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UNE INTRODUCTION EN ÉDUCATION

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UNE I N T R O D U C T I O N

A LA P E N S É E ÉCONOMIQUE EN ÉDUCATION

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P É D A G O G I E D ' A U J O U R D ' H U I

COLLECTION D I R I G É E PAR GASTON M I A L A R E T

UNE I N T R O D U C T I O N

A LA P E N S É E ÉCONOMIQUE

EN ÉDUCATION

É R I C D E L A M O T T E

M a î t r e de conférences à l 'Un ive r s i t é de Rouen

P r é f a c e

L O U I S P O R C H E R

Professeur à l 'Un ive r s i t é de la Sorbonne nouvelle

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S DE FRANCE

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A Régine, ma première lectrice

Mes remerciements vont à mes collègues de Rouen et d'ailleurs, d'économiste, des sciences de l'éducation, des sciences de l'information et de la communication pour leur aide discrète et précieuse.

ISBN 2 13 048991 5 ISSN 0768-1623

Dépot légal — 1 édition : 1998, février

© Presses Universitaires de France, 1998 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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S o m m a i r e

PRÉFACE, par Louis Porcher, 1

INTRODUCTION, 5

P R E M I È R E PARTIE

Évolution, rupture et permanence Pour une archéologie de la pensée économique en éducation

CHAPITRE PREMIER. — Richesse des nations et éducation, 13

Comprendre la construction économique de l'objet éducation, 14

Genèse de l'économique, 16 De l'économie féodale à l'économie des marchands, 17 L'essor du capitalisme, 18 Éducation, organisation sociale et clergé, 20 La réflexion économique, 21

Économie et société moderne, 29 L'économie classique, 30 Le travail producteur de capital, 31 L'éducation est-elle productrice de richesses ?, 32 La construction de la liberté individuelle, 33 La fin des passions, 34 L'éducation de l'homo œconomicus, 36

Pour conclure ce premier chapitre, 38

CHAPITRE II. — L'État-nation ou l'ébauche d'une relation entre économie et éducation, 40

L'école prise entre État-nation et rapports de classes, 43

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La grande transformation, 45 Travail, salariat et monde populaire, 46 Les sciences à la recherche des clés de la nouvelle société, 48 L'éducation et la science des restes, 51 Les néo-classiques, 52 Les services collectifs producteurs d'utilité, 55

La légitimation économique de l'intervention de l'État, 56 Les devoirs de l'État, 57 L'information imparfaite, 59 La concurrence imparfaite, 60 Les biens collectifs, 61 Les effets d'externalité ou les bienfaits de l'éducation, 63

La légitimation politique de l'intervention de l'État, 65 L'État-République, 66 L'État-souverain, 67 L'impossible accord entre la démocratie et l'action collective, 69

Individualisme et ordre social, 71 Éducation et surveillance, 73 Éducation, corporations et associations, 74 Luttes politiques et école républicaine, 76 Éducation, service public et pacte social, 78 La mesure économique de l'impact social de l'éducation, 80

Pour conclure ce second chapitre, 81

CHAPITRE III. — L'économie de l'éducation, 83

L'émergence de l'économie de l'éducation, 84 La société salariale, 86 La rationalité instrumentale, 88 Pour une mise en perspective critique, 89

Éducation et croissance économique, 92 La science, innovation et croissance, 93 L'accroissement de la valeur « force » de travail, 94 L'éducation : un investissement de structure, 96 La mesure de l'apport de l'éducation à la croissance, 97

Le capital humain, 99 L'éducation : un facteur de production, une source de reve- nus, 100 La théorie du capital humain, 101 Sociologie de l'éducation et métaphore économique, 103 Les caractéristiques de l'éducation comme capital, 105 La rentabilité de l'investissement éducatif, 106 La relation éducation-salaire, 108 Les critiques de la théorie du capital humain, 109 L'évolution de la relation formation-emploi, 114

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L'éducation : une grande entreprise, 115 De la performance des élèves à celle de l'institution, 116 L'organisation mécaniste, 118 La planification éducative, 120 L'homogénéisation des productions, 124 Standardisation et contrôle, 125 La question de l'instrumentation de l'enseignement, 127 Prestation de masse et relation administrative, 129

Pour conclure ce troisième chapitre, 131

DEUXIÈME PARTIE

Exploration du temps présent

CHAPITRE IV — L'individu, l 'État et le marché, 135

La montée des contestations ou le retour de l'acteur, 137 L'école prise dans un nouveau rapport de service, 138 La renaissance de la sociologie économique, 139

Le retour du sujet, 141 L'attention portée à la construction du lien social, 143 La nécessaire reconsidération de la demande d'éducation, 145

Vers un État modeste, 148 La question de l'ajustement des prestations aux usages, 149 Changer d'école ou changer l'école ?, 151 La critique de la régulation tutélaire, 152 La problématique de l'équité et de l'efficience, 155 La liberté de choix, 160

Les marchés éducatifs, 162 Les limites du calcul rationnel, 163 La coordination des marchés et le rôle des conventions, 166 Le comportement des consommateurs, 168 La régulation des mécanismes de concurrence, 170 L'analyse des réseaux : le cas de la formation des adultes, 172 Les nouveaux horizons de la recherche, 174

Pour conclure ce quatrième chapitre, 176

CHAPITRE V — L'éducation : une activité singulière ?, 178

La puissance éducative, 179 Ouvrir la boîte noire, 181 Le management de l'éducation, 183 L'éducation : une activité de service, 185

La gestion des prestations éducatives, 186 L'éducation entre la sphère de l'industrie et l'artisanat, 187 L'éducation : une activité à analyser, 189

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De l'organisation « mécaniste » à l'organisation de service, 191 La relation de service, 193 Mutation de la division du travail et pédagogie, 194

L'éducation, un secteur économique, 196 La société de service, 198 La société postindustrielle, 200 Une société post- ou néo-industrielle ?, 202 L'éducation et les industries culturelles : la convergence ?,203 L'internationalisation de l'éducation, 205

Pour conclure ce cinquième et dernier chapitre, 207

CONCLUSION, 209

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE, 211

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Préface

Depuis les célèbres « économies monde » de Braudel, nul n'ignore que l'économie non seulement est un monde mais contri- bue à construire le monde tout court. Le monde de l'économie n'est plus dissociable de l'économie du monde, quel que soit désormais l'objet que l'on étudie. L'éducation n'échappe évidem- ment pas à cette règle, comme le montre suffisamment l'abon- dance des travaux consacrés depuis longtemps déjà à cette dimension de nos métiers.

Universitairement, en France, un rôle pionnier a été incon- testablement joué par l'IREDU, à Dijon, sous l'impulsion d'abord de Jean Claude Eicher, et les nombreuses publications de cet institut ont marqué la progression nette et constante des préoc- cupations économiques au sein même de l'éducation. D'autres apports, venue de l'économie elle-même, comme spécialité pro- pre, ont également joué un rôle non négligeable dans cette affaire.

Un pas décisif a cependant été franchi par la massification du système éducatif, qui connaît aujourd'hui une sorte d'apogée et à propos de laquelle il n'est pas inexact de dire que l'éducation touche désormais tout un chacun, « du berceau à la tombe », selon la magnifique expression britannique. La loi de 1971 sur la formation professionnelle continue constitue à cet égard comme une marque symbolique de l'entrée définitive dans le « tout éducation ».

Dorénavant il n'est pas exagéré d'affirmer que la formation initiale représente, pour une majorité de la population, une

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vingtaine d'années de la vie, soit plus du quart d'une existence normale. Quant à la formation ultérieure, elle ponctue l'activité professionnelle de tous les acteurs sociaux, au point même de jouer une rôle de régulateur de la vie des métiers et de leur évolu- tion, celle-ci restant d'ailleurs largement imprévisible sur le moyen terme.

C'est pourquoi il est devenu aujourd'hui nécessaire de réin- terpréter la genèse relativement longue de ces transformations radicales du monde éducatif. Puisque que tout est économique dans l'éducation, il est indispensable de comprendre selon quels processus cette situation s'est mise en place, du moins dans l'en- semble des pays industrialisés. Il n'est plus possible de passer sous silence « l'économisation » du secteur de l'enseignement, structurellement et opérativement.

Sans paradoxe, mais par simple effet de position, les ensei- gnants eux-mêmes sont ceux qui éprouvent les plus grandes diffi- cultés à percevoir le phénomène et, surtout, à détecter que celui-ci intervient maintenant directement dans leur travail proprement pédagogique, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou pas. Ils parviennent péniblement à découvrir « le prix des choses qui n'ont pas de prix » comme le dit Bourdieu à propos de la peinture.

Ils sont comme prisonniers d'une définition des métiers pédagogiques qui accorde à ces derniers une « autonomie rela- tive » (Bourdieu et Passeron), c'est-à-dire une certaine indépen- dance par rapport aux contextes globaux dans lesquels ils s'ins- crivent. Leur « aveuglement spécifique » se comprend certes fort bien. Ils auraient tout de même largement intérêt à en sortir, ne serait-ce que pour identifier, dans les yeux de leurs élèves, cette angoisse du chômage, dorénavant omniprésente, et qui fonde l'at- titude des apprenants à l'égard des savoirs transmis, de ceux qui les leur transmettent, et, plus massivement, des institutions qui les ont en charge.

C'est à ce propos que le livre d'Éric Delamotte est destiné à jouer un rôle de premier plan, comme aide aux enseignants pour qu'ils mesurent la nature et l'importance des phénomènes écono- miques dans leur vie professionnelle quotidienne. L'auteur a choisi, avec une acuité et une pertinence remarquables, de recons- truire une généalogie, ou, mieux, une archéologie de l'entrée de l'économique dans l'éducatif et de ses conséquences.

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La lignée foucaldienne est ici constamment présente, comme projet et démarche susceptibles de faire apparaître les chemine- ments longtemps à peine visibles des enjeux économiques dans la sphère éducative. En particulier, les effets mutuels de l'économi- que et de l'éducatif, facteurs réciproques de transformation, sont souvent délicats à détecter. Les faire percevoir constitue donc une contribution décisive à l'éducation (justement) de tous.

Il ne s'agit pas ici de l'homo oeconomicus ni de l'homo academicus, mais bel et bien des liens innombrables et indéfai- sables qui se sont lentement instaurés entre eux au point de les rendre, maintenant, interdépendants, ou, plus exactement, corré- lés. Le « profil épistémologique » d'un concept est, selon Bache- lard, on le sait, une condition indispensable à sa maîtrise et à la compréhension de sa portée véritable, de sa puissance, de son opérationnalité.

C'est de cela qu'il est question ici à propos de cet engendre- ment mutuel et quasi clandestin entre l'économique et l'éducatif. Travail d'élucidation, donc de dépliage, de mise en réseaux de visibilité partagée. Ouvrage d'une extrême minutie et qui che- mine constamment sur le fil du rasoir épistémologique. Livre fondateur, par conséquent, ou, en tout cas, initiateur d'une cer- taine lignée, qui appelle aujourd'hui de multiples contributions sectorielles, et, à n'en pas douter, va susciter tout à la fois des émules et des débats.

Louis Porcher, Professeur à l'Université de la Sorbonne nouvelle.

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Introduction

Si tout pouvait être simple, on pourrait dire que le présent ouvrage explore l'économie de l'éducation. Mais, bien entendu, à rapprocher l'économie et l'éducation, c'est la société globale qui est convoquée. Comme de nombreux cher- cheurs en sciences sociales, nous avons essayé de mettre à jour les multiples corrélations entre l'économique et le social, entre le politique et le culturel. Sans penser que tel ou tel sec- teur puisse avoir, une fois pour toutes, le pas sur un autre, nous observons les relations entre l'économie, l'économique et le monde éducatif.

Avec sa main classificatrice, écrit J. Schumpeter, le cher- cheur sort d'une manière artificielle les faits économiques du grand courant de la société. L'exercice consiste à essayer de décrire l'esprit du temps, de le circonscrire et d'en repérer les composantes. Il n'y a pas d'économiste, de sociologue ou d'historien, qui ne procède à des divisions et des classements, bien que tous soient, en première instance, artificiels, aussi bien ceux de K. Marx (infrastructure/superstructure) que ceux de F. Braudel (les économies-mondes). Il ne s'agit jamais que de procédés d'explication, le tout étant de savoir s'ils permettent, ou non, une saisie efficace des problèmes importants. Présenter l'apport de l'économie à la définition de l'éducation ne présuppose aucune supériorité, incontesta- ble et permanente, de cette discipline par rapport à d'autres.

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Simplement, se demander comment les économistes actuelle- ment abordent l'éducatif est un exercice périlleux et néces- saire parce qu'il constitue la voie le long de laquelle on peut espérer détecter des lignes d'évolution encore peu visibles. C'est ce que nous avons tenté pour cet ouvrage.

Nous esquisserons donc ce qui va suivre en insistant sur les limites de cette intention et les précautions qui en résul- tent. Dissipons d'abord quelques quiproquos : depuis les années soixante, l'éducation est entrée dans le champ de l'analyse de l'économiste. Les Anglo-Saxons parlent d' « éco- nomie de l'éducation » désignant par là une spécialisation à l'intérieur d'une discipline générale, l'économie, dont le domaine s'étend, s'enrichit et se diversifie. Cependant, cette branche n'est pas la seule à prendre en compte l'éducation dans ses problématiques. Ainsi l'économie des services ou de la culture éclairent par leurs concepts le fonctionnement des institutions éducatives. Enfin, l'économie ne contribue pas seule, comme discipline, à construire des connaissances dans le domaine économique. La sociologie, par exemple, se donne aussi les moyens d'y intervenir selon ses modalités propres. Le savoir économique sur l'éducation est éparpillé et donc lacunaire.

En fait, le besoin se fait sentir de développer une perspec- tive qui combine les variables et les concepts propres à la science économique à ceux des autres sciences. Nous avons donc essayé de fournir sur le modèle anglo-saxon du survey et, sur le mode du « tricotage », un guide des études qui sont menées dans les différents lieux de recherches. L'objectif est tout à la fois d'initier le profane aux arcanes de l'économie de l'éducation et, en même temps, de lui faire découvrir les enjeux scientifiques et sociaux multiples qui accompagnent les recherches économiques en éducation.

Mais notre préoccupation n'est pas seulement contempo- raine. Par une sorte de renversement, soucieux du présent, nous avons considéré en effet que notre regard actuel date à la fois d'hier, d'avant-hier, de jadis. Les connaissances s'ajou- tent aux connaissances et l'histoire de l'économie est en cons- tante évolution. Nous avons cherché à savoir quand et com- ment les conceptions de l'éducation, issues de la pensée économique, se sont transformées. Nous avons ainsi bâti un

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ouvrage à mi-chemin entre l'histoire et les sciences sociales que sont l'économie et la sociologie. Partant d'une analyse aussi attentive et neutre que possible, nous avons cherché à saisir des régularités, des configurations, au total, d'écrire une sorte d'histoire de la pensée économique en éducation. En tout état de cause, il s'est agi, dans un effort d'intelligibilité, de décrire des évolutions et des permanences dans la manière dont les économistes ont abordé l'éducation et la formation, de reconnaître des articulations entre le domaine économi- que, le travail et les activités d'enseignement et de formation.

Dans une perspective historique longue, il est possible à partir des textes de retracer l'évolution de la pensée économi- que. Cette histoire de l'économie nous décrit une œuvre humaine, aux prises avec les activités économiques, les con- traintes sociales, les mentalités. Chaque époque est dominée par des problèmes scientifiques, des théories qui guident les recherches. Mais chaque époque est porteuse de croyances et d'aveuglements. On peut ainsi étudier les opinions, les doctri- nes qui se rattachent à des systèmes d'économie politique fondés sur certains principes normatifs. Dans la longue durée, il est alors possible de décrire l'évolution de la science écono- mique, c'est-à-dire des hypothèses, des outils d'analyses par lesquels les économistes se sont efforcés de maîtriser la réalité économique et d'en fournir une explication. Par histoire de l'analyse économique, écrivait Schumpeter, j'entends l'his- toire des efforts intellectuels que les hommes ont fait pour comprendre les phénomènes économiques. Le travail scienti- fique se constitue en réalité, comme le souligne si bien G. Bachelard, sur un ensemble d'erreurs rectifiées.

On pose aussi que le lien entre connaissance et action col- lective est une clé opérationnelle. L'Occident a toujours été poussé en avant par deux forces conjointes : la volonté de con- naître et la volonté de dominer. Il y a une relation entre la vérité d'une théorie économique et les vérifications empiri- ques. Les sciences de l'homme sont contemporaines du mou- vement de libération qui suscitent la Révolution, puis au XIX siècle le romantisme et les nationalistes. M. Foucault a admirablement montré comment se constituent des « arran- gements » où les sciences, les arts, les idéologies s'articulent pour former la structure d'une époque. Reste que le décou-

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page d'une époque n'exclut pas les empiétements et toute périodisation exige une grande prudence. Le concept de « révolutions scientifiques » proposé par T. Kuhn ne suppose pas obligatoirement des discontinuités absolues dans le débat scientifique, c'est-à-dire des ruptures dans le développement d'une science.

Quels sont les questionnements qui ont été travaillés et discutés ? Quelles ont été tout à la fois les directions prises par les économistes et les usages qui ont été faits des concepts ? On voit que l'histoire indique un lien entre économie et édu- cation qui s'organise autour de trois orientations : l 'É ta t et les services collectifs, les liens entre productivité du travail, for- mation et emploi et, enfin, les individus et la demande de ser- vices éducatifs, c'est-à-dire l 'éducation comme secteur d'acti- vité et comme marché.

Il nous semble que le processus capitaliste industriel, con- sidéré dans son ensemble, n 'a pu se développer qu 'à partir de l 'organisation de certaines réalités sociales, dont l'école avec l ' instruction du peuple, qui lui ont ouvert ou, pour le moins, facilité la route. L'éducation, en première lecture, n'est-elle pas un enjeu politique ? La révolution industrielle aurait-elle pu s'imposer sans l 'action de l 'E ta t ? Ce livre peut être défini comme l'exploration, d'une époque à une autre, des condi- tions d'une éducation relevant du service public et de la con- ception de la liberté des individus face à l'enseignement.

Cela dit, la question de l 'apport de l 'éducation à la perfor- mance de l'économie est aussi à la base de la réflexion con-

temporaine. La seconde orientation privilégie un autre aspect de la relation entre l'économie et l 'éducation : les ressources

humaines. Quels rôles jouent les savoirs dans le processus éco- nomique ? Par quel cheminement l 'éducation est-elle devenue un atout compétitif? A partir d 'un certain niveau technologi- que, la formation est désormais indispensable au développe- ment. Quelle en est la théorie ? L'éducation est-elle un inves- tissement pour les personnes ou pour les entreprises ? Au moment où la fonction séculaire de l 'éducation du citoyen est de plus en plus perçue comme un enjeu proprement économi- que, la matière grise, l'intelligence dans le travail sont recher- chées. Aujourd'hui, le rôle du facteur humain est-il perçu plus net tement ?

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Pour l'économiste, l 'éducation est avant tout un investis- sement, par opposition à une consommation. Soit, cependant, cette distinction n'est-elle pas équivoque ? L'analyse de la « demande sociale d 'éducation » au sens large, entendue comme l'expression d 'un intérêt pour l 'éducation par des individus, ouvre la porte à une théorie du consommateur de biens éducatifs. L'éducation n'est-elle pas un marché avec une offre et une demande, c'est-à-dire un secteur d'activité singulier, certes, mais un secteur formé comme les autres d'organisations et de salariés ? Que nous apprend l'observa- tion économique des politiques locales et des projets d'établis- sements ? Au fur et à mesure du développement de la société de consommation, l 'enseignement est devenu, dans le cadre du développement des services, un enjeu pour la structure économique capitaliste. La revendication d 'un libre choix exprime-t-elle un autre rapport social à l 'éducation ? Com- ment se nouent les fils entre une mise en scène des institu-

tions, c'est-à-dire un pouvoir, et le discours qui se rat tache à la mission de l 'éducation à l'égard du public et du jeu des for- ces sociales ? Pour sa part, l 'ordre économique se recompose autour des services ; l 'éducation, la santé, la culture sont reconnues. L'éducation est au cœur de l'économique. Econo- mie et éducation forment un couple réconcilié.

Fascinante évolution, l'économie de l 'éducation se pré- sente sous la forme d'entrelacs de recherches éparses qui ont finalement pour t rai t commun de faire de l 'éducation, long- temps cantonnée à un rôle secondaire, un objet a t t ract i f et original pour la recherche contemporaine. Encore faut-il, pour capturer ce monde, que les investigations scientifiques, comme au tan t d'inventions humaines, sans se soucier des frontières, continuent à opérer des passages d'une science à l 'autre et créent des « filets » transdisciplinaires.

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PREMIÈRE PARTIE

ÉVOLUTION, R U P T U R E E T P E R M A N E N C E

POUR UNE ARCHÉOLOGIE

DE LA P E N S É E ÉCONOMIQUE E N ÉDUCATION

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C H A P I T R E P R E M I E R

Richesse des nations et éducation

Pouvoir considérer l'éducation comme un terrain propre à l'économie signifie que la théorie économique a aussi vocation à traiter les questions relatives à l'éducation, soit parce que l'éducation relève du monde économique, soit parce que les hypothèses économiques y sont efficientes. De nombreuses questions se posent. Les économistes s'intéressent-ils à l'édu- cation, et depuis quand ? Qu'est-ce qui légitime les économis- tes à parler de l'éducation ? Ou, si l'on préfère, qu'est-ce qui donne le droit aux économistes de se servir de cet objet ? Que dit l'économie de l'éducation que les autres disciplines ne disent pas ? C'est-à-dire : qu'est-ce que l'économie dit de plus et de nouveau ? Enfin, comment les modes explicatifs des économistes s'articulent-ils aux modes explicatifs des autres approches ?

Le foisonnement des questions oblige à organiser la cons- truction des réponses. Entreprendre une introduction à la pensée économique en éducation n'est pas une opération facile car derrière la traduction d'une formule anglo-saxonne (economic of education) se cache une ou plutôt des économies de l'éducation. Pour introduire aux économies de l'éducation nous avons donc privilégié une entrée thématique à travers une approche chronologique.

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Afin de comprendre la relation entre l'économie, comme discipline, et l'éducation, il faut revenir à leur relation et à leur perception initiale. L'ambition de ce chapitre est, en pre- mier lieu, de mettre au clair la place de l'éducation lors de la genèse de la pensée économique, c'est-à-dire l'émergence d'un point de vue nouveau où la richesse, le marché et le travail sont au cœur des préoccupations politiques et scientifiques. Nous voudrions suivre la croissance du phénomène économi- que depuis sa naissance jusqu'à la Révolution.

Nous n'entreprenons pas ici un travail historique. Ce que nous cherchons, ce n'est pas une séquence convaincante d'évé- nements saillants, mais une explication de leur tendance en fonction des institutions humaines. Nous nous sentirons libres de nous arrêter sur des scènes du passé dans le seul but d'éclai- rer les problèmes du présent. Nous analyserons en détail des périodes critiques, et nous négligerons le plus souvent les moments intermédiaires. Et, en poursuivant cet unique objec- tif, nous empiéterons sur le domaine de plusieurs disciplines.

Ainsi, un certain nombre de travaux historico-sociologi- ques ont montré comment avec le développement du capita- lisme l'on était passé d'une intégration communautaire, fon- dée sur la proximité domestique au sens large (familiale, villageoise, seigneuriale) à de nouveaux regroupements orga- nisés autour de lieux artificiels (la fabrique, le bureau).

Comprendre la construction économique de l'objet éducation

Tout effort de présentation est en un sens dépendant du problème, explicite ou implicite, auquel on entend apporter une réponse plus ou moins assurée. Le projet est de montrer comment un objet de recherche particulier, à savoir l'éduca- tion, a évolué au fil des infléchissements épistémologiques et sociaux qui ont pesé sur l'ensemble de la discipline économi- que. Il s'agit d'inscrire la réflexion économique toujours changeante dans la durée et, surtout de tenter une analyse du « sous-sol », c'est-à-dire des postulats que les théories endos- sent (Foucault 1966). En effet, lorsque nous apprenons à

1. M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.

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Nul n'ignore aujourd'hui que l 'économie non seulement est un monde mais contribue à construire le monde tout court. L'éducation n 'échappe év idemment pas à cette règle, comme le montre suff isamment l 'abondance des travaux consacrés depuis longtemps déjà à cette dimen- sion des métiers de l 'éducation et de la formation.

Puisque tout est économique dans l 'éducation, il est in- dispensable de comprendre selon quels processus cette situation s 'es t mise en place, du moins dans l 'ensemble des pays industrialisés. Soucieux du présent, nous avons à considérer que notre regard actuel date à la fois d'hier, d'avant-hier, de jadis. Cependant, il ne s 'agit pas ici de l 'homo œconomicus ni de l 'homo academicus, mais bel et bien des liens innombrables et indéfaisables qui se sont lentement instaurés entre eux au point de les rendre, maintenant, interdépendants, ou, plus exac- tement , corrélés.

En quelque sorte et s implement, économie et éducation ont une histoire dont il s 'agit de retracer la relation. D'autant plus que le regard sur cet héritage scientifique est porteur d 'un avenir. Il est une incitation stimulante adressée tout à la fois aux chercheurs, aux praticiens, aux étudiants, plus largement aux esprits attentifs à comprendre les mécanismes et les normes à l 'œuvre dans le renouvellement des savoirs contemporains .

Éric Delamotte est enseignant-chercheur à l'Université de Rouen.

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