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UN TEU A IA MARGE, UN FLIRT AVEC L'UNIVERSEL : LES FEMINIS?ES D/NS LE DEBAT "ETHIQUE''* PAR Dominique MEMMI Chargée d.e Recherches az C.R.IV.S. Qui joue à la marge, dans un espace constitué, et pourquoi ? Qui faut-il être dans un univers bénéficiant d'une relative clôture pour rester délibéré- ment à sa lisière, pour, à la fois, vouloir "en être" et construire sa position de façon distanciée et critique ? Bref, de quoi est fait un "habitus déchiré" qui n'autorise qu'une adaptation partielle et disharmonieuse avec l'univers où il s'insère pourtant ? Diriger le projecteur sur les agents qui sont de part et d'autre de la frontière de cette communauté rhétorique et symbolique qu'Anselm Strauss pourrait appeller un oomonde"r et Pierre Bourdieu un o'espace" ou un oochamp" en formation, devrait permettre d'apprécier mieux de quoi est fait le droit d'y pénétrer, de préciser les négociations d'identité et le travail spécifique fourni par ses membres pour en faire partie. Et cette attention aux frontières indécises d'un espace social spécifique obligera en l'occurence à examiner la conversion du militantisme politique à l'engagement éthique, d'un mode de prescription à un autre. Depuis une dizaine d'années se déroule, à travers des colloques, des réunions internationales, des numéros spéciaux de revues, un débat sur *Ce texte a bénéficié de la lecture d'Alain Dewerpe, Gérard Mauger, et Yves Poimeur, des nombreux conseils bibliographiques et de la documentation fournis par Michèle Ferrand, Françoise Picq et Nadja Ringart sur m domaine qui nous était largement étranger, et de Ia par- ticipation amuséeo actiye et bienveillante de toutes celles qui ont accepté de répondre longue- ment à nos questions. Qu'ils et elles en soient tous ici chaleureusement remerciés. I. A. Strauss, Miroirs et masqueso Paris, Mêtathê,1992,

UN TEU A IA MARGE, UN FLIRT AVEC L'UNIVERSEL … · UN TEU A IA MARGE, UN FLIRT AVEC L'UNIVERSEL : LES FEMINIS?ES D/NS LE DEBAT "ETHIQUE''* PAR Dominique MEMMI Chargée d.e Recherches

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UN TEU A IA MARGE,UN FLIRT AVEC L'UNIVERSEL :

LES FEMINIS?ES D/NS LE DEBAT "ETHIQUE''*

PAR

Dominique MEMMI

Chargée d.e Recherches az C.R.IV.S.

Qui joue à la marge, dans un espace constitué, et pourquoi ? Qui faut-ilêtre dans un univers bénéficiant d'une relative clôture pour rester délibéré-ment à sa lisière, pour, à la fois, vouloir "en être" et construire sa position defaçon distanciée et critique ? Bref, de quoi est fait un "habitus déchiré" quin'autorise qu'une adaptation partielle et disharmonieuse avec l'univers où ils'insère pourtant ? Diriger le projecteur sur les agents qui sont de part etd'autre de la frontière de cette communauté rhétorique et symboliquequ'Anselm Strauss pourrait appeller un oomonde"r et Pierre Bourdieu uno'espace" ou un oochamp" en formation, devrait permettre d'apprécier mieuxde quoi est fait le droit d'y pénétrer, de préciser les négociations d'identité etle travail spécifique fourni par ses membres pour en faire partie. Et cetteattention aux frontières indécises d'un espace social spécifique obligera enl'occurence à examiner la conversion du militantisme politique à l'engagementéthique, d'un mode de prescription à un autre.

Depuis une dizaine d'années se déroule, à travers des col loques, desréunions internationales, des numéros spéciaux de revues, un débat sur

*Ce texte a bénéficié de la lecture d'Alain Dewerpe, Gérard Mauger, et Yves Poimeur, desnombreux conseils bibliographiques et de la documentation fournis par Michèle Ferrand,Françoise Picq et Nadja Ringart sur m domaine qui nous était largement étranger, et de Ia par-ticipation amuséeo actiye et bienveillante de toutes celles qui ont accepté de répondre longue-ment à nos questions. Qu'ils et elles en soient tous ici chaleureusement remerciés.

I. A. Strauss, Miroirs et masqueso Paris, Mêtathê,1992,

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DU SINGULIER AU GENERAL 227

l'éthique de la procréation médicalement assistée (PMA) qui associe une popu-lation constituée de représentants de sciences humaines réputés qualifiés pouren parler sâvâmment. Espace évidemment assez flou que cette populationd'individus intéressés à l'éthique et capables d'en reproduire les maîtres-mots :il nous a cependant été rendu visible par la présence régulière (trois occur-rences et plus) de janvier 1984 à avril lgBB des mêmes individus dans lesréunions publiques consacrées à ce thème dont nous avons pu faire l'inventai-re. Leur capacité à identifier les positions des uns et des autres, à en reconsti-tuer la logique et l'évolution, à enregistrer les entrées et les sorties de l'espace,l'apparition de conflits ou de réseaux de sociabilité constituaient d'autresindices moins formalisés de l'agrégation de cette population autour de cetobjet en construction qu'est l'ooéthique".

l."Insiders" et'6outsiderst'. En son sein, parmi ceux dont la présenceainsi comptabilisée est assidue, une sous-population à la posture pourtant dis-tanciée et critique : il s'agit de trois femmes revendiquant un point de vue defemmes ou de féministes dans ces débats. Voilà qui les met d'emblée en margeici, dans un univers disqualifiant la défense d'intérêts de groupes ou d'indivi-dus particuliers au détriment de la neutralité savante et de la défense de l'uni-versel. Marginalité construite et revendiquée : elle se signale par une positiondès l'abord clairement militante dans les débats où elles sont invitées, maisaussi par la participation active, voire, plus récemment, par l'organisation derencontres spécifiques ayânt la double caractéristique d'être à forte dominan-te féminine ou féministe et, ainsi qu'en témoignent leurs titres ('oSortir lamaternité du laboratoire", "L'Ovaire dose", ooLe magazin des enfants",o'L'éprouvette éprouvée") fondamentalement hostiles à la façon dont la pro-création assistée se pratique aujourd'hui. Deux d'entre ell.es, mises en contactau premier col loque national consacré aux recherches sur les femmes, àToulouse, en 79822 organisent en 1984 d.es journées d'études *Féminisme etmaternité" , associant la troisiÀmez ; aoilà qui lnur donnera une premi.ère uisibi-lité en matière de procréation assistée. C'est aussi Leur présence (en rnêmetemps que trois autres interuenantes françaises) au "Forum international surlcs nouuellns technologi.es de la reprod.uction" organisé par le Conseil d.u statutde la femme du Québec en 79874 puis au colloque ooL'Ouaire dose" organisé en19BB par Le Mouaernent Français pour Le Planning Familials et leur collabora-tion actiue à l'ouurage coll,ectif dirigé en 1990 par Jacques Testartb, qui Lesautorisera progressiaement à, la création, auec d. 'autres, du Groupe d,eRecherche et d'Eualuation des Pratiques Médical.es (GREPM) et à l'organisa-tion sous cet égide, ù Paris en 1991, d.u colloque "L'éprouuette éprouuée". On

2, Cf . Actes du colloque national Femmes, féminisme et recherche, Toulouse, AFFER,

1984.

3. Cf ,Maternité en mouuement. Les femmes,la re I production et lcs Hommes d'e science,

Presses universitaires de Grenoble, Editions Sailt-Martin de Monréal, 1986.

4. Cf .Sortir la maternité d.u laboratoire, Québec, Conseil du statut de Ia fenme, 1988.)

5 . Cf . MFPF, L 'Oaa i re d .ose .Les nouae l les méthod.es d .e p rocréa t ion , Par is , Syros-

Alternative, 1989.

6. J.Testart dir., Le magasin des enfants, Paris, François Bourin, 1990.

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228 DRorrErPolrrrQr

retrouae enfin leur signature Ie 17 décetnbre l9B7 au bas d'un article duMonde prenant expliciternent la d,êfense de l"'éthi.que", et pour deux d.'entreell.es, au bas d.u manifeste "Pour d,es Etats généraux de la biomédecine", parud,ans Libér ation Ie 3 féurier 1988.

Marginalité revendiquée : elles attirent elles-mêmes l'attention dans nosentretiens sur le caractère à la fois nécessaire et éprouvant de leur combat,face aux praticiens de la procréation notamment. Marginalité identifiée par lesautres. qui témoignenl d'une présence physique constante" mais contestaire :"C'est un groupe de présence aux colloques. Presquoune présence militante.Même si ell.es ne peuuent pas prend.re Ia parol.e, ilfaut qu'ell.es soient Ià, enobsertsateur. Pour témoigner que ce qui se passe est contraire aux intérêts des

femrnes. Ellcs essayent aussi d.e se faire des alliés. C'est une uolonté de témoi-gnage milita,nt" (férn.6). Marginalité encouragée enfin par la place qui leur estplus ou moins explicitement réservée dans les réunions ooéthiques", comme en1985 au sein du très important colloque ooGénétique, procréation et droit", où,invitées par le secrétariat d'Etat à la condition des femmes et identifiées comme"représentante mouvement féministe", voire "représentante mouvement fémi-nin", elles se trouvaient exclues de la tribune, refoulées du côté du public et desoopersonnalités de premier rang" c'est-à-dire du côté des porte-parole de I'opi-nion commune, et relêgtêes aux marges de la situation d'expertise.

Errooface" o hors du monde de l"'éthique", beaucoup d'autres femmes reven-fiquant aussi un passé féministe : nous avons interrogé celles qui se sont inté-ressées, au moins fugitivement, aux PMA. Celles qui, appârues épisodiquementou jamais dans ces enceintes, ou sans y prendre la parole n'y apparaissent pascomme des interlocuteurs habituels et sont restées à la lisière externe de cetun ivers sans y pénét re r : observa t r i ces ou par t i c ipantes muet tes(deux personnes), auteurs vite disparus de textes sur ce thème (deux), produc-teurs intellectuels n'ayant accès pour écouler leurs réflexions sur ce sujetqu'aux enceintes féministes et non "éthiques" (deux), membres d'une réunioninformelle sur ce thème ayant duré un an sans donner lieu à aucune publication(cinq au total dont les deux précédentes). Toutes ces femmes auraient pu ooen"

être, c'est-à-fire compter au nombre des co-occurences suffisantes qui signa-lent pour nous la présence assidue à ces débats et commandent la séparationentre ooinsiders" et "outsiders" de l'espace éthique : ellns sont encore presquetoutes ensernbb en 1982, dans Le premi.er grand colloque consacré aux études

féministes; rleux futures insiders et trois futures outsiders ont accaparé Iethème de la procréation assistée au sein de L'Action Thématique ProgramméeIancée et financée en l9B3 par le CIVRS sur le thème "Recherches sur les

femmes et recherches férninistes", où l'on trouue une autre insider engagée, surun thème annexe, au côté d'une outsiderT. Une outsider faillit ôtre, en 1983, Ia

7. Mais elle s'en retirera. Cf.CNRS, Action Thématique Programméen"6, Recherches surIes femm.es et recherches féministes. Présentation d.es trataux et 1986-1989, Paris, CNRS,1990, pp. l5-I8,23-27,33-38.Pour une partie des publications qui en ont résulté : CNRS,Sexe et genre. De In hiÉrarchi,e entre Les seres, Paris, CNRS, 199f . Pour le projet commun derecherche entre insider et outsiders, alliance symptomatiquement avortée en dépit du fait queIe projet ne concernait pas les PMA : Cf.CNRS, op.cit. L9B4-L987, Paris , 1989, p.f7-f9.

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DUSINGULIERAUGENER{L 229

première orgar,i'sf,tri/:e d,'un colloque féministe sur la question' [ 'es. unes et Ins

rrutres soeff\rcent encore côte à iôte de donner forme en 1984 à.la section

française"â'un réseau international sur 1cs nouuellns techniques de procréa-"tioo'qui

uenait d.e se créer, le réseau FINRRAGE. On les retrouve enfin

p.".qï" toutes, en 1985, au colloque spectaculaire sur la question que fut;océrr'étiq.,", procréation et droit", Àris déso.tnais les jeux sont faits-: les unes

sont au p.emie. rang, les autres méIangées au public, dans des rôles qui se

perpétuàont, les urràs participantes actives au jeu mais sur une position cri-

iiq,r", 1". autres observàtrices passives et drstanciées. Entre temps, des tenta-

tiàs inégalement abouties pouientrer dans le débatB'

La question est alors de savoir ce qui autorise à "faire l'efflort" d'entrer

dans le jeu - poisqrr'effort il y a, ici, et non rencontre harmonieuse entre habi-

tus et cËamp - "t

." qui incite certaines à s'y engager durablementfût-ce grâce

à l'adoption d'un jeu à la marge. Douze entretiens d'anciennes féministes au

total, aiuxquels s,ajoute celui auprès de la seule qui soit_vraiment entrée dans

le monde âe 1,..étÉque,, (jusqu'àu Comité national d'éthique) sans y adopter

des positions a p.iori ".itiqo"..

C'est la seule justification de ce travail sur des

petiis nombresiue d,espérer de mettre à jour les dilférences de détails entre

ies agents qui constituent la frontière même du champ. Qui faut-il être pour

f.u.rJhi,' lehubicon de l"'éthique", pour se livrer pour cela à une recherche

de posture et à un travail su. ioi, dont le jeu à la marge serait lui-même un

indice ? L'utilisation de la métaphore du jeu nous permettra de répondre par-

tiellement à cette question et d'illustrer en même temps le callct9:e nécessai-

rement limité - à moins tle perdre le rapport au réel - de la validité heuristique

de cette métaphore.

2. Une ttcompétence" élémentaire. Un jeu consti tue -un espace -

Huyzinga et caillois concordent sur ce point - où s'acccomplit librement une

p"rfo.rir.r"" réglées. A la question : "Pourquoi avez-vous tant attendu ?", u.ne'toute-nouvell"

rl-"rru" qui se révèle à nous par la publication d'un premier texte

sur lro"éthique,, nous àécrit les règles entourant la performance à accomplir.

8, "La table rond.e d.euait s'intituler Les Femnes et la science, à Beaubourg. c'était en

1983, je crois. J'en auais parlé aaec plusicurs personnes, mais j'ai abandonné, Mais c',e'st tel-

lcmei arai qu,'on allait ù 7oir", qui quand iI y a eu un débat à Beaubourg aDec Tcstart et

Jouannet (iiologistes pràtici"oi d. Ià procréation artificielle), .et bien'

-X m'a

.téIéphoné'juri"ur", pà.c. q:u'ell" penroit qu" c'étiit *oi quil'auait organisé, sans_ellc. Mai.s iI y auait'trop

d.'obitacl.es .' Les aitres fiIIis ont fait leur colloque, qui a été éilité ("Matemité.e.n mouae-

m.lnt, .n 1984). Les instanies éthiques, quanil ellns ont organisé I'e colloque Génétiqttc, pro-

création et droit (en I9B5) ne rouài"nt ie.s qui se tourner, elles se sont tournées oers elles.

parce qu,elles, ellcs ont fait lcur colloque et Pont êilité. Elles sont alkes jusqu'au bout, elles

(...). Nius, on ne I'a pas fait, on ne fait pas I'ffirt" (Fém' 7)'' 'g.

cf.Ii.Dam"-", ..pà[tiqo" a", ;"o*", io Q" atriÀm congrès d,e I'aFSP,23-26 septembre

1992,Table-ronde n'3.

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230 DROIT ET POLITIQUE

Nul n'entre ici s ' i l n 'élabore une ooposit ion, assise sur une oocompétencer,,savoir ou savoir-fairero:

construire une position, mais "savamment" argumentée : voilà qui confir-me ce que la mise en scène des colloques ou le recrutement du co-ité nationalnous avait apprisrr. Mais la compétence savante qui constitue bien un principede légitimité et d'agglomération de cet espace n'en dessine que très giossière-ment les contours : à l'échelle où nous ,rorr. .o--", placée, (où ce pincipe desélection a sans doute déjà exclu de notre prrro..-" 1". plrr. "irr"Àpétentes,,c'est-à-dire les plus démunies culturellement et statutairement). tàutes cesfemrnes - qui ont fait des études supérieures en sociorogie. psychologie, histoire,philosophie, voire en langues, et qui sont ingénieurs,

"h..gcà. ou dlrecteurs de

recherche au GNRS (sept personnes), maîtres de conférence à l,université(deux), ou journalistes (trois) - avaient une vocation à peu près égale à repré-senter les sciences humaines_convoquées dans ces débats, qooiq,,,io"" ,.rr" iégi-timité moindre (en raison de leur moindre .eco..nairsanle aàadémiqu.) qirepour ceux qui sont au centre de l'espace éthique. ce qui explique

"o.ii l" fàit

que soient à l'extérieur de cet espace les figures plus fragiles du point de vueinstitutionnel ou un peu plus modestes du point de vue académique : les deuxingénieurs au GNRS, deux journalistes, l'une salariée dans une ràvue immobi-lière et l'autre pigiste, un professeur de l,enseignement secondaire.

Mais ces situations ne sont pas radicalement tranchées : parce que lanotion de'ocompétence"".arrefac| produit par les organisateurs

"i 1". p.ot.go-

nistes du champ, attachés à en valoriser la frontièrà, n'est. comme "Ëtt"

d".-nière, pas très précise. ce serait être dupe, à cause de la métaphore que nousemployons, de ce travail de construction collective du jeu q... à" raiso^nner icia priori en classes : l'idée d'une logique menant progressive.rnent de l,intérieurvers l'extérieur du champ s'avère, en l,état de notre corpus, plus conforme àla réalité (Cf. schéma page suivante).

. 10." J.e ne connaissais pas la_matière, Et puis je suis fi,narement en désaccord, aaec Ins prin-

cipaux ténors, qui sont contre les NTR (Nouaeilcs Teihnologies de Reproduction). aaant jen 'éta isnipour,n icontre.Maintenant, jesuispour.Etpuis i l fa l ta i têt i "connu,êt . . " "ooruparmil'es "grands", auoir soit un grand saaoii jurid,iqre, comme x, ou être un grand, ponte deIa biologie, comme Y- Moi qui é,tais néophyte, ji ne mi sentais pas compétente f,ou. ei pa.rnr.on ne se sentait pas le droit dinteruenir rà-ded,ans. Et ilfaitait uni r""ornà;r"ance,,. J,aiacquis une compétence au moins sur Ia pratique (dans un seruice de procréation assistée).cela.me donrre une légitimité. Dans mon genrà, ie sais quelque chose.'En plus c,est un déb'tpassionnel. J'ai attendu d''aaoir une position. N'imporle qiel argument est utilisé dans uncombat pour ou contre. Ilfaut être d.ans un camp-ou d,oi" uo a:utre, sinon on n'entre pascomrc cela. .Ie uois cleux camps, naintenant, Lesintellectuelles sont plutôt contre" (F6m.6;.

ll.D.Memmi, ooSavants et maîtres à penser", Actes dc Ia Recherihe en Sciences'sociales,76/77^ mars t989. pp.82-103.

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- 3 occurrences et plus ds les débalsconcernant l'éthique- avec intervention écrite- spécialisation sur les PMA

- Présence ds les débats- sans intervention(sinon récenle)- pas de spécialisation sur PMA

- Présence épisodique- sans intervention- pas de spécialisation,publication ds supp0rts féminisles

- Absence aux débats- pas d'intervention- pas de spécialisationsur les PMA

Fem.2a. Troisb. Solidamosc. Ecologiec. Fenlmes du lllvt écologiste(Les Ami(e)s de laTerre)d. Ingénhur/sans

c. Gro|lpe fémir]hle "Pour uneEthique de la ditférenced. Commerce détail / Négociallt(e)

I

Fem. Ia.Zêtob. MRAP, PSIJ et/o|l trotskislnec. Féministes Radhales dCetcle E. Dimitthvd. Dir, de société / sans

Fem. 9-X.lûs

b, S|\IES Upc, Féminishs Radicales et NOFd. Pdittondionnair€

Fem. 11a. unb. JC puis PSUc. Proche LCR, hndance'Lutte de Classes"d.0tlvrier/ couturiÈre

Fem. 12a. Deuxb. Groupe allti'laschte, CoInitéVhtnam, Algérh,' gauchisme',PSU, CIDTc. Divers; RapprochemenlPÉtrÂidrcoc

d. CoNeiller juidique / comptable

Fem. 13a.7êrob. PC, Situationnistes, TribuneAnarchiste-communiste, CFDTc. Proche PétroleNesettéIninistes Radicalesd. VRP /sar]s o|l hlnme de rlléIlage

d'lntormatioll-prison

Fem. 4a. unb. Pas de Inilitanthlnec. Psy d Po' vus 1974d. ingéniet]r/ Prof secorldaire

I

Fem. 6a, Deuxb, "Gauchisme'

II

Frim. 5a, Zérob. JC, Amnesty inter, Ecologhc. Proche Fémil]htes Radicalesd. Architede / dactylo, secrétaire

> ÊF- Fem. 1

+i. !'J, s,*h, "Pas personnt

Fem. 3a. Deuxb.Pæif isme d antiInilitarisIne

c. Infomel, Gro|lpe de consciellcerllulti-tendanced. Business Inan / salls

Fem. 7a. Zérob. lllilitarlte c0ntre glrerre Algérie, PSUc. Psy et Po dès 1970'71d. lnstiluteuri Empl0yée des postes

c. Militanle'égalilaire' d MLACd. CoInInerce detail / sans

III

Frontière de l'espace éthique

Fem. 10a.7êrob, SNES llp, syndhalismec.'1 Groupe-femme'd. C0unier ell ass|lrarlces/ lnstitlltrice

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232 DROIT ET POLITIQUE

,- 3. une perforrnance minirnale. ainsi en est-il par exemple de ra positiond'ensemble face aux PMA. on passe progressiuement de I'iostilité à une in-différence conciliante, uoire ù uo. opp.obotion ù ces nouaell,es pratiques d,eprocréation ù mesure que l'on s'élni6ne du champ d.e I'éthique.

L'échec de la tentatioe aisant à créer, fi,n l9g4-début 7985, une sectionfrançaise au sein du réseauféministe international de résistance à l'ingéniériegénétique et reproductiue ("FINRRAGE") a crbt,,lliÂé trois position s qui per-durent aujourd'hui, sept ans après (Cf.schémap.2B2).

,_I) Un groupe qui refuse d,e s'aff i l ier ù un réseau se*prétendant d.eréfl,exion" alors qu'il "était a priori hostile aux pMA', (fem.1l). Ce groupeperd.urera pend'ant un an sous forme d.e réunions priaées-, chez I'une des miti-tantes) rnais sans donner lieu à publication collective, en dépit de I'intentionqui en a,aait été affi,chée.' il se trouve dans la partie droite du tableau, au plusloin de l'engagement ooéthique"

;2) à gauche, un groupe fansorabl. à I'entrée dans Le réseau international :

très h-o-stile à ces pratiques et ù I'institution médical.e, et l'ayant déjù manifes-té publiquement dans son colloque ooMaternité en rnouaetnent", il créera sonpropre réseau d'e réfl.exion et d,'information sur tr"s pMA, et demeurera dansl'univ,ers ooéthique", chacun de ses membres se trouaa,nt aujourd'hui protago-niste habituel, sur une position critique, de ces débats et auteur de nombriuxtex,tes sur ce thèrrLe.

3) Au centre, l'autre groupe à l'origine farorabl.e à l,entrée dans Le réseauinternational, inégalernent hostile aux PMA, et dont les publications sur cethème, par ai l leurs plzs épisodiques, se feront de piéférence dans lesenceintes féministes plutôt qu"'éthiques"; leur activité principale surtout estailleurs (spécialisation etlou enseignement sur un out

"lhè*") contrairernent

à cellns qui sont entrées d,ans I'espace éthiquer2.

- 4) L'extrême gauche d,e ce continuum éthique-politique est représenté parla seule jeune femrne délibérément entrêe dans 1". enceintes-éthiques" etl-'extrême droite, pourrait bi.en l"être por cellns des militantes rencoft;ées queLe seul énoncé du mot "éthique" rend ironiques ou parfaitement irud,iffér"oi"r,bref cell.es aéritablnment hors jeu et non représentéàs iii.

Bref l'hostfité aux PMA, la volonté de s,y opposer, se vérifie comme undes facteurs qui conduit à intervenir dans le débat éthique, à y prendre laparole physiquement ou par écritr3. Mais il n'est pas le seul : ce coritinuum enrecouvre un autre. Il suit curieusement la ligne de faille qui a creusé ce quiréunit ici par convention tous ces agents : le féminisme passé. ce faisanf il

12.Le fa i td 'avo i rdoaut res ac t iv i téspara i l leurs ,qu inousapar fo isé téproposécommeune exp l i ca t ion du non-engagement dans l 'espace é th ique, n 'en é ta i t qu ' i ' i ymptô-e :puisque deux anciennes féministes ont été capables de change. d'objet, voire tll .pé"i.litépour s'ilscrire dans I'espace éthique. Une "outsider" u pu.

"ill"o., étè capable d,identifier le

moment où elle "aurai(t) pu basculer de l'autre côté, en abandonnant sa spécialité,, , et oùelle s'est trouvé incapable de le faire.

13. Pour l'interprétation de ce facteur, cf.D.Memmi, 'ol-a compétence morale',, politix,

17 , 1992 , pp .L04-124 .

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DUSINGULIERAUGENERAI 233

signale en négatif, comme le font souvent les gens à la marge et les déviants'

l,Jxistence d'"une règle d.u jeu, partie prenante de l'activité "éthique"? et pâr

laquelle nous devons faire un détour.

4. La posture ttéthique". Signifier, comme le fait notre postulante à

l,entrée dairs le jeu, qu'il s-'agrt de .érlir". ici une performance normative assi-

se s'r une "compétence" savinte, c'est ne pas distinguer le pro-duit éthique des

produits intel lËctuels et normatifs concurrents, souvent évoqués comme'."poo..oir.

dans ces débats : la morale, le droit, la politique. _Or l'investisse-

mËnt dans l, éthique suppose une posture intellectuelle particulière. Comment

objectiver les règlËs, non codifiées, d',.r, ".pu""

aussi flou ? Il dispose heureuse-

ment en son sein d,un noyau plus dur, institutionnalisé, le comité consultatif

National d,Ethique iCCiVn;. Ses membres, à côté des 'oreprésentants des

familles spirituelies ou philosophiques" et de o'la recherche scientifique", sont

officiellement invités"eri .aison de-leur compétence et de leur intérêt pour les

problèmes d,éthique" (article 4 du décrei du 25 février l9B3 instituant le

tomité) à émettre des avis officiels à propos des pratiques^scientifiques qui

l"rr. .ont soumises. Quelle posture adoptent-ils pour ce faire ?

.A lire leurs travaux et déclarations, elle consiste, entre autre, à placer le

discours d.'emblée, ùu plus haut niueau d'e généralité possible-, non dans

l,objet (ce sont souventàes pratiques scientifiques pré_cise-s.dont la légitimité

est soumise à leur examen ) mais àrns la visée : c'est de "'la" personne, et de..1,,, humanité que ces expe;ts mandatés se font explicitement-les gardiens. En

témoigne la pràcipale irinovation conceptuelle du Comité : la notion, désor-

mais promue comme guide de la réflexion collective, de "personne humaine

poten'tielle". Elle sert de principe de légitimation, dès 1984, au premier avis

à-i. pr. le Comitéra' La ';pe.sonrre" faii l'objet des réflexions, pendant deux

.rr., à'on groupe de travall du Comité chatgê d'émettre'oles présupposés de

tout" réfleiion -éthique"rs.

Elle donne enfin lieu à une mise au point théorique

en lg8?16. En 1985, le président du comité rappelle que Ie "respect de la per-

sonne', constitue Ie prËmier des 'oprincipes régissant le comité dans son tra-

vail,,l7. Il réaffirme en I98? qu'"ùe est ool'élément central de (ses) préoccu-

pations"rB.

14. ccNE, auis sur les prélÀaements ù d,es fi,ns thé.rapeuti4ues, iliagnostiques et scienti-

fi,ques d.e tissu d'embryons ou de foetus humains morts' 1984 '

f5. CCNE, Journées annuelles d'éthiques,1987' p'3'

16.CCNE,Recherchebiomôd.icalæet-respectd.elàpersonnehumaine.Explicitationd"uned.émarche, Paris, La documentation ftatçuise, 1987' cf' aussi lors des Journées Annuelles

d'Ethiques, en 1986 la table-ronde consacrées aux "droits de la personne humaine" et en

lgBT ceiles organisées à Bordeaux sur les ooproblèmes éthiques" posés par l' "émergence et

( l ' )ef facemenide la personne'o (CCNE, Joi .nées annuel les d. 'éth ique,1986, p.6 ' et 1987'

p .17 ) .- iZ. L". deux autres principes sont : "le respect de la science" et la "conviction (que) la

science porte en elle-mê-e Ie .Ëmède aux difficultés qu'e1le a créée". J.Bernard, "Le Comité

consultatif national d'éthique" , Catéchèse,98, janv 1985' p'75'

18. J.Bernard, Préfacl, in CCNE, Recherche biomédicale, op'cit', p'1987 '

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234 DRoIrErPoLrrreuE

Le comité contribue ainsi, à sa manière, à un mouvement plus gênêrald'universalisation des points de vue que signale par exemple la^faveur dontbênêficie une autre notion à haut degré de généralité,

""-ll" d"r..droits de

l'homme"o dont la défense a justifié la création du plus grand comité de sagesconcurrent, et l'investissement du même comité National d,éthique darrs laplupart des débats qui ont accompagné le bicentenairere. Les titres des publi-cations du comité - ou de L'INSERM au sein duquel il fonctionne - sontâutant d'autres indices de ce parti-pris d'universalisaiion20.

oola démarche éthique n'est r ien d'autre que ra décision, à reprendre

1l_raque jour, en faveur de l'universalité" renchérit le théoiogien XavierThévenot invoqué par un membre du comité2t.A chacun donc de" raccrochercomme-il peut ses wagons à ce noble train. Ainsi, par exemple, ces deux spécia-l istes de I ' inconscient : "QueILe signif icat ion a ra miseZn présence,iur lemême thème, de chercheurs ayant des uisées scientff iques d, i f férentes ?Autrern_ent dit : pour quel sens roulons-nous ? (. . .) ô.-t ' im.t l igibit i té d,eI'interdisciplinarité, nous I'auons cernée dutour de i'objet sci.entifiquementpartgs! : l'humain à (faire) naître. En effet, nous nous sommes ,"odi

"o*Or"que l' objet spécifique d,e la recherche de chacun - l'oaaire de la souris poui t.lbiologiste, l'ouaire humain pour tel autre, la gémeilité pour teil.e psychologu",ln désir d'enfant pour tellc psychanalyste - ne-prenait irr, o" d.eienait intelli-gible qu'e-n tant quoobjet id,enti,fié à l,humaii. (...) L,objet est l,huma,in, etchaque chercheur s'identifie à cet objet pour tent'er dei. ce.ne., dans sonpropre charnp, aussi éloigné soit-il'22. Et de se lancer à leur tour dans une

19- Pour la tendance à I'uniaersalisation d.es points de uue, cr. les articles de MyriamBachir-Benlahsen et - à propos des droits de l'ho--" - Ré-i L", oir,inpolitix, 16, causes enten-dues, 1991. Pour l'expulsinn du singulicr et du partituhvisrc darc Le traoail du comité, cf . x.Thévenot,"La morale fondamentale du comitè national d'éthique français,', Le supplérunt,163, dêc. f987,pp.5-22.F,nfin, pour Ins collaboratinns ouanimiions d.uComité surlilhèrc desd,roits dc l'Hommc en 1989 :"Recherche médicale et droits de I'homme,, fianv.)

.,La biologie, ledevenir de I'homme et l'éthique" et "Ethique médicale et droits d. I'hoà-",(fev.), ..cmitésd'éthique et droits de l'hommc" (mars), "Recherche médicale et droits a" I'ho--e',(urr.), .,Lesdroits de I'homme en Europe" (mai), "sciences de la vie et droits de I'home,'et ,.Eù.iqr", pry-chiatrie et droits de I'homme" (sept.), "Les droits de l,homme et Scientific p.ogress-,, et*Patrimoine génétique et patrimoine de I'humanité" (oct.), ,.Génétique et droits de I,hommel'(nov.), "Histoire des comités d'éthique et droits de I'homme", "Ethique et droits de l,homme',,"Humanité et criminalité.Les pratiques en crise : médecine, p.y"haoirlyse, droit", o.Les fonde-rnents de la notion de droits de l'homme" et le débat ..droits Je i,homme et neuro-sciences,, auxJournées annuelles d'éthique de 1989 (déc.). Sans compter les ateliers et séminaires : ooDes droitsde I'homme au droit des gens" (oct.l988-juin 1989),"Droits de I'home" (oct. lggg-déc.l9B9), etsurtout "De la fabrigue du corps humain aux droits de I'homme" au ceni.e G,pompidou (l9gg-1989)(Source : CCNE, Rapport 1989, paris, La docmentation frmçaise, pp.fOf sq.)

20. "Recherche biomédicale et respect de la personne humaine," "L;'fabriq;; du corpshumain", "Ethique médicale et droits de l'homàe", "une utopie médicale. Là .uges"" d,corps", mais aussi : "Comités d'éthique à travers le monde,',,.i)ire l'éthique,,, ..Eùique etconnaissance"; cf.aussi les grandes divisions ùrternes de : ooDroit

"t hu-.riié,', n.6z-68 de la

reyue Actes , co-dirigé en l9B9 par une représentante de L'INSERM2l' X. Thévenot, ooMorale catho_lique, morale protesrante",Iæ supprémnt,n"l47,l9B3, p.529.

_ 2,2. G.Huber, M.Bydlowski, "Les nouvelles procréations

"rt." biologi" et psychanalyse",

Psychanalyse à I'uniuersité, 1987 ,12, pp.440.(C'est nous qui soulignonsi.

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DU SINGULIERAU GENERAL 235

entreprise de définition et de distinction de ool'humain" par rappo_rt au ""non-

huma-in,, et de l,..ab-humain". Il ne nous est pas possible de détailler ici cette

posture généralisante. Ajoutons simplement qu'elle consiste notamment à pas-

ser direc=te-ent du singulier à l'universel, de la personne ici et maintenant à..1a,, Personne. Gymnastique vécue comme exigeante par certains de ceux qui

y souscrivent à la marge du champ23.

Car l'accès à un tel degré de génêtalitê risque évidemment d'ohliger à

abandonner les modes de généralisation alternatifs, et ooinférieurs". L'analyse

en termes de classe tout dtabord : la bioéthique, en tant qu'elle participe "du

problèrne universel aujourd'hui posé par le développement de moyens tech-

triqlr"r prodigieux dans un monde où domine encore le capitalisme", participe

d'urre'i-mense question, qui passe souvent pour rendre caduque f analyse en

termes de classes pa.ce qu;elË concerne directement le tout de I'hurnanité",

peut ainsi affirmer Lucien Sève, seul représentant officiel de la oofamille de

pensée" marxiste du Comité National depuis sa création2a. L'analyse ensuite

ln te rmes de groupes 'o t ransversaux" : l ' oppos i t ion hommes/ femmes,jeunes/vieux, normaux/déviants - dont ont étê porteurs le féminisme et ce

qo'on a appelé les oomouvements sociaux" - s'avère elle aussi partiellement

contradictàire avec cette opération d'universalisation encore plus poussée que

représenterait la mobilisation d'universaux comme "la" Nature, ool"'Homme

oo 'olt" Personne. Certaines féministes ne s'y trompent pas : o'Les pratiques

bioméd.icales, légitimées par un d,iscours scientiste prétendwnent urr,inersel,

neutraliseit Le sujet fémini" (...) ll faut oser réalfirmer l'im.possible ali6ne-

ment de I'implication et des d.roits d.es hornmes et des fernm'es dans la procréa-

t ion de l 'ôtrc humain"2'.

Les militants, pas plus que les éthiciens ne sont exempts de la montée en

gênéralitê par l'évocatiàn d'un collectif qui les grandit : mais ce ne sont pas les

Lê-"t. SII est vrai que ool 'accès au général est un privi lège", et rassure

23. "oh, cela représente une énorme dfficulté, presquoune souffrance. Il faut.à partir

il'une subjectitité inâiaiductle et d,e femme, trouuer d.es aaleurs ou d'es concepts aalnblcs pour

Le,out " i ,s inonuniuersel les,dumoircualablnspour lesautres.( . . . )Parcequecelafai tpar-tic rlc I'uniaersalité de la cond,ition humaine d.'être née d'une femme" , nous dit une féministe

de l'éthique, Ia seule à qui nous ayons demandé à tout hasard de restituer spontanément ce

qu'elle pensait devoir être la règle du jeu du champ et la posture nécessaire pour y entrer :-

- Ei à ma relance : " Si je uous ilisais qu'il m'est apparu qu'une des règles du jeu d'e

l'éthi4ue, c'est l'accès 'd.irect' à l'unioersel ?"-âJ, d,irai, qu'en parlant honnôtement d.e soi, on peut faire la part de la subj-ectiaité et

s,approcher dei'uoiairset. Enfaisant apparaître la part sexuée dc concepts soi-d'isant uni-

a.ri"l", on fero apparaître quàlq* choii d,'authentique ou d.'unioersel. C'est I'e contraire d'e

la Inngun à" boit , p"titiqu" , tô^inkt. , qui fait ruier tout cekL , Les affects , I'es histoires biogra-

phiques" (fém.2).- Za. L. Sèo", "Un regard marxiste sur la bioéthiqu e" , La Pensée, juil'-aout 1986, p '23 '

25. Collectif de femmes pour la réflexion et I'action sur la reproduction médicalement pro-

grammée, Appel aux femÀ", pou, débattre d.e la reprod,uction méd.icalenent assistée,

àé""-bre tù-s, ir Mouvenenr français..., op.cit., p,3I9, La classification en thèmes (clas-

sistes. transversaux, ou universels) nous a êtê stggêrée par Gérard Mauger'

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236 DROIT ET POLITIQUE

"l'espoir d'être un peu plus que soi-même"26, ce qui importe nrest pas l,exten-sion de cette figure du général - puisque des débats d'une telle oohauteur" devue en font rire certaines - mais la légitimité dont elle dispose dans cet espace,notamment chez ceux qui y dominent. La "supériorité" de ce mode de généra-lisation ne vaut que pour le jeu lui-même et ceux qui veulent y entrer.

Reste à savoir pourquoi on participerait à ce jeu-là. parce qu,on a tlesprofits à y prendre place ? Mais il faut alors expliquer pourquoi lei féministesdemeurées outsiders ne viennent pas les recueillir. La maigre différence statu-taire entre les unes et les autres ne permet pas de ,"

"ont"rrt". t le l ' idée

qu'elles seraient simplement plus ou moins bien placées pour le faire. pour lesoopetits" de cet espace, un des profits essentiels à être là, où ils sont contreba-lancés par des coûts importants2', esf l 'acquisisi t ion d,une grandeur parcotoiement. Nous ferons l'hypothèse ici que pour comprendre l'entrée diffé-rentielle dans le débat, il faut oussi affronter le problème de l'adhésion à lavaleur conferrée à cette place, à ce charnp, et ù ce type d.e grandeur-lù. Ilpeut être problématique de passer d'un ordre de grandeur à un autre, fût-cevers le oohaùr"

o tout autant que d'emprunter les voies par lesquelles elle se fait.c'est affaire de dispositions - qu'il ne faut pas entendre ,eule-ent comme desressources, mais comme des références autorisantes ou inhibitrices - de cesdispositions par lesquelles on se rapproche des ooéthiciens", tle celles aussi parlesquelles on s'en sépare. Bref, le problème qu'il faut affronter ici, pàurrendre compte du jeu à la marge, c'est celui des habitus déchirés entrà desprincipes de légitimité différents.

5. Une posture à la rnarge. Le parti-pris qu'engendre ce déchirement setraduit par l'acceptation d'occuper une position dans ces débats, mais avec uncontenu qui récuse sa visée universalisante au profit de la partialité, de ladiversité, voire de la singularité. Insiders et outsiders convergènt sur ce point.Les protagonistes des débats éthiques s'opposent avec constance au discourssexuellement indifférencié qui est tenu sur ces pratiques. on ne peut parlerabstraitement de oodésir d'enfant" car c'est aux femmes surtout qu;il est socia-lement imposé, évoquer de façon indifférenciée la oodemande d,enfant,,, alorsqu'el le se traduit par un aff lux de patientes, souvent seules, et non depatients, dans les services médicaux, on ne peut mettre enfin sur le même plandons de sperme et dons d'ovocytes car ils sont loin d'être recueillis avec Itmême facilité (fém.1, 2 et 3, textes 1985,1986,l9B?, l9BB, 1990). Bref il fautsubstituer la o'position des femmes" aux points de vue indifférenciés du coupleou de l'embryon qui sont soupçonnés abriter celui des praticiens de la rep^r-duction (fêrn.3, texte 1992). I l n'y aurait pas un corps humain (celui dupatient ou de l'embryon à naître), mais des corps. "Ah, aous me parlnz d.e Ia

26. L. Boltanski, ool,a dénoncia tion" , actes d,e Ia recherche en sciæruces socialns,5l, mars1984, p.40.

27. D.Memmi, 'oSavants . , 4, or) .c i t .

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DU SINGI,T,IER AU GENERA,L 237

personne et des droits d,e l,Hom.me ?", disent en quelque sorte ^les féministes,

'"je oais uous parlnr d'es fernrnes",

oouott's me parl'ez du corps ? Je uais ttous

iorl". d,u "oip,

féminin; i o'car ce qui est mis entre parenthèses, ou occulté

précisément, àoi, un. telln d.éfinition, est Le corps féminin, d,ans.son enti.er et

son intégrité, qui pa.raît "o"oi",

jusqu'à preuue d,u contraire, nécessaire à la

gestatioâ et àt.- procréation" (férn.2, texte, 1985, p'503)' Toutes les interven-

îior* d", féministes de part et d'autre de l'espace ooêthiqae", même les plus

éphémères, visent à "orrip"rrr".

cet "oubli" ou cette oodisparition /négation des

femmes" (fém.10, texte 1991, p.258.).

Pourquoi et comment certaines parviennent à déployer cette-énergie dis-

cursive ài'intérieur d'un milieu qui ielrr est hostile ? Celles qui le font utilisent

des arguments spécifiques. ce qui réunit indubitablement les insiders dans

leur hostilité au caractére a-sexué du débat éthique est qu'elles s'opposent au

"forçage" et à l"'artificialisation" du rapport des femmes à la maternité, qui

leur apparaît a contrario virtuellement autonome et naturel. Bref elles oppo-

sent au "nouveau concept de mère", à la oonouvelle maternité", aux "mères

enfants de Ia science" (fern.2,texte, 1985, p.506), un autre (et bon) rapport à la

maternité qui serait celui o'tles femmes" par opposition à celui de la-science.or

les outsideis ne semblent pas disposer d'un telle définition de rechange, fût-

elle implicite, sur Ia mater;ité. Elles ne posent qu'avec réticence l'équivalence

entre différence sexuelle et procréation (fêrn.I,1991, p'253'), que les PMA

précisément permettent en partie de dissocier (fém.8, 199L, p'2-74'), opération

présentée "o--"

au moins partiellement salutaire, ce qui traduit un rapport

porr" l" moins ambivalent à la définition de la féminité par la maternité : les-PML

"t"od"rt ù faire fonctionner Les d.eux sexes de la même façon) et ce sur

un modèLe masculin. En théorin faire dispara,ître une d.ffirence biologique qui

a serui ù inférioriser Ia moiti.é de lhumanité n'est pas so,ns intérêt. .En pra-

tique, Ia faire d,isparaître par assimilation ù une autre spécificité qui cletsi'ent

Ie^ modèie uriqui serait prolonger I'histoire sg,r's solution d,e continuité"

(fén.7, CG,lgï7, p.47.). Cette ambivalence s'acccompagne? chez cette autre'

àe h rep.é.entation selon laquelle il n'y aurait pas un, mais des rapports à la

materniié, non des femmes mais de chaque femme, fût-elle célibataire ou

homosexuelle (fém.8, TM,I9B7, p.67 .). Bref les outsiders ne disposent pas, ou

tout au moins ne proposent pas ici de conception implicite des femmes et de la

maternité qui soit arr moitts virtuellement généralisable et donc opposable à

d'autres.

6. Les engagelnentS férninistes. La ligne de faille idéologique sur laquelle

se greffe la ligne horizontale de notre schéma prend alors tout son sens, en ce

qo;el le conti ibue à déterminer ces posit ions et à faci l i ter ou dissuader

l;approche, fût-ce sur le mode contestâtaire, du jeu "subst_antiaUste" et uni-

o".ùH.urra de l,,,éthique". Elle a traversé en effet l'ensemble de la mouvance

féministe, mais aussi Àu"ort des groupes ou des tendances qui l'ont composée'

ne laissant aucun agent hors de ce dé|at. Tension, donc, plutôt qu'opposition'

relevée par la plupart des analystes de la mouvance féministe des années

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238 DROIT ET POLITIQUE

soixante-dix28, entre un féminisme ooêgahtaire'o et un féminisme 'oidentitaire,, ou"fémiritaire". on pourrait dire pour résumer ces deux tendances qu'elles consti-tuent les pôles extrêmes et toujours en discussion de la réponse à la question quise pose, au fond, à tous les mouvements de libération : l'émancipation doit-ellepasser par la revendication de l'égalité et d'un traitement indifféiencié pour lesdominés, ou par la mise en valeur et l'annoblissement de leur spécificité ?

cette tension s'est creusée le long d'un spectre qui opposerait grossière-ment des extrêmes : d'un côté la pensée de ce qu,il

"ri"orr.n"rrrr drapp-eler dans

le mouvement la "féminitude", de l'autre les groupes lesbiens, mais'aussi desgroupes comme Les Pétrobu.ses ou le cerclc Elisabeth Dimitri,ea: les unes par-ticulièrement sensibles authème de la spécificité des femmes, voire de ce quifait oola"-femme-, et capables d'opter, au fond, pour cette stratégie toujoursdisponible aux dominéso qu'est le renversement .,ooi." l'exaltation Ju stiernate -ici la différence sexuelle - où vient se o'naturaliser" la domination (sur le"modè-le : black is beautiful) I les autres, relevant de la ootendance lutte àe classe,, duMouvement, restée proche, par les mots d'ordre, les pratiques politiques et lescomportements des gro rpuscules de gauche dont elle était issuè, optènt plutôtpour la négation de la différence en ce qu'elle serait surtout le produii et leprétexte de la domination sociale.

Au centre, deux mouvanceso grossièrement identifiables à travers lesgroupes constitués d,es Féministes Radicales et de psychanalyse et politique :les premières reprennent encore quoiqu'en s'en démarquant les concepts prin-cipaux de l'analyse marxiste (l'ennemi principal restant "un type hiérarchiquede rapports sociaux, ou leshommes sont impliqués en tant qu''igents et non entant^qu'êtres biolngiques")2e et s'opposent violemment dès l,àrigine à l,apologiedu féminin - o'car notre oppression ne réside pas dans le faii de 'n'être pasassez femme' mais bien au contraire dans celui de ol'être trop'3o. Les s"corrJ"r,revendiquant à la fois, dans le nom donné au groupe et ses références, lapsychanalyse et la pol i t ique, Lacan et Marx, représentent un compromisinstable et évolutif entre inspirations o'égalitaire" et "féminitaire" : la penséede Lacan, pour qui oola" Femme n'exi i te pas (contrairement à l ,Hàmme)constituant au fond en elle-même une formation de compromis. Bref un pointde vue montant à l'uni'ersel par les classes s'oppose à1elui où l'on monte àl'universel par les sexes, en retrouvant ro p*."gà, à travers l'investigation de

28. cf. N. Garcia Guadilla, Le muaement de libération des fenmes (MLF) en France de1968 à 1978, Thèse de doctorat de 3è- 'cycre de socio logie, pmis, 1929, pp.216 sq.et I t l . ,L ibérat iondesfemmes: lnMLF,Par is,PUF,r98r,pp.39-40. ;M.Ferrand, FZ'* in i^^""or t .* -porain et changement socio l , Maît r ise de socio logie, par is, l9zg, pp.40-61 et l l9- l2B;D.Léger, Le féminisme en France, Paris, Le Sycomorà, I9g2, pp.46_52;f-.ei"q, et GEF- parisYII, Le mouaement de libération des femnes et ses effeæ

"àiiou", f urir, iggZ, pp.9_101,

centre lyonnais des études féministes, chronique d'unà'passion, Le mouaemnt d,es-jemmes àLyon,Paris, L'Harmatan, 1989,pp.24-4r; ch. Delphy,;'les origines du Mouvementâe [béra-tion des femmes", Nouaellcs questions féministes, n"l6-I7-lg, 1991.

29. Questions Féministes, n"l, p.6. C,est nous qui souligrons.30. Ibid., p.4, cité in M.Ferrand, op.cit.

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DU SINGULIER AU GENERAI 239

sa propre singularité, grâce à une démarche psychanalytique systématique-

ment prônée ici, l'humaine condition .

Or celles q1i se trouvent en position aujourd'hui d'accéder, de façon conflic-

tuelle, au débat à haut degré de gênêralntê concernant l"'éthique", se trouvent au

plus loin du féminisme agahtai.e, ce qui ne Deut pa; dire qu'ellns soinnt profond'é-

ment imm.ergées d.ans ln courant dn Lu.féminitude : il s'agit encore une fois cl'une

tension et c'est l'avantage de ce schéma orienté que de restituer la logique de la

prise de parole sur les PMA avec plus de fidélité et de précision que ne pourrait le

iaire toute distribution de nos agents en groupes fermés.A droite, du côté de

celles qui n'ont pu parler des PMA qu'en privé, et sans réussir à fixer par écrit

cet effort r lu -ilitrtt"" chez Les Pétroleuses (fém. 1l et 13) ou à proximité de

femmes dela Li6ue communiste réaolutinnnaire (férn.I2 et l3), et l'appartenance

spontanément revendiquée à la o'tendance Lutte de classe". Au centre droit, chez

càles qui n'ont commis qu'un seul texte sur cette question dans des enceintes

d'ailleurs féministes, avant de disparaître de ces débats (fem.9 et l0), chez celle

aussi, qui, désormais ooplutôt favorable" aux PMA, produit avec intermittence

sur ces sujets (car elle a des "centres d'intérêts" par ailleurs) et de préférence

dans ces mêmes enceintes (fém.B) : la militance au Cercle Elisabeth Dimitriev

(fém.B), et/ou du côté des Féministes Radicales (fém.B et 9), d'inspiration en tout

état de cause égalitaire (fém.10). Le long de la frontière - déterminée par les co-

occurences - de ce champ, où se trouvent deux observatrices très récemment sor-

ties de leur long silence, deux ooégalitaires" encore, dont l'une proche des

Féministes Rad.ù:alns (1êm.4 et 6).

voilà qui rend sensible tout ce qui sépare ces militantes de celles qui, à la

gauche du tableau, apparaissent dans les enceintes ooéthiques" : l'une ne sau-

iait situe. clairement son militantisme passé, car vivant en étrangère au Brésil

(où il n'y avait pas de mouvement des femmes mais quelques femm-es fémi-

nistes) puis en Fiattce (où elle n'a pas su trouver sa o'place", sinon dans des

groupes de conscience oooù il y avait toutes les tendances" ) et qui a servi symp-

iô-"tiqo"-"nt de représentante "unitaire", modérée, et éphémère du réseau

FINRRAGE ; une autre a milité chez les femmes du mouvement écologique, et

une troisième, dans un groupe féministe significativement intitulé ooPour une

éthique de la dilférence" (Fém.I, 2,et 3). Le féminisme passé est icitoujours

.eve.rdiqué sans aucune ambiguité : mais il se réactualise âvec difficulté et

s'agrège malaisément à la mouvance féministe actuelle ("je suis féministe, mais

pas mfutante", "rrrorr féminisme est plutôt une position individuelle,-au quoti-

tlien","le mot omilitance' et 'féminisme' n'est plus de saison. Mon férninisme

est plutôt une position de femme, j'ai toujours pris le féminime dans son rap-

port à l'universel, il s'agit de compléter les valeurs mascu]ines par les valeurs

féminines pour aller à l'universel"(fém.1, 2, 4), Btef , elles n'appartiennent

pas au féminisme encore militant d'aujourd'hui, a fortiori lorsqu'il est demeu-

ré sur des positions de classesr.

31. une enquête menée en 1987 et 1988 auprès de 32 anciennes féministes nous a fourni

la première idée de notre travail en ce qu'elle aboutissait, sans fournir cependant de clonnées

socio-biog.aphiques, à la conclusion notament que celles qui ont un comportement hostile et

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240 DROIT ET POLITIQUE

La logique qui, dans sa complexité, conduit à jouer à la marge commence àapparaître. Beaucoup de féminisme première manière (car la "féminitude" estun produit d'abord marginalisé du féminisme) écarte de l,éthique, un peu deféminisme identitaire y ramène. car le mouvement féministe J,est battu dèsl'origine pour le ."fo. d" la oosubstantialisation"

des femmes. En sienant àl'origine les tracts et les affiches de l'interminable : oodes femmes d,, touoe-ment des femmes" car o'des femmes signifie non pas la femme, non pas unefe1m9, mais plusieurs"32 (au point que o'Des femmes" est devenu prus tard lesigle d'une maison d'édition, d'une librairie, d'un quotidien, d'ùe associa-tion de production cinématographique), en interdisant à la presse ou au per-sonnel politique de parler de "libération" - ou de "secrétariat aux droits,L deoola" femme, le mouvement féministe constituait un obstacre à pénétrer dans ledébat éthique, même de façon contestataire, sauf à faire pariie de sa dériveféminitaire.

voilà ce qui expliquerait les deux positions féministes que nous avons évo-quées, et plus précisément les postures contrastées, au centre de notre schéma,de deux anciennes sympathisantes d.e Psychanalyse et poritique, à peu prèségalement hosti les aux PMA dans leurs textes comme dans leu.s pr.rpu,a-ctuels, mais qui ne s'en trouvent pas moins séparées par la lisière du-charnp(fém.4 et 7) : l'une d'entre elles s'est spécialiséè sur le thème des pMA et dis-pose d'un accès écrit et oral aux débats sur l'éthique, tandis que l'autre s'estcantonnée à une posit ion d'observatr ice, corr igée par la publ icat ion dequelques textes, mais dans des supports exclusivemént fZministes.

L'erplication, ù ce nioeau de I'analyse, pourrait bien tenir ù Leur date d,erapprochement aaec I'e groupe Psychanalyse et Politique. Etant d.onné l'éao-Iution' de,ce groupe, engendrée par l'insttr,bilité et Ia complexité de son inspi-ration idéologique, ce critère est essentiel : I'une

"tt o.rioé. au début d.e sa

fondation (1970-1971), I'autre du cours d.e. la périod.e où s'opère rn premièredissocia_tion du groupe d'auec l'ensemble d,u rnouuement (àû à ce qui a étéuécu à I'été 1974 cotnrne un détournement" du si6le ,,Des

femmes', poir bapti_ser la maison d.'édition et la librairie d,u groupe). Or à cette-époque-, laréflnxion sur la "fétninitude" s'accentue : c'est d.i moins ce que déilare cettequi a choisi ce moment, et la parution du d.ernier numéro - onii.oo" maniàre -de Ia reaue du groupe, Le Torchon brûln (printemps 197s), pour s'en all.er.

militant face aux PMA , au contraire de celles qui y sont les plus favorables, sont celles qur ontfué ou sont devenues les plus étrangères à l'inspiration égalitaire du mouvement féministe :Cf.Ph.Bataille, Analyse des attitudes féministes face à Ia procrération médicalcment assistée.Les féministes à Ia recherche d.'une morule dc Ia procréation, Doctorat d,Etat de sociologie,soutenance prévue, début 1993, pp.l16-247. Pour un résumé : Id., .,La tlimension éthique àesmouvements d'action culturelle : réactions de femmes féministes au thème de la procréationassistée", Informations surlcs sciences socialns,29,vol.J, f990, pp.5B3_6f7.

32. cathy, "cest la vérité...mais c'est pas une raison pour le dire", in chronique d,'uneimposture- Du Mouaement de libération des femmes à une marque comm.ercinle, paris, asso-ciation Mouvement pour les lutttes féministes, l98l, sans pag.; Texte publié aussi dans LesT emps madernes, déc. 1980.

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DU SINGULIER AU GENERA]- 241

L'arriuée et la sortie du groupe d.ans cette période s'accom.pagne d''aillnurs d'e

I'usage de références intell,ectuelLes dffirentes : I'une dénonce l'accaparementdu corps féminin par Ins oosaooirs " médicaux, l'autre, cornrne certaines d'e sescompagnes qui se trouuent à l'extéri.eur d.e l'espace (fém.B), signaln que I'es

PMA n'ont pas réussi à détruire Les représentations patriarcalns, la sacrali-sation des liens du sang et la fi.liation naturelle bref ce oéritablÊ ooappareil

id.éolngique" qu'est Ia famiVn biolngi.que. C'est Foucault contre Ahhu'sser : àce point précis de cri.stallisation de la frontière d.u champ, Ins références quien autorisent ou en interd,isent ln franchissement s'affrontent plus ou moinsexplicitement par systèrnes philnsophiques interposés.

Ce qui fait donc un habitus déchiré et un jeu à la marge, c'est évidemmentla tension entre la part de l'habitus qui rapproche du champ et celle qui enéloigne.Mais ceci - et cela permet d'ouvrir un peu la boite noire de l'habitus -

en ce que l'habitus est lié à des figures de légitimité différentes (l'Homme, laFemme, les femrnes, des femmes), ou plutôt à des manières différentes de mon-ter en généralité. Celle qui se trouve la plus conciliable avec l'espace "éthique"se fait par le corps et l'identité biologique. Parce qu'à travers ce mode de gênê'ralisation par l'intermédiaire du corps, c'est le thème de la protection de lanaturalité du corps "humain" face à l'artifice - leit-motiv de ces débats - quipeut être rejoint. Il y aurait trois figures légitimantes disponibles en négatifsous notre continuum : "l'o'Homme eToole" corps humain, ooles o'Femmes et oole"

corps féminin, "les" femmes - ou mieux : "des femmes"- sans corps33. Voire desdominé(e) sans corps : le fait que des féministes "insiders" et "outsiders" par-lent les unes et les autres au nom des femmes confirme que ce sont plutôt des

façons dn généraliser plutôt que des figures légitimantes proprement dites quiséparent ces agents : les outsiders les plus extrêmes34 étant tout à fait capablesd'atteindre l'universel en invoquant leur appartenance au camp des dominés,sont alors en position de reprocher aux autres leur "tendance à fonder le droitdes femmes - leur revendication de libération - sur leur spécificité (et non surleur universalité i.e. leur appartenance à l'espèce humaine")3s. C'est ainsi queseuls les deux premiers modes de montée en gênérahté étaient apparemmentassez proches pour fournir la marge commune où jeter une fragile passerelle,mentale et rhétorique, entre le féminisme et l"'éthique".

7. Féminité oosornatiquet' et rapports oosociaJxoo de sexe. Mais au delà deces styles de généralisation, l'habitus déchiré renvoie êgalement, au fond, à desinvestissements corporels, de localisation et d'intensité somatique différentes.

33. Par symétrie défensive à la disqualification habituelle : "Femnes sans tête", d'après letitre d'un numéro spécial des Temps modernes consacré au féminisme.

34. Cet auteur n'est cité ici nommément que parce qu'il est en dehors de notre corpus.35. Ch,Delphy, "Libération des femmes ou droits corporatistes des mères ?",inNouaellcs

Quest ion Féministes,16-1?-18, 199I , p.95. Cf . aussi l ' édi tor ia l de ce numéro, int i tu lé'oParticularisrne et universalisme", visant à s'opposer encore aujourd'hui à ce que "Ia lutte(féministe soit) dévoyée vers des objectifs séparatistes et corporatistes, et non plus universa-listes," et à ce que oose trouve accréditée (...) I'assinilation des femmes aux mères, de la fémi-nitude à la naternitude" (p.13).

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242 DROTTETPOLTTTQUE

On est ici d'autant disposée à la posture éthique que l'on se vit intégrée dansun collectif identifié à d,es traits biologiques, concrètement id.entifiables etualables pour l'ensembl.e du oogenreoo. Les femmes engagées sur le terrain del'ooéthique" sont les plus proches des thèses qui ont conduit certaines, les plusconnues, à investir massivement comme lieu de construction de l'identité fémi-nine une différence biologique entre hommes et femmes apparemment dôtéepour elles d'une particulière évidence : celle que représentent la gestation et laprocréation. Cela consiste et à découvrir et à rappeler que oola femme est unventre", prometteur de joies dont les hommes sont exclus en raison de leur"ventre vide, ventre muet qui ne saura jamais que nourrir les vers"36.

Pour l'une, "Le uentre des femmes, d.ès lors quoell.es .ueulnnt être mères,d.eaient transparent. Cycliquement ausculté, palpé, sondé, mesuré, pénétrépa.r Le regard autorisé d.u méd.ecin et les m,achines. L'utérus, cet organe sicaché, opaque et m.ystéri.eux qu'il fut d.ésigné cornrrLe Le li,eu d,'une sympton.at-login féminine - l'hystéri.e - par lns aliénistes. Matrice inaccessiblc, siège d.e Iagénération ( .. . ), cet utérus primitif est en passe doôtre maîtrisé par la cuhuremédical,e (sauoirs, cod,ifi.cations et actes clini4ues) ainsi que tous les actes dere-production qu'il recélait. (...) C" point d.e regard sur ln uentre de la mère(...) est au point de jonctinn des intérêts étatiques et médicaur" (fém.2, 1986,p.191). Pour l'autre, lns pratici.ens d.e la reprod.uction assistée "inuestissentdes 'terres aierges', si I'on peut d,ire. Ils enaahissent Le corps intéri.eur de la

femme, s'approprient ses fonctions et ses prod.uits biolngiques) pour lcs morce-Ler, les dissociero Les patholngiser et l,es commercialiser, faisant du même coup'exploser' toute une symbolique du corps féminin I maternel (. . .) (fém.l , 1987 ,p.59.). Et pour la troisième, iI faut résolument s'opposer aux "rêaes d.e gros-sesses nl,asculines" qui serai,ent ceux des méd,ecins : ooQu'en est-il de la diffé-rence des sexes ? Du mystère de la profond.eur des corps ? Qu'y o t-il d.ans l,eDentre des femmes ? Ces questions, relnua.nt d.e Ia curiosité sexuell.e infantil.esont, sembl.e-t-il, moteur de toute curiosité, intellnctuell,e notamnxent. Ce sontaussi cell.es d.es scientifi,ques" (fém.3, 1987, p.30 et 29).

On est étrangère à l'éthique, à l'autre bout du tableau, quand on est privéede cette évidence corporelle par la vertu d'un aveuglement qui laisse alorstoute sa place à l'interprétation de l'oppression et de la différence en termespurement sociaux3T, et fait refuser les différences corporelles ou biologiquescomme autant de lieux menaçants, prétextes à légitimer la domination, Aumilieu du schéma, si la reproduction sexuée ne constitue pas le lieu privilégié

36. A.Leclerc, Paroles de femmes, p.133, cité in M.Ferrand, op.cit., p.120. C'est nous qui

soufignons. A l'opposé de cette aalorisation d.u 1)entre procréateur, cf. Ia méfiance qu'il inspi-re dans le féminisme classique, dans les ouvrages militants et volontairement anonymes :Maternité esclaue. Les chimères, Paris, Union générale d'éditions, 1975 et L'alternatiue.

Libêrer nos corps ou l ibérer I 'aaortement,Paris, Editions des femmes, 1973.

37. Et I'appartenance à la discipline sociologique ne constitue pas ici un facteur dissuasif

ou incitatif, puisqu'il y a plus de sociologues du côté de l"'éthique" (trois contre un) et plus de

philosophes en marge externe du champ (deu) : la logique qui mène à l"'éthique" traverse

allègrenent les disciplines.

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DU SINGULIER AU GENERÀL 243

où placer ce qui distingue hommes et femmes, cette investigation est menéedans une autre direction, vers ce que l'une d'entre elles appelle o'la troisièmevoie", allant chercher oola" petite différence ailleurs, non dans le ventre, mais,de manière plus abstraite, plus intellectuelle en un sens, partout où peut semanifester l'identité du sexe - au sein du langage, par exemple, ou dans lesformes du désir (fen.7 et 9) (dans un séminaire consacré depuis huit ans àl'Identité sexuelle, et symptomatiquement intitulé oolimites-Frontières"). lcid'ailleurs les identités sexuelles sont brouillées, hésitantes, souvent avouéescomme telles ; elles ne se sont en tout état de cause pas inscrites dans lesventres, c'est-à-dire dans des procréations et des enfants dont cinq de ces tra-jectoires sont dénuées (pour fem,5,7,8,10, et 13) : contrairement aux femrnesengagées dans l'éthique, qui ont toutes eu, selon les cas, un, deux, voire troisenfants.

Le sentiment d'urgence à protéger oola oonature et une corporéité visible,fût-elle féminine, constituait donc ce qui permettait de passer aux figures degênêralté d'une extension supérieure (le corps humain) exigée par la posture"éthique". Mais là encore, un peu de corps rapproche de cet espace, beaucoupen éloigne : parce que ce corps trop présent est susceptible de ramener à lasingularité, aux intérêts particuliers (oodes femmes"), et au concret, peu enhonneur ici. Ce qui retient donc les femmes en marge du jeu éthique, c'est leurarrêt dans leur montée en généralité, arrêt sur les femmes, arrêt sur le corps,bref une adhésion finalement partielle à la règle de généralisation, qui pousséeà sa limite, commande au contraire l'oubli de soi et de son propre corps. Lesféministes engagées dans l"'éthique" refusent au fond de s'en séparer pouraccomplir leur performance, de se séparer, à la lettre, de leur ventre (ou decelui des femmes en PMA) : ooPour Le collnque Génétique, procréation et droit,j'ai eu un mal de chi.en à pa,sser au fond de l'intérinrité ù l'extériorité. Parexemple, sur o'qu'est-ce quoun embryon ?", j'ai du réécrire deuxfois montexte. Je disais qu'on ne pouoait pas objectiuer l'embryon d,e façon séparée d,esoi, Le mettre deuant soi, comrne cela, pour en parlcr. Ilfallait s'aaorter sym-boliquement pour en parl.er" (fém.2)".

Le jeu constitue, on l'a dit, un espace où s'effectue une performance libremais réglée, où - s'il s'agit de jeux physiques - le corps en loisir est pourtantcontraint3s. Dans un espace destiné à l'élaboration d'un produit intellectuel etnormatif comme l"'éthique", cela se traduit par un équilibre entre la satisfac-tion d'intérêts expressifs concernant les PMA, expression personnelle et spon-tanéeo et la règle que représente une censure intellectuelle exigée de tous,L'investissement explicite des féministes "de l'éthique" sur le corps visible (neserait-ce qu'à travers celui des autres femmes) autorise aussi de le contraindremoins dans ces débats : "Il y a un très fort inaestissem.ent sur la féminité. Cesont d,es femmes qui bouillent. Coest con.nle si on leur auait uersé d.e I'eaubouillante dessus. Ell,es se sentent très concernées. Elles se font peut-être un

38. C'est d'ailleurs toute I'ambiguïté de la métaphore que d'attirer I'attention tantôt versl'aspect libre, tantôt vers l'aspect réglé du jeu. Cf.Damane,"Politique des jeux" , op.cit,,pp.4-6 .

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244 DROITETPOLITIQUE

peu de uisibilité là-d,essus, mais je crois qu'ell.es grill.erainnt Leur carrière pourd.éfend.re leur trucs, ù la limite" ff"*.6). Dans cet habitus qui résiste auchamp, qui refuse de le renconter harmonieusement, il y a, au fond le corpsféminin, constamment convoqué derrière les identités sexuées présentes dansle discours féministe, un ventre qui refuse de disparaître et de se fondre der-rière les figures neutres de corps 'ohumain" ou de "personne humaine" enusage dans l' activité éthique. C'est en cela que le mouvement féministe, gar-dien des femmes, a enlevé durablement à ses membres les forces pour souscri-re à la montée en génêralurtê en honneur ici, et pour adopter le point de vue dela "personne humaine potentielle", qui n'est rien d'autre que le point de vueintellectualisé de l'embryon. Derrière les usages "sociaux" incorporés quirésistent à l'entrée dans le champ, on trouve un autre corps, vivifié par le sou-venir du féminisme, convoqué à la première et à la troisième personne ("nous"

et ooelles") et qui se refuse à l'oubli.

8. Farnilles et militances. Les styles de montées en gênêralitê, partielle-ment liées à des élaborations somatiques différentes de l'identité, ont-elles desracines sociales identiables ? Il semble bien qu'il y ait des rapports entre cestrois niveaux, mais leur sens nous échappe et n'a êté proposé ici qu'à titred,'hypothèse. La sociolngi.e d.u mouoernentféministe est balbutiante. A we pré-ci,euse exceptinn près3e, point d'analyse socinlngi,que précise d,e I'identité desmilitanteso a fortiori par tend.ances. Les féministes, nous dit-on notanment,

font parti,e de la petite bourgeoisi.e intellcctuell.e, engagée à' gauche, et ellnsont toutes milité aaant lcur engagem.ent dans ln Mouuement.

Mais c'est à un autre niueau de précisinn qu'il faut d'escendre lù encorepour cornprendre ln logi.que d.'engagem.ent d.ans les tendances i'dentitaire ou

féminitaire, si présente dans ce jeu nouaeau qu'est la prod.uction d'uneooéthique" d,es PNIA. Notre tableau nous apprend qu'ell.es ont toutes milité,certes, mais pr,s au môm.e endroit, A la frontière extérieur d'e loespaceo on estpassé, aun extrêmcs, par la JC, aoire ln PC, pour se ro,pprocher d'u PSU, oudcs Situatinnnistes, dc la "Tribune anarchiste-communiste", puis d'e la CFDT(fém.11 et 13) ; plus aers lc centre on a milité surtout au SNES-UP (fem.9 et70), on soest battu contre Ia guÊne d'Al6éri,e ou ln discriminatinn racfuiln auMRAP, auant de se rapprocher d.u PSU (fém.7 et 8). A la lisiàre d'u champ,militance d,ans le gauchismn, encore et à Ia JC, mais aaec unn incursion déjàoers l'écolngi.e ou Amnesty International (fém.S et 6). Le type d'engagementprati4ué à l'intéri.eur d,e l'espace "éthiqtæ" prend par comparaison toute sasingulnrité, IIIêmc s'il reste ex,pli.citetnent oode ga,uche'o , il se fait soit inexistantou par procuratinn à trauers ln choi.x - d.ans un conterte éaentuellem'eû diffi-cil.e - du conjoint ou dcs amis militants (fém.1 et 4), soit ne se construit pas per-sonnellement, en tout état de cause, sur d.es positinns d.e clnsse : I'une militedans un groupe pacifi.ste et anti-rnilitariste, parti.cipe ù des actions d'alphabô-

39. Cf.Les textes de C.Guinchard et al., N.Ringart, L. Kandel, et F.Picq, in Grouped'études féministes de I'Université Paris VII (GEF), Crises d.eln sociÉté,féninisrc et change-ment,Paris, Revue d'en face Æditions Tierce, 1991, pp,151-183.

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DU SINGULIER AU GENERA.L 245

tisation, au Groupe Information-Prison animé par Michel Foucauh,l'autre à

la d,éfense d,e Soli.d.arnosc au côté d.'autres intell.ectuels, et au mou'uement éco-lngiste de Brice Lalonde ; ell'e s'y e;fforce notantnl'ent de réconcilier féminimeet écologin, écrit dans "Le Sauuage", contribue à créer le groupe des "Ami'esd,e la terre", afin de "faire parler l'e muet", dernière étape auant I'entréedans lc féminisme, qui se fera d,onc ù trauers la défense d'e la nature (fém.3 et2). Bref Le férninisme engagé dans l'éthique pourrait bi'en apparaître conlmeune sorte d,e résultante cristallisée des trois types d'e rnontée en généralité sug-gérés plus haut (ckt,sses, groupes transuersaux et uniaersaux) et qui seserai.ent précisément succédés en phases depuis la fi'n des années soixante, I'e

d.ernicr état recouorant ici parti,ell,ement lcs d.eux autres\Ù.

Mais à trauers Ins pratiques militantes, n'y a t-il pas aussi d'es dffirencesculturelles et sociales qui en dépit d.e leur caractère ténu n'en sont peut-êtrepas moins signifinntes ? Les femmes désormais engagées d'ans lns d'ébats sur l'

"éthique" ont des pères ingéni,eurs (d.eux), 'obusiness nlan"o ou propri^\taired,'un comm,erce d,e d,étail, et dans l,es milinux Les plus faaorisées' (fém.I et 2),deux mères "so;ns profession". Les autres signalcnt, antrx ertrêmns, un ouaricr,un VRP, un ins t i tu te r l r , r tn cour t ie r en assurance, auec , sur tou t , d .esconjointes au trauai l cornrne couturière, femme de ménage épisodique,emplnyée d.e poste ou institutrice. Mais on trouue égalnment ici la fill'e d'uncornrlerçont mais surtout celln d,'un directeur de sociÉté, "catholique et bour-geois", et cell.e d'un coupln o'tout professionlibéral,e" (un conseill,er juri'd'ique

et urr,e conl,ptabl.e) . Ces enfants temibl,es, qui ont fait rupture très tôt a oec lnur

fa,mill,e, contribuent à ce que Les dffirences socinles soiznt assez peu uoyanteset peu pensées dans ce mili.eu - en effet d.'apparence relatiaemnnt homogène -

saufo comme partout, pour lcs plus dominées.

(Jne tentatiae ù peine esquissée d,'approche anthropologi4ue, auprès de laootendance Lutte d,e classe" et d,u groupe Psychanalyse et Politique réuèle lecaractère cependant plus intelLectuel et plus personnel d'es interuentions aucours des réunions d,e celui-ci ainsi que l'aptitude d,e ses membres à' Iancer desmodes en matière Lexicale. musicale et aestimentairear. La relatiae aisance

financière, tant d,écriÉe ù l'époque, de ce mouaement, l'agacement que susci-tait chez Les autres sa tend,ance réputée incompréhensible à l'exégèse laca-nienneL2,lc fait quil a pu s'insérer d,urablnment dans I'e ma'rché de I'édition àtrauers la o'Maison d.es femmeso', la réussite littéraire et académique de

fernmes qui se sont fait Les porte-parole de la féminitud'e et d'e I'écriture fémi'nine (HélÀne Ciaous, Anni.e Leclcrc, Luce lrigaray), perm.et de situcr lcs ooid'en-

titaires" glnbalnment un peu au dessus d.es autres, d.u point de tnc social etculturel, ù l'intéri.eur d,u mnu,uemcnt. Il apparaît aussi que l,es tendances'oiden-titaires" ou'féminitaires", notannm.ent Le groupe Politique et Psychanalyse,

40. Cf.C.F.Poliak, G.Mauger, "Du gauchisme à la contre-culture", Contradictions'Bruxelles, no38, Hiver 83-84,pp.39-62, et G.Mauger, "Gauchisme, contre-culture et néo-libé-ralisme", à paraître.

41. N.Garcia Guadilla, Libération ..., op. cit., pp.86 sq.42. Cf. Cathy, "C'est la vénté...", op.cit., sans pag.

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246 DROTTETPOLTTTQUE

sont restées, malgré lnur d,êsir d'oooutserture sur l,e mond,e ouaricro d.es mouue-ments d'i.d.ées liÉs aux milinux dc l'enseignement, de l'éd.itinn, d,es arts et d.esspectaclcs", tandis que d'autres tend,a,nces plus éga,Iitaires auraient eu plusdimpact sur lns ernployées et lcs ouariàres\3o ce qui confirmerait la socinlogiespontanée d'ancbnnes militantes opposa.nt bs d,estins contrastés d.es anciennesidentitaires, plutôt entrées dans l'enseignemcnt supérinur, Le journalisme, lalittérature, ù celui des égalitaires, daaantage oouées à d,es tâ,ches d'encad.re-ment social (éducatrices, assistantes sociales, médecins, psychologues, ouenseignement second,aire) ou ù d.es entreprises de recherche souaent dénuéesd,oinsertinn ou de reconnaissa,nce académi,ques (fém.IL, infonnatrice). Ilfautciter encore les presqu'injures qui s'échangent encore aujourd'hui entre lesunes qualifi,ées de "dames, ensembl,e autour d,e Leur thés" pour parl,er d,e la

féminitud.e, et Les autres taxées de ..."féministes" (fém.11).

9. Des ttnondes invisiblesoo ? Qu'en tirer concernant les modes de gênêra-lisation adoptés par les unes et les autres ? D'abord qu'il ne faut pas raison-ner, une fois de plus, en termes d'appartenance sociale au sens strict, mais, er,ici, nous Le répétons, pour lc mornent à titre d'hypothèse, en termes d'affinitéspréférentielles avec l'un ou I'autre extrême de notre continuum. Tout se passecomme s'il y avait derrière chacune des positions idéologiques (et des investis-sements corporels qui l'accompagnent) ce qu'Anselm Strauss, lorsqu'il étudiela formation des identités en situation, appellerait un "monde invisible"aa,qu'on n'entendra pas ici, pour notre part, comme I'origine sociale ou familialestricto sensu des agents, mais comme une sorte de bruit de fond social et cultu-rel, fût-il étrangero contre lequel s'adossent de préférence les individus dansun univers orienté et qui suggère aux unes et aux autres de ces anciennes mili-tantes des usages différents du corps dominé et des ses traits spécifiques,socialement stygmatisés.

A la manière dont lcs intell.ectuels par exempl.e, face aux ressources éco-norniques dont ils sont dépourutls, ne s'en trouuent pa,s moins en situationsocial.e d,e uanter burs aptitudes intell.ectuell.es. Une contrainte sociab dou-bl.ée d,'une capacité à en faire une valeur promue au niveau de l'universel,uoilù ce qui pourrait bi.en être ù la source de l' aptitude d.e ces anci.ennes mili-tantes à Ia généralisation "à partir du aentre" féminin, et surtout d.e I'attitu-de, réactiuée dans ces d.ébats, qu'ell,es adoptent à l'égard d.e la gestation : unconsentenl,ent d.ont on peut tirer un pouuoir et une réactiaité imméd.iate àtoute manifestation du pouuoir masculino une acceptation bataill.euse, un ouicontestataire, brefun jeu à la marge.

C'est donc par tous les pores d'une identité sociale extraordinairementcomplexe - où le corps, et son histoire sont diversement investis, et soutenus encela par des dispositions traduites en termes idéologiques et culturels - et nonpar le seul fait, par exemple, de stratégies pour "prendre place"- qu'est secrété

43. N.Garcia Guadilla, Le mouvement. .., op.cit.,p.353.44. A.Strauss, Miro i rs. . . , op.c i r . , pp.156 sq.

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ce qui conduit insensiblement à entrer dans un espace comme celui del'éthique ou à le quitter, à y jouer à la marge de façon distanciée et critique,bref à inaugurer des rapports au jeu apparemment insolites. Le schéma appa-ru ici justifie de ce fait la représentation d'un champ sous forme d'analyse descorrespondances, apte en à figurer les contours éminemment indécis. Il dessi-ne enfin les limites de la validité heuristique de la métaphore du jeu, en cequ'elle supposerait des joueurs tout d'une pièce, pris tout entiers dans un jeu

qui ne serait que d' ici et maintenant, vision enchantée de virtuoses oudoexcluso qui, pour les marges du champ tout au moins, ne se vérifie pas. Carderrière les jeux et les investissements d'aujourd'hui, s'en profilent de plusarchaTques, et, si notre hypothèse s'avérait juste, de col lect ivement plusanciens : ils traduiraient différentes constructions sociales des identités fémi-nines engendrées par la résistance à la domination.