91
R Mtyy m LA 10L0NISATI0N OFFICIELLE EN ALGRIE DES ESSAIS TENTS DEPUIS LA CONQUTE ET DE LA SITUATION ACTDELIflT^v ^^^ PAR LE COMTE D'HAUSSONVILLE Membre do l'Acadmie, franaise, Snateur Extrait de la REVUE DES DEUX MONDES ; Ct" y ly [ PARIS CALMANN LEVY DITEUR 3, m r acder, 3 CHALLAMEL AfX LIBRAIRE-DITEUR 5, RUE JACOB, 5 ' 1883 V ^

univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

R Mtyy

m

LA

10L0NISATI0N OFFICIELLE

EN ALGRIE

DES ESSAIS TENTS DEPUIS LA CONQUTE

ET DE LA SITUATION ACTDELIflT^v ^^^

PAR

LE COMTE D'HAUSSONVILLE

Membre do l'Acadmie, franaise, Snateur

Extrait de la REVUE DES DEUX MONDES

; Ct"y ly [

PARIS

CALMANN LEVY

DITEUR

3, m r acder, 3

CHALLAMEL AfX

LIBRAIRE-DITEUR

5, RUE JACOB, 5'

1883

V

^

Page 2: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions
Page 3: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA

COLONISATION OFFICIELLE

EN ALGERIE

A,yA-H><>\

,-<&}y1"-.

Page 4: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

CALMANN LVY, DITEUR

OUVRAGES

M. LE COMTE D'HAUSSONVILLE

Format grand in-18

l'glise romaine et le premier empire. 5 vol.

HISTOIRE BE LA POLITIQUE EXTRIEURE DU GOU

VERNEMENT franais (1838-18Zi8). 2

HISTOIRE DE LA RUNION DE LA LORRAINE A LA

FRANCE .

SOUVENIRS ET MLANGES. h

* **

LA JEUNESSE DE LORD BYRON 1

LES DERNIRES ANNES DE LORD BYRON 1

marguerite de valois, reine de Navarre. 1

ROBERT EMMET. 1

SOUVENIRS D'UNE DEMOISELLE D'HONNEUR DE LA

DUCHESSE DE BOURGOGNE. 1

Page 5: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA

COLONISATION OFFICIELLE

EN ALGRIE

DES ESSAIS TENTS DEPUIS LA CONQUTE

ET DE LA SITUATION ACTUELLE

PAR

Le ComteD'

HAUSSONVILLE

Membre de l'Acadmie franaise, Snateur.

EXTRAIT DE LA REVUE DES DEUX MONDES

"

a<a,

i ( Al,Civil >

C L~fe

PARIS

CALMANN LVY, DITEUR | CHALLAMEL AN, DITEUR

3, RUE AUBER, 3 i 5, RUE JACOB, 5

1883

Droits de traduction et de reproduction rservs.

Page 6: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions
Page 7: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA

COLONISATION OFFICIELLE

EN ALGERIE

1. ESSAIS TENTES DEPUIS LA CONQUETE.

Ceux de nos compatriotes qui se sont fixs dans nos possessions

du nord de l'Afrique se plaignent frquemment d'tre oublis de la

mre patrie. Les reprsentans attitrs de notre colonie algrienne,

c'est--dire les snateurs, les dputs, les membres des conseils

gnraux des trois dpartemens d'Alger, d'Oran et de Constantine,les dlgus de ces conseils au conseil suprieur du gouvernement

expriment, ce sujet, des dolances contenues, et les journaux du

pays, avec cette vivacit de ton qui est particulire la presse,

mais qu'il ne faut pas trop lui reprocher parce qu'elle sert tout

la fois, en matire politique, d'excitant et de frein, se rpandent,

depuis quelques annes surtout, en lamentations qui ressemblent

un peu des reproches. Volontiers on donne comprendre, de

l'autre ct de la Mditerrane, quand on ne le dit pas express

ment, quenos ministres et nos chambres paraissent s'inquiter

assez mdiocrement des affaires de l'Algrie, et l'on ne se fait pas

faute d'ajouter que, si par hasard ils s'en occupent, c'est habituel

lement pour dmontrer qu'ils ne les connaissent gure, ou mme

point du tout.

Page 8: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

2 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

Ainsi articules, ces plaintes sont-elles fondes ? Il serait embar

rassant d'en convenir, et, de prime aboitt, elles semblent entaches

de quelque exagration : il faut distinguer toutefois. Si les habitans

de l'Algrie se bornaient regretter de ne plus entendre, comme

jadis aux beaux jours du rgimeparlementaire, des voix autorises et

puissantes plaider avec clat leur cause la tribune franaise, cen'est pas moi qui les contredirais. Oui, il est vrai, les temps sont

passs o, devant une chambre dont j'avais l'honneur de faire par

tie, le marchal Bugeaud, au lendemain de la bataille d'Isly, et legnral de LaMoricire, aprs la prise d'Abd-el-Kader, le front encoreclair des rayons de leurs rcentes victoires, venaient agiter devant

des collgues presque aussi mus qu'attentifs ces ternels pro

blmes algriens que, sous une forme diffrente, mais les mmes au

fond, nous nous efforons de rsoudre aujourd'hui. Sur cette ques

tion demeure ouverte entre les membres d'un mme cabinet, le

trs sagace ministre de l'intrieur du 1 1 octobre, M. Thiers, n'hsitait

pas, en repoussant les prvisions dfavorables du prsident du conseil

et de quelques-uns de ses collgues moins confians que lui, se por

ter, avec sa clairvoyance habituelle, le garant intrpide des futures

destines de notre colonie africaine, tandis que d'excellens esprits,

M. Dufaure et M. Lanjuinais, M. de Tocqueville et M. de Beaumont,M. de Chasseloup-Laubat, le gnral Allard, M. de Corcelles, sedemandaient entre eux, non sans quelque apprhension, quel systme

il valait mieux suivre pour tirer tout le parti possible des ressources

de nos nouvelles possessions. Certes ils taient loin de s'accorder

entre eux sur le point de savoir s'il fallait faire appel la puis

sante initiative du gouvernement en s'abritant sous sa tutelle, ou

laisser toutes choses suivre leur cours naturel, en se confiant au

temps et l'activit individuelle des intresss pour arriver des

rsultats plus lents peut-tre obtenir, mais autrement tendus,d'une nature moins factice et,par consquent, plus srs et plus dura

bles. On comprend que, traites par des personnes aussi comptentes,

les graves questions qui touchaient de si prs l'avenir de l'Alg

rie aient eu le don de captiver l'attention publique. Il en a toujours

t ainsi sous tous nos rgimes de libre discussion. Les assembles

rpublicaines, de 1848 1852, quoique absorbes par de terribles

proccupations, n'ont eu garde de se dsintresser de cette colonie

africaine, o le gnral Cavaignac avait brillamment conquis, sous

le gouvernement de juillet, tous ses grades militaires. Il y a plus :

pendant les deux dernires annes de l'empire, quand un peu d'air

avait fini par pntrer dans les rouages de la machine gouverne

mentale, jusqu'alors si hermtiquement ferme, ce fut du ct de

l'Algrie que se portrent les premires investigations du corps

Page 9: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 3

lgislatif, prompt saisir l'occasion soudainement offerte d'exercer,en matire si grave et si dlicate ,

une initiative politique qui lui

avait t, pendant longues annes, jalousement refuse.

Au printemps de 1868, une commission d'enqute agricole avait

t institue, sous la prsidence de M. Lopold Lehon, pour aller

se rendre compte sur place, d'aprs un questionnaire extrmement

dtaill, de tous les besoins de nos trois provinces d'Alger, d'Oran

et de Constantine, qu'elle avait mission de parcourir. L'anne sui

vante, une dcision impriale, date du 5 mai 1869, nommait une

autre commission extra-parlementaire charge d'laborer les ques

tions qui se rattachent la constitution etl'

organisation admi

nistrative et politique de l'Algrie. Cette commission, prside par

le marchal Randon, ancien gouverneur gnral de l'Algrie, comptait parmi ses membres M. Ferdinand Barrot, alors grand rfren

daire du snat , M. Chamblain, conseiller d'tat, M. Gastambide,conseiller la cour de cassation, M. Paulin Talabot, les gnraux

Allard, Desvaux et Gresley. M. Tassin, directeur du service de l'Al

grie au ministre de la guerre, en tait secrtaire, etM. le snateur

Bhic remettait au ministre, au mois de janvier 1870, le rapport dont

il avait t charg. L'enqute agricole ordonne par le corps lgis

latif, ainsi que le rapport de la commission gouvernementale, taient

attendus sur les bancs de la majorit et sur ceux de l'opposition avec

une gale impatience. Le 11 avril, M. Jules Favre rclamait avec

insistance le dpt de cette enqute et affirmait n'tre que l'cho

de tout ce qu'il avait entendu dire en Algrie en dclarant qu'elle

passait pour avoir t faite avec le plus grand soin et une entire

indpendance. Au mois de dcembre de cette mme anne,

M. Lopold Lehon dposait en mme temps une demande d'inter

pellation sur les affaires de l'Algrie et annonait que les procs-

verbaux de l'enqute pouvaient tre ds lors distribus auxmembres

du corps lgislatif.

Quant au rapport de M. Bhic, nombre d'exemplaires en avaient

t tirs l'Imprimerie impriale, et, quoique le texte lui-mme n'ait

jamais t officiellement publi, ses dispositions principales taient

parfaitement connues de tous les membres du parlement s'intres-

sant aux affaires de l'Algrie. Chose vraiment singulire, les conclu

sions en taient plus librales, plus larges, dictes par une disposi

tion d'esprit infiniment plus moderne que celles adoptes par une

autre commission nomme en novembre 1880, c'est--dire en plein

rgime rpublicain : l'effet d'tudier les modifications apporter

au gouvernement gnral de l'Algrie. Aux termes du projet imp

rial de 1870, le gouvernement et la haute administration taient

centraliss, Algermme, aux mains d'un gouverneur gnral qui

Page 10: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

A LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

avait rang de ministre et devenait, en cette qualit, directement responsable. Il tait assist d'un conseil suprieur, exclusivement com

pos de membres lus par les conseils-gnraux des dpartemens

civils et composs d'indignes. Ce conseil suprieur, o ne sigeait

pas, comme aujourd'hui, une majorit de fonctionnaires, votait, en

recettes et en dpenses, le budget du service local et en recevait lescomptes. Il donnait son avis sur toutes les questions qui lui taient

soumises et pouvait mettre des vux sur les objets intressant l'Al

grie. Le gouverneur gnral exerait la plnitude des pouvoirs admi

nistratifs et politiques attribus aux ministres. 11 participait, lors de sa

prsence Paris, aux dlibrations du conseil des ministres et repr

sentait le gouvernement devant le snat et le corps lgislatif... Un

sous-gouverneur assistait le gouverneur gnral et le supplait,

en cas d'absence, soit Paris, soit Alger. Le gouverneur gnral

et le sous-gouverneur pouvaient tre choisis soit dans l'ordre mili

taire, soit dans l'ordre civil.

Quoi de plus sage et, pour l'poque, de plus hardi que ces pro

positions manes d'une commission compose de hauts dignitaires

de l'tat, dlibrant sous le contrle immdiat d'un gouvernement

qui n'a jamais pass pour follement pris de la stricte application

des formes parlementaires ; et n'est-il pas vraiment surprenant, et

j'ajouterai un peu triste, d'avoir constater que, dans ses lignes

principales, particulirement en ce qui regarde la responsabilit

relle du gouverneur gnral de l'Algrie, le projet d'organisationarrt par les conseillers de l'empire devanait de beaucoup,comme

rsolution virile, l'ensemble confus des mesures timidement indi

ques par les snateurs et les dputs de l'Algrie, et par les quel

ques fonctionnaires auxquels le ministre de l'intrieur, M. Constans,a jug bon de s'adresser en 1880, sans que les rsultats de cette

consultation officieuse, vue d'assez mauvais il en Algrie, aient eu

d'ailleurs lamoindre influence vivifiante sur la direction donner

notre politique algrienne?

Il n'en avait pas t ainsi en 1870. Ds le mois de janvier, l'at

tention publique avaitt fortement appele sur les affaires de notre

colonie africaine par une discussion du snat, laquelle avaient pris

part le marchal de Mac-Mahon, M. Michel Chevalier, les gnraux

Daumas et de La Rue. Au corps lgislatif, l'intrt avait t bien

autrement excit,au mois de mars suivant , lorsque M.ILo-

pold Lehon dveloppa la tyibune l'interpellation dpose l'anne

prcdente. La majorit qui avait applaudi sans rserve le jeune

orateur, qui avait entendu MM. Lefbure et de Kratry abonder

dans son sens, devant laquelle le baron Jrme David, ancien offi

cier des bureaux arabes, tait venu dclarer qu'il tait converti

Page 11: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 5

l'ide de substituer dsormais la prpondrance de l'lment civil

la suprmatie des commandans militaires, ne fut qu' moiti sur

prise et ne parut nullement scandalise quand M. Jules Favre, dposant une ptition des habitans de Constantine, se mit rclamer

hautement pour les colons le droit de nommer eux-mmes leurs dpu

ts. La discussion avait t brillante. Les objections du ministre

de la guerre avaient eu le caractre de simples rserves, tandis

que les critiques mises en avant par les membres de l'opposition

s'taientpresque exclusivement adresses la forme que le gouverne

ment entendait donner aux mesures projetes. 11 entendait, en effet,

les dcrter par la voie du snatus-consulte, alors que les opposans

du corps lgislatif, devenus exigeans, mettaient la prtention de

prendre directement part leur confection ; mais ces divergences ne

portaient point sur le fond des questions engages. Finalement, le

corps lgislatif se trouva peu prs unanime pour dclarer qu'aprs

avoir entendu les explications du gouvernement sur les modifica

tions qu'il se proposait d'apporter au rgime lgislatif auquell'Algrie tait soumise, et considrant que. dans l'tat actuel des

choses. Vavnement du rgime civil paraissait devoir concilier les

intrts des Europens et ceux des indignes, il passait l'ordre

du jour. Au cours du dbat, M. Jules Favre, rcemment revenu

d'Afrique, et qui s'tait port l'loquent interprte des vux des

habitans de l'Algrie, avait pu, sans provoquer la moindre rcla

mation, s'crier du haut de la tribune, le 9 mars 1870 : < Vous le

voyez, messieurs, la barrire est tombe, car nous nous tendons

une main fraternelle pour introniser la libert. Ce n'est pas tout.

Le 28 mars, M. Lopold Lehon, en son nom propre et au nom de

M. Jules Favre, afin de manifester sans doute, par l'alliance des

noms, l'accord survenu entre la majorit et l'opposition propos

de l'Algrie, dposait une proposition de loi dont les nombreux arti

cles rglaient l'organisation future de notre colonie conformment

aux vues exprims par le leader de la minorit. Le gouvernement,

par la bouche de M. Ollivier, en acceptait les dispositions principales,se bornant demander que la discussion des mesures projetes et le

vote du corps lgislatif, renvoys dans la sance mme sa commis

sion d'initiative, fussent remis une autre session. Ainsi, plus d'h

sitations, plus de retards, plus de fins de non-recevoir opposes

aux vux des habitans de notre colonie ; la sympathie pour leurs

lgitimes revendications tait devenue gnrale et le moment sem

blait arriv, presque la veille de la chute de l'empire, o l'Algrie

allait enfin recevoir, par l'entremise rgulire du parlement, aprs

de solennels dbats, cette organisation dfinitive toujours si ardem

ment souhaite et qu'aujourd'hui elle attend encore vainement.

Page 12: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

6 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

Comment se fait-il que tant d'esprances aientt si cruellement

dues? Comment tant de bons vouloirs n'ont-ils abouti produire,

aprs treize ans, que des rsultats aussi incomplets? Et pourquoi nous

faut-il derechef entendre nos compatriotes fixs enAlgrie se plaindre

encore aujourd'hui, non sans quelque apparence de raison, de

l'insouciance que, sous la rpublique, le gouvernement et les cham- -

bres semblent tmoigner pour leurs intrts les plus essentiels?

La plainte n'est que trop naturelle, mais les reproches sont-ils

bien justes? Hlasl ce sont les malheurs de la patrie qui ont

t l'unique cause de cette soi-disant indiffrence. Au lendemain

de ses revers, la France a d, pour assurer son salut au sortir

de l'preuve qu'elle venait de traverser, se replier pour ainsi dire

sur elle-mme et courir au plus press. Les membres de l'assem

ble nationale, aux prises avec les difficults du jour, n'avaient

pas l'esprit assez libre ni mme assez de loisirs pour se livrer

aux discussions de principes qu'aurait amenes l'tude d'une

nouvelle organisation de notre colonie algrienne. La forme des

dlibrations de nos assembles parlementaires n'est pas d'ailleurs

reste ce qu'elle tait nagure sous les monarchies constitution

nelles de 1815 et de 1830. La discussion de l'adresse au dbut de

chaque session et celle du budget avant sa clture fournissaient

alors l'occasion de passer en revue et de traiter amplement la tri

bune tous les sujets qui touchaient aux intrts vitaux de notre

pays. L'examen annuel du budget a bient maintenu, parce qu'il

est la condition essentielle de tous les gouvernemens libres, mais,la chambre des dputs, la discussion n'en est jamais venue qu'aux

derniersmomens de la session, alors que sesmembres taient presss

d'entrer en vacances. Quelle possibilit pour un dput d'appeler

utilement, en de pareilles circonstances, l'attention de ses collgues

sur un sujet aussi vaste et aussi compliqu? Et la prsentation si

tardive du budget au snat, qu'a-t-elletjusqu' prsent, sinon une

vaine formalit et, pour ceux qui prennent au srieux les affaires

du pays, une vritable dception? Sera-t-il permis celui qui crit

ces lignes de constater qu' trois reprises diffrentes, quand il a

voulu, propos des dpenses de notre colonie, soulever la ques

tion si importante ses yeux d'une responsabilit ministrielle

effective pour les affaires de l'Algrie et signaler les inconvniens

trs fcheux qui rsulteraient, suivant lui, pour l'expdition des

affaires, du systme des rattacbemens inaugur un beau ma

tin, puis abandonn, puis repris, dont on ne sait pas encore au

juste ce qu'il en est advenu, jamais il ne lui a t donn d'obtenir

des ministres en exercice autre chose que des rponses, assur

ment fort courtoises, mais encore plus courtes, et des promesses

Page 13: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 7

vasives qui n'ont t suivies d'aucune excution? Alors qu'un

silence si complet s'est prolong durant tant d'annes, est-il doncsurprenant que l'attention du public en soit venue se dsin

tresser insensiblement d'un sujet dont les dpositaires du pouvoir

et les reprsentans de la nation l'ont si peu "entretenu?

Mais parlons franchement et disons les choses comme elles sont.

Nos compatriotes tablis de l'autre ct de la Mditerrane n'ont-

ils pas, eux aussi, quelques reproches se faire, et dans le momento je voudrais attirer sur leurs dolances lgitimes l'attention qu'elles

mritent, peut-tre ne trouveront-ils pasmauvais que je leurdemande

s'ils sont bien assurs de n'tre pas eux-mmes, jusqu' un cer

tain point, responsables de cette dfaveur dont ils gmissent?

Qu'ils me permettent de procder leur examen de conscience, ce

qui est toujours facile quand il s'agit des autres. Les Algriens ont

reu de la rpublique, comme don de joyeux avnement, presque

tout ce qu'ils avaient demand l'empire, un peu plus mme, car

personne, que je sache, except M. Crmieux, ne les avait entendus

formuler un vu imprieux pour la naturalisation immdiate et en

bloc de tous les isralites de l'Algrie. Deux dcrets dats de Tours

et de Bordeaux, en octobre 1870 et en fvrier 1871, ont constitu

notre colonie en trois dpartemens ayant chacun le droit de nom

mer deux reprsentans. Les gouvernemens et la haute administra

tion de l'Algrie ont t centraliss Alger sous l'autorit d'un

haut fonctionnaire qui recevait le titre de gouverneur gnral civil

de ces trois dpartemens. Par suite des vnemens de la mtro

pole, et sans qu'il ft besoin pour cela d'aucun dcret, la presse

algrienne, jusqu'alors si svrement billonne, est devenue sou

dainement libre comme celle du reste de la France, et nos compa

triotes des trois dpartemens d'Alger, d'Oran et de Constantine ont

t mis, du jour au lendemain, en possession, pour la dfense de

leur cause, de cet instrument merveilleux la fois et redoutable,

car il est galement puissant pour le bien et pour le mal. Voyons

l'usage qu'ils en ont fait.

Depuis le jour o la France a pu, aprs la paix, rentrer en

possession d'elle-mme et de la plus grande partie, sinon, hlas!

de la totalit de son sol national, le gouvernement de M. Thiers

s'est uniquement appliqu gurir les douloureuses blessures

qu'elle venait de recevoir. A Alger, la politique rparatrice de cet

homme d'tat avait droit de compter sur une cordiale adhsion,

car personne, dans le pass, n'avait pris plus chaudement

cur les intrts de notre colonie africaine. Le choix de l'amiral

de Gueydon et le soin de lui assigner le titre de gouverneur

gnral civil attestaient une fois de plus non-seulement la sympathie

Page 14: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

8 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

persvrante du chef du pouvoir excutif pour ses anciens cliens,

mais sa prompte clairvoyance deviner la nature des difficults

auxquelles il fallait pourvoir. M. Thiers se rendait parfaitement

compte de l'intensit du mouvement d'opinion, plus vif peut-tre

que rflchi, qui se prononait alors contre le maintien dans notre

colonie de toute suprmatie mme apparente qui serait accorde

l'lment militaire sur l'lment civil. Il faisait, enmme temps,

trop de cas des braves commandans de notre arme pour les vou

loir sacrifier de puriles dclamations; il se tenait, avec rai

son, pour assur que l'autorit suprieure de l'un de nos offi

ciers de marine les plus distingus, administrateur heureux de la

principale de nos colonies des Antilles, serait accepte avec plaisir

par ses subordonns militaires, porteurs comme lui de la glorieuse

pe qui a toujours tant impos aux Arabes. Il ne doutait pas

non plus que les partisans les plus dcids d'une administration

toute civile accueilleraient sans murmure son choix, parce qu'ils se

sentiraient ainsi garantis contre les complaisances qu'entranent par

fois, entre officiers d'une mme arme, les camaraderies d'une com

mune carrire. Sur ce dernier point, les prvisions de M. Thiers ne

furent point tout fait ralises. Tandis que les personnes tablies

de vieille date dans le pays s'applaudissaient de rencontrer chez le

nouveau gouverneur un protecteur intelligent de leurs srieux int

rts,dou la fois de l'esprit d'initiative et pratiquement vers, par

les prcdens de sa vie de marin, dans la connaissance des questions

coloniales , les journa\rx de l'Algrie qui se piquaient d'indpen

dance n'attendirent pas longtemps pour entamer contre lui une

guerre violente qui ne prit fin qu' l'poque de son remplacement

par le gnral Chanzy. L'ancien prsident du centre gauche rpu

blicain, le vainqueur de Patay, a-t-il eu la chance de trouver

un peu grce devant ces terribles contradicteurs? Pas davantage.

Aprs une espce de lune de miel, dont la dure fut assez courte,

les diatribes reprirent de plus belle contre les abus d'une adminis

tration entache d'arbitraire et dclare insupportable, parce qu'elle

tait remise aux mains d'un gnral commandant de corps d'arme.

Aucune des invectives prodigues l'amiral de Gueydon ne fut par

gne son successeur. Au bout de trois annes, le gnral Chanzytait devenu pour la presse algrienne une sorte de bouc mis

saire dont le sacrifice tait absolument ncessaire au salut du peuple.

Alors s'organisa de toutes pices une campagne vraiment curieuse,

tant donns le tempso nous vivons et les opinions de ceux qui l'ont

entreprise et mene bien. On se serait cru transport quelques

sicles en arrire, en plein rgime fodal. Pour les snateurs et

les dputs rpublicains de l'Algrie, pour les membres des con-

Page 15: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 9

seils gnraux, pour les organes les plus avancs de l'opinion radi

cale, il s'agissait de dsigner eux-mmes le gouverneur qu'ils

entendaient, faire mettre la tte de la colonie. Peu importait

qu'il y ft inconnu ou qu'il en ignort les besoins. Serait-il plus

ou moins apte remplir les fonctions dont on voulait l'investir,c'tait le moindre souci de ceux qui jetaient son nom en avant.

L'essentiel tait qu'il ft en possession d'un crdit indiscutable

auprs du chef de l'tat. Ainsi qu'on avait vu, avant la rvolution

de 1789, les puissans seigneurs du temps supplier le monarque

rgnant de leur accorder comme gouverneur, pour le plus grand

bien de leur province, quelque membre de sa royale famille, un

frre, un cousin, un neveu, au besoin quelqu'un de ses btards, de

mme peu s'en est fallu que l'on ait eu le spectacle des dlgus de

l'Algrie se tranant avec lesmmes instances aux pieds du prsident

Grvy. Cependant, comme en rpublique il n'y a point de btards, ils

lui ont simplement demand son frre, et ils l'ont obtenu. M. Jules

Grvy aurait-il, lui seul et de son propre mouvement, imagin ce

choix? Je ne l'ai pas entendu dire, et je crois qu'il s'en dfend. M. VI-

bert Grvy avait-il song lui-mme cette candidature avant qu'on

lui en parlt? Je l'ignore galement. Mais j'ai assist son dbar

quement Alger. Ce fut une ovation sans pareille. Deux annes plus

tard j'tais de nouveau Alger. Ah! combien la note tait change 1

Je retrouvais M. le gouverneur gnral tel que je l'avais laiss, plein

de zle pour la colonie, avec quelques expriences en plus, faites

sur le terrain, notamment la plus cruelle et la plus inattendue pour

lui, celle de la prodigieuse mobilit d'impression de ses adminis

trs. Jamais, au plus fort de la polmique dirige contre eux, ni

l'amiral de Gueydon, ni le gnral Chanzy n'avaientt l'objet d'un

concert de critiques aussi acerbes, de rcriminations aussi violentes,

probablement assez mal fondes, en tout cas, extrmement inju

rieuses.

Comment, de bonne foi, les snateurs, les dputs, les feuilles

publiques de l'Algrie qui ont si vite pass du plus trange engoue

ment des rages de dnigremens impitoyables n'ont-ils pas song

que, par ces brusques transitions d'un excs un autre, ils affai

blissaient singulirement eux-mmes leur autorit et portaient ainsi

atteinte, dans leurs propres personnes, la confiance qu'en raison

de leur situation au parlement et de leur rle dans la presse, lamre

patrie tait dispose leur accorder comme aux reprsentans natu

rels et les mieux accrdits auprs d'elle des intrts de notre grande

colonie africaine?

Mais pntrons un peu plus avant dans un sujet qui devient de

plus en plus dlicat. Puisque nous sommes en train de chercher

l'explication de l'espce d'indiffrence qui a, peu peu, remplac

Page 16: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

10 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

l'intrt si vif et si continu qu'excitaient jadis les dbats relatifs

aux affaires de l'Algrie, risquerons-nous beaucoup d'offenser les

amours-propres en supposant que leur ancien retentissement tenait

en partie l'clat des noms de ceux qui jadis y prenaient part?Notre

colonie n'avait alors de reprsentans officiels ni dans l'une ni dans

l'autre chambre ; cependant les combats livrs par quelques-uns des

gnraux qui escaladaient bravement la tribune comme ils auraient

mont l'assaut d'une ville arabe, et la renomme europenne de la

plupart des orateurs mls ce brillant tournoi, n'ont-ils pas t

pour quelque chose dans le succs d'une cause qui avait la bonne

fortune d'enrler sous ses drapeaux de pareils champions? Depuis

1871, l'Algrie, comme cela est de toute justice, choisit elle-mmeles snateurs et les dputs auxquels elle donne mission de la repr

senter dans les conseils de la nation. Il n'aurait dpendu que de sa

volont, sans sortir bien entendu des cadres obligatoires du parti

rpublicain, dmettre la main et de porter ses suffrages sur quelque

illustration civile ou militaire, fameuse ailleurs que dans les circon

scriptions des trois dpartemens. Elle a procd autrement. Elle a

prfr, cela tait certainement son droit, prendre ses mandataires

sur place, pour ainsi dire, en raison de leur notorit toute locale,persuade apparemment qu'elle serait ainsi en mesure d'exiger de

ses lus un souci plus profond et une connaissance plus intime

des sentimens et des intrts des contres qu'ils allaient avoir l'hon

neur de reprsenter. C'tait une proccupation des plus lgitimes.

Au snat et la chambre des dputs, on a tout d'abord tenu

les reprsentans de nos dpartemens algriens pour gens ayant

droit d'tre consults, et dont il tait convenable de suivre les avis

pour ce qui regardait les affaires de leurs mandataires. En fait,le snat et la chambre ont pris soin, comme en tmoigne le

Journal officiel, de les faire entrer autant que possible dans

toutes les commissions ayant s'occuper de notre colonie ; le plus

souvent, leurs collgues les ont choisis pour organes de ces com

missions, parce qu'ils s'imaginaient n'tre ainsi que justes envers

des personnes naturellement dsignes leur prfrence par les

suffrages des lecteurs algriens non moins que par leurs lumires

propres et leurs connaissances spciales. Plusieurs rapports rcem

ment distribus, tant au snat qu' la chambre, et les travaux plus

anciens de M. Warnier, autrefois dput d'Oran, ne sont pas pour

dtruire cette avantageuse impression. Mais voyez la surprise I voici

que les journaux de notre colonie se mettent dclarer hautement,

un beau matin, que c'est l, de la part des chambres franaises, une

dplorable erreur. Aies en croire, snateurs et dputs n'ont jamais

t choisis de l'autre ct de la Mditerrane en raison de leurs

opinions personnelles sur les affaires propres l'Algrie, opinions

Page 17: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 11

dont on n'avait pas mme pris la peine de s'informer. Ils avaient

uniquementd leur lection leur ferveur rpublicaine ; d'o rsul

tait la consquence que, dans tout ce qui touchait l'organisation

de la colonie et la gestion de ses afaires courantes, il n'y avait pas

lieu de tenir le moindre compte de ce que ces messieurs pouvaient

dire ou penser (1) . On en est se demander quel profit, aprs avoir

poursuivi de leurs attaques tous les gouverneurs que la rpublique

leur a envoys, les feuilles publiques de l'Algrie pensent trouver

ruiner elles-mmes auprs du parlement et de la mtropole le

crdit des reprsentans officiels que nagure elles appuyaient de

leur chaude adhsion.

Il y a plus. Ce sont quelquefois de graves personnages qui sem

blent l-bas prendre un incomprhensible plaisir dnoncer eux-

mmes leurs propres inconsquences. Pas plus tard qu'au mois

de dcembre 1880, n'a-t-on pas entendu un membre du conseil

gnral de Constantine, dlgu de ce dpartement au conseil sup

rieur de l'Algrie, et depuis devenu dput, constater de la faon

la plus solennelle devant ses collgues lgrement tonns, qu'un

avis important mis, au cours de l'anne 1878, par le conseil gn

ral de Constantine n'avait jamais t, de sa part, qu'un simple

artifice, ayant eu surtout pour but de faire chec au gouverne

ment militaire d'alors, et que c'tait l, il n'hsitait pas le

rpter, beaucoup moins une opinion raisonne qu'une manuvre

pour arriver la suppression du gouvernement militaire? Sur l'ob

servation de l'un de ses collgues que c'tait un agissement trange

de se servir d'armes inavouables pour tomber une personnalit

dsagrable, et qu'on auraitd enfouir avec soin pour ne pas s'ex-

(1) ... Les rpublicains, pensant qu'il fallait avant tout sauver la rpublique

menace et la mettre l'abri de toutes los atteintes, firent (en 1876) les plus grands

efforts de propagande en faveur de M. X,.. dont les opinions rpublicaines leur offraient

plus de garantie et de scurit que celles de son concurrent, sans songer lui demander

quelles taient ses opinions algriennes; ils ne lui posrent pas un instant cette ques

tion, dont l'intrt leur et paru trs secondaire cette poque. M. X... est un rpu

blicain convaincu, ayant pass sa vie s'occuper des questions politiques, mais n'ayant

jamais song prendre les questions algriennes au srieux. Il connat beaucoupmieux la place du gouvernement que nos villages de l'intrieur, ne parle pas un mot

d'arabe, et n'a jamais montr propos des questions algriennes une comptence

dpassant les bornes d'une incontestable mdiocrit. L'lection de M. X... et de ses

collgues ne fut donc, pas plus que celle des dputs algriens, des lections alg

riennes, mais des lections politiques... Vraie en ce qui regarde les cinq lus de 1876,

cette apprciation n'est pas applicable un sixime reprsentant, M. ***, qui ne fut

nomm qu'en 1877, alors que la question politique avait un peu perdu de son cret...

On ne peut pas dire que c'est sa rputation, ni ses doctrines algriennes qu'il a

d d'tre choisi comme candidat par les rpublicains ardens, par les colons partisans

de la dcentralisation qui composent la grande majorit des lecteurs de la province

de Constantine. M.***

a d uniquement cet honneur M. Gambetta, qui daigna

tendre ses vues sur lui... (Extrait du n 7,492 de.'Akbar,

du 30 juillet 1880.)

Page 18: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

1*2 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

poser sentir le rouge vous monter au visage, le mme conseiller

gnral ne trouvait rien de plus propos que de maintenir l'exacti

tude de son assertion et la lgitimit du procd (1).

Aprs avoir ainsi expos non sans tristesse, mais avec impartia

lit, nous l'esprons du moins, le tort apport par certaines erreurs

de conduite et par des emportemens de parole tout le moins irr

flchis une cause qui nous est chre, il nous est agrable de pou

voir signaler une sorte de revirement qui commence s'oprer dans

l'opinion. Cette indiffrence pour les affaires de notre colonie, que

les Algriens ont tant dplore sans se douter qu'ils y taientpeut-

tre bien pour quelque chose, semble en train de faire place un

autre sentiment. La question de la colonisation, c'est--dire de

la mise en valeur agricole et de l'exploitation industrielle de nos

possessions du nord de l'Afrique, vient d'apparatre tout coup

noire sollicitude patriotique sous un nouvel aspect. Des hommes

d'tat soucieux des grands intrts de notre pays, et parmi eux un

ancien prsident du conseil, M. Waddington, et M. de Saint-Vallier,

notre ancien ambassadeur Berlin, ont du haut de la tribune

engag la France se proccuper un peu plus qu'elle ne l'avait fait

jusqu' prsent du soin de tirer tout le parti possible des tablisse-

mens qu'elle possde encore hors de son territoire. Ils ont pris la

peine de lui indiquer qu'elle pourrait trouver ainsi non-seulement

l'emploi de son activit naturelle et de son esprit d'entreprise, sans

risque d'exciter la dangereuse inquitude de ses voisins immdiats,mais qu'elle aurait, par surcrot, la chance de recouvrer peut-tre au

loin et par voie dtourne, une influence qui s'en allait dcroissant

sur le continent europen. L'attention publique vient ainsid'tre suc

cessivement appele sur le Congo et sur Madagascar, sur la Cochin-

chine et sur le Tonkin. Pour revenir de l en Algrie, le dtour est

un peu long, cependant nous y avons t ramens. Les mmes

ministres qui prparent une expdition pour construire un chemin

de fer au Congo, pour civiliser les Malgaches, pour mettre les Anna

mites la raison et nous assurer la conqute du Tonkin, laborent,

dit-on, en mme temps un projet de loi, qui ouvrirait prochai

nement un crdit considrable pour la colonisation de l'Algrie. Je

souhaite un succs complet tous ces patriotiques desseins, qu'approuvent plusieurs judicieux esprits. Mais le Congo, Madagascar

et le Tonkin sont bien loin. Je ne connais pas ces pays, o je n'ai

jamais t,o je ne mettrai probablement jamais le pied. L'Algrie,je la connais un peu et je l'aime beaucoup. J'ai suivi de prs, pen

dant ces dernires annes, les preuves par lesquelles elle a pass

et ses heureux dveloppemens. C'est pourquoi, sans prtendre traiter

(1) Sance du conseil suprieur du 11 dcembre 1880, pages 28, 29, 33 et suivantes.

Page 19: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 13

les questions multiples qui se rattachent un pareil sujet, je vou

drais tcher de rendre compte d'une faon prcise des divers essais

de colonisation successivement tents pour mettre profit les incom

parables ressources de cette magnifique portion de l'Afrique, afinqu'instruits par l'exprience acquise, nous soyons plus mme de

savoir au juste ce qu'il convient aujourd'hui d'y faire et surtout

ce dont il importe de s'abstenir.

L'ide d'imprimer une forte impulsion la colonisation algrienne

en mettant cette entreprise la charge de l'tat, quoique favorise

par les circonstances rcentes que je viens d'indiquer, remonte plus

haut dans le pass. A vrai dire, ce systme date presque des

premires annes qui ont suivi notre conqute. Il a t le rve

de tous les gnraux qui se sont succd comme gouverneurs de

l'Algrie, et les honorables reprsentans de notre colonie se trou

vent avoir hrit, beaucoup plus qu'ils ne s'en doutent, des doc

trines et des procds du rgime militaire, dont ils se proclament,

d'ailleurs, les plus acharns adversaires. Cette tendance n'a rien de

singulier chez des snateurs et des dputs qui ont, de tout temps,

adhr la politique autoritaire de M. Gambetta, ou qui sont

nagure entrs dans la vie politique sous son patronage. Ce qui est

nouveau et caractrise l'poque o ce plan vient d'tre conu,

c'est la combinaison financire qui lui sert de point de dpart et

qui en constitue la base indispensable. La pense en a surgi

l'poqueo nos recettes de chaque exercice dpassant rgulirement

les prvisions budgtaires ,on trouvait simple de grever l'avenir au

profit du prsent et de recourir au commode expdient des dpenses

sur ressources extraordinaires pour excuter l'ensemble des grands

travaux publics prconics parM. de Freycinet. Le germe est clos au

sein des commissions budgtaires de la chambre des dputs. Il a pris

graduellement corps dans les rapports sur l'Algrie des annes 1879,

1880 et 1881. L'honorable M. Gastu, alors dput du dpartement

d'Alger, depuis remplac par M. Letellier, a, dans son rapport

dpos le 29 avril sur les services du gouvernement-gnral civil

de l'Algrie, bauch le premier, sous forme de vu, les mesures

prendre pour donner satisfaction au plan choy par un grand

nombre de ses lecteurs algriens.

Comme les terres, disait-il, augmentent sans cesse de valeur, les

indemnits payer pour les acqurir s'accroissent d'autant. Un acte de

prvoyance serait videmment de mettre profit l'instanto leur valeur

n'a pas acquis un taux trop lev pour s'assurer, d'un seul coup, d'une

Page 20: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

14 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

grande quantit de terres dans la zone qui avoisine les territoires

coloniss; mais nous ne pouvons nous dissimuler les difficults finan

cires d'une opration de cette nature faite sur une grande chelle. Et

pourtant, si l'on veut que la colonisation se fasse dans des.proportions

plus vastes, il faut avoir des terres l'avance et beaucoup (1).

En 1880, sous la plume de M. Thomson, dput de Constantine

et rapporteur du budget de 1881, les souhaits un peu vagues expri

ms par M. Gastu revtent leur forme peu prs dfinitive. Aprs

avoir constat que les sommes annuellement affectes par les

chambres aux travaux de colonisation et aux achats de terres s'l

vent au total de 2,570,600 francs environ, l'honorable rapporteur

de 1880 se demandait quel inconvnient il y aurait faire masse de

ces diffrentes allocations que le parlement n'a jamais hsit voter

et les inscrire au budget algrien sous la rubrique : Garantie

d'intrt et d'annuit d'amortissemens du capital avanc la caisse

de colonisation. > En rsum, la commission de la chambre des

dputs acceptait la cration d'une caisse de colonisation dans les

conditions indiques et faisait remarquer que l'tat trouverait une

large compensation aux sacrifices qu'il s'imposerait; l'augmentation

de la population devant avoir pour effet de donner une vive impul

sion au commerce, l'agriculture, et amener ainsi un accroisse

ment de la richesse publique (2).

Au cours de l'anne 1881, les choses se prcisent encore davan

tage. L'administration avait annonc l'intention de soumettre au

parlement un programme gnral de colonisation. Elle avait valu

trois cents le nombre des villages faire figurer ce programme,

et, recherchant les moyens de constituer bref dlai ce vaste

domaine colonisable, elle ne s'tait pas borne esquisser le plan

d'une caisse de colonisation ; elle avait apport, le 3 avril 1881,

la chambre des dputs, un projet prsent au nom du prsident

de la rpublique, par M. Constans, ministre de l'intrieur, et par

M. Magnin, ministre des finances, ayant pour objet de mettre la

(1) Rapport fait au nom de la commission charge d'examiner le projet de loi sur

le budget des dpenses de l'exercice 1880 (ministre de l'intrieur), service du gou

vernement gnral civil de l'Algrie, par M. Gastu,dput (sance du 29mai 1879).

Cette commission tait compose de MM. Brisson, prsident, Bethmont, Guichard,

Casimir Perier, Berlet, Lelivre, Clemenceau, Gatineau, Latrade, Joly, Spuller,Liou-

ville, La Caze, Millaud, Legrand, Noirot, Lockroy, Proust, Farcy, Rouvier, Gastu,

Varambon, Germain, Devs, Lamy, Parent, Blandin, Wilson, Floquet, Constans, Lan

glois, Bardoux, Margaine.

(2) Rapport fait au nom de la commission du budget charge d'examiner le projet

de loi portant fixation des dpenses et recettes de l'exercice 1881 (ministre de l'int

rieur), service du gouvernement gnral civil de l'Algrie, par M. Thomson, dputa

(sance du 3 juin 1880).

Page 21: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 15

disposition du ministre de l'intrieur et des cultes une somme de

50 millions pour tre employe en acquisitions de terres et en tra

vaux de colonisation en Algrie (1). Une commission spciale de

vingt-deux membres tait nomme pour examiner l'conomie de

ce projet, qui devait tre galement tudi par la commission du

budget. La commission spciale choisissait encore pour rapporteur

M. Thomson, mais tandis que l'honorable dput avait termin, ds

le 12 mai 1881, son rapport sur le budget de l'Algrie, il n'avait

past matre de dposer la mme date son travail sur le projet

de loi du 5 avril 1881. Ce rapport ne fut distribu que dans la

sance du 12 juillet, presque la veille des vacances du parlement,

et ne put devenir, par consquent, l'objet d'aucune discussion.

Ala rentre des chambres, vers la fin de l'anne 1881, un change

ment ministriel tait survenu,qui avait appel M. Gambetta la

prsidence du conseil ; M. Waldeck-Rousseau tait ministre de l'in

trieur, et M. Allain-Targ grait nos finances. Ces messieurs appor

trent, le 9 dcembre, un projet de loi reproduisant sous rserve

de quelques modifications, celui qui avait t dpos, le 5 avril pr

cdent, par MM. Constans et Magnin. En 1882, nouveau change

ment ministriel. C'est M. Ren Goblet qui, cette fois, est ministre

de l'intrieur, mais c'est toujours l'honorable M. Thomson, charg,

l'anne prcdente, de faire le rapport sur le projet de loi des 50 mil

lions, qui dpose encore cette fois, le 29 juin, au nom de la com

mission du budget, le rapport sur les dpenses gnrales de l'Alg

rie. A cette date, la commission du budget n'avait pas encore pu

se livrer l'examen du "projet de loi spcial pour la colonisation.

Au reste, ajoutait M. Thomson, quel que soit le procd financier

auquel on se fixe dfinitivement, il n'est pas douteux que lesmoyens

d'achever la ralisation du programme gnral de colonisation

soient fournis bref dlai l'administration algrienne (2).

Une autre anne s'est coule; un autre ministre s'est form;les brefs dlais se sont tant soit peu allongs. Cependant, comme

M.Waldeck-Rousseau tait le ministre de l'intrieur du cabinet qui a

prsent aux chambres le projet de dcembre 1881, et comme il se

trouve avoir pour collgue aux finances l'un des membres du gou

vernement qui a pris, au 5 avril de la mme anne, l'initiative de

la combinaison budgtaire en question, nous pouvons supposer,

(1) Rapport fait au nom de la commission du budget charge d'examiner le projet

de loi portant fixation du budget gnral des dpenses et recettes de l'exercice 1882

(ministre de l'intrieur), service du gouvernement gnral civil de l'Algrie, par

M. Thomson, dput (sance du 12 mai 1881).

(2) Rapport fait au nom de la commission du budget charge d'examiner le projet

de loi sur le budget gnral de l'exercice 1883 (ministre de l'intrieur), Bervice du

gouvernement gnral civil de l'Algrie, parM. Thomson,dput (sance du 29juin 1882).

Page 22: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

16 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

sans risque de beaucoup nous tromper, que c'est bien le mme

projet qui va tre soumis au parlement. Pour l'tudier dans ses

lignes principales, nous ne saurions donc avoir de meilleurs guides

que les deux anciens exposs des motifs du gouvernement et les

deux rapports de l'honorable M. Thomson.

Lect financier du projet en question est d'une nettet parfaite.

Art. 1". Une somme de cinquante millions (50,000,000) payablesen cinq annuits, partir de ***, est mise la disposition du ministre

de l'intrieur pour tre employe en acquisitions de terre et en tra

vaux de colonisation en Algrie.

Art. 2. Le ministre des finances est autoris servir ces annuits

au moyen d'avances qui pourront tre faites au trsor par la caisse des

dpts et consignations.

Pour le remboursement de ces avances en capital et intrts calculs

au taux de quatre pour cent (4 pour 100), la caisse des dpts et consi

gnations recevra, jusqu'au complet remboursement, une somme de

trois millions soixante-dix mille francs (3,070,000 fr.) qui sera inscrite

chaque anne, partir de ***, un chapitre distinct du budget du

ministre de l'intrieur (1).

Si nous sommes bien informs, il se pourrait bien que des mo

difications de dtail fussent, au dernier moment, apportes aux

mesures financires prendre pour le paiement et la rpartition

des avances qu'il s'agit de se procurer; mais l'conomie gn

rale du projet n'en serait pas altre et le fond de la combinaison

resterait intact. Voyons, grce aux documens que nous avons cits,

quels motifs en ont dcid l'adoption et quels en sont les traits

essentiels.

L'expos desmotifs du projet de loi du 9 dcembre 1881 tablit :

Que la cration de trois cents nouveaux villages est indispensable

pour asseoir solidement notre domination dans le Tell algrien. Les

ressources dont on avait jusqu'alors dispos (terres squestres et

soultes de rachat de squestre) taient puises. Pour entreprendre

l'uvre nouvelle, il fallait donc rechercher les moyens d'y suppler.

D'aprs les renseignemens qu'elle s'est procurs, l'administration

estime que, sur les trois cents villages projets, cent cinquante

environ pourront tre installs au moyen des terres appartenant

l'tat. Quant aux cent cinquante autres villages, chaque centre tant

prsum avoir cinquante feux agricoles avec un primtre de 2,000 hec-

(1) Texte du projet de loi prsent la chambre des dputs, ayant pour objet de

mettre a la disposition du ministre de l'intrieur une somme de 50 millions de francs

pour tre employe en acquisitions de terre et en travaux de colonisation en Algrie

(sance du 9 dcembre 1881).

Page 23: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 17

tares, et le prix de l'hectare tant port en moyenne quatre-vingt-

cinq francs (85 fr.), ce serait 300,000 hectares se procurer au taux

prsum de vingt-cinq millions cinq cent mille francs (25,500,000 fr.).

Le calculdes dpenses occasionnes par l'tablissement des centres crs

depuis 1871 ayantdmontr qu'il serait imprudent d'valuer la dpense

d'installation des trois cents villages moins de quatre-vingt mille

francs(80,000fr.)pour chacun d'eux, il en rsultait une nouvelle somme

de 2hmillions environ, somme se procurer pour l'achat des terres, la

plupart par la voie de l'expropriation, et pour les travaux d'installation,c'est--dire une dpense totale, en chiffres ronds, de cinquante millions,

(50,000,000 fr.). Le peuplement des trois cents villages, cinquante

feux agricoles chacun, permettrait d'tablir dans de bonnes conditions

quinze mille familles d'agriculteurs, ou soixante mille personnes

environ. En ajoutant ce chiffre celui des industriels qui viendraient

se fixer dans chaque centre,o des emplacemens btir et des lots de

jardins (10 par contre) leur seraient rservs, c'tait un nouvel appoint

qui donnait, en somme, un total de dix-huit mille familles ou soixante-

douze mille personnes pouvant tre tablies en Algrie (1).

Le gouvernement ayant reconnu dans ses communications offi

cielles la ncessit d'implanter dans la colonie une population fran

aise assez dense pour faire contrepoids non-seulement l'lment

indigne, mais encore l'lment europen tranger, l'honorable

M. Thomson s'est appliqu dmontrer dans ses diffrens rapports,

par des raisons tires de ses connaissances personnelles du pays, les

avantages qu'ily aurait, suivant lui, grouper ensemble les nouveaux

arrivans qu'on se proposait d'attirer dans notre colonie. II y avait

craindre, pensait-il, que livrs eux-mmes, ils ne s'parpillas

sent au hasard dans des tablissemens loigns les uns des autres,

formant des espces d'lots toujours menacs par les indignes des

tribus environnantes, de telle sorte qu'aux poques troubles o le

fanatisme musulman porterait la population arabe, sinon un mou

vement insurrectionnel, du moins quelques actes d'insubordi

nation, leur scurit deviendrait un sujet de proccupation pour

l'administration. Au point de vue de la prise de possession du

sol, et dans un intrt tout fait politique, il importait donc

de crer des centres fortement constitus, reprsentant un certain

nombre de familles franaises, par consquent aussi un certain

nombre de fusils, capables, non-seulement, de se garder elles-

(1) Expos des motifs du projet de loi ayant pour objet de mettre la disposition

du ministre de l'intrieur une somme de 50 millions de francs pour tre employs en

acquisitions de terres et en travaux de colonisation en Algrie (sance de la chambre

des dputs du 9 dcembre 1881).

2

Page 24: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

18 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

mmes, mais de protger, par l'ascendant moral qui rsulte de la

force matrielle, toute la rgion dont chacun des trois cents vil

lages se trouverait tre le centre naturel d'attraction (1).

D'autres considrations non moins importantes pouvaient tre

invoques , au dire de l'honorable M. Thomson , pour tmoigner

combien tait indispensable, l'heure actuelle , la colonisation de

l'Algrie par l'tat. La cration de trois cents nouveaux villages,

affirmait-il dans son rapport sur le budget de l'exercice 1883 relatif

l'Algrie, constituera le dernier effort de l'tat. Ces villages ta

blis, l'initiative individuelle viendrait terminer l'uvre de la civili

sation commence... (2). L'entreprise tait grave tout la fois par

le chiffre lev du crdit et par l'tendue des terres acqurir,

parce que, vu la rsistance prsume des indignes, l'adminis

tration devrait, dans la plupart des cas, se les procurer par la voie

de l'expropriation pour cause d'utilit publique. A l'administration

revenait l'obligation de dsigner l'emplacement des villages en rai

son de leur position stratgique plus oumoins susceptible de dfense,de la fertilit des terrains mettre en culture et de l'abondance des

eauxncessaires l'alimentation desmigrans et de leurs troupeaux ;

elle encore de dcider si les terres achetes devraient tre mises en

adjudication par enchres, vendues sous certaines conditions ou

concdes gratuitement, et, dans ce dernier cas, quelles conditions ;

oprations toutes plus dlicates les unes que les autres et qui, par

suite de leur importance au point de vue du rsultat final, ne pou

vaient tre utilement confies qu' la direction unique de l'tat.

L'honorable rapporteur de la commission n'hsitait pas d'ailleurs

convenir dans ce mme document que l'administration algrienne

n'avait pas jusqu' ce jour fait preuve d'une application suffisante

pour surmonter les difficults qu'il avait mis tant de soin signaler.

Les renseignemens parvenus la commission tablissaient que cer

tains choix inconsidrs, quant l'emplacement des villages, avaient

abouti de vrais mcomptes ; que le triage faire dans le nombre

des demandeurs ne laissait pas que d'tre trs embarrassant, et que,

dans des circonstances trop frquentes, nombre de colons srieux

avaient eu subir les suites fcheuses des fausses manuvres, des

ngligences, des erreurs de l'administration (3). Cependant l'hono

rable rapporteur terminait en concluant que le mieux tait encore

de continuer demettre sa charge une tche infiniment plus lourde

que celle sous le poids de laquelle elle avait jusqu' prsent suc

comb (4).

(1) Rapport de M. Thomson la chambre des dputs (sance du 12 juillet 1881).

(2) Rapport de M. Thomson la chambre des dputs (sance du 29 juin 1882).

(3) Ibid.

(4) Ibid.

Page 25: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 19

On nous permettra de nous dispenser d'examiner la partie finan

cire du projet ; nous reconnaissons volontiers, ce sujet, notre com

plte incomptence. Peut-tre, au point de vue budgtaire, est-ilpermis de se demander s'il est sage, et mme licite, d'aliner ainsila libert du parlement, de lui lier les mains par avance pour un

laps de vingt-deux annes en faisant masse (c'est l'expression dont

on s'est servi) des diffrentes allocations qu'il a prcdemment

votes et qu'on lui suppose l'intention de voter encore pendant cet

espace de temps au profit de la colonisation algrienne, afin de les

inscrire en bloc au budget sous la rubrique de garantie et amor

tissement d'un capital avanc par la caisse des dpts et consigna

tions. N'est-ce point l une forme dguise d'emprunt, et si pareils

expdiens taient couramment employs faire face toutes les

dpenses ayant le double caractre d'tre utiles et momentanes,

o irions-nous et que deviendraient les finances de notre pays? Je

laisse ce sujet claircir aux sages esprits qui ont, l'heure qu'il

est, justement souci de la bonne gestion de la fortune publique de

la France. Ce n'est pas que je sois autrement effray de l'octroi

d'une somme de 50 millions consacre dvelopper les magnifi

ques ressources de nos possessions du nord de l'Afrique. C'est

de l'emploi faire de ce capital que je me proccupe, et des

moyens pratiques mettre en usage afin d'en tirer le meilleur parti

possible.

La question, du reste, n'est pas nouvelle. Elle a t traite

suprieurement par M. de Tocqueville dans le rapport qu'il a fait,en 1847, au nom d'une commission parlementaire qui, je le crois,

a t la premire saisie de l'une de ces demandes de crdits

l'usage des colons algriens, crdits dont le retour est depuis

devenu si frquent, et qui ont tant de fois fourni aux membres

de nos diverses assembles politiques l'occasion d'exprimer

leurs vues sur la direction donner aux affaires de notre colo

nie africaine. Voici quelles taient cette date les conclusions de

l'minent rapporteur : En matire de colonisation, disait -il, il

faut toujours en revenir cette alternative : ou les conditions co

nomiques du pays qu'il s'agit de peupler sont telles que ceux

qui voudront l'habiter pourront facilement y prosprer et s'y

fixer ; dans ce cas , il est clair que les hommes et les capitaux

y viendront et y resteront ; ou bien, une telle condition ne se ren

contre pas, et alors on peut affirmer que rien ne saurait jamais la

remplacer.

Dans ces termes absolus, le dilemme de M. de Tocqueville est

logiquement irrfutable. Mais la logique absolue ne gouverne pas

le monde, et les conditions conomiques d'un pays peuvent d'ail-

Page 26: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

20 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

leurs tre graduellement modifies et mme parfois trs prompte

ment changes. L'Algrie en est un exemple. A coup sr, elle

n'tait plus, au moment o nous en avons fait la conqute, ce

qu'elle avait t avant notre re, c'est--dire une sorte de grenier

d'abondance pour les Romains. Il est de mme incontestable qu'elle

s'est prodigieusement et trs heureusement transforme depuis que

nous l'occupons, surtout pendant le cours de ces douze ou quinze

dernires annes. Loin de moi la pense que la colonisation offi

cielle aitt l'unique cause de ces notables progrs, ni mme qu'elle

y ait jou le premier rle ! Il serait toutefois injuste de nier qu'elle yait eu sa part ; j'incline mme croire qu'il serait fcheux de vouloir

dsormais tenir l'administration tout fait l'cart des mesures

prendre pour hter le peuplement et la mise en valeur des contres

algriennes. C'est une affaire de mesure et de temps. Une coloni

sation exclusivement officielle serait une colonisation essentielle

ment factice. Le rle des agens d'un gouvernement peut tre, aux

poques de dbut, celui d'initiateurs, mais il faut qu'ils se htent

de reprendre le plus tt possible celui qui, la longue, leur con

vient uniquement, savoir : de conseillers bienveillans et de pro

tecteurs efficaces. Les gouverneurs militaires ou civils de notre

colonie africaine ont, chacun leur date, beaucoup contribu sa

prosprit. Ils lui ont rendu plus de services qu'ils n'ont commis

de fautes. Ce sont eux qui ont inaugur la grande exprience de

colonisation officielle entreprise sitt aprs notre conqute, qui a pris,

d'anne en anne, des dveloppemens si considrables et que l'on

semble vouloir, tort ou raison, poursuivre encore aujourd'hui.

C'est pourquoi, au lieu de dbattre thoriquement des doctrines sur

lesquelles toutes les opinions se sont produites, je juge plus utile

d'tudier de prs les essais de colonisation successivement tents sui

le terrain. Us ont t assez nombreux, surtout depuis 1871, pour

nous fournir une excellente occasion d'en apprcier le fort et le

faible, et de constater scrupuleusement pour chacun d'eux, quels

en ont t, en somme, les rsultats effectifs. Cette faon de proc

der n'a rien d'ambitieux; elle est, j'en conviens, on ne peut plus

terre terre. Je me fliciterais toutefois, si, grce la prcision

des faits que je vais rappeler, il m'tait donn de fixer les hsi

tations de l'opinion publique et d'agir, quelque peu que ce ft,sur les dterminations des hommes qui tiennent aujourd'hui en

mains les destines prochaines de notre belle colonie.Entendent-

ils rompre entirement avec les erremens du pass, ou veulent-ils

les continuer tout en les modifiant? Dans ce dernier cas, qui est

le plus probable, ils ont un intrt majeur bien discerner, dans

la foule encombrante de mesures successivement prises un peu

Page 27: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 21

au hasard par leurs devanciers, celles qu'ils peuvent adopter sans

trop d'inconvniens et celles que l'exprience acquise les engage

viter.

Presque aussitt aprs l'occupation dfinitive du Sahel, c'est-

-dire du massif des collines qui environne Alger, le problme de

la colonisation s'imposa de lui-mme et par la force des choses. De

hardis pionniers s'taient tout d'abord mis l'uvre, et, sous la

protection d'une forte garnison dont les corps dtachs rayonnaient

autour de la place, ils avaient commenc par cultiver les terres

faisant nagure partie des domaines du dey, qui demeuraient aban

donnes dans la banlieue de son ancienne capitale. Peu peu ils

avaient pouss plus avant, et, grce l'assistance des commandans

militaires, grce surtout la coopration gratuitement prte par \nos soldats, quelques tablissemens agricoles et plusieurs centres

crs par ces premiers colons s'taient tendus de proche en

proche jusqu' la plaine de la Mitidja. Nos compatriotes y ren

contraient une terre d'une merveilleuse fertilit, mais couverte

presque partout de palmiers nains dont le dfrichement tait non-

seulement pnible et coteux, mais trs malsain. Nombre de loca

lits qu'on aperoit maintenant de loin sur le chemin de fer d'Alger

Oran, couronnes des plus magnifiques ombrages, taient alors

dpourvues de toute vgtation et entoures de marais pestilentiels.

La plupart, comme Boufarik, par exemple, ce centre aujourd'hui

si prospre ,dont la population s'est renouvele successivement

jusqu' trois fois, avaient alors une rputation nfaste d'insalubrit et

passaient, dans l'opinion de nos troupes, pour autant de tombeaux.

Cependant, malgr les difficults du dbut, en dpit de l'hostilit

des indignes et de leurs trop frquentes pilleries, l'lment euro

pen allait gagnant chaque jour du terrain, non-seulement prs

d'Alger, mais aux environs d'Oran, de Bne et de Philippeville, et

tout le long du littoral. Son essor alla mme jusqu' donner brus

quement aux terres primitivement concdes des civils une valeur

assez considrable pour susciter d'assez fcheuses spculations de

la part de personnes coup sr fort peu soucieuses de l'avenir de

la colonisation. Ce fut pour mettre obstacle ce scandaleux trafic

que desarrts successifs pris par les divers gouverneurs imposrent

aux concessionnaires, de 1840 1847, certaines clauses rsolutoires:1 construire une maison d'exploitation en rapport avec l'tendue

du terrain concd ;2

planter un certain nombre d'arbres par

hectare ;3 dfricher et mettre les terres en valeur ;

4 les entourer

d'une haie ou d'un foss. A ces conditions, le colon ne recevait encore

Page 28: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

22 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

qu'un titre de possession provisoire. Des inspecteurs de colonisation

devaient en outrevrifier, aprs un temps donn, l'tatde la conces

sion, et, si les clauses stipules pour l'octroi de la proprit dfinitive

du sol n'avaient pas t remplies, le colon pouvait tre vinc (1).

On devine aisment les inconvniens d'un pareil systme unifor

mment applicable toutes les parties d'un immense territoire, dont

les circonstances conomiques varient l'extrme d'une centre

l'autre, quant la nature du sol et l'espce des productions agri

coles qu'il est en tat de fournir. Mais tel est le fond peu prs

immuable de tous les plans de colonisation officielle, et le rsultat

le plus sr en a toujourst de paralyser force d'entraves et d'in

stabilit les fconds efforts de l'initiative individuelle. Le suprme du

genre n'tait pas toutefois encore atteint. Il restait essayer d'impa-

troniser en Algrie des colonies militaires l'instar de celles qu'a

vaient jadis fondes nos devanciers les Romains. Cette ide avait

souri au marchal Vale, qui, par un arrt en date du 1 octobre

1840, songea, le premier, crer prs de Colah une colonie militaire

de 300 soldats, auxquels furent allous conditionnellement quelques

hectares de terre, avec un emplacement propre servir de centre

aux constructions rurales qu'ils taient tenus de btir. Les avan

tages stratgiques de cette combinaison taient de nature frapper

vivement l'imagination du marchal Bugeaud, qui, dans des occa

sions rcentes et dcisives, venait de remporter sur les Arabes

de brillantes victoires. Elle allait droit au cur du grand homme

de guerre et du fervent agriculteur qui avait adopt la fire devise :

Ense et aratro. Aprs Isly, tous les efforts du marchal, dont l'in

fluence sur la direction donner aux affaires algriennes tait deve

nue justement dominante, tendirent faire agrer par le gouverne

ment un ensemble de mesures labores de longue date avec amour

jusque dans leurs moindres dtails et juges par lui indispensables

au succs de la colonisation. Au ministre de la guerre l'adhsion

fut complte. A vrai dire, l'expos des motifs du projet de loi dposau commencement de 1847 par le titulaire de ce dpartement, legnral Moline de Saint-Yon, pour demander l'ouverture d'un crditde 3 millions affecter l'tablissement de camps agricoles en

Algrie, n'tait que le dveloppement des ides du marchal. Il taitclair qu'il en tait l'auteur, et c'tait lui, en ralit, qui avait tenu la

plume. Outre qu'il expose clairement le plan dont il s'agit, ce docu

ment officiel indique avec grande prcision o en taient les essais

de colonisation expriments, en 1847, sur le territoire de nos trois

(1) Arrt du 4 mai 1841, ordonnances des 21 juillet et 1 septembre 1845, des6 juin et 1 juillet 1847.

Page 29: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 23

provinces ; c'est pourquoi nous en reproduirons ici les passages les

plus essentiels :

... Malgr toute l'attention apporte par le gouvernement la coloni

sation en Algrie, ce n'est gure qu' partir de 1842, disait l'expos des

motifs, que cette uvre longue et difficile a pu devenir l'objet d'efforts

puissans et continus... Trois petits villages crs grand'peine, deux

dans la banlieue et un dans la Mitidja, quelques concessions isoles

dans le voisinage des villes d'Alger, de Bne et d'Oran, l'tablissement

de quelques colons dans les villes de Blidah, Colah et Cherchell, voil

tout ce qu'on a fait et pu faire... De 1842 1845, quinze centres, dont

une petite ville, ont t fonds dans le Sahel; vingt-sept taient crs

ou en voie de construction dans la province d'Alger, huit dans la pro

vince d'Oran et huit autres galement dans la province de Constan

tine...

Tout en se flicitant des rsultats acquis et en tmoignant de sa

confiance dans la future prosprit des villages en voie de prpara

tion, le ministre de la guerre se demandait s'il ne conviendrait

pas d'tablir dans les vides qui sparaient ces centres les uns des

autres, non -seulement des concessionnaires riches et dots de

grandes tendues de terrain, mais une colonisation plus forte, plus

dfensive que la colonisation compltement libre, compltement

civile, en un mot une colonisation arme... Cette colonisation,

dans la pense du marchal Bugeaud et du gnral Moline de Saint-

Yon, devait tre une vritable avant-garde destine se servir

du fusil comme de la bche, une sorte de bouclier pour les ta-

blissemens placs derrire elle... Les hommes habitus au mtier

des armes, continuait le ministre, sont seuls en tat de fournir un

choix de sujets jeunes, vigoureux, acclimats, aguerris, nergi

ques et capables de tenir les Arabes en respect (1). n Venaient

ensuite, dans l'expos des motifs, des dtails circonstancis sur la

meilleure manire d'organiser ce corps de soldats d'lite appels

devenir des colons modles. On renonait y admettre les librs

du service, parce que l'exprience avait dmontr qu'ils taient en

gnral plus presss de retourner en France cultiver les terres de

leurs parens que de faire valoir celles qu'on leur promettait en

Algrie. Les militaires ayant encore trois annes servir sous les

drapeaux donnaient plus de garantie parce qu'ils demeuraient assu

jettis aux rgles d'une stricte discipline. Cependant, comme il est

(1) Voir l'expos desmotifs du ministre de la guerre, gnral Moline de Saint-Yon.

(.Moniteur de 1847, page 420.)

Page 30: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

24 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

difficile de faire de la colonisation avec des clibataires, il leur tait

octroy un cong de trois mois au bout desquels ils taient disci-

plinairement tenus de revenir en Algrie muni chacun d'une pouse

lgitime.

Volontiers on se croirait en prsence de quelque utopie ou du

rve bienfaisant d'un despote oriental. Loin de l! Le systme que

le gouvernement proposait aux chambres franaises d'instituer par

voie lgislative, le marchal Bugeaud l'avait dj pleinement inau

gur titre d'exprimentation. Il avait commenc par fonder

Fouka un village compos de librs ; puis, comme il n'avait pas

trouv chez eux assez de zle pour la culture ni assez de docilit

pour ses conseils agricoles, il avait cr, Mered et Mehelma, deux

autres villages ne comprenant que des hommes devant encore trois

ans de service l'tat. A peine installs sur leurs futures conces

sions, ces militaires avaient reu un cong rgulier pour s'aller

mettre en qute des compagnes qu'ils devaient associer leur sort.

La ville de Toulon n'avait pas t peu surprise de voir un beau

matin une vingtaine de jeunes soldats descendre sur ses quais et

parcourir ses rues, avec lamission officielle de dcouvrir et de rame

ner au plus vite Alger un nombre gal de jeunes filles se sentant

la vocation de contribuer au peuplement de notre colonie. Plus

d'une feuille publique s'amusa de ce mode nouveau de recrute

ment,mais le marchal, qui ne regardait pas payer de sa plume

pour dfendre les uvres qui lui taient chres, ne manqua pas de

faire constater dans le Moniteur (1) que c'tait la propre femme dumaire de Toulon qui avait bien voulu se charger de diriger elle-

mme, avec un zle patriotique etmritoire, les choix de ces couples

parfaitement assortis. Pour un peu, la note officielle, non contente

de rtablir ainsi la vrit des faits, aurait conclu par cette phrase

qu'on lit la fin de la plupart des romans difians : Us furent trs

heureux et ont eu beaucoup d'enfans.La chambre des dputs se trouvait donc avoir discuter un

projet parfaitement srieux, ayant mme reu un commencement

d'excution et qui peut, bon droit, passer pour le beau idal de

la colonisation officielle. Cependant la commission parlementaire ne

lui fut aucunement favorable. Son rapporteur, M. de Tocqueville,ne se borna point produire, comme nous l'avons dj dit, les

fortes objections qu'il avait, en principe, contre les procds tou

jours un peu factices, suivant lui, qui sont l'usage des partisans

de toutes les colonisations officielles ; il critiqua avec gravit, mais

non sans une certaine vigueur qui dut lui paratre un peu amre,

(1) Moniteur de 1847, page 614.

Page 31: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 25

la tentative essaye par le marchal dans les centres militaires de

Fouka, de Mered et de Mahelma. U ne craignit pas d'affirmer qu'elle

n'avait pas t heureuse : En ralit, la condition des colons

sortis de l'arme ou des soldats encore soumis aux lois militaires

n'apparaissait pas comme ayant t, en aucune faon, avanta

geuse pour eux. Ils taient presque tous misrables. Nulle part leur

succs n'avait t en rapport avec les sacrifices que l'tat s'tait

imposs... En Algrie, ajoutait avec raison M. de Tocqueville,faisant, propos de circonstances du moment, une rflexion gn

rale malheureusement applicable toutes les tentatives de colonisa

tion en Algrie, l'tat, qui n'a recul devant aucun sacrifice pour

faire de ses propres mains la fortune des colons, n'a presque pas

song les mettre en position de la faire eux-mmes (1).

Les conclusions du rapport, rejetant en bloc le projet de loi pour

l'tablissement de camps agricoles, avaientt acceptes l'unani

mit par les membres de la commission. Au cours des dbats enga

gs sur les crdits extraordinaires de l'Algrie, dbats pendant lesquels les dispositions de la chambre s'taient clairement manifestes,

le nouveauministre de la guerre, le gnral Trzel, vint dclarer la

tribune qu'une ordonnance royale du 11 juin 1847 avait prononc

le retrait du projet de loi sur les camps agricoles. C'tait l'enterre

ment dfinitif du plan que le marchal avait toujours choy avec

une tendresse toute particulire. Nul doute que l'chec ne lui en

aitt fort sensible. Peut-tre en voulait-il un peu au ministre de

ne l'avoir pas trs vigoureusement dfendu et de l'avoir si vite et

trop facilement abandonn (2) . Toujours est-il que trois semaines plus

tard lemarchal Bugeaud abandonnait l'Algrie pour n'yplus revenir.

Ajoutons qu'aprs 1848,letempset de plusmres rflexions aidant,

le marchal parut lui-mme assez revenu des ides dont il avaitt

le plus ardent promoteur. Dans une brochure, publie Lyon en

1849, il n'a pas hsit reconnatre avec une sincrit bien place |dans la bouche du glorieux vainqueur qui avait rendu tant de

signals services notre colonie, quels dboires lui avaient causs

les trois centres militaires o la fantaisie lui avait pris de rendre

obligatoire, pour ses soldats, le travail en commun. U faut l'en

tendre raconter d'une faon piquante l'accueil glacial qu' sa pre

mire visite, il rencontra de la part de ces hommes habitus le

saluer de leurs acclamations. Il les trouva, sur le seuil de leurs

portes, mornes et presque impolis. Il ne recueillit que des plaintes.

(t) Rapport de M. de Tocqueville. (Moniteur de 1847, page 1446.)

(2) Voir le Marchal Bugeaud d'aprs sa correspondance intime, par M. le comte

H. d'Ideville.

Page 32: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

i

26 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

Au lieu d'un surcrot de production, qu'il avait cru devoir rsulter

du travail en commun, c'tait l'mulation dans la paresse qu'il avait

involontairement provoque. Les socialistes, affligs de voir sou

vent la misre ct de l'aisance et mme de la richesse, poursui

vent la chimre de l'galit parfaite. Us croient, ajoutait tristement

le marchal en se rappelant, sans doute au lendemain des journes

rvolutionnaires de Paris, le spectacle que lui avaient nagure offertles trois villages de sa cration, ils croient l'avoir trouve dans l'as

sociation ; mais ils se trompent ; ils n'obtiendront que l'galit dans

la misre (1).

La misre pour de braves gens au sort desquels, comme mili

taire et comme agriculteur, il portait le plus vif intrt, voil bien

quoi avait abouti, au bout de peu de temps, l'essai tent par le

marchal Bugeaud. Quant la colonisation, elle n'en profita gure

elle-mme, car, lisons-nous dans un ouvrage ayant pour titre : l'Al

grie en 1880, ou le Cinquantenairedune'

colonie, les soldats de

ces trois villages rentrrent presque tous chez eux, abandonnant

leur proprit ventuelle (2).

Le systme de colonisation qui venait d'chouer ainsi devant le

parlement tait sorti arm de toutes pices du cerveau d'un emi

nent soldat, auquel ne manquaient ni l'exprience, ni le bon sens, ni

assurment la connaissance des choses de l'Algrie. C'tait toute

fois une conception un peu factice, o les habitudes du mtier et

une sorte de fantaisie personnelle avaient tenu beaucoup de place.

Il n'entrait, au contraire, aucune fantaisie dans les mesures prises

par deux autres gnraux non moins attachs notre colonie afri

caine, qui, peu de temps aprs les journes de juin, songrent la

doter d'une population bien diffrente de celle que le vainqueur

d'Isly aurait prfr y tablir. En 1848, Cavaignac et La Mori

cire obissaient rsolument, mais sans beaucoup d'illusion, de

cruelles ncessits. C'tait le moment o Paris regorgeait d'ou

vriers sans emploi; la prudence et l'humanit conseillaient de leur

mnager une issue. A ce titre, nos possessions dans le nord de

l'Afrique s'offraient naturellement l'esprit. Tout sacrifice appliqu

cette destination prenait la forme d'un intrt national (3). Un

dcret sign par le chef du pouvoir excutif, la date du 19 sep-

(1) Les Socialistes et le Travail en commun, par le marchal Bugeaud d'Isly. Cha

noine, imprimeur, 1849.

(-2) Le Cinquantenaire d'une colonie : l'Algrie en 1880, par Ernest Mercier.

(3) Rapport de M. Reybaud, sance du 6 avril 1850. Moniteur du 12 avril 1850,page 1190.

Page 33: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 27

tembre 1848, fixait douze mille le nombre des colons expdier

en Algrie, auxquels mille cinq cents autres furent adjoints au mois

de novembre suivant, ce qui portait le chiffre total treize mille

cinq cents. Cinquante millionsde francs formrent la dotation de

cette entreprise,Tsavoir : 5 millions sur l'exercice de 1848, 10 mil

lions pour 1849, le surplus rpartir sur les exercices suivans. Un

arrt du gnral LaMoricire, ministre de la guerre, annonait, le

27 septembre, que chaque colon recevrait :1

une habitation

que l'tat ferait construire;2

un lot de terres de 4 12 hectares,suivant le nombre des membres de la famille;

3 les semences, des

instrumens de culture, des bestiaux et enfin des rations de vivres

jusqu' la mise en valeur des terres (1). L'appt tait considrable

el l'affluence des demandes fut norme. Il y avait ncessit de faire

un choix. Ds sa seconde sance, une commission parlementaire

nomme cet effet s'occupait sans relche, avec un rel dvou

aient, de la classification des bnficiaires et prsidait au dpart

des convois. A dfaut des chemins de fer, qui n'allaient pas encore

jusqu' Marseille, ni mme jusqu' Lyon, ils prenaient les voies

fluviales, et c'tait sur la Seine, Bercy, qu'avaient lieu les embar-

quemens, non dpourvus de quelque clat et d'une certaine mise

en scne. La sympathie pour les migrans tait gnrale; l'en

thousiasme pour l'uvre elle-mme ne faisait pas non plus dfaut,

et, comme d'usage, on se servait pour l'exprimer de la phrasolo

gie dclamatoire qui tait la mode du jour. On commence

comprendre, disait un article du Courrier franais, reproduit par

le Moniteur, que l'Algrie est destine rsoudre le problme social

qui, depuis le 24 fvrier, agite la France... L'Algrie n'est plus

aujourd'hui une question politique, elle est devenue une question

sociale... Terre de perdition sous la monarchie, c'est une terre pro

mise sous la rpublique... Les citoyens qui vont s'y rendre n'au

ront pour ainsi dire qu' la frapper du pied pour en faire sortir les

moissons, les herbes potagres et les arbres rcolte, vignes, oli

viers etmriers, etc... (2). Avant la fin de l'anne, quinze convois

de colons quittrent ainsi successivement la capitale, emportant

les vux d'une population mue, et fortifis, au moment des der

niers adieux, par les discours pleins de promesses d'hommes con

sidrables et dignes de foi qui leur annonaient en toute sincrit

une re de bonheur et de prosprit. Les reprsentans de l'assem

ble nationale n'avaient pas t les seuls encourager, l'heure

du dpart, par de chaudes et cordiales paroles, ceux qui allaient

(1) Moniteur de 1848, page 2616.

(2) Moniteur de 1848, page 2744.

Page 34: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

28 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

quitter le sol natal. Ce qui tonnera peut-tre quelques-uns des

rpublicains de nos jours, ils avaient tenu se faire seconder, dans

cette tche patriotique , par les dignitaires les plus minens du

clerg de Paris. Aprs les discours tout politiques de M. Trlat,prsident de la commission parlementaire, venaient les harangues

toutes chrtiennes de M. l'archevque de Paris ou de quelques-uns

de ses grands vicaires. A MM. Recurt et Henri Didier succdaient

comme orateurs M. Sibour, l'abb Buquet, M. le grand vicaire

de La Bouillerie, et les accens de ces ecclsiastiques ne semblaientpas pntrer moins avant dans l'me des auditeurs. La forme tait

diffrente ; la confiance, et, pour quelques-uns, il faudrait dire la foi

dans le succs, taient gales de part et d'autre. Au dpart du

quinzime et dernier convoi, organis et command par un ancien

officier de l'arme d'Afrique, aprs quelques paroles patriotiques

prononces par M. Trlat, au moment o il remettait, comme d'ha

bitude, aux migrans le drapeau aux trois couleurs, ce fut le tour

du cur de Saint-Ambroise de s'adresser eux. Dieu, s'cria-

t-il,bnira votre voyage , car vous vous dirigez vers sa terre.

Toute la terre est Dieu sans doute; mais, de mme que la terre

promise tait son bien, ainsi l'Algrie, qui offre tant de rapports

avec la Palestine, est le bien de Dieu de prfrence toute autre

rgion. Comme les Franais qui s'embarqurent avec saint Louis,criez-vous : Diex volt! (Dieu le veut!), nous marchons forts

de son secours. Nous faisons voile de par Dieu; nous arrive

rons bon port. Cependant les colons poussaient des acclama

tions de joie, la foule enthousiaste saluait de ses applaudissemens

le bateau prt s'loigner, et le Moniteur, en reproduisant la

scne, regrette, comme son ordinaire, que la population tout

entire de Paris n'ait pas pu tre tmoin d'un si magnifique spec

tacle (1).

Il est curieux de suivre pas pas les phases diverses de ce grand

exode de 1848, dont les dbuts commenaient sous de si heureux

auspices. Les premiers convois furent dirigs du ct d'Oran, parce

que les tudes pour l'tablissement des colons y avaientt depuis

longtemps acheves ; mais les treize mille cinq cents migrans furent

rpartis dans une gale proportion entre les trois provinces (2). Us

rencontrrent partout un bon accueil. Dans quelques localits, les

habitans du pays avaient d'avance ouvert des souscriptions pour

leur venir en aide. Les Arabes mme avaient paru s'intresser

leur sort. Les commandans militaires montrrent beaucoupd'em-

(1) Moniteur de 1848, page 3409.

(2) Moniteur du 12 octobre 1848.

Page 35: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 29

pressement leur pargner les embarras du premier tablissement.

Ils tmoignaient en leur faveur. Rien de plus satisfaisant, crivait

le gnral Saint-Arnaud au 25 novembre 1848, que le spectacle

des nouveaux villages. La tenue des colons, leur excellent esprit,

leur courage justifient tous les loges, et permettent toutes les esp

rances (1). Toutefois les impressions deviennent graduellement

moins bonnes sur leur compte et le dsenchantement commence se

faire jour parmi eux. Aux premiers mois de 1849, ils ne dsesp

rent pas encore, mais la confiance dans l'avenir a beaucoup dimi

nu. Les sants sont toujours bonnes, crit avec prvoyance un

correspondant de Constantine ; mais bientt les grands travaux de la

moisson vont commencer et causeront plus de fatigue aux colons

que la culture de leurs jardins (2). Quelques-uns commencent

se plaindre de l'abandon dans lequel on les a laisss aprs leur

arrive, et ces plaintes trouvent un cho et peut-tre quelques exci

tations dans les journaux du pays. Le ministre de la guerre est

oblig d'intervenir et fait dclarer par une note insre au Moni

teur que les colons venant journellement de Paris ou des dparte

mens ne peuvent avoir droit aux mmes subsides que les familles

dsignes sur la proposition de la commission institue par la loi

du 29 septembre 1848 (3). A Oran, un journal de la localit pr

sente le relev de ce qui s'est pass dans cette subdivision : Sur

3,144 colons, 126, dont 75 clibataires, sont dj partis, soit pour

rentrer en France, soit pour reprendre leurs anciens mtiers dans

les villes de la province, il y en a eu 20 d'expulss. Dans la subdivi

sion de Mostaganem, sur 1,834 personnes habitant sept villages,

138 ont quitt, dont 67 clibataires. U y a eu 11 expulsions. Les

dcs ontt nombreux, et la mortalit a svi surtout sur les enfans.

90 dcs pour 115 naissances,

Nous ne trouvons point au Moniteur de chiffres prcis pour les

autres subdivisions, mais nous avons lieu de croire que, dans la

province d'Alger et dans celle de Constantine, il en fut peu prs

de mme. Les dparts y taient nombreux. Parmi les demeurans,les habitudes de fainantise et d'insubordination avaient pris le des

sus; Mazagran, des troubles clatrent parmi les colons, qui ne

voulaient pas reconnatre l'autorit du maire plac leur tte, et le

sous-prfet avait t oblig d'intervenir pour rtablir l'ordre. Les

ressources financires pour l'exercice de 1849 ont d'ailleurs t vite

puises, et le ministre de la guerre annonce, le 2 mars 1849, qu'il

(1) Moniteur de 1848, page 3470.

(2) Moniteur de 1849, p. 1352.

(3) Moniteur de 1849, p. 2098.

Page 36: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

30 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

ajournera l'envoi de nouveaux convois, parce que, dit-il, la saison

est trop avance, mais, en ralit, parce qu'il commence conce

voir des doutes sur le succs de l'entreprise dont la direction lui a

t confie (1).

Tel tait l'tat des choses, quand intervint une dcision de la com

mission budgtaire de l'assemble accordant un nouveau crdit de

5 millions pour envoi de nouveaux colons, et pour secours donner

aux anciens migrans, mais stipulant : que l'emploi de ce crdit

n'aurait lieu qu'aprs qu'un rapport circonstanci sur l'tat de la

colonie algrienne auraitt soumis l'approbation du corps lgis

latif. La commission nomme par le ministre de la guerre, afin de

dgager sa responsabilit personnelle, partit de Paris le 27 juin pour

Alger, avec mission de pntrer dans l'intrieur des terres et de se

rendre compte de tout par elle-mme. Quarante et un villages o

sjournaient les colons furent, de sa part, l'objet d'une enqute mi

nutieuse. De l'inspection qu'elle avait faite et des documens qu'elle

avait runis, il ne rsultait rien de favorable l'envoi de nouveaux

colons (2). Quand vint la discussion l'assemble, ce fut le rappor

teur, M. Ch. Reybaud, qui ouvrit les dbats. Son discours, qui

obtint l'assentiment peu prs universel, rsume brivemenlren

termes pleins de clart et de bon sens ce qu'il faut dfinitivement

penser de la tentative de colonisation essaye en Algrie au moyen

des migrans de 1848 :

Dans cette question des colonies agricoles de l'Algrie, il est

deux points sur lesquels tout le monde semble d'accord : le pre

mier, c'est que ces colonies ont t le produit de la ncessit, des

circonstances, et qu'elles ont t, dans une proportion notable du

moins, composes d'lmens dfectueux peu en harmonie avec leur

destination... Voil un premier point dont l'vidence n'est plus

dmontrer... Le second est de s'abstenir de tout acte, presque de

toute parole qui pourrait ressembler une condamnation anticipe

et ajouter de nouveaux germes de dcouragement ceux qui exis

tent dj sur les lieux... Il y a plus d'une critique faire, plus

d'une objection lever sur ce qu'ontt ces colonies, sur ce qu'elles

auraient pu tre. Les sacrifices n'ont past en rapport avec les rsul

tats. On aurait pu employer les ressources du trsor des crations

mieux ordonnes et plus profitables. Qui n'en a pas le profond senti

ment?.. D'accord avec la commission du budget, d'accord avec le

gouvernement, notre commission vous propose de dcider : Qu'

l'avenir, il ne sera plus fond de colonies agricoles en Algrie dans

(1) Moniteur de 1849, p. 679.

(2) M. Charles Reybaud. (Moniteur du 5 juillet 1850, page 2289.)

Page 37: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 31

les mmes conditions ni avec les mmes lmens. Il est temps de

s'arrter dans une voie o la dpense n'est pas en rapport avec les

produits (1).

Ces conclusions de la commission furent acceptes en troisime

lecture et presque l'unanimit par l'assemble. Quant aux sages

avertissemens dont M. Reybaud s'tait fait l'interprte, en 1850,ils n'taient pas destins peser d'un grand poids, vingt ans aprs,

sur les dterminations d'une autre assemble patriotiquement ,

mais un peu tourdiment empresse de recourir, pour aider au

dveloppement de notre colonie algrienne, presque aux mmes

moyens dont nous venons de constater l'insuccs.

Ge qui console un peu, quand il faut, par respect pour la vrit,reconnatre les mprises dans lesquelles sont parfois tombes nos

assembles dlibrantes franaises, c'est que les mesures irrfl

chies qu'elles ont trop souvent adoptes l'improviste leur ont

presque toujours t dictes par quelque sentiment d'irrsistible

gnrosit. Ce fut le mobile qui dcida, en 1848, les reprsentans

du peuple diriger vers l'Algrie les ouvriers dclasss de Paris.

Ce fut encore un mouvement de sympathie non moins spontan

qui poussa, en 1871, l'assemble nationale attribuer 100,000 hec

tares de terre dans notre colonie africaine aux Alsaciens-Lorrains

originaires des provinces annexes l'empire allemand. Introduite

Versailles, ds les premires sances, par voie d'initiative indivi

duelle, cette proposition fut aussitt acclame. Les termes dans les

quels elle tait conue expriment d'une faon touchante quelle tait

la proccupation de ceux qui l'avaient rdige, lorsqu'ils deman

daient tristement leurs collgues de la voter comme une sorte

d'attnuation, si lgre et si incomplte qu'elle ft, aux dures con

ditions de paix que, peu de jours auparavant, ils avaientt contraints

de signer avec les dtenteurs de nos provinces perdues :

L'assemble nationale, disaient les signataires de la proposition,

attache par des liens de cur indissolubles aux patriotiques popula

tions de l'Alsace et de la Lorraine, dont elle a cd avec une douleur

profonde, sous l'empire de circonstances qu'elle n'a pas faites, le ter

ritoire matriel, et voulant, autant qu'il est en son pouvoir, garder les

armes et les bras de ces races si vaillantes, dcrte :

Art. 1er. Une concession de 100,000 hectares des meilleures

terres dont l'tat dispose en Algrie est attribue aux Alsaciens et Lor-

(1) Discours de M. Reybaud, sance du 5 juillet 1850. (Moniteur, page 2289.)

Page 38: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

32 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

rains habitant les territoires cds, qui voudront, en gardant la natio

nalit franaise, demeurer sur le sol franais.

Art. 2. Le transport gratuit aux frais de l'tat et une indemnit

de premier tablissement seront accords aux individus et aux familles'

dclarant vouloir user du bnfice qui leur est offert.

Art. 3. Une commission de quinze membres sera nomme pour

tudier et prparer, dans le plus bref dlai possible, la srie des me

sures qui devront rglementer l'excution de la prsente loi (1).

Au 15 septembre suivant, la motion parlementaire devenait une

loi dfinitive insre au Moniteur, et prcde d'un rapport de M. Ca

simir Perier,ministre de l'intrieur. Deux dcrets du 16 et du 28 oc

tobre rglaient, enmme temps, le mode de distribution des terres

allouer aux colons. Le titre premier disposait que le colon qui jus

tifierait de la possession d'un certain capital devrait s'engager le

dpenser pour la mise en valeur de sa concession, mais qu'il n'en

I deviendrait propritaire dfinitif qu'aprs avoir fourni la preuve des

(dpenses effectues. II n'est pas besoin de dire que peu d'Alsa

ciens-Lorrains (une trentaine peu prs) taient en tat de rem

plir ces conditions, tandis que celles du titre n s'appliquaient au

plus grand nombre. Le titre u apportait une notable innovation

(fut-elle trs heureuse?) au systme prcdemment suivi. La con

cession tait transforme en un simple bail d'une dure de neuf et,

plus tard, en 1874, de cinq annes, aprs~lesquelles, les conditions

de rsidence et de mise en culture tant remplies, le colon devenait

propritaire dfinitif. II rsultait de cette combinaison une aggra

vation des anciennes clauses rsolutoires; elle plaait le conces

sionnaire dans la situation fort prcaire d'un fermier qui, courant

le risque d'tre dfinitivement vinc, se trouvait dans l'impos

sibilit de contracter le moindre emprunt sur des terres qu'il

ne lui tait pas loisible de donner en gage.

La contenance des lots allous aux Alsaciens-Lorrains tait un

peu plus considrable que pour les migrans de 1848 ; le dcret

portait, en effet, qu'il leur serait donn de 3 10 hectares par

tte, les enfans et les domestiques comptant comme units. Cela

mme n'tait pas encore suffisant. Le souvenir des difficults contre

lesquelles on s'tait jadis heurt et des checs qu'elles avaient ame

ns tait dj compltement oubli, et l'on retomba peu prs

dans les mmes erreurs que par le pass. Le triage opr sur place

par les comits de Nancy et de Belfort entre les demandeurs de

(1) Proposition de M. de Belcastel et de quelques-uns de ses collgues, dpose le

20 juin. (Moniteur du 22 juin 1871.)

Page 39: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 33

concessions ne fut pas toujours trs heureux. Sur la simple annonce

des terres mises leur disposition, beaucoup d'individus origi

naires des provinces annexes taient accourus en Algrie dpour

vus de toutes ressources et nullement prpars par leurs profes

sions antrieures l'existence pnible qui les attendait sous un

climat si diffrent du leur. A plusieurs points de vue, le nouvell

ment de colonisation que les dsastres de 1870 amenaient en Alg

rie, tout en laissant encore dsirer, valait mieux que celui qu'yavait dvers la rvolution de fvrier. Ces nouveaux arrivans avaient

d'ailleurs sur les colons d'autre provenance ce triste avantage que,

chasss sans retour possible du sol natal, ils taient moins enclins

se laisser dcourager par les preuves du premier dbut et

prts s'imposer les plus rudes privations, afin de se refaire, en

terre demeure franaise, la patrie qu'ils avaient cruellement per

due. Cette fois encore les cultivateurs se trouvaient tre de beau

coup les moins nombreux. Presque tous les Alsaciens taient des

ouvriers de fabrique. Pour ces hommes, entours la plupart d'une

nombreuse famille, habitus vivre dans des villes opulentes et

y toucher de gros salaires, dont les femmes, les enfans mme

trouvaient le plus souvent s'employer ct d'eux des tra

vaux rmunrateurs, quelle dception d'tre ainsi tout coup

dposs sur une terre brlante et nue, de laquelle il leur fallait tout

attendre et qu'ils n'avaient cependant jamais appris cultiver! Ce

n'tait point le sol qui allait leur faire dfaut. Les terrains abon

daientpar suite du squestremis par l'amiral deGueydon sur les biens

des tribus rvoltes; ce qui leur manquait, c'tait le moyen de s'y

tablir n'importe comment. L'administration algrienne avait, en

effet, t prise au dpourvu. Dans le premier moment, elle n'avait

pas d'argent sa disposition, car il n'y avait pas eu de crdit rgu

lirement ouvert, et les ressources ncessaires pour subvenir

tant de besoins avaient d tre prises, non sur les fonds du bud

get, mais sur les amendes imposes aux chefs insurgs et dont "\

l'amiral de Gueydon avait la libre disposition. Peu peu quelque_J

ordre s'tait mis toutefois dans cette lamentable situation, grce

la puissante impulsion donne par le gouverneur gnral, grce

aussi l'activit des autorits administratives civiles, mais grce

surtout, il faut le dire, l'efficace coopration des commandans

militaires des trois provinces, anims, l'envi les uns des autres,

de la meilleure volont l'gard de nos malheureux compa

triotes et que secondaient sur place, avec un zle intelligent qui

ne s'est jamais lass, des comits locaux composs Alger,

Oran et Constantine des personnes les plus notables du pays. A

Oran, les gnraux Osmont et Crez, Constantine, le gnral de

3

Page 40: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

34 Li. COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

Galliffet, avaient, avec le plus gnreux empressement, prt des

transports d'artillerie et dtach des escouades de soldats du gnie

pour hter les constructions destines abriter les nouveaux dbar

qus. Cependant, la fin de 1872 et au commencement de 1873, ils'en fallait de beaucoup que, dans la plupart des localits, l'installation dfinitive ft acheve. Les hommes logeaient toujours sous

la tente et la plupart des femmes n'avaient encore de refuge, avec

leurs enfans en bas ge, que dans de mchans gourbis improvissla hte. Partout l'tat des sants laissait normment dsirer. Telle

tait la situation dplorable laquelle leministre de l'intrieur rsolut

de pourvoir en instituant une commissionjjgsidejaarJL-WolntYsV j ;et charge de rgler et de surveiller l'emploi des fonds provenant

des souscriptions publiques primitivement destines la libration

du territoire et qui, n'ayant past rclams par les souscripteurs,

devaient, aprs un certain dlai, tre affects l'assistance des

Alsaciens-Lorrains. Sur la somme totale de 6,254,000 francs distri

bue entre les trois comits de l'instruction, de secours et de colo

nisation, ce dernier, le comit de colonisation, avait reu pour sa

part 2,350,655 rancs, qu'il tait charg de distribuer au mieux

pour l'assistance des migrans alsaciens-lorrains en Algrie.

C'est au rapport prsent, le 31 juillet 1875, la commission

gnrale, au nom du comit de colonisation enAlgrie, par M. Guy-

nemer, membre de cette commission, que nous allons emprunter

les renseignemens et les chiffres qui vont suivre (1). Us ne sont

plus approximatifs, comme ceux dont nous avons d nous conten

ter jusqu' prsent. Us sont le produit d'une enqute officiellement

ordonne par une runion d'hommes expriments, scrupuleuse

ment mene jusqu'au bout par un ancien administrateur dou de

l'esprit leplus judicieux, qui avaitvisit lui-mme les lieux plusieurs

reprises et auquel les diverses questions qu'il avait traiter taient

particulirement familires. Rien de vague cette fois. Le tableau

trac est fidle, net et complet; c'est pourquoi il peut servir don

ner, propos de l'migration alsacienne-lorraine de 1871, une ide

strictement exacte des rsultats qu'obtient la colonisation officielle

mme quand elle s'exerce dans des conditions exceptionnellement

favorables et avec le concours empress de toutes les bonnes volonts.

Nous avons ici le bilan mathmatique de ce que cote l'administra

tion l'tablissementd'une familledecolons enAlgrie.Voici les chiffres.

D'aprs les listes nominatives officiellement fournies, il y avait,la date du 1er mars 1875, un total de 863 familles installes comme

colons au titre n en Algrie. 272 de ces familles (1,202 personnes)

(1) Paris, Imprimerie nationale, 1875.

Page 41: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 35

taient installes dans dix-huit villages de la province d'Alger ; 397

de ces familles (1,936 personnes) taient installes dans vingt-huit

villages de la province de Constantine; 194 de ces familles (977 per

sonnes) taient installes dans quinze villages de la province d'Oran ,

total : 863 familles composes de 4,115 personnes dans 60 villages.

Si ces familles on ajoute celles qui sont arrives en Algrie avec

quelques ressources et ont reu des concessions au titre Ier, plus

d'autres familles installes par la Socit de protection et par

M. Jean Dolfus Azib-Zamoun et Boukalfa, on arrive au chiffre total

de 1,020 familles, plus de 5,000 personnes rellement installes en

Algrie au1er

mars 1875 (1).

Si l'on cherche se rendre compte de la dpense qu'a dfiniti

vement occasionne l'installation comme colons des familles dont

l'existence at constate, au1er

mars 1875, dans les divers vil

lages, on trouve :

Pour la construction seulement des maisons. . . . 1,730,793 fr.

Pour assistance directe par l'administration pen

dant les annes 1871, 1872, 1873 et 1874 1,260,017

Pour assistance par le comit de colonisation. . . 1,108,390

Secours de toute espce donns par les comits

de France, d'Alger, Oran, Constantine 700,000

Pour 40 familles restant installer 60,000

Total 4,S59,200 fr.

Dans ces chiffres ne sont pas comprises les dpenses d'intrt

collectif ncessaires pour la cration des villages, c'esrt--dire che

mins d'accs, travaux pour captation des eaux, fontaine, lavoir et

abreuvoir, assiette du village et empierrement des rues, construc

tion des difices publics, tels que mairie, cole, glise et presby

tre, values 150,000 francs quand elles sont compltes pour un

village de 50 feux.

La part proportionnelle qu'il faut attribuer aux Alsaciens-Lorrains

dans les dpenses d'intrt collectif indiques ci-dessus pour les

nouveaux villages se montait, au 31 dcembre 1874, d'aprs les

tableaux dresss par l'inspection des finances au

chiffre de 1,100,000 fr.

Si on y ajoute les chiffres des dpenses pour

construction des maisons et assistance 4,859,200

Cela fait un total de 5,959,200 fr .

(1) Rapport de M. Guynemer, page 17.

Page 42: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

36 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

On trouve donc, en rsum, que l'installation des 900 familles [ |aura cot environ, en chiffres ronds, 6,000,000 francs pour les !maisons et l'assistance, soit en moyenne environ 6,888 francs par

'

famille. Comme, au dbut de l'migration, des dtachemens de \l

troupes ontt employs la construction des villages et que, dans

la suite, les colons ont presque partout rencontr, pour leur instal

lation, le concours efficace et gratuit des officiers et des employs de

l'administration, c'est, vrai dire, unminimum de 7,000 francs qu'il

faut quitablement compter pour l'tablissement en Algrie d'une

famille compose de 3, 4 ou 5 personnes. Tout porte mme croire,

vu la sympathie particulire que nos compatriotes des provinces an

nexes ont rencontre enAlgrie et les nombreux secours de nature

diverse qu'ils ont reus sur place et qui ne sauraient se chiffrer en

argent, que l'installation de chaque famille alsacienne-lorraine a d,suivant toute probabilit, coter mme beaucoup plus cher.

Que sont maintenant devenues, l'heure o ces lignes sont

crites, ces 900 familles, objet de tant de bienveillance et de tant de

soins? Cela serait extrmement curieux savoir prcisment. Les

renseignemens officiels fontmalheureusement dfaut. Voici toutefois,

en ce qui les regarde, ce que nous trouvons dans l'ouvrage rcent

d'un ancien habitant de l'Algrie, qui a pris soin de relater avec

une scrupuleuse impartialit, qualit assez rare dans la contre o

il rside, tous les faits qui se sont passs sous ses yeux depuis

environ cinquante ans : Malgr les efforts de l'administration et

des comits, malgr les secours envoys pendant plusieurs annes

de France, la russite fut peu brillante, comparativement aux

efforts et aux sacrifices faits. Quand on cessa de distribuer de l'ar

gent et des vivres, un certain nombre d'Alsaciens rentrrent chez

eux ou se dispersrent ; d'autres attendirent l'expiration des cinq

annes du bail, vendirent leur concession depuis longtemps greve

et disparurent (1).

Prendre les prcautions ncessaires, afin qu'au lieu de se disperser

au boutde quelques annes, lesAlsaciens-Lorrains demeurassent fixs

en Algrie, tel tait le but poursuivre. Une socit fonde aussitt

aprs les dsastres de 1871 afin de venir en aide nos compatriotes

des provinces annexes crut possible de l'atteindre en cherchant

lier les nouveaux colons, non point seulement par des obligations

positives, mais par ces attaches autrement puissantes qui rendent

ii chre au cultivateur laborieux la terre qui le nourrit. Sansvou-

(I) L'Algrie et les Questions algrienne,, M. Ernest Mercier. Paris, Challamel.

Page 43: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICILLLE EN ALGRIE. 37

loir faire en aucune faon de la colonisation officielle, elle se propo

sait, en mettant profit, en 1874, les enseignemens rsultant desrcentes tentatives du gouvernement, d'essayer ct de lui, d'accord avec lui, mais avec une entire indpendance d'action, ce quepourrait produire l'initiative d'un comit compos d'hommes unique

ment dsireux de faire acte de bienfaisance et de patriotisme. Ils

n'en taient pas ignorer ce qui s'tait pass l'occasion des

100,000 hectares attribus aux migrans des provinces annexes

et de leurs dfectueuses installations. Un desmembres de ce comit,M. Guynemer, celui-l mme dont nous avons cit le rapport

adress la commission Wolowski, avaitt charg, vers la fin de

l'anne 1872, d'aller visiter tous les colons alsaciens-lorrains diss

mins un peu partout dans les trois dpartemens d'Algrie et de

leur porter, de la part de la Socit de protection, des secours qui

ne montrent pas moins de 130,000 francs. Le retentissement

du voyage de M. Guynemer, les sommes importantes et les con

seils utiles qu'il ne se fit point faute de distribuer pendant son

excursion ont, dans le temps, donn penser beaucoup de per

sonnes, et plusieurs s'imaginent peut-tre encore aujourd'hui que la

socit dont il tait le dlgu n'avait pas craint d'accepter le patro

nage de tous les Alsasiens-Lorrains tablis en Algrie. De l consi

drer cette socit comme responsable des mesures bonnes ou

fcheuses prises leur gard il n'y avait pas loin. Rien de moins juste

cependant, et c'tait plutt le contraire qui tait la vrit. M. Guyne

mer, en effet, avaitt frapp des inconvniens de l'parpillement

infini de ces familles rparties un peu partout, dans des villages

loigns les uns des autres, et noyes pour ainsi dire, au milieu de

populations de provenances trs diffrentes, franaises, il est vrai,

mais dont les habitans de la rive gauche du Rhin ne comprenaient pas

tous la langue. L'aspect des habitations, la plupart insuffisantes,quelques-unes presque insalubres, qu'en raison de l'exigut des cr

dits dont elle disposait, l'administration avaitt rduite construire

pour les nouveaux colons, lui avait inspir de justes inquitudes. Il

s'tait surtoutmu au spectacle offert par les misrables abris o,

vu la presse des premiers momens, et malgr les dangers hygi

niques d'un pareil encombrement, il avait fallu entasser provisoire

ment et ple-mle hommes, femmes et enfans en une sorte de lamen

table promiscuit. Enfin, l'oisivet force dans laquelle avaient d

vivre tantd'

migrans, arrivs n'importe quelle saison de l'anne

et dpourvus, presque tous, desmoindres notions agricoles, en atten

dant l'poque des premiers travaux de culture, lui tait apparue

comme la plus funeste des inaugurations pour la vie de labeur

laquelle ils taient destins.

Page 44: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

38 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

Ce fut pour viter semblables dboires aux colons que la Socit

de protection avait dessein de placer en Algrie sous son patronage

direct, qu'au printemps de 1873 son prsident voulut aller lui-

mme choisir sur place les terrains que, moyennant certaines con

ditions, le gouvernement annonait l'intention de vouloir mettre

sa disposition. Quelles taient ces conditions? Comment ont-elles

t remplies? combien se sont monts les frais de l'entreprise, etquel en a t le rsultat dfinitif pour l'avenir des colons dont la

socit de protection prenait les dbuts sa charge ? C'est ce que nous

allons exposer brivement. La tentative a t partielle et le champde l'investigation est restreint. Tout s'est pass au grand jour. Les

comptes ontt tenus par sous, mailles et deniers, comme s'il ett

question d'une spculation industrielle. Une publicit tendue leur

a t annuellement donne. Le contrle est donc ici des plus faciles,et puisque nous nous sommes jusqu' prsent appliqus recher

cher surtout quel est, en chiffres exacts, le prix de revient de l'ta

blissement d'une famille de colons en Algrie, c'est bien l'occasion

de le fixer positivement propos de cette tentative volontairement

circonscrite qui va nous permettre, non plus seulement d'approcher

de lavrit, mais de la faire toucher, pour ainsi dire, au doigt et l'il.

Les territoires concds en toute proprit pardcrets prsidentiels

la Socit de protection, pour tre attribus par elle des Alsa

ciens-Lorrains,c'est--dire Azib-Zamoun, aujourd'hui Hausson-

viller, Boukalfa et le Camp-du-Marchal, sont d'une contenance d'en

viron six mille hectares, peu prs celle de quelques-uns de nos

cantons franais les plus petits, mais les plus peupls, tels que Douai

et Dunkerque dans le Nord, Aix et Nmes dans le Midi.

Squestrs sur les Arabes la suite de l'insurrection de 1871, ces

te-ritoires sont presque contigus les uns aux autres et situs 80 kilo

mtres d'Alger sur la route qui mne de cette ville Tizi-Ouzou,

chef-lieu de l'arrondissement de ce nom, et au Fort-National. Le

gouvernement s'tait engag y excuter, comme pour d'autres

centres, dans un certain espace de temps et suivant un ordre dter

min, tous les travaux ditsd'intrt public, savoir : chemin d'accs,

empierrement des rues, conduite d'eau, fontaine, lavoir, abreuvoir

et plantations, la construction des difices communaux, c'est--dire

l'glise, la mairie, l'cole et le presbytre, enfin, tout ce qui con

cerne le service topographique, c'est--dire la dlimitation des terri

toires et l'allotissement des terres oprer, suivant lesindications

de la socit. Cette dernire prenait son compte la construction

des maisons, le choix et l'installation personnelle des familles, l'achat

des animaux et des instrumens de culture, les semences et lemobi

lier ncessaires un mnage, enfin la nourriture etl'entretien des

Page 45: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 39

colons jusqu'aprs leurpremire rcolte. Quinze annes taient don

nes la socit pour terminer le peuplement dans trois villages,

dlai au bout duquel l'tat se rservait le droit de rentrer en pos

session des lots de terrains allotis et non occups. Avant la fin de

la septime anne, le peuplement des trois villages tait absolument

complet. Aujourd'hui, nul ne saurait douter que les populations qui

les habitent ne soient acquises pour tout jamais l'Agrie et qu'elles

ne soient destines faire souche d'excellens colons. Reste savoir

quelles conditions ce rsultat a t obtenu.

La socit avait tout d'abord pos ce principe dont elle ne s'est

jamais dpartie, qu'elle n'accepterait, autant que possible, pour

colons que des cultivateurs maris, ou, s'ils sortaient d'un rgiment

de l'arme d'Afrique, des fils de cultivateurs librs du service, ayant

t nagure employs aux travaux de la campagne, ets'

engageant

se marier si leur demande tait accueillie. Les colons une fois

accepts devaient avant de partir pour l'Algrie, ou s'ils y rsidaient

dj, avant d'tre installs sur la concession, signer une convention

dont les clauses rgulariser devant notaire les constituaient moyen

nant la redevance annuelle d'un franc, quelle que ft l'tendue de

la concession, les fermiers de la socit pour l'espace de neuf annes:

Toute libert leur tait laisse pour tirer parti de leurs terres

comme ils l'entendraient, sauf l'obligation de les cultiver eux-mmes,ou par gens leurs gages, et de faire rentrer la socit par des rem-

boursemens successifs dans la totalit des avances qu'ils en auraient

reues. Une fois arrivs Alger, ils taient accueillis au dbarque

ment par l'agent de la socit et par un membre du comit local

afin d'viter de les voir errer dans les rues et subir l'influence de

ces dclasss trop nombreux dont les conseils et l'exemple auraient

pu au dbut tre si pernicieux. Quelques heures aprs, ils taient

conduits aux lieux de leur destination, o ils trouvaient pour y

entrer immdiatement leurmaison toute btie, lesbufs et les instru-

mens aratoires ncessaires pour leur culture, lematriel trs com

plet d'un modeste mnage et, sans figure aucune, leurs lits tout

faits.

Le remboursement intgral des avances faites et exigibles par

diximes, aprs deux annes de rsidence, aurait-il toutefois lieu

rgulirement? Voil la question qui se posait aprs la seconde

rcolte pour Haussonviller, le premier des villages fonds par la

socit. Le recrutement de ce centre avait t fait un peu la

hte, faute d'exprience. Les comits de Nancy, de Belfort, de Lun-

ville et les commandans de nos divisions militaires en Algrie avaient

laiss tomber leur choix sur un personnel dont une partie au moins

laissaitquelquepeu dsirer.En outre, les produits agricoles des deux

Page 46: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

40 LA COLONISATION OFFICILLE EN ALGRIE.

,annes coules avaientt plus que mdiocres. Il devenait vident

que, les choses demeurant ainsi, soit qu'il y et manque de bonne

volont, soit impuissance de leur part, les colons de la socit

allaient se mettre sur le pied de tout attendre d'elle, de tout en

exiger avec l'espoir secret, assez mal dguis, d'arriver finale

ment se drober aux remboursemens des avances qui leur avaient

t faites. La socit prit alors trois graves dterminations dont

elle n'a eu plus tard qu' se fliciter. Elle se dcida augmenter

d'une faon considrable, et proportionnellement au nombre des

membres de la famille, l'tendue des terres concdes ses colons.

Elle annona l'intention de leur faire l'abandon gratuit et complet,

l'expiration des neuf annes de bail, de la valeur entire des

maisons qu'ils habitaient, don gracieux qui abaissait notablement

(presque de moiti) la dette dont ils auraient s'acquitter avant

d'tre constitus propritaires dfinitifs de leur concession. Enfin,elle dclara qu'elle se rservait de faire elle-mme directement le

choix des colons tablir dans ses villages et qu'aucune demande

ne serait accueillie quand elle ne serait pas accompagne de l'enga

gement pris par crit de verser la caisse de la socit, avant le

fdpart de France ou sur place Alger, avant toute installation, une

somme de 2,000 francs servant de garantie et qui devait d'ailleurs

tre rendue par fractions l'intress au fur et mesure de ses

besoins dment constats. L'effet de ces mesures se fit sentir l'in

stant mme, presque du jour au lendemain, et l'on peut dire sans

hsitation de la dernire, celle qui exigeait de tout colon un verse

ment pralable en argent, qu'elle a, plus que toute autre, puissam

ment contribu au succs de l'uvre. Immdiatement applique

Boukalfa, le second des villages crs parla socit, la nouvelle con

dition y produisit, comme Haussonviller, les plus heureux rsultats.

A Boukalfa, la Socit de protection avait hrit de huit colons pri

mitivement installs par M. Jean Dolfus, ancien maire de Mulhouse,

dans des maisons dont il leur avait gnreusement fait don. La plu

part de ces ouvriers de fabrique, peu prpars mener la rude vie

des colons, avaient, pour une raison ou pour une autre, assezmal

russi. Cette localit, dont les terres sont fertiles et qui est agra

blement situe prs du Sbaou, sur le penchant d'une verte colline,

mais o quelques cas de fivres s'taient produits au dbut, sem

blait avoir, somme toute et quoique tort, la rputation d'un lieu

mal choisi pour la colonisation. Cependant les demandes abondrent

pour les lots vacans, comme pour ceux qui restaient encoredon

ner Haussonviller ; circonstance singulire et bien encourageante,

elles provenaient des parens, amis et connaissances des familles

dj tablies dans ces deux centres et elles se produisaient juste

Page 47: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 41

au moment o la clause de la garantie pcuniaire fournir tait

de nature carter ceux des concurrens qui n'auraient past ani

ms d'une intrpide confiance. A partir de ce moment, Hausson

viller, comme Boukalfa, tous les colons ayant accept cette con

dition n'ont jamais rien demand au-del de ce qui leur avait t

promis.

Ainsi confirme dans la justesse de ses vues, la Socit de protec

tion estima qu'il ne lui serait pas impossible de recruter pour le peu

plement de son troisime centre, le Camp-du-Marchal, un personnelde colons plus l'aise et, par consquent, aptes russir plus vite et

plus compltement que ceux qui s'taient jusqu'alors adresss elle.

Le Camp -du-Marchal, situ entre les pentes d'un contrefort du

Djurjura et les rives du Sbaou, forme une plaine ondule d'une

fertilit extrme, dont les bas-fonds sont presque annuellement

inonds par les crues de ce torrent, alors que la fonte des neiges ou

des pluies abondantes en font tout coup un large fleuve au cours

imptueux. Cependant les eaux dverss durant l'hiver tout le longde la rive qui borde le Camp-du-Marchal donnent naissance des

marais sans coulement, dont les manations pestilentielles fort

redoutes devenaient, pendant l't, pour le pays environnant, une

cause vidente d'insalubrit. Avant de songer y tablir aucun

colon, la socit, qui jouissait de l'usufruit de ce territoire depuis

l'anne 1873, appliqua les revenus qu'elle tirait de sa location aux

Arabes creuser des fosss pour couler l'eau de tous les bas-fonds,planter des eucalyptus et des arbres haute tige le long desdits

fosss et dans tous les endroits rests humides. Lorsque ces fosss

furent devenus de vritables petits canaux, presque des torrens, qui

conduisaient rapidement les eaux des terres submerges se perdre

dans le Sbaou; lorsque les arbres eurent atteint une hauteur qui

mtamorphosait absolument tout l'aspect de la plaine; aprs qu'une

commission compose des notables du pays eut dclar qu'elle

tait devenue parfaitement salubre et susceptible d'tre livre la

colonisation, le prsident de la socit et son secrtaire-gnral

se rendirent de leur personne par deux fois Nancy. Ils y avaient

convoqu toutes les familles des pays annexs qui avaient demand

par crit tre admises comme colons au Camp-du-Marchal. Us leur

avaient, au pralable, communiqu les plans de l'assiette du futur

village et celui des maisons deux tages, beaucoup plus spa

cieuses que celles d'Haussonviller et de Boukalfa, qui leur taient

destines et dont la construction devait revenir 4,500 francs.

Ajoutons que les exigences de la socit avaient grandi. C'tait

4,000 francs dont elle exigeait le versement avant le dpart

de France , prenant toutefois l'engagement de restituer sur place

Page 48: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

42 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

la moiti de cette somme aux intresss au fur et mesure de

leurs besoins rgulirement constats. Ces conditions furent

acceptes avec reconnaissance. L'embarras tait de choisir entre

les postulans en raison de leurs bons antcdens, de leur robuste

sant, de celle aussi de leurs femmes, car les femmes elles-

mmes avaient t convoques et n'taient point les moins perti

nentes rpondre aux questions qui leur taient adresses. Ces

questions, est-il besoin de le dire, portaient surtout sur leur aptitude comme agriculteurs, sur la quotit du petit capital qu'ils

taient en tat de raliser. La plupart l'valuaient de 5,000

6,000 francs, quelques-uns assuraient qu'ils pouvaient disposer de

12,000 20,000 francs, quand ils auraient vendu les biens immobi

liers, les bestiaux et le matriel d'exploitation qu'ils possdaient

dans leur pays d'origine. Avec ces donnes, leur russite tait cer

taine at, en ralit, l'heure qu'il est, ils ont tous russi.

Pendant ce temps-l, un fait non moins heureux s'tait pro

duit Haussonviller et Boukalfa. Les annuits chues rentraient

facilement; plusieurs colons s'taient par anticipation librs entirement vis--vis de la socit qui avait pu les constituer propri

taires dfinitifs. Enfin un certain nombre d'entre eux taient en

voied'

arrangemens avec le Crdit foncier, dispos leur prter

une somme suffisante pour qu'ils pussent, la fois, teindre leurs

dettes et consacrer le surplus l'amlioration de leur exploitation

agricole. Dans leur dernire assemble gnrale, les fondateurs de

la Socit de protection n'ont pas entendu sans satisfaction leur

eomit annoncer que dix-huit autres familles seraient prochainement

dans la mme situation. Quant aux colons du Camp-du-Marchal,

comme ils ne doivent absolument rien la Socit de protection,

ils seront tous, au cours de l'anne prochaine, mis en possession

dfinitive de leurs concessions.

Lorsqu'on envisage le ct purement financier de la question,

on trouve que la Socit de protection, qui vient d'entamer son

quatrime million, a dpens pour l'uvre qu'elle a entreprise

en Algrie la somme totale de 870,799 francs. Elle y a cr trois

centres, qui sont, dans l'ordre de leur fondation : Haussonviller,

Boukalfa, le Camp-du-Marchal, aujourd'hui compltement peu

pls. A Haussonviller, il y a 53 feux et 296 habitans; Boukalfa,

23 feux et 132 habitans ; au Camp-du-Marchal, 35 feux et 220habi

tans; en tout, pour les trois villages ensemble, 111 feux et 648 habi

tans. Haussonviller a cot, pour la construction de 60 maisons, la

somme de 188,504 francs; Boukalfa, pour la construction de 21 mai

sons, dont 6 doubles, 70,203 francs; le Camp-du-Marchal, pour

la construction de 26 maisons, 81,951 francs, d'o il rsulte que

Page 49: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

IA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 43

l'tablissement d'une famille est revenu, les autres frais laisss

de ct, pour Haussonviller 4,188 francs, pour Boukalfa

3,343 francs, pour le Camp-du-Marchal 2,840. francs. Il y a

l une variation dans le chiffre des dpenses pour les trois villages

qui ne laisse pas que d'tre considrable et une diffrence

dans les rsultats acquis qui est vraiment significative. Elle devient

plus frappante encore quand on remarque que, depuis le jour o

la socit a pris le parti d'exiger, titre de garantie, le verse

ment pralable d'une somme d'argent, elle n'a plus eu, sauf une

seule fois, d'expulsions prononcer et que celles des premires

annes (35 sur prs de 700 individus) se rapportent exclusivement

l'poque o elle donnait tout ses colons sans rien exiger d'eux

qu'une promesse de remboursement, et enfin, que la prosprit

des habitans de chacun de ces trois villages se trouve tre prcis

ment en proportion inverse de l'tendue des sacrifices qui ont t

faits pour eux. En un mot, plus la Socit de protection s'est loi

gne des us et coutumes de la colonisation officielle, plus elle a i

laiss ses protgs le soin de se tirer d'affaire presque eux.

tout seuls et avec leurs propres ressources, plus le succs s'est,

accentu.

Mais son succs lui-mme ne prouve gure. Forcment limite,

quant l'tendue des terrains et au nombre de familles tablir,

la tche assume par quelques hommes de bonne volont touchs

de la situation malheureuse de leurs compatriotes des provinces

annexes, garde son caractre d'uvre de bienfaisance. Us ont pu

tre assez heureux pour contribuer dans une certaine mesure au

dveloppement de la colonisation, mais les moyens qui leur ont

russi ne sont pas tous l'usage d'un gouvernement dont le champd'action est autrement considrable et qui ne saurait accepter le

rle de patrons vigilant et de tuteur incessamment attentif de ses

administrs. Jamais des procds compliqus et partant un peu fac

tices ne suffiront peupler sur une grande chelle notre colonie

algrienne. Il n'y a que la libert et le droit commun pour amener,

avec le temps, un aussi grand rsultat.

En passant en revue tous ces essais de peuplement bauchs depuis

tant d'annes en Algrie, je me suis surtout propos de fournir des

exemples, qui ne sont peut-tre pas ddaigner, des illusions dont

les chambres et l'administration auraient se garder si les projets de

loircemmentdpossdevaient tre prochainementmis en discussion?

Les questions qu'ils soulvent mritent au plus haut degr de fixer

l'attention de tous ceux qui s'intressent aux affaires de l'Algrie. Ces

questions sont nombreuses et dlicates, de plus, assez confuses par

elles-mmes et fort mal connues. Il y aurait hardiesse de ma part

Page 50: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

44 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

les vouloir aborder toutes. Je me sens toutefois encourag en traiter

quelques-unes, non les moins importantes, enm'

apercevant que les

ides qui me sont propres ne sont pas loin d'tre partages dans

notre colonie par des personnes d'une autorit incontestable sigeant

au conseil suprieur de l'Algrie, ou dans les conseils-gnraux des

trois dpartemens. La comptence spciale des membres du conseil

suprieur du gouvernement, compos de fonctionnaires haut placs

dans la magistrature, dans l'arme, dans l'administration, celle desdlgus lus par chaque dpartement, donnent aux opinions misespar eux une valeur dont il est impossible de ne pas tenir grand

compte, et je crois discerner qu'ils ne conviennent pas tous gale

ment des avantages attribus par de trop ardens promoteurs la

colonisation officielle de l'Algrie, directement entreprise par l'tat

lui-mme. J'ai des craintes ce sujet. Pour ce qui regarde nos com

patriotes des provinces annexes, je ne serais pas, coup sr, indif

frent auxbnfices que, les premiers sans cloute, ils seraient appels

recueillir des sacrifices consentis par l'administration. Mais, un

point de vue plus gnral, sont-ce bien l des sacrifices vraiment

utiles auxquels un gouvernement prudent et judicieux doive se

prter? J'hsite me prononcer, car je ne suis nullement un thori

cien. Les rgles abstraites de l'conomie politique m'imposent

plus qu'elles ne me plaisent. Je crois que leur rigoureuse exacti

tude risque parfois d'induire en erreur, parce qu'elles ne tiennent

pas assez compte de la complexit des choses de ce monde; et d'un

autre ct, je sais que les entranemens d'une sympathie mal rai-

sonne peuvent nuire aux intrts qu'on aurait le plus cur de

servir.

Il me faut donc faire un certain effort pour apporter dans l'tude

de ces questions pineuses une disposition d'esprit suffisamment

impartiale l'gard de deux causes qui me sont galement chres :

le sor des Alsaciens qui songeraient se rfugier en Algrie, et les

futures destines de notre belle colonie africaine.

LA SITUATION ACTUELLE.

Tandis que l'attention du public franais se dirige avec un vil

intrt, non dpourvu de quelques inquitudes, vers tant d'expdi

tions lointaines tentes tout la lois la Nouvelle-Guine et au

Congo, Madagascar et au Tonkin, nous ne saurions tre mal

venus demander notre parlement et nos ministres de vouloir

bien prendre la peine de jeter aussi leurs regards sur d'autrescon-

Page 51: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 45

trees places un peu plus leur porte, car c'est, coup sr, ledroit de la France d'tre enfin prcisment informe de ce qu'ils se

proposent de faire en Algrie. Dieu me garde de les blmer s'ilssuivent l'avis des hommes politiques considrables, qui, nagure,n'ont point hsit leur conseiller de mettre la main, soit par voiede conqute, soit sous forme de protectorat, sur les points du globe,ft-ce les plus loigns,o la civilisation moderne n'a point encorepntr! Nous ne mconnaissons pas les avantages qui en rsulteraient pour l'accroissement de notre commerce extrieur et l'augmentation de nos dbouchs au dehors. Acqurir de nouveaux

territoires, quoique semblables acquisitions ne soient pas sans

entraner quelques risques et sans occasionner beaucoup de

dpenses, c'est une intention louable sans doute, mais elle n'exclut point apparemment celle de tirer, en mme temps, tout le

parti possible d'autres territoires possds de vieille date. La voix

du bon sens nous crie qu'il est plus sage, plus prudent et cer

tainement beaucoup plus conomique de consacrer nos premiers

et persistans efforts donner ds prsent toute leur valeur ces

belles terres de notre colonie algrienne situe, avec ses 275 lieues

de ctes, l'autre bord de laMditerrane, juste en face de nos portsdu Midi ! L, notre domination accepte sans conteste par tous les

cabinets trangers s'est, peu peu, grce de longs et glorieux

efforts, impose aux indignes. L s'tend, trente heures de Mar

seille et de Toulon, un immense territoire sans limites bien prcises

qui pntre jusque vers les rgions inexplores du centre de l'Afrique

ut dont les ressources infinies, loin d'tre puises, sont, l'heure

qu'il est, presque inconnues encore et trs insuffisamment explo

res.

Dterminer de cect, mme au prix d'importans sacrifices pcu

niaires, un courant considrable d'migrans franais, telleparat avoir

t, depuis trois ans,la proccupation de la chambre des dputs

et des ministres qui se sont, pendant cet espace de temps, succd

aux dpartemens de l'intrieur et des finances. Nous trouvons, de

1880 1883, les tmoignages rpts de cette invariable pense

dans les rapports sur les affaires de l'Algrie des commissions bud

gtaires, comme dans les exposs des motifs des projets de loi, peu

diffrens les uns des autres, qu'ontprsents tour tour les divers cabi

nets; et tous ces documens aboutissent l'ouverture d'un crdit

considrable qui ne monte pas moins de 50 millions. Cette con

clusion uniforme est peut-tre excellente. Voyez toutefois la singu

larit! A peine ce grand programme qui devait aboutir la cration

immdiate de trois cents centres nouveaux a-t-il t pompeuse

ment annonc qu'il a produit le rsultat inattendu d'arrter presque

Page 52: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

46 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

absolument l'impulsion donne antrieurement aux travaux de

colonisation. Des devis avaient t dresss l'avance, annuellement destins, soit fonder encore quelques autres villages, soit

complter ceuxdj existant. Mais ces plans, devenus trop mesquins,taient condamns tre peu peu et compltement mis de ct.

On n'y renona pas toutefois de prime abord. A la veille de l'un de

ses dparts pour Paris, dans la sance du 6 dcembre 1880, l'heure

mmeo il prenait congdesmembres du conseil suprieur,M. Albert

Grvy se croyait en tat de pouvoir mener les deux besognes de

front. Tout en faisant pressentir l'adoption prochaine du nouveau

systme dont il revendiquait la paternit et qui, sans charges nou

velles pour l'tat, mettrait la disposition de l'Algrie les capitaux

ncessaires pour imprimer une nouvelle et toute -puissante impul

sion la colonisation, il n'hsitait pas annoncer que le pro

gramme de colonisation prcdemment arrt pour 1880 serait ex

cut dans les premiers mois de 1881 (1)! Ces deux prvisions du

gouverneur gnral devaient tre galement dmenties par l'vne

ment.

En 1881, la convenance d'attribuer 50 millions la colonisation

de l'Algrie est bien, en effet, hautement proclame par la commis

sion du budget de la chambre des dputs, et le gouvernement d

pose un projet de loi conforme ce vu. Mais, Paris, les choses

en restent l. Du vote des 50 millions, il n'en est nullement ques

tion. Il faut que notre colonie se contente de la perspective de ce

gros subside miroitant ses yeux dans un avenir encore incertain

et qui risque de reculer toujours; cette perspective suffit l'ad

ministration pour dclarer sans nul embarras, dans la session du

conseil suprieur du gouvernement , au mois de novembre 1881 :

qu'il ne lui a pas t possible d'excuter les travaux de tous les

nouveaux villages dont les projets avaientt approuvs, ajoutant

avec la mme dsinvolture : que la pnurie des ressources mises

sa disposition ne lui avait pas davantage permis d'imprimer toute

l'activitdsirable aux travaux d'achvement des centres anciens (2).

A la session suivante de 1882, mme dception; la situation s'est

encore aggrave, et M. Tirman, le nouveau gouverneur gnral, la

fait ainsi connatre aux membres du conseil : Depuis un an ,les

ressources affectes la colonisation ayant fait entirement dfaut,on at dans la douloureuse ncessit d'arrter l'lan des colons et

(1) Discours de M. le gouverneur gnral civil l'ouverture de la session du conseil

suprieur du gouvernement (6 dcembre 1880, p. 11 et 12).

(2) Procs-verbaux de la session du conseil suprieur de l'Algrie (novembre 1881,page 59).

Page 53: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 47

d'ajourner la cration des centres du programme de 1882 (1).

Cependant M. Tirman s'empresse d'affirmer, comme l'a dj fait

son prdcesseur, que le jour est prochain o les crdits nces

saires tant accords, l'administration pourra se mettre rsolument

et rapidement l'uvre ; il espre qu'avant la fin de l'anne, leparlement se sera prononc sur le projet de loi dj adopt par

deux commissions du budget (2). Dans l'expos de la situation

de l'Algrie faisant suite son discours, M. Tirman entre dans

quelques dtails sur la combinaison qui va enfin permettre de ra

liser bref dlai ce fameux programme gnral de colonisation.

Cependant, avec une sincrit qui lui fait honneur et grce son

exprience d'administrateur habitu tenir compte des obstacles, il

a, en mme temps, soin d'avertir les membres du conseil suprieur

qu'il ne saurait prendre l'engagement d'avoir excut ce pro

gramme en cinq annes (3) .

Ces esprances, reportes par M. Tirman sur le cours de l'exer

cice 1882, ne devaient pas tre ralises plus que ne l'avaient t

celles prcdemment conues par M. Albert Grvy pour 1881.

Qu'adviendra til en 1883? On ne saurait le dire encore. Les

hommes de bonne volont qui ont mis en avant avec tant de con

fiance, il y a trois ans, et soutenu depuis avec une persvrance qui

ne se lasse point, la combinaison adopte par les commissions du

budget de la chambre des dputs et par nos divers ministres

auront-ils le chagrin d'tre amens reconnatre que tous leurs

efforts n'auront, en dfinitive, abouti qu' faire retarder et mmesuspendre les travaux de colonisation auxquels ils avaient, au con

traire, rv d'imprimer un redoublement d'activit? Nous croyons

que ce dboire leur sera pargn. 11 semble, en effet, qu'ils n'ont

pas cess d'avoir le gouvernement avec eux, ce qui, dans notre

pays, est une grande cause de succs. Je ne parle pas seulement

du projet dpos le 18 juillet 1882 par MM. Ren Goblet et Lon

Say; ces messieurs n'tant plus aujourd'hui ministres, cela n'im

porterait gure; mais, dans le budget gnral pour l'exercice 1884,prsent par M. Tirard, le ministre actuel des finances, je trouveune note prliminaire relative au service du gouvernement gn

ral de l'Algrie, o il est dit que le parlement est prsente

ment saisi d'un projet de loi ayant pour objet de mettre, partir

de 1883, la disposition du ministre de l'intrieur une somme de

(1) Discours du gouverneur gnral civil l'ouverture de la session du conseil sup

rieur du gouvernement (novembre 1882, page 7).

(2) Ibid.

(3) Expos de la situation gnrale de l'Algrie en novembre 1882, prsent par

M. Tirman, page 56.

Page 54: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

48 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

37,500,000 francs, destine en grande partie des acquisitions de

terres (1)...

Eu ralit, la rduction de la subvention de 50 millions

37,500,000 francs est purement fictive.Dj M. Lon Say avait for

mellement tabli : que l'avance faire par la caisse des dpts et

consignations retombant , aprs tout , sur la dette flottante,qui

aurait fournir les espces , il valait mieux, conformment aux

rgles d'une bonne comptabilit, inscrire directement au budget

les dpenses de la colonisation de l'Algrie. Cependant, ajoutait ce

ministre, comme le budget ordinaire contient dj pour cet objet

un crdit de 2,500,000 francs (chiffre exact: 2,470,000 francs), il

suffirait d'ajouter au budget extraordinaire un complment de

7,500,000 francs, soit 37,500,000 francs rpartir en cinq an

nes (2). Les vues deM. Lon Say ayantt adoptes par son suc

cesseur aux finances, M. Tirard, la dotation de ce service demeure

bien dfinitivement fixe la somme totale de 50 millions rpartis

entre cinq exercices, soit 10 millions par an.

A prendre les choses simplement et de bonne foi, c'est donc, en

ralit, moins que les ministres ne se ddisent, le projet primitif

des 50 millions qui va, suivant toute probabilit, venir prochaine

ment devant les chambres. Nous voudrions l'examiner non pas

seulement dans son ensemble, mais dans quelques-uns de ses plus

importans dtails et au point de vue des moyens pratiques d'excu

tion.

Pour russir dans une entreprise, la premire condition est de

se rendre nettement compte du but qu'on se propose d'atteindre.

La conqute de l'Algrie n'a pas t de notre part un acte prm

dit. La ncessit de venger l'injure personnelle faite son repr

sentant dcida le gouvernement de la restauration s'emparer, en

1830, de la capitale du dey. A coup sr, il n'avait past insensible

l'honneur d'accomplir la noble tche, devant laquelle Charles-Quint

avait chou en 1541 et l'amiral Exmouth en 1816, d'affranchir

ainsi par un coup d'audace l'Europe entire du honteux tribut que,

depuis des sicles, elle payait ce nid de pirates. Mais, sur l'em

ploi faire ultrieurement de leur conqute, les ministres du roi

(1) fiudget gnral de l'eiercice 18S4, ministre de l'intrieur. Note prliminaire,

page 769.

(2| Projet de loi ayant pour objet de mettre a la disposition du ministre de l'int

rieur une somme de 37,500,000 francs pour tre employe en acquisitions de terres et

en travaux de colonisation en Algrie, prsent par MM. Ren Goblet et Lon Say

(session de 1882, sance du 18 juillet).

Page 55: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 49

Charles X ne se sont jamais vants d'avoir eu aucune vue bien pr

cise. Ils n'ont mme pas eu le temps de se poser la question de

savoir s'ils pourraient faire de l'Algrie une colonie florissante, etcette ide ne semble pas avoir davantage travers l'esprit de leurs

successeurs. Il y a plus : absorbs dans leur rle exclusivement

militaire, les commandans de nos troupes s'appliqurent, au con

traire ,jusque vers 1840 ,

entraver l'immigration soit franaise,soit trangre. A cette priode d'abstention systmatique et d'iner

tie presque complte succda peu peu, quand notre domination

devint plus tendue et mieux assise, un mouvement en sens con

traire. Au rcit de quelques voyageurs, qui avaient devanc, accompagn ou suivi nos colonnes expditionnaires dans le Sahara, lesimaginations s'taient dmesurment exaltes. Elles entrevoyaient

dj closes et magnifiquement prospres, et espaces de distance

en distance, en raison de la chaleur croissante du climat, toutes

les varits de productions exotiques qui enrichissent nos plus

lointaines et nos plus riches colonies. L'Algrie semblait appele

devenir pour nous ce que les Indes sont pour les Anglais ou Java

pour les Hollandais. C'tait la priode o l'on ne dsesprait pas

d'acclimater en Algrie le caf et le coton, o l'on croyait possible

d'y introduire sur une grande chelle la culture de la canne

sucre, voire mme des pices.

Le mirage tait trop brillant, il a fallu en rabattre. Aujour

d'hui, plus d'inconnu et plus d'illusions possibles. Nous savons

qu'except dans quelques oasis productives de dattes, qui ne

seront jamais l'objet d'un commerce bien actif, nous ne ren

contrerons que des produits similaires ceux du Midi de ia

France. Nous n'en sommes plus nous figurer qu'on y peut

dcouvrir de vastes espaces vacans ne connaissant pas de propri

taires, ou faciles acqurir. Toutes les terres y sont, sinon occu

pes, du moins possdes titre particulier ou collectif, mal cul

tives, il est vrai, mais cependant cultives ou livres la pture

d'innombrables troupeaux errant d'une rgion une autre. Au

lieu d'une population insouciante et molle, comme celle qui ac

cueillit les Espagnols dans l'Amrique du Sud, ou dissmine et

inculte comme les tribus sauvages qui parcouraient les solitudes

de l'Amrique du Nord avant l'arrive des Anglais, nous avons

affaire en Algrie une race nombreuse, fire, aguerrie, rcalci

trante aux usages modernes, civilise toutefois de trs vieille date,minemment spiritualiste, et puisant dans son indomptable foi aux

prceptes du Koran assez d'orgueil pour mpriser toutes les autres

religions, assez de force pour accepter tous les sacrifices, et prte,

si elle croit entendre la voix de son prophte, braver intrpide-

Page 56: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

50 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

ment la mort, qui n'est pour elle que le passage aux joies du para

dis promis par Mahomet. Dans le chiffre de 423,881 Europens

fixs en Algrie, nos compatriotes ne figurent que pour 233,937,c'est--dire un peu plus de la moiti. La question tait donc par

faitement pose par M. Thomson, lorsqu'au nom de la commission

des vingt-deux membres de la chambre des dputs , il dclarait

dans son rapport, dpos le 12 juillet 1881, que la question

principale tait d'activer le plus que possible en Algrie le dveloppement de la population franaise (1).

Reste savoir si les moyens conseills par cette commission et

adopts par le gouvernement sont lesmieux choisis pour dterminer

ce srieux courant d'immigration franaise auquel on a raison d'atta

cher la plus grande importance. Qu'on me permette d'abord de

m'tonner un peu de la symtrie toute mathmatique de l'ingnieuse

combinaison qu'on propose notre admiration. Nous l'avons dj

signale mais il est bon de la reproduire. La voici dans toute sa

merveilleuse simplicit : 300 centres fonder en cinq annes, dont

150 sur des territoiresdj possds par l'tat, et 150 dont il fau

drait se procurer l'emplacement prix d'argent par la voie de

l'expropriation ; chaque centre devant avoir 50 feux avec un pri

mtre de 2,000 hectares, c'est--dire 150 villages x 2,000 hec

tares = 300,000 hectares ; dpenses prsumes, en fixant le prix

moyen de l'hectare 85 francs : 25,500,000 francs ; pour l'in

stallation des 300 centres, en prenant pour base la somme de

80,000 francs qu'a cot l'tablissement de chacun des anciens

villages crs depuis 1871, les frais se monteraient 24 mil

lions environ : et c'est ainsi qu'on arrive au chiffre rond et

fatidique des 50 millions. J'avoue que ces fractions multiples qui

s'embotent si parfaitement les unes dans les autres, comme si

elles taient tires du carnet d'un lve de l'cole polytechnique,

m'inspirent quelques apprhensions. Je doute beaucoup qu' la

pratique, les choses se puissent arranger avec cette rgularit, et

je ne puis me dfendre de penser que, si au lieu d'avoirt dresss

tout d'une pice autour du tapis vert de quelque bureau de la

chambre, ces plans avaient t labors sur place par des hommes

comptens et connaissant bien les localits, on serait arriv d'au

tres rsultats ayant moins bonne figure sur le papier, mais plus

appropris la nature des besoins qu'il s'agit de satisfaire.

A un tout autre point de vue, je me demande aussi si les partisans

(1) Rapport, fait au nom de la commission charge d'examiner le projet de loi

ayant pour objet de mettre la disposition de M. le ministre de l'intrieur et des

cultes une somme de 50 millions de francs, pour tre employe en acquisitions de

terres et en travaux de colonisation en Algrie, par M. Thomson,dput. (Page 10.)

Page 57: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 51

de la colonisation officiellement entreprise et directement patronne

par l'tat se sont bien rendu compte des dispositions, des habitudes

et du caractre que l'on rencontre d'ordinaire parmi cette catgorie

de Franais auxquels ils ont song faire appel, les seuls qu'ils

aient chance de gagner l'ide de quitter leur pays natal et le foyer

domestique pour aller au loin tenter la fortune. Pareille perspective

est difficilement accepte par notre population naturellement sden

taire, attache au sol, peu porte l'migration. Elle ne sourit

qu'aux personnes doues de l'esprit d'initiative et d'un temprament

particulirement hardi, ayant le got des aventures, tout le moins

celui d'une libre et complte indpendance. A ces natures gnra

lement un peu rebelles, plutt disposes secouer le joug de toute

espce de rglementation et qui ne songent le plus souvent s'expa

trier qu'afin de se drober aux conventions trop gnantes pour elles

de la civilisation moderne, c'est offrir un maigre appt que de les

convier venir s'tablir, aprs maintes dmarches et sollicitations,

dans des localits qu'elles n'auront pas choisies, o il leur faudra

vivre comme parques sous la tutelle d'une administration qui leur

imposera toute sorte de conditions d'existence les plus directement

contraires leurs penchans. Les auteurs du projet de loi font donc,notre sens, compltement fausse route quand ils oublient cette

vrit proclame par tous les publicistes ayant autorit en ces ma

tires, que la prosprit d'une colonie se mesure toujours exacte

ment au degr de libert accorde ceux qui l'habitent.

Mais il est temps de laisser de ct les considrations gnrales,

et nous avons hte d'tudier de plus prs les dispositions princi

pales du projet des 50 millions. Ce qui nous aidera singulirement

dans cette tche, c'est qu'elles ontt, plusieurs reprises, l'objet

d'un examen attentif de la part des conseils gnraux de l'Algrie

et du conseil suprieur du gouvernement. Quoique renferms dans

des limites notre avis trop restreintes et ne s'occupant, comme

en France, que des intrts des localits qu'ils reprsentent, les

conseils gnraux des dpartemens d'Alger, d'Oran et de Constan

tine, n'ont pas laiss que de traiter, l'occasion et par chappes,les questions qui nous occupent en ce moment et leurs impressions

sont prcieuses connatre. Quant au rle des membres du conseil

suprieur, son importance rsulte, la fois, de sa composition et des

droits que lui confre l'organisation actuelle de notre colonie alg

rienne. M. le gnral Chanzy le dfinissait excellemment lorsqu'

l'ouverture de la session de novembre 1876, il disait ses collabora

teurs : Vous tes bien ici, messieurs, les membres autoriss et

indpendans de la grande assemble o s'laborent les affaires

importantes dont la solution ne peut appartenir qu'au gouverne-

Page 58: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

52 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

ment et aux chambres. Chacun de vous y a sa place marqu, soit

par sa position, soit par ses services, soitpar la confiance des con

seils gnraux, tous, par la connaissance des besoins du pays et

de sa vritable situation. Le gouverneur gnral exprimait en

mme temps cette pense : que, pour mettre les reprsentans de

l'Algrie au snat et la chambre en tat de servir les grands int

rts qui leur taient confis avec l'autorit que donne un examen

approfondi des affaires, il tait indispensable qu'ils vinssent prendre

part aux discussions du conseil suprieur apportant eux-mmes

cette assemble une force nouvelle puise dans leur haute situa

tion (1). Mais ces messieurs avaient cru devoir soulever des objec

tions. En vain, le gnral Chanzy insista de nouveau, en 1877, pour

que les portes du conseil suprieur leur fussent ouvertes par la

mesure lgale la plus propre sauvegarder la considration attache

au mandat dont ils taient investis. En vain, d'aprs le vu mis

par les conseils gnraux, il exprima le dsir que les snateurs

et les dputs de l'Algrie, sans devenir membres du conseil sup

rieur, voulussent bien y entrer avec la facult de prendre part

ses travaux et d'y avoir voix dlibrative (2) ; en vain encore, il

renouvela, en 1878, les instances qu'approuvait l'opinion publique

en Algrie afin d'obtenir des reprsentans des trois dpartemens

qu'ils consentissent user du droit qui leur tait offert d'assister

aux sances avec voix dlibrative lorsqu'ils le jugeraient ncessaire

ou possible (3), jamais il ne lui fut donn de triompher de scru

pules respectables sans doute, mais dont j'ai peine, je l'avoue,

deviner les motifs.

Malgr cette abstention volontaire et si regrettable des manda

taires de l'Algrie, il n'en est pas moins de toute justice de tenir en

grande considration les opinions consciencieusement mises sur

place au sein d'une assemble dlibrante par des hommes parti

culirement verss dans les affaires locales et dont on ne saurait

nier les lumires spciales et la parfaite comptence. Le conseil sup

rieur du gouvernement est compos de trente-huit membres, dont

dix-huit sont dlgus par les conseils gnraux et les vingt autres

membres de droit. C'est dire qu'aux jours o les membres de droit

sont absens, ce qui est le cas ordinaire, la majorit appartient

l'lment lu. Quelle garantie d'indpendance ! Les membres de

(1) Discours du gnral de Chanzy, gouverneur gnral civil de l'Algrie, l'ouver

ture de la session du conseil suprieur du gouvernement (novembre 1876).

(2) lliscours du gnral Chanzy, gouverneur gnral civil de l'Algrie, prononc

l'ouverture de la aossion du conseil suprieur du gouvernement (novembre 1877).

(3) Discours prononc l'ouverture de la session du conseil suprieur, par legou

verneur gnral civil (novembre 1878).

Page 59: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 53

droit sont : l'archevque d'Alger, les trois gnraux de division com

mandant les trois provinces, les trois prfets et les chefs des services

administratifs, judiciaires et militaires. Quel amas de connaissances

techniques acquises par la pratique des affaires et par le manie

ment des hommes 1 Les fonctions du conseil suprieur sont stricte

ment dfinies par le dcret du 7 aot 1875. Il a mission d'exa

miner le projet du budget, l'assiette et la rpartition des impts

prpars par les soins du gouverneur gnral. Les procs-ver

baux de ses dlibrations sont publis ; ils sont annuellement com

muniqus aux chambres ; tout le monde en peut prendre connais

sance. C'est pourquoi, justement tonn d'avoir si rarement entendu

voquer, au sujet des affaires de l'Algrie, des tmoignages,

mon sens, si probans et n'ayant d'ailleurs qu' demi confiance

dans mes propres apprciations et dans mon exprience person

nelle, coup sr, insuffisante, j'entends m'appuyer de prfrence

sur les avis de tant de personnages parfaitement clairs afin de

mieux discerner ce qu'il peut y avoir d'acceptable ou d'erron

dans les combinaisons prconises par la commission budgtaire de

la chambre des dputs.

L'assertion souvent rpte, de 1879 1881, qui a servi de point

de dpart au projet de loi des 50 millions, c'est que l'tat ne pos

sdait plus en Algrie une quantit suffisante de territoires propres

tre utiliss pour la colonisation et qu'il devenait, par consquent,

ncessaire de se les procurer par achat et, presque tous, au moyen

de l'expropriation. Tel n'tait pas l'avis publiquement exprim, au

mois de novembre 1877, par le gnral Chanzy devant les membres

du conseil suprieur du gouvernement et qui ne rencontra, de leur

part, aucune espce de contradiction. Les terres pour la cration

de nouveaux centres ne manquent point, affirmait-il, quoique l'on

persiste dire le contraire... (1). D'aprs les nouveaux docu-

mens tablis par le service comptent, l'tat possderait environ

554,000 hectares, dont 283,000 susceptibles d'tre utiliss direc

tement par la colonisation pour l'tablissement de centres ou la

cration de fermes isoles, et 270,000 hectares situs trop loin des

zones de peuplement europen, mais pouvant tre utiliss pour des

changes avec les indignes dplacer ou exproprier... Il y a

donc assez de terres, avec ce que l'on possde et ce que l'on peut

acheter, pour tablir environ 10,000 familles et pour crer, au

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1877, p. 28).

Page 60: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

54 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

moins, 300 nouveaux centres (1). Sur ces donnes, qui, je le

rpte, ne furent l'objet d'aucune contestation, le rapporteur de la

3ecommission du conseil suprieur (celle de la colonisation) , membre

lu et dlgu de la province de Constantine, concluait l'adoption

d'un crdit de 300,000 francs pour achat de terres. D'aprs les

renseignemens fournis par l'administration cette commission, le

programme gnral de colonisation ncessiterait, pour son entire

excution, des achats de terres s'levant au chiffre total de

8,000,000 de francs; mais les soultes de rachat du squestre

devant fournir encore une. ressource de 5,000,000, la somme de

3,000,000, rpartie en dix annuits de 300,000 francs chacune,

comblerait la diffrence et permettrait la ralisation complte du

programme. Voil des chiffres bien modestes, en comparaison de

ceux qui ne vont pas tarder apparatre. Cependant l'anne d'aprs,en 1878, les propositions du conseil suprieur restent encore les

mmes, et le rapporteur de la commission de colonisation se con

tente de reproduire encore le chiffre de 300,000 francs pour achat

de terres en mettant seulement le vu qu'il ne ft pas, comme il

tait arriv l'anne prcdente, rduit 100,000 francs sur la

demande du ministre des finances (2).

En novembre 1879., c'est--dire juste un an aprs l'valuation offi

ciellement donne par legnral Chanzy de la quotit de terres appartenant encore l'tat, cette valuation paraissait avoir tout coup

perdu toute valeur, et les premires paroles prononces par son suc

cesseur, le nouveau gouverneur gnral,M.AlbertGrvy, accusaient,tort ou raison, un tat de choses entirement diffrent. <c La pr

paration du programme de colonisation pour 1880 rvle, disait

M. Albert Grvy, une situation qu'il importe sans plus tarder d'en

visager en face. Plus des trois cinquimes des terres qui doivent

constituer les centres projets n'appartiennent point l'tat. U

faudra les acheter. Les terres domaniales vont manquer la colo

nisation. Celles qui restent, par leur dissmination et leur infrio

rit, ne peuvent former que de faibles appoints... (3). n Le rappor

teur de la commission de colonisation, dlgu du conseil gnral

du dpartement d'Oran, ne corrobore ni ne contredit les affirma

tions du gouverneur gnral. U reconnat que, dans les pays o le

domaine ne possde plus de terres, les besoins de la colonisation

obligeront l'administration exproprier les indignes. Dans ce

cas, il y aura lieu, ajoute-t-il avec infiniment de raison, de seproc-

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1878, p. 338).(2) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1878, p. 30).(3) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1879, p. 12).

Page 61: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 55

cuper srieusement de ce que deviendraient les possesseurs du sol

qui ne recevraient pas de compensations territoriales. La majorit

des membres de la commission pensait donc qu'il serait bon d'in

viter le gouverneur gnral n'autoriser ces expropriations que

dans le cas o chacun des indignes des groupes dpossds reste

rait propritaire d'une tendue de terre qui lui permettrait de vivre

en continuant se livrer la culture, ou pourrait s'en procurer

ailleurs l'aide de son indemnit (1). C'tait l un avis non-seu

lement inspir par un honorable sentiment de justice et d'huma

nit, mais qu'imposait le bon sens et que conseillait une politique

tant soit peu judicieuse. Cette mme commission faisait galement

preuve de sagacit quand elle rclamait de l'administration une

mesure sollicite dj depuis longtemps et qui aurait pour effet

de mettre sa disposition les vastes tendues de territoires dont elle

se disait dpourvue. Elle conseillait de procder la dlimitation

du domaine forestier, dont une partie pourrait tre utilise pour la

colonisation. Les clairires des forts formeraient ainsi des em-

placemens de villages excellens tous les points de vue. C'est

pourquoi elle ne pouvait trop engager l'administration presser

l'excution d'un travail pour lequel on inscrit tous les ans au bud

get des sommes importantes, travail qui ne paraissait pas avoir

produit jusqu' ce jour des rsultats de nature donner une lgi

time satisfaction aux intrts de la colonie (2). L'administration

a-t-elle tenu compte de ce dernier vu si raisonnable qui, sans

bourse dlier, aurait mis immdiatement sa disposition des ter

rains au moins gaux comme valeur ceux qu'elle se proposait

d'acqurir au prix des formalits de l'expropriation, toujours longues

et coteuses, et, sous le rapport politique, d'une excution embarras

sante quand elle n'est pas dangereuse? Nous l'ignorons absolument.

Toujours est-il que, sur cette question de l'emploi faire des

terres du domaine, et, en gnral, sur toutes les questions se ratta

chant de prs ou de loin la colonisation, les membres du conseil

suprieur du gouvernement n'ont jamais manqu d'mettre, cha

cune de leur session, en gens pratiques qui se sentaient sur leur

terrain, des opinions trs judicieuses et trs bien motives.Htons-

nous d'ajouter, qu' l'exemple du gnral Chanzy, M. Albert Grvya toujours laiss le champ libre leurs discussions, et qu'aprs lui

M, Tirman a fait preuve, son tour, de lamme largeur d'esprit. C'est

^pourquoi nous nous trouvons assister, vrai dire, en les coutant,

la plus utile des enqutes. Il s'en faut de quelque chose qu'ils soient

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1879, p. 321).

(2) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1879 p 321).

Page 62: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

56 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

habituellement d'accord. Des divergences assez frappantes se font

jour, non-seulement entre les membres lus, mais quelquefois aussi

parmi les fonctionnaires du conseil. Il n'est pas rare de voir les trois

prfetsmettre des apprciations fort diffrentes, ce qui tient videm

ment aux circonstancesparticulires chacun de leurs dpartemens.

Je n'oserais mme pas dire qu'ils montrent toujours une dfrence

parfaite pour l'autorit centrale sous la direction de laquelle ils

sont placs. Mais qu'importe ! si le prestige de la hirarchie y perd

un peu, l'indpendance des opinions y gagne beaucoup ; c'est tout

profit. Chacun parat d'ailleurs de trs bonne foi et ne se fait point

scrupule, pour appuyer son dire, de produire une foule de faits qui

sont autant de rvlations trs instructives, les plus curieuses et

souvent les plus piquantes du monde. Comment n'prouverais-je

pas quelque plaisir puiser dans cet arsenal des armes simples,

bien trempes, faciles manier, et qu'on dirait forges exprs pour

dfendre la cause du bon sens? D'anne en anne, le conseil sup

rieur semble, en effet, se mieux dgager des systmes prconus,

rompre avec les combinaisons trop compliques et se rallier enfin

des ides pratiques vraiment librales et de tous points conformes

aux donnes de nos temps modernes.

La conviction qu'on s'y tait toujours mal pris pour attirer et

retenir dans notre colonie les immigrans franais est si forte chez

les vieux Algriens du conseil suprieur, qu'en apprenant l'ex

tension qu'on se prparait donner la colonisation officielle, ils

redoutent, avant tout, de voir l'administration continuer ses anciens

erremens. Qu'il me soit permis de dire, s'crie l'un d'eux, dl

gu du conseil gnral de son dpartement, que la cause princi

pale de l'chec jusqu' ce jour de la colonisation doit tre attribue

aux crations de villages et surtout au choix des colons. Quand un

village est cr, qui prend-on pour le peupler? Le premier venu,

n'ayant le plus souvent d'autre titre l'obtention de cette faveur

que le crdit d'un protecteur ; comme il ne dispose mme pas des

ressources ncessaires la cration d'un gourbi, il est oblig d'em

prunter, gnralement un taux trs lev, pour pourvoir ses

besoins les plus urgens et, ds la premire anne, le village pr

sente les caractres de la dcrpitude, pour disparatre bref

dlai (1)... Que l'on examine l'tat des choses dans chaque centre,

et l'on verra, continue un autre dlgu de dpartement, combien

il en reste, comme propritaires dfinitifs, de ceux qui l'on a

impos la rsidence. La plupart d'entre eux, sitt aprs l'expiration

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1879, p. 441).

Page 63: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 57

de leurs cinq ans, se sont empresss de vendre leur concession et

de quitter le village. Si l'on fait cet gard une statistique, elle sera

curieuse et fertile en enseignemens. On semble craindre que la sp

culation ne s'en mle. Quel inconvnient y aurait-il cela? C'est

avec la spculation que l'on fait les grandes choses ; c'est par elle

que les Amricains sont parvenus peupler leur immense terri

toire (1). n

Ds le dbut et sitt qu'elle est mise en mesure de se prononcer

sur la prfrence donner soit au systme des concessions gratuites,soit la vente des terrains, la trs grande majorit du conseil sup

rieur, et particulirement ses membres lus, inclinent visiblement

trouver la vente prfrable : Il leur semblerait dsirable que le

colon payt la terre moins cher qu'elle n'aura cot l'tat, mais

qu'il la payt. Ils entendent laisser au gouverneur gnral la

facult de faire procder cette vente, suivant les circonstances,

soit par la voie de l'adjudication publique, qui, ayant le mrite

de ne laisser aucune place ni la faveur, ni l'intrigue, devra

tre la rgle gnrale, soit bureau ouvert et de gr gr. Us

dclarent enfin : qu'il convient de dcider que l'attribution,mme par voie de concession gratuite , confrera immdiatement

l'attributaire la proprit de l'immeuble, sans condition suspen

sive, et que le titre dfinitif de proprit lui sera dlivr au moment

de la mise en possession (2). C'taient l autant de mesures excel

lentes.

Au cours de la session de 1880, c'est encore un dlgu des con

seils gnraux qui est charg par ses collgues de prsenter au con

seil suprieur le rapport de la commission de colonisation, et ses

conclusions ne sont pas diffrentes de celles adoptes l'anne pr

cdente. Avec la clairvoyance d'hommes placs sur les lieux, les

membres de la commission doutent beaucoup que le programme

trop vaste qu'on leur a soumis puisse tre appliqu dans le cou

rant de l'anne. C'est pourquoi ils expriment le dsir de voir l'ad

ministration concentrer ses forces sur des points dtermins, afin de

ne pas dissminer les ressources sur un trop grand nombre de cra

tions qui resteraient forcment inacheves. Il s'agit d'installer les

colonsds qu'ils arrivent, et de ne pas leur laisser perdre leur temps

et leur argent dans l'oisivet d'un sjour prolong dans les villes en

attendant une installation qu'une entreprise trop prcipite n'aurait

pas permis de faire temps (3). A propos de la rsidence obliga-

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1879, p. 450).

(2) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1879, p. 447, 451, 456 et 457).

(3) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1880, p, 381).

Page 64: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

68 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

toire, le rapporteur de la commission admet parfaitement que le

concessionnaire ait la latitude d'installer en son lieu et place une

famille autre que la sienne, pourvu que cette famille soit franaise.

Ce que la commission ne veut pas, c'est que la terre reste inhabi

te et que le colon ait la facult de se retirer aprs avoir lou la

concession aux indignes ; ce qui amne un autremembre du con

seil, dlgu, lui aussi, par son conseil gnral, faire cette trs

raisonnable observation qu'en matire de colonisation, il n'est pas

possible d'adopter une rgle uniforme, et qu'il faudrait presque

autant de systmes qu'il y a de zones diffrentes en Algrie (1).

En 1881, ces mmes questions sont encore reprises, mais ser

res de plus prs. Cette fois, c'est le prfet de Constantine qui sert

d'organe la commission de colonisation. Il rappelle dans son rapport que des tendues considrables de terres ont t, depuis

1871, livres gratuitement la colonisation, mais les rsultats de

la gratuit n'ont pas t heureux, et la majorit de la commission

estime qu'il y a lieu de supprimer ce dernier systme et de n'ad

mettre dsormais que celui de la vente (2). Enfin : Considrant

les divergences d'apprciations qui se sont produites au sujet des

rsultats obtenus par le systme de la concession gratuite, le pr

fet de Constantine estime que, pour sortir de cette incertitude,

il fallait prier l'administration de faire tablir, bref dlai, des

documens prcis propres fixer l'opinion. > Jusqu' prsent,conti-

nue-t-il, < on s'est content de nous dire ce qu'on ferait chaque

anne, sans parler de ce qu'tait devenue l'uvre des annes prc

dentes. 11 serait donc ncessaire de dresser une statistique com

plte de la colonisation en Algrie. Cette statistique devrait porter

le nom de chaque village cr depuis dix ans, le nombre de feux

qu'il comprenait, le nombre des colons vincs avant l'obtention

de leur titre dfinitif, le nombre de ceux qui ont vendu leur pro

prit aprs l'obtention de ce titre, le nombre des colons primitifs

rsidant actuellement, et, enfin, parmi ces derniers, le chiffre de ceux

qui cultivent eux-mmes leurs terres. En ajoutant cesrenseigne-

mens le prix moyen de l'installation d'une famille durant cettep

riode, il deviendra possible de juger des rsultats en parfaite con

naissance de cause (3).

Le secrtaire gnral du gouvernement, remplaant M. Albert

Grvy pendant son absence, tait loin de convenir de la ncessit

d'une pareille enqute ; il paraissait croire que les documens et les

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre IS*, p. 383).

(2) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 18K0, p. 310 et 311).

(3) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1881, p. 312).

Page 65: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 59

chiffres fournis par l'administration suffiraient mettre le conseil

suprieur en mesure de se rendre compte du vritable tat de choses.

Mais tel n'est point l'avis de l'un des membres lus de ce conseil.

Il tait frapp de la complte divergence de vues existant entre le

secrtaire gnral et les dlgus des dpartemens, divergence qui

s'expliquait, en y rflchissant, par la diffrence des situations.

Nous, les dlgus, disait-il, nous vivons clans les provinces, c'est-

-dire dans les parties du pays o la colonisation se commence;

nous y sommes sans cesse en contact avec les populations que nous

reprsentons. Nous assistons la pnible lutte pour l'existence que

soutiennent les colons. Nous entendons leurs plaintes et nous pou

vons constater que, si elles sont parfois exagres, le plus sou

vent, prises dans leur moyenne, elles sont exactes et fondes. Aprs

avoir vu crer un village, nous assistons quelquefois son dve

loppement, mais souvent aussi sa non-russite... Pour un fonc

tionnaire qui passe sa vie dans un milieu de bureau, c'est dans son

cabinet, sur le vu de jolis tats bien aligns, qu'il se fait une opi

nion. Quoi d'tonnant s'il en arrive vite penser qu'il y a des gens

bien difficiles satisfaire, puisqu'ils ne se dclarent pas tout fait

contens, alors cependant qu'on ferait cette anne tant de villages et,

l'anne d'aprs, encore beaucoup plus de villages? Eh bien! oui, il

y a des gens que cela ne contente pas absolument, et nous sommes

de ces gens-l, parce qu'il ne suffit pas de faire de la colonisation

officielle sur le papier, en numrant avec complaisance etparti-

pris d'optimisme des projets qu'ensuite on ne ralise gure; il faut

aussi et surtout s'occuper de faire russir ce qu'on a entrepris. Or

c'est quoi le systme de la colonisation officielle, bas sur les

concessions gratuites, n'arrive pas. U y a plus, c'est que, si ondoit

juger de l'avenir de ce systme par les rsultats qu'il a donns

depuis qu'on l'applique, cet avenir serait extrmement sombre. Puis

vient ausitt sur les lvres du dlgu l'numration dtaille d'une

foule de faits propres confirmer son dire :

Au village d'Ain-Yagout, sur 28 lots donns, il reste 3 familles com

prenant en tout 4 habitans. A Fontaine-Claude ,sur 29 lots, il reste

3 familles, comprenant en tout 8 habitans; une seule maison a t

construite Ain-Mazuela; il reste 4 familles comprenant 6 habitans, et

il n'y a pas une seule maison construite. A Ain-Zsar, livr la coloni

sation en 1830 et qui comporte 10 lots, il n'y a pas encore un seul habi

tant ; personne ne s'est rendu sur les lots attribus. A Beni-Addi, le

mme fait se reprsente ; on est oblig de mettre les colons en demeure

de se rendre sur les lots qui leur sont attribus. Si l'on remonte plus

haut comme date de cration, on trouve qu' Oued-Sedjar, contretra-

Page 66: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

60 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

verse par le chemin de fer, o les terres sont excellentes, o il y a

des sources et des puits, sur 50 lots de fermes qui ont djt attri

bus, il y a dj plus de la moiti des attributaires qui, faute de res

sources, ont lou leurs terres aux Arabes. A Seljar-Foulcani, pays debonnes terres et de sources, sur 6 attributaires de fermes, 4 ont djlou aux indignes. A Sedjar-Lautoni, terres crales, les attributaires

ont abandonn leurs lots de ferme. A Sbir-Debatcha, dix fermes dont

la situation est peu prs perdue. A Baklach, 6 fermes de 70 100 hec

tares, que les attributaires ont loues aux indignes. ABled-Youssef, pays

sain, terre d'une fertilit exceptionnelle, lots de 25 40 hectares,sur 34 attributaires, il en reste 12 ; les autres ont vendu leurs lots vil

prix et ont abandonn le pays; les maisons commences tombent en

ruines. A Bou-Malek, dans de bonnes terres o l'on avait attribu

25 lots de ferme, les concessionnaires ont, pour la plus grande partie,

vendu leurs fermes et quitt le pays ; il ne reste actuellement que

8 familles. A Coulmiers, 14 lots de 50 60 hectares ont t attribus.

Les attributaires ont abandonn les lieux pour louer aux Arabes... En

prsence d'une situation aussi dplorable, osera-t-on dire que le sys

tme de la colonisation officielle, suivi jusqu' ce jour, doit tre conti

nu sans aucun changement... et que les 50 millions qui vont tregn

reusement consacrs par lamre patrie la cration de nouveaux centres

pourront tre employs donner des rsultats aussi ngatifs?.. Ce sys

tme doit tre condamn, d'abord parce qu'il oblige le colon s'aller

installer sur une terre qu'il n'a pas choisie, dans un pays dont les condi

tions de culture ne correspondent pas ses habitudes, mais surtout;cause de la marche suivie pour le choix des attributaires... Tout le

monde sait que, dans la concession des lots, la faveur a bien plus d'in

fluence que le mrite. Tout le monde sait que l'on est bien plus sr de

russir avec la recommandation d'un ministre, d'un dput, d'un con

seiller-gnral ou mme d'un simple ami de nos autorits, qu'avec la

qualit de chef de famille ayant des ressources et possdant l'exp

rience des procds agricoles. La vrit en tout ceci est que, pour

conserver entre leurs mains un moyen d'influence, nos gouvernans,par leurs erreurs, portent la colonisation des coups mortels. Il en

serait tout autrement si l'on vendait les terres (1).

A la suite d'une discussion un peu confuse, le conseil suprieur

maintient le vote antrieur par lequel il avait donn plein pouvoir

l'administration pour disposer son gr des lots de villages, soit

en les vendant, soit en les concdant gratuitement ; mais, pour ce

qui regarde les lots de fermes, il adopte en mme temps une pro-

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1881, p. 321, 322 et 323).

Page 67: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 61

position qui stipule formellement qu'ils seront mis en vente par la

voie des enchres publiques (1).

A sa dernire sance, le conseil suprieur n'apprend pas sans

un trs vif tonnement, par un rapport de sa commission des tra

vaux publics, que l'administration n'est pas en tat de prsenter

un projet nettement dtermin pour l'emploi de la premire annuit

de ce grand programmede colonisation dont on a si souvent annonc

l'tude et qu'elle s'est borne mettre en ligne les chiffres des exer

cices antrieurs sans mme donner une raison srieuse pour justi

fier ces chiffres-l plutt que d'autres (2). n Dans cette situation,

la commission, qui n'a reu aucun devis man des architectes des

trois dpartemens, parce que ces architectes eux-mmes n'ont

pas connaissance du crdit de 1881 pour les travaux qu'ils pour

ront tre chargs d'excuter en 1882 et en 1883, propose au con

seil suprieur de signaler d'une faon toute particulire au gou

verneur gnral la marche dfectueuse actuellement suivie dans

l'tablissement des prvisions de travaux de colonisation ; elle lui

recommande expressment de faire, ds prsent, prparer les

programmes et les projets avec tout ce qu'il faudra employer de

personnel et de crdits pour les mener rapidement bonne fin (3).

Avant qu'avis et t donn officiellement Paris du vote qui

venait de clore la session du conseil suprieur, une nouvelle vo

lution ministrielle avait lieu au sige du gouvernement de lamre

patrie. Le prsident du conseil, M. Gambetta, trouvant tout coupque la runion dans les mmes mains des pouvoirs civils et mili

taires n'avait plus sa raison d'tre, rendait son indpendance au

commandant du19"

corps d'arme et plaait mme directement

sous ses ordres les indignes tablis en territoires militaires. C'tait

un recul sur d'autres mesures qui avaient rencontr grande faveur

de l'autre ct de la Mditerrane. Un autre dcret de la mme

date (26 novembre 1881) nommait le conseiller d'tat, M. Tirman,gouverneur gnral de l'Algrie. Mais, deux mois plus tard, M. Gam

betta n'tait plus prsident du conseil, et lorsqu'il ouvrit la session

de novembre 1882, M. Tirman tait en mesure d'annoncer aux

membres du conseil que , grce au dvoment connu du gnral

Saussier pour le principe du gouvernement civil, l'administration

avait dfinitivement recouvr sa pleine et entire autorit sur les

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1881, p. 333).

(2) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre 1881, p. 326).

(3) Procs-verbaux du conseil suprieur (novembre ld81, p. 337).

Page 68: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

62 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

populations indignes des territoires de commandement. Il se fli-,citait aussi d'avoir obtenu quelques modifications au systme des

rattachemens, attendu que de nouvelles dlgations lui avaient t

donnes par les titulaires des divers dpartemens ministriels et

que la disposition du budget de l'Algrie lui avait t rendue.

tait -il toutefois bien fond vanter l'organisation nouvelle

comme ayant le grand avantage de rtablir la vrit du rgime

parlementaire, parce qu'elle attribuait, suivant lui, chaque mi

nistre la responsabilit de ses actes personnels ou des actes de

son dlgu (1)1 Le contraire tait bien plus prs de la vrit.

A la responsabilit, dj bien fictive, mais du moins concentre

sur une seule tte, du ministre de l'intrieur, charg, pour la

forme, de prsenter et de dfendre le budget de l'Algrie, cette

innovation a substitu la responsabilit non moins fictive et ind

finiment dissmine de chacun des ministres venant inscrire la

suite des dpenses affectes aux services de son dpartement celles

qu'il lui faut consacrer l'Algrie et qui ne figurent dans un der

nier chapitre spcial que par acquit de conscience, comme une

sorte de post-scriptum sans importance. En fait, cet parpillement

des responsabilits quivaut, au point de vue parlementaire, une

complte suppression. Dans de pareilles conditions, toute discussion

srieuse propos de l'Algrie devient absolument illusoire. Les

snateurs et les dputs restent encore libres, il est vrai, de prendre

partie tel ou tel ministre, son sous-secrtaire d'tat ou quelque

chef de service sur un dtail administratif insignifiant, mais si, au

lieu de vouloir traiter quelques points particuliers, ils entendent

critiquer d'une faon gnrale l'excellence des mesures qui, prises

isolment par chaque ministre , n'en constituent pas moins l'en

semble du systme appliqu notre colonie, ils ne trouvent plus

personne devant eux. De bonne foi, qui pourraient-ils bien s'en

prendre? lis sont d'avance assurs d'tre infailliblement renvoys

de l'un l'autre.

Les rattachemens dont M. Tirman a parl, lors de son dbut, avec

une certaine complaisance, sur laquelle il est peut-tre dj revenu,

n'ont jamais rencontr dans notre colonie qu'une rprobation peu

prs universelle. En vrit, dit un auteur algrien que nous avons

dj eu plaisir citer parce qu'tranger la politique, il a gard

envers tous les partis sa libre faon de penser, en vrit, nous ne

pouvons approuver ces modifications, car nous ne voyons pas quel

profit en retirera l'Algrie. Nos affaires tant divises entre huit ou

dix ministres en seront-elles mieux faites? Il est impossible de

(1) Discours prononc par M. Tirman l'ouverture de la session de 1882.

Page 69: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 63

l'affirmer. Elles chapperont au contrle des Algriens et l'action

du gouvernement gnral pour tomber souvent entre les mains de

fonctionnaires subalternes incapables de rsister des influences

parlementaires ou autres... On pourrait trouver un ministre de l'Al

grie comptent, mais on ne saurait admettre a priori que le corps

des ministres le soit. A tous les points de vue, les dcrets de ratta

chemens sont condamnables. C'est une uvre mort-ne,faite en

dehors du parlement, en dehors des Algriens, et nous sommes bien

tranquilles sur les suites de l'essai loyal qu'on en veut faire. C'est du

temps perdu, voil tout (1). Dans un autre passage de son livre, le

mme auteur ajoutait que l'inconvnient de ces mesures tait

double parce que la solution des affaires en tait retarde et parce

que cette solution tait loin d'tre toujours conforme la logique.

Les reprsentans algriens ne sont que trois au snat et six la

chambre des dputs, et jusqu' prsent ils ont rarement russi

tre couts et faire accepter leurs opinions. Eux-mmes ne sont

pas toujours au courant de questions qui ont parfois chang d'as

pect et qu'ils ne peuvent suivre de loin. Enfin ils sont ports, cela est

assez naturel, centraliser le plus possible les affaires Paris, de

faon que tout ce qui intresse l'Algrie leur passe par les mains et

qu'ils jouent le rle de grands dispensateurs.

Ce qui importe encore plus pour l'avenir de notre colonie que l'opi

nion thorique deM. Tirman propos des rattachemens, c'est le dve

loppement qu'en 1882 il se proposait de donner la colonisation,

dont l'essor (ainsi qu'il abien voulu le reconnatre lui-mme) avaittmomentanmentarrt. Ses vues ce sujet ne diffrent pas essentiel

lement de celles de ses prdcesseurs.Comme eux, il signale l'insuf

fisance des terres appartenant l'tat et susceptibles d'tre utilement

attribues de nouveaux concessionnaires ; cependant, au lieu d'as

sertions assez vagues dont on n'tait pas sorti, il apporte cette fois,conformment au vu exprim dans la dernire sance du conseil

suprieur de 1881, des chiffres prcis constatant, suivant lui, le

vritable tat des choses. Ces chiffres sont relats dans deux docu

mens officiels, d'origine, je crois, diffrente, mais qui ont paru

presque en mme temps. L'un est la Statistique gnrale de

l'Algrie, annes 1879 1881; l'autre l'Expos de la situation

gnrale de l'Algrie, prsent par M. Tirman lui-mme l'ou

verture de la session 1882. La vracit des tableaux, qui indi

quent le nombre, la contenance et la valeur des proprits immo

bilires appartenant l'tat en Algrie, ne peut donner lieu

(1) L'Algrie et les Questions algriennes, par M. E. Mercier, p. 301, dit. de

1883.

Page 70: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

64 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

aucune contestation. Voici ce qu'on y trouve : En 1881,les immeubles consigns sur les sommiers de consistance des

biens du domaine se rpartissaient ainsi qu'il suit : immeu

bles non affects des services publics, 10,431 parcelles d'une

superficie totale de 865,635 hectares, d'une valeur prsume de

41,815,774 francs (1). Ce qui peut donner lieu quelques doutes, cesont les inductionsqu'en veut tirerM. Tirman. Assurment, une notable partie des 865,635 hectares appartenant l'tat n'estpoint utili

sable pour la colonisation, le bon sens le dit, et les personnes quiconnaissent l'Algrie sont prtes en convenir avec lui. Mais com

ment est-il arriv tablir que les portions susceptibles d'un emploi

rellement efficace soit par voie d'affectation directe, soit pour deschanges avec les indignes, ne dpassent point le chiffre rond de

300,000 hectares (je me dfie toujours des chiffres ronds), alors

qu'en 1878 le gnral Chanzy estimait que,dans la seule province de

Constantine, on pouvait disposer de 448,558 hectares? U valait la

peine d'entrer dans quelques dtails et de produire, ce sujet, des

chiffres positifs. Ce qui cesse absolument d'tre comprhensible,

c'est que, la valeur totale des immeubles non affects du domaine

ayant t prsume se monter 41,815,744 francs, et celle des

300,000 hectares propres tre alins n'arrivant plus, d'aprs l'esti

mation de M. Tirman, qu' 18 millions, il n'a pas seulement song

porter l'avoir de l'administration algrienne la diffrence entre ces

chiffres, c'est--dire 23,815,774 francs : la somme n'est pas mi

nime. Ce n'est pas tout. Outre ses immeubles, l'tat possde en

Algrie des bois et forts d'une contenance de 785,525 hectares

valus 68,039,572 francs, et nous avons appris, d'aprs unrapport

prsent, en 1879, par la commission du comit de colonisation,

que les clairires des forts formeraient des emplacemens excel-

lens tous les points de vue, et que si la dlimitation du domaine

forestier rclame depuis longtemps tait mene bonne fin,

elle mettrait de vastes territoires la disposition du gouverne

ment (2).

Voil donc, en terres et en argent, des ressources importantes qui

sont compltement ngliges, sans compter celles nonmoins consi

drables que, dans leurs dlibrations antrieures, les membres

du conseil suprieur avaient eu soin d'indiquer la sollicitude de

l'administration. Nous ne faisons pas seulement allusion au produit

que donnera certainement la vente des lots de villages et de fermes,

(1) Statistique gnrale de l'Algrie de 1879 1881, Imprimerie nationale,p. 102;

et Expos de la situation gnrale de l'Algrie en novembre 1881, p. 114-

(2) Procs-verbaux des sances du conseil suprieur (novembre 1879, p. 321-322).

Page 71: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 65

substitue la concession gratuite; nous entendons parler de la

constitution de la proprit individuelle chez les indignes, mesure

doublement profitable, car elle doit avoir, la fois, pour effet de

faire rentrer l'tat dans la possession debeaucoup de terrains ind

ment attribus des tribus arabes, et d'ouvrir une large voie l'ac

quisition du sol algrien par les Europens. L'attention du gouver

neur gnral s'est, il est vrai, porte d'elle-mme l'avance sur cette

tche dlicate. 11 n'a pas hsit reconnatre qu'entreprise depuis

1873, elle n'avait pas encore donn des rsultats proportionns aux

sacrifices qu'elle avait ncessits. En effet, neuf annes s'taient cou

les et, au 30 juin 1881, les titres de proprit n'avaient encore

t dlivrs que dans 44 douars, comprenant une superficie de

220,070 hectares (1). C'est pourquoi, en ouvrant la session du con

seil suprieur de 1882, M. Tirman avait pris soin d'annoncer ses

collaborateurs qu'une commission spciale venait d'tre charge

d'examiner les modifications que la loi de 1873 tait susceptible de

recevoir. Ce travail allait tre immdiatement soumis au conseil

suprieur, et ses membres pouvaient tre assurs de l'empresse

ment que mettrait l'administration chercher, d'accord avec eux,

le systme le plus simple, qui, tout en apportant le moins de

trouble dans la proprit existante, permettrait d'arriver le plus

rapidement possible au but que tous les amis de l'Algrie dsi

raient ardemment atteindre (2) .

Reviser les parties dfectueuses de la lgislation de 1S73 et rem

placer quelques-unes de ses clauses un peu compliques et confuses

par des dispositions plus claires et d'une mise excution plus facile,tel fut, en effet, le problme ardu dont la solution a occup les der

nires et les plus importantes sances de la session de novembre

1882. La commission spciale, compose de personnages les plus

comptens, le premier prsident de la cour, le procureur gnral,un conseiller du gouvernement, le directeur des domaines, et lebtonnier de l'ordre des avocats d'Alger, n'ayant pu se mettre d'ac

cord, elle apportait trois rapports distincts aboutissant des con

clusions diffrentes entre lesquelles il fallait se prononcer. L'embarras tait grand, et les avis furent trs partags parmi les membres

du conseil suprieur. Comment n'auraient -ils pas hsit quelque

peu en prsence des assertions contradictoires produites devant eux

par les premires autorits du pays? Sur la convenance de rendre

les terres indignes disponibles pour la colonisation, l'entente tait

(1) tat de l'Algrie, par M. Tirman, p. 241.

(2) Discours de M. Tirman l'ouverture de la session du conseil suprieur (no

vembre 1882, p. 9).

Page 72: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

66 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

complte; les divergences ne s'accusrent trs profondes qu'au

sujet des moyens employer pour arriver ce rsultat. Somme

toute, comme chacun reconnaissait qu'il y avait avantage intro

duire quelques modifications de dtail dans l'conomie gnrale

de la loi, le conseil suprieur dcida d'en renvoyer l'examen une

nouvelle commission choisie, cette fois, tout entire dans son pro

pre sein. A l'exception du gnral commandant la division d'Oran,elle ne comprenait que des membres dlgus des trois conseils

gnraux de dpartement, et aucun des lgistes ayant fait partie de

la premire commission n'y avait trouv place. Ses conclusions,

dposes le 9 dcembre 1882, ne proposaient de changemens de

rdaction d'une relle importance que sur les points au sujet des

quels toutes les opinions s'taient trouves runies. Cesmodifications

partielles tendaient raliser une meilleure rpartition des terres

entre les ayants droit indignes, afin de hter le moment o d'hon

ntes et fructueuses transactions pourraient s'engager entre eux et

les Europens. Elles avaient aussi pour but dfaire cesser certaines

oprations regrettables que le texte de la loi de 1873, incomplet

suivant les uns, ou mal interprt selon d'autres, avait permis d'en

treprendre depuis sa promulgation (1).

Pendant la discussion engage la suite du rapport, et qui ne

prit qu'une seule sance, les membres du conseil eurent grand soin

de ne pas traiter trop longuement les questions purement thori

ques prcdemment leves au sujet de la distinction tablir

entre les proprits possdes au titre arch, et celles possdes au

titre melk. Ces appellations arabes ayant jet la confusion dans les

arrts des tribunaux, on convint que la langue juridique n'admet

trait plus dsormais d'autre dnomination que celles de terres pos

sdes, les unes titre individuel, les autres titre collectif, et chacun

y ayant ainsi mis du sien, le projet de Joi labor par la commis

sion fut dfinitivement adopt par les membres du conseil suprieur.

Les sages transactions taient, de vieille date, entres dans leurs

habitudes. Us taient gens de trop d'exprience pour vouloir tirer

des principes qu'ils adoptaient leurs consquences extrmes. Telle

tait galement la disposition d'esprit du nouveau gouverneur gn

ral.Dj, l'occasion lui avait t donne de faire preuve de la judi

cieuse rserve qu'il entendait garder dans l'application des mesures

dont l'excution lui serait confie. Au cours des rcens dbats sur

la constitution de la proprit indigne, les deux gnraux com

mandant les divisions militaires d'Alger et d'Oran avaient d faire

remarquer que, si l'indivision des terres devait cesser partout la

(1) Procs-verbaux de la session du conseil suprieur (dcembre 1882, p. 654).

Page 73: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 67

fois, il en rsulterait pour certaines tribus algriennes une irr

parable injustice. Ces tribus, improprement appeles nomades,

taient obliges de parcourir de vastes espaces et de se dplacer

frquemment afin de pourvoir la nourriture de leurs trou

peaux, leur unique richesse, le retour des saisons les ramenant d'ail

leurs toujours aux mmes lieux. Pour elles, la division de la pro

prit, c'tait la ruine. A ces sages observations M. Tirman n'avait

point manqu de rpondre, avec l'assentiment des membres du con

seil suprieur, qu'il n'y avait nulle inquitude concevoir sur le

sort de ces tribus. C'tait lui, d'aprs les termes mmes de la loi,qu'il appartenait de dsigner les circonscriptions territoriales dans

lesquelles il devra treprocd aux oprations prescrites pour la con

stitution de la proprit. L'administration avait donc le droit et, par

consquent, le devoir de ne pas appliquer la loi l o cette appli

cation serait rendue impossible par les conditions mmes de l'exis

tence des indignes (1).

Prendre d'infinies prcautions afin de ne pas froisser les senti-

mens, les habitudes, les prjugs, si l'on veut, des 2,500,000 mu

sulmans que nous comptons comme sujets en Algrie, et de leurs

1,500,000 coreligionnaires dont le protectorat de la Tunisie va nous

confier la direction et la responsabilit, voil quelle devrait tre,pour de longues annes, l'une des principales proccupations de la

politique de la France, surtout au moment o elle semble aspirer

prendre un peu partout le rle de grande puissance coloniale.

De notre attitude vis--vis de la population arabe de l'Algrie on

peut dire avec raison qu'elle apasspar des phases bien diverses. Un

temps est venu aprs la guerre, o nos gnraux qui avaient lgi

timement pris la haute main dans la direction des affaires de notre

colonie africaine, se sont, avec la gnrosit naturelle notre race

franaise, laisss aller tmoigner une prdilection presque avoue

pour des adversaires qu'ils avaient glorieusement vaincus. L'em

pereur partagea leur engouement, et de l cette vision phmre du

royaume arabe. Depuis 1871, depuis surtout qu' Alger l'autorit

suprieure at remise un gouverneur d'origine purement civile,

une raction vidente s'est produite. Elle s'est encore accentue dans

ces derniers temps la suite de la mesure dont se flicitait nagure

M. Tirman et qui a plac tous les indignes indiffremment sous la

dpendanced'

agens galement civils. Nos prfets et nos sous-pr

fets envoys de France et continuellement renouvels, tous ces

nombreux commissaires civils qu'il a fallu recruter la hte parmi

un personnel assez dfectueux, afin d'administrer les immenses

territoires soustraits du jour au lendemain dans le Tell la domi-

(1) Procs-verbaux du conseil suprieur (session de novembre 1882, p. 497).

Page 74: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

68 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

nation militaire, connaissent peu les murs, les habitudes et les

dispositions d'esprit des tribus arabes qu'ils sont appels gou

verner. Us sont loin d'tre anims leur gard des sentimens de

complaisance (lesmalveillans ont dit de fcheuse partialit) qu'on a

reproch nos gnraux et aux officiers des bureaux arabes d'en

tretenir pour leurs administrs indignes. A coup sr, il n'est pas

craindre que les ordres des nouveau-venus qui les remplacent

ne soient pas obis. Partout o elle at jusqu' prsent applique,

la transition d'un rgime l'autre s'est, en effet, opre sans diffi

cults apparentes et sans troubles apprciables. Mais si l'obissance

n'a point fait dfaut, le prestige, il faut en convenir,manque absolu

ment ces administrs en frac qui ont lamalchance, aux yeux d'une

population guerrire fort sensible aux manifestations extrieures

de la puissance matrielle, de n'tre pas revtus de cet uniforme

militaire qui a toujours t pour elle le signe du commandement.

Il est donc impossible, tant donnes les circonstances que je viens

d'indiquer, de n'tre pas quelque peu effray de la mise excution

sur une trs grande chelle, si la loi des 50 millions est adopte,

de mesures qui, bien plus que celles prsentes pour la constitution

de la proprit indigne, sont de nature, dans le cas o elles

ne seraient pas appliques avec d'extrmes prcautions, causer une

grande perturbation dans nos possessions algriennes et susciter

parmi les indignes les germes d'un profond mcontentement. Je

veux parler des expropriations qu'il faudrait bientt prononcer en

masse pour l'tablissement des trois cents nouveaux centres projets.

Sur cette question qui est devenue le vritable champ de bataille,o se heurtent les opinions les plus opposes, je voudrais, comme

pour celles que j'ai touches jusqu' prsent, me gard r de toute

exagration. Fidle la rgle que je me suis trace par une juste

dfiance de mes impressions personnelles, je citerai cette fois encore

et de prfrence les tmoignages d'hommes plus comptens que

moi qui ont l'avantage de voir les choses de prs. Avec le systme

qu'on nous propose, disait dernirement unmembre du conseil sup

rieur faisant fonction de conseiller du gouvernement, vous n'aurez

plus bientt de terres disponibles; tout disparatra; cependant elles

vous sont ncessaires; pour continuer l'uvre de la colonisation,

il vous faudra les acheter en ayant recours l'expropriation... Or

nous savons tous que celte mesure de l'expropriation froisse pro

fondment tous les sentimens des indignes, ct que cette pe de

Damods, constamment suspendue sur leurs ttes, est pour eux une

cause"

irritation qui peut, dans certain cas, amener destroubles

graves (1).

(1) Procs-verbaux de la session du conseil suprieur de novembre 1882, p. 465.

Page 75: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 69

11 y aurait injustice ne pas se rappeler certaines explications

rassurantes donnes dans cette mme session par le gouver

neur gnral actuel. Nous ne doutons pas que, s'tant publique

ment engag ne pas tendre les oprations, prescrites pour

la constitution de la proprit aux territoires o l'application de

la loi serait rendue impossible par les conditions mmes de l'exis

tence des indignes, il vite plus forte raison d'user dans

ce mme territoire du droit d'expropriation. Il ne peut certaine

ment lui venir l'ide de recourir l'expropriation que pour les

contres situes dans leTell, les seules o l'administration se propose

de crer actuellement les nouveaux centres. Mais, l mme, il y a

des diffrences essentielles tablir. Agir en Kabylie et dans les

pays habits par les populations d'origine berbre comme avec

les tribus de sang purement arabe serait fort imprudent. Dans les

montagnes de la Kabylie et partout o domine la race berbre, laproprit collective est peine connue, tandis que la proprit indi

viduelle y est morcele ce point que la rcolte des fruits d'un

mme arbre doit parfois se partager entre plusieurs individus. Les

consquences d'un pareil tat de choses n'taient point pour chapper la clairvoyance de M. Tirman, qui en a tenu compte dans les

instructions qu'il a, par l'intermdiaire de ses prfets, fait parvenir

aux membres des commissions locales dites commissions des

centres charges dans chaque arrondissement de contrler, sur les

lieux mmes, les crations de villages proposs par l'administra

tion, m II ne faut pas perdre de vue, crit le gouverneur gnral,

que si l'administration a le devoir de faciliter l'installation en Alg

rie d'une nombreuse population franaise, elle n'en a pas moins

respecter les intrts de la population indigne. Nous ne devons

songer livrer au peuplement franais d'autres terres que celles

constituant en quelque sorte le superflu des dtenteurs actuels, et

amener ainsi sinon une fusion complte, tout au moins une juxta

position profitable tous (1). Voyons maintenant quel pouvait tre,non pas d'une extrmit de l'Algrie l'autre, mais dans les loca

lits d'un mme dpartement (celui d'Alger par exemple), l'effet

trs diffrent produit sur les indignes par la perspective de l'ex

propriation. Si l'on veut coloniser largement la Kabylie, affir

mait le rapporteur de la commission des centres pour l'arrrondisse-

ment de Tizi-Ouzou, sans reculer devant les mesures indispensables

au succs de la colonisation et la scurit du pays, il faut trans

porter en masse les indignesdpossds loin de leur pays d'origine

(1) Instructions du gouverneur gnral transmises par M. le prfet d'Alger au sous-

prfet de Tizi-Ouzou, janvier 1882.

Page 76: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

70 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

et leur ter tous moyens d'y revenir. Cette mesure devrait s'appli

quer, sans distinction, tant aux Kabyles qui ont fait preuve d'hosti

lit contre nous qu' ceux qui n'ont tmoign aucune haine, mais

chez qui cette haine se dveloppera par le seul fait de la dposses

sion dont ils seront victimes... Dans le cas o l'on adopterait un

programme de colonisation plus restreint, les premiers territoires

coloniser seraient ceux qui ont t prcdemment tudis par les

commissions des centres; cette population, dont le chiffre ne s'lve

pas moins de 10,000 mes, est prcisment celle qui nous est le

plus hostile ; il y aura donc ncessit de la transporter loin de la

Kabylie pour qu'elle n'y rpande pas la haine contre la France (1).

Mais voici que, dans d'autres arrondissemens relevant aussi

de la prfecture d'Alger, les dispositions des indignes semblent

tre entirement diffrentes. Aux environs d'Affreville, rgion ole gouvernement se propose de fonder plusieurs villages, il est

avr, si l'on s'en fie aux tmoignages des personnages les plus

considrables et les plus dignes de foi, que les Arabes dtenteurs

du sol et dont la proprit at dfinitivement constitue la suite

de l'enqute, n'aspirent qu' voir ces villages fonds le plus pro

chainement possible. Les plus aiss se sont rendu compte que,

s'ils sont expropris d'une partie de leurs terres, la valeur de celles

qui leur resteront en sera considrablement augmente;. quant

ceux dont les modestes parcelles pourraient tre intgralement

absorbes par la cration des centres nouveaux, ils comprennent

aussi parfaitement qu'avec le prix qu'ils en tireront, ils seront mis

mme de s'en procurer d'autres aux environs, dont la croissante

plus-value ne tardera pas les indemniser largement. Nous croyons

volontiers que cette faon d'envisager la situation qui leur est faite

se gnralisera chez les indignes en proportion de la frquence de

leurs contacts avec la population europenne. Il y a dj progrs

marqu sous ce rapport. Ce ne sera pas en vain, il faut l'esprer,

que, dans son derniervdiscours au conseil suprieur, M. Tirman aura

promis de n'avoir recours l'expropriation qu'aprs avoir assur

aux anciens propritaires des ressources quivalentes aux sacrifices

qui leur seront demands. Certaines lenteurs dans le paiement des

indemnits dues pour expropriation et quelques abus qu'il a regret

ts et dnoncs lui-mme ne seront plus pour se reproduire, si

nous en croyons la rponse qu'au mois de fvrier dernier, leministre

de l'intrieur de cette poque s'est fait un devoir d'adresser, par

l'intermdiaire de son secrtaire d'tat, la commission du snat,

(1) Extrait du rapport de la commission des centres pourl'arrondissement de

Tizi-Ouzou.

Page 77: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 71

qui lui avait renvoy la ptition d'un ancien cad arabe. Des dve-

loppemens dans lesquels M. Develle est entr ce sujet il rsulte

que les indignes expropris ne sontpas, comme plusieurs personnes

taient portes le supposer, la merci d'un jury exclusivement

compos d'Europens et, par consquent, suppos partial. Mme en

cas d'urgence, ils ont toujours le droit de porter leurs rclama

tions, d'abord devant le prsident du tribunal, ensuite devant le

tribunal lui-mme, qui ont seuls qualit pour rgler les divers intrts en cause et dsigner les experts chargs d'estimer les immeu

bles et de dterminer les sommes consigner (1). Quant la valeur

attribue jusqu' prsent aux terres que l'administration ad se pro

curer pour la colonisation, le tableau dress par ses soins tablit

que l'hectare achet l'amiable, de gr gr, pour la colonisation,lui aurait cot en moyenne un peu moins de 49 francs, tandisqu'elle aurait pay plus de 56 francs les terres acquises par l'ex

propriation. Depuis cette poque, les terres ont d augmenter de

valeur,mais je n'ai pas ou dire qu'il y ait eu rien de chang et que

les proportions indiques aient t modifies. Voil, autant qu'on

peut s'en rapporter aux moyennes, de quoi faire tomber beaucoupde prventions.

A propos de l'expropriation des indignes pour cause de colonisa

tion, il y a donc lieu de se tenir gale distance des opinions

extrmes et prconues. Sur cette question, comme sur toutes

celles que nous avons traites jusqu'ici, comme pour tout ce qui

regarde l'Algrie, il n'y a pas de rgles absolues; c'est, avant tout

affaire de mesure et de bonne conduite.

Si le lecteur a pris la peine de suivre avec patience les dvelop-

pemens de cette trop longue lude, il peut, ce me semble, pres

sentir quelles en vont tre les conclusions. En thse gnrale, je ne

suis point partisan de l'intervention de l'tat dans les matires qui

ne le concernent pas directement. Je crois avoir suffisamment

dmontr quels rsultats dispendieux et toutefois assez chtifs le

gouvernement a toujours abouti chaque fois qu'abandonnant son

rle naturel de protecteur des intrts gnraux de l'Algrie, il a

pris sur lui la tche de s'y faire entrepreneur de colonisation. Les

auteurs du projet de loi, qui consiste emprunter 50 millions pour

crer trois cents centres, en conviennent volontiers; mais, pour

justifier le nouvel effort qu'ils veulent imposer l'administration,

(I) Annexe au feuilleton du snat n 34 (sance du jeudi 19 avril 1883, ptition

n" 87).

Page 78: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

72 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

ils affirmentque les terres manquent, ou vont manquer absolument.

De l l'obligation de les acheter au plus vite, de pe,ur d'avoir plus

tard les payer trop cher. Cette assertion est-elle bien fonde? Il

n'y parat point. Jusqu' prsentesrenseignemens prcis faisaient

dfaut. On ignorait, ou peu prs, le nombre et la valeur des terres

appartenant au domaine. Il avait fallu se contenter des affirmations

vagues et quelquefois contradictoires des gouverneurs qui se sont

succd en Algrie. M. Tirman, d'aprs ce que j'ai lu dans un

journal algrien d'ordinaire bien inform, aurait fait dernirement

dresser un tableau arrt au 31 dcembre 1882 qui donnerait les

chiffres suivans, diviss en quatre catgories :1

celle des terrains

susceptibles d'tre affects directement la colonisation;2

celle

des terrains utiliser pour changes ;3

celle des terrains qui

peuvent tre vendus bref dlai;4

celle des terrains improduc

tifs et sans valeur, soit pour vente, soit pour changes.

Ces chiffres varient singulirement d'un dpartement l'autre.

Pour Alger, les terrains des trois premires catgories se montent

21,862 hectares; pour Oran, 15,171 hectares; pour Constantine,ils s'lvent 274,946 hectares. Laissant de ct les dpartemens

d'Alger et d'Oran, o les ressources territoriales, videmment trop

restreintes, ne permettent l'tablissement que d'une dizaine de vil

lages, six Alger et quatre Oran, les 274,946 du dpartement

de Constantine, qui se dcomposent en 95,179 hectares suscepti

bles d'tre immdiatement affects la colonisation, 91,542 pro

pres tre changs et 88,225 destins tre vendus, ouvrent

eux seuls un large champ l'exploitation agricole dans des contres

o l'on n'aura pas acheter la moindre parcelle de terre. A moins

donc qu'on ne veuille considrer les 50 millions dpenser et les

trois cents nouveaux centres tablir comme une sorte de pr

bende lectorale que les reprsentans de l'Algrie auraient le droit

de se partager entre eux par portions gales, l'administration a pour

devoir de commencer par tirer le meilleur parti possible des terres

du domaine qui sont ds prsent sa disposition dans le dpar

tement de Constantine. Voil une premire et notable conomie,

mais elle n'est pas la seule qu'on puisse raliser. La vente l'en

chre ou du moins prix fixe, non-seulement des lots de fermes,mais aussi des lots de villages, en amnerait une beaucoup plus

considrable. C'est la solution vers laquelle ont visiblement inclin

les membres lus du conseil suprieur, ainsi que les chefs de tous

les services administratifs et les esprits les plus clairs de l'Alg

rie. La vente, en effet, a sur la concession gratuite cette suprio

rit qu'elle imprime une vive impulsion l'initiative individuelle

des petits capitalistes algriens ou immigrans arrivs de France

Page 79: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 73

qui dsirent placer en immeubles le fruit de leurs conomies. La

vente prsente, en outre, un caractre galitaire qui plaira en Alg

rie. Elle n'y attirera que des colons srieux pourvus des ressources

indispensables leur russite; elle fournira en mme temps l'tat

comme une sorte de fonds de roulement qui lui permettra de doter

les nouveaux centres d'amliorations successives. A mon sens, les

Franais ou les naturaliss Franais devraient seuls tre admis aux

adjudications. Il conviendrait peut-tre de limiter un maximum

de 40 50 hectares les lots de villages et 150 hectares environ

les lots de fermes. Ce sont des chiffres gnralement admis comme

un bon terme moyen. Pour carter les spculateurs, il y aurait

prudence stipuler dans les contrats de vente que, sauf le cas de

dcs de l'adjudicataire, la proprit ne pourrait tre revendue

avant un dlai de cinq annes. En revanche, il y aurait lieu d'accor

der aux colons de grandes facilits de paiement, afin de ne pas leur

enlever ds le dbut la plus grande partie de leurs ressources dis

ponibles. On pourrait n'exiger que le paiement comptant d'un hui

time du prix, dont le solde serait acquitt en dix annes sans

intrt. Supposant, par exemple, l'acquisition de 40 hectares au

prix de 100 francs, l'acqureur aurait payer comptant 500 francs

et dix annuits de 350 francs chacune. Ce sont l des clauses d'ac

quisition fort douces.

Serait-il possible d'aller plus loin encore dans cette voie? Il at

question de crer des banques spciales de crdit pour les colons

ou de modifier leur profit les rglemens des institutions de crdit

dj existantes. Je n'aime pas les rgimes d'exception, et je n'en

aperois pas ici la ncessit. Ainsi que nous l'avons prcdemment

tabli, la Socit protectrice des Alsaciens-Lorrains est en train

de rentrer journellement dans les avances faites ses colons au

moyen des emprunts que ceux-ci contractent auprs du Crdit fon

cier de France. Cette administration avait, au dbut, tmoign

quelque hsitation, ayant des craintes pour la scurit de son gage.

Aujourd'hui elle n'en prouve plus aucune. Tout se passe vite et

trs rgulirement. Entr dans le cabinet du directeur de la succur

sale d'Alger n'ayant que la qualit de propritaire ventuel de sa

concession, le colon en sort muni de son titre de propritaire dfi

nitif, quand il a, sance tenante, remis au reprsentant de la socit,

sur l'argent qu'il vient de recevoir, le montant de sa dette. Le plus

souvent, il lui reste encore une petite somme qu'il peut appliquer

son exploitation agricole. Onme dit que M. Tirman est en traind'tu

dier un ensemble de mesures qui auraient pour effet d'arriver aux

mmes rsultats ; dans l'intrt de la colonisation, je m'en rjouirais

beaucoup.

Page 80: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

74 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

On voudra bien reconnatre que je n'ai pas pris sur moi de pro

poser de mon chef les modifications qu'il conviendrait d'introduire

dans le projet de loi des 50 millions. Elles ressortent avec une vi

dence qui me parat manifeste soit du rcit que j'ai fait des exp

riences autrefois tentes sans succs, soit de l'expos des discus

sions ouvertes au sein du conseil suprieur, et qu'en raison de leur

importance, j'ai galement tenu reproduire avec quelque tendue.

Mais si l'on taitdcid ne pas retomber dans les erreurs du pass,

si l'on consentait tenir comptedes sages avis de tant d'hommes con

sidrables dont on ne saurait nier la comptence et les lumires, je

ne me sentirais pas autrement effray de cet octroi d'une grosse

somme d'argent destine continuer l'uvre officielle de la colonisa

tion. Les reprsentans de l'Algrie remplissent un rle naturel et qui

leur fait honneur, quand ils cherchent provoquer la gnrosit du

parlement en faveur de notre colonie, mais je crois qu'ils en sont

malencontreusement sortis le jour o ils ont produit un programme

d'excution labor de toutes pices au sein d'une commission du

budget et qu'ils empitaient ainsi sur les prrogatives les plus essen

tielles de tout gouvernement tenant tant soit peu se faire respecter.

Quant la combinaison en elle-mme qui rpartirait unifor

mment, et par quotitgale, les 50 millions et les trois cents fermes

entre les trois dpartemens d'Alger, d'Oran et de Constantine, elle

est vraiment inacceptable; elle irait mme contre les intrts

bien compris de ces trois rgions, dont la situation conomique est

assez diffrente. Le dpartement de Constantine o se rencontre,

par bonne fortune, le plus grand nombre des terres utilisables du

domaine est minemment propre la culture. Le mouvement de

la 'ville et de la province d'Oran est, quant prsent, plutt com

mercial et industriel. Alger, avec sa capitale o rsident les hauts

fonctionnaires de l'administration et qui attire tant d'trangerspai-

la douceur de son climat et par la gracieuse beaut de ses environs,

participe de la nature des deux dpartemens entre lesquels il est

plac. S'il convenait d'accorder quelques compensations aux deux

provinces les plus pauvrement dotes sous le rapport des centres

constituer, c'est au gouverneur qu'il faudrait s'en remettre de cette

tche. A lui d'aviser sous sa responsabilit ; et, de bonne foi, il

n'aura que l'embarras du choix. Est-ce que, pour venir efficace

ment en aide la colonisation, il n'y a pas d'autres moyens

employer que la cration de nouveaux villages? Les voies de

communication se rattachant aux stations de chemins de fer ne

manquent-elles pas un peu partout en Algrie? La scurit yest-

elle aussi complte qu'on pourrait le souhaiter et le dicton mis

de vieille date en circulation, d'aprs lequel une jeune fille pour-

Page 81: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. Ib

rait parcourir toutes nos possessions africaines de Tunis au Maroc

avec une couronne d'or sur la tte, n'est-il pas singulirement

exagr? Les Arabes ne sont pas dtrousseurs de grands che

mins, il est vrai, mais ce sont d'habiles voleurs de bufs, et ilssavent trs bien comment s'y prendre pour rcolter, pendant la

nuit, des moissons qu'ils n'ont pas semes. Il y aurait tout avan

tage ce que, sur l'ensemble des fonds considrables qu'on va pro

bablement mettre sa disposition, M. Tirman ft autoris en

dpenser une portion dans les dpartemens d'Alger, d'Oran, et

mme un peu partout, afin d'ouvrir des chemins donnant accs aux

terrains o l'on voudrait introduire la culture europenne. Les

localits auraient tort de se plaindre qui, au lieu de quelques vil

lages nouveaux, verraient s'tablir leur porte quelques brigades

de gendarmerie. Je ne veux pas dire de bons et honntes gendarmes

accoutrs du lourd uniforme franais, se promenant deux deux

sur les routes, afin de porter les dpches des autorits et verba

liser, le cas chant, sur les dlits dont ils sont par hasard tmoins.

J'entends parler des gendarmes auxiliaires, vtus comme les indi

gnes, parlant leur langue, et capables de surveiller et d'atteindre

partout les dlinquans. Pour les dtails des mesures prendre, les

meilleurs juges ne sont-ils pas le gouverneur gnral qui est sur les

lieux et les fonctionnaires placs sous ses ordres? C'est ici qu'il

importe de faire la part large, sauf contrle, aux agens d'excution.

Le pire serait d'arriver, avec ou sans parti-pris, la confusion des

pouvoirs et de vouloir administrer, de Paris, notre colonie afri

caine la faon dont trop de dputs tendent grer les affaires

de leur arrondissement. Alger, Oran, Constantine, c'est un peu

plus que Carpentras, Brives-la-Gaillarde, ou Quimper-Gorentin, et

beaucoup de bons esprits, je crois pouvoir ajouter, beaucoupd'ex-

cellens rpublicains, rpugneraient extrmement voir le gou

vernement de l'Algrie indirectement remis aux mains de ses

reprsentans.

Parlons en toutevrit : l'opinion publique at surprise et dsappointe, je ne voudrais pas dire scandalise, quand elle a appris

quelles conclusions tait arrive la commission spciale forme, le

24 novembre 1880, par M. Constans, ministre de l'intrieur l'effet

d'tudier les modifications apporter au fonctionnement du gou

vernement de l'Algrie, commission dans laquelle figuraient les

snateurs et les dputs de l'Algrie. Cette commission s'est divi

se en deux sous-commissions charges : la premire de s'occuper

du rgime des lois et dcrets ainsi que du rle et des attributions

du gouverneur-gnral (les snateurs et dputs en faisaient par

tie) ; la seconde avait pour mission d'tudier le rattachement des

Page 82: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

76 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

services administratifs de l'Algrie aux ministres correspondans.

A la nouvelle de la nomination de cette commission extra-parle

mentaire, l'moi fut grand en Algrie, particulirement au sein du

conseil suprieur, qui tait en pleine session, et plus particulire

ment encore parmi les dlgus lus des conseils gnraux. Le

mouvement d'opinion contre ce qui se prparait Paris fut trop vif

pour que les membres de droit et les chefs des services publics

songeassent s'y opposer. Tout le monde se trouva d'accord pour

envoyer immdiatement M. le ministre de l'intrieur et au gou

verneur gnral une dpche tlgraphique mettant le vu :

qu'aucune dcision de principe sur les questions d'organisation

de l'administration algrienne ne ft prise avant que le conseil

suprieur ait pu formuler en temps utile son avis sur les solu

tions intervenir (1). Les dlgations des trois dpartemens

furent invites, sance tenante, se runir pour exprimer, avec

l'autorit qui leur appartenait , leur conviction profonde et rai-

sonne sur les dangers de l'amoindrissement des pouvoirs du gou

verneur gnral et du rattachement des grands services publics

la mtropole (2). La dmarche n'tait pas inopportune, mais elle

devait avoir le dsagrment de n'amener, en ralit, aucun rsultat.

Ce qui, de l'avis des dlgus du dpartement de Constantine, ren

dait la protestation indispensable, c'est que les snateurs et les

dputs, isols comme ils sont par les exigences de leur mandat,

et obligs rsider Paris, tendaient naturellement y ramener

la solution de toutes les affaires (3).

Par malheur, les votes des reprsentans de l'Algrie au sein de

la commission spciale ont prouve que l'on ne s'tait pas tropmpris

Alger sur leurs vritables intentions. En effet, tandis qu'ils n'ont

montr que froideur pour s'occuper des questions relatives l'organi

sation du gouvernement de l'Algrie, au rle et aux attributions du

gouverneur gnral, ils ont, au contraire, tmoign de la plus extrme

ardeur au sujet des rattachemens. Onet dit qu'ils n'avaient rien tant

cur que de diminuer la position de M. Albert Grvy en se don

nant toutes facilits pour pouvoir, en dehors de lui et par-dessus

sa tte, traiter directement, Paris, toutes les affaires de l'Algrie

avec les chefs de service de nos divers ministres. Un seul com

missaire, M. Jacques, alors dput, nomm depuis snateur, prit

sur lui de rappeler qu'en plein empire, une poque o l'on ne

(1) Procs-veibaux des dlibrations du conseil suprieur (session de dcembre 1880,page 23).

(2) Ibid., page 294.

(3) Procs-verbaux du conseil suprieur (dcembre 1880, p. 30).

Page 83: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE. 77

songeait nullement rtablir le ministre de l'Algrie, la commission de 1869 avait dcid, sur le rapport de M. Bhic : , que le

gouverneur gnral aurait rang de ministre et qu'il serait respon

sable de ses actes devant les chambres, tout en continuant rsi

der Alger. Aujourd'hui, ajoutait M. Jacques, nous ne savons pas

quel est le ministre que nous pouvons interpeller devant les cham

bres (1). Il parat que la mesure propose en 1869 tait tropimprudente. Des scrupules surgirent, et le ministre la dnona

comme inconstitutionnelle. Devant cette dclaration, la commission

s'arrta court; cependant plusieurs de ses membres exprimrent

le dsir qu'il ft pris acte du regret qu'ils prouvaient de ne

pouvoir tablir la responsabilit ministrielle (2).

A Alger, les dlgus des conseils gnraux furent infiniment

plus hardis. Je ne saurais taire la joie que j'ai prouve les

entendre proclamer hautement une vrit qu' plusieurs reprises

j'ai cru de mon devoir de porter, bien inutilement, la tribune :

Proccups, disait le rapporteur, d'numrer les amliorations

indispensables au bon fonctionnement des pouvoirs du gouverneur

gnral, nous les rsumons ainsi : Le gouvernement dc l'Algrie

doit former un dpartement part avec un budget particulier el un

gouverneur responsable devant les deux chambres... Il leur semblait

galement ncessaire que le gouverneur gnral ft l'intermdiaire

des relations politiques de la France avec Tripoli, Tunis et le

Maroc. Ces conclusions taient adoptes l'unanimit. Une fois de

plus, les membres du conseil suprieur ont fait preuve de cette clair

voyance qui s'acquiert par la pratique des affaires. Leur vote tmoigne

de la faon juste autant qu'leve dont ces hommes de sens et d'ex

prience comprennent le rle d'un gouverneur gnral de l'Algrie.

Pour le bien remplir, combien d'aptitudes diverses sont ncessaires!

Il y faut un homme capable, sinon de diriger lui-mme les expdi

tions militaires, tout au moins de les concevoir propos et de les

bien prparer, se connaissant en administration et qui soit, enmme

temps, un trs habile politique. Son habilet ne lui sera pas seule

ment de secours quand il lui faudra ouvrir, de tempi autre, des

ngociations avec l'empereur du Maroc ou le bey de Tunis, il en

aura journellement besoin dans ses rapports avec les Arabes.

Ceux-l connaissent mal l'Algrie, qui se figurent que nous

sommes libres d'y appliquer partout avec une rgularit uniforme

nos procds ordinaires de gouvernement. Il n'en est rien. La diver-

(1) Procs-verbaux de la sance de la commission administrative de l'Algrie

(sance du 6 janvier 1881).

(2) Ibid.

Page 84: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

78 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE.

site des sentimens et des habitudes de sa population n'est pas moins

frappante que celle de la configuration de son sol. Il n'y a pas plus

de ressemblance entre les habitans de lagrande Kabylie, fixs dans

leurs petits villages btis en pierres, et les peuplades errantes du

Sahara, qu'entre les montagnes abruptes du Jurdjura, couvertes de

neige pendant trois mois de l'anne, cultives jusqu' leur sommet,

et les plaines de sable brlant du Saharao les chameaux des cara

vanes trouvent peine brouter quelques maigres broussailles. Les

mesures acceptes sans trop de rpugnance par les indignes de

race berbre, qui sont monogames et dont les tendances dmocra

tiques se rapprochent des ntres, courraient risque d'tre fort mal

reues, hors du Tell, par les chefs des grandes tentes, fort respects

des multitudes qu'ils commandent et qui vivent un peu la manire

des patriarches de l'ancien Testament. Ce sont puissances avec les

quelles il faut continuellement traiter sans se dpartir d'une bienveil

lance attentive, prte cependant se faire, au besoin, respecter pardes actes d'nergie.

Quand je songe tant de qualits requises pour se bien acquit

ter de semblables fonctions, si graves et si dlicates, je comprends

difficilement la situation d'esprit de ceux pour qui tout se rsume

dans la question de savoir si le gouverneur gnral sera un per

sonnage civil ou militaire. J'avoue que cette alternative me laisse

passablement indiffrent. D'autres vont plus loin. A leurs yeux, la

valeur du gouverneur gnral peut exactement se mesurer au

degr de son amour pour la rpublique et de son aversion pour

le clricalisme. Voil deux faons de voir qui simplifient beaucouples choses, mais elles ne sont ni l'une ni l'autre mon usage. J'ai

mes opinions politiques, qui n'ont, d'ailleurs, rien d'absolu,et je

les garde; j'ai des prfrences, dont je ne me cache pas, pour une

forme de gouvernement qui n'est pas actuellement celle qui nous

rgit, mais j'aurais honte si, au cours de cette tude, j'avais laiss

entamer la libert de mes jugemens sur les choses et sur les hommes

de l'Algrie par des considrations de cette nature. Que le gouver

neur gnral soit civil ou militaire, il m'importe peu, mais je tiens

l'unit dans la direction pour indispensable, quel que soit l'uniforme,

et je veux que l o sera le pouvoir effectif, l aussi on rencontre

une responsabilit efficace. Que le gouverneur gnral passe,

tort ou raison, pour avoir les sympathies de telle ou telle fraction

des partis qui nous divisent, je ne m'en soucie pas davantage. A

mon sens, le gouvernement qui servira le mieux les intrts de

l'Algrie sera celui qui s'affranchira le plus compltement dans ses

choix de la tendance, trop frquente chez nous, parmi lessouverains

du jour, de vouloir avant tout obliger leurs amis du premier degr:

Page 85: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 79

Je crois, par exemple, que legnral Cavaignac, un militaire et un

rpublicain, aurait t un fort convenable gouverneur gnral de

l'Algrie pour le gouvernement de 1830, et que la rpublique de

1870 ne se serait point mal trouve d'avoir choisi pour occuper cette

situation M. de Chasseloup-Laubat, un civil, qui a fait un excellent

ministre de la marine sous l'empire. Aux yeux de nos sujets musul

mans, un militaire aura toujours plus de prestige cause de l'pe

qu'il porte son ct, mais il y a plus d'unemanire de conqurir

le prestige. M. de Lesseps, si je puis parler des vivans aprs les

morts, M. de Lesseps, si connu et si populaire dans tout l'Orient, si

plein d'initiative hardie, qui monte cheval comme un Arabe, qui

parle leur langue et qui les a tant manis, tait un gouverneur tout

dsign pour notre colonie algrienne. J'ai appris de sa propre

bouche qu'il aurait accept la position si elle lui avaitt propose ,

mais qu'on ne lui avait pas fait l'honneur de la lui offrir. Je m'ar

rte. Si Algrien que je sois, je n'en suis pas encore venu vouloir

imposer, que dis-je? indiquer aucun nom propre au gouverne

ment. Mon avis est, d'ailleurs, qu'il est dsirable que les gouver

neurs gnraux de l'Algrie restent longtemps leur poste. Je pense

mme qu'ils ne devraient pas tre changs, non plus que les minis

tres de la guerre et de la marine, chaque nouvelle volution

ministrielle, parce que la dure dans la fonction est pour eux une

condition de succs. J'ai regrett l'amiral de Gueydon quand il est

parti; j'ai regrett aprs lui le gnral Chanzy; je suis persuad,

n'en dplaise ses dtracteurs, que M. Albert Grvy valait mieux

comme administrateur, au moment de son dpart que le jour de son

arrive. U est probable, si l'on venait le remplacer, que je regret

terais galement M. Tirman. U n'a eu, lui, rien apprendre en

tant qu'administrateur, mais il lui fallait faire connaissance avec le

pays et avec les habitans, besogne essentielle qu'il est en train

d'accomplir actuellement.

Je ne suis pas seul d'ailleurs,en ce qui concerne l'Algrie,

avoir cette involontaire libert d'esprit, et je puism'

autoriser d'un

assez fameux exemple. J'tonnerais probablement la plupart des

organes de la presse algrienne qui ont fait, dans le pass, une

guerre si acharne M. l'amiral de Gueydon, parce qu'ils le consi

draient comme un affreux ractionnaire clrical, si je leur disais qu'il

est ma connaissance que M. Gambetta les a devancs dans la jus

tice qu'avec bon got ils ont fini plus tard par rendre celui des

gouverneurs de l'Algrie qui a peut-tre le mieux servi la cause de

la colonisation. En sont-ils ignorer que c'est M. Gambetta qui a fait

adjuger au cardinal de Lavigerie, pour l'aider dans sa propagande

catholique et franaise, la somme de 50,000 francs, qui, par je ne

Page 86: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

80 LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE.

sais quelle timidit de ses collgues, n'a pas.t inscrite au budget,mais honteusement dissimule au chapitre des fonds secrets? Leur

surprise aurait redoubl sans doute s'ils lui avaient entendu racon

ter comment il n'avait jamais t mieux renseign sur les affairei;;de l'Algrie et de la Tunisie que par ses conversations avec le .pre

Charmetan, le second de l'archevque d'Alger dans la direction- de

nos missionnaires d'Afrique, et je sais, defaon'

n'en pouvoir

douter, que ce mme pre Charmetan avait t charg par lui de

s'informer si l'amiral de Gueydon consentirait reprendre le gouver

nement de l'Algrie, auquel on pourrait joindre les affaires de la

Tunisie, car, disait-il, il n'y a que les choses faites par l'amiral qui

aient dur.

Pas plus queM. Gambetta, je ne voudrais moi-mme tre exclusif.

Les promoteurs de la loi des 50 millions, et les ministres qui. l'ont.endosse avec une rare docilit, ne m'ont point pour adversaire intrai

table. Je suis plutt une sorte d'auxiliaire, car j'accepte, en raison

de l'tat prsent des choses, qu'on ait encore recours, pour un temps,

la colonisation par les mains de l'tat, la condition toutefois qu'il

cde bientt la place, de bonne grce, l'initiative prive, qui est

la seule continuellement effective et rellement puissante. C'est l'im

portance du chiffre qu'on veut immdiatement y consacrer, et le

mrite de la combinaison financire au moyen de laquelle on arrive^

l'obtenir, qui font doute mes yeux. J'ai particulirement

tion l'ingrence irrgulire, presque inconstitutionnelle, d'une

commission du budget de la chambre des dputs, prenant sur elle

de tracer tout un programme excuter par des moyens trop par

faitement systmatiques pour correspondre au vritable tat des

choses, en tous cas, extrmement coteux, et j'ai fait effort pour

indiquer, enm'

appuyant de l'avis d hommes plus expriments;*

que moi et placs sur les lieux, comment il ne serait peut-tre pas

impossible d'arriver plus vite, plus simplement et plus conomi

quement aux mmes rsultats.

Quoi qu'il en advienne, tous ceux qui, dans notre parlement, par

leurs rapports et leurs discours, ou bien, en Algrie, par la voie de la

presse, se sont efforcs de mettre cette question de la colonisation

l'ordre du jour de l'opinion publique ne sauraient tre dsapprou

vs. Leur intervention aura de toute faon t utile, alors mme

qu'elle n'aurait obtenu d'autre rsultat que d'appeler l'attention du

pays sur la belle colonie place vis--vis de nos ports delMditer

rane et qui, coup sr, vaut la peine qu'on s'occupe d'elle pourelle-

mme. Cependant, le service rendu serait plus grand encore si, comme

plusieurs l'esprent, nous tions au dbut d'une re nouvelle pendant

laquelle la rpublique se donnerait pour mission d'aller fonder au

Page 87: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGRIE. 81

loin des tablissemens commerciaux semblables ceux que nous pos

sdions autrefois et que nous avons perdus. Alors, il est vident que

c'est en Algrie que nous aurons faire notre apprentissage de

grande puissance colonisatrice. C'est parmi les troupes dj habi

tues bivouaquer dans les vastes espaces du dsert africain que

nous auronschance*

de recruter des corps spciaux, faciles mobi

liser, se composant de soldats pas trop jeunes, lestes la marche,

durs la fatigue, tels que ministres et commissions parlementaires

cherchent aujourd'hui les organiser afin qu'ils aillent porter fire

ment notre drapeau au Soudan, au Sngal, la Nouvelle-Guine,au Congo, Madagascar, en Cochinchine et au Tonkin. C'est

notre personnel de fonctionnaires algriens qu'il faudra nous adresser

pour qu'il nous forme le plus tt possible une ppinire de jeunes

administrateurs, assez rompus au mtier pour faire accepter leur

autorit personnelle par les habitans des pays que je viens de

nommer, et capables d'asseoir solidement notre domination parmi

des populations demi sauvages que nous trouverons peut-tre

aussi rcalcitrantes que les Arabes se ployer de prime abord aux

exigences de la civilisation moderne.

En tout cas , soit que l'on continue considrer notre conqute

de 1830 comme ayant pour longtemps encore des droits presque

exclusifs notre sollicitude, soit qu'on prfre en faire un champd'exprience et la prendre comme point de dpart pour de plus loin

taines entreprises, il est temps, et grand temps, que la France sache

dcidment ce que nos ministres et notre parlement entendent faire

de l'Algrie.

FIN

Page 88: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions
Page 89: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions
Page 90: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions
Page 91: univ-alger.dzbiblio.univ-alger.dz/jspui/bitstream/1635/237/1/22399.pdf · LA COLONISATION OFFICIELLE EN ALGERIE 1. ESSAISTENTESDEPUISLA CONQUETE. Ceuxdenoscompatriotesquisesontfixsdansnospossessions

I

RESI

!

-r-^

Parti. Imprimer! Pb. Dose, 3, ruo Aubor