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MAGAZINE éducation WWW.EDUCATIONMAGAZINE.FR NUMÉRO 12 / JUILLET-AOÛT 2011 NOTRE DOSSIER POUR OU CONTRE LES DEVOIRS DE VACANCES ? CAHIER CENTRAL QUE FAIRE CET ÉTÉ ? 12 PAGES SONDAGE Colonies de vacances, quelle image ? JEUX VIDÉO, WEB L’addiction des ados vue par Serge Tisseron LA REVUE DES PARENTS ET DES ENSEIGNANTS 3:HIKRMF=^UYWU^:?k@a@b@l@a; M 07259 - 11 - F: 4,20 E - RD ENTRETIEN La laïcité en questions Henri Pena-Ruiz

La pédagogie Freinet, une éducation à contre-courant

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La pédagogie Freinet, une éducation à contre-courant

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MAGAZINEéducation

WWW.EDUCATIONMAGAZINE.FR

N U M É R O 1 2 / J U I L L E T - A O Û T 2 0 1 1

NOTRE DOSSIER

POUR OU CONTRE LES DEVOIRS DE VACANCES ?

CAHIER C

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QUE FAI

RE

CET É

TÉ ?

12 PA

GES

SONDAGEColonies de vacances,

quelle image ?

JEUX VIDÉO, WEBL’addiction des ados

vue par Serge Tisseron

LA REVUE DES PARENTS ET DES ENSEIGNANTS

3:HIKRMF=^UYWU^:?k@a@b@l@a;M 07259 - 11 - F: 4,20 E - RD

ENTRETIENLa laïcité en questions

Henri Pena-Ruiz

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APPRENTISSAGES

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Une éducationà contre courantDepuis plus de 60 ans, certains instituteurs font le choix de la pédagogie Freinet, alternative qui prend en compte les différences de niveaux et de rythmes des enfants. En dépit de la liberté pédagogique affi chée, cette approche se révèle parfois diffi cilement compatible avec les exigences d’évaluation du ministère de l’Éducation nationale.

LA PÉDAGOGIE FREINET

«C’est quoi être amoureux ? », s’interrogent, ce lundi matin, au micro de Radio Lorca Aya, Lina, Mathieu et Nassim, âgés de 8 à 11

ans. Une radio « hors des ondes » diffusée dans toutes les salles de classe de l’école Garcia Lorca de Vaulx-en-Velin, dans l’agglomération lyon-naise. Ici, le taux de chômage atteint 20 % et la totalité des collèges et écoles primaires font par-tie du réseau ambition réussite. Mais à la diffé-rence des autres établissements, les instituteurs de CE2, CM1 et CM2 de Garcia Lorca ont fait le choix de la pédagogie Freinet. Une pédagogie al-ternative, instaurée dans l’école depuis 1998, qui fonde l’apprentissage des élèves sur la coopéra-tion, l’autonomie et la différenciation. Si les CM2 suivent un cours de géographie, les autres élèves travaillent seuls, guidés par une fiche indiquant à chacun les notions à assimiler au cours des trois semaines suivantes. Ici, les chuchotements ne déclenchent pas de réprimandes. Au contraire, les enfants sont encouragés à s’entraider. Un élè-ve ceinture jaune peut ainsi demander de l’aide à une ceinture orange, par exemple pour des mul-

tiplications trop compliquées, ce dernier ayant plus de compétences. Cette ceinture permet éga-lement d’entrer seul en classe ou de s’occuper de la trésorerie. « J’ai observé une ambiance générale

nettement plus sereine entre les élèves, mais aus-

si des relations plus apaisées entre élèves et

enseignants » note un professeur arrivé en 2001, après diverses expériences dans des écoles traditionnelles. Et pour cause. Les codes propres à la classe, la participation des élèves à la rédaction des lois, les conseils hebdomadaires destinés à évoquer les problèmes ou à voter le choix d’activités... Tout ici rappelle une micro-société.

Un choix militantBon nombre d’instituteurs parti-sans de la pédagogie Freinet désap-prouvent la direction que prend l’en-seignement actuel. « J’ai rencontré

bon nombre d’enfants qui partaient

avec des difficultés et des problè-

mes psychologiques, que l’école a fini

CLÉMENCE GLON (ENQUÊTE) MURIEL BEAUDOING

…/…

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d’abimer » déplore ainsi un autre instituteur sous couvert d’anonymat. La pédagogie Frei-net cherche, elle, à remotiver les élèves en difficulté en leur donnant goût aux connaissan-ces. Célestin Freinet parlait d’ailleurs de l’impossibilité de « faire boire un cheval qui n’a

pas soif »1. « Avec la méthode

Freinet, le rythme d’appren-

tissage des élèves est pris en

compte. Le travail est donné

par rapport au niveau pour ne

pas décourager, ni ennuyer. » Autre critique de l’enseignement classique : sa tendance à reproduire les classes sociales. L’école française entretiendrait, d’ailleurs, les inégalités sociales, selon le rapport Pisa, Pro-gramme international pour le suivi des acquis des élèves publié par l’OCDE fin 20102, celui-ci met, en effet, en évidence une augmentation de la proportion d’élèves de 15 ans en gran-des difficultés, passés de 15 % en 2000 à 20 % aujourd’hui. Des élèves issus pour la plupart de milieux défavorisés. « L’École française est aty-

pique par sa rigidité », juge Sylvain Grandserre,

pour qui les nombreux redoublements qui la ca-ractérisent illustrent une volonté de normaliser le niveau des élèves d’une même classe, avec un traitement identique, quels que soient leur ori-gine et l’environnement alentour.« La pédagogie Freinet permet, elle, d’avoir un

sens critique sur les choses, de ne pas simple-

ment être suiveur » déclare un instituteur. Il n’y a ainsi pas une seule méthode d’apprentissage, mais une volonté partagée d’émanciper les élè-ves. Chacun se l’approprie à sa manière, même si des activités comme le conseil des élèves ou le « Quoi de neuf ? », rendez-vous où les enfants racontent leur vie en-dehors de l’école, sont des classiques. Certains enseignants n’intègrent même que quelques éléments de la pédagogie Freinet, comme le système de ceintures par exemple.Pourtant, depuis les origines du mouvement, les enseignants ne se sont jamais sentis sou-tenus par les gouvernements successifs. La pédagogie officielle et celle de Freinet se sont, certes, rejointes un temps, les lois Jospin de 1989 s’inspirant des idées de Célestin Freinet avec, par exemple, l’organisation de la scolarité par cycles. Mais elles sont aujourd’hui bien dis-

tinctes et la pédagogie Freinet s’inscrit le plus souvent dans un cadre militant. « Cette pé-

dagogie n’a de sens pour qua-

siment personne, si ce n’est

pour les trois hurluberlus qui

la pratiquent ! » lance, provoca-teur, un instituteur. « Dans le

meilleur des cas, elle survivra

de façon complètement margi-

nale. » Cette rupture entre ces enseignants et leur hiérarchie s’explique, notamment, par un décalage profond entre les notions de valeurs et de notes.

Pour les instituteurs Freinet, la pédagogie offi-cielle considère davantage l’évaluation comme un moyen de contrôler le travail que de lui don-ner de la valeur. Les évaluations nationales des acquis en CE1 et CM2, mises en place en 2009 par le ministère, ont encore renforcé ce senti-ment. Une lourde pression pour ces enseignants qui estiment ne pas avoir droit à l’erreur. « Si un

enfant a des difficultés d’adaptation au collège,

la pédagogie est tout de suite pointée du doigt » regrette Michel Duckit, qui enseigne en classe unique à l’école du Lendemain, dans la commu-

Lapédagogie Freinet

permet, elle, d’avoir un sens critique sur les

choses, de ne pas simplement

être suiveur. »

‘‘

…/…

Inscrite dans le code de

l’enseignement depuis avril

2005, avec la loi Fillon, la liberté

pédagogique des enseignants doit

« s’exerce[r] dans le respect des

programmes et des instructions

du ministre chargé de l’éducation

nationale et dans le cadre du projet

d’école ou d’établissement »

(Art. L912-1-1). L’article ne donne

aucune défi nition précise de la

notion de liberté pédagogique.

Elle est donc interprétable

différemment, tant par les chefs

d’établissement qui défi nissent

le projet d’école que par les

inspecteurs qui jugent des

méthodes d’apprentissage.

A SAVOIR

LA LIBERTÉ PÉDAGOGIQUE

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ne iséroise de Montagne. Une incompréhension qui s’explique par deux visions différentes qui ne peuvent cohabiter, selon Dominique Sénore, chargé de mission auprès de Philippe Meirieu, vice-président de la région Rhône-Alpes en charge de la formation : « Pour réussir, la socié-

té prône la compétition, alors que l’école prône

la coopération, le vivre ensemble et la solidarité.

Il y a clairement un dilemme. » Les attentes so-ciales concernant l’école ne correspondent donc plus à son rôle.

Une liberté pédagogique sous contrôleLes instituteurs ont toujours eu le choix de leur pédagogie. Depuis 2005, ce principe est même inscrit dans le code de l’enseignement (cf. en-cadré). « Je n’ai, bien sûr, rien contre une péda-

gogie comme celle de Freinet,

très intéressante pour faire

progresser les élèves », as-sure une inspectrice de la ré-gion Rhône-Alpes qui préfère conserver l’anonymat. Mais l’autonomie excessive dans le travail présente, selon elle, des inconvénients. « Les systèmes

de fiches et d’autoévaluation

conviennent à des élèves déjà

relativement autonomes et

ayant de l’entraînement. »Au-delà du principe de liberté pédagogique, l’Éducation nationale demande de prouver l’ef-ficacité de la pédagogie utilisée. « Nous avons

un devoir de réussite pour les élèves et donc de

résultats » justifie l’inspectrice. Une logique de contrôle en contradiction même avec l’essence de la pédagogie Freinet. « Notre liberté pédago-

gique est réduite à notre capacité à obéir et à ré-

pondre aux attentes de l’institution », constate Sylvain Grandserre, instituteur en Normandie et auteur de École : droit de réponses3, qui dé-nonce ce passage obligé par l’évaluation géné-rale des élèves. « Cette liberté est encadrée par

le projet d’école, lui-même déterminé par les ré-

sultats aux évaluations nationales. Une vision

en entonnoir puisque les évaluations se font en

français et en maths. » Les instituteurs de pri-maire sont, en effet, dans l’obligation de mettre l’accent sur ces deux disciplines du socle com-mun, comme le rappelle l’inspectrice d’acadé-mie : « Tout enseignement doit être conforme

aux demandes ministérielles et académiques

et donc respecter les programmes. Seules les

évaluations permettent de dire qu’une façon

d’enseigner est meilleure que l’autre ou qu’un

enseignant est meilleur que l’autre. »La position de l’Éducation nationale vis-à-vis d’une pédagogie alternative comme celle de Freinet est donc ambivalente. Elle la tolère, sous réserve de bons résultats scolaires, sans pour autant l’encourager. Jusqu’en 2005, Syl-vain Grandserre organisait un stage de sensi-bilisation à la pédagogie Freinet à l’IUFM de Haute Normandie. Sans explication, celui-ci n’a pas été reconduit. « Il était pourtant le plus de-

mandé de tous les stages de la région » assure-t-il. L’écart entre aspirations des enseignants et possibilités offertes ne cesse ainsi de se creu-ser. Quant au sens citoyen ou à l’autonomie, ap-titudes essentielles à l’apprentissage mises en

avant par cette pédagogie alter-native, elles passent au second plan, ne pouvant se mesurer à travers un test. Une hiérarchi-sation des aptitudes qui, selon les défenseurs de la pédagogie Freinet, stigmatise par ailleurs les élèves en difficulté. Autant de contraintes et d’obstacles à cette pédagogie qui expliquent que nombre de ses partisans rejoignent aujourd’hui le rang des « désobéisseurs ». ❙

Notreliberté pédagogique est réduite à notre capacité à obéir

et à répondre aux attentes de l’institution. »

‘‘

Pour diffuser sa pédagogie, Célestin

Freinet a créé l’Institut coopératif

de l’école moderne (Icem) en

1947. Cette association, agréée

par le ministère de l’Éducation

nationale, de la Jeunesse et de la Vie

associative, regroupe enseignants,

formateurs et éducateurs autour

des principes de la pédagogie

Freinet. Elle effectue de la recherche

et de l’innovation et participe à la

diffusion de cette pédagogie par

l’organisation de stages, la mise

au point d’outils pédagogiques et

l’édition de revues documentaires

et de publications. Aujourd’hui,

entre 400 et 500 personnes adhèrent

à l’Icem, sans compter les antennes

régionales du mouvement, non

comptabilisées. Au total, une

trentaine d’écoles se revendiquent

« totalement Freinet » en France,

selon Catherine Chabrun, actuelle

présidente de l’Icem. Un chiffre à

relativiser car la mise en place de

cette pédagogie alternative dépend

de l’implication du personnel

enseignant. Un instituteur peut

ainsi être seul à pratiquer la

pédagogie Freinet dans son école

sans en référer à l’Icem.

A SAVOIR

L’INSTITUT COOPÉRATIF DE L’ÉCOLE MODERNE

1 Les dits de Mathieu, Célestin Freinet, Delachaux et Niestlé, 19762 Le rapport Pisa compare les résultats des élèves dans 65 pays selon deux critères : la compréhension de l’écritet les mathématiques.3 École : droit de réponses,Sylvain Grandserre, Hachette, 2007.

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