiisme est un souvenir cauchemar-desque pour ces tribus; par le truchement de Nouri al Maliki, l'ancien chef de l'Irak, l'Iran leur avait porté des coups terribles.

    Faute d'une analyse réaliste de la décomposition des États dans le monde arabe et du rôle clé de l'Iran dans ce processus, faute de leadership avec une Europe sans co-lonne vertébrale et un président américain prisonnier de ses étroites certitudes, l'Occident est toujours "dépourvu de stratégie," comme l'a concédé un temps Obama. La coalition qu'il a bâtie a la prestance d'un polichinelle mili-taire. Le djihad est plus que jamais à l'offensive. Son chef d'orchestre est l'Iran. Il est temps d'ouvrir les yeux.

    Illusions d’optique occidentales Illusions d’optique occidentales Illusions d’optique occidentales (suite)(suite)(suite)

  • 12 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014

    Le monde est en flammesLe monde est en flammesLe monde est en flammes Henry Kissinger , pour The Sunday Times. Publié le 31 août 2014 Traduction : Jean-Pierre Bensimon Titre original : The World in Flames Dans ce texte puissant et dense, Henry Kissinger, 91 ans, offre une grille de lecture historique et politique des bouleversements qui sont en train de décomposer les structures du Moyen-Orient issues de l’effon-drement de l’Empire ottoman à la fin de la 1ere guerre mondiale. Il caractérise clairement le bouillonne-ment des forces émergentes, montrant que l’ordre international hérité du traité de Westphalie est en train d’être emporté. Il appelle enfin à une prise de conscience et une action urgente de l’Occident.

    L'Égyptien Hassan al-Banna était horloger et maître d'école, en même temps qu'un autodidacte et un agitateur religieux de grande l'audience. Il publia au printemps 1947 une criti-que des institutions égyptiennes de l'époque du roi Farouk où il proposait une alternative islamique à l'État laïque.

    Dans une langue étudiée, poliment bien que son propos soit radical, al-Banna exposait les principes et les aspirations de la Société égyptienne des Frères Musulmans (communément appelée "Frères Musulmans"), qu'il avait fondée en 1928 pour combattre la déchéance où se vautrait selon lui son pays, une décrépitude imputable à l'influence étrangère et au mode de vie laïque.

    Al-Banna soutenait que l'Occident, "longtemps brillant grâce à ses performances scientifiques… connaissait désormais la faillite et le déclin". Selon lui, ses fondations se décompo-saient tandis que ses institutions et ses valeurs cardinales tombaient en ruine. Bien qu'il n'utilisait pas ces concepts, al-Banna soutenait que l'ordre mondial issu du traité de West-phalie dont nous avons hérité, avait désormais perdu sa légi-timité et son autorité.

    Il n'y a jamais eu un "ordre du monde" véritablement univer-sel. L'ordre de notre époque, tel que nous le comprenons, a été imaginé il y a près de 400 ans lors de la conférence de paix de Westphalie, une région d'Allemagne, après un siècle de conflits au cœur de l'Europe. Cet ordre consistait en un système d'États indépendants, acceptant la non-ingérence dans les affaires intérieures de leurs pairs, les ambitions des uns et des autres étant limitées par l'équilibre entre les pou-voirs en présence.

    Le système "westphalien" s'est généralisé, donnant naissan-ce à un ordre international centré sur les États. Il s'est impo-sé un peu partout, couvrant de nombreuses civilisations, parce qu'il accompagnait l'expansion des nations européen-nes porteuses de ses principes. Al-Banna annonçait, quant à lui, que les conditions favorables à l'émergence d'un nouvel ordre mondial basé sur l'islam étaient désormais réunies.

    Pour lui, si une société s'investissait "totalement et exclusi-vement" dans un projet visant à restaurer les principes origi-naux de l'islam et à construire un ordre social fondé sur les prescriptions du Coran, la "nation islamique dans sa totalité", c'est-à-dire tous les musulmans du monde, "la soutiendrait". "L'unité arabe" et même "l'unité islamique" en découlerait.

    Une expression véritable de la foi des musulmans, soutenait Al-Banna, ferait converger de multiples sphères de la société en un système islamique unifié qui pourrait un jour régir "le monde entier".

    A l'égard des non-musulmans, les premiers Frères musul-mans conseillaient "la protection, la modération, et une pro-fonde équité," tant que ces derniers ne s'opposaient pas à cette évolution et conservaient une attitude de respect.

    Assassiné en 1949, al-Banna n'a pas eu le temps d'expliquer en détail comment il envisageait de concilier l'ambition révo-lutionnaire de son projet de transformation du monde et les principes de tolérance et d'amitié entre les civilisations dont il se réclamait.

    Depuis lors, de nombreux penseurs et mouvements islamis-tes ont résolu cette ambiguïté en optant pour un rejet fonda-mental du pluralisme religieux et de l'ordre international laïque.

    En 1964, l'idéologue des Frères musulmans, le docteur en religion Sayyeb Qotb, rédigeait une déclaration de guerre contre l'ordre du monde existant, devenue le texte fonda-teur de l'islamisme moderne.

    Selon Qotb, l'islam est un système universel qui propose la seule forme de liberté véritable : celle qui libère de la gouver-nance des hommes par les hommes, celle qui affranchit des doctrines édictées par les hommes ou des «formes d'associa-tion sectatrices fondées sur la race ou la couleur, la langue ou le pays, les intérêts régionaux et nationaux», ce qui recou-vre en fait toutes les formes modernes de gouvernance et des pans entiers de l'ordre "westphalien".

    Selon Qotb, à l'époque moderne, l'islam a pour mission de renverser cet ordre dans son ensemble et de le remplacer par l'implémentation du Coran dans une version littérale, et un jour mondiale. Comme dans toutes les utopies, des mesu-res extrêmes étaient nécessaires pour réaliser cette mise à jour idéologique. Alors que la plupart de ses contemporains reculaient devant l'emploi des méthodes violentes qu'il pro-posait, un noyau de partisans dévoués commença à se for-mer.

    Dans un monde globalisé majoritairement laïque, convaincu qu’il a surmonté les chocs idéologiques de "l'histoire", les options de Qotb et de ses partisans semblent tellement ex-trémistes qu'elles ne méritent pas une attention sérieuse. Cependant, pour les islamistes fondamentalistes, ces thèses représentent des vérités supérieures aux normes de l'ordre international.

    Cette vision a sonné le ralliement des radicaux et des djiha-distes du Moyen-Orient et au-delà. Al Qaeda, le Hamas, le Hezbollah, les Talibans, le régime clérical de l'Iran, Hizb ut-Tahrir (le parti de la Libération, actif en Occident et ouverte-ment partisan du rétablissement du califat dans un monde

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    Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014 13

    dominé par l'islam), Boko Haram au Nigéria, la milice extré-miste syrienne Jabhat al-Nosra et l'État islamique en Irak et en Syrie (EIIS) à l’origine d'une grande offensive militaire cette année, leur ont fait écho.

    Le principe directeur de cette conception de l'ordre du monde est la pureté, et non pas la stabilité. Dans la version intégriste de l'islamisme, l'État ne peut pas être le socle d'un système international, parce que les États sont laïcs et donc illégitimes ; au mieux, ils peuvent constituer un statut transitoire débouchant sur une entité religieuse de grande taille. La non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ne peut pas être érigée en principe de gouver-nement: la fidélité à la nation est une déviation de la vérita-ble foi, et les djihadistes ont le devoir de transformer le monde des Infidèles.

    Pendant une brève période, les Printemps arabes apparus à la fin de 2010 ont soulevé l'espoir que les coups portés aux forces de l'autocratie et du djihad dans la région, et une nouvelle vague de réformes, ôteraient tout bien-fondé à cette vision du monde.

    Les Printemps arabes ont commencé par le soulèvement de la nouvelle génération aspirant à une démocratie libérale. Elle a vite été marginalisée, détournée de ses objectifs et écrasée. L'euphorie s'est transformée en paralysie. Les for-ces politiques existantes, nichées dans l'appareil militaire et dans la sphère religieuse du pays, se sont avérées plus for-tes et mieux organisées que les éléments de la classe moyenne qui manifestaient pour les principes démocrati-ques sur la Place Tahrir.

    Quant le régime militaire a été restauré au Caire, le dilem-me jamais tranché entre les impératifs de sécurité et la pro-motion de formes de gouvernement humaines et légiti-mes , a provoqué une fois de plus la relance d'un débat aux États-Unis.

    Dans ses débuts, la révolution syrienne semblait le siège d’une répétition des événements d'Égypte. Les États-Unis firent pression pour arriver à une "solution politique" par le canal des Nations unies. Ils souhaitaient le renversement du président Bachar al-Assad et l'établissement d'un gouver-nement de coalition. Ils ont constaté avec accablement que les membres du Conseil de sécurité titulaires d'un droit de veto refusaient aussi bien ce scénario que des mesures mili-taires alternatives. De plus, bien peu d'éléments de l'oppo-sition armée qui avait fini par s'organiser pouvaient être considérés comme démocratiques, et plus ou moins modé-rés.

    C'est ainsi que le conflit a dépassé la seule question du sort de Assad. Les principaux acteurs syriens et régionaux mon-traient qu'ils ne faisaient pas la guerre pour la démocratie mais pour confisquer le pouvoir à leur profit. La démocratie ne les intéressait que si elle favorisait l'enracinement de leur groupe ; pas un d'entre eux n'aurait soutenu un système ne contribuant pas à l'emprise de leur parti.

    Une guerre uniquement destinée à renforcer les normes des droits de l'homme, indépendamment de ses consé-quences géostratégiques ou géoreligieuses, était inconce-vable pour l'écrasante majorité des opposants au régime.

    Le conflit, tel qu'ils le percevaient, n'opposait pas un dicta-teur aux forces de la démocratie, mais des groupes syriens concurrents et leurs soutiens régionaux. De ce point de vue, la guerre devait déterminer quel groupe syrien significatif allait réussir à dominer les autres et à contrôler ce qui res-tait de l'État syrien.

    Les États de la région fournissaient des armes, de l'argent, et un soutien politique au seul bénéfice de leur groupe pré-féré. L'Arabie Saoudite et les États du Golfe en faveur grou-pes sunnites, et l'Iran pour Assad, par le truchement du Hezbollah. Les combats conduisant à une impasse, les groupes en présence devinrent plus radicaux, et les tacti-ques de guerre plus brutales et oublieuses des droits de l'homme, de part et d'autre.

    Par ailleurs, l'affrontement a fini par modifier la configura-tion politique de la Syrie, et peut-être de la région. Les Kur-des syriens ont créé une entité autonome le long de la fron-tière turque, qui pourrait un jour se fondre avec l'entité kur-de autonome d'Irak. Les communautés druzes et chrétien-nes, craignant la reproduction du comportement des Frères musulmans d’Égypte envers ses minorités, hésitaient à mili-ter pour le changement de régime en Syrie, et firent séces-sion en tant que communautés autonomes. Les djihadistes de EIIL établissaient un califat sur un territoire couvrant une partie de la Syrie et de l'ouest de l'Irak, où Damas et Bagdad étaient visiblement incapables d'imposer leur loi.

    Les principaux acteurs pensent qu'ils se battent pour leur survie ou, dans le cas de certaines forces djihadistes, dans un conflit qui annonce l'apocalypse. En refusant d'influer sur le rapport des forces, les États-Unis révélaient qu'ils avaient des arrière-pensées soigneusement dissimulées, peut-être un accord final avec l'Iran, ou qu'ils n'étaient pas désireux d'en savoir plus sur les conditions à réunir obtenir pour un équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient.

    Quand l'Amérique a appelé le monde à soutenir les aspira-tions à la démocratie et à renforcer l'interdiction des armes chimiques conformément au droit international, des puis-sances comme la Russie et la Chine ont fait front en invo-quant le principe de non-ingérence.

    Ces deux puissances analysaient d'abord les soulèvements de Tunisie, d'Égypte, de Libye, du Mali, du Bahreïn, et de Syrie au prisme de leur propre stabilité régionale et du comportement souvent rétif de leur population musulma-ne. Conscientes que les combattants sunnites les plus com-pétents et dévoués étaient des djihadistes avérés, la Russie et la Chine s'inquiétaient de l'éventualité d'une victoire ca-tégorique des opposants de Assad.

    En l'absence d'un consensus international et avec une op-position divisée, le soulèvement entamé en Syrie pour le respect des valeurs démocratiques dégénérait en l'un des désastres humanitaires majeurs du début du XXIe siècle, suivi de l'implosion de l'ordre régional.

    Un système de sécurité régional et international efficace aurait dû éviter la catastrophe, ou du moins la contenir. Mais la perception de l'intérêt national était trop contradic-toire et les coûts d'une stabilisation trop élevés.

    Une intervention extérieure massive à un stade précoce

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    Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15 Octobre 2014 14

    aurait pu paralyser les forces en présence, mais il aurait fallu mobiliser des moyens militaires conséquents sur une longue période pour maintenir l'ordre. À la suite des guer-res d'Irak et d'Afghanistan, ce n'était pas possible pour les États-Unis, du moins pas seuls.

    Un consensus politique en Irak aurait pu empêcher le conflit de franchir la frontière syrienne, mais les tendances sectaires du gouvernement de Bagdad et de ses alliés ré-gionaux le rendaient impossible. Faute de consensus, la communauté internationale aurait pu imposer un embargo sur les armes à destination de la Syrie et des milices djiha-distes. Cela n'a pas été possible non plus parce que les membres permanents du Conseil de sécurité avaient des objectifs incompatibles.

    Si l'ordre ne peut pas être obtenu par la voie du consensus ni imposé par la force, les conditions du chaos sont réunies, avec son cortège de désastres et de déshumanisation.

    Ironie de l'histoire, au milieu de tous ces bouleversements, il y avait parmi les alliés les plus fiables des démocraties occidentales, un pays qui utilisait en politique intérieure des pratiques contraires à toutes leurs valeurs, le royaume d'Arabie Saoudite.

    L'Arabie Saoudite a été un partenaire, présent dans la plu-part des grandes crises régionales depuis la seconde guerre mondiale, souvent silencieux mais toujours décisif en cou-lisses quand il s'engage avec des partenaires.

    Cette alliance a illustré une particularité du système d'États westphalien : le système permettait à des sociétés aussi différentes de coopérer et de poursuivre des objectifs com-muns dans un cadre formalisé. En général, le bénéfice mu-tuel a été considérable. Inversement, les échecs ren-voyaient aux défis essentiels que l'on rencontre quand on veut établir un ordre mondial moderne.

    L'Arabie Saoudite est un royaume traditionnel arabe ou islamique : c'est à la fois une monarchie tribale et une théo-cratie islamique.

    Aucun pays du Moyen-Orient n'a été plus affecté par la vague islamiste et la montée de l'Iran révolutionnaire. Il a été écartelé entre son allégeance formelle au concept westphalien qui sous-tend sa sécurité et sa légitimité inter-nationale d’État souverain, le puritanisme religieux qui a façonné son histoire, et les sirènes de l'islamisme radical qui perturbent sa cohésion intérieure.

    La pérennité de cet État, relevant simultanément de l'ordre westphalien et de l'ordre islamiste, a été préservée pour un temps. Cependant la grande erreur stratégique de la dy-nastie saoudienne a été de penser, depuis les années 60 jusqu'en 2003 à peu près, qu'elle pouvait soutenir et même manipuler l'islamisme radical à l'étranger sans que cela ne se retourne comme menace pour son régime à l'intérieur.

    En 2003, l'éclatement dans le royaume d'une insurrection inquiétante soutenue par Al Qaeda, a mis en évidence la grave faille de cette stratégie. Il fallut que la dynastie lance une campagne contre insurrectionnelle efficace pour met-tre fin aux troubles. Avec la montée des courants djihadis-tes en Irak et en Syrie, l'efficacité de ce genre de campagne devra à nouveau faire ses preuves.

    Un changement radical en Arabie Saoudite aurait de pro-fondes répercussions sur l'économie globale, l'avenir du monde musulman, et la paix mondiale. Comme l'ont mon-tré les révolutions qui se sont déroulées ailleurs dans le monde arabe, les États-Unis ne peuvent pas s’appuyer sur une opposition démocratique en réserve, apte à gouverner l'Arabie Saoudite selon des principes plus conformes à la sensibilité occidentale. L'Amérique doit parvenir à une pro-fonde compréhension mutuelle avec un pays qui est une proie de choix, convoitée aussi bien par les versions sunnite que chiite du djihad. Ses efforts, qu'il doit exercer de façon plutôt indirecte, seront essentiels pour favoriser une évolu-tion constructive de la région.

    La Syrie et l'Irak, jadis porteurs du nationalisme des pays arabes, ont montré qu'ils étaient incapables de retrouver par eux-mêmes leur statut d'États souverains unifiés. Com-me les factions rivales de ces pays recherchent le soutien d'alliés dans la région et au-delà, leurs affrontements com-promettent la cohérence intérieure de tous les pays voisins.

    Les conflits de Syrie, d'Irak et de leur environnement obéis-sent à une nouvelle tendance préoccupante : la désintégra-tion des États en tribus ou en entités religieuses, parfois à cheval sur les frontières existantes, en conflit violents les unes avec les autres, manipulées par des forces extérieures concurrentes, ne partageant aucune autre règle que la loi du plus fort.

    Après une révolution ou un changement de régime, faute d'une nouvelle autorité légitime aux yeux d'une majorité décisive de la population, de multiples factions disparates poursuivent des affrontements ouverts avec leurs adversai-res supposés. Des portions de l'État peuvent sombrer dans l'anarchie, connaitre des situations de révolte permanente, ou encore fusionner avec des fragments d'un autre État en cours de démembrement. Le gouvernement central peut manquer de volonté ou être incapable de rétablir son auto-rité sur les régions frontalières ou sur des groupes non éta-tiques comme le Hezbollah, Al Qaeda, EIIL, où les Talibans. C'est ce qui s'est produit en Irak, en Libye, et c'est un grand péril, au Pakistan. Certains États, tels qu'ils se présentent aujourd'hui, ne sont pas pleinement gouvernables sauf s'ils appliquent des méthodes que les Américains rejettent comme illégitimes pour assurer l'autorité et la cohésion sociale. Ces difficultés peuvent être surmontées dans cer-tains cas par une évolution vers un système intérieur plus libéral.

    Cependant, quand des factions appartenant à un même État se réclament de conceptions différentes de l'ordre du monde, ou se considèrent en lutte existentielle pour leur survie, les demandes américaines enjoignant de cesser les combats et de créer un gouvernement démocratique de coalition peuvent conduire à la paralysie des autorités exis-tantes (comme dans l'Iran du Shah) ou tomber dans l'oreille d'un sourd. Le gouvernement égyptien conduit par le géné-ral Abdel Fattah el-Sisi a tiré les leçons du reversement de ses prédécesseurs et pris ses distances avec son allié histo-rique américain pour se donner une plus grande liberté de manœuvre.

    Dans ces conditions, l'Amérique doit prendre des décisions

  • 15 Un autre regard sur le Proche-Orient n° 15

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    Octobre 2014

    aboutissant à la combinaison la plus pertinente entre la sécurité et la moralité, tout en reconnaissant que les résul-tats seront imparfaits pour les deux termes de l'alternative.

    En Irak, le renversement de la dictature sunnite brutale de Saddam Hussein a provoqué des tensions conduisant moins à la démocratie qu'à la revanche. Différentes fac-tions, en guerre les unes avec les autres, cherchent à consolider des communautés autonomes basées sur l'ap-partenance religieuse.

    La Libye, un grand pays faiblement peuplé, en proie aux divisions religieuses et aux querelles de groupes tribaux, n'a pas d'histoire commune à l'exception de la période du colonialisme italien, Le renversement du colonel Mouam-mar Kadhafi, un dictateur meurtrier, a eu pour résultat pratique de détruire tout semblant de gouvernement na-tional.

    Les tribus et les régions se sont armées pour assurer leur autonomie ou leur domination, organisant des milices au-tonomes. À Tripoli, un gouvernement provisoire a obtenu la reconnaissance internationale, mais en pratique il ne peut pas exercer son autorité au-delà des limites de la ville, et encore. Les groupes extrémistes ont proliféré, propa-geant le djihad dans les États voisins, avec des armes prises dans les arsenaux de Kadhafi.

    Quand des États ne sont pas contrôlés dans leur totalité par le gouvernement, l'ordre régional et international ne tarde pas à se désintégrer. Des zones blanches, sans droit, commencent à couvrir une partie de la carte. L'effondre-ment de l'État peut transformer un territoire en une base pour le terrorisme, le trafic d'armes, et l'agitation religieu-se contre ses voisins.

    Les zones de non-droit, ou de djihad, s'étendent à présent dans le monde musulman, affectant la Libye, l'Égypte, le Yémen, Gaza, le Liban, la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan, le Pa-kistan, le Nigéria, le Mali, le Soudan, et la Somalie. Quand on y ajoute l'agonie de l'Afrique centrale, - la guerre civile congolaise qui sévit sur plusieurs générations à contaminé tous les États voisins, et les conflits en République Centra-fricaine et au Sud-Soudan menacent des mêmes métasta-ses, - il devient évident qu'une part significative des terri-toires et de la population du monde est sur le point de quit-ter tout à fait le système étatique international.

    Au moment où cette vacuité menace, le Moyen-Orient est la proie d'une confrontation semblable aux guerres de reli-gion européennes du XVIIe siècle, mais sur un espace plus étendu. Les conflits intérieurs et internationaux se renfor-cent les uns les autres. Les querelles politiques, religieuses, tribales, territoriales, idéologiques, et les intérêts natio-naux traditionnels se superposent. La religion est transfor-mée en arme au service d'objectifs géopolitiques ; les civils risquent l'extermination en fonction de leur affiliation reli-gieuse.

    Là où les États sont en mesure de préserver leur intégrité, ils considèrent que leur autoritarisme n'a pas de limites, au nom des nécessités de la survie ; là où les États se sont dé-sintégrés, ils deviennent le champ de bataille des pays en-vironnants où le pouvoir est trop souvent exercé dans l'ignorance totale du bien-être et de la dignité humaine. Le

    conflit qui s'étend maintenant est à la fois religieux et géo-politique. Un bloc sunnite cohérent formé de l'Arabie Saoudite, des États du Golfe, et dans une certaine mesure de l'Égypte et de la Turquie, affronte un autre bloc conduit par l'Iran chiite qui rassemble la partie de la Syrie contrôlée par Assad, Bagdad, une série de groupes chiites irakiens, ainsi que les milices du Hezbollah au Liban et du Hamas à Gaza.

    Le bloc sunnite soutient le soulèvement contre Assad en Syrie et contre Bagdad en Irak ; l'Iran vise la domination régionale en utilisant des acteurs non étatiques avec les-quels il entretient des liens idéologiques, pour saper la légi-timité intérieure de ses rivaux régionaux. Les participants à cet affrontement recherchent des soutiens extérieurs en particulier ceux de la Russie et des États-Unis, et ils établis-sent des relations entre eux.

    Les objectifs de la Russie sont stratégiques pour une bonne part ; au minimum empêcher les groupes djihadistes de Syrie et d'Irak de faire tâche d’huile sur ses territoires à majorité musulmane. Plus largement, à l'échelle mondiale, elle vise à renforcer sa position vis-à-vis des États-Unis.

    L'Amérique est dans l'embarras dans la mesure où elle condamne à juste titre Assad sur des bases morales, mais l'essentiel des adversaires de ce dernier sont affiliés à al Qaeda et à des groupes encore plus extrémistes, auxquels les États-Unis doivent s'opposer stratégiquement.

    Ni la Russie ni l'Amérique ne sont en mesure de trancher entre l'option de la coopération ou de la confrontation, bien que les événements d'Ukraine fassent pencher la ba-lance du coté de la guerre froide.

    De multiples forces contradictoires s'exercent sur l'Irak. Il s'agit aujourd'hui de l'Iran, de l'Occident, et de toute une série de factions sunnites revanchardes. C'est une situation qu'il a connue à plusieurs reprises dans son histoire, le mê-me scénario étant joué par des acteurs différents.

    Après les amères expériences vécues par l'Amérique, et dans des conditions si défavorables au pluralisme, il est tentant pour elle de laisser ces bouleversements suivre leur cours et miser sur des arrangements avec les États qui prendront la suite. Mais nombre de successeurs potentiels au pouvoir ont déclaré que l'Amérique et l'ordre mondial westphalien étaient leur ennemi principal.

    Dans une époque de terrorisme suicide et de prolifération des armes de destruction massive, la dérive vers des confrontations religieuses pan-régionales doit être consi-dérée comme une menace sur la stabilité du monde, justi-fiant un effort coopératif de toutes les puissances respon-sables, à partir d’une définition commune minimale de l'ordre régional à venir.

    Si l'ordre ne peut pas être établi, de vastes aires géographi-ques risquent de sombrer dans l'anarchie et dans des for-mes d'extrémisme qui se répandront organiquement dans d'autres régions. Pour conjurer cette perspective funeste, le monde attend que l'Amérique et les autres pays capa-bles de concevoir une stratégie mondiale assurent la pro-motion du nouvel ordre régional.

  • Territoires comparés

    en km2 Populations comparées

    en millions

    Israël 22.000 8,25

    Pays de la Ligue arabe 13.770.000 370,00

    Pays de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI)

    31.677.000 1.740,00

    France-Israël Marseille Section de Marseille de l’Association France-Israël, alliance du général Koenig Directeur de la publication : Jean-Pierre Bensimon

    e-mail: [email protected] FIM BP 42 13266 Marseille cedex 08 Blog : http://fim13.blogspot.fr

    Le petit Israël reste une cible harcelée sans répit au Moyen-Orient et en Occident

    Disproportion ! Israël et le monde musulman

    http://fim13.blogspot.fr/