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UNIVERSITÉ DE ROUEN Ŕ FACULTÉ DES SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION - CAMPUS NUMÉRIQUE FORSE LA QUESTION DU TRANSFERT DANS LA RELATION PÉDAGOGIQUE: POUR UNE PRISE EN COMPTE DE PROCESSUS PSYCHIQUES INCONSCIENTS DANS LES PRATIQUES ENSEIGNANTES Sous la direction de M. Jean-Luc RINAUDO Professeur à l'Université de Rouen M. Philippe DESSUS Professeur à l'Université Joseph Fourier de Grenoble Laboratoire CIVIIC MÉMOIRE DE RECHERCHE PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DU MASTER 2 DE RECHERCHE EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION PAR MARIE LIÉVAIN ROUEN Année académique 2011-2012

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UNIVERSITÉ DE ROUEN Ŕ FACULTÉ DES SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ

DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION - CAMPUS NUMÉRIQUE FORSE

LA QUESTION DU TRANSFERT DANS LA RELATION PÉDAGOGIQUE:

POUR UNE PRISE EN COMPTE DE PROCESSUS PSYCHIQUES

INCONSCIENTS DANS LES PRATIQUES ENSEIGNANTES

Sous la direction de

M. Jean-Luc RINAUDO

Professeur à l'Université de Rouen

M. Philippe DESSUS

Professeur à l'Université Joseph Fourier de Grenoble

Laboratoire CIVIIC

MÉMOIRE DE RECHERCHE

PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DU MASTER 2 DE RECHERCHE

EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION

PAR

MARIE LIÉVAIN

ROUEN Année académique 2011-2012

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REMERCIEMENTS

À ma fille de neuf ans...

C'est ici que je tiens à témoigner toute ma gratitude aux personnes qui ont contribué, par l'aide

qu'ils m'ont apportée, à mener à bien ce mémoire de recherche.

Tout d'abord, M. Jean-Luc Rinaudo dont le mode de suivi a été une mise œuvre de ce à quoi

nous avons abouti au terme de ce travail. Avec confiance, il m'a guidée de telle façon à promouvoir

mon autonomie et ce, en faveur de la construction de ma propre pensée.

Ensuite, M. Philippe Dessus pour ses conseils si avisés, dans une démarche d'accompagnement

toujours très individualisée, ainsi que pour ses encouragements très stimulants.

Bien sûr M. Guy de Villers pour sa présence et pour tout son soutien. Je lui suis reconnaissante

de m'avoir donné l'envie de savoir quelque chose de la psychanalyse lacanienne, ainsi que de tous

ses enseignements dont j'espère pouvoir encore bénéficier longtemps...

Mais aussi Mme Irène Bocquet, ainsi que M. Christophe Adam pour leur intérêt et leur grande

disponibilité dans le cadre de ce travail de recherche.

Et enfin, à mes proches de toute leur aide, et tout particulièrement à ma fille de son immense

patience...

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Résumé : « La question du transfert dans la relation pédagogique : pour une prise en compte des

processus psychiques inconscients dans les pratiques enseignantes », par Marie LIÉVAIN.

Ce travail a pour objet l'étude des phénomènes transférentiels dans la relation pédagogique, selon

une démarche clinique d'orientation psychanalytique (Blanchard-Laville et al., 2005). L'intention

est d'interroger comment, dans le champ pédagogique, s'articulent et se mobilisent les demandes et

les désirs des partenaires du processus enseigner-apprendre, et de tenter d'y relever les indices

d'enjeux inconscients en termes de transfert de ce rapport. Pour ce faire, nous avons procédé à une

lecture, à référence psychanalytique, des phénomènes transférentiels dans la relation pédagogique,

à partir de discours d'enseignants recueillis par entretiens non-directifs et par certaines observations

sur le terrain scolaire. Nos hypothèses interprétatives émanent d'une démarche exploratoire à visée

compréhensive, telles qu'induites de l'observation des dynamiques transférentielles chez les sujets.

Au départ, nous avons observé que l'émergence des transferts se produisait là où existait une

dissymétrie, une disparité subjective entre maître et élève en termes de position, de rôle, de place,

par rapport au savoir. Le rapport pédagogique se joue dès lors dans une relation imaginaire à l'autre,

éminemment duelle, vécue soit sur le mode de la rivalité, soit de l'intrusion envahissante, soit de

l'énamoration. C'est seulement par l'inscription de la médiation symbolique par le tiers, comme

support de la loi qui énonce un interdit structurant et au transfert du transfert, que la logique

imaginaire peut être désamorcée et que l'élève peut accéder au registre symbolique, par une activité

implantée dans le réel que déterminent la culture, la loi et le langage. La problématique du transfert

dialectisée avec le désir du sujet se voit réarticulée avec celle de la médiation. Car si le transfert

réactualise des désirs refoulés liés à des imagos en s’opérant sur des objets actuels, la fonction de

médiation consiste à réaliser l’intervention d’objets qui soient autant d’éventuels pôles

d’investissement, de possibles pôles de transfert (Imbert, 2005). Autant de réseaux symboliques

porteurs de cette loi fondatrice de « l'obligation à l'échange » à travers laquelle s'articule un désir et

une parole (Imbert, 1993). Les enseignants en viennent à élaborer une praxis de la médiation en

réponse au transfert, autour de cette obligation permettant, d'une part, la séparation et, d'autre part,

l'alliance. Ainsi, l'enseignant est lui-même amené à subir en premier l’efficace de la castration, la

marque de la loi qui brise son illusion de toute-puissance, condition pour que quelque chose d'un

trait symbolique puisse se transmettre chez l'élève. Ce trait distinctif peut relever de la loi du

langage établi par le maître dans la classe donnant « accès à une parole vraie » (Oury & Vasquez,

1967), comme de son désir de savoir, alors support à la construction chez l'élève de son propre

rapport au savoir. Ce travail de recherche met en avant des questions fondamentales dans les

pratiques enseignantes, dont celles qui concernent le maniement de la relation maître-élève.

Mots clés : Champ pédagogique, psychanalyse, relation maître-élève, transfert, désir, groupe-

classe, médiation symbolique.

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 2

INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................................... 6

PREMIÈRE PARTIE. CONSTRUCTION DE L'OBJET DE RECHERCHE ....................................... 8

I. PROBLÉMATIQUE ...................................................................................................................... 9

I.1. CONSTATS-PROBLÈMES (Stagiaire, intérimaire) ............................................................. 9

I.2. QUESTION DE DÉPART ................................................................................................... 10

I.3. CHAMP D'ÉTUDE .............................................................................................................. 11

I.4. OBJECTIF DE RECHERCHE ............................................................................................ 12

II. DÉFINITION DU CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE ........................................... 13

II.1. PÉDAGOGIE ET « CHAMP PÉDAGOGIQUE » ............................................................. 13

II.2. DE LA PSYCHANALYSE ? .............................................................................................. 14

II.2.1. DE LA CLINIQUE À LA THÉORIE ANALYTIQUE ............................................... 14

II.2.2. DES CONCEPTS CLÉS DE LA PSYCHANALYSE ................................................ 16

A. Le transfert ................................................................................................................... 16

A.1. Le transfert chez Freud......................................................................................... 16

a) La première topique .......................................................................................... 16

b) La seconde topique ........................................................................................... 17

A.2. Le transfert dans l’enseignement de Jacques Lacan ............................................ 18

B. Le désir inconscient ..................................................................................................... 21

C. Le transfert du transfert ................................................................................................ 22

II.3. QUELLE CONTRIBUTION DE LA PSYCHANALYSE À LA PÉDAGOGIE ? ............ 23

II.4. LES ENJEUX ÉPISTÉMOLOGIQUES DES RECHERCHES CLINIQUES

D’ORIENTATION PSYCHANALYTIQUE EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION .................. 24

II.4.1. La légitimité des travaux de recherche cliniques d'orientation psychanalytique ........ 25

II.4.2. La subjectivité du chercheur d'orientation psychanalytique ....................................... 27

II.4.3. La validité des travaux de recherche cliniques d'orientation psychanalytique ........... 28

II.5. LA PSYCHANALYSE COMME INSTRUMENT DE RECHERCHE? ........................... 29

III. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ............................................................................. 30

III.1. DÉMARCHE DE RECHERCHE ..................................................................................... 30

III.2. L'ENQUÊTE ..................................................................................................................... 31

III.3. RECUEIL DE DONNÉES ................................................................................................ 32

III.3.1. Recueil de données par observation .......................................................................... 32

III.3.2. Recueil de données par entretien ............................................................................... 33

III.4. TRAITEMENT DES DONNÉES ..................................................................................... 35

III.5. ANALYSE DU RECUEIL DES DONNÉES .................................................................... 36

III.6. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS .......................................................................... 37

III.7. VÉRIFICATION DES RÉSULTATS/HYPOTHÈSES ...................................................... 37

DEUXIÈME PARTIE. RÉALISATION DE LA RECHERCHE ......................................................... 38

CHAPITRE I. LE JEU DES DÉSIRS DANS LE CHAMP PÉDAGOGIQUE .............................. 39

SELON L’APPROCHE ANALYTIQUE ........................................................................................ 39

I.1. LE DÉSIR DANS LA RELATION PÉDAGOGIQUE ........................................................ 40

I.1.1. AU-DELÀ DE LA DEMANDE ................................................................................... 40

I.1.2. DU DÉSIR DE L'ENSEIGNANT AU DÉSIR D'ENSEIGNER .................................. 44

I.1.3. L'IMAGE DE SOI-ENSEIGNANT AU TRAVERS DE L'IMAGE DE SOI-ÉLÈVE. 44

I.1.4. DU DÉSIR DE L'ÉLÈVE AU DÉSIR DE SAVOIR ................................................... 48

I.1.5. DU DÉSIR AU PLAISIR D'ENSEIGNER .................................................................. 50

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I.1.6. LE DÉSIR D'ENSEIGNER : EMPRISE OU MAÎTRISE? ......................................... 52

I.1.7. DU DÉSIR D'ENSEIGNER À LA SÉDUCTION PÉDAGOGIQUE ......................... 54

CHAPITRE II. LE TRANSFERT ................................................................................................... 60

II.1. LE CONCEPT DE TRANSFERT : DE LA CURE ANALYTIQUE au CHAMP

PEDAGOGIQUE ....................................................................................................................... 60

II.2. DÉPLIAGE DU CONCEPT ANALYTIQUE DU TRANSFERT DANS LE CHAMP

PÉDAGOGIQUE ....................................................................................................................... 61

II.2.1. LE POUVOIR DE LA PAROLE ................................................................................ 61

II.2.2. LA NAISSANCE DU TRANSFERT ......................................................................... 62

II.2.3. L’AMOUR DE TRANSFERT .................................................................................... 64

II.3. LE TRANSFERT DANS LE CHAMP PÉDAGOGIQUE ................................................. 67

II.3.1. LE MAÎTRE, OBJET DE TRANSFERTS ................................................................. 68

II.3.2. TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT CHEZ L'ENSEIGNANT ..................... 71

II.3.3. QUE FAIRE DES TRANSFERTS? ........................................................................... 74

CHAPITRE III. POUVOIR ET GROUPE ..................................................................................... 81

III.1. DU POUVOIR à L'AUTORITÉ ....................................................................................... 81

III.1.1. AUTORITÉ ............................................................................................................... 84

III.1.2. SYMÉTRIE/ASYMÉTRIE ....................................................................................... 85

III.2. UN MAÎTRE-GUIDE ? .................................................................................................... 86

III.3. GROUPE-CLASSE ET MAÎTRE .................................................................................... 93

III.3.1. LE MAÎTRE, EN TANT QUE PERSONNE CENTRALE ....................................... 93

III.3.2. LA FORMATION DU GROUPE .............................................................................. 94

CHAPITRE IV. LOI DU DÉSIR ET MÉDIATION SYMBOLIQUE .......................................... 103

IV.1. CAS DE L’ÉLÈVE VINCENT PRESENTÉ PAR CHANTAL....................................... 104

IV.1.1. DÉSIR DU SUJET et TRANSFERT ....................................................................... 105

IV.1.2. AU NON de L'INTERDIT! et MÉDIATION SYMBOLIQUE PAR LE TIERS ..... 106

IV.1.3. MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT de TRANSFERT ........................ 107

IV.1.4. CONFUSION IMAGINAIRE, MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT par

la PAROLE .......................................................................................................................... 109

IV.2. CAS DE L’ÉLÈVE VIRGINIE PRÉSENTÉ PAR FRÉDÉRIC ...................................... 114

IV.2.1. DÉSIR DU SUJET et TRANSFERT ....................................................................... 115

IV.2.2. AU NON de L'INTERDIT! et MÉDIATION SYMBOLIQUE PAR LE TIERS ..... 117

IV.2.3. MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT de TRANSFERT ........................ 119

IV.2.4. CONFUSION IMAGINAIRE, MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT par

la PAROLE .......................................................................................................................... 122

IV.3. CAS DE L’ÉLÈVE CAROLINE PRÉSENTÉ PAR SYLVIE ......................................... 125

IV.3.1. DÉSIR DU SUJET ET TRANSFERT ..................................................................... 126

IV.3.2. AU NON DE L’INTERDIT ! et MÉDIATION SYMBOLIQUE PAR LE TIERS .. 128

IV.3.3. MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT DE TRANSFERT ....................... 129

IV.3.4. CONFUSION IMAGINAIRE, MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT par

la PAROLE .......................................................................................................................... 130

CONCLUSION GÉNÉRALE ....................................................................................................... 132

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................ 140

ANNEXES : DEUXIÈME CAHIER ............................................................................................ 146

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

« La part que j'ai prise personnellement dans cette application de la psychanalyse a

été très mince. Très tôt j'avais fait mienne la boutade des trois professions impossibles

- à savoir : éduquer, soigner, gouverner -, j'étais du reste suffisamment absorbé par la

deuxième de ces tâches. Mais je ne méconnais pas pour autant la haute valeur sociale

que le travail de mes amis pédagogues est en droit de revendiquer ».

FREUD S., Œuvres complètes, t. XVII, Paris : PUF, 1992, p. 159.

Ces mots célèbres que Freud adressait aux lecteurs d'Auguste Aichorn, dans sa préface de Jeunesse

à l'abandon en 1925, condensent avec force et selon une actualité marquée le propos de notre étude.

Il y aurait quelque chose d'impossible dans le métier de l'éducateur et, partant, dans celui de

l'enseignant(e). Mais de quel impossible s'agit-il? Il y a de fait, au cœur de la relation maître-élève,

une indétermination fondamentale voire structurelle qui, aux dires des enseignants, se situent « au-

delà », « touche au plus profond », « au plus intime du sujet ». Cet impossible, nous avons voulu

l'interroger au plus près dans la relation qui s'inscrit entre un enseignant et un élève.

Ainsi dans une première partie, présentant la construction de notre objet de recherche, nous avons

fait état, dans le cadre de la problématique, de ce que nous avons observé lors de notre expérience

d'enseignement sur le terrain scolaire, en classe avec les élèves et hors classe avec les enseignants, à

savoir la marque d'un phénomène qui est inéliminable du lien pédagogique et que la psychanalyse a

nommé transfert. Ainsi, nous avons cherché à repérer les indices de la présence de phénomènes de

transfert dans la relation maître-élève et à comprendre ce qui les suscitait. Notre problématique de

recherche s'inscrit dans le cadre théorique où se croisent la pédagogie et la psychanalyse.

Après avoir défini le concept psychanalytique de transfert, du moins les dimensions utiles pour

l'exploration du champ pédagogique, nous avons procédé à un ré-examen épistémologique d'une

certaine « utilisation » de la psychanalyse dans le champ des recherches en sciences de l'éducation.

Cela a permis d'identifier les modalités d'usage des savoirs et découvertes issus de la clinique

analytique, en vue de préciser notre démarche empirique clinique de recherche et de construire

notre dispositif méthodologique. Nous justifions le choix d'une méthodologie a posterioriste,

impliquant les méthodes qualitatives de recueil et d'analyse des données empiriques, ainsi que de

notre outil de lecture interprétative. Un outil construit à partir de la théorie analytique freudo-

lacanienne, mais aussi de résultats de recherche clinique récents en sciences de l'éducation et de

textes d'analyses anciens issus de la Revue pour une pédagogie psychanalytique (1926-1937).

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Dans une seconde partie, présentant notre démarche de recherche, nous explorerons les catégories

conceptualisantes issues du traitement de notre matériel empirique.

Dans un premier chapitre, nous étudierons les désirs qui sont en jeu dans le rapport des partenaires

de la relation au savoir. Nous verrons quels sont les désirs tant chez le maître que chez l'élève qui

sous-tendent le processus d'enseignement-apprentissage. Comment jouent, s'articulent ces désirs où

l'inconscient joue son rôle? Qu'en est-il du désir du maître, de la façon dont il se constitue le

représentant, autrement dit le support de la fonction de savoir? Qu'en est-il également de ce que

suppose l'élève de son maître et de ce qu'il en désire quant au savoir ?

Dans un second chapitre, nous analyserons les phénomènes transférentiels et contre-transférentiels

dans la relation maître-élève. Nous observerons quelles sont les conditions d'émergence du transfert

dans la relation maître-élève, en vue d'en saisir les ressorts, les modalités, la signification. Qu'est-ce

qui suscite le transfert de l'élève sur l'enseignant ? Quels sont ces transferts et le rôle du désir dans

leur émergence? Comment peuvent-ils ou doivent-ils être pris en compte ? Comment y articuler des

transferts qui peuvent s'exprimer entre les élèves d'une classe?

Dans un troisième chapitre, nous étudierons ce qu'il en est du groupe maître-élève et des rapports de

pouvoir qui sont en jeu. Doit-on parler d'un maître en face d'un ensemble d'élèves, ou d'un maître

faisant partie intégrante d'un groupe d'élèves, au sein duquel il occupe une position spécifique?

Qu'en est-il des liens transférentiels des membres du groupe-classe au maître ? Peut-on observer

d'autres modes de relations et de fonctionnement du groupe-classe mobilisant le transfert de ces

transferts?

Dans un quatrième chapitre, nous procéderons à l'étude de cas présentés par les enseignants

interviewés, en y articulant l'ensemble de nos observations établies progressivement dans les

chapitres précédents et des hypothèses partielles induites de par leur mise en relation. Ceci nous

permettra de faire retour sur nos objectifs et notre problématique initiale en nous appuyant sur la

subjectivation par les enseignants de leur pratique professionnelle dans le cas d'une relation

transférentielle.

Ce travail de recherche n'a pas pour prétention d'aboutir à la définition de préceptes que la

pédagogie aurait à édicter, ni à la modélisation d'une typologie des usages du transfert ou de son

maniement par les enseignants. Il s'agit bien davantage de proposer un autre mode d'approche du

fait éducatif par la reconnaissance des phénomènes inconscients dans la relation pédagogique avec

lesquels les enseignants sont aux prises.

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PREMIÈRE PARTIE

CONSTRUCTION DE L'OBJET DE RECHERCHE

___________________________________________________

Le phénomène de transfert dans la relation pédagogique

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I. PROBLÉMATIQUE

I.1. CONSTATS-PROBLÈMES (Stagiaire, intérimaire)

Lors de mes expériences d'enseignement tant comme stagiaire dans le cadre de la formation de

futures puéricultrices, qu'en tant qu'enseignante intérimaire pour de futurs éducateurs spécialisés,

j'ai été confrontée à des adolescents dépressifs au parcours scolaire chaotique, inscrits dans une

filière de la dernière chance engendrant démotivation, violence, décrochage scolaire et dès lors,

l'échec. C'est également sur le terrain que j'ai découvert le désarroi des enseignants et éducateurs

scolaires face aux comportements dits irrationnels des étudiants ; des phénomènes marqués

d'affects, de projections, de défenses mais aussi de désirs latents échappant à tout entendement.

C'est dans ces deux contextes - en classe avec les élèves, hors classe avec les enseignants - que j'ai

réalisé que ces implications inconscientes pouvaient déterminer l’alliance ou le rejet de l'élève à

l'enseignant, mais aussi l'alliance ou le rejet par rapport à la matière enseignée, au savoir.

C'est dans mon implication sur le terrain pédagogique, à partir d'un travail réflexif d'auto-

observation et d'écoute des enseignants, que j'ai constaté que l'enseignant pouvait très bien être

investi affectivement par un élève, sans le savoir, sans en avoir conscience et constituer, ainsi, un

véritable objet de transferts ; tout comme l'élève susciter du contre-transfert chez l'enseignant.

Chacun constituant, dans un rapport d'intersubjectivité, une cible privilégiée sur laquelle soit

l'élève, soit l'enseignant va reporter ses affects et ses désirs les plus profonds, dont les motions

échappent ainsi à tout référentiel d'observation pédagogique et de fiches d'auto-analyse didactique.

La relation pédagogique fonctionnant, dès lors, sur base de phénomènes transférentiels non-

contrôlés, autrement dit sur des transferts qui, n'étant pas distincts dans leur phénomène de par leur

articulation commune, trouvent cependant leur origine dans les problématiques respectives chez

chacun des sujets.

Pour l’évoquer d'emblée, le travail du contre-transfert chez l'enseignant éliderait la possibilité

d'envisager ce qui fait la force de la plupart des témoignages que nous avons traités, soit

l'implication singulière du désir de l'enseignant. Ce désir inconscient constituerait, tant chez l'élève

que chez l’enseignant, le support sur lequel vont s'étayer les transferts dans le rapport maître-élève.

Cela nous amène à différencier, dès le départ, l'apport de la psychopédagogie classique et de la

psychanalyse à l'enseignement. G. Mauco dit à ce propos :

« La pédagogie ne s'intéresse pas à ce qu'est le maître, mais à l'élève seulement. Elle met à disposition du

maître des connaissances sur l'enfant, mais ne se préoccupe guère de la mentalité de l'enseignant, de sa

psychologie, de sa personnalité. » (Mauco, rééd. 1993, p. 177-179)

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A ce constat, Jean-Claude Filloux ajoute que

« les progrès actuels des sciences cognitives mises à la disposition des enseignants au niveau des

didactiques vont dans ce sens. Le maître devient une sorte d'abstrait supposé d'appliquer des méthodes

centrées sur « l'intelligence » de l'apprenant. Or, la psychanalyse permet une centration de la réflexion et de

la connaissance sur ce qu'il en est du maître dans la relation, de comprendre, voire d'expliquer ses attitudes

par rapport à l'enfant ou à l'adolescent. » (Filloux, 2000, p. 73)

I.2. QUESTION DE DÉPART

Les savoirs apportés par la clinique psychanalytique ainsi que les travaux de recherche réalisés dans

cette approche dans le champ pédagogique, interrogent leur connaissance par les enseignants eux-

mêmes, l'usage qu'ils peuvent en avoir, leur formation à cet usage dans le cadre de leur pratique.

Après tout, signale J. Ardoino, « l'une des finalités essentielles de l'éducation, tant en pédagogie

qu'en formation, tout comme celle de la psychanalyse, n'est-elle pas de contribuer à la conquête par

les différents sujets des moyens psychiques de leur autorisation? » (Ardoino, 1992, p. 6) Cette

autorisation est à appréhender comme le fait de l'auteur, de celui qui crée, qui réussit à se situer, lui-

même, comme étant à l'origine de son propre devenir. Aussi, dit Lacan, « chacun ne peut jamais

s'autoriser que de lui-même » (Autres écrits, 2001a, p. 247). Ainsi, par le biais d'une praxis,

l'enseignant est invité à se prendre en compte au travers d'un travail de recherche sur soi-même et

par soi-même et ce, en vue de donner du sens à son vécu (affects), à son expérience personnelle, à

sa pratique pédagogique (actes). Ce travail passe par la découverte et l'acceptation de l'« Autre » en

soi, - la partie étrangère à soi-même et proprement constitutive du sujet- et qui devra précéder celle

des « autres », identifiés comme extérieurs à soi (Ardoino, op.cit.). Dès lors, l'enseignant est à

appréhender en tant que Sujet au sens analytique du terme : un sujet aux prises avec son psychisme

inconscient l'empêchant d'être totalement « maître dans sa maison » (Blanchard-Laville, 2009, p.

12), lui imposant l'acceptation d'un deuil de la maîtrise absolue, de la toute-puissance en soi-même ;

un sujet détenteur d'un appareil psychique, avec ses instances, ses mécanismes propres, mais aussi

sa charge pulsionnelle, ses désirs et fantasmes et leur transfert.

Ainsi, dans la relation maître-élève, on peut observer des phénomènes spécifiques que la littérature

pédagogique d’orientation psychanalytique qualifie de « transférentiels ». Nous en venons à poser

la question suivante : « Qu'est-ce qui fait que surgissent, à un moment donné, dans la relation

maître-élève, des phénomènes de transfert ? »

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I.3. CHAMP D'ÉTUDE

Nous avons arrêté le champ de notre recherche à l’enseignement secondaire ordinaire de transition

et de qualification.

Premièrement, ce choix répond à la logique de notre question de départ qui interroge les

phénomènes transférentiels dans la relation pédagogique maître-élève(s), une relation elle-même

médiée par le rapport des partenaires au savoir, dans un processus d'enseignement-apprentissage.

Deuxièmement, il couvre la période de l'adolescence qui, dans le discours des enseignants,

constitue un enjeu non-négligeable en matière de transferts dans la relation pédagogique. Cela

nécessite de poser quelques considérations essentielles à notre étude.

« A l'adolescence, le sujet se trouve subitement confronté, lors de l'apprentissage de la sexualité, à la

nécessité de se positionner par rapport au phallus. » (Baumgartner, 2008, p. 101)

La question du phallus est double : paraître le phallus ou l'avoir ? Au-delà de ce binôme, reste à

inventer un « savoir y faire » avec le manque phallique, pour les deux sexes. De même, la question

de la Loi et de la manière dont le sujet y répond, en fonction de ce qui s'est déjà construit chez lui

comme symptôme, est donc sensiblement réactivée. C'est à l’adolescence que se produisent chez le

sujet les manifestations les plus vives de tout ce qui a été impliqué, en termes d'affects, de modes de

relation, de représentations, au cours de son enfance dans ce que l'on désigne par l’œdipe. A cette

conception initiale de la puberté, on peut considérer ce que Ph. Lacadée a retiré de sa clinique

analytique avec des adolescents et de sa collaboration avec des collèges. Pour lui,

« le mouvement inhérent au phénomène de l'adolescence n'est pas que sexuel et pulsionnel, il interroge

aussi, à partir du rapport à la langue commune, la façon dont chacun doit trouver sa place dans un discours

qui lui fasse lien social. » (Lacadée, 2007a, p. 222)

Ce lien social est sollicité dans la vie scolaire. Pour l'adolescent en âge d'obligation scolaire, l'école

est un partenaire, en tant que lieu où il doit s'insérer dans le discours d'un Autre, car

« l'exilé, auquel s'identifie l'adolescent, éprouve dans sa chair la douleur de tous ceux qui se voient privés

de leur langue - celle de leur enfance qui soutenait l'identification constituante de leur être et le sentiment

de la vie. » (Ibidem, pp. 17-18)

L'adolescent dans le cadre scolaire, doit se lancer dans la reconstruction risquée

« d'inventer sa propre ouverture signifiante vers la société à partir du point où il ne se voit plus comme

l'enfant qu'il était, pris dans le désir de l'Autre, mais d'où il peut apercevoir, de façon contingente, une

certaine vision de lui-même et du monde. » (Ibidem, p. 24)

Dans le discours des enseignants interviewés, les adolescents sont tantôt qualifiés de « jeunes »

tantôt d'« enfants », soit comme des adultes en devenir, vivant sous la tutelle parentale. Le choix de

l'adolescence offre ainsi une intensité et une visibilité des phénomènes transférentiels car au

moment où le jeune est sommé de se reconstruire par un discours propre, les mécanismes

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psychiques infantiles sont invalidés et donnent lieu à des éclats pulsionnels qui n’ont pas encore

trouvé à se symboliser.

I.4. OBJECTIF DE RECHERCHE

L'objectif de notre projet de recherche va consister à comprendre, par la notion de transfert au sens

analytique, les ressorts de processus psychiques inconscients impliquant profondément tant le sujet

enseignant que l'apprenant dans sa relation avec l'autre, tels qu'ils se manifestent dans le champ

pédagogique. C'est donc par l’élaboration et l'analyse de pratiques professionnelles, selon une

posture réflexive au gré d'une démarche clinique d'orientation psychanalytique en sciences de

l’éducation, que nous tenterons d'élucider la nature et les modalités de ces phénomènes dits

transférentiels, qui concourent ou font obstacle au processus d'enseignement-apprentissage.

Tout au long de cette étude, nous chercherons à repérer comment des états émotionnels, des affects

peuvent s'immiscer et trouver des modes d'expression inconscients ; à identifier la mise en œuvre

des désirs latents et des fantasmes connexes; à analyser la nature des phénomènes transférentiels

ainsi que leur façon d'opérer ; et enfin, à déterminer les attitudes adoptées par les enseignants vis-à-

vis des transferts dans le rapport maître-élève.

D'où l'originalité de cette recherche qui tient, ici, du fait que l'on dépasse le point de vue restrictif

de la psychopédagogie dominante au niveau de la compréhension du processus d'enseignement,

pour une reconnaissance du travail de l'inconscient sur soi et sur ce qui se joue dans la classe via

son interprétation (Cifali, 1996a). L'approche psychanalytique pose, en effet, la question de ce qui,

dans la relation maître-élève, est mise en œuvre de transferts, projections, identifications, soutenue

par la réalité psychique en termes de désirs et de fantasmes.

Cela implique le questionnement qu'une articulation psychanalyse et pédagogie suscite : comment

les pratiques et les méthodes d'enseignement et d'éducation dans le champ scolaire peuvent-elles

bénéficier de l'apport de la psychanalyse ? En quoi les savoirs issus de la théorie et de la clinique

psychanalytique sont-ils susceptibles d'« application » dans le domaine pédagogique ? Car en effet,

il est difficile d’envisager- ce que, nous le verrons, certains disciples de Freud ont tenté de faire -

une transposition directe du modèle de la cure analytique en modèle pédagogique. Et ce, en raison

même de la disparité, voire de l'hétérogénéité du dispositif et des positions d'analyste dans la cure,

et de maître dans la classe. La problématique de l'apport de la psychanalyse à la pédagogie

nécessite un regard sur la réalité tant de la psychanalyse que de la pédagogie ou du « champ

pédagogique ».

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II. DÉFINITION DU CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE

II.1. PÉDAGOGIE ET « CHAMP PÉDAGOGIQUE »

La pédagogie : théorie de l'acte d’enseignement ? Méthodes définissant l'art d'enseigner ? Réflexion

implicite ou explicite sur les pratiques de transmission des savoirs ?

Selon J.-Cl. Filloux (2000), il s'agit de l'ensemble de ces spécificités. L'enseignant confronté à sa

propre pratique est susceptible tout aussi bien de se référer à des intuitions, voire à des théorisations

implicites, qu'à des théories pédagogiques. Par ailleurs, J.-Cl. Filloux précise que, sous le terme de

pédagogue, c'est bien le maître-enseignant qui est désigné dans ce qu'il est acteur, agent,

transmetteur de connaissances, promoteur de compétences. Un sujet vivant, expérimentant une

pratique en référence à une pédagogie implicite, explicite, raisonnée ou non. Théoricien-praticien

de l'acte d'enseigner, il est « partenaire de l'autre élève dans le champ de l'école et du système

pédagogique, dans lequel il est inséré » (Filloux, Ibid.).

L'école est à concevoir en tant que lieu où fonctionne ce partenariat, que nous pouvons décrire aussi

bien en termes de relation maître-élève dans le cadre du processus enseigner-apprendre, que

d'articulation des positions de maître-enseignant et d'élève-apprenant dans un commun rapport au

savoir, aux connaissances qui doivent être transmises-acquises.

L'espace scolaire, appréhendé sous l'aspect du pédagogique en tant que processus d'enseignement,

de méthodes d'apprentissage, apparaît alors comme « champ pédagogique ». Selon Cl. Rabant,

« Comment définir un champ pédagogique ? Disons, comme point de départ, que c'est essentiellement un

espace constitué par l'intervention d'une fonction du savoir, en tant qu'un pédagogue la représente pour un

(des) élève(s).» (Rabant, 1968, pp. 90-92).

Dès lors, nous privilégierons le terme de « champ » pédagogique plutôt que celui de « triangle »

pédagogique (Houssaye, 1988), terme d'usage dans le discours enseignant mettant en jeu les trois

pôles, soit le savoir, le maître et l'élève. Deux raisons le justifient.

La première raison consiste à dire que si il y a savoir, il s'agit de connaissances selon le sens donné

par Cl. Rabant de « fonction du savoir ». Le maître, quant à lui, est un « sujet », mais le savoir n'est

pas un sujet, il est la connaissance se transmettant à travers l'articulation des positions. Cette

« fonction du savoir » est au cœur du processus qui pourra être analysé en termes de relations,

d'attitudes conscientes et inconscientes, de stratégies ou de modèles théoriques, de sentiments

ambivalents d'amour et de haine. Soulignons ici l'hypothèse de N. Mosconi (1996), consistant à dire

que le savoir se déploie également dans une aire intermédiaire, permettant le passage d'une relation

à l'objet savoir à un rapport au savoir. Dans ce sens, J-L. Rinaudo (2007), en référence à la théorie

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sur la relation mère-enfant de Winnicott (1975), explique que dans le développement psychique de

l'enfant, le recours aux objets transitionnels disparaît. Mais les aires transitionnelles étant pérennes

constituent « l'espace du jeu, de l'expérience culturelle, de la création » (Winnicott 1975, in

Rinaudo, 2007, p. 98).

La deuxième raison tient du fait que dans ce champ, le savoir est à la fois fondateur de la relation

pédagogique et à la fois un enjeu de légitimité, de conflits selon les forces, les tensions, les

oppositions de désirs. Autant d'éléments qui interviennent au niveau de la fonction de savoir.

Ainsi, selon J.-Cl. Filloux (2000), le champ pédagogique devient un objet épistémique de

recherche, au niveau des pratiques, des discours qui s'y rapportent en son intérieur et à l'extérieur

que sont les modèles ou théories dites « pédagogiques ».

Dans ce champ, ce qui est désigné par le pédagogue (l'enseignant, le maître) et l'élève (l'apprenant)

sont « les partenaires, les sujets qui constituent dans leur action le '' pédagogique '' au sein du

système institutionnel qui fonde l'espace scolaire » (Filloux, 2000, p. 9).

La pédagogie comme théorie-pratique de l'acte d'enseigner voit sa normativité, au niveau des

théorisations et des méthodes, faire l'objet d'explorations, d'investigations et donner prise à divers

discours - didactique, sociologique, psychologique - susceptibles de faire de la recherche

pédagogique un instrument de savoir pédagogique. Dans cette perspective, l'approche

psychanalytique en sciences de l'éducation peut-elle constituer ou donner à susciter un de ces

« autres discours » ?

II.2. DE LA PSYCHANALYSE ?

Contribuer à l'élaboration d'un « autre discours », concernant la psychanalyse, ne peut que signifier

la prise en compte de l'« Autre scène » : celle où œuvre l'inconscient dans le champ pédagogique.

Rappelons, dans ce point, quels sont les « piliers » de la psychanalyse au dire de S. Freud.

II.2.1. DE LA CLINIQUE À LA THÉORIE ANALYTIQUE

Dans le texte de 1923, Freud explicite les trois niveaux que recouvre le terme « psychanalyse » :

« Un procédé pour l'investigation de processus psychiques à peu près inaccessibles autrement. » Il

s'agit de la recherche du contenu inconscient des conduites, représentations, productions

imaginaires, intellectuelles, actes d'un sujet.

« Une méthode fondée sur cette investigation pour le traitement de désordres névrotiques. » Son

principe est celui de la levée du refoulement à partir des résistances qui s'opposent à la liberté

associative ; son ressort, l'interprétation dans le cadre de la « cure » de la réédition de conflits

inconscients.

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« Une série de conceptions psychologiques acquises progressivement pour former une discipline

scientifique. » Cette « série » forme ce que l'on peut appeler le « corpus » de connaissances

psychanalytiques. C'est aussi bien par l'investigation de l'inconscient (la clinique) que par la théorie

scientifique (la connaissance) que se forme le savoir psychanalytique.

Selon Freud, une théorie ne peut être psychanalytique que si elle repose sur les « piliers » suivants :

« L'acceptation de processus psychiques inconscients, la reconnaissance de la thèse de la résistance et du

refoulement, la prise en considération de la sexualité et du complexe d’Œdipe. » (Freud, Ibid.)

Dans la lignée de S. Freud, d'autres psychanalystes ont apporté des pratiques et des

conceptualisations cliniques contribuant au développement de la discipline, tout en en conservant

les piliers. Ainsi l’analyse de pratiques d'enfants a orienté M. Klein, D.W. Winnicott vers une mise

en question de certaines hypothèses émises par Freud pour élaborer de nouveaux concepts.

M. Klein (1882-1960) a introduit la psychanalyse d'enfant par le jeu. Deux constats constituent les

principes conducteurs de sa recherche : l’incompatibilité d'une attitude éducative avec l'analyse, et

la possibilité voire la nécessité d'une analyse profonde du complexe d’Œdipe chez l'enfant. Dans

l'« Analyse des jeunes enfants » (1925), elle affirme la précocité du complexe d’Œdipe et des

refoulements, qui orientent les différentes voies de la névrose et de la sublimation. Elle précise les

stades précoces du conflit œdipien et du surmoi (1928), théorise les notions de « position

dépressive » et de « position paranoïde » chez le jeune enfant, et expose l'importance du symbole

dans le développement du moi (1930), mettant en avant le rôle du sadisme précoce dans le

développement libidinal. Enfin, M. Klein développe la notion de clivage comme résultant d'une

scission en « bon » et « mauvais » objet (Assoun, 2009). Ses pistes de recherche iront en opposition

avec les travaux d'Anna Freud, qui, respectant les idées directrices de la psychanalyse élaborée par

son père Freud, doutait de la possibilité de transfert chez l'enfant et prônait une préparation

éducative de l’enfant pour l'amener à la situation analytique. Les méthodes, les bases théoriques

divergeaient, ainsi que l'âge des enfants dont chacune avait l'expérience.

D.W. Winnicott, psychiatre et psychanalyste d'enfants, propose une approche originale du couple

mère-enfant, élabore des techniques de jeu et théorise les concepts d’objets et de phénomènes

transitionnels (Assoun, Ibidem). Afin de répondre à nos objectifs de recherche quant à l'étude des

phénomènes transférentiels dans la relation pédagogique, il convient d'emblée de définir certains

concepts psychanalytiques utiles.

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II.2.2. DES CONCEPTS CLÉS DE LA PSYCHANALYSE

A. Le transfert

En référence au Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis (2004, p. 492), la notion

de transfert (Überträgung en allemand, transference en anglais) désigne:

« Le processus par lequel les désirs inconscients s'actualisent sur certains objets dans le cadre d'un

certain type de relations avec eux et éminemment dans le cadre de la cure analytique. »

« Il s’agit d'une répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d'actualité marqué. »

« Le transfert est classiquement reconnu comme le terrain où se joue la problématique d'une cure

analytique, son installation, ses modalités, son interprétation et sa résolution caractérisant celle-ci ».

Le sens spécifique de la notion de transfert doit donc être situé d'où il tient son origine, c'est-à-dire

dans le cadre de la cure analytique, de ce qui se passe entre analyste et analysant. Afin de mieux

comprendre la nature et les ressorts du transfert, nous réaliserons un bref retour sur la définition

telle qu'élaborée par Freud, à partir de sa clinique analytique; ainsi qu'un aperçu des apports de

l’enseignement de J. Lacan dans l’appréhension du processus.

A.1. Le transfert chez Freud

a) La première topique

Le concept de transfert en réfère au terrain de l'expérience analytique établie par Freud dans sa

spécificité : de la psychanalyse comme champ de l’inconscient. Le transfert comporte une double

dimension : la répétition et le déplacement, - à savoir l'actualisation du passé dans la situation

analytique et le déplacement des motions infantiles inconscientes sur la personne de l'analyste -,

prenant sens dans l'axe du travail analytique. Celui-ci consiste à substituer la remémoration (du

passé) à la répétition (compulsion à la répétition) par l'interprétation et la construction. D'où la

différenciation entre les phénomènes transférentiels, mis en lumière par Freud comme constitutifs

des liens objectaux à l'autre, et le concept de transfert comme outil spécifique du travail analytique.

Ajoutons seulement que, dans la théorie de la cure, les manifestations de transfert tendent à

s'organiser en une névrose artificielle, une névrose de transfert qui se substitue à la névrose

clinique, soit la névrose infantile. Suite au cas Dora (1899), le transfert mobilisé par la situation

analytique, survient d'abord pour lui comme un obstacle à l'élaboration, résistance au retour du

refoulé, notamment sous la forme de désirs amoureux.

« Que sont les transferts ? Ce sont de nouvelles éditions, des copies des tendances et des fantasmes qui

doivent être éveillés et rendus conscients par les progrès de l'analyse et dont le trait caractéristique est de

remplacer une personne antérieurement connue par la personne du médecin. » (Freud, 1905, pp. 86-87)

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Le transfert étant appréhendé comme une « fausse association » par S. Freud, comme un « faux-

rapport » par J. Natanson (2001) ou encore « un quiproquo à contre-temps » par M. Neyraut (1974),

l'analyste n'est pas ce que le sujet espère qu'il soit, ni celui pour qui il le prend.

« Le transfert au médecin se réalise par une fausse association [...]. Le désir actuel (de la patiente) se trouva

rattaché, par une compulsion associative à ma personne... . Dans cette « mésalliance »... l'affect qui entre en

jeu est identique à celui qui avait jadis incité ma patiente à repousser un désir interdit. » (Freud, Études sur

l'hystérie, 1895, p. 245).

Ainsi, le transfert sous sa forme négative hostile (transfert négatif) ou sous sa forme positive

érotique (transfert positif), il favorise la résistance au traitement. Ce n'est qu'après, lorsqu’il est

constitué en névrose de transfert, qu'il devient l'instrument de la cure analytique :

« Le transfert, destiné à être le plus grand obstacle à la psychanalyse, devient son plus puissant auxiliaire,

s'il l'on réussit à le deviner chaque fois et à en traduire le sens au malade. » (Freud, Cinq psychanalyses,

[1905], PUF, 1970, p. 88)

Le transfert, conçu comme un symptôme, devient objet de décryptage dans la cure en permettant le

défoulement des formations de l’inconscient (rêves, lapsus, actes manqués, oublis). C'est pourquoi,

Freud définira les transferts d'une part, comme une reviviscence, une répétition d'événements

psychiques, de réactions, d'attitudes, vécus durant la vie infantile du sujet et, d'autre part, comme un

déplacement sur la personne de l'analyste dont il est l'« objet ».

« Ce fragment de vie affective qu’il ne peut plus rappeler dans son souvenir, le patient le revit dans ses

relations avec le médecin; et ce n’est qu’après une telle reviviscence par le transfert qu’il est convaincu de

l’existence comme de la force de ses mouvements sexuels inconscients. » (Freud, Cinq leçons sur la

psychanalyse [1904], 1966, p. 61)

Il s'agit donc de scènes enfouies, intimement liées à la période œdipienne, qui sont reléguées dans

l'inconscient parce qu'ayant subi l'interdit - les désirs incestueux et désirs de meurtre des parents - et

qui s'expriment par le biais du transfert. Dès lors, « ce qui est essentiellement transféré c'est la

réalité psychique soit, au plus profond, le désir inconscient et les fantasmes connexes. » (Laplanche

& Pontalis, 2004, p. 497)

b) La seconde topique

Les expériences du passé, répétées dans le transfert sur l'analyste, concernent essentiellement les

figures parentales, soit des imagos Ŕ terme emprunté à C. G. Jung - désignant les représentations

archaïques inconscientes. Précisons qu'une imago parentale inconsciente (paternel, maternel,

fraternel) peut différer des représentations conscientes du parent qui intervient dans le champ réel

de la perception. Ainsi, « les manifestations transférentielles ne sont pas des répétitions à la lettre,

mais des équivalents symboliques de ce qui est transféré. » (Laplanche & Pontalis, Ibid.)

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En 1916, dans ses conférences d'Introduction à la psychanalyse, Freud affirme que la névrose est

due au refoulement, lui-même maintenu par la résistance. Le transfert permet la fabrication d'une

maladie artificielle dite névrose de transfert, qui va se substituer à la névrose infantile. Le transfert

- soit névrose de transfert - devient l'instrument de la cure analytique, dès lors qu'il apparaît comme

la ré-actualisation de désirs infantiles refoulés dans le rapport à l'analyste.

« Avouons que rien n’est plus difficile en analyse que de vaincre les résistances, mais n’oublions pas que

ce sont justement ces phénomènes-là qui nous rendent le service le plus précieux en nous permettant de

mettre en lumière les émois amoureux secrets et oubliés des patients et en conférant à ces émois un

caractère d’actualité. Enfin, rappelons-nous que nul ne peut être tué in absentia ou in effigie. » (Freud,

1912, p. 60; 1913, p. 103)

Pour maintenir cette dynamique, Freud est amené à énoncer un certain nombre de règles concernant

l’attitude du médecin, qui « doit demeurer impénétrable et, à la manière d’un miroir, ne faire que

refléter ce qu’on lui montre. » C’est le maniement du transfert qui permet d’enrayer l’automatisme

de répétition et de le transformer en une raison de se remémorer.

A.2. Le transfert dans l’enseignement de Jacques Lacan

Jacques Lacan (1901-1981) a cherché à établir des ponts entre psychanalyse et linguistique,

structurant l'inconscient comme un langage. Le complexe d’Œdipe s'exprime en termes de phallus

et de signifiant, les symptômes en métaphore et en métonymie. Ainsi, il introduit la distinction

entre trois registres bien que imbriqués soit le Réel, le Symbolique et l'Imaginaire (RSI). Lacan a

également modifié la conduite de la cure et a réélaboré le concept de transfert. Enfin, il a recentré la

découverte freudienne de la notion de désir, qu'il différenciera de celle de besoin, pour replacer le

Désir au premier plan de la théorie analytique (Laplanche & Pontalis, 2004).

Selon J. Lacan, "L'inconscient est structuré comme un langage". Ainsi, ce qui se répète dans le

transfert, soit des scénarios inconscients, des mises en scène compulsives, c'est d'abord du signifiant

(trace, porteuse de sens, de l'ordre du symbolique) qui, par ailleurs, va primer sur le signifié (le sens

donné à la trace, de l'ordre de l'imaginaire). Le sujet se voit ainsi divisé $ par le langage, marquant

une séparation entre le sujet et la réalité. Ainsi par la formule S/s, Lacan (1966) suppose (sub pose,

qui pose en-dessous) le sujet (s) au signifiant qui le représente (S). C’est grâce au signifiant que le

sujet apparaît dans le champ de l'Autre. C’est pourquoi, le discours de l’inconscient c’est le

discours de l’Autre, qu’on ne peut jamais personnaliser de manière définitive (Massat, 2006). Le

signifiant est construit sur le manque, la perte. Que ce manque soit dénommé castration ou

penisneid, cela est signe, métaphore (Lacan, op.cit., p. 52). C’est pourquoi, « Le symbole (le mot) se

manifeste d'abord comme le meurtre de la chose » (Lacan, Ibid., p. 319). Le sujet comme effet du

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signifiant se présente donc comme divisé, séparé, troué. C’est ce manque, ce vide, qui

conditionnera le désir, comme étant « la métonymie du manque à être » (Sibony, 2006).

J. Lacan conçoit, tout d’abord, le transfert dans sa dimension imaginaire à partir de la seconde

topique et d’éléments relevés dans le stade du miroir (1937) chez l’enfant, à savoir comme un

déplacement de l’imago. Pour rappel, le stade du miroir consiste en la découverte par l’enfant de

son image dans le miroir (entre 6 et 18 mois) et de la reconnaissance joyeuse de cette image comme

étant la sienne. Face au miroir, l’enfant se perçoit dans une image unifiée, un autre, un reflet qui

vient se substituer à la vision morcelée qu’il avait de son corps. La reconnaissance de son image est

confirmée par le fait de se retourner vers l’adulte qui lui parle, le porte et lui échange un regard de

connivence. C’est la naissance du moi. Cette relation est reprise sous ce schéma : a------------a’.

L’apparition du moi (a) est donc une identification du sujet à l’image spéculaire, en miroir (a’ ou

i(a)).

Dans cette optique, le transfert prend la forme d’un passé oublié, donné à revivre dans l’image

spéculaire de l’analyste sous forme de répétition et non pas de remémoration. Avec la formalisation

de la structure du sujet, par l’intrication des trois registres du Réel, du Symbolique et de

l’Imaginaire (nœud borroméen), Lacan considère le processus de transfert comme étant une relation

imaginaire, spéculaire qui fait obstacle au symbolique. Ce barrage est formalisé dans le schéma L

(Lacan, 1966, p. 53) où l’axe imaginaire moi (a) - petit autre (a’) barre l’axe symbolique sujet de

l’inconscient (S) - grand Autre (A), lieu des signifiants ou du discours inconscient.

Intervient, ici alors, l’objet dit petit a. En effet, bien avant d’accéder au stade du miroir, l’enfant

s’est construit un corps fantasmé avec ses lieux d’appel à la jouissance, morcelés en objets partiels

oral, anal, scopique, puis vocal. A ces lieux, ces orifices corporels, sources des pulsions, se greffe

l'objet petit a. Ce concept essentiel désigne un objet en creux, un objet en négatif, en moins, le rien,

frappé de perte et qui est cause du désir. Un objet qui, s'il existait permettrait d'être comblé, non-

manquant. Si la manière dont s’organise le rapport du sujet à son objet est le fantasme, le rapport

lui-même c'est la jouissance. Cet objet est donc l'objet investi comme manque par la jouissance,

sans cesse sacrifiée par l'entrée dans la parole et le langage, mais aussi dans la culture et la

civilisation. Plus le sujet parle, plus il manque et plus il s’accroche à des objets α. Tout ce qui

constitue le $, le sujet de l’inconscient, tend à être recouvert par une forme plus prégnante que

constitue le registre imaginaire. Selon Lacan, « la fonction de la relation narcissique recouvre et

masque la relation à l’objet dans le fantasme fondamental. Ainsi, l'objet α est mis en scène dans le

fantasme pour tenter une soudure du sujet là où le signifiant le divise : $ ◊ α (Lacan, 1966).

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Ensuite, Lacan définit le transfert, dans sa dimension symbolique, comme un déplacement de

signifiants. L’entrée dans le transfert se fait par l’instance du Sujet supposé Savoir (S.s.S.). Il est

cerné à partir de la croyance chez le patient en un autre sachant, non castré qui posséderait la clé de

son être au monde, soit la détention d’un Savoir qui lui révèlerait quelque chose sur son existence.

Il aime l’analyste au nom de ce Savoir qu'il lui suppose. « Le transfert, dit Lacan, c’est de l’amour

qui s’adresse au savoir » (Ibid.). Car si cet Autre existait, il pourrait lui-même prétendre à cette

même toute-puissance - soit « l'enfant » mentionné par Freud dans sa préface à A. Aichorn. Le

Sujet supposé Savoir est donc une tentative d'échapper à la frustration, à la castration. Ce Savoir

que l’analyste ne possède pas, mais que l’analysant lui suppose, apparaît comme un objet brillant

que l’on désigne du terme d’agalma. Cet agalma préfigure l’objet a du désir (Lacan, 1966, p. 825),

dont l’illusion va fonder le mouvement, la dynamique du transfert. Ainsi le transfert n’est pas

intersubjectivité, mais une relation d’un sujet à son objet. Il y a donc une disparité des positions

subjectives qui fonde la dissymétrie du transfert.

Dès lors, l'analyste, en position de retrait, va permettre à l'analysant de réaliser, par la parole, son

travail de destitution de ce savoir qui lui est supposé. Ce qui va contribuer à la construction, chez le

sujet, d'un savoir sur son manque à être, un savoir sur le réel. C'est en se positionnant en lieu et

place d'objet α, le lieu du manque chez le sujet, que l'analyste peut alors opérer, par sa parole et sa

présence, et l’accompagner vers cette désillusion, cette confrontation au réel. La place est vide. Si

cet Autre n'existe pas, le sujet est manquant. Tel est l'aboutissement logique de la cure. Enfin,

précisons que cette position dans le transfert n’est pas exclusivement réservée à l’analyse. Selon les

propos de J. Lacan,

« dans son essence, le transfert efficace... c'est tout simplement l'acte de la parole. Chaque fois qu'un

homme parle à un autre d'une façon authentique et pleine, il y a, au sens propre, transfert, transfert

symbolique. Il se passe quelque chose qui change la nature des deux êtres en présence. » (Lacan, Le

Séminaire livre I (1953-1954), 1975, p. 127)

Avant d’aborder la question épineuse de la sortie du transfert, qui relève du maniement du transfert

par l’analyste, il convient ici d’approfondir le concept de désir inconscient qui, comme déjà

approché, constitue un élément central dans le transfert.

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B. Le désir inconscient

Afin de mieux cerner le concept de désir dans son acception analytique, nous nous en référerons à

la définition donnée par S. Freud en fonction de sa terminologie, pour ensuite la recadrer selon la

conception de J. Lacan.

Selon la terminologie allemande, nous devons différencier les termes Wunsch désignant un souhait,

un vœu formulé, de Begierde évoquant le désir dans le sens d’un mouvement de concupiscence ou

de convoitise, et Lust dans le sens d’envie, de joie, de plaisir. La définition la plus élaborée du désir

par Freud se réfère à l’expérience de satisfaction à la suite de laquelle :

« … l’image mnésique d’une certaine perception reste associée avec la trace mnésique de l’excitation

résultant du besoin. Dès que ce besoin survient à nouveau, il se produira, grâce à la relation qui a été

établie, une motion psychique qui cherchera à réinvestir l’image mnésique de cette perception et même à

évoquer cette perception, c’est-à-dire à rétablir la situation de la première situation : une telle motion est ce

que nous nommerons désir ; la réapparition de la perception est l’accomplissement de désir. » (Freud,

L’interprétation des rêves, [1900], 1967, in Laplanche & Pontalis, op.cit., p. 467)

De cette définition, J. Laplanche et J.-B. Pontalis (2004) en donnent les remarques suivantes :

1. « Freud n’identifie pas le besoin au désir : le besoin, né d’un état de tension interne, trouve sa

satisfaction (Befriedgung) par l’action spécifique qui procure l’objet adéquat (nourriture) ; le désir

est indissolublement lié à des « traces mnésiques » et trouve son accomplissement dans la

reproduction hallucinatoire des perceptions devenues les signes de cette satisfaction ;

2. La recherche de l’objet dans le réel est tout entière orientée par cette relation à des signes. C’est

l’agencement de ces signes qui constitue ce corrélatif du désir qu’est le fantasme;

3. Enfin, la conception freudienne du désir concerne par excellence le désir inconscient, lié à des

signes infantiles indestructibles. » (Laplanche & Pontalis, Ibidem, p. 120)

Dans la conception dynamique freudienne, un des pôles du conflit défensif : le désir inconscient

tend à s’accomplir en rétablissant, selon les lois du processus primaire, les signes liés aux premières

expériences de satisfaction. La psychanalyse a montré, sur le modèle du rêve, comment le désir se

retrouve dans les symptômes sous la forme de compromis (Ibidem).

J. Lacan, quant à lui, a recentré la découverte freudienne de la notion de désir pour la situer au

premier plan de la théorie analytique et du maniement du transfert dans la cure. Il la distingue des

notions de besoin et de demande jusqu’alors confondues.

Le besoin vise un objet spécifique et s’en satisfait. Par contre, la demande est formulée et s’adresse

à autrui. Si la demande porte de façon manifeste sur un objet réel, celui-ci est anodin, car la

demande qui y est articulée est en son fond demande d’amour. Le désir naît de l’écart entre le

besoin et la demande. Il est irréductible au besoin, car il n’est pas en son principe relation à un objet

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réel, indépendant du sujet, mais au fantasme. Il est irréductible à la demande, en tant qu’il cherche à

s’imposer sans tenir compte du langage et de l’inconscient de l’autre, et exige d’être reconnu

absolument par lui (Lacan, 1957-1958). Or, seule l'inscription dans le langage, par l’intervention

d’un tiers symbolique, fait loi pour le désir du sujet, introduisant l'interdit de l'inceste et donc le

renoncement à être l’objet de la jouissance de la mère. D’où l’enjeu du travail du transfert par

l’analyste dans la situation analytique, soit à supporter la séparation de cet objet de jouissance et

permettre ainsi à l’analysant de s’engager dans des relations nouvelles par le transfert du transfert.

C. Le transfert du transfert

Le transfert connecte le Sujet au Savoir inconscient impliquant de reconnaître dès le départ du

travail analytique la reconnaissance de ce Savoir. C’est ce Savoir que l’analysant suppose à son

inconscient qu’il va transférer sur l’analyste. Ce dernier a pour fonction de soutenir l’appel du Sujet

au Savoir inconscient. Mais cet appel se double, comme évoqué dans la théorie de Freud, d’un

« amour de transfert » dont la particularité consiste, précisément, à ne rien vouloir en savoir

(Sylvestre, 1984).

De là se pose la structure contradictoire du transfert. A la fois ouverture et fermeture, appel au

Savoir et résistance à ce Savoir : « D’autre part, il soutient l’appel du sujet au savoir inconscient et,

d’autre part, sous le déguisement de l’amour, il maintient le sujet séparé de ce savoir » (Sylvestre,

Ibidem, p. 35).

D. Sibony, dans Le peuple psy, développe cette idée essentielle que le transfert est à « deux

temps ». Dans le premier, le processus est en passe de « s’enkyster », de se figer sur un objet,

nouant ainsi un « lien total ». Dans le second temps, il ne s’agit pas d’oublier celui de transfert du

transfert. D’où l’enjeu :

« Comment veiller à ce qu’un transfert ne s’enkyste pas ? Exigence éthique de ce transfert du

transfert. Exigence clinique aussi : là où se crispe l’analyste (là où il pense avoir fait une bêtise…),

c’est quand il oublie tout simplement le transfert du transfert. » (Sibony, 1992, p. 110)

Dès lors, il s’avère que ce transfert à transférer ailleurs, sur d’autres objets, constitue la fin - dans le

double sens de visée et de terminaison, en tant que troisième terme - de l’analyse. J. Laplanche dans

les dernières lignes de ses Nouveaux fondements pour la psychanalyse précise que :

« Cette terminaison ne peut en aucun cas signifier la ''dissolution du transfert'', en tant que celui-ci est

relation à l'objet énigmatique. » Dès lors, « La seule terminaison concevable de la psychanalyse c’est donc

le transfert du transfert », à savoir, « le transfert du processus de transfert en un ou plusieurs autres lieux,

dans une ou plusieurs autres relations. » (Laplanche, 1987, pp. 159-160)

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Au regard de notre question de départ, les apports théoriques de Freud et de Lacan, quant au

concept de transfert, nous donnent des références plus précises sur la structure du processus, ainsi

que la place du désir dans la dynamique transférentielle. Forte de cette approche, nous pourrons

ainsi examiner, dans la seconde partie de notre travail, les effets de transfert à l’œuvre entre maître

et élève dans le champ pédagogique. Car, en effet, la relation pédagogique, prise dans des

répétitions transférentielles, n’a de cesse de s’enkyster, de figer les uns et les autres dans des

positions, dans des liens noués. Avec F. Imbert (2005) et en accord avec M. Cifali (1992), défaire

ces nœuds, ouvrir ce qui fait fermeture, tel nous apparaîtra l’enjeu éthique du métier de pédagogue.

Or, la libération de ce transfert devra en passer par un transfert de transfert, au sens pédagogique.

Ainsi, nous dit F. Imbert,

« C’est dire qu’éducateur et pédagogue se doivent, comme l’analyste, de faire preuve du « courage » à ne

pas tirer avantage des sentiments transférentiels dont ils sont investis. » (Imbert, 2005, p. 40)

Dans ce sens, si la cure analytique reste un moment privilégié pour l'approche de l'inconscient - en

tant que savoir psychanalytique construit et se construisant, dans un souci de lecture, d'observation

ou de théorisation de données -, cette approche a donné lieu, hors de la cure, à ce qui est dénommé

« psychanalyse appliquée », « application de la psychanalyse » (Filloux, 2000). Dès lors,

examinons en quoi cette extension de l’analytique peut se présenter comme « utile » - selon

l'expression de Freud en 1913 - au pédagogique.

II.3. QUELLE CONTRIBUTION DE LA PSYCHANALYSE À LA PÉDAGOGIE ?

Au regard de notre question de départ « Qu'est-ce qui fait que surgissent, à un moment donné, dans

la relation maître-élève, des phénomènes transférentiels? », l'intérêt porte à savoir en quels termes

la psychanalyse peut contribuer à la pédagogie ?

Cela nécessite une brève rétrospective de l'histoire des rapports entre psychanalyse et pédagogie, au

regard de tentatives pédagogiques issues directement de la théorie psychanalytique, de travaux de

recherches sur le processus enseigner-apprendre, le rapport au savoir, de textes reprenant des

analyses de pratiques pédagogiques et autres résultats de recherche clinique. Si ce courant de

recherche concerne les questions de pédagogie, elles sont aujourd'hui élargies aux questions

d’enseignement, d'apprentissage et de formation, en vue d'une production de connaissances qui

tendent progressivement à soutenir des innovations, et particulièrement des actions de formation

d'enseignants. Autant de références qui permettront de préciser notre question de recherche.

La question de l’application de la psychanalyse à la pédagogie fut posée pour la première fois par

Sandor Ferenczi, proche disciple de Freud, lors d'une conférence à Salzbourg, en 1908. A cette

époque, S. Freud se préoccupait déjà de psychanalyse appliquée, dont témoigne la publication de

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ses Essais de psychanalyse appliquée, en 1906. Cette question fut ensuite soulevée par le pasteur

Oskar Pfister dans son ouvrage La méthode psychanalytique (1913), préfacé par S. Freud.

La même année, en référence à l'extension de la psychanalyse « hors cure », S. Freud présente dans

la revue Scientia, un article intitulé L'intérêt de la psychanalyse. Dans un paragraphe, Freud y

développe l'idée d'une application de la psychanalyse à l’éducation, d'un « intérêt de la

psychanalyse pour la science de l'éducation » et que les éducateurs puissent « se familiariser avec la

psychanalyse » avec profit (Freud, 1913, p. 212). Enfin, en 1933, dans sa Sixième conférence, il

énonce ce que certains ont pu qualifier « Le testament à Anna » :

« Il n'y a qu'un thème que je ne peux pas laisser de côté si aisément, non que la compréhension que j'en ai

soit particulièrement grande, ni que soit si grande ma contribution (...), c'est peut-être la chose la plus

importante de tout ce que fait l'analyse. Je veux parler de l'application de la psychanalyse à la pédagogie, à

l'éducation de la génération suivante ».

A ces propos, M. Cifali et F. Imbert souligneront que

« Évoquer l'« application » dit bien qu'une certaine hétérogénéité des deux champs subsiste. Ils ne sauraient

se confondre s'ils se rencontrent. La psychanalyse se trouve ici en situation de pôle théorique, qui offre à la

pédagogie son savoir, ses découvertes, tout en lui laissant la tâche d'inventer les conditions de mise en

œuvre de ce savoir dans son champ. » (Imbert & Cifali, 1998, p. 39)

Ce courant de réflexion initié par S. Freud et S. Ferenczi, confié ensuite à Anna Freud, a donné lieu

à une série de travaux de recherche, rapportés dans des notes de synthèse pour la Revue française

de pédagogie. Ces notes prennent pour repères des ouvrages, textes, résultats de recherches, qui

scandent l'évolution du rapport entre psychanalyse et pédagogie. Parmi ces synthèses, comptons

celle de J.-Cl. Filloux, « Psychanalyse et pédagogie : pour une prise en compte de l'inconscient dans

la champ pédagogique » (1987) et de Cl. Blanchard-Laville et al., « Recherches cliniques

d'orientation psychanalytique dans le champ de l'éducation et de la formation » (2005) (Annexe I).

II.4. LES ENJEUX ÉPISTÉMOLOGIQUES DES RECHERCHES CLINIQUES

D’ORIENTATION PSYCHANALYTIQUE EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION

L'apport fécond de l’éclairage psychanalytique, au vu des travaux présentés, nécessite un ré-

examen épistémologique d'une certaine utilisation de la psychanalyse dans le champ des recherches

en sciences de l'éducation et ce, en vue de préciser les modalités d'usage d’un cadre théorique

psychanalytique pour notre question de recherche et de construire notre dispositif méthodologique.

Cela implique de questionner certains points nodaux tels que la légitimité, la subjectivité du

chercheur et la validité de la démarche clinique de recherche en sciences de l'éducation.

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II.4.1. La légitimité des travaux de recherche cliniques d'orientation psychanalytique

Dans sa note de synthèse « Psychanalyse et pédagogie », J.-Cl. Filloux (1987, p. 69) pose la

problématique des rapports entre psychanalyse et pédagogie en termes d'« application ». Un

concept qui, selon l'auteur, désigne mal les diverses modalités d'une relation entre l'analytique et le

pédagogique. Car en effet, « la psychanalyse se présente à la fois comme une pratique (la cure,

l'expérience analytique) et un savoir (le corpus des connaissances analytiques). » La pédagogie,

elle, « réfère soit à des pratiques, soit à des théories ou encore à des théorisations de la pratique. La

schématisation de leurs rapports se présente selon quatre axes :

S'agit-il de transposer le modèle de la cure à la pratique pédagogique ou à la théorie de cette

pratique ? (application)

S'agit-il d'inspirer pratique ou théorie pédagogique par le savoir analytique ? (inspiration)

S'agit-il d'utiliser ce savoir pour une exploration du champ pédagogique aboutissant à la production

de connaissances nouvelles sur le dit champ ? (orientation)

S'agit-il enfin d'être analyste dans l'acte même de recherche et d'écoute de ce qui se passe dans ce

champ ? (recherche/formation) »

Selon J.-Cl. Filloux,

« si la notion d' « application » peut être dite pertinente dans les deux premiers cas, puisqu'il s'agit d'étendre

la psychanalyse à un autre domaine, elle ne l'est pas dans les deux autres cas. Ces derniers relèvent d'une

approche, à fin de connaissance, qui utilise l’interprétation analytique et qui peut être conceptualisée en

termes de lecture et de décryptage. » (Filloux, Ibidem)

Ensuite, l'auteur en viendra à mentionner la notion d'« application » en tant que méthode de

recherche en ces propos:

« L'unité de ces deux catégories- disons d'« usage »- de l'analyse réside néanmoins dans la visée dernière

d'une prise en compte de l'inconscient, soit dans l'activité et la théorie pédagogique, soit dans la

recherche fondamentale. » (Filloux, Ibid.)

Dans son article « De l'application de la psychanalyse à l'éducation », N. Mosconi (1986, pp.73-79)

présente l'application de la psychanalyse à l'éducation selon deux perspectives : d'une part, celle de

l'« utilisation de connaissances théoriques pour produire un savoir prescriptif éclairant une

pratique » ; d'autre part, celle d'une science appliquée « au sens d'usage d'une théorie et de concepts

scientifiques en vue d'une connaissance théorique d'un nouveau domaine d'objets ».

Cette note se présente comme un programme de ce qui pourrait construire les rapports du champ

psychanalytique et du champ de l'éducation et de la formation :

« On peut donc supposer que la condition pour que la psychanalyse puisse s'appliquer aux pratiques

éducatives, c'est un effort de conceptualisation et de théorisation soit fait par rapport aux pratiques

pédagogiques, semblable à celui que Freud a fait par rapport à la pratique de la cure. » (Mosconi, Ibidem)

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Dans son article « L'approche clinique d'inspiration psychanalytique », Cl. Blanchard-Laville

(1999, p. 9) conçoit le terme « clinique » en tant que « mode de connaissance ayant son autonomie

et ses spécificités, tout en maintenant un rapport étroit à la psychanalyse. » Ainsi, elle suggère que

cette approche en tant que style méthodologique voire démarche de connaissance puisse apporter

une contribution dans le champ des recherches en Sciences de l’éducation.

Suite à son article, en référence à la note de N. Mosconi ainsi qu'à l'expérience d’accompagnement

des travaux de recherches et l'évolution de la clinique psychanalytique, Cl. Blanchard-Laville et alii

posent la question de la légitimité de la posture de chercheur dans son rapport à la psychanalyse.

Selon eux, le chercheur qui s'inscrit dans une démarche de recherche clinique,

« se doit de bénéficier a minima d'une expérience personnelle d'un travail d'élaboration psychique

d'orientation psychanalytique, sans pour autant avoir nécessairement été engagé préalablement dans une

cure psychanalytique ; ainsi, il peut commencer à penser et à chercher sur ces questions tout en continuant

à se former cliniquement, cette formation personnelle pouvant toujours aller en s'approfondissant. »

(Blanchard-Laville et al., 2005, p. 121).

Ainsi, parmi les sciences humaines, la psychanalyse occupe une position « laïque » au sens freudien

du terme, qui selon l'exigence clinique, comporte une visée de connaissance fondamentale,

induisant une éthique. Nous sommes désormais confrontés à une démarche clinique d'orientation

psychanalytique qui va féconder la formation, au travers de l'analyse des pratiques et de la

recherche, dans le contexte plus spécifique de l’enseignement (Pechberty, 2003/3).

Le choix du terme orientation est significatif de la dynamique du lien à la psychanalyse dans ces

recherches. Selon Cl. Blanchard-Laville,

« on est passé du terme « application » de la psychanalyse qui signait une forme d’assujettissement au

terme d'« inspiration psychanalytique » qui témoignait davantage d'une fertilisation que d'un strict

assujettissement, puis au terme d'« orientation psychanalytique » qui rend compte d'un choix assumé du

chemin dans lequel ces recherches s'engagent. » (Blanchard-Laville et al., op.cit., p. 123)

L'orientation psychanalytique préconisée s'inscrit dans une démarche de recherche clinique. Selon

Cl. Revault d'Allones, dans La démarche clinique en Sciences humaines (1989), cette dernière

« est centrée sur une ou des personnes en situation et en interaction, avec l'objectif premier de comprendre

la dynamique et/ou le fonctionnement de ce (ou ces) sujet(s) dans leur singularité irréductible. » (Revault

d'Allones et al., 1989, p. 23)

Dans cette perspective, Jean-Luc Rinaudo en conclut que

« Les chercheurs qui se réclament, en sciences de l'éducation, de la démarche psychanalytique, ne sont pas

(plus) tournés vers une application de la psychanalyse à la pédagogie ou à la formation, mais davantage

dans la compréhension des phénomènes ou processus éducatifs éclairés par les apports d'une démarche

clinique d'orientation psychanalytique. » (Rinaudo, communication personnelle, 18/03/2011)

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II.4.2. La subjectivité du chercheur d'orientation psychanalytique

Toute démarche clinique de recherche interroge la prise en compte de la subjectivité du chercheur.

Notre posture de recherche d'orientation psychanalytique consiste, ici, à en assumer d'une part, la

participation, l'implication psychique, la charge émotionnelle en tant que partie intégrante de

l'investigation des phénomènes transférentiels dans les situations pédagogiques observées et, d'autre

part, le « contre-transfert de chercheur» (Devereux, 1980, p. 16) par l'élaboration et l'analyse de

notre implication psychique, un outil pour le procès de connaissance (Blanchard-Laville et al.,

2009).

Ce type de questionnement déclenche au plus profond de soi des résistances à la remémoration,

indiquant que si les pratiques observées chez les sujets de la recherche sont régies partiellement à

leur insu, il en est tout autant pour nous enseignant-chercheur, aux prises avec notre inconscient

dans notre pratique de recherche. Ainsi, la motivation à m'engager dans ce travail de recherche

consiste avant tout en une démarche de recherche réflexive sur moi-même et par moi-même au

travers de l’élaboration et de l'analyse de ma pratique pédagogique et de ses difficultés et ce, en vue

d'une production scientifique de connaissances. Il s'agit donc d'un travail d’objectivation et de

compréhension qui, au regard du malaise existentiel professionnel lié à ma singularité, s'est imposé.

Dès lors, mis à part son corpus de connaissances comme outil d'analyse de l'action, notre référence

à la psychanalyse, consubstantielle à l'approche clinique, nous inspire avant tout une méthode de

travail exigeant de procéder « à un perpétuel retour sur soi-même » (Blanchard-Laville, 2001, p.

12). C'est pourquoi, mon expérience personnelle - d'élève, d'enseignante-stagiaire en formation et

d'intérimaire-, et sa confrontation à l'expérience collective d'enseignants constitueront le fil rouge

de ce travail, susceptibles d'y apporter une valeur auto-formative. Car « c'est à se faire chercheur

que l'enseignant se fait enseigné » (de Villers, 2007).

D'où, enfin, la nécessité d'un travail d'écriture et de communication des éléments de cette

élaboration, permettant aux lecteurs d’appréhender la pertinence des résultats et ainsi, de participer

au processus de leur validation (Devereux, in Blanchard-Laville, 2005).

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II.4.3. La validité des travaux de recherche cliniques d'orientation psychanalytique

Après en avoir questionné la légitimité d'une certaine utilisation de la psychanalyse, pour une

exploration du champ pédagogique en vue de produire de nouvelles connaissances sur le dit champ,

interrogeons la validité de ce type de travaux.

Dans son article, N. Mosconi (2003) précise en quoi consiste la « redéfinition des critères

conventionnels de scientificité » de la méthode clinique de recherche sur l'observation des pratiques

enseignantes. Selon l'auteure, c'est la justesse et la pertinence du lien établi entre les observations

empiriques et leur interprétation qui est visée, et cette visée est au cœur d'une validité interne.

L'interprétation ne vise pas une « correspondance » entre données et propositions explicatives au

sens positiviste du terme, mais plutôt, comme dit Habermas (1983, 1986) une clarification. Si nous

considérons le lien entre interprétation et validation, l'interprétation ne vise pas le vrai dans la

situation, mais le sens potentiel. Elle fait intervenir la notion d'« après-coup » au sens freudien du

terme, à savoir le fait qu'un événement passé, auquel du sens n'a pas été immédiatement accordé,

peut devenir signifiant, rétrospectivement. C'est le retour réflexif sur l'ensemble des données

empiriques qui permet de polariser la mise en sens (Blanchard-Laville, 2005).

Ainsi, le chercheur qui conduit sa recherche dans une démarche clinique est en capacité d'identifier,

à partir de cas singuliers, des mécanismes psychiques ou des organisations psychiques à l'œuvre

dans les situations étudiées. Celle-ci permet ainsi de les repérer comme potentiellement agissantes,

selon une forme de généralisation, dans toute situation relevant de cette catégorie (Ibid.).

Aussi, comme le souligne M. Bertrand,

« plus on arrive à cerner une singularité dans sa complexité, plus cette singularité a d'exemplarité et de

valeur universelle. C'est-à-dire qu'elle contribue à l'éclairage et à la connaissance de singularités

différentes » (Bertrand, 2004, p. 123).

La découverte de ces organisations psychiques est indissociable d'un incessant travail de

théorisation qui est consubstantiel à cette démarche, dans laquelle praxis et théorisation sont

dialectiquement reliées. Ainsi, la nature du travail clinique, basé sur un va-et-vient théorisation-

pratique, veut que des éléments théoriques produits par cette recherche servent de base à des

élaborations menées directement (Giust-Desprairies, 2004).

Comme le rappelle M. Cifali (1995), en référence à M. de Certeau (1990) et à F. Imbert (1985) :

« nos métiers appartiennent à une praxis : […] un art de faire soutenu par un acteur ; où il y a de

l’interaction- un acte avec d'autres ; de la singularité - ce qui s'y passe y est unique. Par sa complexité

humaine, où un acteur pose un acte avec un/des récepteurs qui le reçoivent et le transforment, un tel métier

exige une théorisation appropriée. » (Cifali, 1994)

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Cela nécessite, pour la psychanalyste,

« d'y inscrire une démarche clinique ou même une clinique, […] un ''lieu '' de théorisation où des

connaissances se construisent à même le vivant et dans l’implication. » (Cifali, 1995)

II.5. LA PSYCHANALYSE COMME INSTRUMENT DE RECHERCHE?

Dans le cadre de notre travail, c'est donc dans une visée de recherche empirique que les concepts et

savoirs issus de la psychanalyse seront utilisés, pour une exploration des processus inconscients à

l'œuvre dans le champ pédagogique. C'est en termes de lecture des phénomènes transférentiels et

contre-transférentiels mobilisés dans la relation pédagogique, à partir d'un corpus de données issues

de discours d'enseignants et d'observations de classe, de pratiques pédagogiques, que nous ferons

usage d'une interprétation de style analytique.

Cela nous amène à préciser notre question de départ soit « Qu'est-ce qui fait que surgissent, à un

moment donné, dans la relation maître-élève, des phénomènes transférentiels » pour problématiser

le rapport au « transfert » et les attitudes possibles des enseignants sous trois termes :

Premièrement, en termes de repérage. Comment les enseignants repèrent-ils ces

phénomènes transférentiels dans la relation pédagogique?

Deuxièmement, en termes de réception. Comment les enseignants reçoivent-ils les

manifestations transférentielles dont ils sont l’objet ?

Troisièmement, en termes de réaction. Quelles sont les attitudes adoptées par les

enseignants vis-à-vis des manifestations transférentielles ?

La lecture en termes de transfert devrait permettre de mieux cerner ce qui se joue au niveau du

rapport maître-élève, mais aussi du maître au groupe-classe. Si le concept de transfert prend son

origine et appartient au cadre de la cure analytique, il faut ajouter que les déplacements

transférentiels sont par nature inconscients. Seules les manifestations, les expressions psycho-

affectives, qualifiées d'effets de transfert, fonctionnent comme indicateurs et sont interprétables en

termes de transfert (Filloux, 2003). Les phénomènes de transfert, quant à eux, signifient dans leur

ensemble la dialectique psychique et ses effets observables pris dans leur ensemble, dans la relation

pédagogique.

Enfin, précisons qu'il n'est pas ici question « de comprendre les dysfonctionnements psychiques de

personnes en souffrance relevant de la pathologie, mais le fonctionnement de sujets '' ordinaires ''

au fonctionnement '' normal''. » (Rinaudo, communication personnelle, 08/04/2011)

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III. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

III.1. DÉMARCHE DE RECHERCHE

Notre problématique nous conduit à mener notre projet de recherche selon une démarche

exploratoire à visée compréhensive de type empirico-inductif. C'est tout au long des chapitres, sur

base d'une observation de ce qui se « dit » au travers du discours des acteurs et de ce qui se « fait »

au travers des pratiques dans le champ pédagogique, que nous tenterons d'en appréhender le réel.

Ce choix méthodologique s'oppose à celui de soumettre à la validité des faits des hypothèses

théoriques posées préalablement et à traiter notre matériel selon une perspective démonstrative ou

vérificative. Dès lors, nos hypothèses ne résulteront pas a priori d'un système théorique préexistant

ou de tout contact préalable avec le terrain ; mais bien des hypothèses interprétatives émises a

posteriori, c'est-à-dire induites par les effets de transfert observés dans une démarche empirique, de

terrain.

La construction progressive et inductive des hypothèses, comme anticipation d'une relation entre les

différents concepts, contribuera à orienter la recherche. Cette anticipation est le produit de la récolte

de l'analyse d'un matériau empirique de type clinique. Un matériel qui fut constitué d'une part, à

partir de propos recueillis dans le cadre d'observations effectuées sur le terrain pédagogique, ainsi

que d’entretiens individuels non directifs et, d'autre part, à partir de corpus de textes récents et plus

anciens (Mouvement de Pédagogie psychanalytique, 1908-1937), rendant compte tant d'expériences

pédagogiques que de résultats de recherche issus d'analyses de pratiques à référence

psychanalytique.

L'approche clinique de notre démarche revendique une méthodologie qualitative par Étude de cas.

Renvoyant à la notion de qualité, cette méthode a pour intérêt de mettre en évidence le sens

singulier, unique, spécifique des processus à l’œuvre en situation pédagogique et des éprouvés

affectifs. Leur articulation offre une compréhension des situations et des sujets en situation, dans

leur complexité en profondeur. Appréhendés dans leur singularité, ces cas peuvent donner lieu à

une théorisation par « généralisation empirique ». Aussi, Cl. Blanchard-Laville précise que

« ce que l'on découvre chez les autres est aussi sa propre réalité et celle de nous tous. Ce ne sont pas des

« cas » qui sont étudiés, ce sont des moments de vie, toujours en situation pédagogique, mais

singulièrement personnels. » (Préface de Beillerot, in Blanchard-Laville, 2002, p. 2)

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Enfin, cette recherche s'inscrit dans une perspective auto-formative, suscitée par mon expérience

professionnelle dans le champ de la pratique pédagogique. Une recherche impliquée qui pose la

question des processus de distanciation à mettre en œuvre ? Cette perspective de recherche engage

un travail personnel sur les représentations que j'en ai de ma propre activité professionnelle, des

lectures que j'ai été amenée à effectuer, de même que des terrains professionnels autres voire

nouveaux à explorer et à comparer à mon lieu d'exercice. La dimension formative de notre

démarche de recherche retrouve tout son intérêt en termes de rigueur, de statut de la théorie comme

outil d'analyse interprétative de l'action de l'articulation de l'expérience singulière à l'expérience

collective.

III.2. L'ENQUÊTE

Notre dispositif de terrain de type mixte s'est construit à partir de différentes méthodes qualitatives

de recueil de données tant directes qu'indirectes (Quivy & Van Campenhoudt, 2006). L'usage

respectif de ces méthodes, privilégiées dans la démarche clinique de recherche en sciences de

l'éducation, fut déterminé au cours de la recherche, aucun protocole définitif n'ayant été établi au

départ. L'enquête de recherche, n'ayant rien de linéaire, relève donc ici d'un « pragmatisme

méthodologique » (Ibidem, p. 208), dans un moment de va-et-vient entre notre question de

recherche, le cadre théorique et les hypothèses implicites ou idées directrices.

Cette enquête de recherche, telle qu'elle fut menée, a été déterminée par une phase exploratoire

préalable.

Dans un premier temps, expérience pédagogique personnelle, observations de terrain et entretiens

informels d'enseignants in situ, ont contribué à élaborer notre question de départ posant l'existence

de phénomènes transférentiels dans la relation maître-élève et interrogeant, de surcroît, tant leur

nature, que leur spécificité.

Dans un deuxième temps, des lectures de textes, d'analyses de pratiques comme de travaux de

recherche, et des entretiens exploratoires formalisés ont permis de spécifier notre cadre théorique

de recherche; mais aussi d'éclairer les aspects saillants des phénomènes transférentiels en vue de

formaliser le cadre problématique de notre recherche ; et enfin, de déterminer nos pistes de travail,

en fonction desquelles nous avons élaboré notre méthodologie de recherche.

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III.3. RECUEIL DE DONNÉES

La production des données de terrain a donc été réalisée selon les méthodes d'enquête qualitatives

par observation directe (participante) et indirecte (entretien individuel). Ces données sont destinées

à un travail d'analyse exhaustive de contenu du discours enseignant.

III.3.1. Recueil de données par observation

Le travail d'observation directe s'est produit dans deux établissements différents, relevant tous deux

de l’Enseignement ordinaire de niveau secondaire professionnel de qualification. Cette filière se

situe en parallèle à celle de l’enseignement général ou technique de transition, dans le 3e cycle du

secondaire. Ce travail a combiné à la fois l'observation extérieure, en tant que témoin du rapport

enseignant-enseigné sur le terrain pédagogique, et l'observation participante, en tant qu'actrice

participant aux événements et processus observés dans ce même rapport sur le même terrain.

La première observation de terrain (février-avril 2007) concerne un lycée, école à discrimination

positive, situé à Bruxelles (Belgique). L'expérience s'est effectuée, à titre de stagiaire en formation

enseignante, sur une période de trois mois au sein d'une classe exclusivement de filles (âgées de 16

à 18 ans), en 5e année secondaire d'orientation professionnelle de qualification, section Nursing.

Les cours dispensés comprenaient ceux de psychopédagogie, de techniques éducatives et de

pratique professionnelle (stages). L'observation fût conditionnée par une grille d'analyse structurée,

dans le cadre d'une démarche formative, basée sur une auto-évaluation critique et objective des

méthodes pédagogiques mises en œuvre et ce, lors des prestations de cours filmées en classe (Voir

exemple Annexe II).

La deuxième observation de terrain (avril-juin 2010) concerne un établissement de l'enseignement

secondaire, en Hainaut (Belgique). L'expérience s'est réalisée, à titre d'enseignante intérimaire, sur

une période de trois mois au sein de trois classes distinctes et mixtes. Il s'agissait d'une classe de 5e

année et de deux classes de 6e année d'orientation professionnelle de qualification, section

Éducateur. L'observation fût informelle, à situer dans le cadre de mes prestations de cours, dont

l'expérience pédagogique en termes d'incidents, de conduites, de discours fut rapportée dans un

journal de bord. La mise par écrit des faits et du ressenti fut réalisée dans l'après-coup, en vue d'un

travail ultérieur d'élaboration de ma pratique pédagogique et de son analyse interprétative.

L'observation participante, selon une posture d'actrice en situation pédagogique, a permis de

dépasser l'aspect strictement didactique pour accéder à celui du relationnel et du psycho-affectif.

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L'observation participante et informelle des membres du corps enseignant a également constitué un

matériau privilégié pour une analyse interprétative dans le cadre de notre recherche. Les principaux

intéressés sont deux enseignants du troisième degré de l’enseignement secondaire, l'un dispensant

le cours général de français, l'autre celui d'histoire-géographie. Les réunions de concertation,

conseils de classe, salle des professeurs et local des photocopieuses constituèrent des endroits

privilégiés pour saisir sur le vif les propos, attitudes, réactions et le questionnement des enseignants

en interaction, mettant en avant la vie en classe au quotidien. La prise de notes s'est réalisée dans le

journal de bord, à l'insu des enseignants et ce, soit instantanément en situation ; soit dans l'après-

coup de la situation observée. Ces données constituent un matériau empirique non suscité et donc

relativement authentique et spontané (Quivy & Van Campenhoudt, Ibidem, p. 179).

III.3.2. Recueil de données par entretien

En parallèle à la production de données par observation, des informations ont été recueillies selon

la méthode indirecte par entretien, sous forme de témoignage. Les méthodes d'entretien se

distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et d'interaction,

produisant des éléments d'analyse et de réflexion riches et nuancés (Quivy & Van Campenhoudt,

Ibidem, p. 173). Nous avons procédé à des entretiens individuels de style non-directif (Annexe III),

comme préconisé en démarche clinique, à partir du thème touchant à « la relation maître-élève »,

visant à favoriser chez l'enquêté une exploration des représentations, des attitudes, des sentiments

induits par le thème à explorer, et à saisir la signification du sujet (personne enseignante) au

problème. La conduite de ce type d'entretien implique un certain nombre de règles

méthodologiques relatives à la fonction d'écoute et d'exploration du discours du sujet interviewé.

Nous avons donc débuté l'entretien à partir d'une consigne orale large, en invitant l'enseignant(e)

enquêté(e) à s'exprimer « personnellement et le plus librement possible », à partir de cette question

de départ: « Comment vivez-vous, dans votre classe, vos relations avec vos élèves, vous,

personnellement, dans le cadre de votre pratique professionnelle? » Cependant, compte tenu du

caractère assez général du propos, sans introduire de nouvelle thématique - en cohérence avec le

choix méthodologique de non directivité -, une relance fut également prévue: « Auriez-vous une

situation précise qui vous vient à l'esprit? »

Le discours tenu par les enseignants sur leurs pratiques a eu lieu dans l'après-coup de l'exercice,

dans un passé proche soit dans la semaine qui a précédé l'entretien. Cela a permis de « cerner des

contours et des constructions que nous ne verrons pas lorsque, munis de nos seuls yeux, nous irons

voir et observer en direct une heure d’enseignement. » (Blanchard-Laville, 2002, pp. 85-86)

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L'enquête fut adressée à des enseignants selon des critères d'homogénéité et de volontariat.

Un premier critère d'homogénéité consistait à nous adresser à des enseignants de plein exercice,

recouvrant l’enseignement secondaire général de transition, dispensateurs des matières littéraires.

L'ancienneté des enquêtés est d'une durée moyenne de vingt ans. Professant dans une même

circonscription géographique, ils sont néanmoins issus d'établissements scolaires différents.

Un second critère de volontariat consistait à aller à la rencontre des enseignants in situ. Cela

signifie que ceux qui ont accepté de participer à notre enquête avaient eux-mêmes le désir de

répondre à l'offre-demande qui leur était présentée de s'exprimer sur leur métier d'enseignant, ainsi

que sur les difficultés et les questions que cela incombe. Ce critère du volontariat s'est avéré

essentiel quant à la définition du cadre de cette enquête en ce qu'il structure la situation d'entretien,

tant au niveau des contenus verbaux manifestes que des contenus latents.

Enfin, précisons que tout nom d'établissement a été omis et que le prénom des personnes

interviewées a été changé par souci d'anonymat.

Un premier entretien a été mené auprès de Chantal, enseignante en Lettres, depuis vingt ans, au

sein d'un établissement scolaire en Hainaut (Belgique). Elle est chargée des cours de français dans

le 1er degré (1re

-2e années) et le second degré (3

e-4

e années) de l’enseignement secondaire.

L'entretien s'est déroulé durant sa plage horaire libre dans son local de classe, cadre institué. D'une

durée d'environ une heure trente, il a fait l'objet d'un enregistrement audiophone et de prises de

notes ponctuelles. L'entretien terminé, la discussion s'est prolongée sur le courant dans lequel

s'inscrit le projet pédagogique et ré-éducatif de l'établissement scolaire.

Un second entretien a été réalisé auprès de Sylvie, enseignante en langues anciennes depuis vingt-

deux ans, au sein d'un établissement scolaire en Hainaut. Elle est chargée du cours de latin dans le

1er degré (1re

année), le second (3e année) et le 3

e degré (5

e année) de l’enseignement secondaire.

L'entretien s'est déroulé durant sa plage horaire libre dans un local de classe disponible. D'une durée

d'environ une heure trente, il a fait l'objet d'un enregistrement audiophone et de prise de notes

ponctuelles. L'entretien terminé, la discussion s'est poursuivie autour des lacunes en matière de

politique éducative dans le système d'enseignement.

Un troisième entretien a été mené auprès de Frédéric, enseignant en Lettres depuis dix-sept ans, au

sein d'un établissement scolaire en Hainaut. Il est chargé des cours de français dans le second degré

(4e année) et le 3

e degré (5

e et 6

e années) de l’enseignement secondaire. L'entretien s'est déroulé

durant sa plage horaire libre, dans un local d'études disponible. D'une durée d'environ une heure

trente, il a également fait l'objet d'un enregistrement audiophone et de prise de notes ponctuelles.

L'entretien terminé, la discussion s'est prolongée sur son expérience d'élève. Il a signifié son intérêt

quant à nos résultats de recherche, puis est retourné à ses tâches d'enseignement.

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Ces entretiens ont permis de relever des éléments d'analyse riches et nuancés au regard de notre

problématique. Durant ces échanges, les interlocuteurs ont exprimé leurs représentations quant à

leur mode de fonctionnement en classe, le type de relation établie avec les élèves, leurs perceptions

quant aux incidents survenus en situation pédagogique donnant lieu à une interprétation, mais aussi

à la résonance subjective évoquée au travers de ressentis et de réactions et enfin, à de nombreuses

questions ouvertes recouvrant tantôt des demandes implicites, tantôt des revendications formelles.

Dans notre démarche de recherche exploratoire de style inductif, le choix d'un dispositif constitué

des méthodes d'observation et d'entretien, exploitées en complémentarité, a permis d'effectuer un

travail d'investigation en profondeur et de répondre à un degré de validité satisfaisant.

III.4. TRAITEMENT DES DONNÉES

Le matériau empirique, produit par les méthodes d'observation et d'entretien, a fait l'objet d'un

travail systématique d'annotation ou de transcription fidèle et intégral. Nous avons opté pour une

transcription orthographique, sans ponctuation, combinant lisibilité et fidélité à la forme orale du

discours recueilli (Blanche-Benveniste & Jeanjean, 1987). Les verbatims ont été codés. Pour

exemple : C1Q5,L2-5. C= lettre initiale du prénom de l'enseignante Chantal ; 1= 1ère

à avoir passé

l'entretien, Q= Question ; 5= N° de la Question ; L= Ligne ; 2-5 : de la Ligne 2 à la Ligne 5.

En référence à O. Galatanu (1996) et J.-L. Rinaudo (2006), l'analyse des pratiques professionnelles

passe nécessairement par l’analyse de deux types de discours : d'une part, ceux qui accompagnent

et fondent ces pratiques et, d'autre part, les discours que tiennent les sujets sur eux-mêmes, sur leurs

pratiques et leurs rapports aux autres. Dans cette étude, nous nous centrerons sur les productions

discursives des enseignants du second type.

La référence à l'analyse de discours renvoie d'une part à ce qui est dit, à savoir ce qui relève d'une

analyse de contenu (Bardin, 2001) et, d'autre part, à comment cela est dit, à savoir ce qui touche à

l'énonciation (d'Unrug, 1974). Nous désignerons par discours, toute communication étudiée non

seulement au niveau de ses éléments constituants élémentaires (le mot), mais aussi et surtout à un

niveau égal et supérieur à l'énoncé (propositions, séquences) (d'Unrug 1974).

En cohérence avec notre démarche de recherche clinique, l'analyse qualitative se présente, ici,

comme étant un acte à travers lequel s'opère une lecture du matériau empirique. Il est constitué de

traces (notes d'observation, témoignages, transcriptions d'entretien) isolées momentanément de leur

terrain respectif, puis recontextualisées afin de les faire parler (Paillé & Mucchielli, 2008). Dans

cette mise en contexte, les phénomènes transférentiels peuvent être lus lorsqu'ils sont compris,

c'est-à-dire auxquels nous avons « attribué du sens » (Paillé & Mucchielli, Ibid., p. 59).

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III.5. ANALYSE DU RECUEIL DES DONNÉES

Le matériel a été traité selon la méthode qualitative d'analyse de contenu des discours. Pour ce

faire, nous avons procédé, en premier, à une analyse thématique catégorielle. Cette méthode est

« une opération de classification d'éléments constitutifs d'un ensemble par différenciation puis

regroupement par genre (analogie) d'après des critères préalablement définis. Les catégories sont

des rubriques ou classes qui rassemblent un groupe d'éléments sous un titre générique,

rassemblement effectué en raison des caractères communs de ces éléments » (Bardin, 2001, p. 150).

Le processus de catégorisation a pour intérêt de structurer l'information dont nous disposons afin de

la rendre intelligible, utilisable et significative (productrice de sens).

Cela implique une démarche comportant deux étapes:

Une première étape de morcellement des données par une analyse exhaustive et successive du

contenu des différents témoignages, à savoir :

une phase de découpage ou isolement progressif des données (indices) en unités

significatives (indicateurs), sans élaboration d'un pré-codage (sans grille de découpage) en

vue de minimiser les contraintes exercées sur la description de ce matériel ;

une phase de regroupement ou organisation de ces unités dans des rubriques (dimensions)

tendant à l'homogénéité ;

une phase de structuration inclusive progressive de ces rubriques (dimensions) dans des

catégories (concepts) de plus en plus extensives.

Une seconde étape a consisté en une nouvelle phase d'organisation progressive de ces données en

vue de la rédaction de leur synthèse. Il s'agit plus précisément de construire une nouvelle structure

identifiant et traduisant les liaisons significatives entre les catégories conceptualisantes précédentes,

permettant la mise en relation du discours des enseignants recueilli (notes de terrain, entretiens).

Ce premier travail d'analyse de contenu thématique par catégorisation s'est vu complété, dans un

deuxième temps, par un travail d'analyse formelle de l'énonciation du discours. Cette méthode

d'analyse repose sur une conception du discours comme « parole en acte », c'est-à-dire comme un

processus dont la dynamique propre est en elle-même révélatrice d'un travail qui se fait, d'un sens

qui s'élabore, de transformations qui s'opèrent. Cette étude est d'autant plus éclairante pour le

clinicien qu'elle permet le repérage voire l'interprétation des lapsus, hésitations, confusions,

répétitions, ruptures de phrases, de la mise en discours d'autrui et du sujet par lui-même. Cette

méthode est d’autant plus pertinente qu'elle s'applique au discours issu de l'entretien non directif où

la production est à la fois spontanée et contrainte par la situation. De ce fait, « le discours comme

« acte d'élaboration » au sens de S. Freud constitue à la fois « émergence de l'inconscient et

construction du discours. » (d'Unrug, 1974)

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Enfin, l’analyse de contenu a porté sur deux corpus : un premier, constitué de transcriptions de trois

entretiens et un second, constitué d'observations de classe. Ces deux corpus sont le recueil de

témoignages portant sur des cas vécus en classe dans la relation entre maître et élève(s), dont les

discours prêtent à une analyse comparative. Aussi, les transcriptions d'entretiens constituent un

corpus significatif, formé d'un ensemble de discours homogènes de par les mêmes conditions de

passation, selon une même question de départ, que de production. Répondant ainsi à des conditions

standardisées, ces textes sont, dès lors, potentiellement comparables entre eux.

III.6. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

Regroupement des rubriques sous forme de catégories conceptualisantes (concepts opératoires).

Mise en relation et articulation de ces différentes catégories en concepts théoriques issus de la

psychanalyse. Interprétation dans le cadre de la théorie analytique freudo-lacanienne.

Ainsi, la catégorie se situe, dans son essence, bien au-delà de la simple annotation descriptive ou de

la rubrique dénominative. Elle est en soi l'analyse, la conceptualisation mise en forme, la

théorisation en progression. Dès lors, nous pouvons définir ici une catégorie comme « une

production textuelle se présentant sous la forme d'une brève expression et permettant de dénommer

un phénomène perceptible à travers une lecture conceptuelle du matériau de recherche. » (Paillé &

Mucchielli, op.cit., p. 232) Ainsi la catégorie conceptualisante fait référence, au regard de notre

problématique, à une classe de phénomènes - tels que ceux du transfert - qui sont à lire dans leur

traduction discursive. Elle permet alors de visualiser un incident, une action, un processus, une

logique. Elle induit une représentation mentale précise en termes d'une dynamique ou d'une suite

d'événements. Elle donne donc à voir ce qui se passe et se joue en classe, dans la relation

enseignant-enseigné, sur la scène de l'inconscient.

III.7. VÉRIFICATION DES RÉSULTATS/HYPOTHÈSES

Cette démarche implique une analyse critique interne et externe de notre recherche, selon une

logique argumentative. Cela consiste à éprouver par l'exercice de la confrontation, la portée et les

limites de résultats obtenus.

Un premier examen critique interne vise à confronter les résultats au regard de notre question de

recherche, à s'interroger sur la pertinence épistémologique des choix tant théoriques que

méthodologiques.

Un second examen critique externe vise à confronter les résultats à ceux d'autres recherches comme

à des théories reconnues et définies. Il importe alors de consulter des lecteurs analystes, spécialistes

de notre problématique de recherche, pour une rencontre des résultats en termes de confirmation ou

d’infirmation. Dès lors, nous pourrons envisager notre argumentation comme étant concluante.

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DEUXIÈME PARTIE

RÉALISATION DE LA RECHERCHE

Analyse et lecture interprétative du discours recueilli des enseignants

sur leurs pratiques pédagogiques

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CHAPITRE I. LE JEU DES DÉSIRS DANS LE CHAMP PÉDAGOGIQUE

SELON L’APPROCHE ANALYTIQUE

« Le désir refoulé continue à subsister dans l'inconscient ;

il guette une occasion de se manifester et il réapparaît bientôt à la lumière,

mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable. »

Freud S., Cinq leçons de psychanalyse (1904), p. 21.

Dans le champ pédagogique opèrent les rapports des partenaires de la relation au savoir, les désirs

qui soutiennent tant le projet d’apprendre que l’intention d’instruire. Quels sont ces désirs qui sous-

tendent le rapport pédagogique ? Comment jouent et s’articulent ces désirs ? Qu’en est-il du désir

du maître ? De la façon dont il se constitue le représentant, soit le support de la fonction de savoir ?

Dans le texte déjà cité, Cl. Rabant pose que « l’efficace constitutive du champ pédagogique »

provient de la manière dont le désir du pédagogue croise celui de l’élève. Qu'en est-il donc - pour le

meilleur ou le pire - des désirs, des fantasmes et des pulsions que mobilise la position du

pédagogue, qu'articulent les termes de « désir pédagogique », « vœu pédagogique », autrement dit

du « désir d'enseigner » ?

Dans cette perspective, la psychanalyse permet d’approcher ce qu’il en est du jeu des désirs dans le

champ pédagogique, où l’inconscient joue son rôle. L’articulation, l’alliance d’un supposé désir de

savoir chez l’élève, comme de l’intention de l’enseignant d’être un représentant, un

« transmetteur » de ce savoir chez l’élève, constitue un enjeu dans la relation maître-élève.

Afin d'élider la question des désirs en jeu, nous analyserons successivement ce qui peut être

subsumé sous les notions de demande d’amour, de désir de maîtrise et d'emprise, d’image de soi-

élève dans le rapport à l'enfance/adolescence.

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I.1. LE DÉSIR DANS LA RELATION PÉDAGOGIQUE

I.1.1. AU-DELÀ DE LA DEMANDE

Dans la relation pédagogique-éducative, la communication apparente par un jeu de sollicitations,

d’interventions spontanées ou dirigées, de questions de clarification ou d'approfondissement,

dissimule une autre forme de communication, implicite celle-là, à base d’appels non formulés, de

désirs. Ils sous-tendent la question qui est une demande de quelque chose à laquelle des réponses

peuvent être données ou refusées.

« je sais qu'il y autre chose que la question qui est en jeu...ce qui n'est pas le cas chez tous les élèves! et

là... un élève qui pose une question pour approfondir les choses vous le sentez assez vite... il y a donc une

distinction à faire entre la question d'approfondissement et la question qui est plus une demande de

quelque chose... » (F3Q8,L4-7)

J. Lacan fait du désir l’objet même de l’investigation analytique et ses disciples (F. Dolto, M.

Mannoni, F. Oury) examinent comment le désir est le ressort de la relation éducative. Elle

constituerait pour l'enseignant une expérience intersubjective où, par le jeu du désir sous le mode de

l’interpellation, à qui veut se faire reconnaître, chaque partenaire accède à la conscience de soi.

« j'ai...j'ai pour consigne de dire qu'ils peuvent m'interpeller tout au long de l’enseignement... »

(F3Q1,L6)

Aussi, il est courant que l'élève fasse valoir le besoin auprès de l’enseignant, comme en témoigne

Chantal. Le besoin physiologique, selon Lacan, vise un objet défini et s’en satisfait.

« Non! tu viens d'arriver en classe, tu aurais quand même pu songer à aller aux toilettes...avant de

venir même si ça te mettais en retard de deux minutes parce que là maintenant tu me déranges... alors

dépêche-toi!... » (C1Q14,L12-16)

Cependant, la demande adressée à l’autre dépasse les satisfactions qu’elle implique, elle est

demande d’attention et d’intérêt. « Elle est, dit Lacan, demande d’une présence ou d’une absence.

Elle est avant tout demande d’amour » (Lacan, 1971, p. 109).

« ...ce n'est pas normal que tu me demandes ça maintenant mais bon je ne vais pas t'empêcher d'aller

aux toilettes » (C1Q14,L16-18).

Le désir n’est pas un simple appel à l’Autre ; il s’enracine dans l’imaginaire du sujet, c’est-à-dire

dans le rapport narcissique du sujet à son moi. Il est désir de faire reconnaître par l’Autre son

propre désir. « Le désir de l’homme est le désir de l’Autre, à savoir que c’est en tant qu’Autre qu’il

désire. » (Lacan, Ibid., p. 175-176). L’Autre qui peut être ici associé à la mère. L'élève, tout comme

le nourrisson, ne recherche pas seulement l’objet qui lui donnera une satisfaction à ses besoins

physiologiques, à savoir dans ce cas-ci à se soulager aux toilettes ; il repère le désir inconscient de

la mère, il tente d’être l’objet du désir de celle-ci, et pour cela, il prendra la place imaginaire du

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phallus, qui est dans la théorie de J. Lacan un signifiant fondamental de l’inconscient, celui du

manque, celui qui doit être signifié (cf. Partie théorique).

Nous proposons de confronter ici un cas similaire à celui témoigné par Chantal, qui s'est produit

dans le cadre de ma pratique pédagogique, dans une classe de 5e secondaire, section

Éducateur(ice)s spécialisé(e)s. Il s'agissait du cours de Techniques de communication et à la

relation, qui avait lieu à la troisième heure, juste après la récréation. Tous installés, les classeurs

ouverts, je m’apprêtai à prendre la parole pour ouvrir le cours, portant sur l'assertivité. Tout-à-coup,

un élève assis en dernière rangée, que nous appellerons Jonathan, lève la main et, sourire aux

lèvres, m'interpelle avec insistance :

Jonathan: « Madame! Madame! est-ce que je peux aller aux toilettes s'il vous plaît ?...c'est urgent! »

Moi : « Mais enfin ! Tu me demandes pour aller aux toilettes... alors que vous venez de rentrer de la

récréation, il fallait penser à y aller à ce moment-là... maintenant c'est le cours!»

J: « mais je n'avais pas besoin d'y aller à la récréation... c'est seulement maintenant... une minute... je

me dépêche... »

M : « Bon! exceptionnellement je te laisse y aller mais c'est la première et la dernière fois... urgent ou

pas... dorénavant ce sera non! et ça vaut bien sûr pour toute la classe... allez... file!»

En comparant les deux cas, nous observons que l'une comme l'autre insistons sur le caractère

aberrant du comportement, au travers duquel s'exprime une demande implicite, révélant

« l'enfant », au sens Freudien, chez le sujet-apprenant :

Ch : « je vais faire ça plutôt comme ça: '' ce n'est pas normal que tu me demandes ça maintenant mais

bon je ne vais pas t'empêcher d'aller aux toilettes ''... »

« donc on a des comportements comme ceux-là qui peuvent être aberrants parce qu'ils ont quand même

près de dix-huit ans... »

M: « Mais enfin ! Tu me demandes pour aller aux toilettes... alors que vous venez de rentrer de la

récréation... »

Dans les deux cas, nous accepterons de porter attention à l'élève en reconnaissant son besoin tel

qu'explicité. Néanmoins, Chantal affirmera son désaccord par une formulation négative tout en

donnant faveur à la demande de l'élève : « bon je ne vais pas t’empêcher d’aller aux toilettes ». A

l'inverse, dans mon cas, je marquerai mon accord par une formulation positive tout en intégrant ma

désapprobation en y précisant le caractère exceptionnel : « Bon! exceptionnellement je te laisse y

aller ». Une manœuvre inconsciente qui peut consister à contourner le désir de l'élève, afin de ne

pas y être directement confrontée. Ce qui renvoie à la préservation de mon propre désir d'être

désirée par l'élève, autrement dit d'une satisfaction narcissique.

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Cependant, dans les deux cas, nous signifierons le caractère inopportun de la demande latente que

recouvre la satisfaction du besoin :

Ch : « tu aurais quand même pu songer à ...avant de venir… » ;

« ce n'est pas normal que tu me demandes ça maintenant »

M: « il fallait penser à y aller à ce moment-là... maintenant c'est le cours! »

Dans les deux cas, nous préciserons en quoi ce comportement, comme indicateur de la demande,

est inadéquat. Néanmoins, nous pouvons observer une différence dans notre rapport à l'élève selon

notre propre mode d’interpellation. Dans le cas de Chantal, on voit un affrontement direct avec

l'élève dans un rapport binaire « Toi-Moi » : « parce que là maintenant tu me déranges... ». Dans le

cas de ma pratique, ce rapport binaire sera évité par réaction défensive en saisissant le « cours », à

la fois en tant que cadre institué et Savoir, comme substitut et dont la fonction consiste à faire

médiation : « maintenant c'est le cours! ».

De même, dans les deux cas, nous marquerons clairement l'interdit et sa signification par un Non!

Ch : « NON ! tu viens d’arriver en classe... ».

: « et donc on est parfois confronté à des situations qui ne sont vraiment pas dans la norme et je dis

''NON!'' fermement...''Vous vous arrêtez!'' et je dis que '' JE ne suis pas d'accord!'' »

: « à chaque fois je vais effectivement remettre le cadre... ce qui est normatif en fait... la norme c'est

ça! Or '' ce que tu me demandes c'est hors norme! ''... »

M: « mais c'est la première et la dernière fois... urgent ou pas... dorénavant ce sera non! »

Dans les deux cas, cet interdit sera réitéré au nom de la Loi symbolique selon le cadre institué et ce,

à chaque tentative de l'élève demandant à être l'objet privilégié d'attention et d'intérêt de

l'enseignante. C'est le désir d'être désiré par l'autre en vue de se sentir exister, soit la poursuite de

l'autre imaginaire, dont la loi de l'interdit fonde le désir impossible à satisfaire (Baïetto, 1985, p.34).

Si Chantal s'adresse directement à cet élève par le « Tu », tout en explicitant l'écho subjectif que ce

comportement suscite « Je », j'adopterai quant à moi une attitude défensive par évitement quant à la

dualité qu'implique cette demande. Cet évitement se caractérise dans mon discours par le

déplacement et donc le transfert du « Tu » au « Vous » pour s'éclipser en « Il » impersonnel et se

fondre dans le cadre institué et normatif du cours :

« Tu me demandes pour aller aux toilettes, alors que vous venez de rentrer de la récréation, il fallait

penser à y aller à ce moment-là... maintenant c'est le cours! »

De même, cet évitement défensif vis-à-vis de la relation duelle Moi-élève marqué par le « je te » va

à nouveau trouver son échappatoire par une généralisation exprimée par le « toute la classe... », en

tant que groupe d'élèves, précédemment évoquez par le « Vous venez de... ».

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« exceptionnellement je te laisse y aller mais c'est la première et la dernière fois... urgent ou pas...

dorénavant ce sera non! et ça vaut bien sûr pour toute la classe... allez... file ! »

Avec Chantal, nous pouvons nous interroger sur la décision à prendre quant à la demande qui nous

est adressée, soit en acceptant ou en refusant d'y souscrire : « maintenant est-ce que je vais l'accepter

ou pas l'accepter » et ce, compte tenu des enjeux relationnels et pédagogiques que cela incombe :

« selon que cela me permettra de travailler ou pas... ».

En tout état de cause, sachons que faire reconnaître son désir par l'Autre, chercher à être reconnu

dans son désir, en même temps que l'on reconnaît l'Autre, est au cœur de toute relation.

« parce que si je m'en réfère à leurs questions...selon moi ils ont déjà la réponse...donc pour moi leur

question renvoie plus à leur désir personnel qui est implicite...qu'ils n'osent pas dévoiler...pour se

défendre...ils résistent parce que ça les renvoie à eux-mêmes » (F3Q8,L49-52)

Comme le souligne J. Lacan,

« Ce que je cherche dans la parole, c'est la réponse de l'Autre. Ce qui me constitue comme sujet, c'est ma

question. Pour me faire reconnaître de l'Autre, je ne profère que ce qui fût en vue de ce qui sera » (Lacan,

Écrits I, p. 181).

Néanmoins, une certaine ambiguïté existe dans le jeu des désirs : le désir de l'Autre est nécessaire

pour la connaissance de soi, et pourtant le sujet éprouve la crainte d'être l'objet du désir de l'Autre et

de dépendre de lui. Au lieu d’entretenir le dialogue des désirs, certains n'utilisent l'Autre que pour

fortifier leur propre désir et ils ignorent comme sujet pouvant lui-même désirer. Ils se servent de

l'Autre pour que celui-ci reconnaisse leur désir et le nourrisse : ils se cherchent eux-mêmes sur le

mode fantasmatique.

« mais c'est parce que je sais qu'il y a autre chose que la question qui est en jeu...ce qui n'est pas le cas

chez tous les élèves! et là... un élève qui pose une question pour approfondir les choses vous le sentez

assez vite...il y a donc une distinction à faire entre la question d'approfondissement et la question qui est

plus une demande de quelque chose... et elle n'est pas toujours évidente parce que je ne sais pas non plus

si cette fille [une élève] attend un contenu... » (F3Q8,L4-8)

La relation éducative se situe dans le champ des désirs de l'enfant, de l'adolescent et de l'enseignant.

Le premier en interrogeant, l'Autre se sentant sollicité ou sollicitant lui-même. Ainsi le désir

d'aimer être aimé, d'être reconnu dans sa singularité, de s'approprier et de posséder, commun aux

deux partenaires, prend pour chacun d'eux des nuances particulières. Selon J. Natanson (1973), tout

être humain a besoin d'être reconnu comme tel, de compter aux yeux d'autrui. Le désir d'amour et

de domination sont les deux faces d'un même désir fondamental, le désir de reconnaissance.

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I.1.2. DU DÉSIR DE L'ENSEIGNANT AU DÉSIR D'ENSEIGNER

Au regard des témoignages recueillis et des observations relevées dans le cadre de ma pratique

pédagogique, le désir de domination prédominerait chez l’enseignant. Ce désir peut se manifester

chez lui par l'adoption d'une méthode pédagogique originale, dite différente ou non conforme à

l’enseignement magistral traditionnel, ou par le fait de dispenser une matière malléable pour

pouvoir la pétrir selon « le besoin du moment » mais aussi « sa propre sensibilité » et, de la sorte,

lui donner forme : « tel est le fantasme associé à son désir » (Natanson, Ibid., p. 157).

« car je pense que l'on n'utilise pas une méthode mais un peu de tout à un moment où l'on en éprouve le

besoin et en fonction aussi de sa propre sensibilité...ça fait comme ça une alchimie un petit

peu....(sourire)... » (C1Q17,L19-21)

« On leur propose donc une situation... une méthode différente d'approcher la matière... de voir des

choses intéressantes... je leur propose autre chose » (S2Q3,L3-4)

« ... histoire de faire découvrir le cours... alors on essaye effectivement de faire découvrir de toutes les

manières possibles la culture classique et ici... on est dans un épisode qui raconte « Le cheval de

Troie »... un film avec Brad Pitt et tout le machin.... » (S2Q2,L3-6)

« et au niveau de l'enseignement que je donne...ce ne sont pas des cours magistraux à l'ancienne c'est-

à-dire qu'il n'y a pas le maître qui parle et les élèves qui écoutent patiemment... j'ai...j'ai pour consigne

de dire qu'ils peuvent m'interpeller tout au long de l’enseignement...» (F3Q1,L3-7)

Dans le jeu des désirs - celui d'enseigner et celui d'apprendre - nous pouvons nous poser la question

de savoir ce qu'il en est du désir de l'enseignant et des pulsions mises en jeu que mobilise la

position de pédagogue ? Ainsi nous analyserons successivement ce que recouvre les notions de

« désir pédagogique », « désir d'enseigner », en termes de rapport à l'enfance, d'emprise, de

séduction et de plaisir.

I.1.3. L'IMAGE DE SOI-ENSEIGNANT AU TRAVERS DE L'IMAGE DE SOI-ÉLÈVE

Professionnellement, l'enseignant est en rapport direct avec des élèves qui sont des enfants, des

adolescents et, par conséquent, directement exposé à l'enfance, à l’adolescence. Cela renforce l'idée

de l'infantile, au sens freudien du terme, qui réside en chacun de nous. C'est pourquoi, l'enseignant

exposé à l'élève en face de lui, au double sens du terme - être devant, et être en risque -, se voit

réactiver en lui l'enfant qu'il a été, ainsi que des vécus, des affects, des représentations, des modes

de relation, voire de rapport à l'autorité, issus de son enfance et jusqu'alors refoulés.

Selon J.-L. Rinaudo, il s'agit davantage « qu'une réactivation, qui semble montrer une restitution à

l'identique de l'enfant qu'il a été, il s'agit d'une véritable remise au travail, reprise de l'élaboration. »

(Rinaudo, communication personnelle, 03/01/2012)

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L'image que l'enseignant a de l'autre-élève, en ce qu'elle est différente de l'image attendue ou

prévue, s'inscrit contre sa propre recherche narcissique de protection, de plénitude voire d'unité,

telle que vécue dans sa prime jeunesse (Filloux, 1974, p. 108).

« j'étais fort jeune quand j'ai commencé...j'avais 23 ans avec des élèves de 18 et donc j'étais moi-même

très jeune et j'avais eu un parcours scolaire... on va dire ce qu'il y a de plus lisse comme ça... mais quand

j'ai été diplômée en langues romanes... j'avais vingt-et-un ans donc je suis sortie très tôt et j'avais des

élèves de dix-huit ans et moi vingt-trois !... en ayant eu une vie très cocoonée hein... protégée par mes

parents plutôt d'un milieu catho... je ne connaissais pas du tout cet univers-là... » (C1Q15,L14-19)

Selon J. Filloux (Ibidem), on assiste à un processus de dramatisation du décalage entre les

représentations idéales que l'on a de soi et les représentations d'accession à la réalisation de cette

image idéale. Ce décalage est d’autant plus « violent » qu'il s'agit d'un mythe auquel se rattache

l'enseignant et dont la confrontation à la réalité peut constituer un véritable choc lourd à vivre. Le

mythe est, en référence à D. Anzieu, « cette réponse sur lui-même que l'homme construit à partir de

son ressenti. » (Anzieu, 1966, pp. 714-715) Les représentations que l'enseignant se fait de ces

conditions d'accession à la réalisation de cette image idéale peuvent alors être vécues sur un mode

persécutif qui les présentent comme essentiellement négatives. Ce que les élèves sont dans la réalité

de leurs caractéristiques socio-culturelles peut être vécu comme obstacle, source de négativité pour

l'enseignant en termes de rôle, de mode d’action ou d'influence, de réalisation personnelle qu'il

souhaite obtenir. L'image de soi-enseignant étant elle-même déterminée par l'image idéale de soi-

élève (Filloux, op.cit.).

« il y a des classes où c'est lourd... honnêtement! et ça que ce soit au niveau des attitudes... de leur

comportement d'un lourd et du vocabulaire... bon maintenant à quarante ans... bon ça va on peut appeler

un chat un chat... mais vous voyez bien que tout est dans la lourdeur finalement et ça me pose problème

dans mes normes à moi.... » (S2Q18,L23-26)

« [...] et donc au début le choc des cultures on va dire... ça été très très violent !... enfin je ne

connaissais pas... ils avaient près de vingt ans...enfin presque le même âge que moi... mais moi je ne

connaissais pas les jeunes qui faisaient les petits caïds et donc là j'ai été très secouée à un moment

donné... leur façon de se comporter avec moi aussi... (silence)... » (C1Q15,L20-23)

Ainsi l'enseignant projetterait sur l'élève une image fantasmatique qu'il a de soi en tant qu'idéal-du-

moi forgé sur ses propres identifications, ce qui peut générer un conflit entre le mythe personnel et

la réalité telle que vécue face aux élèves. Un enjeu pour l’enseignant dont témoigne ici Chantal.

« les gens qui n'arrivent pas à s'installer... c'est souvent parce qu'ils restent trop seuls parce qu'ils ont

beaucoup l'image haute de l'enseignant à l'école... qui doit garder ses élèves à tout prix et on ne peut pas

montrer que l'on a des difficultés » (S1Q16,L19-24)

Le mode de transposition de ce mythe dans la réalité présente, l'enseignant le vivrait comme

fondement légitime de ce que l'on doit faire en tant qu’enseignant ou des attentes que l'on peut

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avoir des élèves (Filloux, Ibidem, p. 107). Le déni du conflit, comme mode de défense suscité par la

représentation de ces différences, peut inscrire l'acte pédagogique dans un rapport clos sur lui-

même, où l'enseignant se définit et définit l'élève par rapport à l'image idéale qu'il a de lui. Mais

cette perspective n'est pas jouable,

« ceux [les enseignants] qui viennent chez nous dans cette perspective-là sont vite enfermés et comme

ils sont confrontés à des choses qui ne sont vraiment pas faciles et à ce moment-là ce n'est pas...ce n'est

pas jouable! » (C1Q16,L19-21)

encore moins tenable à partir du moment où ce décalage peut être vécu sur un mode persécuteur.

« et donc on a des enseignants qui ne font pas quatre jours !... ce n'est pas possible et bien voilà!.. » je

dois dire que je n'ai pas eu facile au début (silence, 4 sec)... j'ai vraiment mis six... pendant six mois je me

suis demandée si j'allais rester dans ce type d'école... » (C1Q15,L10-12)

Ce travail de désillusion constitue un réel apprentissage dont l'enjeu consiste en sa capacité de

gestion, à savoir être capable de marquer la différence entre l'élève réel et l'élève fantasmé, entre le

projet pédagogique et le produit, de faire de l'autre comme dit Rabant, « l'absolue présence de

l'identique à soi-même » (Rabant, 1968)

« oui enfin d'apprendre à pouvoir gérer ça... où on est capable de travailler dans ce milieu [scolaire]

ou on en est pas capable » (C1Q15,L8-9)

et ce, en apprenant à prendre distance par rapport à ce qui est vécu en classe et qui renvoie à ce que

l'on a été enfant, adolescent ou encore élève.

« il faut...il faut...et je vois aussi qu'en début de carrière les deux trois premières années ça s'apprend

aussi de ...de ... de faire un peu la distance par rapport à tout ce que l'on voit... à ce que l'on vous dit... à

ce que l'on vit en classe... » (C1Q15,L6-8)

Accepter de renoncer à l'image de soi-élève comme étant à l'origine de soi-enseignant, c'est aussi

renoncer à cette continuité qui, d'élève, l'a le plus souvent conduit à être enseignant. C'est aussi

renoncer au lien qui lui est propre, d'ordre narcissique, et sur lequel se fonde l'image de son rôle

d'enseignant actuel. L'enseignant est dans la nécessité de s'assumer, de se prendre en charge.

« pour travailler avec ce type de public [des élèves] il faut être à l'aise avec soi-même... si on est

dépressif... ce n'est pas là qu'il faut aller enseigner » (C1Q7,L25-26)

« il faut je pense déjà soi-même être plutôt bien dans ses baskets et dans sa tête sinon c'est très difficile

parce que effectivement on est face à des enfants qui cherchent...qui trouvent la faille.... qui ont un

détecteur pour ça et donc il faut s’assumer... se prendre en charge personnellement... car les gens qui ont

plus de mal avec eux-mêmes ont... le plus souvent...ont du mal aussi à travailler avec ce type de public en

particulier... et avec les jeunes en général... je pense que c'est un élément très important... » (C1Q7,L20-

25)

Selon J. Filloux, accepter cela, c’est aussi ouvrir le champ à la représentation des différences et à la

reconnaissance de la demande de l'autre-élève ; c'est faire tiers pour sortir du rapport duel, ou

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spéculaire (en miroir). Ce qui nous renvoie à le représentation que l'on a, enseignant, de la demande

réduite à celle de besoin que l'on connaît et que l'on peut satisfaire (Filloux, Ibid., p. 109).

Or, dans la relation pédagogique, c'est bien au niveau de la fantasmatique de la demande et du désir

de l'enseignant, dans une recherche narcissique, que cela se joue.

« le lien entre moi l'élève que j'ai été et l'élève [une certaine élève] qui est en face de moi...ça permet en

tout cas de... de faire tiers et sortir du rapport duel et de lui donner un sens...c'est-à-dire qu'au fond si je

me reconnais à travers ce que l'élève me dit de l’étudiant que j'ai été...et bien je serais probablement plus

proche d'elle [de l'élève] c'est-à-dire que je l'accompagnerais mieux et je la recevrais mieux... ce qu'elle

veut me dire...vous voyez c'est ça la question... » (F3Q12,L29-34)

Comme nous avons pu l'observer au regard des différents cas analysés, il intervient un mécanisme

de défense chez l'enseignant, où la demande est réduite à une demande d'aide, à des besoins de

dépendance que l'on connaît et que par là même on peut satisfaire.

De même l'enseignant, dans ses rapports infantiles à l'enseigné, peut se voir être confronté

inconsciemment à des reviviscences d'un passé d'élève (Filloux, 2000). S. Bernfeld, dans son

ouvrage Sisyphe ou les limites de l'éducation (1925), décrit l'éducateur comme étant contenu deux

fois dans la relation duelle pédagogique : en tant qu’enfant et en tant qu’éducateur. Ce dernier se

trouve ainsi placé devant deux enfants. L’enfant qu’il doit éduquer, face à lui, et l’enfant refoulé, en

lui. Il ne peut faire autrement que de traiter le premier comme il a vécu le second. Le lien tissé entre

l'élève et l'éducateur renvoie chacun à la situation œdipienne.

« Si donc dans une relation quelconque se tisse entre l'enfant et l’éducateur, il en résulte inévitablement et

pour ainsi dire automatiquement une situation œdipienne et cela de part et d'autre [...]. L'important, c'est

que l’éducateur aime l'enfant. Il joue en effet son rôle volontairement, avec enthousiasme et oubli de soi

poussé par une compulsion à répéter ou du moins par les traces de son propre complexe d’Œdipe. Cet

enfant qui se trouve en face de lui, c'est lui-même à l'âge où il était enfant, avec les mêmes désirs, les

mêmes conflits, les mêmes destinées. Ce sont des différences du Moi, dans la mesure où elles ont une

importance quelconque mais non pas des différences de pulsions et de désirs » (Bernfeld (1925), 1975, pp.

163-165).

Dès lors, vouloir éduquer l'enfant des autres, ce à quoi est voué le maître, le confronte à l'enfant en

lui dont il s'agit à la fois de se défendre par une idéalisation et de retrouver. Selon les cas, cela se

traduira chez certains enseignants par un désir de réparer ce qui a été subi dans sa propre enfance,

de l'exorciser, ou d'en faire une image de soi merveilleuse - l'enfant merveilleux - projetée sur

l'élève réel, à qui il est demandé de s'identifier. Mais, par cette poursuite même dans l'élève d'une

image de lui reconnue avec amour, l'enseignant ne peut qu'indiquer « son aliénation dans le désir de

l'autre » (Baïetto, 1985, p. 138). La dimension imaginaire du processus pédagogique fût déjà

dénoncée par Freud, dans son texte « Pour introduire le narcissisme » (La vie sexuelle (1914),

1969). Il est question de l’investissement narcissique de l'enfant par des « parents tendres » où la

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« surestimation domine ». L'enfant « pourra accomplir les rêves de désir que les parents n'ont pas

mis à exécution » (Freud, Ibid.)

A la suite d'une intervention psychosociologique dans un établissement pratiquant des méthodes

pédagogiques propres à ladite « École nouvelle », Fl. Giust-Desprairies, en décrivant l’« imaginaire

collectif d'une équipe d'instituteurs », voit l’enfant perçu par le maître comme un enfant « rêvé »,

dans un processus d’idéalisation. Mais cette idéalisation est corrélative d'une angoisse devant le

rappel, chez le pédagogue, de ses propres pulsions destructrices infantiles (Giust-Desprairies,

1989). « C'est pourquoi, dira J.-Cl. Filloux, tout ''vœu pédagogique'' implique l'ambivalence des

désirs portés sur l'enfant-élève. » (Filloux, 2000, p. 36)

Dès lors, comme l'écrit M. Mannoni en se référant à Freud :

« Plutôt que de former des enfants révolutionnaires, Freud suggère que c'est l'adulte qui devrait renouer

avec l'enfant en lui, à partir des conclusions formulées par la psychanalyse touchant la vie psychique de

l'enfant et le rôle qu'y jouent les pulsions sexuelles. » (Mannoni, cité par Cifali, 1982, p. 64)

I.1.4. DU DÉSIR DE L'ÉLÈVE AU DÉSIR DE SAVOIR

L'élève, dans sa relation à l'enseignant, désire attirer son attention sur lui, en vue de se sentir choisi,

privilégié. En référence à J. Lacan, c'est le « discours de l'Autre », celui de l’inconscient, qui

détermine et fonde la structure du désir. Dès lors, l'interrogation de l'élève sur le désir de l'Autre, et

par là même sur son propre désir, guide la relation pédagogique tout comme celle de l'analysant

dans la relation analytique (Filloux, 2009).

« alors je disais...il y a une question qui n'est plus seulement qu'une simple question de contenu...c'est-

à-dire qu'une question est toujours une mise à l'épreuve de ....de....la question permet à celui qui la pose

...de rentrer en scène...et ça il ne faut pas négliger » (F3Q3,L22-25)

Comme observé, le désir renvoie toujours à autre chose qu'à son objet. Il renvoie à un manque

constitué par la perte des premiers objets issus de la relation primitive mère-enfant, qui, passés en

tant qu'objets perdus, de l’ordre du réel à celui du signifiant symbolique (mot), sont la trame de

l’inconscient. L'objet perdu ne peut être que signifié (image), et non pas retrouvé, et c'est pourquoi

entre l'objet réel et le signifiant se trouve un écart, une béance, qui installe l'inconscient dans ce

manque fondamental, lui-même cause du désir (Filloux, 2009, p. 109). Ce désir subira dans sa

quête maints déplacements, au sens freudien, sur la personne de l'enseignant. Ce déplacement ou

métonymie du désir, au sens lacanien, renvoie à ce manque et non à son objet, à « quelque chose »

d'autre. Par conséquent, il y a toujours une inadéquation du désir et de son objet. Cet objet perdu

chez l'élève se retrouve dans ses effets, soit tester l'enseignant en vue de savoir s'il va y répondre

voire y correspondre ou pas et ce, dans son insistance à toujours témoigner de ce désir.

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« en même temps je sais que cet élève-là commence toujours une leçon comme ça…il arrive toujours en

classe avec quelque chose qui va faire que les cinq ou dix premières minutes c'est l'heure du test en

fait !... savoir si je vais répondre ou pas... si les limites que j'ai mises aujourd'hui sont celles que j'ai

mises hier...puis attirer l'attention sur lui...en montrant qu'il est bien là! ...(silence)... » (C1Q5,L8-12)

Aussi, l'élève exprimera son désir selon des modes opposés, allant de la séduction à la contestation.

Il agira de telle façon à repérer le désir de l'enseignant ainsi que ses attentes pour s'y identifier, puis

s'y ajuster en vue de mieux y répondre.

En situation pédagogique, l'enseignant résiste, ou bien répond aux désirs exprimés par l'enfant ou le

jeune, suivant que la sollicitation répond ou non à son propre désir, suivant qu'il pressent, sur le

plan inconscient, qu'il en tirera une satisfaction inconsciente de type narcissique. Tel est l'enjeu.

Comme nous venons de l'observer, devant les désirs inconscients de l'adulte, l'élève répond en

s’adaptant, en aménageant la relation par le contact, en fonction des objectifs visés par

l'enseignant ; ou au contraire, il manifeste une opposition voire un refus par réaction de défense.

Autrement dit, l'élève teste l'enseignant, il cherche la faille afin de s'imposer. Ainsi, on observe une

interdépendance dans l'organisation des désirs des partenaires. Si l'un, l'enseignant, est intransigeant

et intolérant au désir de l'autre; alors l'autre, l'élève, peut étouffer son désir voire l'amplifier et

s'opposer, avec une intolérance accrue au désir du premier, jusqu’à enfreindre la tâche

pédagogique.

Ces cas d’analyse montrent que quelle que soit la situation pédagogique, l'éducateur doit situer

l'élève par rapport à la demande qu'il exprime, et surtout par rapport à l'attente qui l'anime, soit faire

reconnaître par l'adulte son propre désir. Cela exige de la part de l'enseignant une vigilance accrue

et ce, dès le premier contact avec la classe, ou encore dès le début du cours.

« Oui! et c'est là que ça se joue en fait au début et à la fin [du cours] et c'est le cas dans beaucoup de

classes.. » (C1Q6,L1) ; « [...] donc ce sont ces deux moments j'ai envie de dire qu'il faut le plus soigner

au niveau relationnel » (C1Q6,L4-5)

« ...il faut être à l'aise avec ce que l'on va faire, dans quel ordre, ne pas trop avoir besoin de se

rappeler le contenu du cours à soi-même... et être disponible visuellement et auditivement à tout ce qui se

passe et donc comme j'ai dit « pour moi les cinq premières minutes c'est là qu’il faut être super

vigilant »... (C1Q14,L8-13)

« maintenant si on ne met pas les limites durant les cinq-dix premières minutes du cours... et bien on en

a qui font ça toute la leçon (rires) et puis ça fait du bruit et puis ce n'est plus possible de travailler... oui

(rires) » (C1Q14,L20-22)

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Le désir est dynamique dans le sens où il aspire à être rencontré et ce, en dehors de toute contrainte

« si j'en ai un qui arrive et qui se couche sur le banc...alors régulièrement je vais passer près de lui...

enfin je vais d'abord ouvrir moi-même la farde si lui ne veut pas l'ouvrir... lui montrer l'endroit auquel on

est arrivé dans le chapitre...donc je vais vraiment mettre tout à disposition comme le bic etc. ... je ne vais

pas lui dire « allez tu t'y mets! »... non. [...] à un moment donné tout doucement en faisant semblant de

rien... il finira quand-même par prendre le bic ou alors il me montre oralement qu'il m’écoute quand

même en répondant à l'une ou l'autre question même s'il ne veut pas écrire et là je lui dis... même si

l'objectif n'est pas formellement rempli... mais il s'est quand même passé quelque chose alors qu'au

départ c'était plutôt un jeune complètement perdu... » (C1Q7,L9-18)

Néanmoins, dans le discours des enseignants, nous observons également que le désir de l'un peut se

heurter au désir de l'autre, car ils ne se rencontrent pas nécessairement, et la satisfaction du désir de

l'un n'appelle pas pour autant celle du désir de l'autre.

« On leur propose donc une situation... une méthode différente d'approcher la matière... de voir des

choses intéressantes... je leur propose autre chose et puis eux ne sont pas du tout preneurs de ça

voilà...vivre d'autres choses que celles qu'ils connaissent... » (S2Q3,L3-6)

« J'arrête une première fois (la projection du film) en disant ''maintenant j'aimerais bien le silence !

J'aimerais bien que l'on regarde les choses correctement et que tout ce qui ne doit pas se vivre... ne se

vive pas ! Ok...on relance et tout et puis re-même topo! Là évidemment... on vient de demander les choses

à peine cinq minutes avant et il n'y a rien qui... j'arrête encore une fois et là je me fâche de manière

beaucoup plus... plus importante en disant (avec intonation) '' Que ce n'est pas possible! '' » (S2Q2,L20-

25)

« enfin... fondamentalement... je leur reproche leur manque d'ouverture !... ça je crois que tout au

fond... c'est ça qu'il y a ! » (S2Q3,L6-7)

Nous pouvons retrouver, tant chez l'enseignant que chez l’élève, la frustration narcissique générée

par le fait que la réponse donnée ne satisfait pas entièrement le désir auquel il convoque. Un

phénomène qui s'exprime, dans le rapport maître-élève, au travers d'une oscillation entre la

séduction et la contestation.

I.1.5. DU DÉSIR AU PLAISIR D'ENSEIGNER

Dans son ouvrage L'enseignement impossible (1973), J. Natanson associe désir et plaisir

d'enseigner. Comme observé dans le cas précédent, on peut affirmer avec l'auteur que

« Rares sont les situations où l'on puisse exercer sur autrui une activité qui fait plaisir et qui a l'approbation

de la conscience. Activité libidinale s'il en est... S'agissant d'une classe et de la dispense du savoir, on est en

présence d'une activité à la fois génitale (donner à qui manque, combler un vide, boucher les trous ) et

orale : parce que le médiateur est la parole - et aussi parce que le savoir est nourriture, bon lait (sucer le lait

du savoir) que l'on donne généreusement. » (Natanson, 1973, p. 70-71)

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Dans cette articulation désir-plaisir d'enseigner, on retrouve la présence de la domination chez

l'enseignant à l'égard de l'élève. Toujours selon l’auteur, « Être enseignant, c'est investir dans le

savoir afin d'exercer un pouvoir sur l'enfant. » (Natanson, 1973, p. 95) Cela signifie que le savoir

se présente, dans les fantasmes de l'enseignant, comme une substance orale à accaparer ou à

sauvegarder et lui confère, ainsi, un pouvoir. Avoir le savoir pour l'enseignant, c’est avoir la

possibilité d'exercer une action sur autrui. Selon l'auteur, sous le masque du contenu de la matière,

de la rationalité du programme et du temps imparti pour le boucler, de même sous l'apparence des

méthodes pédagogiques originales, s'établit une relation d'emprise chez l'enseignant. Selon

Natanson, la tâche pédagogique se situe à la fois entre une fascination de l'enseignant pour l'élève et

le désir ambigu qu'il devienne ce que l’enseignant veut qu'il soit.

La prise pédagogique est bien plus qu'une simple tutelle. Avoir prise sur l'autre, c'est le marquer

d'une empreinte indélébile, c'est-à-dire régir les désirs de l'élève en fonction des siens propres et

demander qu'il s'identifie à ses projets.

S: « ...la seule chose c'est d'avoir ce petit groupe que vous pouvez vraiment accompagner... ce n'est que

plaisir les uns vis-à-vis des autres ...et ici on est vraiment dans un groupe qu'il faut gérer à la

militaire...sinon ça ne marche pas!»

E/Q16: « Pourriez-vous m'en dire plus sur ce qu'est, pour vous, ce « plaisir » que vous venez

d'évoquer ? »

S: « Le plaisir d'avancer ensemble! sans être toujours obligé d’apprendre ça! ça! ça! Absolument ! (tape

de la main en saccade)... le plaisir d’apprendre ensemble et qui n'est pas de l'hédonisme en soi... Je me

dis que forcé et contraint... vous apprenez des choses mais pas pour toute la vie... Ce plaisir intellectuel...

c'est de pouvoir avancer et trouver des choses ensemble... qui fait qu'à ce moment-là vous pouvez être un

véritable accompagnateur qui va éveiller... susciter le désir d'apprendre chez l'élève en fait par lui-

même... Donc... c'est former des adultes... mais c'est aussi le plaisir intellectuel qui est là quand vous

comprenez les choses et qu'elles s'impriment en vous... cela s'imprime alors là pour toujours (silence)... »

Avec M-Cl. Baïetto (1985), on peut avancer qu'avoir prise sur l'autre, c'est vouloir en fin de compte

se faire reconnaître par lui ; c'est le désir que l'autre désire le sujet pour que ce dernier se sente

exister, c'est la poursuite de l'autre spéculaire (en miroir). L'auteure ajoute que l'enseignant « s'est

forgé une image idéale d'élève vers laquelle tendre et faire tendre ». Dès lors, on peut s'interroger si

on est dans une entreprise de construction ou de destruction ? Car vouloir régir le désir de l'élève,

c'est lui demander de n'« être pas ».

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I.1.6. LE DÉSIR D'ENSEIGNER : EMPRISE OU MAÎTRISE?

R. Dorey, dans son étude sur Le désir de savoir (1988), distingue l'emprise et la maîtrise : la

seconde est contrôle, organisation, joue sur soi comme l'autre ; l'emprise est à la fois appropriation,

volonté de graver son empreinte. Elle implique une « atteinte à l'autre comme sujet désirant », une

neutralisation du désir de l'autre, elle est de l’ordre d'une violence. Autrement dit, dans le champ

pédagogique, être maître, c'est plus qu'exercer une maîtrise, c'est dominer, marquer, régir le désir de

l'autre-élève voire le ravir, c'est le capturer.

Aussi œuvrer, « accompagner », « former des adultes » de demain et susciter en eux le désir

d'apprendre en faveur de l'élève, n'est-ce pas ce qui est conforme à l'idéal que s'en donne

l’enseignant, ou dont il se fait le transmetteur ? On peut parler ici d'un fantasme d'engendrement qui

prendrait la forme, selon J. Natanson, d'un désir de paternité culturelle, d'un « pouvoir d'engendrer

dans le savoir ». Cela consiste à

« Reproduire sa propre image, se perpétuer selon son propre modèle, imposer sa marque à d'autres qui vous

succéderont et assureront la prolongation de votre influence : c'est là une forme de paternité culturelle et

spirituelle qui est liée à la fois au désir du pouvoir et au désir d'immortalité. » (Natanson, op.cit.)

F: « [...] j'étais dans cette position de leader de groupe et c'est aussi une position de pouvoir et de prise

sur l'autre ce qui n'est pas nécessairement emprise sur l'autre...car on peut avoir prise sur l'autre sans en

avoir l'emprise...cela reste une liberté aussi...(silence)... »

E/Q9: Cela reste une liberté ?

F: « ... une liberté de penser...parce que l'emprise il n'y a plus aucune liberté...et il a y un message

adressé aux élèves qui est la transmission de ma pensée...c'est la finalité de mon cours c'est de

transmettre un rapport au savoir que j'ai moi-même acquis... qui se construit... avec le revers de la

médaille parce qu'il y en a toujours un...c'est (silence...)... je n'enseigne pas les courants littéraires

j'enseigne mon point de vue...que j'assume... »

En outre, comme en témoigne Frédéric, ce désir d’emprise peut également se manifester chez

l’élève, dans une relation de domination. C’est dans cet espace même que peut émerger les conflits

qui marquent le devenir et la forme du rapport pédagogique.

« j'ai posté un texte déontologique sur l'enregistrement des profs lors des cours...et ça lui était adressé

à elle [une certaine élève]...vous voyez cette prise de pouvoir sur l'autre « je peux prendre sa parole... je

m'approprie ses mots... je peux l'enregistrer mais je ne vais pas lui demander »...oui c'est de l'emprise... »

(F3Q8,L28-31)

Ici, le savoir peut apparaître à l’élève comme étant la propriété d’un autre, d’un maître tirant son

pouvoir de ce savoir, et dont elle peut vouloir s’approprier pour participer de sa puissance.

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Dans la « théorie des instincts », Freud (1920) marque l'opposition entre les instincts de vie et les

instincts de mort. L'amour concentré sur un objet présente une autre polarité : l'amour proprement

dit (tendresse) et la haine (agression). Dans les rapports à l'Autre, existe une oscillation entre la

pulsion d'amour (Ερος) et la pulsion agressive (Θανατος), entre aimer et détruire. Il affirme

également que l'instinct sexuel contient un élément sadique (Freud, 1905). Cet élément, dit Freud,

apparaît également à titre d'instinct partiel dominant, dans l'une des organisations qualifiées de

« prégénitales » (Freud, op.cit., p. 48)

Avec J. Filloux (1974, p. 162), nous pouvons émettre l'hypothèse que ce qui caractérise la

représentation que les enseignants ont de leur pouvoir, c'est qu'elle s'étaye en dernier ressort sur un

refoulement de l'agressivité et de l'hostilité, et que ce refoulement peut être constitutif du désir de

former, d'éduquer quand ce désir se fonde de façon privilégiée sur des identifications à l'idéal du

moi. Aussi, J. Filloux précise qu'identifier chez soi, en tant qu'enseignant, l’existence de sentiments

d'hostilité, de pulsions agressives à l'égard des élèves, est chose difficilement supportable, sinon à

les voir projeté sur eux, ces élèves fonctionnant alors comme image négative, anti-idéal du moi.

« c'est-à-dire à ce « qu'est-ce qu'elle me veut ? » avec toujours ses questions embêtantes...qui

m'agacent...et je serais tenté de dire ''celle-là je ne vais pas la rater à l'examen !...vous savez l'examen

c'est l'occasion idéale...''je vais lui poser beaucoup de questions difficiles''... c'est réactionnel...je

l'avoue!... avec ce côté un peu sadique... » (F3Q12,L35-39)

Aux désirs inconscients de former, de donner la vie s'opposent donc ceux d'omnipotence et de

destruction. Ces désirs conflictuels refoulés et actualisés ici dans le rêve sont levés, voire

remémorés par l'enseignant, ce dont il tente le décryptage. Privilégier la remémoration à la

répétition, par la mise en parole du rêve, comme mode d'expression de transferts, tel est l'enjeu.

« et puis je rêve ...je me bagarre avec mes élèves dans mes rêves...je les mets au pilori! je les brûle! Il y

du sang qui gicle (rires)...et je règle mes comptes dans mes rêves...je pourrais devenir dictateur et jouir

sadiquement et il y a des profs qui utilisent ça dans un but sadique...et qui règlent leurs comptes à

l'examen...c'est le tout pouvoir du savoir et de l'autorité du prof sur l'élève... c'est de la violence !... » (F3,

Q12,L40-44)

Il ressort de cette analyse que, comme le soutient R. Kaës, « le fantasme de former est, dans ses

formes les plus pures, un fantasme d'omnipotence et d'immortalité ; la destruction, l'angoisse, et la

culpabilité figurent toujours sur l'autre face » (Kaës, 1973, p. 2). Ajoutons que le savoir détenu par

l'enseignant, et dont il est le représentant, donne à l'enseignant une position de force. La

« sacralisation » scolaire du savoir lui confère une puissance lui permettant de s'imposer comme tel.

Mais « l'emprise pédagogique ne joue pas seulement sur le désir ou le plaisir de dominer ». Elle

« passe souvent - si ce n'est dans l'une de ces modalités fondamentales - par le désir de séduction. »

(Filloux, 2000, p. 39).

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I.1.7. DU DÉSIR D'ENSEIGNER À LA SÉDUCTION PÉDAGOGIQUE

Selon Mireille Cifali (2005) la séduction est à présent le sel de la relation pédagogique. Souveraine

dans notre société, elle est « séduction obligée » dans le rapport qu'entretient l'enseignant avec les

élèves, en l’occurrence avec les adolescents. Car séduire veut dire plaire, pour amener l'autre à aller

dans le sens de son désir. Mais cela signifie également tromper l'autre, pour exercer un pouvoir - le

pouvoir de séduction. L'emprise séductrice est alors avec la domination, un élément « obligé » du

maintien du pouvoir enseignant. « Il faut plaire aux élèves », dit l'enseignant, pour qu'ils puissent

s'y accrocher et s'identifier à lui. Aussi, dans son discours, l'enseignant privilégiera les termes

« plaire », « accueillir avec sourire et bienveillance », « accompagner » à celui de « séduire ».

Selon les dires d'un enseignant en Histoire-géographie dans le 3e degré du secondaire, alors que

nous attendions devant la porte fermée de la salle de projection pour nous y inscrire :

« Avec mes élèves...je joue la comédie... je fais semblant ... si vous voulez les accrocher... il faut leur

plaire... c'est une façon de les mettre dans sa poche... »

Avec R. Dorey (1988), on est forcé de constater que le mécanisme de la séduction pédagogique est

d'autant plus complexe et équivoque qu'il implique un savoir sur le désir de l'autre, de manière à le

capter, à le (r)accrocher, à l'utiliser pour ses objectifs et ses fins propres. Selon les dires de Sylvie,

de ce qu’elle sait du goût des élèves pour la culture mythologique,

« les dieux ça venait au départ de moi... j'ai présenté ce chapitre dans le cadre du programme du cours

et je sais qu'elle [une élève] attend ce moment avec impatience et en tant que prof... on sait que c'est le

thème qui pour certains élèves qui ne feraient plus de latin l'année prochaine... c'est encore le thème qui

les raccroche ceux qui ont décroché en début d'année et que c'est encore un peu fédérateur à la fin de

l'année, de les tenir aussi... » (S2Q7,L7-11)

Le désir d'enseigner tout comme celui d'apprendre chez l'élève se confond avec celui d'être aimé et

reconnu. Pour rappel, c'est « le désir que l'autre désire le sujet pour que ce dernier se sente exister,

c'est la poursuite de l'autre imaginaire. » (Baïetto, 1985, p. 34) La séduction devient, dit Dorey,

« une action de détournement, de conquête, qui parvient à ses fins par l'étalement de ses charmes et de ses

privilèges, c'est-à-dire par l'édification d'une illusion dans laquelle l'autre va s'égarer. » (Dorey, 1988, cité

par Cifali, op.cit., p. 193)

Dans ce sens, Cl. Pujade-Renaud (1983) décrit les moyens de séduction mis en œuvre par

l'enseignant qui relèvent de l'art du théâtre. L'enseignant-séducteur devient un enseignant-acteur

voulant à la fois fasciner et « faire apprendre les élèves », en utilisant « les ressources éducatrices

des arts du théâtre ». Il est condamné à donner de sa personne physique pour mieux capter

l'attention des élèves, les séduire par le regard et la parole, par une « théâtralisation pédagogique ».

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« je pense que justement quand on travaille avec ce type de public [...]et être disponible visuellement et

auditivement à tout ce qui se passe et donc j'ai dit « pour moi les cinq premières minutes c'est là qu’il

faut être super vigilant » (C1Q14,L8,11-13)

Dès lors, affirme J. Filloux, « la scène pédagogique est bien scène de théâtre: '' c’est quand même

une bonne partie de théâtre''. » (Filloux, 1974, p. 177) Tout n'est que jeu, donc il ne saurait y avoir

de risque. Toujours selon l'auteure, en soutenant sa figure de maître, de séducteur comme fiction,

l'enseignant se met à l'abri de reconnaître en lui ce qu'il pourrait en être de ses désirs de séduire, de

dominer ; en « jouant la comédie et en faisant semblant», il joue le jeu des pulsions comme jeu de

vérité « si vous voulez les accrocher... il faut leur plaire », je me mets à l'abri de leur vérité « c'est

une façon de les mettre dans sa poche... ».

Dans cette perspective, la mise en scène de la séduction dans le champ pédagogique devient un

champ de stratégies où la parole, le regard, le rire, l'humour, jouent leur partie.

« ces élèves-là sont nettement moins motivés à suivre le cours de français qui est nettement plus abstrait

et alors j'essaye toujours un petit peu de démystifier ça avec une touche d'humour en disant que ''les

figures de style cela aide rien que pour les mots croisés...ou à jouer au scrabble (rires) et de mettre un

peu la distance!'' » (C1Q13,L34-38)

« je suis persuadée que cette connivence permet aussi des petites touches d'humour... des petites feintes

mais pour arriver à ça avec des enfants de douze ans à vingt-cinq... » (S2Q15, L18-20)

« par exemple j'aime aussi travailler dans le concret et puis dans ma pratique je ris beaucoup...[...]

c'est indispensable...bon parfois avec mes élèves ça tombe à plat...et puis on s'amuse aussi tout en

travaillant...mais ce n'est pas seulement l'humour pour l'humour...» (F3Q8,L60-63)

De même séduire par le savoir et le savoir-faire, les épater par l'incontestable assurance de celui qui

manie la matière scolaire et ses concepts, suscite tout autant la fascination chez ceux qui l'écoutent.

« Donc moi... j'essaye d'illustrer par les choses de la vie quotidienne ou alors quand je sais que ce sont

des concepts très théoriques... vraiment des modèles comme celui de l'argumentation... c'est de les

expliciter ou d'en faire une démonstration et puis après prendre deux minutes de recul... en disant ''c'est

quand-même magnifique!'' et ils me regardent! Comme ça! (mimiques) en me disant ouah ! (rires)... les

épater!...c'est une façon de faire parfois.... et c'est tout le groupe qui prend alors le pas (rires)... »

(C1Q13,L43-48)

Ainsi, comme le souligne M. Cifali,

« Si je séduis, mon savoir, mon enseignement séduisent en conséquence. Sans moi séducteur, la matière à

ingurgiter est rébarbative, le non-sens de certaines pratiques scolaires fait surface. J'ouvre ainsi un élève au

monde. Je le tiens pour mieux le captiver. » (Cifali, op.cit., p. 191)

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De cette stratégie de séduction comme méthode de transmission, l'enseignant peut vouloir s'en

protéger, mais aussi s'en défendre au nom d'une posture réflexive, soit d'une chasteté pédagogique.

« c'est de les accueillir gentiment avec beaucoup de respect et avec un sourire mais aussi tout de suite

cadrer en disant NON !..tu viens d'arriver en classe...» (C1Q14,L13-14)

« ce que je fais aussi c'est que je suis très réflexif dans mon enseignement et je dis à mes élèves '' n'allez

pas parler de mes méthodes pédagogiques aux autres collègues parce que sinon je ne durerai pas encore

un an je serai dans un hôpital psychiatrique...'' » (F3Q,L63-66)

« attention! je ne prétends pas détenir toute la capacité d'attention...je me remets régulièrement en

question et sur mon positionnement par rapport aux élèves...sur la façon dont je leur transmets ce

savoir...dans un autre rapport que celui de la séduction...où les élèves disent ce prof est génial !... » (F3Q

8,L57-60)

Dans un jeu de séduction qui trouve son origine dans l'identification primaire, soit dans la relation

imaginaire à deux mère-enfant, rapidement l'enseignant tente de se constituer, dans une démarche

narcissique, à la fois comme objet d'amour et de désir tout en ignorant l'autre comme être de désir.

« il me dit quoi le rêve?...Il me dit que l'on est dans l'hypothèse de l’accomplissement de désirs...et bon

mon désir il est mis en œuvre là et c'est ce que je disais juste avant avec mes élèves et la mise à l'épreuve

de ce que je représente pour eux et ce qu'ils représentent pour moi aussi et donc c'est intéressant que cet

espace psychique vienne dialectiser quelque chose... en tout cas de mettre la distance avec le désir...de

faire cours tout seul (rires)... » (F3Q3,L17-22)

« je pratique aussi beaucoup d’auto-dérision...[...] c'est une façon de dire laissez-moi dans ma position

de clown... dans ma position d'exception...c'est aussi le narcissisme à travers ça... » (F3Q8,L66-71)

Le bénéfice que l’enseignant retirera de ce pouvoir de fascination à deux ou à plusieurs qui

imprime l'autre de sa marque, il en retirera de la jouissance narcissique, du « plaisir » qu'il avouera

ou duquel il se défendra.

« parce que j'aime bien faire le clown...je prends plaisir...je m'amuse...il faut aussi que je m'amuse

alors j'essaye d'amuser et les élèves qui sont désarçonnés... » (F3Q8,L71-72)

«... le plaisir d’apprendre ensemble et qui n'est pas de l'hédonisme en soi... je me dis que forcé et

contraint... vous apprenez des choses mais pas pour toute la vie... Ce plaisir intellectuel... c'est de

pouvoir avancer et trouver des choses ensemble... qui fait qu'à ce moment-là vous pouvez être un

véritable accompagnateur qui va éveiller... susciter le désir d'apprendre chez l'élève en fait par lui-

même... » (S2Q15,L2-8)

« mais j'aime bien raconter des anecdotes et ça c'est mon côté amuseur de groupe...[...] et c'est aussi

une position de pouvoir et de prise sur l'autre ce qui n'est pas nécessairement emprise sur l'autre...car on

peut avoir prise sur l'autre sans en avoir l'emprise... » (F3Q8,L77-80)

Ici-même, rejaillit la question du pouvoir et de la séduction et de leur articulation dans la figure

même du maître charismatique. Ainsi au départ, on peut observer des sentiments hostiles qui, selon

E. Enriquez (1983), pourraient naître du fait même que tout sentiment est ambivalent (par le biais

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de ce que Freud appelle le narcissisme des petites différences, acte psychique) et qui, par ailleurs,

renforceraient la cohésion du groupe et placeraient celui-ci en position de guerre potentielle avec

les étrangers, perçus comme des ennemis.

« écoutez c'est une tension permanente...c'est une lutte !...c'est vraiment celui qui réussira à s'imposer à

l'autre ...qui l'emportera sur l'autre...c'est ça la question » (S2Q14,L1-2)

Selon E. Enriquez (1983), une organisation a donc besoin de se construire des ennemis pour exister

et pour durer, autrement dit tout groupe n’existe que dans un champ de guerre généralisée

« par exemple dans une classe ils m'ont déjà dit « Madame... quand vous arrivez chez nous... vous ne

souriez jamais » et bien je n'ai pas envie de sourire car quand j'arrive c'est juste après l'inter-cours et

c'est le chambard... ils se tapent dessus pour jouer...bon bref! vous arrivez déjà dans un contexte

nucléaire quoi! (exclamation avec gestuelle des mains)...et vous arrivez déjà dans ce contexte-là

crispée » (S2Q16,L7-11)

De même, dans le cadre de ma pratique pédagogique, lors d'un intérim, certains élèves bruyants

d'une classe de 6e année, section Éducateur spécialisé, m'interpellèrent durant un cours de pratique

professionnelle.

E1 : « quand vous parlez on dirait que vous êtes stressée...vous semblez tendue... on vous stresse

madame... (sourire)? »

Moi : « est-ce que je suis stressée ?...(regard interrogateur levé) »

E2 : « d'ailleurs pour vous arracher un sourire... »

E3 : « allez...faites-nous un sourire...vous êtes belle quand vous souriez... »

Moi : « il ne tient qu'à vous de faire en sorte que je souris... collaborer et je sourirai (grand sourire)»

E1 : « sourire jaune... »; E2 et E3 : « houai...pfff.... »

Ces situations de domination-soumission se fondent autour d’un chef (réel ou imaginaire), qui

idéalement aspire à canaliser les sentiments hostiles et les transformer en des sentiments de respect,

d’admiration (Enriquez, Ibid.), soit la capacité du maître à séduire, suggestionner, assujettir.

« et pour moi... le côté idéal c'est de dire « allons jusqu'au bout! si on croit en la valeur de l'individu

qui peut à un moment donné se rassembler et que l'on peut accompagner dans son apprentissage! »

(S2Q14,L2-4)

L'image du chef séduisant une foule capable de la fédérer et de la mener « comme un seul homme »

se présente dans le discours comme l'idéal de l'enseignant, tel le révèle la libre association. « mais un groupe de vingt-cinq élèves avec des individualités aussi riches... aussi complexes... comment

voulez-vous que cela marche comme un seul homme ? » (S2Q14,L4-6)

« il y a un mot qui me vient à l'esprit... c'est plus épidermique qu'autre chose et pas nécessairement

réfléchi... la seule chose c'est d'avoir ce petit groupe que vous pouvez vraiment accompagner... ce n'est

que plaisir les uns vis-à-vis des autres et ici on est vraiment dans un groupe qu'il faut gérer à la

militaire...sinon ça ne marche pas! ... » (S2Q14,L21-24)

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Cela nous renvoie, dès à présent, à certains pédagogues-psychanalystes, en l’occurrence à H.

Zulliger à propos du Maître-guide, que nous aborderons plus avant dans le chapitre Pouvoir et

groupe. Il en ressort que l'on tombe, par la séduction, dans la suggestion hypnotique, tension vers

un moi-idéal et dépossession du moi au profit des autres ou d'un seul, où mécanismes

d'identification et d'idéalisation sont susceptibles de surgir (Cifali, Ibid., p. 203).

« On sait bien que les adolescents ont besoin d'appartenir à un groupe tel quel... on a tous besoin de

s'identifier mais ces grands groupes-là non... me semble-t-il!... » (S2Q14,L6-7)

« La preuve... dans ces deux groupes... mais ce que l'on peut vivre là c'est incomparable... là oui j'ai

vraiment ma place comme accompagnatrice de ces élèves... éveilleuse d'un tas de choses dans leur tête et

même dans leur cœur et ces élèves ont choisi le latin... ils ont fait un choix... c'est important et qui vous

respectent et sont bienveillants... » (S2Q15,L10-13)

Pourtant, « Derrière la séduction, il y a du pouvoir, une destruction... . Un adulte cache à un enfant

par le recours à la séduction, la violence contenue dans leur rapport » (Cifali, Ibid., p. 198). Cette

violence latente est d’autant plus tranchante que la relation est tissée de proximités et d'affects.

« Par exemple, un élève me dit en cinquième qui a toujours sa mèche dans les yeux « oh! Madame...

vous avez coupé vos cheveux! » et moi je lui réponds sur le ton de la rigolade « et toi? »... on sent très

bien que là je peux me permettre de dire ce genre de choses car il y a justement un climat de

bienveillance... de confiance et je suis persuadée que cette connivence permet aussi des petites touches

d'humour... des petites feintes » (S2Q15,L14-18)

« et c'est vrai aussi que j'aime transgresser dans mes pratiques pédagogiques...avec des questions

incisives...qui interpellent mes élèves...parfois comme je l'ai dit j'ai l'impression d'être le clown de

service... » (F3Q9,L22-24)

Selon M. Cifali (Ibidem), si l'on est toujours fasciné par la séduction, on sera à jamais pris par le

fantasme. La séduction nous fait glisser sur l'inévitable pouvoir que chacun prend sur un autre et

qu'une fonction peut offrir - tels les trois métiers impossibles énoncés par Freud (1925): éduquer,

gouverner et soigner. Mais, rappelle M. Cifali, la séduction est inséparable du problème de la

confrontation à la loi, celle qui marque la différence par une « prise de distance » et qui, objet tiers,

permet à chacun de se situer et de différencier les places. Un pouvoir de séduction qui peut se vivre

sur le mode de la captation imaginaire, enjeu que Frédéric repère et reconnaît comme tel.

F: « ce qu'il y a c'est comment ne pas être pris dans la scène de séduction quoi! [...]...c'est aussi mes

propres désirs qui sont pris du côté simplement de la séduction...c'est-à-dire que finalement il n'y a plus

que elle [une élève] et moi dans le cours et donc ça ce doit être prémédité et donc ce n'est possible que

parce que je le repère... heureusement parce que là je ne pourrais plus non plus prendre distance par

rapport aussi à la haine que je peux éprouver!...»

E/Q8: Si je vous ai bien compris vous éprouvez des sentiments ambivalents vis-à-vis de l'élève?

F: « Oui! c'est une tension... c'est pour ça que je rêve...je rêve et évidemment c'est le risque d'être pris et

de vouloir aussi avoir le dernier mot... »

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Avec Dorey, M. Cifali (2005) affirme que l'emprise séductrice traduit

« une tendance très fondamentale à la neutralisation du désir d'autrui, c'est-à-dire à la réduction de toute

altérité, de toute différence, à l'abolition de toute spécificité, la visée étant de ramener l'autre à la fonction

et au stade d'objet entièrement assimilable. » (Cifali, Ibidem, p. 193 )

Il résulte du discours enseignant que l'objectif visé par ce dernier consiste à faciliter les

apprentissages scolaires. Mais, comme le souligne M.-Cl. Baïetto (1985), pour faire aimer la

matière enseignée, ce qui reste malgré tout sa visée, l'enseignant doit se faire aimer de chaque élève

et l'aimer de même. S'étayant sur la demande de l'enseignant que l'élève s'attache à lui, voire dans

certains cas s'y accroche, c'est à une véritable enflure de l'affectif à laquelle nous assistons dans la

classe, par la naissance de l’amour au sein de la relation pédagogique (Filloux, 1974). Nous

pouvons dès lors nous interroger sur ce que fait le maître du désir de savoir (ou de ne pas savoir)

chez l'élève? Ou encore, en référence à J. Moll « Qu'en est-il du désir d'apprendre dans la relation

de domination? » (Moll, In J. Houssaye, 1993)

A ce stade de notre étude, il convient de savoir de quelle nature sont ces transferts adressés à

l'autre? Quel rôle joue le désir dans leur émergence ? Quelles conditions cela requiert-il ? Comment

ces phénomènes sont-ils traités tant par les analystes que par les enseignants ? Autant de questions

que nous allons tâcher d'investiguer.

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CHAPITRE II. LE TRANSFERT

« L'exploit psychique le plus formidable

dont un homme soit capable :

vaincre sa propre passion au nom

d'une mission à laquelle il s'est voué. » FREUD S., « Le Moïse de Michel-Ange », Essais de psychanalyse appliquée, p. 36.

II.1. LE CONCEPT DE TRANSFERT : DE LA CURE ANALYTIQUE au CHAMP

PEDAGOGIQUE

Nous retenons du transfert (cf. Partie théorique) qu'il s’agit d'un concept issu du cadre de la cure

analytique articulé au champ pédagogique et, en l'occurrence, à la relation maître-élève. Dans un

sens général, il s'agit d'un « processus par lequel les désirs inconscients s'actualisent sur certains

objets dans le cadre d'une certain type de relation établi avec eux » (Laplanche & Pontalis, 2004, p.

492). Ainsi l’enseignant peut-il représenter quelque imago maternelle ou paternelle, par laquelle

l’enfant est porté. Comme noté par Freud (1914), il arrive qu'un amour de transfert soutienne le

désir d'apprendre chez l'élève. Plus généralement dans le cadre de la classe et des apprentissages, il

peut s'opérer le déplacement de l’investissement d'un objet primordial Ŕ dans une perspective

kleinienne, le corps de la mère et ses contenus Ŕ sur de nouveaux objets.

Concernant le transfert ou le contre-transfert de l’enseignant, peut également s’observer le

déplacement de désirs anciens sur de nouveaux objets que supporte la réalité actuelle des

enfants/adolescents. Dans les deux cas, il y a transfert en tant qu'il y a actualisation de désirs

inconscients, ou encore déplacement de questions restées jusqu'alors sans réponse faute de

destinataire pour le décrypter.

Nous avons également noté que la relation pédagogique pouvait constituer le cadre d’émergence

d’un Sujet-supposé-Savoir. A savoir, la rencontre d'un savoir énigmatique dont l'Autre est supposé

pouvoir lui prêter le sens de son Être au monde. Trop souvent dit F. Imbert (1996, 2005), les

enseignants ne sont pas supposés savoir, parce que trop soucieux de se poser dans la possession et

dans la maîtrise du savoir. Pour ne pas se soumettre au manque, ils risquent d'endormir Ŕ de sidérer

Ŕ le désir de savoir chez l'élève. J. Filloux (1974) souligne que la désaffection pour le travail

scolaire s'origine le plus souvent dans la confrontation à « des contenus qui ne peuvent être perçus

comme des réponses là où il n'y a pas de question en jeu, là où on ne peut poser des questions »

(Filloux, 1974, p. 220). Tel semble pourtant être l'enjeu de la relation maître-élève dans le champ

pédagogique, comme nous le témoignera ci-après notre enseignant interviewé Frédéric.

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II.2. DÉPLIAGE DU CONCEPT ANALYTIQUE DU TRANSFERT DANS LE CHAMP

PÉDAGOGIQUE

A présent, nous allons tâcher de déplier, à partir du discours recueilli de Frédéric à propos de son

professeur de Lettres, comment le transfert œuvre dans la relation pédagogique et ce, à partir des

concepts de Sujet-supposé-Savoir, du manque à être comme condition du désir de l'enseignant, lui-

même réduit à l’objet α par l'élève. Le désir constitue un élément central dans le transfert car il

noue à la fois les bribes des registres imaginaire, symbolique et réel. Pour ce faire, nous nous en

référerons à la lecture commentée du Banquet de Platon par Lacan, dans le Séminaire (Livre VIII)

intitulé Le Transfert. L'intérêt est d'observer comment Socrate, philosophe libre et pédagogue

pratiquant la maïeutique, se conduit en analyste. Ce dialogue, consacré à l'essence de l'amour,

s'avère pertinent pour questionner la dialectique entre amour et désir dans l'expérience

transférentielle, tant dans la cure analytique que dans la relation pédagogique. Ainsi, au travers du

discours de Socrate et au regard de notre problématique, nous chercherons tout d’abord, à repérer

les composantes du transfert ; ensuite, à identifier comment Socrate reçoit la demande d’Alcibiade

et, de surcroît, comment il y réagit de par la posture qu’il adopte ; enfin, comment Socrate répond à

Alcibiade, en le renvoyant à la vérité de son désir, soit à Agathon.

II.2.1. LE POUVOIR DE LA PAROLE

Dans son Séminaire, Lacan insiste sur l'irruption d'Alcibiade dans ce banquet où se succèdent les

orateurs cherchant à définir l'Amour sous l'égide de Socrate. Alcibiade nous entretient avec émotion

de la parole de Socrate, parole envoûtante qui charme et qui subjugue ceux qui l'entendent. Il la

compare au chant de la flûte de Marsyas, le Silène de Phrygie qui jouait pour les dieux :

« Les airs de ce dernier qu'ils soient joués par un grand flûtiste ou bien par une pauvre joueuse de

flûte, sont seuls à mettre en état de possession, et parce qu'ils sont divins, à manifester ceux qui ont

besoin des Dieux comme de leurs initiations. » (Platon, +/- 416 ACN, p. 753)

Frédéric, notre enseignant interviewé, dira à propos de son professeur de Lettres :

« il tenait sa classe en haleine .....rien ne lui faisait peur...il faisait des lectures commentées et lisait

dans la langue d'origine... » (F3Q12,L2-3)

Il s’agit d'un pouvoir de fascination qui relève de la suggestion hypnotique et qui captive, ravit et

possède le sujet.

Alcibiade : « [...] lorsqu'on t'entend, ou qu'on entend tes propos rapportés par un autre, celui qui les

rapporte, [...] nous éprouvons un trouble profond : nous sommes possédés ».

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Frédéric : « ça veut dire que c'est une admiration sans borne...une fascination... » (F3Q11,L4)

II.2.2. LA NAISSANCE DU TRANSFERT

Le sujet est charmé par la personne du Maître et ravi par le son de sa voix. Il y a assujettissement à

la parole du maître et au discours qu’il émet :

Alcibiade : « Quand je l’entends, le cœur me bat bien plus qu’aux corybantes. Ses propos m’arrachent

des larmes et je vois quantité d’autres personnes ressentir les mêmes émotions !...j’ai conscience que si je

continuais à lui prêter l’oreille, je serais sans résistance... »

Frédéric : « ça veut dire que quelqu'un qui fait ça moi je ne peux pas le traiter de fou… je ne peux que

l'admirer...il y a une folie...il y a un génie quoi...et pour moi je n'aurais manquer un cours sous aucun

prétexte...même malade je pense que je me serais déplacé... » (F3Q11,L5-7)

Ainsi, la lecture d'un écrit, la narration de l'histoire par le maître à penser peut avoir à lui seul un

effet révélateur pour celui qui l'écoute, et éveiller chez le sujet un savoir inconscient. Une lecture,

une pensée peut donc influer sur le destin du sujet, lui ouvrir un chemin initiatique. Le sujet est

donc capté par ce savoir qui le rend à lui-même dans ce qui est désigné par un discours du maître :

Frédéric : « en fait je remarque que ce sont des maîtres...c'est un discours de maître et c'est comme que

je...je...il a transmis une pensée...et ce prof connaissait à fond l'histoire même de Shakespeare...il le

rendait vivant et d'ailleurs j'ai fait mon travail sur Shakespeare...sur ''La tempête''... » (F3Q11,L7-11)

Néanmoins le sujet est pris dans l’ambivalence des sentiments amour-haine, attachement-rejet

transférés sur la personne du maître. Mis dans une position de détenteur du savoir par le sujet, le

maître se voit attribuer un pouvoir implicite, une autorité (Baïetto, 1985, p. 33). Alcibiade n’hésite

pas à exprimer ses désirs de mort vis-à-vis de Socrate :

Alcibiade : « Maintes fois c’est avec joie que j’aurais vu sa disparition du monde des hommes ; mais je

sais fort bien en revanche que, si cela arrivait, j’en serais encore bien davantage peiné. Bref, je ne suis

pas à même de savoir comment m’y prendre avec ce diable d’homme ! »

Tout comme Frédéric essaye de faire vaciller la figure d’autorité que représente l’enseignant de par

le savoir qui lui attribue, entrant ainsi dans un jeu de rivalité, visant à le braver, à se mesurer à lui.

Tout en cherchant à se faire valoir auprès de l’enseignant et devenir objet d’intérêt, le sujet

manifeste une agressivité à caractère destructeur voire meurtrier (pulsion de mort), en l'interpellant

par le questionnement, soit en interférant, en interrompant la parole de l’enseignant.

Frédéric : « et c'est tellement aussi...je lisais puis j’entendais le prof parler de trucs et puis j'interférais

en parlant de concepts et je jouais quoi...j'étais plus prof que le prof...je cherchais l'autorité à laquelle je

pouvais me confronter...et ça c'est complètement irritant » (Q10,L7-10)

« on ne pouvait pas l’interrompre ! (sourire) et je me souviens la première fois où j'ai essayé par une

question...la seule fois où j'ai essayé... il m'a vraiment remis à ma place ''qui parle ici ?''… » ; « j'ai

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compris le sens que ça pouvait avoir de les poser (les questions)…c'était moins la question que de mettre

en difficulté quelqu'un… » (Q10,L22-24 ; Q11,L1-2)

Cependant, Alcibiade nous affirme aussitôt la fascination que peut exercer ce savoir, ici le savoir

philosophique, un savoir qui fait corps avec celui qui le dispense et qui, selon Frédéric, le rend

vivant. De même, la connaissance approfondie et la maîtrise du contenu qu'il dispense est ce qui

fait impression sur celui qui l'écoute et suscite chez lui l'admiration.

Alcibiade a donc été mordu en entendant les propos de Socrate : « Comment décrire cet état si ce n'est

à ceux qui ont aussi été mordus : moi qui ai subi une douloureuse morsure au point où il peut être le plus

douloureux d'avoir été mordu : cœur, veux-je dire âme, […] ; moi qui ait été blessé, mordu par les

propos de la philosophie, ces propos qui, lorsqu'ils sont engagés dans une âme jeune et qui ne manque

pas de dons naturels, l'attaquent plus sauvagement qu'une vipère.. » (Platon, op.cit., p. 757)

Frédéric : « ...et donc j'avais une admiration pour ces profs dont un je me souviens M.[...] c'est

vraiment une érudition...c'est l'ancienne génération quoi!...ils savent tout!..ils connaissaient...enfin ils

savent tout non mais ils ont lu tellement!...ils ont tellement une culture classique...et ses cours si

passionnants... » (F3Q10,L17-20)

L’on assiste à un premier type de transfert (de Villers, 2005, p.107), dans lequel le sujet est pris

dans une identification imaginaire au maître et l’apprentissage se réduit à un trait unaire soit

l’érudition de l’enseignant auquel le sujet enseigné s’identifie et dont la fixité en marque la limite.

Il s’agit d’un processus de suggestion où le désir de l’enseignant ne met pas de « frein à l’exigence

de satisfaction personnelle provoquée par la réussite de la tâche […] éducative. » (de Villers, Ibid.,

p. 104)

L’on assiste ensuite à un second type de transfert. Un premier élément concerne le désir supposé de

Socrate. En effet, Alcibiade sait que ce dernier aime les beaux jeunes gens et se sait être un bel

homme. Il se pense donc désiré par Socrate selon le mécanisme d’identification imaginaire par

projection. Le sujet projette sur l’autre l’image de lui qu’il croit être celle attendue par l’autre.

Alcibiade : « Or, comme je le croyais sérieux dans l’attention qu’il portait à ma beauté, alors en sa

fleur, je crus que c’était pour moi une aubaine […] qu’il m’appartînt, en cédant aux vœux de Socrate,

d’apprendre de lui absolument tout ce qu’il savait ; car de cette fleur de ma beauté je me faisais, certes,

une idée prodigieusement avantageuse ! » (Platon, op.cit., p. 755)

Frédéric : « je me souviens je me suis enfermé un mois pour faire mes travaux chez moi dans la

bibliothèque parce que je savais qu'avec ce prof il fallait rendre quelque chose qui était pour moi d'un

apport semblable… » (Q11,L10-12)

Un deuxième élément concerne la dissymétrie des positions subjectives des partenaires et de leur

disparité dans la relation transférentielle.

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Une première dissymétrie réside dans le fait que le professeur de Lettres pour Frédéric, comme

Socrate pour Alcibiade, apparaît non seulement comme un maître de l’art oratoire - tel qu’évoqué

précédemment -, mais aussi comme un sage, détenteur d’un savoir mystérieux sur l’âme humaine.

Un personnage hors du commun qui, de par ses questions subversives, sait éveiller chez autrui une

vérité cachée, et ainsi accoucher leur esprit (maïeutique). Il est représentant à la fois d’un Idéal du

moi (la connaissance) et d’un Moi idéal (les qualités personnelles) (Cordié, 1998, p. 311). Le

transfert s’origine dès lors en ce que le sujet suppose un savoir dans l'autre. Selon Lacan, à propos

d'Alcibiade, en se sentant en position inférieure quant à la sagesse, il met Socrate en position de

Sujet supposé Savoir. Selon lui, « Non seulement le Sujet supposé Savoir se constitue en tiers, mais

il circule imaginairement de l'un à l'autre des partenaires. » (Lacan, 1967, p. 19).

II.2.3. L’AMOUR DE TRANSFERT

Une seconde dissymétrie réside dans la disparité des positions amoureuses des partenaires. Soit

l'amant (l'έραστης) est le sujet qui désire, le sujet du manque, et l'aimé (l'έρωμενος) est l'objet aimé

qui, dans ce couple, est le seul à α-voir quelque chose, suscitant fascination et envie.

Cela permet de repérer le rôle d'agalma (αγαλματα) que Socrate représente pour Alcibiade et qui

cause, croit-il, son désir pour cet homme qu'il trouve par ailleurs très laid « il ressemble au satyre

Marsyas ». Dans son éloge, Alcibiade précise « il ressemble on ne peut plus à ces Silènes...et qui, si on

les ouvre par le milieu, montrent dans leur intérieur des figures des Dieux » (Platon, op.cit., p. 753)

« [...] y-a-t-il quelqu'un qui ait vu les figurines des Divinités qui sont à l'intérieur ? Je l'ignore mais, à

moi, déjà, il m'est arrivé de les voir, et je les ai trouvées divines et toutes d'or, superbes et

merveilleuses. » (Ibidem, p. 755)

Socrate détient donc à l’intérieur de lui cet objet précieux, cet αγαλμα tant convoité, « proche de la

fonction fétiche de l'objet, dit Lacan, dont le sujet croit que son désir le vise à son extrême la

méconnaissance de cet objet comme cause du désir. » (Lacan, 1963)

La disparité subjective est donc causée par la vision de l’agalma, réduisant Alcibiade à la honte.

Mais cet objet recouvre aussi la véritable cause de son désir, qui n’est pas le signe physique de

l’amour de Socrate, mais ce qu’Alcibiade lui suppose comme Savoir, comme Sagesse du monde.

Socrate est donc mis en position de Sujet supposé Savoir et, dira Lacan, « Dès qu'il y a quelque part

le sujet supposé savoir Ŕ que je vous ai abrégé aujourd'hui au haut du tableau par S.s.S. - il y a

transfert. » (Lacan, 1973, p. 258).

Frédéric, comme Alcibiade, voudrait s’approprier cet objet supposé au maître: son Savoir. Pour le

sonder et s'approprier cet objet, il cherche à se faire aimer de lui.

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Frédéric: « on me reprochait dans le groupe c'était de prendre toute la place et que l'enseignant

finalement ne me fasse plus que cours...qu'avec moi...et alors c'est un rapport à deux...» (F3Q10,L2-4)

Alcibiade : « …nous nous trouvions ensemble, seul à seul, et je m’imaginais qu’il allait sur-le-champ

me tenir les propos que doit justement tenir, en tête à tête, un amant à ses amours, et je m’en réjouissais!

Or, rien absolument de tout cela n’arriva, […] » (Platon, op.cit., p. 756)

Le désir d'Alcibiade provoque ainsi un renversement : de la position désirante (Εραστη, l'Éraste), il

cherche à en devenir l'amant (Ερομηνος, l'Éromène). « Je comptais qu'en retour de ma complaisance il

m'apprendrait tout ce qu'il savait ». Telle est, selon Lacan, la métaphore de l'amour de transfert.

Frédéric : « ...et en même temps j'avais une admiration sans borne pour certains profs...que j'ai

souvent déstabilisés et que j'interpellais… » (F3Q10,L14-16)

: « oui je les aimais... mais est-ce que j'en étais amoureux ? Mmm… (regard fixe levé,

silence)... » (Prise de notes)

: « mais moi aussi...on peut faire le lien entre le rapport amoureux et le maître comme

idéal...de par l'érudition etc...(silence, 5 sec) » (F3Q12,L17-19)

: « et j'ai dû aussi beaucoup prendre sur moi et avoir des attitudes d'humilité après coup et en

allant parler aux gens en disant que j'étais pris par ma passion » (F3Q10,L4-6)

Le désir dans sa racine c'est le désir du grand Autre, et c'est à cet endroit, nous dit Lacan,

« qu'est le ressort de la naissance de l’amour, si l'amour, au moment où notre désir fait éclater son incendie,

nous laisse apparaître un instant cette réponse, cette autre main qui se tend vers nous comme son désir. »

(Lacan, 1991, pp. 68-69)

Or, non seulement Socrate se refuse à lui, mais il le met en garde, en lui répondant: « Fais attention,

bienheureux ami, que je n'aille pas te faire illusion, moi qui ne sait rien. » Socrate ne possède donc pas

l'agalma qu'Alcibiade lui suppose. Il ne sait rien, si ce ne sont les choses de l’amour.

Frédéric : « et ils me disaient ''mais merde tais-toi!''...façon de parler... ou ''tu n'as pas bientôt fini !...''

et donc j'avais une admiration pour ces profs » (Q10,L16-17)

Ainsi, on aboutit à un troisième type de transfert (de Villers, op.cit.., p. 100) dans lequel le désir de

l’enseignant est orienté de telle façon qu’il soutient le désir du sujet, de l’élève en ne répondant pas

sut le plan du fantasme. Ainsi, Socrate ira plus loin en lui renvoyant que ce n'est pas lui qu'il désire,

mais Agathon. On assiste ici à la vérité du transfert, à savoir qu'Alcibiade désire ailleurs et que cet

ailleurs ne lui est accessible que par l'amour de transfert que désigne Socrate (Lacan, 1961, p. 212).

Comme le souligne Michel Neyraut: « le transfert est un quiproquo à contre-temps. Son

dépassement consiste à le renvoyer à qui de droit et à sa place. » (Neyraut, 1974, p. 131)

Frédéric : « et avec eux je faisais des notes brillantes 19/20 ou même 20/20 mais ils ne me disaient pas

''c'est génial''...vous aviez toujours l'impression que ce n'était jamais assez...avec une

exigence qui nous dépasse et les dépasse aussi... » (Q11,L15-17)

: « c'était toujours plus pour toujours aller plus loin... » (Q11,L17-18)

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: « et donc ils ne vous renverront quasiment jamais...jamais ils ne vous diront ''c'est génial'' et

c'est peut être ça aussi dans cet écart-là que vous pouvez désirer...que les choses se transfèrent

et se transmettent... » (Q11,L18-20)

Cette vérité du transfert favorise le mécanisme d’identification symbolique par introjection,

permettant au sujet d'échapper à l'emprise de la captation imaginaire du maître. Cette identification

qui n'est pas l'identification spéculaire immédiate (Lacan, 1973, p. 241) - où se noue la folie d'une

foule à deux ou à plusieurs-, met en jeu un « trait unaire » que le sujet va s’approprier.

Freud soulignait qu'elle était « partielle extrêmement limitée, et qu'elle emprunte seulement un trait

unique à la personne-objet » (Freud, 2003, p. 45). Ce trait, ce détail symbolise un projet porteur de

désir et de sens. Ce signifiant introjecté vient se loger à la place de l’Idéal du moi chez le sujet.

L'on touche ici à l'importance de la transmission d’un savoir, d’un mode de pensée propre au

maître et dont le sujet apprenant s’est approprié, ouvrant ainsi la voie au transfert pédagogique. Le

sujet va pouvoir élaborer une demande dont la signification dans l’après-coup consistera en un

dégagement d’une place vacante qu’il pourra alors remplir par ce savoir nouveau qu’il aura produit.

« ...mais ma pensée c'est la mienne et celle dont j'ai moi-même hérité...un héritage intellectuel et voilà...

et je donne cours en référence aux profs que j'ai eus...je vois dans mes cours des auteurs que mes profs

m'ont appris...et pour moi il y a eu transmission chez moi...(silence)... » (F3,Q9,L19-22)

Le savoir qui était lié à l’aliénation au maître trouve alors un lieu de dialectisation symbolique, « il

perd sa valeur d’objet fétiche et d’obturateur du « manque-à-savoir » dans l’Autre. » (de Villers,

2005, p. 108)

«... ces gens m'ont ouvert l'esprit dans le sens noble du terme... cela a été pour moi vraiment un espace

de liberté... » (F3Q11,L12-13)

Ce cas d'analyse nous a permis de repérer les conditions d'émergence d'effets de transfert qui

s'expriment en situation pédagogique, où des relations de sujet à sujet sont en jeu. Au regard de la

théorie analytique, nous avons également pu identifier l'importance de la dissymétrie entre les sujets

et plus précisément la disparité subjective existant entre le maître et l'élève, qui offre le cadre dans

lequel s'inscrit le phénomène de transfert. En effet, pour Lacan, « la position des deux sujets en

présence n'est aucunement équivalente » (Lacan, 1991, p. 11). Aussi, nous avons observé que la

cause du transfert pouvait résider dans cette disparité même. A savoir que l'Autre enseignant

détiendrait un savoir ignoré du sujet-élève sur son manque à être, sur son existence au monde. C'est

ce manque qui constitue la condition même à l'émergence du désir chez le sujet-apprenant. Cet

objet a convoité peut prendre deux formes principales : le savoir et le pouvoir. Quand cet Autre

maintient cette position de sujet détenteur d'un savoir en exclusivité et d'un pouvoir réel, peuvent

s’exercer des effets de fascination et de sujétion sur le sujet-élève (Cordié, op.cit., p. 302). Au

regard de notre analyse comparative de cas, nous observons trois types de déploiement du transfert.

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Dans le premier type de transfert, le sujet est maintenu dans son identification imaginaire à

l'enseignant et l'apprentissage se résume à un trait identificatoire dont la fixation en marque la

limite. Il s’agit d'un processus de suggestion hypnotique où le désir de l'enseignant ne met pas de

« frein à l'exigence de satisfaction personnelle provoquée par la réussite de la tâche[...] éducative »

(de Villers, op.cit.., p. 104).

Dans le second type de transfert, un élément circonstanciel provoque la projection de l'enseignant

en position de sujet supposé savoir. Ce dernier se voit offrir une satisfaction leurrante au fantasme

de l’élève et provoque une identification symbolique à l'objet de désir de l'Autre. La relation,

complètement érotisée, ne permet pas le passage à une demande élaborée (de Villers, Ibid., p. 98).

Dans le troisième type de transfert, le désir de l'enseignant est orienté de telle façon qu'il soutient le

désir de l'élève en ne répondant pas sur la plan du fantasme. De la sorte, il permet à l'élève

d'élaborer une demande dont la signification dans l'après-coup consistera à libérer une place

vacante qu'il pourra combler, remplir par le savoir nouveau qu'il aura lui-même produit. Dès lors,

« le sujet apprenant passe d'une position d'apprentissage par aliénation-appropriation au savoir du

maître à une position de séparation-production de nouveaux savoirs. » (de Villers, Ibid., p. 107)

Ainsi, repérer l'existence du désir dans la demande de l'élève, en déceler l'appel, reconnaître son

rôle fondamental dans l'émergence du transfert dont l'enseignant est l'objet et en neutraliser les

forces, tels sont les enjeux du rapport enseignant-enseigné, que nous allons tâcher d'investiguer.

II.3. LE TRANSFERT DANS LE CHAMP PÉDAGOGIQUE

Au regard du témoignage de Frédéric, nous avons pu observer que des phénomènes de transfert,

analogues à ceux qui se produisent dans la cure analytique se produisent dans d'autres situations, où

des relations de sujet à sujet sont en jeu. Lors d'une de ses interventions devant la Société

psychanalytique de Vienne en avril 1910, Freud reconnaît la présence d'effets transférentiels dans la

relation pédagogique. Le transfert des hommes, énonce-t-il, « n'est nullement équivoque, mais il

présente des motions hostiles à côté des motions tendres ». Il en déduit que le maître se trouve dans

une tâche fort difficile. Selon Freud, il doit « savoir et comprendre » ce jeu de l'amour et de la haine

dont il est malgré lui l'objet (Freud, cité par M. Cifali, 1982, p. 123). Plus tard, dans son ouvrage

« Ma vie et la psychanalyse » (1925), Freud soulignera que le transfert est « un phénomène humain

général, il domine toutes les relations d’une personne donnée avec son entourage humain » (Freud,

1925, p. 65).

L'espace de la classe met en scène des rapports prolongés entre le maître et les élèves. Selon J-Cl.

Filloux (2000), si tout sentiment vis-à-vis de l'autre - maître, élève - que l'on peut désigner d'amour

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ou de haine, ou toute attitude d'attachement ou d'agression, de ferveur ou de violence, ne peuvent

être en tous cas référés à des phénomènes transférentiels, reste que la condition institutionnelle et

psychologique du fonctionnement requis de l'école implique des processus de dépendance,

d’identification, de relation d'amour ou de haine chez les uns, comme de processus de don, d'amour

et de haine chez les autres. Selon J.-Cl. Filloux (2003), la référence au transfert et au contre-

transfert doit donner à comprendre des difficultés issues d'attitudes, de comportements au premier

abord inexplicables, surgissant dans le rapport maître-élève. Un enjeu que nos enseignants

interviewés désignent comme étant « la question » interrogeant de ce fait les conséquences de ces

« effets de transferts » dans la relation pédagogique, tant au niveau de transferts négatifs induisant

des comportements agressifs, que des transferts positifs et d'excès d'amour vis-à-vis du maître.

II.3.1. LE MAÎTRE, OBJET DE TRANSFERTS

Pour mener notre analyse des phénomènes transférentiels dans le champ pédagogique et leur

« gestion possible » (Filloux, 2000), nous nous appuierons notamment sur des textes publiés par la

Revue pour une pédagogie psychanalytique (1926-1937), ainsi que des études récentes. Parmi ces

derniers textes, nous nous en référerons notamment à celui de J. Filloux, « Sur le concept de

transfert dans le champ pédagogique » (1989), ainsi qu'à certains ouvrages de M. Cifali écrits en

collaboration avec F. Imbert, Freud et la pédagogie (1998), ainsi que J. Moll, Pédagogie et

psychanalyse (1985/2003), ou en individuel, Le lien éducatif contre-jour psychanalytique (2005).

Il est ressorti de notre lecture du cas de Frédéric que s'il y a transfert spécifique dans le champ

pédagogique, nous devons le situer au niveau de l'élève qui fait du maître un objet de transferts.

Pour interroger tant le sens du transfert chez l'élève que la manière dont il est perçu par

l'enseignant, nous nous appuierons sur un article de Freud de type « autobiographique » intitulé

« Sur la psychologie du lycéen » (1914). Il traite des transferts, de leur nature, leurs modalités et

leur fonction dans le champ pédagogique. Aussi, c'est dans une conférence donnée à l'occasion du

50ème anniversaire du lycée, où il fût élève, que Freud évoque le rapport que certains de ses

condisciples et lui-même ont entretenu avec des professeurs, les sentiments qu'ils éprouvaient pour

eux, le sens d'un attachement qui les aidait dans leur travail scolaire. Une histoire d'amour, souligne

J-Cl. Filloux (2000), qui explique le « saisissement » qu'il éprouva en rencontrant son ancien

professeur de lycée. Quelques citations :

« Je ne sais pas ce qui nous sollicita le plus fortement et fût pour nous le plus important, l'intérêt porté

aux sciences qu'on nous enseignait, ou celui que nous portions aux personnalités de nos maîtres. Un

courant souterrain jamais interrompu se portait vers ces derniers, et chez beaucoup le chemin vers les

sciences passait univoquement par les personnes des maîtres ; plusieurs d'entre nous restèrent arrêtés

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sur ce chemin qui, de la sorte, fut même pour quelques-uns - pourquoi nous ne l'avouerions pas ? -

durablement barré. » (Freud, 1914, traduit dans PUF, pp. 227-231)

Cette position à l'égard du maître était d'« un genre tout à fait particulier », genre qui, ajoute-t-il,

pouvait avoir « pour les intéressés », ses « incommodités ». En effet, « d'emblée, nous étions

également portés à l'amour comme à la haine, à la critique comme à la vénération ». Il s’agit là de

sympathies et d'antipathies, dit-il, qui renvoient aux rapports de l'enfant au père omniscient de

l'enfance, le professeur étant investi plus tard comme une « personne substitutive » ayant à assumer

une « sorte d'héritage sentimental ». Aussi, selon Freud, les professeurs

« devenaient pour nous un substitut paternel. Nous transférions sur eux le respect et les attentes tournés

vers le père omniscient de nos années d'enfance ; nous leur adressions l'ambivalence que nous avions

acquise dans la famille, et à partir de cette position nous luttions avec eux, comme nous avions l'habitude

de lutter avec nos pères charnels. » (Freud, Ibidem)

Notons que Freud parle essentiellement de relation amoureuse, ne désignant par la « haine » ou la

« critique » que les problèmes que les « intéressés », soit les enseignants objets de transferts,

peuvent ressentir, et les « incommodités » que suscitent ces substitutions transférentielles. Pour

Freud nul ne pourrait être rendu coupable de ses motions transférentielles sur les enseignants.

« Sans référence à la chambre d'enfant et à la maison familiale notre comportement à l'égard de nos maîtres

ne sauraient être compris, mais pas davantage excusé. » (Freud, Ibidem).

C'est la relation au père tout-puissant, l'ambivalence à son égard, le nécessaire détachement d'avec

ce père qui, dit Freud, est « condition pour la nouvelle génération aussi bien de ce qui est porteur

d'espoir que de ce qui choque » qui fonde la nature des liens transférentiels et leur reviviscence

avec les enseignants. Si Freud mentionne, dans le cas particulier de ses souvenirs de lycéen, le père

comme personne de son enfance revécue transférentiellement sur le maître, un passage de la

conférence généralise le phénomène à toute relation infantile vécue, soit avec la mère ou la fratrie.

« Dès les six premières années de l'enfance, le petit homme a établi le mode et la tonalité affective de

ses relations aux personnes de l'un et l'autre sexe, il peut à partir de là les développer et les transformer

selon des directions déterminées, mais il ne peut plus les abolir ; tout choix ultérieur d'amitié et

d'amour se produit sur fond de traces mnésiques laissées par ces premiers modèles » (Freud, 1914, pp.

229-230)

Dans leur discours, les enseignants interviewés repèrent et témoignent de ces phénomènes

spécifiques auxquels ils sont confrontés dans leur rapport avec l'élève, même si la notion même de

transfert n'est pas exprimée en ce terme. L'enseignant se positionne en tant que détenteur d'un

savoir qui, mis à part celui du scolaire, les dépasse, se situe à un autre niveau, va au-delà du

rationnel et touche l'élève au plus intime. Ce savoir, tel qu’issu du ressenti de l’enseignant, en

référerait à l’existence des phénomènes transférentiels.

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« vous sentez qu'il y a des choses qui vous dépassent me semble-t-il... ce n'est pas qu'un problème de

scolarité... cela va au-delà et ça j'en suis persuadée... parce que là on touche au plus intime »

(S2Q11,L8-9)

L'enseignant se voit attribuer, par substitution transférentielle, un héritage sentimental et relationnel

à la genèse duquel il n'a que peu contribué et qui se réalise à son insu.

« Oui... il y a de ça aussi ou des gros problèmes à la maison...[...] il y a des éléments sur lesquels on ne

peut pas avoir de prise et c'est vrai qu'il y a des circonstances dans lesquelles on se dit qu'ils sont là pour

la forme mais que... dans leur cas... on ne pourrait pas non plus...(C1,Q9,L1-3)

Répétition et déplacement d'expériences infantiles inconscientes chez l'élève qui, après avoir trouvé

la faille chez l'enseignant, le prend pour « cible ». Processus de transfert, dont ce dernier tentera

d'en neutraliser les effets et ce, en usant de différentes stratégies telles que l'empathie, le dialogue

« Donc... il y a des cas d'enfants... pas tous heureusement... qui prennent pour cible l'enseignant et qui

cherchent la faille et qui se dit « dès que je vois la faille chez le prof... je rentre dedans » (rires)...»

(S2Q12,L24-27)

« effectivement on est face à des enfants qui cherchent...qui trouvent la faille.... qui ont un détecteur

pour ça et donc il faut s’assumer...» (C1Q7,L22-23)

« et donc l'empathie vis-à-vis de ces enfants est extrêmement importante parce que sinon effectivement

on va être toujours dans... enfin on va répéter des choses qu'ils ont déjà vécues avant... » (C1Q9,L4-6)

« comme prof on peut essayer le dialogue mais avec la petite expérience humaine que l'on peut avoir en

étant soi-même maman... » (S2Q11,L6-7)

Autant d'affects, de désirs et de pulsions qui se répètent et se déplacent sur l'enseignant et qui,

comme le souligne le lapsus, noués « entre eux » et « en eux » s'immiscent.

« il y a vraiment des enfants où l'on se rend bien compte que le côté comportement difficile qu'ils

manifestent c'est parce que clairement... il y a des choses qui ne sont pas dénouées entre eux... enfin je

veux dire en eux... il faut intervenir à un autre niveau... » (S2Q11,L3-5)

Comme le souligne M. Cifali,

« un enseignant est, c'est certain, la cible privilégiée du transfert : répétition, déplacement des affects sur

lui, confusion entre le présent et le passé. Ces affects mêlés à la quotidienneté d'une relation sont

difficilement repérables dans l'in vivo. » (Cifali, 2005, p. 170)

L'enjeu est donc de savoir, en tant qu’enseignant en situation pédagogique, comment recevoir ces

expressions transférentielles dont il est l’objet, et comment doivent-ils être pris en compte ? Et ce, à

partir du moment où l'enseignant est lui-même susceptible de réagir aux transferts qui lui sont

adressés par des réactions conscientes et inconscientes d'ordre transférentiel. L'interprétation qui en

sera donnée, ainsi que l'attitude adoptée interrogent dès lors le contre-transfert de l'enseignant.

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II.3.2. TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT CHEZ L'ENSEIGNANT

Pour notre propos, rappelons seulement en référence à Michel Neyraut (1974) que, dans son

acception restreinte, le contre-transfert dans la clinique analytique s’opposerait au transfert,

surviendrait après le transfert et serait déterminé par lui. Mais d'après l'auteur, le transfert de

l’analyste commence avec son implication, parce qu'il est l'objet de manifestations affectives. Alors

qu'on assimile le contre-transfert à une réponse, sa vraie nature est, - comme nous l’avons déjà

observé (cf. Chap. I) - « de se constituer comme une demande », et il faut le rapporter au désir de

l'analyste. Le contre-transfert peut être appréhendé comme pare-excitation, dont la fonction consiste

à filtrer la perception de la réalité extérieure et des excitations qui en proviennent. Il peut être aussi

bien antérieur aux sollicitations pulsionnelles exprimées par le transfert, que consécutif à celles-ci

(Neyraut, Ibidem).

Aussi, en situation pédagogique, il est difficile de dissocier les cas de transfert des cas de contre-

transfert chez l'enseignant. En effet, dans un premier cas, le contre-transfert peut être déclenché par

un transfert positif envers l'enseignant qui peut s’exprimer soit par des élans affectifs, amoureux

soit par l’hostilité, l'agression, comme le met en évidence Frédéric avec une de ses élèves :

« il y a deux situations concrètes dont je vais vous parler qui ont provoqué en moi de l’irritation j'ai

une étudiante qui je pense est très impliquée! [...]elle était à toutes les activités extra-scolaires que je

donne...[...] et systématiquement elle est dans l'interpellation agressive...et...et ...pas pas sur l'événement

lui-même mais sur sa répétition...alors j'utilise l'humour pour l'humour... (silence, 5'')... car qui dit

agressivité dit réponse contre-agressive... » (F3Q5,L23-30)

Dans un second cas, le contre-transfert peut être consécutif à une perturbation ou une contrariété

ressentie par l'enseignant (transfert négatif), comme en témoigne Sylvie :

« j'ai à peine fini ça qu'une élève dit... sans dire « Madame, s'il vous plaît »... rien du tout...[...]

'' éteignez la lumière! '' et elle le crie en plein milieu du machin....ça oh!oh!oh ! (intonation et agitation

de la main)... le genre euh... effectivement de se dire « allez espèce de ''hein''... vas-y éteins la lumière!

tais-toi et laisse-nous regarder le film comme on en a envie! »... C'était vraiment ça et ça oufff

(soufflement avec yeux levés)... j'ai du mal et j'avoue...[...] là! j'ai vraiment du mal à passer au-dessus....

Alors là... du coup j'ai réagi... là c'était humainement impossible même si je veux dire la situation

d'adulte dans laquelle je suis... je sais bien que j'ai affaire à des ados et que c'est moi l'adulte... mais moi

la réaction ça été de dire « lève tes fesses et éteint! »... mais rarement je dis ça à une élève... mais ça !

[...] c'était là une réaction à la limite épidermique... Et alors... après la question aussi de se dire « est-ce

que cette élève qui réagit comme ça... »... [...]. je punis tout le monde quoi ?... » (S2Q3,L10-24)

Dans ces deux cas, il s'agit d'une motion réactionnelle. Rappelons que transfert et contre-transfert

sont des phénomènes de même nature, s'originant dans les fantasmes et les désirs inconscients de

l'enseignant. Ce dernier doit donc s'interroger sur les raisons pour lesquelles tel enfant lui fait

éprouver des réactions qui l'atteignent en ses propres points de sensibilité, de faiblesse.

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« c'est plutôt à ce niveau-là... c'est de se dire « ce n'est pas parce qu'il [l'élève] me renvoie quelque

chose de cet ordre-là qu'il faut que moi je me sente agressée et que je réponde comme lui de la même

manière parce que sinon on ne pourrait pas travailler ensemble... ». (C1Q13,L15-17)

Comme le souligne également M. Cifali, « un enfant est objet contre-transférentiel par excellence

et qu'être professionnel convoque à le reconnaître. » (Cifali, 2005, p. 178)

Aussi G. Mauco décrivant l'enfant qui, scolarisé pour la première fois, quitte sa famille et doit

« subir et établir des liens nouveaux avec ses maîtres et ses camarades. Il va le faire d'abord dominé par son

inconscient. Il va transférer sur ses maîtres, qui évoquent en lui des images parentales, les sentiments qui le

lient à ces dernières ». Vers la fin de la scolarité, lors de l'adolescence, dit-il, « les réactions affectives plus

vives et plus sexualisées rendent plus intenses les relations à l'égard de l'homme et de la femme qui sont

maître et maîtresse. A ce moment, les transferts positifs jouent à plein. » (Mauco, 1967, pp. 160-163)

A l’adolescence, lors de l'apprentissage de la sexualité, l'élève cherche à se positionner par rapport

au phallus, en tant qu'objet de désir. A savoir, être le phallus ou l'avoir ? Au-delà de ce binôme,

reste à inventer un « savoir y faire » avec la manque phallique, pour les deux sexes. Selon le mode

d'interpellation de l'élève, on assiste à une érotisation du rapport pédagogique que l'enseignant

repère, mais aussi qui le dépasse

« le danger c'est qu'on leur [mode d'interpellation de filles] donne trop d'importance...car l'attitude et

l'interprétation qu'on en fait est d'emblée érotique... et je me suis demandé « Mais qu'est-ce qu'elle [une

certaine élève] me veut?'' C'est vraiment la question que je me suis posée ''mais qu'est-ce qu'elle me veut,

quoi!'' ...et j'avoue que ça me dépasse ! ... » (F3Q12,L9-12)

G. Mauco pose alors la question du contre-transfert en termes de « maturité affective », qui seule

peut permettre de ne pas réagir affectivement aux expressions contre-transférentielles « de l’enfant

symbole chargé de résonances affectives dans l’inconscient de l'adulte » (Mauco, Ibidem).

« je l'accompagnerais mieux et je la [la même élève] recevrais mieux... ce qu'elle veut me dire...vous

voyez c'est ça la question... donc je vais moins le prendre pour moi... mais du côté de quelque chose qui

se passe...qui se joue et de prendre distance par rapport à ça...c'est-à-dire à ce « qu'est-ce qu'elle me

veut ? » avec toujours ses questions embêtantes...qui m'agacent...et je serais tenté de dire ''celle-là je ne

vais pas la rater à l'examen !...vous savez l'examen c'est l'occasion idéale...''je vais lui poser beaucoup de

questions difficiles''... c'est réactionnel...je l'avoue!... avec ce côté un peu sadique... mais je l'ai aussi

identifié...verbalisé...je souris et je vais prendre distance par rapport à ça... » (F3Q12,L32-40)

Enfin, le contre-transfert de l’enseignant peut naître d'une contre-identification du maître à l'élève

sur le mode de la régression à la situation d'élève (cf. Chap. I. Image de soi-élève).

Voici le cas d'une enseignante en français (5e et 6

e années du secondaire) qui me témoigna de son

ressenti suite à l’interpellation d’une élève et ce, alors que nous préparions nos cours dans la salle

des professeurs. Il se fait que cette élève était sujette à des tensions familiales dues à son choix

amoureux, contesté par ses parents.

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« Je me sens personnellement touchée par ce qui lui arrive...Moi aussi j'ai été cloîtrée à la maison par

mes parents et mes frères, ne pouvant même plus me rendre à l'école sous prétexte que j'allais revoir

celui dont j'étais amoureuse... Quand elle peut revenir en classe... par obligation scolaire... je fais tout ce

que je peux pour la soutenir et la motiver ».

Dans ce cas-ci, l'enseignante s'est attachée à une élève en difficulté, car elle revivait une situation

de souffrance éprouvée lors de son adolescence, au point d'orienter sa démarche pédagogique et de

privilégier l'élève du reste de la classe. Nous pouvons également relever le fait que l’enseignante se

soit adressée à ma personne, moi-même réceptive à ses propos. Nous pouvons dès lors nous

interroger sur un possible transfert qui anime, à ce moment-là, notre relation intersubjective.

Selon J. Filloux (1989) reconnaître que le transfert existe, c'est reconnaître l’existence des

processus psychiques inconscients et des lois qui les gouvernent. « Affirmer que le transfert se

retrouve partout, c'est en soi confirmer que le déplacement (substitution des objets inconscients) est

un phénomène universel » (Glover, p. 130 cité par J. Filloux, Ibid., p. 61). Aussi, seul le dispositif

de la cure analytique permet la connaissance réelle du transfert. Hors de ce cadre, sa nature

demeure secrète. Or c'est dans ce secret que réside une condition essentielle d'accès à la maîtrise

des pulsions, à la socialisation. Le transfert, « phénomène affectif normal, gouverné par le

mécanisme inconscient de déplacement est destiné à promouvoir l'adaptation sociale. » (Glover,

Ibid., p. 159)

La maîtrise du transfert, renvoyant au fantasme de toute-puissance de l’enseignant, tout comme son

induction tels sont les enjeux que pose la nature du transfert dans le champ pédagogique. En effet,

selon J. Filloux (1989), « il va s'agir de maîtriser un transfert excessif de l'élève sur l'enseignant,

aussi bien que de susciter, instaurer, construire un transfert positif de l'élève là où il semble

insuffisant à remplir son rôle : créer les conditions favorables à l'apprentissage. » (Filloux, Ibid., p.

64). Selon l'auteure, il n'est pas question de craindre les manifestations d'amour ou de haine, ni de

refuser toute intervention cherchant à sublimer la libido. Il s’agit de savoir comment agir sans

désirer séduire et exercer de l'emprise sur l'élève (cf. Chap. I.1.5.).

Au regard de notre problématique, tâchons de repérer, dans le discours des enseignants, les

difficultés que ces derniers éprouvent, en tant qu’objet de transferts, dans leur rapport avec l'élève ;

ainsi que leur questionnement quant aux principes permettant de faire face à ces manifestations

transférentielles.

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II.3.3. QUE FAIRE DES TRANSFERTS ?

Dans son discours, l’enseignant reconnaît l’existence de phénomènes qui relèvent du transfert dans

la relation pédagogique. De plus, il repère intuitivement le fait que ce que l’élève lui adresse, en

tant qu’objet de transfert, n’a pas de rapport direct et immédiat avec sa personne. Ce rapport actuel

semble prédéterminé, généré par quelque chose d’autre que ce qui est en train de se jouer et qui

vient d’ailleurs et d’autre part.

« j'ai également deux autres élèves plus turbulents qui vivent des situations familiales difficiles et qui

engendrent ce genre de comportements et qui nous échappent... dont on n'a pas nécessairement la

maîtrise... on ne peut en percevoir que de par leurs comportements plus revendicateurs ou plus

revanchards... mais on sent bien que cela vient d'ailleurs et d'autre part... c'est ça qui est difficile à

cerner... car on se sent impuissant face à ça… » (S2Q8,L35-39)

C’est ce quelque chose d’autre que Freud appelle « l'Autre scène », celle de l’inconscient - où se

jouent affects, désirs, liens transférentiels, identifications -, et « qui dérange le Moi » (Lucchelli,

2009, p. 27). D’où la difficulté, nous dit l’enseignant, à « maîtriser » ces phénomènes dont il ne

peut qu’en percevoir les modes d’expression chez l’élève, soit par un comportement plus

revendicateur ou plus revanchard, et face auxquels il se sent impuissant. L'enseignante, Sylvie, se

sent d'autant plus démunie qu'elle est face à des « jeunes pubères » pris dans un processus de

maturation sexuelle et qui renvoie l’enseignante à l'adolescente qu'elle a été. L'interpellation à

connotation sexuelle des filles la « dérange » d'autant plus qu'elle semble revivre ce moment au

plus profond de son intimité avec intensité, tel en témoigne dans l'énonciation ses soufflements,

rires et variations d'intonation.

« dans le 1er degré... on est dans le processus de maturation...Hhh ! (soufflement)...alors ce qui

m’énerve aussi notamment avec les filles... moi (rires) le jour où j'étais jeune fille je n'ai pas crié à tout

le monde...ici vous avez des jeunes filles que vous devez absolument laisser sortir du cours parce que

« elles sont réglées » (en chuchotant)... et en plus elles ne le disent même pas discrètement et elles crient

(intonation forte) « Madame! je dois aller à la toilette... c'est tous les vingt-huit jours! » bon là j'exagère

un peu mais ça ça me dérange profondément dans la mesure où cette intimité... moi je ne suis pas leur

copine... je ne suis pas leur maman... vous voyez je veux bien être une accompagnatrice.. » (S2Q17,L5-

11)

On assiste dès lors à une réaction transférentielle de la part de l'enseignante (cf. Chap. II.3.2) : elle

met en œuvre des défenses qui lui permettent de refuser de jouer le rôle d'image maternelle par

substitution transférentielle. Aussi, Sylvie reconnaît la résonance psycho-affective qu'engendre

l'interpellation d'ordre sexuel de ces élèves, ce qui peut témoigner d'une reviviscence de conflits

psychiques antérieurs de type œdipien, et qui nécessite de sa part un éventuel travail personnel. Par

résistance, Sylvie tente d'objectiver de façon rationnelle cette interpellation intime sur le mode de la

dénégation, « et ça suffit! ».

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« maintenant c'est aussi à moi de voir pourquoi ça résonne en moi et de devoir peut-être faire un travail

personnel là-dessus aussi... pour savoir jusqu'où va mon rôle d’accompagnatrice... moi je mets ma limite

là parce que... elles ont normalement une maman et ça suffit !... » (S2Q17,L12-14)

Comme dans le cas vécu par Frédéric dans son rapport avec son professeur de Lettres, la relation

pédagogique deviendrait le cadre d’émergence où l’enseignant devient ce sujet supposé savoir.

Soit, la rencontre d'un savoir énigmatique dont l'Autre (enseignante en tant qu'imago maternelle) est

supposé en délivrer le sens. Cet appel, cette pulsion de savoir chez l'élève adressée à l'enseignante,

mettant en jeu la mobilisation de la sexualité, peut relever de la question « qu'est-ce être une

femme? », « de quel désir, voire envie est faite la femme? », un mystère dont le savoir serait réservé

à l'adulte et que Sylvie semble refouler :

« et moi je n'ai pas envie de savoir! (intonation)... je n'ai pas envie de savoir... ce côté-là je n'ai pas

besoin de le savoir ce genre de choses... là on sent bien qu'elles s'adressent à moi autrement car il y a des

moments comme la récréation... donc pourquoi faut-il qu'elles me le crient « il faut absolument que j'y

aille » et il faut absolument qu'elles me le disent quoi... c'est une manière qu'elles ont trouvé de dire au

prof....leur intimité féminine... (soufflement)...et bien ça... je suis désarçonnée face à ça parce que... parce

que voilà peut-être qu'inconsciemment « je suis une jeune fille et il faut absolument que je vous le fasse

savoir »... mais « savoir quoi ? » (S2,Q18,L1-7)

La première question-énigme posée par l'enfant est celle de la question de la différence des sexes

(Freud, 1907) pour ensuite devenir celle de la naissance « d'où viennent les enfants? » (Freud,

1908). Il s'agit ici chez l'élève d'une activité d'investigation sexuelle, à savoir la recherche d'un objet

qui est posé derrière les apparences, quelque chose de caché lié au surgissement du sexuel

(Laplanche, 1980).

« et si on fait le lien avec ce que nous disions tout-à-l'heure le fait de s'identifier à... c'est de dire vous

êtes une femme, et vous devez me comprendre » et peut-être qu'il y a ce côté-là derrière... mais ce « vous

devez me comprendre »... mais la femme qui est là devant eux a du mal à le comprendre !... parce que de

par mon expérience de femme et ma féminité... je ne parviens pas à comprendre ça... je dois vous avouer

que ça c'est quelque chose qui m'irrite... c'est bête et idiot! mais ça m'irrite ce genre de comportement-

là! » (S2Q18,L8-13)

Dans « Les théories sexuelles infantiles » (1908), Freud insiste sur les dangers qu'il y a à « blesser »

cette activité d'investigation sexuelle de l'enfant. Le mensonge de l'adulte, sa réprimande ou encore

son déni, comme semble en témoigner notre enseignante, constituent :

« La première occasion d'un conflit psychique, dans la mesure où des opinions pour lesquelles les enfants

éprouvent une préférence de nature pulsionnelle, mais qui ne sont pas « bien » aux yeux des grandes

personnes, entrent en opposition avec d'autres qui sont fondées sur l'autorité des grandes personnes, mais

qui ne leur conviennent pas à eux. Ce conflit psychique peut devenir bientôt un clivage psychique » (Freud,

1908, p. 17)

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L'un des aspects du mécanisme du refoulement, dont semble nous témoigner l’enseignante,

concerne, en référence à C. Millot (1979), l'interdit qui porte sur le dire.

« Ce qui ne peut pas être dit ne peut pas être non plus consciemment pensé, car, pour l’enfant […] les

pensées deviennent aussi coupables et dangereuses que des paroles ou des actes. En somme,

« L'inconscient ce serait ainsi ce qu'il ne faut pas que l’autre sache, la façon la plus sûre d'y parvenir étant

encore de se le dissimuler à soi-même. » (Millot, 1979, p. 45-46)

Ainsi le transfert d'une demande n'est pas tant dans les sentiments éprouvés que dans le crédit fait à

l'Autre qu'il saura y répondre. Dès lors, comme le soulève l'autre enseignante Chantal, la question

est de savoir quelles attitudes adopter vis-à-vis du transfert dans le rapport de maître à élève.

« c'est quelque chose qui m'a été bénéfique à ne pas réagir en disant n'importe quoi ni en faisant

n'importe quoi et puis de se demander si on est dans le bon et de demander qu'est-ce qu'on est censé faire

dans ces cas-là à d'autres enseignants... et notamment à cette époque-là.... j'ai beaucoup travaillé avec

une prof d'histoire qui elle était plutôt en fin de carrière […] quand j'avais des choses en classe qui se

passaient...voilà.... j'en parlais beaucoup avec elle et lui demandais « les autres font comment dans ces

cas-là? qu’est-ce qui est autorisé? qu'est-ce qui ne l'est pas ? qu’est ce-que ... » voilà! » (C1Q16,L9-

13;L16-18)

Des articles publiés par la Revue pour une pédagogie psychanalytique (1926-1939) tentaient déjà

de répondre à cette question. A savoir quelle est et quelle doit être la position du maître vis-à-vis de

l'expression de sentiments que l'on peut considérer comme étant d'origine transférentielle. Car en

effet, n'y a-t-il pas des effets pervers du transfert s'exprimant par l'amour du maître ou par la haine ?

Parmi ces textes, traduits et publiés dans le recueil de Pédagogie et psychanalyse, présenté par M.

Cifali et J. Moll (1985/2003), retenons ceux de W. Kuendig « Une pratique pédagogique dans le

secondaire, aperçus psychanalytiques » (1927) et de H. Zulliger « Un manque dans la pédagogie

psychanalytique » (1936). Comptons également cet autre texte de Zulliger, « L'épouvante du lien »

(1930), recensé par R. Weiss en 1936, et qui relève d'une traduction privée. Des articles qui, par

ailleurs, ont fait l'objet d'une lecture critique par J. Filloux (1989) et qui participent, dit-elle, à

l'«Odyssée de la pédagogie psychanalytique ». Précisons que ces textes étudient essentiellement des

situations où s'expriment des transferts positifs, au sens freudien du terme, vis-à-vis de l'enseignant.

Il s'agit soit de cas de jeunes élèves filles amoureuses d'un maître; soit de cas de jeunes élèves filles

(cf. Sylvie) ou de garçons (cf. Frédéric élève) transférant sur un enseignant de même sexe, ou de

sexe différent ; soit encore de maîtres réagissant à leur manière dans ces situations. Autant de

transferts, de « serpents qui dégoulinent » dont Chantal reconnaît l'existence, mais qu'elle interroge

tant au niveau de leur mode d'acceptation que de maniement.

« et ça je pense que c'est d'autant plus important que l'on ne réponde pas soi-même dans le même

ordre... parce que c'est là que l'on doit être vigilant je pense... parce que l'élève arrive en classe avec sa

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valise et si sa valise est pleine de serpents qui dégoulinent et bien c'est comme ça... c'est là !...par contre

est-ce que nous on doit se laisser mordre par ces serpents ?... ça c'est peut-être autre chose »

(C1Q13,L8-12)

En référence aux cas d'analyse établis par W. Kuendig et H. Zulliger, si tous deux semblent

converger pour dire que le transfert ne peut être refusé, ils divergent sur la manière de concevoir

l'accueil, l'acceptation des expressions transférentielles. En effet, W. Kuendig conçoit le fait

d'accepter un transfert comme le résultat d'une découverte, il est nécessaire de découvrir qu'il y a

transfert pour pouvoir l'assumer, étant entendu que « découvrir n'est pas la même chose

qu'assumer ». C'est à partir de cela que le maître pourra chercher à comprendre où se situent, par

exemple, certains blocages chez les élèves en difficulté scolaire. De son côté, H. Zulliger s'attache à

mettre en cause les réactions de l'enseignant qui l'induisent à accueillir difficilement des transferts

positifs par ce qu'il appelle « l'épouvante du lien ». Selon lui, accepter veut dire, chez un pédagogue

d'orientation psychanalytique, situer le lien affectif exprimé en dehors d'une réaction de peur ou de

mise en œuvre de défenses.

Pour l'enseignant, il s'agit également de comprendre suffisamment le danger que peut représenter le

fait de tomber dans une relation transférentielle érotisée, relevant d'un rapport de type incestueux

« j'ai un collègue qui a une liaison amoureuse avec une élève de 6ème...majeure bon!...et c'est là qu'il

faut faire gaffe parce que là on est hors cadre et on sort complètement du rapport pédagogique...je ne dis

pas que ça ne peut par arriver de tomber amoureux etc... mais il faut savoir de qui on tombe

amoureux... » (F3Q12,L15-18)

Le rapport maître-élève s'inscrit dès lors dans une relation duelle, au sens lacanien, à savoir une

relation à deux qui devient pathogène, parce que chaque partenaire situe l’autre sur un plan

imaginaire et cherche à l’inclure dans son système psychique propre et ce, en vue de l’assujettir à

son désir (cf. Chap. I.). Une manœuvre transférentielle qui peut se traduire, au dire de l'enseignant,

par la métonymie « savoir de quoi j’étais faite » et la métaphore du « terrain glissant », et dont le

sens donné se voit conforté par un sourire.

« C'est vrai qu'au début... ils [élèves garçons] avaient un peu tendance à me provoquer...à me tester

pour savoir ''de quoi j'étais faite'' dans le sens plein comme dans le sens figuré (sourire)... parce qu'ils

s'étaient rendus compte qu'effectivement j'étais plutôt euh... je vais dire naïve et voilà!... ceci dit je ne

m'avançais jamais trop quand je sentais le terrain glissant que ce soit dans leurs interpellations ou

leurs questions...bon voilà!... » (C1Q16,L1-5)

Dans le rapport pédagogique, si ces investissements libidinaux peuvent représenter un danger pour

le processus d'enseignement-apprentissage, ils peuvent également constituer un atout, un support à

l'apprentissage et ce, en faveur du développement intellectuel de l'élève, d'une production de savoir.

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F: «[...] une élève que j'ai eue l'année passée était récemment dans une forme d'interpellation très

personnelle qui me disait ''j'ai adoré avoir cours avec vous parce que j'ai pu aller plus loin...'' [...] et elle

m'a écrit un mail en disant que ''la critique ça l'avait fait grandir'' avec comme P.S. (post-scriptum) ''je

vous préférais avec vos longs cheveux!''... enfin vous voyez la scène (rires)... »

E/Q12 : « Vous voulez dire la scène de la séduction ? »

F: « Mais oui! On est dans la séduction... dans l'imaginaire... et c'est peut-être ça aussi qui a permis

d'autres choses...cette motivation à travailler...à chercher ...à se dépasser...et toute critique vécue sur le

mode narcissique et donc elle ne pouvait pas démériter à ses yeux...et là il me semble que je l'ai

accompagné dans cette production de savoir... »

C'est pourquoi, si on s’en réfère à Zulliger, il serait davantage question pour l’enseignant de

pouvoir tolérer, apprivoiser le lien transférentiel et de savoir ne pas refuser un transfert positif.

Accepter veut dire situer le lien en dehors d'une réaction éventuelle de peur, de manière à ce que le

maître puisse comprendre le danger, ou au contraire, l'atout qu'il représente. De même, concernant

les manifestations de peur chez certains enseignants, il ne les situe pas exactement au niveau de

réactions contre-transférentielles. Selon Zulliger, la fonction de méconnaissance et la fonction

défensive chez les pédagogues non analysés peuvent s'exprimer selon l'idée de maîtriser le transfert.

S'il faut accepter des transferts, c'est moins pour les utiliser à des fins pédagogiques (le rapport à la

discipline, à la matière enseignée) que pour opérer leur transformation par la sublimation en

processus d’identification. Par contre, Kuendig est plus sensible à la nécessité de savoir maîtriser le

lien transférentiel trop « fortement positif », de savoir couper court aux débordements, au risque,

comme énoncé par notre enseignant interviewé, d'un « basculement » du rapport maître-élève.

« mais en fait elle m'a toujours fait comprendre qu'il y avait quelque chose...peut-être qu'elle me

trouvait à son goût...mais il ne faut pas s'abîmer là-dedans...parce qu'alors il y a un basculement du

rapport de l'élève et du prof dans le cercle infernal de la séduction... et donc suite à son mail je n'ai pas

relevé sinon je rentre dans le jeu car si je réagis c'est que cela me touche aussi ! » (F3Q12,L4-8)

A partir du cas apporté par Frédéric, référons-nous à celui présenté par Kuendig concernant une de

ses élèves dont il a repéré le « transfert fortement positif » sur sa personne. Selon lui, le phénomène

fût si massif qu'elle se mit à négliger toutes les matières qui n'étaient pas enseignées par lui en

essayant en même temps d'attirer exclusivement son attention et sa sympathie. Il se sentit obligé de

lui donner à comprendre qu'il était là pour toute la classe et pas seulement pour elle, que chacun et

chacune des élèves avait droit à son attention et à sa bienveillance. Il lui expliqua qu'« elle devait

renoncer à l'espoir de le voir la privilégier » et qu'il attendait d'elle « qu'elle fasse

consciencieusement son travail ... ». Il ajouta qu'« il fallait qu'elle renonce, de même que tous les

autres, pour demeurer une élève » et que cela lui « ferait plaisir d'entendre les collègues dire qu'elle

se remettrait à travailler dans toutes les matières ». A partir de cette intervention, dit-il, « les choses

revinrent progressivement à la normale. » (Kuendig, cité par Cifali & Moll, 2003, p. 177) J. Filloux

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(1989) se penche sur l'attitude de Kuendig face au transfert de la jeune élève, qui consiste à induire

un « renoncement », « assigner des limites avant qu'il ne soit trop tard ». En effet, selon l'auteure,

« les sentiments et les réactions de Kuendig face aux sollicitations de cette élève restent

relativement dans l'ombre... ».

« si les motifs d'abstention dictés par la morale sociale peuvent s'étayer sur ou se conjuguer avec des motifs

théoriques, issus du savoir analytique, afin qu'une telle intervention ne soit pas uniquement réactionnelle,

c'est-à-dire uniquement dictée par la peur des sentiments de l'élève, par l'angoisse suscitée par les

manifestations d'amour ou de haine dans le champ pédagogique. » (Filloux, 1989, p. 64).

Un autre cas rapporté par Frédéric concerne cette fois un de ses étudiants. Il met en lumière le

transfert positif de l'élève qui se manifeste au travers de l'intérêt porté à l’enseignant et de son

intrusion dans la vie privée. Il met en jeu une identification imaginaire, à savoir par le trait unaire

qui, pour rappel, dit Freud est « partielle, extrêmement limitée et emprunte seulement un trait

unique à la personne-objet », soit ici le goût pour la musique. L'évocation du réseau social

Facebook, comme mode d'accès à l'autre, montre également le regain narcissique du rapport de

l'élève à son enseignant. Une relation duelle de type spéculaire qui, sans « frontière », sans

médiation symbolique, « ne peut se vivre que sur le mode de l'intrusion envahissante et du passage

à l'acte mortifère » (Cifali & Imbert, 1998, p. 59).

«...parce sur facebook la frontière entre vie privée et vie publique est déplacée et il [un certain élève]

fait de la musique et j'avais mis quelque chose qui relèverait de mon activité musicale et l'étudiant me

croise... il ne fait pas un très bon travail en classe...pas de bons examens et qui m'interpelle dans le

couloir en me disant ''Monsieur, j'ai écouté votre morceau de musique je trouve ça super etc...'' et je lui

ai répondu ''excusez-moi mais il y autre chose à faire qu'écouter ça... il y a à venir au cours et que vous

vous y impliquiez tout autant !... c'est ça que vous devez faire...c'est ça que j'attends de vous!...'' »

(F3Q8,L35-41)

A ce déplacement d'affects et de pulsions de l'élève, marqué par un jeu de séduction, l’enseignant

cherchera à le contrer sur un mode normatif « c'est ça que vous devez faire », en lui demandant

d'investir l'intensité de sa charge pulsionnelle dans le cours « que vous vous y impliquiez tout autant »

pour enfin, lui imposer d'y renoncer « c'est ça que vous devez faire... c'est ça que j'attends de vous ».

Cela nous conduit dans notre analyse à un autre type de questionnement qu'introduit la notion de

maîtrise de transfert dans le champ pédagogique. Question épineuse puisqu'elle a trait à la nécessité

d'assigner des limites au désir de l'autre, de parer aux débordements transférentiels en « coupant

court » (Kuendig, cité par J. Filloux, op.cit.) à la recherche de séduction. Notre enseignant réagira

soit sur le mode explicatif, soit sur le mode de l'abstention en ne « relevant pas » pour éviter le jeu,

le cercle infernal de la séduction, au risque de se voir être touché affectivement, être séduit. Cette

attitude renvoie, dit J. Filloux, « au contre-transfert de l’enseignant et au mode de défense qu'il

agit ».

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Zulliger, en référence à de tels cas de transferts positifs, évitera la tentation de maîtrise. Il souligne

que les transferts de l'élève sur le maître s'établissant spontanément, une compréhension suffisante

du phénomène devrait aider le maître dans l'usage qu'il peut en faire, l'aider à trouver la juste

mesure, à les tolérer en reconnaissant les motions affectives en jeu. Apprivoiser le lien, dit-il, pour

qu'il suscite l’élaboration d'un rapport d'identification au maître, la constitution d'un idéal du moi.

Parler de transfert dans le champ pédagogique implique-t-il que l'on se situe uniquement dans le

cadre d'un rapport de rapport de couple maître-élève? Zulliger, à la fin de son article visant à réagir

contre ce que certains de la Revue qualifiaient - à propos de transferts massifs - d'« épouvante du

lien », évoquait le danger que pouvait représenter, pour la communauté que forme une classe,

l'établissement de liens privilégiés entre un enseignant et un élève. Il convient, dit-il, que le maître

se dégage des rapports de couple pour se situer vis-à-vis du groupe que forme la classe.

C'est ainsi que les phénomènes transférentiels, dans la perspective du groupe-classe, sont

susceptibles d'être analysés au niveau de transferts latéraux, voire de transferts dits « groupaux » en

référence aux travaux sur les groupes psychanalytiques de formation d'adultes. Évoquons ceux

d’inspiration kleinienne de R. Kaës, D. Anzieu & al., dans « Désir de former et formation du

savoir » (1976), dont est issue la modélisation de l'« appareil psychique groupal ». Ainsi que ceux

menés dans les groupes de formation, centrés sur le groupe et conduits par un moniteur analytique,

où D. Anzieu (1972) observait différentes catégories de phénomènes transférentiels selon qu'il

s'agissait de transferts centraux sur le moniteur, de transferts latéraux des participants les uns sur

les autres, d'un transfert des participants sur le groupe comme objet. Selon Anzieu et autres, le

moniteur comme objet d'un transfert central fonctionne comme une image paternelle archaïque ou

œdipienne, et les autres participants, objets de transferts latéraux, comme imagos fraternelles.

Enfin, le courant de Pédagogie institutionnelle, décrit par F. Oury et A. Vasquez (1967), cherche

quant à lui à faire du groupe maître-élèves un « sujet collectif », capable à la fois de recevoir les

projections transférentielles et de remplacer le maître dans des actions réactionnelles. F. Imbert

(2005) montre comment il est possible de mettre, à l'instar du moniteur psychanalytique,

l’enseignant « à l'abri » des relations transférentielles, dans le cadre d’un système de médiations

permettant à tous les transferts latéraux entre élèves de se manifester.

Au regard de notre problématique, à partir du discours enseignant, nous sommes dès lors amenée à

interroger le transfert en lien avec celle du groupe, de son pouvoir, de l'autorité dans la classe, des

identifications et de leur destin.

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CHAPITRE III. POUVOIR ET GROUPE

« L'éducation doit donc trouver sa voie entre

le Scylla du laisser-faire et le Charybde de l'interdiction »

FREUD S., Nouvelles conférences (1932), 1989, p. 200.

La classe est, institutionnellement, le lieu où se vit la relation pédagogique. Selon J-Cl. Filloux

(2000), le maître n'est pas seulement en présence d'une série d'élèves comme sujets de désirs, de

demandes, de résistances au savoir, de réactions transférentielles, mais davantage d'une pluralité de

sujets, en interaction, avec lui et entre eux. Doit-on parler d'un maître en face d'un ensemble

d'élèves, ou d'un maître qui participe au groupe au sein duquel il occupe une position spécifique ?

Dans la classe, le maître occupe, institutionnellement encore, une position centrale compte tenu de

son statut professionnel et de sa position de référent du savoir. Dans ce cas, cela signifie-t-il que le

pouvoir que lui confère l'institution est ou doit être celui d'un meneur, d'un chef, d'un

accompagnateur ou d'un guide ? L'approche psychosociologique de la classe scolaire a pu montrer

que quel que soit le concept utilisé Ŕ collectif, communauté, groupe Ŕ c'est bien celui de groupe

maître-élèves qui constitue l'objet à analyser. Le champ pédagogique peut ainsi être analysé comme

un lieu de rapports de pouvoir, de négociations implicites, de transactions au regard des conflits et

des rapports de violence latente qui sont observés (Filloux, in Debesse & Mialaret, 1974). De

même, c'est dans ce groupe-classe que se déroule l'« Autre scène », au sens psychanalytique (cf.

Chap. I, II), ainsi que le lien social au regard des hypothèses freudiennes quant à sa nature.

III.1. DU POUVOIR à L'AUTORITÉ

Selon J. Filloux, l’autorité est « cette qualité indéfinissable qui s’impose partout et à toutes les

classes », entièrement issue « de la personnalité du professeur ». Une autorité innée que l’on a ou

que l’on a pas et ce, quelles que soient les qualités que l’on possède (Filloux, 1974, p. 120).

L’autorité naturelle vise à un effacement de son exercice manifeste. J. Filloux et M-Cl. Baïetto

(1985, p. 33) se rejoignent en renvoyant cette « autorité naturelle » ou ce « pouvoir caché » chez le

sujet au phallus, objet imaginaire. Il s’agit de « paraître le phallus » pour l’autre, fantasme d’une

toute-puissance qui résiderait soit chez le sujet, soit chez l’autre. D’où, dit M-Cl. Baïetto, tous les

usages intempestifs du pouvoir de l’adulte vis-à-vis de l’élève, toutes les manifestations de

l’autoritarisme, marqués de l’agressivité corollaire de la recherche de l’identique à soi-même. Une

agressivité qui peut aller jusqu’à la « négation mortelle de l’autre (pulsion de mort) pour ne pas être

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anéanti » (Baïetto, Ibidem). Pour l'enseignant, tout élève qui ne répondra pas à son désir de maîtrise

et tendra à échapper à son pouvoir, au cadre imposé et à l’ordre établi, fera l’objet de sanctions.

« on est dépassé stratégiquement mais aussi personnellement et donc on sanctionne... et en classe ce

sont souvent les mêmes élèves dans le groupe qui sont sanctionnés.... » (S2Q7,L29-31)

La sanction peut se décliner selon différentes modalités à commencer par l’exclusion du cours

agrémentée si nécessaire d’une punition

« La sanction pour moi... (silence, 3 sec)...c'est le fait qu'il soit exclu du cours en cas extrême si on

n'arrive pas imposer le cadre... c'est l'exclusion du cours !... je pense que c'est la... la... la première

sanction qui est exclusion du cours dans l’enseignement général veut dire aussi remise en ordre et ça

donc que le travail devient compliqué ...pour moi la première sanction c'est ça après il peut y avoir une

punition en plus » (C1Q4,L1-5)

ou encore sous forme de remarques dans le journal de classe pour ensuite monter en escalade vers

une retenue, voire un renvoi. Autant de méthodes sanctionnantes qui peuvent gagner en intensité,

avec la question de savoir jusqu’où on peut aller, sans tomber dans l’excès, dans l’abus de pouvoir

au détriment de la finalité même d’éduquer.

« oui…c’est hors de mes mains et hors des mains des instances venant clairement de la direction qui

constate qu’il y a trois pages de remarques dans le journal de classe remplies... les éducateurs « il y a

l'abonnement à la retenue » avec à un moment donné la prise de sanction du Chef d'établissement qui se

dit « Je vais jusqu'au bout des choses (renvoi) » ou « je ne vais pas jusqu'au bout...sinon ce gamin

restera dans la rue et va devenir...c'est quasi sûr...un délinquant! » (S2Q9,L13-18)

L’usage de sanctions internes au champ pédagogique pouvant même s’étendre à l’institution

scolaire serait symptomatique d’une crise de système, où l’enseignant se voit être acculé à

démontrer la nature de ce pouvoir qui doit rester voilé, et ce faisant contribue à détruire les repères

identificatoires et narcissiques qui le constituent à ses yeux et à ceux des élèves (Filloux, 1974).

Si l’enseignant est en position de pouvoir par l’exercice de la sanction punitive, il l’est tout autant

de par sa capacité à contrôler la satisfaction, les gratifications de l’élève ou encore de par

l’attribution des notes d’évaluation, des appréciations. Si « rationnelles » soient-elles, ces moyens

seraient utilisés comme sanctionnant la manière dont les élèves satisfont les demandes qui leur sont

adressées pour satisfaire le désir de maîtrise chez l’enseignant (Filloux, 2000).

De même, les enseignants savent que les élèves ne sont pas dépourvus de pouvoir, et qu’ils sont en

mesure de gratifier ou non l’enseignant, de le frustrer, d’accepter son pouvoir. Les enseignants

souhaitent une classe qui écoute la parole du maître et sont prêts à l’imposer dans sa toute-

puissance.

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« on a l'impression que c'est ''cause toujours tu nous intéresses!''... parce que je ne suis pas du style à

élever la voix...pas du tout !... mais il y a comme une classe de temps en temps et vous avez l'impression

que… que si vous ne criez pas... alors que fondamentalement je me dis qu'en soi... je ne crois pas en la

puissance de la voix qui s'impose et donc de devoir gueuler sur les gens pour qu'ils vous écoutent et

fondamentalement je suis avec cette question-là de me dire '' Bon! pourquoi faut-il en arriver à une

extrémité pareille pour avoir seulement un quart d'heure... vingt minutes de calme''... voilà! (rires)... »

(S2Q4,L4-10)

« dans tous les cas je m'impose moi en tant que JE et non en tant que JEU et je le leur dis

fermement !... je n'élève pas souvent la voix mais quand je crie cela porte généralement parce que je ne

le fais pas souvent (sourire)... mais en général je suis plutôt calme et posée... je m'affirme » (C1Q6,L8-

11)

Si l’enseignant désire être aimé (cf. Chap. I), il veut être respecté d’eux en tant que JE, en tant que

personne professionnelle.

C : « donc ce que je demande c'est le respect! ça pour moi c'est important!...

E/Q7: En quoi le respect c'est important pour vous?

C : « Pour moi c'est important aussi bien le respect de ma personne que des autres élèves de la classe et

là je suis intransigeante... » (C1Q7,L1-2)

« j'étais surpris de devoir recadrer par rapport à des choses qui me paraissent être le b a ba de la

conduite...du respect de l'enseignant j'ai juste parlé de mon irritation et j'ai dit deux choses...j'ai dit ''si

l’enseignement secondaire devient ça je n'enseigne plus et j'ai dit aussi si l'espace du cours devient

ça...ça ne va pas je le dis vous faites ça ailleurs mais pas à mon cours !...''...ils m'ont vu énervé mais j'ai

l'impression que ça glisse ! (silence) » (F3Q3,L54-58)

Ce respect passe par l’observation d’un code de conduite, des normes de politesse autrement dit

d’un savoir-vivre ensemble par le respect mutuel.

« Il y a certains moments où l'on se demande vraiment s'ils se rendent compte de la manière dont ils

nous parlent et la manière dont ils nous interpellent... si vraiment ils se rendent compte qu'ils dépassent

les normes de la politesse que moi je mets... que moi je connais... C'est à nouveau la question là aussi du

principe de base de respect comme principe de base vis-à-vis des profs mais aussi entre eux! »

(S2Q5,L3-7)

Aussi faire autorité, mettre le cadre, peut rapidement renvoyer de la part des élèves à l’abus

d’autorité et se confondre avec l’autoritarisme, à savoir une attitude pédagogique unilatérale et

rétrograde qui n’est plus d’actualité. Pourtant l’enseignant revendique le droit à l’autorité

légitimement.

« ... aussi le fait de faire autorité et dire le local de cours où l’espace de cours ce n'est pas fait pour ça

vous renvoie vite à un abus d'autorité ou quelque chose qui sent l'autorité dans le temps ringarde alors

que moi je la trouve décisive et je dis à mes élèves qu'il n'est pas question de ça chez moi parce que chez

moi c'est dans mon cours...et...voilà !... » (F3Q3,L70-73)

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Ainsi le champ pédagogique peut ainsi être analysé comme un lieu de rapports de pouvoir, de

négociations implicites, de transactions. L’adulte, dit M. Cifali (2005), a perdu sa légitimité sociale.

Sentant son pouvoir inopérant, il se défend de la blessure narcissique infligée par celui qui lui

échappe. Menaces, chantage, parole humiliante, rejet, absence de gratification et de reconnaissance,

deviennent des armes face à celui qui n’obéit pas. Aussi, sanctions, punitions, exclusions, renvois,

signes ostensibles du pouvoir, semblent ne plus avoir les effets escomptés, pour s’enfoncer toujours

un plus dans l’escalade de la violence. On assiste alors à des rivalités duelles, dans une position

phallique, que rien ne médiatise (Cifali, Ibidem). Une rivalité imaginaire, dit F. Imbert, par

défaillance de toute médiation symbolique. C’est le registre du « ou moi, ou toi » (Lacan, 1978)

et/ou un emmêlement transférentiel voyant passé et présent se fondre dans l’autre (Imbert, 2005).

III.1.1. AUTORITÉ

Comme abordé dans le chapitre sur le transfert, à l’adolescence, période durant laquelle se constitue

une sexualité génitale agie, se pose pour le sujet à la fois la nécessité du détachement de liens

infantiles et la découverte de liens nouveaux aux parents, d’identifications nouvelles (Laplanche &

Pontalis, op.cit.). La découverte des limites du modèle l’amène à rechercher un autre modèle

identificatoire. Ainsi, l’enseignant peut constituer un point de repère, la représentation possible de

ce qu’il est en train de devenir. Mais le mouvement qui pousse l’adolescent vers lui n’est pas sans

ambivalence des sentiments : l’adulte est celui qui peut le soutenir dans la construction de sa

personnalité et en même temps, le rival face auquel il devra s’affirmer selon le mode de la

confrontation, soit en « traquant la contradiction » ou encore « en traquant la faille ».

« au fond l'élève traque la contradiction...certains...traquent la faille... » (F3Q3,L3-4)

« d'autres qui cherchent vraiment une con...confrontation avec le prof et euh...l'autorité que je

représente et qui n'est pas n'importe laquelle qui est en fin d’Humanités sacralisée...idéalisée...et il me

semble que ce joue... et qu'il y a une transformation que moi j'observe... et qui se joue là des processus

qui sont liés à l'adolescence et qui auraient dû être en partie réglés et qui reviennent sur le devant de la

scène relativement tard.. » (F3Q3,L28-33)

Au niveau de l’inconscient, la scène où se jouent les processus transférentiels, l’enseignant peut

représenter la figure du père auquel l’adolescent veut arracher le pouvoir, et celui qui donne les

moyens de l'éliminer symboliquement. En tant que figure paternelle, l’enseignant est porteur pour

l'adolescent d’une autorité, en tant que représentant de la loi, et qui à travers le savoir est articulée à

la dimension symbolique.

« ...Ils se trouvent agacés aussi par ce type de remarques parce que « pour qui il se prend! ce n'est pas

notre père » et c'est ça aussi qui est intéressant que c'est un prof au fond et s'il est porteur d'une autorité

quelle est l'autorité qu'il peut faire valoir et ça pour moi c'est un cadre qui doit être protégé » (F3Q4,L1-

4)

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« il me semble que ce joue... et qu'il y a une transformation que moi j'observe... et qui se joue là des

processus qui sont liés à l'adolescence et qui auraient dû être en partie réglées et qui reviennent sur le

devant de la scène relativement tard...c'est-à-dire la mise à l’épreuve de l'autorité et à travers le

savoir...alors le savoir c'est un prétexte pour la mise à l'épreuve de l’autorité » (F3Q3,L30-34)

« et justement ils interrogent justement le modèle de savoir...c’est un savoir qui a du mal à prendre sa

place en humanités et c'est le modèle de l’enseignement magistral...que je quitte moi-même ! » (FQ3,L4-

6)

III.1.2. SYMÉTRIE/ASYMÉTRIE

Dans le champ microsocial de l'école et de la classe, la dissolution de tout repère symbolique amène

à des rapports en face-à-face, d'où résulte le malaise, la violence. L'absence de médiation

symbolique laisse place à la dimension imaginaire de type narcissique, spéculaire. Le savoir de

l’enseignant, la culture sur laquelle il s'est construit en vient à nourrir une relation duelle de

rivalité : ils ne font plus médiation ni ne relèvent d'un idéal du moi partagé, mais au contraire ils

renforcent l'enseignant dans son « moi-idéal » dans sa fonction de clôture défensive (Imbert, 1992).

Ainsi, le rapport symétrique ou égalitaire entre maître et élève(s) peut susciter chez l’enseignant un

malaise en termes d’identité professionnelle et de rôle pédagogique. La confusion des places et le

mélange des rôles peuvent occasionner un pouvoir du négatif mobilisé sous forme de tensions, de

sentiments hostiles. Dans ce sens, Enriquez (1981) ou encore Giust-Desprairies (1989) ont montré

que cette confusion des places constituait un fantasme « ordinaire » du désir d’enseigner.

« je..je...mais ...mais on est quand même dans des tensions quoi... entre l'enseignant qui construit un

rapport de symétrie avec ses étudiants...c'est de dire aussi que les élèves ont quelque chose à apporter à

la discipline et d'un autre côté une tension identitaire avec le modèle d’enseignement vraiment comme le

maître qui parle et l'élève qui écoute patiemment... » (F3Q3,L6-10)

« alors on pourrait dire que le rapport pédagogique c'est quand même un rapport asymétrique ou

dissymétrique c'est-à-dire qu'il faut quand même assumer que l'on ne part...parle pas de la même

place!... à quelque chose qui de plus en plus penche du côté de l'égalité...de la symétrie ce qui moi

profondément m'agace ! » (F3Q4,L12-15)

Ce rapport de symétrie maître-élève (s) relève d’une fausse symétrie et qui n’est pas négociable. En

effet, cette situation de confusion comporte les risques d’une dissolution des repères symboliques,

auxquels il n’est pas question ici de se soustraire.

« mais il y a quelque chose qui me trouble du côté du rapport de symétrie qui est une fausse symétrie

car il y a quelque chose qui du côté règlement scolaire n'est pas négociable...il y a des élèves qui se

plaignent de profs et ils ont le droit de se plaindre mais je n’ai pas à accéder à ces plaintes sur le modèle

de la soustraction … » (F3Q5,L2-5)

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L’enseignant privilégiera l’asymétrie (α privatif) marquant l’absence de toute symétrie à la

dissymétrie (δις) qui témoigne d’un défaut de symétrie dans le rapport maître-élève. Ce rapport

d’asymétrie devient dès lors une obligation, une nécessité pour éviter tout risque d’être pris dans le

registre de l’identification imaginaire d’ordre spéculaire.

« le rapport pédagogique doit nécessairement pour qu'il fonctionne doit être asymétrique... au sens

d'asymétrie plutôt que de dissymétrie... assumée c'est-à-dire qu'on est pas à la même place or je crois que

l'on est pris dans une espèce de théorie égalitariste... ou symétrique... » (F3Q5,L11-14)

Tel est l’enjeu de la relation pédagogique, à savoir l’identification par le trait unaire que Freud

qualifiait de « partielle, extrêmement limitée, et [qu’elle] emprunte seulement un trait unique à la

personne-objet » (Freud, 1921, op.cit., p. 45) (cf. Chap. II.3. Transfert). L’apport de Lacan consistera

à dégager le « trait unaire » comme fondement de l'idéal du moi, ou encore une identification

symbolique ayant alors pour fonction de soutenir et de régler les identifications narcissiques

(imaginaires). L’enjeu théorique est de faire entendre que « la régulation de l’imaginaire dépend de

quelque chose qui est situé de façon transcendante […] le transcendant dans l’occasion n’étant rien

d’autre que la liaison symbolique entre les êtres humains » (Lacan, Écrits techniques, p. 161). La

relation à mon image et/ou à l’image de l’autre, ; la qualité de cette relation, ses tensions voire ses

conflits, ses impasses mortifères ou ses moments de perfection, dépendent d’une médiation

symbolique que l’on désigne par l’idéal du moi (Cifali & Imbert, 1998, p. 59). A présent, il

convient de savoir en quoi l’enseignant, en tant que leader sur la scène micro-sociale de la classe,

peut constituer un pôle d’identification et d’idéalisation pour les apprenants.

III.2. UN MAÎTRE-GUIDE ?

Dans son article déjà cité et intitulé « Un manque dans la pédagogie psychanalytique » (1936),

Zulliger reproche aux défenseurs de la pédagogie psychanalytique d'avoir « beaucoup trop tourné

leur attention vers le domaine de la psychologie individuelle et négligé le champ de la psychologie

collective » (Cifali & Moll, 2003, p. 205) ou encore d'avoir trop privilégié, en classe, la relation

duelle avec l'enfant aux dépens de la dimension de groupe. En vue d’une psychologie collective,

Zulliger va ouvrir une nouvelle perspective d'application des découvertes freudiennes à la pratique

pédagogique, en s'inspirant des travaux de Freud émis dans son ouvrage Psychologie des masses et

analyse du moi (1921), dans lequel il traite de la formation en masse, en l’occurrence, d’une masse

« primaire ». Ainsi, écrit Zulliger :

« La pédagogie psychanalytique est une méthode d’éducation qui repose sur la compréhension

psychanalytique des enfants dans leur singularité d’individu en tant que groupe et sur la compréhension des

réactions des éducateurs. Elle vise à rendre les enfants « sociables », c’est-à-dire « capables de

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communauté » au sens culturel, et l’on doit mettre l’accent aussi bien sur le mot « capable » que sur le mot

« communauté » (Zulliger, 1936, in Cifali & Moll, op.cit., p. 198).

A partir de sa lecture du texte de Freud, Zulliger ajoute à propos de la pédagogie psychanalytique :

« qu’il s’agissait moins d’une psychologie individuelle et de relations duelles teintées d’affects et de libido,

que d’une recherche, d’une connaissance et d’une régulation consciente des rapports psychiques entre une

communauté, et son guide » (Zulliger, in Cifali & Imbert, 1998, p. 56).

Reste que pour cette pédagogie prônée par Zulliger, la fonction de médiation semble réservée au

seul comportement du maître :

« Il ne s’agit pas de chercher à transformer l’ensemble des activités scolaires pour en faire à tout prix

l’objet d’un travail communautaire, ni de modifier en conséquence les horaires et les matières à enseigner ;

il faut avant tout exploiter les « cas disciplinaires » de quelques élèves au profit de l’éducation

communautaire, le maître jouant le rôle de médiateur, de « parlementaire », entre le moi pulsionnel et le

surmoi. » (Zulliger, in Cifali & Moll, op.cit., p. 199).

La transposition de l’analyse freudienne au groupe-classe entraîne Zulliger à penser la relation du

groupe d'élèves au maître sur le modèle de la relation de la foule à son « meneur » [Führer] (Cifali

& Imbert, 1998, p. 56). En effet, dans sa thèse conclusive du chapitre VIII, Freud expose le

fondement et la nature des liens qui unissent les membres d'un groupe social organisé. Ce

fondement se situe au niveau d'une « structure libidinale » où les pulsions et leur destin jouent leur

rôle. L'enseignant, dans son discours, se positionne vis-à-vis des élèves faisant groupe comme étant

le transmetteur, l’accompagnateur de savoir, soit le représentant qui supporte la fonction de savoir

« je suis là comme...comme transmetteuse... accompagnatrice de savoir dans la fonction... »

(S2Q11,L11)

ou encore comme étant l'amuseur de groupe qui, concevant son cours comme une entreprise

aventureuse, conforte sa position de leader de groupe.

« ils sont vraiment face à quelqu'un qui je pense peut circuler...c'est un peu une aventure le cours et

c'est vrai que parfois c'est ce qui m'est reproché du côté du manque de structure...donc mes cours

devraient être un peu moins aventureux et un peu plus structurés... mais j'aime bien raconter des

anecdotes et ça c'est mon côté amuseur de groupe...déjà quand j'étais élève dans l’enseignement

secondaire... j'étais dans cette position de leader de groupe [...]» (F3Q8,L74-78)

Cette « structure », dit Freud, ne peut se concevoir sans qu'il existe un chef, ou du moins une idée,

une abstraction qui constitue pour tous les membres du groupe un objet commun d'attachement. Cet

objet doit revêtir des caractères qui le rendent apte à incarner l'idéal du moi des membres du

groupe. Dans ces conditions, en classe, la projection de l'idéal du moi de chaque élève, sur le même

objet qu'incarne l'enseignant, permet aux élèves de s'identifier les uns aux autres. Dans la voie de

cette identification mutuelle, il se produit une « désexualisation », une sublimation des pulsions

visant dès lors la matière étudiée.

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« certaines individualités fortes dans les groupes d'élèves j'en ai chaque année... et se détachent là

toujours les mêmes personnes qui interviennent...ce sont souvent les mêmes d'ailleurs...et...ils posent

parfois des questions très intéressantes...très pointues sur la matière que l'on voit en classe et alors je

leur réponds à eux... » (F3Q2,L10-15)

Dans ce processus, l'idéalisation de l'enseignant par les élèves, perçu comme porte-parole d'auteurs

représentant eux-mêmes des figures d'autorité, et leur identification à l'enseignant qui incarne cet

idéal de pensée, mis alors à la place de leur moi, vont ainsi de pair.

« j'ai l'impression que les élèves m'identifient à l'auteur dont je parle alors que j'essaye de valoriser les

pensées des auteurs de leur temps...mais ce sont des figures d'autorité elles-mêmes c’est-à- dire qu'un

penseur comme ça fait autorité dans son champ...et c'est comme si je me faisais leur porte-parole et ils

prennent les auteurs du côté de ce qu'ils en comprennent et ils sont incapables de se décentrer de leur

monde propre pour entrer dans le monde des auteurs ...en tout cas incapables immédiatement... »

(F3Q5,L46-51)

Freud dit à ce propos : « Il est intéressant de voir que ce sont justement les tendances sexuelles

inhibées quant au but qui aboutissent à des liens durables unissant les hommes entre eux... » (Freud,

1921, OC., p. 49). Il ajoute que la « constitution libidinale » d'une masse primaire avec meneur

donne lieu à cette formule : « Un certain nombre d'individus qui ont mis un seul et même objet à la

place de leur idéal du moi et se sont, en conséquence, identifiés les uns aux autres dans leur moi »

(Freud, Ibidem, p. 54). Dès lors, si la constitution comme la permanence du groupe se heurtent à

des forces contraires de division, reste que le lien social est affaire d’Éros sublimé unissant les

individus au chef et aux égaux.

« c'est ça mon message ''essayons un peu de se rapprocher de cet auteur-là...qu'aurions-nous fait dans

sa situation... dans son contexte...à son époque''...pour mieux le comprendre...et ça fait partie de ma

façon d'enseigner et je vous dit aussi mes relations avec mes élèves sont bonnes...et mes élèves sont un

peu comme des électrons libres...j'en vois qui s’assoient toujours à la même place devant... et puis il y en

a qui viennent me voir à la fin du cours... » (F3Q8,L52-57)

C'est parce que le chef sait aimer l'ensemble des membres du groupe [masse] d'un amour égal, que

les membres peuvent s'identifier les uns aux autres. Précisons que dans son texte, Freud cherche à

disjoindre la « suggestion hypnotique », ou « sujétion amoureuse », de la « fascination » que peut

induire le meneur. Dit selon l'enseignant par dénégation, « détenir toute la capacité d'attention ».

« mais attention! je ne prétends pas détenir toute la capacité d'attention...je me remets régulièrement en

question et sur mon positionnement par rapport aux élèves... sur la façon dont je leur transmets ce

savoir... dans un autre rapport que celui de la séduction...où les élèves disent ce prof est génial !... »

(F3Q8,L57-60)

Dans ce sens, à partir du texte de Freud, Zulliger a voulu étayer la possibilité de faire d'une classe

un groupe communautaire en posant la question suivante :

« Quelles sont les conditions de nature affective qui créent des liens et permettent aux individus d'une

classe de s'identifier entre eux en tant que groupe au sens freudien du terme, et d'être suffisamment saisis et

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pénétrés par le désir d'identification à l'enseignant-guide, à sa visée éthique, afin que la relation « guide-

groupe » s'établisse, quelle influence l'idéal du moi de chacun et que la sublimation puisse tirer profit

de la relation affective? » (Zulliger, 1936)

Ainsi, au travers de sa pratique pédagogique, l'enseignant cherche les moyens de réaliser une

identification mutuelle des élèves entre eux en tant que « groupe ». Il semble déterminé à se

présenter comme un pôle d'idéalisation, en suscitant voire en éveillant dans le cœur et dans la tête,

l'identification des élèves à l'enseignant en tant qu'idéal du moi.

« On sait bien que les adolescents ont besoin d'appartenir à un groupe tel quel... on a tous besoin de

s'identifier mais ces grands groupes-là non... me semble-t-il!... » (S2Q14,L6-8)

« la question permet à celui qui la pose ...de rentrer en scène...et ça il ne faut pas négliger c'est-à-dire

que certains [élèves]...ce sont toujours les mêmes ...et il y a vraiment des élèves qui sont dans la

recherche d'un idéal... jusque où vous seriez prêt à nous emmener loin dans l'aventure que vous êtes en

train de raconter... » (F3Q3,L25-28)

« J'ai donc un groupe en cinquième... ils sont douze et un groupe en troisième... ils sont quinze... Dans

ces deux groupes... mais ce que l'on peut vivre là c'est incomparable... là oui j'ai vraiment ma place

comme accompagnatrice de ces élèves... éveilleuse d'un tas de choses dans leur tête et même dans leur

cœur et ces élèves ont choisi le latin... ils ont fait un choix... c'est important et qui vous respectent et sont

bienveillants... » (S2Q15,L8-14)

L’enseignant peut également se trouver en tension entre la figure d’autorité qu’il représente et celle

du maître guide qu’il cherche à occuper. Une perspective pédagogique que semble appréhender

l’enseignant dans sa pratique professionnelle.

« l'enseignant représente quand même une figure d'autorité...et donc une référence... mais j'ai envie de

dire vous êtes... il y a vraiment des classes où on a l'impression qu'en tant qu'adulte on a sa place comme

professeur... comme prof pas comme spécialement comme un copain-copain... mais comme prof qui guide

et qui accompagne et qui avance avec vous [les élèves]... » (S2Q13,L18-21)

Dans ce sens, Zulliger parlera d’une « mission quelque peu délicate » pour l’enseignant car « il doit

à la fois respecter le libre développement des élèves et se présenter comme le chef de la bande

fraternelle ». Zulliger précisera cette mission en ces termes :

« Tout permettre de façon à ce que les enfants puissent dire : ici, on peut faire ce que l’on veut ! ; […] en

même temps de créer un état de besoin collectif dans le groupe d’élèves, […] en se souciant toutefois de

participer lui-même à la suppression de ce besoin afin de pouvoir être perçu non comme un « père

archaïque » haï, mais plutôt comme « chef » aimé d’une bande fraternelle. » (Zulliger, 1930, trad. Noêl)

L’attitude à adopter par l’enseignant est vécue ici comme d’autant plus délicate, qu’elle se situe soit

dans un rapport de « copain-copain », soit dans celui de « dictateur » qui abuserait du pouvoir.

« alors on rentre dans un rapport à l'autorité ou soit on est copain-copain ou soit on est un dictateur et

donc un glissement dans la représentation que l'on en a comme étant un abus de pouvoir » (F3Q5,L22-

23)

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Or, si nous nous en référons au but que Freud assigne, dans sa Sixième conférence, à une éducation

psychanalytique, cela consiste en « la maîtrise des instincts ». Tout en maintenant ce but, Freud

cherche à dégager la voie juste entre « le Scylla du laisser-faire et le Charybde de l’interdiction », à

trouver un optimum. Mais entre maîtriser ses instincts et laisser une liberté totale à l’enfant, ou

l’autoriser à obéir sans contrainte à toutes ses impulsions, Freud opte pour la maîtrise et la

contrainte, tout en souhaitant trouver la manière « la plus profitable et la moins dangereuse de s’y

prendre ». Mais à la liberté, il dit non, profère un non possumus et accrédite ce qu’il sait être « la

cause des névroses » (Cifali, 1982, p. 53).

De même, Zulliger précisera que le maître-guide ne va pas « aimer » les enfants au niveau

individuel, mais au niveau collectif. Dès lors,

« Il ne va ni décréter des lois assorties de menaces de sanctions, ni contribuer au refoulement, comme le

ferait le tyran, mais il ne se mettra pas non plus en position de « frère cochon », avec ses élèves. Face à

eux, il se montrera assurément compréhensif, patient, humain, calme et objectif. » (Zulliger, 1930, p.39-50)

On assiste chez Zulliger à l’exigence d’un renoncement dans le rapport maître-élève. Il est demandé

à l’enfant de renoncer au caractère « privé » de la relation et, en quelque sorte, à son exclusive.

Ainsi, l’amour de tous pourrait et devrait se garantir des excès de l’amour de chacun (Milhaud-

Cappe, 2007). En cherchant à déterminer et à définir ce nouveau mode de lien, Zulliger utilise le

concept freudien de « masse à deux », auquel l’adulte doit s’en tenir et ce, quel que soit son désir :

« […] Car ce lien n’est pas un lien amoureux habituel...C’est le même qui existe entre les psychanalystes et

leurs patients en situation d’analyse, et dont Freud a dit pour le différencier de la relation du couple (Paar-

relation), qu’il s’agissait de masse à deux (Masse zu zwei) » (Zulliger, « L’épouvante du lien », p. 20).

Alors qu’il s’agissait pour Freud d’éclairer le collectif par l’individuel, Zulliger exploite cette

expression pour ramener l’individuel au collectif. S’agirait-il donc ici d’extirper la relation duelle à

un insupportable caractère privé ? Cet élément théorique que recouvre l’expression « masse à

deux » garantit qu’il est possible de vivre une relation duelle comme une relation de groupe, qu’on

peut y maintenir les vecteurs chef-sujet, meneur-mené (Milhaud-Cappe, op.cit.).

En outre, Zulliger va préciser la nature de cette relation en déterminant la manière dont doit être

perçu le maître.

« L’enseignant très bien formé en psychanalyse n’est justement pas chargé d’établir avec ses trente élèves,

trente liens de couple et encore moins des liens amoureux de nature homosexuelle ou hétérosexuelle. Le

lien dont il s’agit ici est celui du dirigeant avec la masse. Il est conditionné par le refus de toute prétention

amoureuse à laquelle doit renoncer et l’élève et l’enseignant. » (Zulliger, op.cit.)

Zulliger poursuit sa description et insiste sur la désexualisation du maître :

« Aux yeux des élèves, le dirigeant est quasiment « dépersonnalisé » en tant qu’objet aimé. Il peut être

considéré comme le vrai objet aimé au niveau de l’instance inférieure de l’inconscient, alors qu’au niveau

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de la couche supérieure de l’inconscient, de la masse des élèves, il est porteur d’une idée, d’un idéal

apprécié de tout le monde [...]. Le lien avec le guide est un lien désexualisé, plus sublimé qu’un lien

amoureux habituel. Et au-dessus du guide se trouve l’idéal devenu totalement « esprit », vers lequel tout le

monde tend, qui est à l’origine du contenu civilisé que l’on donne au lien existant entre la masse et son

dirigeant. » (Zulliger, Ibidem, p. 21)

Selon J. Filloux (1989, p. 69), la conception zulligerienne du fonctionnement du groupe-classe

suscite néanmoins question à plusieurs niveaux. Ne propose-t-elle pas en définitive - sous le

couvert d’un enseignant-guide - les traits d’une imago toute-puissante et castratrice, d’une image

conforme aux exigences du moi-idéal et de la toute-puissance narcissique ? En effet, comment le

maître peut-il adopter une posture à la fois permissive, laisser entendre que « tout est permis », et

de ce chef suscitant la constitution d’un idéal du moi qu’il représente chez les élèves et ce, dans une

visée sublimatoire? La posture du maître-guide, telle que révélée dans le discours enseignant et

prônée par zulliger, qui se veut échapper au désir d’emprise (lequel se satisfait dans les

comportements de l’enseignant traditionnel), ne représente-t-il pas, dès lors, une autre manière

d’exercer un pouvoir pédagogique ?

C’est dans l’image du chef (Hauptling), littéralement chef de bande, que vient s’incarner le désaveu

de la figure paternelle, dans l’érection de cette imago phallique indifférenciée sexuellement, mais

derrière laquelle se cache la toute-puissance d’une imago maternelle qui n’aurait aucune loi à

soutenir (Filloux, Ibidem). Une imago à laquelle, comme le dit Ferenczi, « on se soumet pour lui

complaire » (Ferenczi, p. 113, in Filloux, Ibidem). Le désaveu de la figure paternelle, souligne J.

Filloux, permet de contourner l’angoisse de castration, ce qui n’équivaut pas au renoncement

amoureux préconisé par Zulliger.

Cependant, le mérite de notre pédagogue-analyste, commente J. Filloux, est certes de « montrer que

la visée éducative implique la mise en place de liens et d’un ordre identificatoire ». Mais, souligne

J. Filloux, la construction que Zulliger propose implique un « maniement collectif de

l’identification » (identifications élèves-élèves-enseignants) « qui devient méconnaissance du

transfert au sens analytique » (Filloux, op.cit., p. 69). Un rapport de fascination est supposé

s’établir, à l’image de ce qui caractérise la foule, comme si le lien de l’enseignant-guide à la

« communauté » pouvait être, selon l’expression de Freud, un « état amoureux avec exclusion des

tendances directement sexuelles » (Freud, 1921, OC., p. 53). Selon J. Filloux, il s’agit bien d’un

rapport de suggestion hypnotique, voire d’aliénation, qui « assure souterrainement la soumission et

la docilité de l’élève » (Filloux, Ibidem). De sorte que la façon dont Zulliger opère, au même titre

que nos enseignants dans leur discours, est « tout particulièrement significative de ce que l’on

pourrait appeler l’imaginaire pédagogique » (Ibidem).

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Selon Cl. Rabant, cela signifie que « d'une part, il y a lieu à l'école de prendre le désir amoureux

dans le lien social et, d'autre part, que la question de la soumission du sujet, de son possible

assujettissement ne peut être méconnue. » (Rabant, 1968, pp. 89-117)

De son côté, F. Imbert (1992) nous explique également comment Zulliger prend insuffisamment en

compte la spécificité du groupe-classe.

« Dans la classe, dit-il, il ne s’agit pas de la constitution d’une foule, d’une formation collective. L’enjeu

n’y est pas l’assujettissement au « guide », ni l’identification des uns aux autres. La dimension de l’idéal du

moi y est bien maintenue et non écrasée. » (Imbert, 1992, p. 181)

Avec F. Imbert, on peut également se demander ce qu’il en est de la fonction de « médiation » entre

l’enfant et l’idéal que l'enseignant, tout comme ici Zulliger, pense être exercée par un « guide », un

« accompagnateur » faisant exister la classe comme groupe ?

« Il [le maître] n’est pas l’idéal même, mais son médiateur, dont le rôle est alors comparable à celui du

prêtre. Il doit se faire l’avocat des idéaux, maintenir rigoureusement leurs exigences et juger avec douceur

toutes les fautes qui proviennent de la distance séparant l’idéal et la réalité de l’enfant. Sa tâche essentielle

consiste à maintenir la communication entre le moi pulsionnel de l’enfant et le moi idéal, à être pour ainsi

dire l’entremetteur entre des forces opposées. » (Zulliger, in Cifali & Moll, op.cit., p. 202)

Malgré la tentative de Zulliger de se distancer du paradigme freudien de la masse en redéfinissant

le « meneur » comme « médiateur », cette mise en nuance ne transforme pas la structure. En effet,

selon F. Imbert, la fonction de médiation paraît réservée au seul exercice du maître, jouant le rôle de

médiateur, de parlementaire entre le moi pulsionnel et le surmoi (Imbert, op.cit., p. 177). Selon

l’auteur, appartenant au Mouvement de Pédagogie Institutionnelle, si il y a médiation dans la classe,

elle se situe également au niveau des interactions entre élèves.

« Mais, alors que Zulliger ne déchiffre la dimension de l’idéal du moi qu’au travers de valeurs et d’idéaux

dont le maître doit se montrer « l’avocat » […], il apparaît qu’en réalité c’est plus un réseau articulé autour

d’inter-dits structurants que le maître comme tel, pris dans sa fonction d’incarnation de l’idéal, qui supporte

l’inscription de la fonction symbolique et qui assure la spécificité du groupe-classe. » (Imbert, Ibid., p.

179).

« Tour de passe-passe » (Filloux, 1989) ou « impasse » (Imbert, 1992), Zulliger au même titre que

l'enseignant, en cherchant à adopter une posture pédagogique d'enseignant-guide, se voient eux-

mêmes être pris dans le « piège symbolique » (Imbert, Ibid., p. 181). Car, en effet, l’ouvert qui

s’articule au travail de la médiation symbolique s’y trouve toujours obturé sous le plein d’une

Figure de toute-puissance imaginaire (Imbert, Ibidem, p. 172).

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III.3. GROUPE-CLASSE ET MAÎTRE

En se référant à Freud, mais sans chercher une transposition pédagogique immédiate, Fritz Redl

proposait dans un article « Émotions de groupe et leadership » (1942), une analyse des mécanismes

inconscients susceptibles d’expliquer et de diversifier les modalités des rapports des élèves, comme

groupe, au maître. F. Redl propose une application des données du texte de Freud (1921), ainsi que

des formulations ultérieures, notamment concernant le processus d’identification et la distinction

surmoi et idéal du moi, à des observations de psychologie de groupe obtenues en travaillant avec

des groupes d’enfants et d’adolescents - dans des situations scolaires et des colonies de vacances.

III.3.1. LE MAÎTRE, EN TANT QUE PERSONNE CENTRALE

Dans sa théorisation, F. Redl part de la notion de « personne centrale » voire « focale », qui renvoie

à la « personne autour de laquelle se produisent les processus de formation de groupe » ; le concept

d’« émotion de groupe » étant appréhendé au sens large d’affectif. Sans vouloir nous concentrer sur

ce point, tel qu’approfondi dans notre mémoire de Master 1 (Rouen, 2008) -, rappelons cependant

certaines distinctions utiles apportées par F. Redl à son propos.

La première concerne la différence, pour le maître, entre être l’objet de pulsions et être l’objet

d’identification. Dans le premier cas, on aime le maître, ou on lui est hostile sans qu’entre en jeu

une incorporation identificatoire. Le maître sera personne centrale, simplement comme « objet

d’amour » ou comme « objet de pulsions agressives » Ŕ qui se produit lorsque le maître est perçu

comme très dominateur. L’enseignant, en tant qu’objet de pulsions, dit ne plus avoir la possibilité

d’être lui-même, soit une personne dans toute sa singularité.

« Il y a des classes où ça fonctionne et vous avez des classes où ça ne fonctionne pas et vous avez

clairement euh... soit l'ensemble de la classe contre vous... vraiment ils ne vous laissent pas du tout la

possibilité d'être... d'être vous-même comme personne... parce que... non c'est vraiment ça eux contre

vous où alors de temps en temps c'est une partie de la classe contre vous et les autres qui alors là souvent

subissent parce qu'ils ne se révoltent pas contre ce petit groupe-là qui a quelque part une main mise sur

eux ... » (S2Q13,L21-27)

Le processus d’identification, comme effet du transfert, implique de placer en soi quelque chose de

la personne centrale, autrement dit une « incorporation ». Le maître pourra être objet

d’identification, soit parce qu’on l’aime, soit parce qu’on le craint. Dans l’identification basée sur la

crainte, « les enfants incorporent le surmoi de la personne centrale dans leur propre surmoi par un

processus d’identification à l’agresseur : le maître est perçu comme le ''tyran''». Dans le cas d’une

identification basée sur l’amour, Redl distingue encore deux modalités alternatives : soit l'amour

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conduit à l’incorporation du surmoi de la personne centrale dans leur conscience propre : les élèves

« veulent se conduire de telle façon que l’enseignant les approuve » ; soit l’amour conduit à

incorporer la personnalité du maître dans leur idéal du moi, par idéalisation : les enfants « veulent

« devenir une personne comme lui ».

La différence entre l’incorporation du surmoi dans l’identification par la crainte et par l’amour

provient de ce que dans un cas, une loi répressive s’inscrit dans la conscience et, dans le second cas,

c’est l’approbation qui compte. Dans ses exemples d’observations, Redl évoque également des cas

où l’enseignant devient complice des pulsions amoureuses de ou des élèves dans une entreprise de

séduction, de même lorsqu’il est organisateur, ou héros dans le cadre d’un rôle de soutien du moi.

La typologie telle que décrite par Redl peut, reconnaît-il, relever de « catégories idéales », mais elle

contribue, dans notre compréhension du rapport groupe-classe et maître, à l’analyse des différentes

positions des membres du groupe à l’égard des attitudes de la personne centrale en fonction des

types de dépendance, d’identification et de transfert. Par cette typologie, Redl ouvrait la voie à des

recherches de type clinique, à des observations et interprétations non plus strictement

pédagogiques, comparativement à Zulliger, mais cherchant à éclairer les « scénarios inconscients

qui fixent les places et dessinent les rôles » dans le champ de la classe (Redl, 1942, in Levy, 1965).

III.3.2. LA FORMATION DU GROUPE

Dans le champ pédagogique constitué idéalement comme une juxtaposition de relations privilégiées

enseignant-apprenant (Filloux, 1974), nous avons vu que dans un mode de relation objectale, les

processus d'identification et d'idéalisation viennent comme fondement de ce qui origine l'élève dans

la situation de formation. Dans son analyse de discours d’enseignants et d’élèves du secondaire,

évoquant la classe comme groupe, J. Filloux (Ibid.) se réfère au modèle élaboré par F. Redl. Elle

conçoit un groupe-classe fonctionnant à la fois comme groupe primaire Ŕ lieu de structuration des

phénomènes « affectifs et instinctuels » autour d’une personne centrale Ŕ et comme groupe

secondaire, renvoyant au mode d’organisation rationnelle des liens entre élèves et enseignants.

Dans le discours des enseignants et des élèves, dit J. Filloux, l’« image de l’enseignant leader du

groupe de travail renvoie à celle de l’enseignant leader du groupe primaire ». Aussi, par « personne

centrale », J. Filloux désigne avec Redl « celui ou celle qui suscite chez les membres du groupe par

des relations émotionnelles à son égard des processus de formation de groupe » (Filloux, Ibid., p.

129). En centrant son analyse sur l'étude du groupe primaire, l’auteure recherche la nature des liens

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affectifs ou des liens libidinaux qui relient les élèves, comme membres du groupe, à l’enseignant en

tant que personne centrale.

Notons que chez les enseignants, l’énoncé de formations imaginaires, telles que le fantasme de

dévoration, le maître en proie aux enfants, ou l’énoncé du désir d’une maîtrise totale de la scène

pédagogique - sous la forme d’un Pygmalion tout-puissant (cf. Chap. I.1.6.) - doivent être

appréhendés dans ce qui se joue au niveau du fonctionnement du groupe primaire. Il en ressort

l’image d’un maître décrivant les attentes des élèves en termes exclusifs de besoin de dépendance,

se voulant comme pôle d’identification pour l’ensemble des membres du groupe, et formulant ainsi

une demande d’identification Ŕ selon la catégorisation de Redl, d’une identification basée sur

l’amour, avec un « devoir complémentaire de séduction » (Filloux, Ibid. p. 139). Dès lors,

l’instauration de relation transférentielle positive tend, dit-elle, « par glissement, à se légitimer

dogmatiquement », de telle sorte que « le contrat pédagogique » dans la dyade maître-groupe, tout

comme dans celle maître-élève, « va devenir un contrat d’amour léonin, et ''l’art pédagogique'' va se

mobiliser comme une nécessité de plaire. » (Filloux, Ibid.) Chez les élèves, soulignons l’attente

d’une bonne figure parentale, d’un enseignant non agressif, ne frustrant pas le désir d’apprendre

qu’ils disent souvent inhibé par l’enseignant.

Au niveau du groupe primaire, sous l’idée d’un pouvoir « innocent », la représentation qu’ont les

maîtres de leur « pouvoir légitime s’étaie en dernier ressort sur un refoulement de l’agression et de

l’hostilité », les enseignants comme les enseignés, participant de la représentation d’un inéluctable

rapport de domination-soumission, caché sous le contrat implicite d’un « ordre identificatoire »

fondé sur la rationalité pédagogique. Dans le cadre de nos entretiens, Sylvie repère et distingue les

modes de liens affectifs qui lient et qui délient les élèves, comme membres du groupe, à

l’enseignant en tant que personne centrale.

Dans un premier cas, il s'agit de l'identification de certains élèves à d'autres par rapport à des rôles,

des comportements et ce, en vue de trouver leur place.

« Et dans cette classe... il y avait 4 élèves qui travaillaient très bien en début d'année... rien à dire...

puis qui se sont petit à petit acoquinés avec les autres et qui ont commencé à moins bien travaillé et à qui

il a fallu commencer à faire des remarques etc.... et tout le processus pour essayer de trouver leur place

en s'identifiant les uns aux autres... Et je leur ai demandé mais « comment expliquez-vous ces différences

de résultats et de comportements qui ne vous ressemblent pas? » Je n'ai pas eu de réponse... ça leur

échappe... » (S2Q8,L30-35)

Dans un second cas, il s'agit de l’image de l’enseignant qui doit sans cesse rappeler le respect de la

loi fondamentale qui régit le rapport enseignant-enseigné (les statuts réciproques) et qui fait l’objet

d’empathie de la part d’un groupe d’élèves.

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« et puis... vous avez alors le prof qui est plus vu...mais ça dépend un peu des élèves dans ces groupes-

là qui vont dire « oh là là le pauvre! il a toujours des ennuis avec... hein hein!'' ou ''la pauvre elle a

toujours ces mêmes élèves à qui elle doit sans cesse être... montrer qui elle est... demander le

respect...s'imposer!'' (S2Q13,L27-30)

Dans un troisième cas, il s'agit de l’image de l’enseignant estimé représentant une valeur supérieure

à l’ensemble de la collectivité et qui devient pôle d’identification pour les membres du groupe

« ou alors certains qui se disent « ce prof-là il est bon, on va dans son sens et les autres on s'en fout! »

(S2Q13,L30-31)

Dans un quatrième cas, le groupe qui cherche les possibilités de transfert et d’identification au

leader, à savoir chez qui saura répondre aux attentes des élèves. Cela nécessite de la part de

l'enseignant leader, en l’occurrence ici d’avoir conscience et de se mettre en sympathie avec les

pulsions, les exigences instinctuelles du groupe d'élèves.

« Vous avez des élèves qui sont donc un peu entre le marteau et l'enclume... d'un côté leurs pairs à qui

ils doivent faire attention parce qu'il y a une mainmise de ce petit groupe sur eux et d'un autre côté... une

volonté aussi de fonctionner avec le prof et une volonté de vouloir le suivre.... » (S2Q13,L31-33)

Au regard du discours des enseignants, notons également que la personne centrale dans un groupe

n'est pas nécessairement le leader-enseignant institué. La présence d'un élève occupant la position

centrale et unique de leader affectif interne au collectif de pairs, peut constituer pour l’enseignant

une source de préoccupations et d'irritation.

« il y a clairement deux leaders dont une fille très très sûre d'elle... brillante et fille unique... En soi...

fille unique n’a pas beaucoup d'importance mais c'est dans le sens où elle a vraiment pris toute la place

et ici... en fait... elle régente la classe! elle régente les autres comme j'imagine elle régente chez elle !...

c'est dans ce sens-là... » (S2Q5,L12-15)

« il y a deux situations concrètes dont je vais vous parler qui ont provoqué en moi de l’irritation j'ai

une étudiante qui je pense est très impliquée! je vois ça elle prend des notes pour les autres... et elle est

dans une position de leader ...et donc une position centrale de pouvoir... » (F3Q5,L22-25)

Tout se passe dans le concret comme si un(e) tel(le) leader était vécu(e) sur le mode d'un rapport de

force, de compétition voire de lutte par l'enseignant, afin de préserver son pouvoir de centralisation,

de rassemblement de chacun des membres du groupe.

« écoutez c'est une tension permanente...c'est une lutte !...c'est vraiment celui qui réussira à s'imposer à

l'autre quoi...qui l'emportera sur l'autre...c'est ça la question et pour moi... le côté idéal c'est de dire

« allons jusqu'au bout! si on croit en la valeur de l'individu qui peut à un moment donné se rassembler et

que l'on peut accompagner dans son apprentissage! » (S2Q14,L1-4)

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L’enseignant définit en termes d'« idéal » la relation émotionnelle et affective - le lien libidinal

vertical au sens de Freud - qui l'unit à l'ensemble du groupe de pairs. Pour re-citer Freud,

« ... l'essence de la formation en masse consiste en des liaisons libidinales d'une nouvelle sorte entre

les membres de la masse. » (Freud, 1921, Œ.C, 2003, p. 41)

L’enseignant se présente ici comme leader social détenteur, dans le microcosme de la classe, des

modes de lien à instaurer avec les élèves. En s'instituant comme étant « LA référence » de leur

classe, le maître semble témoigner d'un idéal de cohésion des membres du groupe, sous forme de

relation de connivence et d'esprit de collaboration.

S: « Un autre élément aussi... c'est que je suis titulaire de la classe et que l'on accueille les élèves... ça

change aussi le mode de relation que vous avez avec les élèves dans une classe... ça les fédère...parce

que vous êtes la... la référence par rapport à leur classe... vous êtes le point centralisateur de la classe...

et ça change aussi la donne!... »

E/Q16: Donc, si je vous ai bien comprise le fait que vous soyez titulaire d'une classe change le mode de

relation que vous avez avec vos élèves ?

S: « Oui clairement !... la relation qui est instaurée est différente...il y a une connivence qui se met en

place et...un esprit de collaboration qui se crée et que je ressens comme fédérateur.. »

En outre, les modalités de prise en charge des élèves par le maître dans l’établissement de cette

relation émotionnelle et affective se justifient au travers d'un accueil de qualité, par l'établissement

d'un contact privilégié avec chacun des élèves.

« la qualité de l'accueil... moi je trouve ça très important quand on démarre le cours !... c'est de

prendre cinq minutes pour les accueillir vraiment que ce soit un bonjour au début de la journée ou un

bienvenue... un petit mot qui fait que l'on montre qu'on les attend quand même... » (C1Q4,L32-35)

« c'est une petite école avec une trentaine d'élèves et ils ne sont que cinq ou six et c'est maximum

dix...ce qui permet aussi clairement d'établir une relation privilégiée avec chacun d'eux... » (C1Q12,L12-

14)

On peut observer une représentation ambivalente chez l'enseignant(e) qui cherche à travailler avec

chacun des élèves du groupe selon sa singularité que ce soit en termes de potentialités ou de

problématique individuelle, mais tout en prônant idéalement un traitement équitable envers « tout le

monde ».

« je travaille avec chacun des élèves... j'ai des tout-petits groupes et dans mes petits groupes j'ai des

enfants qui peuvent être répertoriés potentiels comme je peux avoir des jeunes qui triplent une année

pour différentes raisons et moi mon objectif c’est de travailler avec tout le monde et pas euh... pas

seulement avec certains et donc chacun avec ses potentialités et de ce qu'il peut apporter... de sa

problématique parfois il faut varier les objectifs qui ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde

dans la classe » (C1Q4,L18-23)

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Dans cette situation collective, soit « avec tout le monde » dans des (petits) groupes, par

l’établissement d'une relation privilégiée singulière dans une recherche de communiabilité (désir

exprimé par les enseignants d'être en communion intellectuelle et/ou affective avec les élèves),

l’enseignant met en scène le désir qui sous-tend la position éducative (Filloux, 1974, p. 61). On

retrouve, dans le positionnement du maître, en tant que personne centrale du groupe-classe, le

même « jeu du désir », tel qu'analysé dans le rapport à deux maître-élève (cf. Chap. I), qui en fait

une position de savoir, de maîtrise de l'autre et de son désir. Le statut de l’enseignant peut être ainsi

investi à la fois comme possibilité de gagner l’amour des élèves, et comme risque d'en être

dépossédé. En tant que dépositaire du savoir sur les particularités des élèves et les objectifs

éducatifs qui y sont relatifs, l’enseignant se voit sympathique à leurs yeux, donc accepté par eux.

« donc il faut aussi voir quel est l'objectif pour chacun et quel est mon objectif à moi à travers ça! […]

souvent ils voient ça dans ma pratique... Souvent ils voient que avec tout le monde même et avec celui qui

ne veut pas... je vais régulièrement venir et leur dire de temps en temps... s'il y a une définition... je vais

même la copier moi-même s'il le faut pour dire quand même qu'il y ait quelque chose... pour pouvoir

avoir la possibilité d'accrocher à un moment donné !...oui...de créer un point de rencontre! » (C1Q8,L7-

11)

L'enseignant serait alors le bon objet capable de créer des conditions de rencontre et d’accroche

avec les élèves, susceptible de satisfaire à leurs désirs, partant ainsi confirmé dans sa position de

maîtrise. Avec J. Filloux, on peut affirmer que là « le statut d’enseignant, support du bon objet

idéalisé, peut sans danger opérer la clôture des rapports sociaux dans le champ pédagogique

entendu comme un juxtaposition des dyades singulières » (Filloux, Ibidem).

On peut également observer avec intérêt que le groupe, selon la représentation de l’enseignant, tend

lui-même à être régulé, nécessitant un « encadrement individuel ». Un groupe-sujet, au sein duquel

l’enseignant ferait partie intégrante, et dont la position serait mise en difficulté par la pluralité des

individualités.

« le souci que vous avez... c'est que devant vous vous avez un groupe qui nécessite un encadrement

individuel [...] vous avez beau faire des tas de choses... vous avez des cours... des classes chez nous qui

sont organisées comme au XIXème siècle... très concrètement tout ça fonctionne dans sa rigidité et où le

groupe pour moi était prépondérant c'est-à-dire appartenir à un groupe c'était fondamental [...] et

aujourd’hui vous avez une telle montée de l'individu et c'est aussi positif... mais donc par conséquent on

valorise tellement l'individu que maintenant enseigner à un groupe devient périlleux ...car vous devez

tenir compte des individus et en plus de vous-même (prof)... vous êtes individu (rires) qui appartenez à un

groupe de professeurs... » (S2Q7,L18-27)

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Il apparaît dans ce cas-ci que c'est dans la position de maîtrise au sein du collectif scolaire, dans

cette dyade qu'est la relation maître-collectif d'élèves, que le statut prend fantasmatiquement valeur

de mauvais objet pour soi et pour les autres. Dans la position de maîtrise instituée - « il faut gérer »

-, dans la position d'autorité - « structure encadrante » -, le statut est vécu comme susceptible

d'entraîner la perte d'amour des élèves, et le groupe-foule devient le support de l'hostilité, des

pulsions de destruction voire d'anéantissement.

« je me dis qu'il y a une gestion qui devrait être basée sur des groupes plus petits... avec des structures

encore plus encadrantes... des éducateurs qui ne sont pas submergés eux-mêmes par le nombre »

(S2Q19,L1-3)

« il y a un mot qui me vient à l'esprit... c'est plus épidermique qu'autre chose et pas nécessairement

réfléchi... la seule chose c'est d'avoir ce petit groupe que vous pouvez vraiment accompagner... ce n'est

que plaisir les uns vis-à-vis des autres et ici on est vraiment dans un groupe qu'il faut gérer à la

militaire...sinon ça ne marche pas! ... » (S2Q14,L21-24)

Est-ce que le besoin de collusion affective, de recherches de relations dyadiques privilégiées soit

« les uns vis-à-vis des autres » peut originer l'autre (élève) dans ce groupe-foule, comme un besoin

de réparation de l'objet ? Une façon, dit J. Filloux (Ibidem, p. 62), de trouver l'amour des élèves en

contrant le groupe en tant que support de l'hostilité. Si le groupe ne peut se constituer idéalement

comme le miroir sans défaut de l’enseignant, s'il ne peut lui renvoyer une image morcelée de lui-

même, il reste à le briser, à le morceler pour (re)constituer une image unifiée de soi-même (Filloux,

Ibid.). Ceci donne à comprendre que le groupe peut être vécu par l'enseignant comme d'autant plus

hétérogène qu'il est plus grand (« submergés par le nombre ») et composé d’individus singuliers,

« mais un groupe de vingt-cinq élèves avec des individualités aussi riches... aussi complexes... comment

voulez-vous que cela marche comme un seul homme ? » (S2Q14,L4-6)

et comment, tel en témoigne la libre association chez Sylvie « un mot me vient à l'esprit, c'est

épidermique, pas réfléchi », la constitution de petits groupes homogènes peut faciliter l'intégration

de l’enseignant dans le collectif, dont on retrouve la position fantasmée d'accompagnateur du

groupe-classe. Ainsi, tout comme pour la dyade enseignant-enseigné (cf. Chap. I,II), la nature des

membres du groupe doit être, par un jeu de miroir, complémentaire à celle du leader de groupe

(Filloux, Ibid.). Dans le champ construit par le discours des enseignants, et des enseignés dans le

cadre spécifique de la recherche de J. Filloux, il ressort que « le discours de la violence y tient une

place essentielle... ».

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M-Cl. Baïetto, dans sa recherche déjà évoquée (1985), parvient à des conclusions similaires. Chez

les enseignants pratiquant des méthodes actives « non directives », visant à se démarquer des

pédagogies traditionnelles, elle observe dans leur discours la même demande d’identification, le

même désir de « marquer », d’engendrer Ŕ la même inquiétude face aux conflits, même s’il ne veut

pas constituer un répondant. Soit complice, soit miroir-brutal du groupe, on retrouve chez le maître,

sous couvert d’une délégation du pouvoir aux élèves, l’imposition d’une loi dite par lui. Avec J-Cl.

Filloux (2000), on peut également se demander si la classe n’est pas détournée de ses objectifs

d’apprentissage au profit de la vie de groupe ? M.-Cl. Baïetto nous explique que quelles que soient

les modalités des pratiques dont parle le discours enseignant, la non-directivité ne met pas en

question la nature du rapport de pouvoir, le maître étant toujours la personne centrale. La loi de la

classe demeure en réalité celle du travail scolaire, loi dont l’enseignant est encore là le porteur

(Baïetto, 1985).

Si les pédagogies non directives ne prétendent pas se référer à la psychanalyse, le courant de

Pédagogie Institutionnelle, déjà évoqué dans le cadre de la problématique du transfert, veut prendre

en compte l’inconscient pour réorganiser et établir les relations dans la classe. Il s’agira pour Oury

et Vasquez (1967, 1971) d’une part, d'utiliser des notions psychanalytiques pour éclaircir, expliquer

ce qui se passe dans une classe et les reformuler en termes de groupe; d’autre part, à la différence

des enseignants non directifs, la centration sur le groupe doit s’appuyer sur un groupe-classe

instituant - tel que le Conseil de la « classe coopérative » étant le pilier d’un système modifiant

radicalement le milieu scolaire, où le maître n’est plus en position de personne centrale. Le groupe,

« sujet collectif », est un sujet interactif. Les enfants et le maître parlent de leur vie scolaire

quotidienne et cherchent à l’améliorer. Ils prennent en charge l’élaboration des institutions, des

règles de fonctionnement de la classe. C’est la voix du groupe, qu’exprime le Conseil, qui fait

office de « loi ». Telle est la spécificité de la pédagogie institutionnelle, à savoir :

« tendre à remplacer l’action permanente et l’intervention du maître par un système d’activités, de

médiations diverses, d’institutions, qui assure de façon continue l’obligation et la réciprocité des échanges

dans et hors du groupe » (Oury & Vasquez, 1967, p. 248).

Ces dispositifs de médiation obligent à l’échange, à la liberté d’une « parole », et favorisent la

canalisation de l’agressivité. Le maître n’est plus, comme dans le modèle de Zulliger, l’unique

médiateur. La mise en place d’un système de médiations dans les pratiques enseignantes doit

permettre tout un jeu d’identifications, visant à faire progresser les enfants/adolescents dans la

structuration de leur moi. Ainsi, l’éducateur veille à ne pas former un rapport de couple maître-

élève(s) et à ne pas constituer l’unique objet de transferts et d'identifications. C’est pourquoi, en

termes de réception du transfert, d’une part, l’enseignant n’acceptera pas de « jouer un rôle

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transférentiel plus ou moins maternel ou paternel » au niveau d’une relation duelle ; d’autre part, les

conflits perturbateurs entre maître-élève(s) et/ou élèves entre eux seront traités par l’apport de

chacun et ce, via le Conseil. Il s’agit donc, selon les termes de Oury et Vasquez, d’une « discipline

coopérative » du fait que « les sanctions ne sont plus proposées par le maître, mais par le groupe ».

En effet, ce Conseil de coopérative, tel qu’institué, doit pouvoir à la fois recevoir des projections

transférentielles et remplacer le maître dans des actions réactionnelles. Ce qui a pour avantage, avec

« des élèves qui sont donc un peu entre le marteau et l'enclume... » (S2Q13,L31), de désamorcer les

conduites d’opposition à l’adulte et les conflits entre pairs (Oury & Vasquez, Ibidem).

Enfin, F. Oury souligne que si le maître joue d’abord un rôle délégué par l’État, il en joue d’autres

aussi, en l’occurrence celui de représentant de la loi (lois du groupe, humaines; loi du langage) :

« Attention » ! Je suis là pour défendre la loi locale, je suis là pour être un pilier qui permet la cohésion de

la structure de la classe dans son ensemble. Autrement dit, à aucun niveau, je n’accepterai de jouer un rôle

transférentiel plus ou moins maternel ou paternel car je risquerais alors de faire basculer la totalité

structurale de la classe ; pour m’occuper d’un individu au détriment du groupe, je me priverais justement

de ce qui me permet d’être efficace. » (Oury & Vasquez, Ibidem, p. 126).

Il ressort de notre analyse de discours, telle qu'éclairée par la recherche pédagogique d’un modèle

de compréhension du groupe menée par Zullliger, que la relation du groupe d'élèves au maître, sur

le modèle de la masse à son meneur (Freud, 1921), ne peut que reconduire le maître et l’élève dans

l’impasse de la relation duelle.

En effet, nous retrouvons le premier type d’identification spéculaire immédiate où se noue la

« folie » d’une « masse à deux » ou à plusieurs. Pourtant Freud, dans son texte, explicite la

différence entre identification et abandon du moi à l’objet. Dans le premier cas, le moi s’est enrichi

des qualités de l’objet ou, selon les termes de Ferenczi l’a « introjecté » - ; dans le second cas, le

moi est appauvri, il s’est abandonné à l’objet et a mis celui-ci à la place de son idéal du moi.

Tout en se référant au texte de Freud, mais sans chercher une transposition pédagogique

systématique, F. Redl donne une analyse des mécanismes inconscients qui fixent les modalités des

rapports (places et rôles) des élèves, comme groupe, au maître. Dans ses formulations, F. Redl

distingue le maître en tant qu’objet de pulsions et objet d’identification. Dans le processus

d’identification, il différencie le surmoi et l’idéal du moi. L’identification par l’incorporation

correspond à celui du second type, soit par l’« introjection » d’un trait unique (Freud) ou unaire

(Lacan), exerçant une fonction de soutien et de réglage des identifications spéculaires

(imaginaires).

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Retenons, cependant, que le grand mérite de Zulliger fût de vouloir sortir de la relation duelle de

type spéculaire, mais il ne disposait pas des outils théorico-pratiques lui permettant de mettre en

œuvre cette issue. A savoir, d’une part, la distinction élaborée par Lacan des dimensions de

l'imaginaire et du symbolique, et l’importance que joue à cet égard l’idéal du moi, comme marque

symbolique, ou trait unaire, qui médiatise la relation imaginaire ; d’autre part, des pratiques

pédagogiques de médiation, telles que mobilisées par Freinet. Le paradoxe veut que ce soit dans ce

même texte auquel Zulliger se référait que Lacan allait précisément dégager le trait unaire, comme

« fondement » de l’idéal du moi, ou encore d’une identification symbolique qui « n’est pas

l’identification spéculaire immédiate » (Lacan, 1973, p. 241) où se noue la « folie » d'une « foule à

deux » ou à plusieurs. De même, c’est dans ce texte que la Pédagogie Institutionnelle, à la suite de

Lacan, trouvera des repères théoriques structurants.

Dès lors, il convient de savoir en quoi les concepts apportés par le Mouvement de la Pédagogie

institutionnelle peuvent nous être utiles dans la manière d’appréhender et de régler les phénomènes

transférentiels dans la relation maître-élève(s) ? Un des mots clés ressorti est celui de « médiation ».

Que signifie-t-il exactement ? Quel est son lien avec la notion de transfert ? Qu’est-ce qui pose son

usage ? Qu’en disent les enseignants dans leur discours au regard de leur pratique pédagogique?

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CHAPITRE IV. LOI DU DÉSIR ET MÉDIATION SYMBOLIQUE

« L'éducation peut être considérée sans hésitation

comme stimulation à surmonter le principe de plaisir et

à remplacer celui-ci par le principe de réalité. »

FREUD S., 1911, trad. M. Cifali, p. 230.

Selon F. Imbert (1992), en référence aux auteurs de « L’année dernière j’étais mort… », l’École se

présente traditionnellement avec une structure comparable à celle de l’Église et de l’Armée - deux

exemples de masses organisées Ŕ explicitées par Freud, dans l’ouvrage précité Psychologie des

masses et analyse du moi (1921). Cette structure induit, à tous les niveaux, une multitude de

relations transférentielles de type asymétrique dont la pédagogie magistrale classique donne

l’image : le Grand (dominant) parle, commande, dirige, et les Petits (dominés) écoutent (Pochet &

Oury, 1986). Résulte de cette organisation éminemment duelle UN seul mode de relation possible,

UN seul transfert autorisé, à savoir l’amour du chef, du censeur. Ainsi l’École traditionnelle

promeut de par sa structure un type de transfert et un seul (Ibidem). Une organisation qui semble

reposer, comme observé avec J. Filloux, sur une demande de transfert à laquelle l’adulte enseignant

soumet l’élève. D’où l’intérêt de la mise en œuvre d’un système de médiations en vue d’un

remaniement des transferts et des identifications imaginaires. Au-delà des textes de Oury et

Vasquez (1967), il convient de nous référer à l’ouvrage de F. Imbert, L'inconscient dans la classe

(2005). On y trouve en effet théorisés, sur une base clinique, des concepts abordés par la pédagogie

institutionnelle (P.I.), tels que ceux de transfert et de transfert de transfert, et qui fait débat quant à

une « application » de la psychanalyse au champ pédagogique. Bien qu’axée sur le groupe, il n’est

pas question de l’identification des élèves les uns aux autres, ni même au maître conçu en tant que

leader du groupe (cf. Chap. III), mais bien d’une structure instituée, en termes de médiation, qui

mobilise la liberté d’une parole dans la classe, d’échanges entre élèves, de partage de décisions, de

coopération. La notion de médiation recouvre plusieurs significations : tantôt les dispositifs

institutionnels qui obligent à l’échange, tantôt les supports matériels, tantôt la production d’objets

de savoir. Le « travail de médiation » du maître implique une capacité de lier et de délier

simultanément, d’interpeller et d’ouvrir à d’autres pôles d’investissements, de transferts.

A partir de cas vécus en classe par nos enseignants interviewés dans leur relation avec les élèves, et

de ce qu’ils en disent dans le cadre de leur pratique, nous allons tâcher d’analyser la problématique

du transfert dans son articulation avec la notion de Désir du sujet et de la médiation. Nous

veillerons à laisser parler l’enseignant afin de mieux appréhender le travail de subjectivation de sa

pratique professionnelle, donnant lieu à l'élaboration d’une « réelle pensée » (Rinaudo, 2007).

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IV.1. CAS DE L’ÉLÈVE VINCENT PRESENTÉ PAR CHANTAL

Chantal nous fait part d’une situation vécue en classe dans sa relation avec un élève, Vincent, dans

le cadre de sa pratique pédagogique. Ainsi, le cas dont témoigne l’enseignante peut relever d’un

transfert d’imago paternelle Ŕ transfert imaginaire Ŕ de cet élève sur sa personne. L’élève semble

attribuer à l’enseignante, en tant que Figure du père, la toute-puissance que lui renvoie la position

de l’enseignante, à la fois en tant que détentrice du savoir et représentante de la loi, celle de

l’institution scolaire. On assiste à une confrontation, à un rapport de force à qui sera le plus

puissant, et qui arrivera à s’imposer à l’autre. L’élève manifeste de surcroît une insistante demande

de reconnaissance, qui conduira à activer quelque chose de la fonction symbolique de l’interdit Ŕ du

Nom-du-Père Ŕ et, ce faisant, qui viendra soutenir et guider le désir chez l’élève. La réconciliation

du désir avec la loi va autoriser l’élève à investir son désir, par voie sublimatoire, dans la matière

du cours où, pour paraphraser F. Dolto (1989), se disent clairement les enjeux symboliques de cet

« assagissement » et de ces apprentissages.

« Oui !... je vais vous parler d'un cas... qui s'est produit pas plus tard qu'hier... il s’agit d'un élève de

troisième secondaire qui se présente dans ma classe ... qui arrive en classe avec un joint géant ! grand

comme ça à peu près... (démonstration de la longueur avec les mains)... il avait fait ça avec du papier

collant... un jeu quoi qu'il s'était amusé à faire avec pas mal de provocation ... et donc il passe derrière

un élève et passe deux fois et lui tape ça sur la tête et puis tout de suite je lui dit qu'« il n'y a pas lieu

d'avoir ça en mains en classe »... donc je lui demande de me le donner et puis il me dit « NON! » très

fermement, voilà... Alors je lui dit « SI, tu me le donnes », « NON ! »... Ça se passe à plusieurs reprises et

puis à un moment donné je lui dis fermement « eh bien écoute! Si tu ne me le donnes pas, alors moi je

constate que je ne peux pas travailler avec toi car tu refuses de m'écouter et je te demande de sortir » et

j'ouvre la porte de la classe et à ce moment-là il a jeté son joint au-dessus de la tête de l'autre par la

porte comme ça...dehors (démonstration gestuelle)... vers l'extérieur et puis il a fait semblant de rien... il

a pris son journal de classe et il est rentré dans le cours écouter (rire)...voilà...(rire)... puis... quand il a

jeté son joint... je suis allée d'abord le ramasser... je l'ai déchiré et puis mis à la poubelle devant lui... ça

je trouve symboliquement important donc...Maintenant quelque part... à la fois il a écouté ma consigne et

en même temps il ne pouvait pas admettre qu'il me donnait raison puisqu'il me l'a pas donné à moi... il l'a

jeté dehors, mais voilà ce n'est pas anodin connaissant le profil de ce jeune je pense que c'était un bon

pas dans la bonne direction et donc à partir du moment où après il est rentré dans les cours... il a bien vu

que je l'avais déchiré et mis à la poubelle et donc on remet la barre à zéro et puis le reste du cours s'est

d'ailleurs bien passé... (sourire)... » (C2Q1,L1-20)

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IV.1.1. DÉSIR DU SUJET et TRANSFERT

Au regard de notre problématique, l’attitude adoptée par Chantal en termes de repérage du

transfert, consiste d’abord à identifier le jeu de « provocation » mis en œuvre par l’élève, et qui

cherche inconsciemment à l’inclure dans une relation duelle, selon un rapport de rivalité

confrontative (imaginaire). Ensuite, l’attitude de notre enseignante consistera « tout de suite » à ne

pas accepter cet objet qu’il détient « en mains », « ici » chez elle, dans sa classe. Enfin, elle

demandera à l’élève de le lui « donner », autrement dit de lui remettre en mains cet objet factice.

Acte que l’élève refusera d’opérer. Chantal insistera sans transiger pour que l’élève le lui donne.

« Oui [pour éviter tout débordement des limites] du cadre institué pour le bon fonctionnement de la

classe et souvent quand ils dérangent ou perturbent le cours... je me demande en fait à quoi ça sert pour

l'élève... je veux dire le cas de l'élève qui rentre en classe avec un joint c'est vraiment pour moi de la

provocation !... donc c'est clairement de la provocation !... il y un but... un objectif... il ne fait pas ça sans

arrière-pensée... car en même temps ce n'est pas un vrai joint avec du papier-collant grand comme ça

(démonstration gestuelle)... il veut que cela se voit ça paraît évident...c'est une demande d'attention

quelque part mais tout en étant...en étant à la limite de la confrontation à l'autorité !... il sait bien que je

ne vais pas accepter ça sur le banc en classe...quelque part... en même temps je sais que cet élève-là

commence toujours une leçon comme ça... il arrive toujours en classe avec quelque chose qui va faire

que les cinq ou dix premières minutes c'est l'heure du test en fait ! savoir si je vais répondre ou pas... si

les limites que j'ai mises aujourd'hui sont celles que j'ai mises hier...puis attirer l'attention sur lui...en

montrant qu'il est bien là! ...(silence)... » (C1Q5,L1-12)

On assiste ici à une impasse dans la relation pédagogique dans laquelle tous deux sont pris dans un

rapport duel, où règne la loi du « ou moi, ou toi » (Lacan, Livre II, p. 201). Une confrontation de

l’élève à l’enseignante, en tant que figure d’autorité qui représente la Loi, fonction fondamentale du

père. Le désir de prise de pouvoir par l’élève renverrait chez lui au phallus, objet imaginaire (« joint

géant grand comme ça à peu près… » ; « il avait fait ça avec du papier-collant » ; « quelque part ce n’était

pas un vrai joint… »). Il s’agirait pour l’élève de « paraître le phallus » pour l’autre, à savoir ici

l’enseignante, dont il fantasme la toute-puissance (Baïetto, op.cit., p. 33). Relation de rivalité

conflictuelle par confrontation « si tu me le donnes » ; « Non ! » entre la loi du plaisir, de la

jouissance et la Loi fondamentale de l’interdit. Le désir reste celui d’avoir prise sur l’autre pour en

fin de compte se faire reconnaître par lui. C’est le désir que l’autre (l’enseignante) désire le sujet

(l’élève) pour que ce dernier se sente exister « il veut que cela se voit ça paraît évident...c'est une

demande d'attention quelque part… ». C’est la poursuite de l’autre imaginaire, dans un rapport

spéculaire de type narcissique. Par cette demande de reconnaissance, demande d’amour que

Vincent adresse à l’enseignante, il s’adresse à l’Autre qui lui donnera valeur d’appel « un jeu quoi

qu'il s'était amusé à faire avec pas mal de provocation… ».

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Dans le rapport maître-élève, la relation duelle risque d’enfermer les partenaires dans une relation

spéculaire de type narcissique où chacun se voit dans l’autre, où le sujet est avec un autre

imaginaire. Or, toute action pédagogique doit permettre à l’élève de traverser le registre imaginaire

en vue d’accéder au registre symbolique. Cela nécessite chez le sujet de se libérer des autres et de

lui-même, pour parvenir à la compréhension du registre symbolique (la loi, le langage, la culture),

par une activité implantée dans le réel. L’enjeu central de la relation pédagogique réside dès lors

dans le fait que le moi de chacun est toujours en danger d’être capté par l’autre.

IV.1.2. AU NON de L'INTERDIT! et MÉDIATION SYMBOLIQUE PAR LE TIERS

Au regard de notre problématique, l’attitude adoptée par l’enseignante en termes de réception du

transfert de l’élève, consistera « à un moment donné » à le maîtriser en mettant fin à cette impasse

transférentielle, dans laquelle le désir se complaît à « tourner en rond, venant toujours buter sur le

même objet » (Imbert, op.cit., p. 182). Cela va consister chez Chantal à supporter une autorité

qu’elle représente et à énoncer la Loi dans le cadre institué de la classe.

« Ça se passe à plusieurs reprises et puis à un moment donné je lui dis fermement « eh bien écoute! Si

tu ne me le donnes pas... alors moi je constate que je ne peux pas travailler avec toi car tu refuses de

m'écouter et je te demande de sortir » et j'ouvre la porte de la classe et à ce moment-là il a jeté son joint

au-dessus de la tête de l'autre par la porte comme ça...dehors (démonstration gestuelle)... vers l'extérieur

et puis il a fait semblant de rien... » (C1Q2,L8-12)

En effet, en faisant le constat que l’élève refuse de renoncer à l’objet-phallus, l’attitude adoptée par

Chantal consistera à ponctuer cette impasse en lui disant par la parole et par le geste de « sortir » de

la classe. Autrement dit, elle parachève l’énonciation de l’interdit, c’est le dire-NON ! (tu n’es pas

le phallus de ta mère et tu n’es pas ce qui lui manque): on ne joue pas à ça ici ! Aussi, en disant

NON ! et en le mettant en acte par l’ouverture de la porte, l’enseignante s’inscrit dans la fonction

médiatrice de support de la Loi et, ainsi, ouvre la voie(x) au travail d’une séparation symbolique.

L’élève ne sortira pas, ni ne lui donnera l’objet, mais il adoptera une attitude de compromis, à la

fois respecter le NON de la Loi et garder la face, en lançant l’objet via la porte ouverte. Comme

l’exprime Chantal, il ne pouvait pas admettre qu'il lui donnait raison puisqu'il ne le lui a pas donné

à elle... « il l'a jeté dehors vers l’extérieur ». C’est ce moment d’ouverture voire de coupure posé

par l’enseignante qui va mobiliser l’ensemble de la dialectique phallique. Du phallus imaginaire et

de rivalité qu’il supporte, au phallus symbolique en tant que signifiant du Manque, la logique

phallique se décline dans ces différents moments jusqu’à la ré-articulation d’une séparation, d’une

castration symbolique (Imbert, Ibid., p. 191).

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F. Tosquelles indique que dans la relation de l’enfant à la mère, c’est l’intervention du père qui

arrache l’enfant à la fascination des images ou, plus précisément, l’introduction du père dans le

discours de la mère. En parlant « au nom du père », la mère permet ainsi à l’enfant la reprise du

symbolique qui va être structuré par le langage. Par lui, l’enfant pourra accéder aux « lois » qui

structurent la vie sociale, la loi du groupe social dont il va faire partie. Cette loi régit les divers

échanges qui animent ledit groupe, en l’inscrivant dans l’universel (Tosquelles, 1970).

IV.1.3. MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT de TRANSFERT

L’attitude adoptée par Chantal en réaction au transfert, à savoir à l’identification imaginaire de

Vincent au phallus, consistera à une mise en pratique de la Loi, à savoir le ramasser, le déchirer

devant lui, pour en définitive le jeter. Ce que l’élève ne lui a pas donné, elle le prend et le déchire,

acte qu’elle conçoit comme étant « symboliquement important ». D’une part, par l’énonciation de

la Loi et d’autre part, par la déchirure de l’objet factice, elle sépare symboliquement l’élève de son

identification imaginaire au phallus. La castration symbolique réside dans l’impossibilité d’être le

phallus et de l’avoir. Par cette coupure symbolique, elle déleste l’élève et le libère de son

identification à cet objet consommable et addictif. Cet objet-phallus, parce qu’il est réduit à du rien

par Chantal, est devenu objet-déchet de par sa mise à la poubelle. C’est la réconciliation de la Loi,

en tant que versant de l’interdit, et du Désir, qui va autoriser le désir de l'élève à se réaliser et lui

permettre in fine d'entrer dans une activité d’apprentissage. Chantal fait table rase de « ce qu’il s’est

passé » en remettant « la barre à zéro ». Ainsi, il se crée une « nouvelle alliance » (Imbert, 1993, p.

105) entre maître et élève permettant à ce dernier de découvrir le Réel au travers du cours littéraire.

Au regard de notre problématique, l’attitude adoptée par Chantal en termes de réaction vis-à-vis du

transfert de l’élève, réside dans deux principes :

Le premier principe consiste à « éviter » toute relation transférentielle d’ordre imaginaire. « Une

relation duale » dit l’enseignante, à comprendre au sens « dyadique » du terme (Filloux, 1974), soit

deux personnes seules en présence (toi-moi) dans une relation privilégiée de face-à-face.

Le second principe consiste à faire inter-venir un Autre ayant une fonction de tiers, un troisième

terme dans le rapport de couple maître-élève. Il est question, dans la pratique éducative, de

l’établissement d’un dispositif de médiations par l’intervention d’un troisième terme, à savoir la

présence d’un enseignant et d’un éducateur, visant à réguler les échanges entre maître-élève en

situation de conflits. Ce dispositif ayant une fonction de « triangulation », permet ainsi un réglage

des identifications imaginaires, par la différenciation des rôles de chacun, en référence à la Loi. Il

s'agit ainsi d’avoir une relation éducative qui permet le passage de la fonction imaginaire à la

fonction symbolique.

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« Et alors on essaye chez nous toujours d'éviter une relation duale... c’est-à- dire que si il y a un

problème entre UN prof et UN élève... on essaye toujours qu'il y ait une troisième personne qui vienne

entre et que si sanction il y a... on va essayer que ce ne soit pas le prof qui la donne directement et donc

il faut accepter de donner son paquet... j'ai envie de dire... voilà... et que ce soit quelqu'un d'autre qui

intervienne pour éviter toute relation malsaine...c'est pour ça que nous sommes à deux... un prof et un

éducateur mais toujours à deux mais ça permet une triangulation dans les relations plus compliquées on

va dire et ça évite aussi que si il s'est passé quelque chose en classe et que cela nécessite une sanction et

que ce n'est pas obligatoirement de la faute du prof... puisque le prof n'a fait que dire « ceci n'est pas

possible dans ma classe point! » (C1Q11,L13-22)

De même, ajoute Chantal, lorsque « quelque chose s'est passé en classe » entre l’enseignant et

l’élève, les responsables de semaine (un enseignant et un éducateur) vont jouer un rôle

d’intermédiaires en demandant la version et la perception de chacun quant au fait, en vue d'en

« comprendre les enjeux ». En cas de contradiction dans les discours tenus, il est alors question de

rassembler les protagonistes et les médiateurs en groupe, selon une configuration triangulaire, en

vue de supporter la Loi, celle de l’Interdit, telle qu’elle semble avoir été énoncée, « affirmée » par

l’enseignante, qui « n'a fait que dire « ceci n'est pas possible dans ma classe point! »

« Et puis bon... souvent les responsables de semaine vont aller voir ce qu'il s'est passé auprès du prof et

lui demander... mais il va faire la même chose avec l'élève... lui demander sa version... sa perception de

ce qu'il s'est passé pour comprendre les enjeux...parfois si on voit que les versions sont à des antipodes...

alors on mettra tout le monde ensemble et ça pour éviter la relation duale et parfois même on ne donne

pas la sanction et c'est au responsable de semaine à juger...un peu comme un médiateur... s'il y a lieu de

donner une autre sanction et parfois on peut demander un travail de type pédagogique... tout dépend de

ce qu'il s'est passé !.. il n'y pas de tarif quoi... c'est vraiment au cas par cas!... » (C1Q11,L22-29)

C’est de la Loi et de sa mise en pratique dont il est question. Dans ce sens, la sanction sera

délibérée par les médiateurs donnant lieu soit à une dispense, soit à « un travail de type

pédagogique » (C1Q11,L28). C'est parce qu'« il n'y a pas de tarif » et que « c'est vraiment au cas

par cas », que la sanction s’inscrit ici dans un processus éducatif, qu'elle contribue en retour à

garantir, dès lors qu’elle vise le rétablissement d’un réseau symbolique d’échanges. La sanction ne

vise pas l’isolement de l’élève, ni sa mise hors circuit ; mais du contraire, elle accomplit une

fonction momentanée de « liaison », en s’articulant à un réseau structuré d’échanges autour de la

Loi symbolique qui, quant à lui, « délie » ce qui noue l’enseignant et l’élève dans des fascinations

imaginaires (par le phallus) et ce, en vue d’une nouvelle alliance (Imbert, Ibidem).

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Selon François Tosquelles,

« Le désir ou la tendance à recréer une telle structure imaginaire à deux, entre la mère et l’enfant, va être

retrouvé et recherché un peu partout, au long de l'évolution de l'homme. Précisons déjà que ce n'est que par

l'intervention du père, dans la relation à deux, que l'enfant peut être arraché à la fascination des « images »

pour retrouver la parole et le langage dans sa structure symbolique » (Tosquelles, 1970, p. 66)

Au regard de ce dispositif de médiation tel qu’explicité par Chantal, avec pour fonction le support

de la Loi, nous nous en référerons à F. Imbert (1993), qui cite le passage de l'Émile de Rousseau,

sur l’« enfant dyscole » :

« On assiste à une nouvelle inter-vention. « Quelqu’un » dit Rousseau, fait son entrée ; en quelque sorte un

messager ; quelqu’un qui n’est ni au service du Maître comme le domestique, ni le Maître lui-même ;

quelqu’un qui vient d’ailleurs, d’où ? On ne le saura pas. En somme, un Autre, un tiers ; peut-être un

éducateur ? Et ce messager est porteur, comme tout messager, d’un objet symbolique ; celui qui fait défaut

jusqu’à présent. Cet objet symbolique, à partir duquel chacun peut s’identifier, se reconnaître, c’est un

contrat, un « accord » : ce « quelqu’un », « lui suggèrera de vous proposer un accord au moyen duquel

vous lui rendiez la liberté… » (Imbert, 1993, p. 103).

IV.1.4. CONFUSION IMAGINAIRE, MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT par la PAROLE

Au regard de notre problématique du transfert, nous pouvons introduire une quatrième question en

termes de réponse, à savoir quelle est cette « autre attitude » que nous propose l’enseignant vis-à-

vis des phénomènes de transfert dans la relation maître-élève? Ce que l’enseignant nous donne à

lire dans son discours, au cours de l'entretien, témoigne d’un travail de subjectivation dans l'après-

coup. Ce qui consiste à mobiliser les moyens de s’arrêter et de mettre en parole ce qui se passe pour

l’élève, accepter cette recherche de paroles quant à soi en tant qu’enseignant (Cifali, 2005).

Un premier principe consiste à « se préserver » des phénomènes transférentiels - « de tout ça » -, ce

qui nécessite de « mettre des limites en tout ! ». Dans sa pratique, l’enseignante procédera à ne pas

accepter d’être l’objet d’un transfert trop positif, par « un attachement trop important » ou négatif,

à savoir « rentrer dans le jeu de la haine ».

« Moi... j'ai pour principe qu'il faut mettre des limites en tout !... c’est-à-dire que j'essaye de me

préserver un peu de tout ça et donc de ne pas accepter un attachement trop important mais de ne pas non

plus rentrer dans le jeu de la haine… » (C1Q13,L1-3)

Un second principe consiste, dans le cas d’un transfert positif (sentiments d'attachement, d'amour

sur une base érotique) ou négatif (sentiments hostiles) provenant de l’élève, à veiller à « ne pas

répondre soi-même dans le même ordre ». L’attitude préconisée par Chantal consiste à repérer

voire à contrôler ses propres contre-transferts, en l’occurrence sous le mode d’identification à

l’agressivité de l’élève à des fins défensives (A. Freud, 1972).

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Dans le cas où l’enseignante est objet de transfert négatif, « ... c'est de se dire '' ce n'est pas parce qu'il

me renvoie quelque chose de cet ordre-là qu'il faut que moi je me sente agressée et que je réponde comme

lui de la même manière'' ». Une posture de travail analogue à celle de l’analyste, lui-même

susceptible de réagir aux transferts dont il est l’objet par des réactions conscientes et inconscientes

d’ordre transférentiel. Ces contre-transferts sont autant d’indicateurs, dans la mesure où ce qui est

ressenti par l’analyste est lié à ce que lui transmet l’analysant ; tout comme ce qui est ressenti par

l’enseignant est lié à ce que lui renvoie l’élève. Pour ce faire, l’enseignante se propose de substituer

une voie(x) articulée autour d’un dispositif de médiation, qui peut relever d’une instance

institutionnelle « au bureau avec les responsables [un éducateur et un enseignant] ». Une

manœuvre visant, dans un autre lieu, à une ouverture d’échanges par la parole, par une mise en

mots et une mise en écoute des ressentis, dans un champ d’échanges et de réciprocité.

« donc si je renvoie quelque chose de cet ordre-là à un élève et bien je vais demander pour qu'on en

discute mais pas à deux... mais au bureau avec les responsables... mais que l'on mette des mots là-dessus

en disant « mais moi, j'ai le sentiment que quelque part tu m'en veux et c’est difficile à vivre pour moi » et

ça... ça peut se dire aussi et ils peuvent très bien l'entendre si on se donne la peine de le dire... parce que

c'est peut-être ça que l'on ne fait pas toujours et ça je pense que c'est d'autant plus important que l'on ne

répond pas soi-même dans le même ordre... parce que c'est là que l'on doit être vigilant je pense ... »

(C1Q13,L3-9)

Propos qui rejoignent ceux de M. Mannoni, à propos des dangers de la relation duelle, dans le cadre

de son expérience de rééducation thérapeutique à Bonneuil :

« Le rapport du moi à l’autre est ainsi d’abord, comme Lacan le rappelle, un rapport d’objectivation (et

inévitablement une réponse d’agressivité). C’est par la découverte de sa subjectivité, lorsqu’il s’approprie

le langage à partir de l’Autre, que l’enfant se délivre, jusqu’à un certain point, de l’aliénation dans laquelle

il se trouve pris » (Mannoni, 1973, p. 72).

Dans le cas où l’enseignante est objet de transfert positif, l’attitude consiste à garder « une juste

distance » (au sens freudien) ou « une proximité suffisante ». Par l’introduction dans son discours

d’un élément tiers qui interdit, le NON !, Chantal refuse toute possibilité d’« empiètement », sur un

mode de fusion/confusion imaginaire, par le « mélange » des rôles et des places.

« je parle très peu de mon privé par exemple avec mes élèves... ils ne savent même pas si j'ai des

enfants ou pas! c'est quelque chose de.... c'est une barrière et je pense que pour moi c'est quelque chose

d’important! et ils veulent savoir... ils me posent régulièrement des questions est-ce que tu as des

enfants ? Les plus petits de première année me tutoient et je les appelle par leur prénom et moi je trouve

que c'est déjà une proximité suffisante et le reste ça m'appartient et donc quand ils me demandent

« pourquoi vous n'étiez pas là hier » je leur réponds que cela ne les regarde pas... clairement! On n'est

pas là pour les mêmes raisons et il n'y a pas d'empiètement! ça c'est clair et on n'a pas à discuter de ça

ensemble... c'est tout ! Il y en a d'autres qui sont plus à l'aise avec ça! Moi personnellement, je n'aime

pas mélanger les choses et en général ils respectent ça très bien... parce qu'il faut se rappeler qu'on est

loin d'un cadre où on ne fait que de la matière, c'est du relationnel et c'est d'ailleurs le travail premier,

c'est là que ça va se jouer donc finalement...la matière n'est pas pour autant secondaire... loin de là car

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c'est aussi le biais par lequel ça... ça va se jouer mais il faut pouvoir...pouvoir gérer les deux aussi bien

le relationnel que la matière » (C1Q13,L18-31)

En effet, lorsqu’il y a demande insatiable de l’un (élève) de ne faire qu’un avec l’autre (enseignant),

le désir ne peut exister, de même que toute médiation symbolique dans le rapport avec l’autre est

exclue (Mannoni, Ibidem). D’où la crainte et le comportement d’évitement, comme mécanisme de

défense tel qu'exprimé par l'enseignante, à tout risque d'identification imaginaire sur le mode de la

fusion lorsqu’elle est voulue, recherchée par l’élève(s). L'enseignante redoute de « tomber dans le

piège » d'une relation transférentielle. Chantal insiste, au niveau même de l'énonciation, sur

l'intervention d'une tierce personne afin de jouer le rôle de médiateur, vu le risque d'être rapidement

piégé dans des relations malsaines.

« oui c'est vraiment jouer ce rôle de tiers...dans un rapport de triangulation... et je pense vraiment que

c'est très important d'instaurer ce type de différence dans la relation à deux... sinon on risque vite d'être

piégé dans... dans... dans des relations malsaines... c’est-à-dire des relations qui pourraient aller

parfois jusqu'à la confrontation hostile ou bien quand on a des jeunes qui pourraient jouer un peu trop

systématiquement avec les failles... je pense notamment aux plus jeunes enseignants... ceux qui démarrent

et pour qui... ce n'est vraiment pas facile de... de pouvoir s'imposer par rapport à ce type de public...

mais ça... ça leur évite de tomber dans certains pièges je pense et aussi que les élèves ne puissent pas

profiter de ... de leur méconnaissance...ou de leur manque d'expérience à certains moments !... »

(C1Q12,L1-9)

Dans ce sens, M. Mannoni parle également de la nécessité d'un élément tiers dans la relation duelle.

« L’introduction entre la mère et l’enfant d’un élément tiers (ôtant à l’enfant sa mère comme bien) apporte

la dimension du manque dont s’institue le désir. De cause, l’enfant devient témoin du désir des parents. »

(Mannoni, Ibidem, p. 79)

En définitive, le rôle symbolique de l’enseignant, ainsi que des autres membres de l'institution

scolaire (éducateur/enseignant), demeure celui d'un point de référence permettant des

identifications symboliques et ce, en faveur du processus de sublimation. Dans le cadre de cette

fonction symbolique, Chantal va essayer d’apprendre aux élèves « que de toute façon pour travailler

ensemble, on ne doit ni s’aimer ni se détester rien avoir ! On est là pour travailler ensemble! » (Q13,L16-

17).

Dans ce sens, Oury et Vasquez (1967) diront à propos du rôle fondamental du maître, en tant que

point de repère pour des identifications signifiantes, qu'il n'est pas là « pour les aimer, mais pour les

aider ». Ainsi, l’enseignant doit garantir une certaine loi, en énonçant les limites du cadre institué

de la classe et de son bon fonctionnement, autrement dit à « mettre une barrière », à marquer une

séparation dans le rapport maître-élève. En donnant des refus, des interdictions de façon claire,

l'enseignante montre que le passage par cette loi ne peut être évité. Chantal cherche à concilier des

exigences opposées. D'une part, « éviter » ou « pouvoir sortir » de la relation duelle maître-élève,

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afin que l’enfant/adolescent ne soit pas aliéné par l’image de l'autre ; d'autre part, qu’il se situe lui-

même, en trouvant son propre rapport existentiel au monde: « ils ne savent même pas si j'ai des enfants

ou pas! c'est quelque chose de.... c'est une barrière et je pense que pour moi c'est quelque chose

d’important! » (Q13,L18-20)

Enfin, l’enseignant demeure le point de repère et se positionne comme point de référence, à savoir

celui qui rappelle les limites du cadre institué dans un rôle analogue à celui du père, soit de

représentant et de gardien de la Loi. Il est aussi le médiateur, ne serait-ce que parce qu’il est porteur

du signe fondamental du lien social qu’est le langage.

Au travers de son discours, Chantal insiste sur la mise en pratique du système de médiation à

travers l'inter-dit de la relation duelle, et (ou) la mise en pratique du tiers. Cette médiation,

l'enseignante l'aborde à travers un rituel scolaire. En établissant « une structuration organisée » de

l'espace et du temps - « Réunion de parents »; « une Assemblée Générale qui a lieu le mardi en dernière

heure » (Q18,L24), - en assignant les places et en codifiant gestes et paroles - « chacun prend la

parole... élèves comme enseignants et éducateurs à tour de rôle...un tour de table avec toujours un

recentrage par rapport au problème ou à l'ordre du jour... » (Q18,L30-32), garantit la sécurité de chacun

et délimite le cadre de son action.

Le Tiers, tel que désigné par Chantal dans sa pratique de la médiation, représente cet élément de

structure, au sens lacanien, ou la structure elle-même qui rend possible la constitution du sujet. Le

Tiers implique une dimension de transcendance qui est radicale quand on parle du grand Autre.

Dans ce sens, le langage implique une dimension d’extériorité ou de transcendance (Lebrun, 2005).

« mais donc on a des situations qui sont parfois plus que surprenantes et donc on essaye vraiment

toujours d'éviter la relation duale, et avec ces profs autour d'une même table avec le parent et quand on

voit que quelqu’un est mis à mal ou que cela dure un peu trop longtemps et bien il y a des possibilités de

triangulation... cela peut paraître un peu déstructuré mais cela ne l'est pas du tout en fait! c'est même

une structuration organisée dans le but de quelque chose derrière... à l'arrière-plan... Puis nous avons

aussi ce que l'on appelle une Assemblée Générale qui a lieu le mardi en dernière heure et qui rassemble

tous les jeunes et un maximum d'enseignants et d'éducateurs! et chacun prend la parole... élèves comme

enseignants et éducateurs à tour de rôle...un tour de table avec toujours un recentrage par rapport au

problème ou à l'ordre du jour...cela paraît idéal mais c'est plein de rebondissements et de

surprises...(rires)...d'où l'importance à nouveau du recadrage...et c'est aussi l'apprentissage d'une forme

de démocratie... et donc si vous voulez... à travers le pédagogique on fait du ré-éducatif ... [...] c'est leur

permettre une ouverture pour leur réinsertion scolaire et aussi sociale inévitablement ! (sourire) »

(C1Q18,L18-37)

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Chantal nous présente un espace symbolique, structuré autour de l'obligation à l'échange,

permettant à chacun de se situer les uns par rapport aux autres, élèves comme enseignants et

éducateurs, mais aussi par rapport à l'ensemble. C'est à partir de cet espace symbolique, en se

constituant comme tiers, que les élèves peuvent se socialiser et faire l'apprentissage d'une forme de

démocratie. F. Imbert, en se référant à la pédagogie institutionnelle de Oury et Vasquez, souligne

que :

« A dire vrai, ce n'est qu'à partir de cet espace symbolique, que l'espace refuge peut ne pas se réduire à un

espace archaïque, mais constituer un lieu signé, l'occasion d'une mise-en-Je, qui interpelle d'autres Je, et se

donne comme l'adresse possible de ces autres JE. » (Imbert, 1992, p. 157)

C'est parce qu'existent ces réseaux d'échanges et de confrontations ordonnés à la loi, qu'un espace

personnel peut exister et qui, au-delà de sa fonction imaginaire de refuge (de peau groupale, selon

Anzieu, 1985), répond au lieu/temps d'une inscription symbolique et fait progresser le Moi (Imbert,

op.cit.).

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IV.2. CAS DE L’ÉLÈVE VIRGINIE PRÉSENTÉ PAR FRÉDÉRIC

Frédéric nous fait part d’une situation vécue en classe dans sa relation avec une élève, Virginie,

dans le cadre de sa pratique professionnelle. Ainsi, le cas dont témoigne l’enseignant peut relever

d’un transfert érotisé (d’imago paternelle) - transfert imaginaire - de la part de cette élève sur sa

personne. Ce transfert se manifeste par une compulsion de répétition, dans une relation de rivalité

par confrontation. Une situation de rapport de force, analogue à celle vécue par Chantal, à qui sera

le plus puissant, et qui arrivera à s’imposer à l’autre. Selon l’enseignant, l’enjeu de cette

confrontation hostile consisterait, de la part de l’élève, à le faire choir de sa position d’autorité et de

sa place en tant que détenteur du savoir, en vue de se l’approprier (cf. Chap. II. Contre-transfert).

« …j'ai une étudiante qui je pense est très impliquée! je vois ça elle prend des notes pour les autres...et

elle une position de leader ...et donc une position centrale de pouvoir... de...elle était à toutes les activités

extra-scolaires que je donne...elle a pris note pour les autres et m'a enregistré à mon insu...euh...et

systématiquement elle est dans l'interpellation agressive...et...et ...pas pas sur l'événement lui-même mais

sur sa répétition...alors j'utilise l'humour pour l'humour. (silence, 5'')...car qui dit agressivité dit réponse

contre-agressive parce que précisément on est dans ce rapport symétrique... et bien c'est la question!

''est-ce que je peux laisser dire...laisser faire par rapport à quelque chose qui je pense est répétition de

manière agressive? '' et alors pour être très concret qu'est-ce qui s'est passé...je donne mon

cours...j'utilise beaucoup la gestuelle et je faisais comme ça (démonstration) et à un moment donné je

montre l'étudiante du doigt (bras et index tendus) et... je me retourne et elle me regarde et elle me dit ''ne

me montrez pas du doigt comme ça!'' là je faisais ce que je pouvais pour me récupérer tout en étant

désarçonné par ce type d'interpellation et je crois qu'à un autre cours...j'ai fait encore comme ça

(démonstration) et puis j'ai vu l'étudiante et je me suis dit à haute voix ''ah non, vous je ne peux pas vous

montrer!''...j'ai vu qu'elle avait un sourire sans doute jaune mais qu'elle s'était peut-être sûrement dit que

...il y a des choses qui ne se font pas alors que je ne la montrait pas elle précisément du doigt... mais ça

arrive des élèves comme ça...c'est relativement minoritaires mais ça peut vite attirer l'attention...et...il y

une histoire de se faire voir ...de se faire remarquer...''voilà regardez je suis là...'' de manière un peu

hystérique et elle me pose encore au cours une question mais qui vise à me mettre en difficulté et à dire

que ce que je dis n'est pas bien...pas juste... je luis dis ''écoutez je parle avec des prémisses...je vous

expose la théorie d'un auteur qui date du XIXème siècle''...et j'ai l'impression que les élèves m'identifient

à l'auteur dont je parle alors que j'essaye de valoriser les pensées des auteurs de leur temps... »

(F3Q5,L24-47)

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IV.2.1. DÉSIR DU SUJET et TRANSFERT

Au regard de notre problématique, en termes de repérage du transfert, Frédéric identifie chez

l’élève dans un sens général « sa position de leader » ou encore « sa position centrale de pouvoir », dans

le sens où il voit qu'« elle est très impliquée », notamment de par le fait qu'« elle prend note pour les

autres ». Il repère également chez l'élève une omniprésence: « elle était à toutes les activités extra-

scolaires que je donne… elle a pris note pour les autres »; de même que ce qui peut relever d’un acte de

transgression: « et m'a enregistré à mon insu... ». Il repère, enfin et surtout, que « systématiquement elle

est dans l'interpellation agressive .et...et ...pas pas sur l'événement lui-même mais sur sa répétition... ». Une

répétition agressive qui se donne à entendre au niveau de l'énonciation, et à lire comme étant la

manifestation d'un transfert imaginaire négatif dans sa dimension de résistance. De cette relation

duelle de type spéculaire basée sur la rivalité, l’enseignant cherche les moyens d’en sortir en tentant

d'y introduire la dimension symbolique: « alors j'utilise l'humour pour l'humour... (silence, 5'') ».

« A la différence de la régression propre au symptôme qui témoigne d'une fixation aux traces traumatiques

du passé, la répétition transférentielle ramène le passé à l'aujourd’hui, réactive les choses, et ce faisant

dénoue les emballements symptomatiques, les « dynamise et parfois même les dynamite » (Bonnet, 1991,

p. 30). « Ainsi, s'il y a répétition, c’est une répétition vivante, faisant apparaître régulièrement des éléments

cachés. » (Bonnet, Ibidem, p. 110)

Cette répétition transférentielle semble être corrélative au savoir, cet objet agalmatique qui

causerait le désir chez l'élève. L’usage qui en est fait apparaît, au travers du discours de

l’enseignant, comme celui d’une dialectique de l’avoir et de ne pas l’avoir (le phallus imaginaire).

Dans le cas précis où Frédéric dit avoir montré l’élève du doigt, en précisant qu’il ne la désignait

« pas elle précisément du doigt », et qu’en réponse l’élève lui dit « ne me montrez pas du doigt comme

ça! », on pourrait avancer que le savoir est phallicisé sur le mode de l’identification primaire.

Frédéric nous fait part d’un certain ébranlement, dont il dit essayer de se récupérer « tout en étant

désarçonné par ce type d'interpellation ». Aux prises dans un rapport d’identification imaginaire, où

l’un inclut l’autre dans son propre système, Frédéric cherchera à en sortir en rejouant

ultérieurement la même scène, en y assignant une dimension symbolique via l’humour et sous

forme d’interdit « ah non, vous je ne peux pas vous montrer! ».

La logique du désir, dans cette relation transférentielle, consisterait à mettre à l’épreuve l’attribution

phallique du père. Si le père, ici en tant qu'imago, doit faire la preuve de cette attribution, nous

observons que toute l’économie désirante chez l’élève n’aura de cesse de s’épuiser « dans un

rapport de mise à l’épreuve », de ce « faire la preuve » (Lacan, 1958), à savoir dans cette situation

pédagogique par le fait de « montrer du doigt » l’élève. Ainsi, Virginie va interroger et contester

sans relâche l’attribution phallique chez l’enseignant, dans une oscillation psychique constante

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autour de ce « quelque chose » qu’elle cherche à obtenir, à prendre chez l’enseignant.

Toujours en termes de repérage du transfert, Frédéric ressent psychiquement cette manifestation sur

le mode d’une recherche visant à le « piéger »... », « à...à le casser » ou encore à une volonté de le

« renverser...paf par terre ! ». Des manifestations qui s’enracinent sur le terrain des « interpellations »,

de la « revendication » de l’avoir (Dor, 2003, p. 63). On semble assister à une identification chez

l’élève, fondée sur l’appropriation d’un trait unique, soit par une adhésion fantasmatique à l’objet

phallique et à sa possession supposée. Autrement dit, la position du maître en tant que détenteur du

savoir et de l’autorité que cela lui confère, et dont l’élève cherche à destituer l’enseignant en vue de

prendre la place, traduit par là-même l'aveu que le sujet-élève ne saurait l’avoir : « c'est vraiment

destituer le prof quoi de sa position... qui est quand même une position haute pour l'élève... et ne fût-ce que

parce qu'il est le représentant du savoir.... mais cette position elle m'appartient !.. et c'est à moi!...». Cette

identification, limitée et partielle, ne s’affirme que sur un seul trait. Elle se différencie de

l’identification primaire (imaginaire) qui, elle, est totale (Dor, Ibid.).

« Ma réponse n'était pas pour elle satisfaisante de toute façon !... nous étions dans un contenu à

transmettre et non dans un rapport de mise à l'épreuve...et j'ai mes petites idées là-dessus... alors on peut

prendre du côté de la scène plus sexuée du rapport à la séduction c'est-à-dire qu'elle cherche à me

''rentrer dedans''!...il y a quelque chose de sexualisé là...et j'ai vraiment l'impression qu'elle cherche à me

piéger...à...à me casser quoi avec ses questions...ses interpellations comme ça... elle veut me

renverser...paf par terre ! (gestuelle)...oui c'est...en tout cas...c'est vraiment destituer le prof quoi de sa

position... qui est quand même une position haute pour l'élève... et ne fut-ce que parce qu'il est le

représentant du savoir.... mais cette position elle m'appartient!...et c'est à moi!...et donc elle m'agace...ce

qui m'agace aussi c'est que je suis en train d'interpréter chaque geste dans le sens de ce qui peut me faire

violence... mais ne pas rentrer dans cette disqualification de l'élève mais... mais elle me cherche...elle me

cherche et je ne sais pas trop comment je vais faire pour m'en sortir...et peut-être lui dire clairement

qu'elle me cherche… » (F3Q6,L1-12)

La dialectique du désir et de la demande dans le transfert se situe dans ce décalage entre l’axe

imaginaire « dans un rapport de mise à l'épreuve » et l’axe symbolique « nous étions dans un contenu à

transmettre ». Or, le désir de phallus est essentiellement le désir d’autre chose qui s’accomplit dans le

monde symbolique du signifiant (Lucchelli, 2009, p. 86). Frédéric fait ainsi l’hypothèse d’une

demande de séduction qui lui est adressée et dont le désir trouve son origine dans la pulsion

sexuelle, soit « on peut prendre du côté de la scène plus sexuée du rapport à la séduction c'est-à-dire

qu'elle cherche à me ''rentrer dedans''!...il y a quelque chose de sexualisé là ». Aussi, l'élève semble ne

pas avoir d'autre issue que de déléguer la question de son propre désir auprès de l'Autre qui est

supposé l'avoir, lequel est alors pressenti détenir la réponse à l'énigme du savoir (Dor, op.cit., p.

64). Mais, selon Frédéric, sa réponse ne peut pas être « pour elle satisfaisante de toute façon ! » parce

qu’il ne détient pas le savoir (l’agalma) que l’élève lui suppose et qui comblerait son manque, son

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vide. L’enseignant insiste sur l’impasse transférentielle que cela génère, avec ses moments de

violence, tel en témoigne la métonymie à connotation sexuelle « elle cherche à me rentrer dedans », et

qui ne peut se vivre que sur le mode de l’intrusion envahissante, voire de la castration «ce qui

m'agace aussi c'est que je suis en train d'interpréter chaque geste dans le sens de ce qui peut me faire

violence » et du risque d’un passage à l’acte mortifère « mais ne pas rentrer dans cette disqualification

de l'élève ». Comme dans le cas posé par Chantal, c’est la loi du règne du « ou moi, ou toi » (Lacan,

1978, p. 201).

Il reconnaît également que l’élève lui suppose un Savoir dont l’Autre (l’enseignant) est supposé

pouvoir lui délivrer le sens. Frédéric est en position de créer de l’énigme et de faire du savoir une

énigme. C’est en ne donnant pas tout de son savoir, mais bien « en parlant avec des prémisses » qu’il

peut susciter dans sa relation à l’élève l’envie de son dévoilement.

IV.2.2. AU NON de L'INTERDIT! et MÉDIATION SYMBOLIQUE PAR LE TIERS

Frédéric introduit lui-même la problématique du transfert en termes de réception, à savoir « et bien

c'est la question! ''est-ce que je peux laisser dire...laisser faire par rapport à quelque chose qui je pense est

répétition de manière agressive? » (Q5,L31-32). Comme relevé par Chantal « est-ce que nous on doit se

laisser mordre par ces serpents? » (C1Q13,L11)

En tout état de cause, Frédéric reconnaît l’existence du phénomène transférentiel dont il est l’objet

et donne une compréhension de l’enjeu qu’il représente « car qui dit agressivité dit réponse contre-

agressive parce que précisément on est dans ce rapport symétrique... ». Il nous explique toute la

difficulté à comment accepter ce transfert dans sa position d'enseignant, soit « à ne pas être pris dans

la scène de séduction », « c'est-à-dire faire un pas de côté... ». Or, Frédéric rejoint Kuendig (cf. Chap. II)

en concevant le fait d'accepter un transfert comme étant le résultat d'une découverte. Il est donc

nécessaire de découvrir qu'il y a transfert « finalement il n'y a plus que elle et moi dans le cours et donc

ça ce doit être prémédité » pour pouvoir l'assumer, étant donné que « découvrir [qu'il y a transfert] n'est

pas la même chose qu'assumer » (Kuendig, 1928, cité par Filloux, 1989). Frédéric précise que cette

posture n'est possible que parce qu'il « le repère » et c'est heureux, dit-il, parce qu'il ne serait plus

en capacité de prendre distance par rapport à ses propres affects et ses désirs. La question que pose

Frédéric consistant à assumer le transfert nécessite-t-il de devoir soi-même « répondre à ça ». Tel

est selon lui l'enjeu de la problématique du transfert, car il se met « dans la perspective de devoir

répondre » comme s’il voulait « avoir le dernier mot... » (Q7,L9-10). Alors, se demande Frédéric,

comment répondre aux phénomènes de transfert que l’élève lui « adresse » en tant qu’objet ? A

savoir que ce qui est reporté sur l’autre est la réalité psychique de l’élève, c’est-à-dire, au plus

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profond, son désir inconscient et les fantasmes associés. Ce qui nécessite, de la part de l’enseignant,

de « repérer », de reconnaître ces messages transférentiels face auxquels il « se met dans la

perspective de devoir répondre ».

Selon les propos de J. Lacan :

« C'est pour autant que le résultat, c'est que le phallus comme signe du désir se manifeste en somme

comme objet du désir, comme objet d'attrait pour le désir, c’est dans ce ressort que gît sa fonction

signifiante comme quoi il est capable d'opérer à ce niveau dans cette zone, dans ce secteur où nous devons

à la fois l'identifier comme signifiant et comprendre ce qu'il est ainsi amené à désigner. » (Lacan, 1991, p.

229)

Tout comme Kuendig, Frédéric exprime la nécessité de maîtriser le lien transférentiel. Il est donc

question, nous dit-il, de couper court à tout débordement du cadre. Il cherche à introduire la Loi du

langage qui est porteuse d’autorité et ce, en prenant la décision d’« aller lui parler seul à seule ».

Frédéric va ainsi élaborer, par une mise au travail de la pensée, une position consistant à appuyer la

Loi du langage sur l’interdit, celui de l’inceste, et accéder ainsi à l’ordre symbolique : « Et je sais

exactement ce que je vais lui dire ... ». A notre question de savoir ce qu’il va lui dire, il rétorquera que

ce qu’elle cherche par la séduction, ce qu’elle attend de lui comme réponse à son désir, c'est de lui

faire valoir qu'elle doit renoncer à pratiquer le jeu du donné à voir, et dès lors à sa fascination.

« Et bien...que je trouve que cela ne se fait pas...je trouve que ça ne se fait pas...que je me sens mis sur

la sellette gratuitement de par ce qu'elle dit et qu'elle devait avoir une attitude plus respectueuse au

cadre...mais je sais que pour des jeunes etc....ça peut...il y a un côté je sais parce qu'elles se racontent ça

entre élèves...ils sont fascinés et alors ce qui les fascine aussi parfois euh...de rigoler avec ça entre filles

et donc c'est une manière aussi pour cette élève de mettre de la distance...si elle est dans ce désir et dans

cette séduction... ce qu'elle m'adresse c'est peut-être justement pour faire valoir ça... » (F3Q7,L1-7)

Telle est la Loi que l’enseignant veut énoncer à l’élève, à savoir que non seulement

l’accomplissement de son désir ne peut être satisfait parce que « ça ne se fait pas », mais en outre

qu’elle se doit de respecter les limites du cadre institué. Soit, la Loi qui fonde le désir impossible à

satisfaire (Baïetto, op.cit., p. 34). Ainsi Frédéric demande à l'élève de renoncer à son investissement

fantasmatique: mettre inexorablement à l'épreuve l'attribution phallique ainsi supposée au Maître,

pour mieux l'en destituer. Mais le projet d'une telle énonciation « cela ne se fait pas », le devoir

d'« avoir une attitude plus respectueuse au cadre », Frédéric n'entre-t-il pas dans une entreprise de

moralisation, qui n'aurait de cesse que de substituer de nouveaux liens qui assujettissent (Imbert

1993, p.14). Une élève admonestée qui verrait son désir de s'approprier alors réprimé, désavoué et,

qui recommencerait (Cifali, 2005, p. 103). Or, l'efficace de la loi réside là où s'originent des

séparations, des castrations symboliques productrices de parole et de désir. Selon l’enseignement de

J. Lacan, c’est bien dans l’ordre de la culture que joue la Loi. Cette instance a pour fonction

d’exclure sans cesse le désir incestueux fils-mère - fille-père -, en tant que premier désir du Sujet,

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ce sur quoi insiste Freud. La loi de l’inceste se situe comme tel au niveau du rapport inconscient

avec ce das Ding, la Chose.

« le désir pour la mère ne saurait être satisfait parce qu’il est la fin, le terme, l’abolition de tout le monde de

la demande, qui est celui qui structure le plus profondément l’inconscient de l’homme. C’est dans la

mesure même où la fonction du principe de plaisir est de faire que l’homme cherche toujours ce qu’il doit

retrouver, mais ce qu’il ne saurait atteindre, c’est là que gît l’essentiel, ce ressort, ce rapport qui s’appelle la

loi de l’interdiction de l’inceste. » (Lacan, 1986, p. 83)

IV.2.3. MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT de TRANSFERT

En termes de réaction au transfert de l’élève, l’attitude de Frédéric consistera à créer, à inventer des

stratégies de médiation symbolique en vue de sortir de cette situation de « fascination » (fascinum :

en latin, le pénis). Le discours tel que le conçoit l’enseignant consiste à désinvestir l’élève du

fantasme de l’attribution phallique, soit ce Savoir qui serait le « bouchon » qui comblerait son

manque, qu’elle lui supposerait en tant que Maître et chercherait sans cesse à s’approprier.

« […] il y a donc une distinction à faire entre la question d'approfondissement et la question qui est

plus une demande de quelque chose... et elle n'est pas toujours évidente parce que je ne sais pas non plus

si cette fille attend un contenu...mais enfin le seul problème c'est que le contenu qu'elle attend ça ne sera

jamais celui que je peux lui donner...et je le vois assez bien...on peut le repérer très vite... c'est elle qui

prend une place centrale en classe et qui a le pouvoir...on est aussi dans la question du leadership....elle

prend tellement le pouvoir que c'est devenu une question pour moi et que la place n'est pas à prendre...ni

à partager...voilà ce n'est pas une place qui se partage...c'est celle que j'ai acquise parce que j'ai fait ce

qu'il fallait pour y être...je ne dis pas qu'un jour ça ne pourrait pas être la sienne à elle mais dans

d'autres lieux...en d'autres temps... et avec d'autres personnes... » (F3Q8,L6-15)

En vue de régler les impasses de relations transférentielles, notamment avec Virginie autour de la

rivalité phallique, Frédéric élabore si pas une solution, en tout cas une autre attitude dont la

fonction consisterait à « sortir » et à se dégager de la relation duelle. Car il nous rappelle qu'il

enseigne et qu'il ne peut donner ou procurer à l’élève cet agalma qu’elle lui attribue: « je ne sais pas

non plus si cette fille attend un contenu...mais enfin le seul problème c'est que le contenu qu'elle attend ça ne

sera jamais celui que je peux lui donner... ». Car, explique Frédéric, « la place n'est pas à prendre...ni à

partager...voilà ce n'est pas une place qui se partage...c'est celle que j'ai acquise parce que j'ai fait ce qu'il

fallait pour y être...je ne dis pas qu'un jour ça ne pourrait pas être la sienne à elle mais dans d'autres

lieux...en d'autres temps... et avec d'autres personnes... ». Autrement dit, ce qu'elle désire, le phallus, elle

pourra « le convoiter là où il se trouve » (Dor, 1985, p. 112).

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Il conçoit des manœuvres visant si ce n'est pas à éviter d’« être pris dans le piège » de la relation de

séduction, en tout cas d'en sortir. Pour ce faire, l’enseignant conçoit de rediriger le désir de

l’étudiante ailleurs, parmi et avec d’autres élèves de la classe, dans un processus de transfert de

transfert (Imbert, 2005).

« Oui! c'est une tension... c'est pour ça que je rêve...je rêve et évidemment c'est le risque d'être pris et

de vouloir aussi avoir le dernier mot... par exemple en lui disant ''je trouve votre question très

intéressante! si vous voulez bien me la reposer dans 4,5 cours j'aurais plus le temps d'y répondre'' ...il

faut différer quoi...mais c'est parce que je sais qu'il y autre chose que la question qui est en jeu...ce qui

n'est pas le cas chez tous les élèves! » (F3Q8,L1-5)

Une première manœuvre, chez l’enseignant, consiste à « différer » la demande de l’élève dans le

temps (differe en lat. : Porter de côté et d'autre, espacer, écarter ; séparer violemment; Différer, être

différent). Comme le stipulait Chantal, « d'instaurer ce type de différence dans la relation à deux »

(Q12,L2). Cette posture a pour intérêt d'écarter toute tentation de privilégier le rapport de séduction

« j’irai lui parler seul à seule », et d'espacer temporellement la dialectique demande-réponse pour

briser le risque de la fascination réciproque de deux désirs, teintés de sentiments d'amour-haine.

« ...je crois aussi très fort au fait de...de devoir différer dans le temps...de ne pas satisfaire tout de suite

à la demande...comme je pourrais dire... « je trouve votre question intéressante, mais si vous [Virginie]

le voulez bien j'y répondrai un peu plus tard...pour mieux y réfléchir... » c'est une possibilité ! »

(F3Q14,L5-8)

Une seconde manœuvre, chez l’enseignant, consisterait à « se tourner vers les autres » et à différer

l'interpellation de l'élève en la déplaçant vers les autres en leur demandant « qu'en pensent les autres

de la classe? »...ou « quelle est votre réponse à ce que vient de demander [Virginie]? »...déplacer vers les

autres... ça c'est aussi à faire!... »...ce n'est plus moi qui lui répondrai...mais les autres ». A cet endroit,

Frédéric postule pour renvoyer l'élève à son propre désir « et pourquoi pas de lui dire ''il y a des

prémisses à vos questions et si...et si... et si...surtout quand elle [Virginie] me répond ''ne me montrez pas du

doigt!'' ». La médiation constituerait le fondement d'une interpellation du désir (Imbert, Ibid., p.154).

Dans l'Émile ou l’Interdit de la jouissance (1989), F. Imbert donne à comprendre la médiation à

partir de la leçon de Rousseau, comme dispositif d’inter-pellation. Moment et moyen d’une mise en

pratique de la Loi dont l’effet est l’articulation du « un parmi d’autres », et avec lui, l’émergence

d’un devenir-sujet, l’avènement du Désir (Imbert, op.cit., p. 152). Selon l'auteur, la première

interpellation se joue dans le passage de la relation duelle originaire à la relation triangulée, dans la

séparation avec le das Ding, c’est-à-dire dans l’interdit de jouissance (Imbert, 1992, p. 153). Dans

le cas de l’élève qui s'adresse à l’enseignant, c’est à partir de là que l’« inter-pellation » du désir

« de cette fille » en passera par la réinscription d’une coupure. Selon F. Imbert, tout inter-pellare

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présuppose un interpellare : couper les paroles, les images qui nouent, interrompre la répétition,

délier. Aussi, selon les propos de Frédéric, un interpellare nécessite un Inter-venire : un autre

venant de l’extérieur qui inter-dit et qui fait rupture dans le rapport de fascination et de séduction.

Une inter-vention d’un (des) autre(s) qui se constitue alors en Tiers, dans une fonction de

médiation, permettant ainsi à l’enseignant de ne pas ou ne plus être l’unique objet d'interpellations,

de transferts : « elle [Virginie] m'a interpellé sur un point du cours que j'exposais et un autre élève est

intervenu en réponse et j'étais heureux de son intervention qui venait d'ailleurs et donc on ne se sent plus

seul à bord... » (Q8,L16-18). En y réfléchissant dans l'après-coup, nous dit Frédéric, l'intervention de

cet élève « a permis de décentrer l'interpellation de cette fille [Virginie] justement de ce rapport duel

question-réponse et maître-élève » (Q8,L18-19).

A présent, dans le cas général d'une interpellation provenant d'élève(s) en difficulté personnelle ou

détresse psychologique, la manœuvre consisterait à lui exprimer son empathie, mais tout en

recadrant la demande de l'élève par l'inter-pellation, en la différant dans un rapport espace-temps-

contexte.

« puis souvent j'ai des élèves qui viennent me trouver à la fin du cours pour pouvoir parler d'un

problème personnel... ou recevoir un conseil...parce que j'ai des élèves qui vont mal...qui...qui

psychologiquement ne vont pas bien du tout!...j'ai déjà assisté à des élèves qui s'effondraient à

l'examen...en pleurs!... alors moi bon...ce que je fais dans ces cas-là... bon j'essaye de recadrer en disant

à l'élève que « j'entendais bien qu'il vivait quelque chose de douloureux... mais tout en l'invitant à se

reprendre parce que l'on était à un examen... et que s'il le souhaitait on pouvait en parler ensemble...

mais après et ailleurs...dans un autre contexte »...(silence, 3 sec)... » (F3Q14,L12-19)

Dans le même registre, dans le cas d'une situation délicate apportée par un élève qui, à sa demande,

doit rester confidentielle, la manœuvre de Frédéric consisterait à partager la responsabilité de

l'interpellation vers d'autres enseignants ou personnes de contact, en jouant lui-même le rôle de

médiation, en termes de relais, de passeur. Des instances d'accueil qui, de par leur dimension

symbolique, s’inscrivent elles-mêmes dans un rapport ternaire.

« bien souvent aussi... quand je suis interpellé et que je vois que l'on touche au privé... je demande à

l'élève s'il en a déjà parlé à d'autres enseignants... et si je peux en discuter avec eux ...c'est très délicat

comme situation...parfois l'élève veut que cela reste confidentiel mais bon je n'ai pas à porter ça...alors je

renvoie l'élève à d’autres personnes qui sont susceptibles de l'aider...comme le centre PMS [Psycho-

Médico-Pédagogique] par exemple...s'il faut je note sur un papier les références de la personne de

contact...et donc je sers quelque part de relais...de pont vers d'autres...(silence, 3 sec)... » (Q14,L19-25)

Travail de coupure, inscription de la dimension tierce, mise en pratique de l’inter-dit de la

jouissance : la médiation inter-pelle et structure le Un parmi d’autres (inter-pellare). A cet espace

fermé du rapport duel maître-élève, s’articule un autre espace, socialisé lui, où peuvent se mettre en

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place des réseaux d’échanges, d’interventions voire d’inter-pellations entre maître-élèves et qui,

ordonnés à la Loi, permet de dépasser la fonction imaginaire et de répondre au lieu/temps d’une

inscription symbolique (Imbert, Ibidem).

Dans sa pratique pédagogique, Frédéric tente de transmettre ce qui correspond à un trait unaire,

d'ordre symbolique, soit un « rapport au savoir » (Mosconi, in Beillerot et al., 1996). Il cherche à

ouvrir la relation pédagogique sur un savoir énigmatique, notamment en initiant les élèves à des

modes de pensée d’auteurs dont il dit donner des prémisses. C'est parce qu'il se met dans une

position analogue à celle de supposé savoir, en invitant ses élèves à créer « leur propre point de vue »

(Q9,L12-14), qu'il suscite ce désir de savoir. En leur apprenant à « se décentrer de leur monde propre

pour entrer dans le monde des auteurs » (Q5,L50-51), il provoque un appel de savoir chez les élèves,

de par les questions que cela suscite.

En référence à F. Imbert, la relation pédagogique favorise la mobilisation de pièges symboliques où

l’enseignant se trouve lui-même amené à subir en premier l’efficace de la castration, la marque de

la loi qui brise son illusion de toute-puissance. C’est parce que sa Figure n’obture pas la scène que

quelque chose de l’ordre d’un trait symbolique peut se transmettre dans le chef des élèves (Imbert,

op.cit., p. 159). F. Imbert nous rappelle également que la relation imaginaire est bien constituante

de la réalité humaine. Il n’existe point de pur sujet symbolique et le « moi » ne s’élabore qu’à partir

d’identifications imaginaires. Nous comprendrons, compte tenu de la spécificité de la fonction

symbolique, l’importance voire l’enjeu que de régler ces relations. Faute de quoi, dit F. Imbert,

elles risquent de se répéter et de s’enfermer dans les impasses de relations duelles (Imbert, Ibid., p.

181).

IV.2.4. CONFUSION IMAGINAIRE, MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT par la PAROLE

Par la mise en parole de sa difficulté relationnelle avec l’élève et de son ressenti, Frédéric est entré

dans un travail d’élaboration psychique qui l’a amené à créer, à inventer des stratégies visant à

« manœuvrer » le transfert (Le concept de « maniement » du transfert, élaboré par Freud, appartient

au champ de la cure analytique). Frédéric élabore des médiations consistant à supporter le transfert

des élèves, en l'occurrence celui de Virginie, vers d’autres pôles d'investissement. Dès lors, il

accueillera les sentiments transférentiels, mais n'acceptera pas (ou plus) d'en être l'unique objet. De

même, il participera de tout un système de médiations ouvrant la voie(x) à des transferts latéraux,

que ce soit entre les membres du groupe-classe voire de l'institution scolaire, ou encore à leur

transfert vers une instance d'accueil (au sens large). Dans cette perspective, F. Imbert signifie que

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« il importe au plus haut point que soit mobilisé un transfert du transfert ou encore que soient aménagées

les voies de transferts latéraux, qui viennent alors alléger la relation transférentielle maître-élève, l’ouvrir

sur d’autres possibles, d’autres issues » (Imbert, 2005, p. 46).

C'est donc sous l'effet de système de médiations que la relation duelle avec sa logique imaginaire Ŕ

celle du « ou moi, ou toi » (Lacan, 1978) Ŕ peut être désamorcée. La médiation se fonde sur une

dimension symbolique qui, de ce fait, impose un rapport ternaire. A l'instar de Oury & Vasquez

(1967), nous avançons que le rôle de l'enseignant reste fondamental. Le maître reste pour les élèves

le référent symbolique, le gardien d'une certaine loi (cf. Cas Chantal), celle qui interdit et médiatise

les désirs infantiles. Selon Frédéric, « il faut savoir parfois dire Non ! « Non pas aujourd'hui! »...« non

pas à ce cours! »... « non pas chez moi (à mon cours) ! » et pas de satisfaction immédiate ». Et face aux

revendications des élèves consistant à toujours nier le manque, ainsi que les frustrations que cela

génère chez eux, il leur apprend à différer la réalisation d'un désir et d’accepter la castration. Il n'est

donc « pas là pour être sympa ou pas sympa !...la question n'est pas là ! », comme « on n'est pas là pour

s'aimer ni pour se détester... on est là pour travailler ensemble » c'est ça la question!... » (F3Q14,L29-31)

En leur montrant que le passage par la loi ne peut être évité, il permet de structurer leur désir et de

l'intégrer dans le circuit de l'échange social, culturel. C'est à cette condition et par le biais d'une

« promesse » que pourront se produire chez les élèves des « identifications signifiantes » (Oury &

Vasquez, op.cit.) à l’enseignant et ce, en faveur d'une possibilité de sublimation culturelle et de

transformation du rapport de chacun au savoir : « ''si on a bien avancé dans la matière... alors nous

pourrons ensemble....'' mais ceci n'est possible que dans les limites du cadre dans un objectif de travail

commun » (Q14, L34-35).

Dans ce sens, dans le cadre de groupes de formation, D. Anzieu souligne également que

« être formateur implique qu'il soit « capable de fournir et d’assumer les garants symboliques de la relation

formative. Il ne s'agit pas d'être le père, ni la mère , ni d'être père et mère à la fois, sans défaillance : il s'agit

de ne pas méconnaître la nécessité de ces deux dimensions et de leur lien dans la formation de l'être

humain » (Kaës & Anzieu, 1973, p. 71)

Enfin, selon Frédéric, l'interpellation de la question qui vient de l'autre dans le cadre d'une

discussion, d'un échange à deux ou à plusieurs, « c'est ça qui peut aussi faire tiers » (Q12,L28). Cela

permet de voir « ce qui se joue » dans la relation à l'élève et « d'envisager les choses sou un autre

angle » (L24). Selon Frédéric « on a besoin de l'autre et ce serait le risque d'une relation pédagogique qui

s'épuise seulement dans une figure du maître qui serait face à l'élève » (L24-26). Dans une possibilité

d'échanges, « l'interpellation qui vient de la question de l'autre », de même que son « interpellation à

faire le lien entre les deux [choses]» permettent « de faire tiers et sortir du rapport duel et de lui donner un

sens... » (Q12,L22-31).

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A titre d'enseignant, Frédéric signifie l'importance de la mise en place d'un dispositif qui ouvre un

espace de parole qui, comme tel, mobilise un travail de médiation. Soit, « un lieu extérieur avec des

gens extérieurs où ils sont invités à partager...à échanger...oui un lieu d’échanges mais aussi à...à construire

du sens pour eux-même...et donc pour les autres aussi (silence, 4'') » (Q14,L2-5)

D'où l'intérêt voire la nécessité d'un dispositif d'analyse de la pratique professionnelle car, nous dit

Frédéric, « le but c'est d'essayer aussi de trouver du sens parce que toutes ces questions du rapport maître-

élève sont tournées du côté du sens...ce n'est pas du côté de la disqualification de ce qui se passe...ni dans

l'idée de chercher des excuses aux uns et aux autres ...on est du côté de la compréhension et du sens de ce

qui se vit...de ce qui se joue... avec tout notre bagage … » (Q13,L7-11)

Dans ce sens, en vue d'une professionnalisation des enseignants, M. Cifali souligne le fait que,

« Comme pour le psychanalyste, un enseignant est invité à faire le deuil d'une position idéalisée où il

n'éprouverait aucun sentiment, serait neutre, bienveillant, sans passion et sans histoire, pour s'engager à

travailler sa subjectivité après coup, lorsque cela est nécessaire : s'arrêter et mettre en parole ce qui se passe

pour lui, accepter cette recherche de paroles quant à soi et ne pas reporter immédiatement toute la faute sur

l'autre. » (Cifali, 2005, p. 179).

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IV.3. CAS DE L’ÉLÈVE CAROLINE PRÉSENTÉ PAR SYLVIE

Sylvie nous fait part d’une situation vécue en classe dans sa relation avec une élève, nommée

Caroline, dans le cadre de sa pratique pédagogique. Ainsi, l’enseignante nous témoigne d’un cas qui

peut relever d’un transfert d’imago maternelle - transfert imaginaire - de cette élève sur sa

personne. L’intérêt du cas présenté consiste également à montrer les réactions contre-

transférentielles voire les projections de l’enseignante vis-à-vis de l’élève impliquant sentiments,

pulsions et modes de défense qu’elle agit dans cette situation de rivalité imaginaire quant à la

position d’autorité. C’est par le biais d’une médiation symbolique, par l’intervention de tiers

extérieurs (enseignants et parents), que l’enseignante va pouvoir se libérer de l’impasse

transférentielle, pour pouvoir supporter le transfert de l’élève en reconnaissant son désir de savoir et

d’apprendre vers un autre pôle d’investissement, soit celui de la culture mythologique grecque.

Ainsi, par un processus d’identification de l’élève à l’enseignante, par un trait unique, à savoir le

goût pour la culture classique, Sylvie va pouvoir retrouver sa place comme agente de transfert, de

passeuse, en faveur d'un travail sublimatoire chez l'élève.

Dans le cadre d’un cours de latin en première année du secondaire, l’enseignante nous dit prendre

l’initiative de projeter le film hollywoodien « TROY », « avec Brad Pitt et tout le machin », qui traite

de la guerre de Troie. Elle dit aussi « effectivement faire découvrir de toutes les manières possibles la

culture classique » et proposer « une situation de cours différente », « une méthode différente d'approcher

la matière ». Sylvie nous parle d’un moment précis de la projection du film, soit « un épisode qui

raconte le Cheval de Troie ». Elle précise également qu’il s’agit d’« une classe relativement difficile

dans le sens où ça bouge beaucoup ». L’enseignante explique que, dès le début de la projection du

film, elle s’arrête une première fois et s’adresse aux élèves de la classe en leur disant :

« Maintenant, j'aimerais bien le silence! j'aimerais bien que l'on regarde les choses correctement et que

tout ce qui ne doit pas se vivre... ne se vive pas! » Ok... on relance la projection et tout et puis re-même

topo! Là évidemment... on vient de demander les choses à peine cinq minutes avant et il n'y a rien qui

j'arrête encore une fois et là je me fâche de manière beaucoup plus... plus importante en disant (avec

intonation) « Que ce n'est pas possible! » voilà tout!... » (S2Q2,L20-25)

Ensuite, Sylvie nous dit qu’après avoir terminé « son petit sermon », son « petit laïus par rapport à

ça », une élève s’écrie lors de le reprise de la « projection » du film. Au moment de nous révéler le

propos tenu, Sylvie s’interrompt et dit avoir oublié de nous dire ceci :

« je termine en disant '' Maintenant, si je dois encore avoir un manque de respect... s'il se passe encore

quelque chose ici... j'arrête tout définitivement!'' et j'ai à peine fini ça qu'une élève dit... sans dire

« Madame, s'il vous plaît »... rien du tout... « éteignez la lumière! » et elle le crie en plein milieu du

machin....ça oh!oh!oh ! (intonation et agitation de la main)... le genre euh... effectivement de se dire

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« allez espèce de ''hein''... vas-y éteins la lumière! tais-toi et laisse-nous regarder le film comme on en a

envie! »... C'était vraiment ça et ça oufff (soufflement avec yeux levés)... j'ai du mal et j'avoue... ... cela

n'arrive pas très souvent et de manière générale je garde mon calme mais le manque de politesse... là!

j'ai vraiment du mal à passer au-dessus.... Alors là... du coup j'ai réagi... là c'était humainement

impossible même si je veux dire la situation d'adulte dans laquelle je suis... je sais bien que j'ai affaire à

des ados et que c'est moi l'adulte... mais moi la réaction ça été de dire « lève tes fesses et éteins! »... mais

rarement je dis ça à une élève... mais ça! c'est vraiment le côté poli chez moi... c'était là une réaction à la

limite épidermique en disant « lève tes fesses et viens éteindre toi-même » […] Finalement... je ne sais

pas... je l'ai laissée éteindre la lumière... Donc elle s'est levée... elle est venue éteindre la lumière et elle

s'est rassise et puis on a regardé... enfin... la fin du film (rires)… » (S2Q3,L9-24;Q4L1-2)

IV.3.1. DÉSIR DU SUJET ET TRANSFERT

Au regard de notre problématique, Sylvie repère dans sa relation à l’élève les éléments qui suscitent

son propre transfert, à savoir ses « réactions » contre-transférentielles. Malgré sa place de maître,

en tant que représentant de l’autorité, et son discours directif à l’intention des élèves: « maintenant

j’aimerais bien le silence...j'aimerais bien que l'on regarde les choses correctement », l’enseignante se sent

niée dans sa demande d’être reconnue et respectée dans sa position d’autorité, et la revendique sous

la forme de la plainte : « on vient de demander les choses à peine cinq minutes avant et il n'y a rien qui a

été respecté ». Sylvie témoigne de son effort voire de sa lutte à organiser, à réglementer les conduites

et les modes d’échanges dans sa pratique pédagogique. Sa demande se perd dans des vociférations

sous forme d’avertissements et de menaces. C'est alors que s'élève la voix de l'élève Caroline:

« éteignez la lumière » (Q3,L11) et ça, Sylvie « a vraiment du mal à passer au-dessus » (Q3,L16).

Du point de vue de sa subjectivité, Sylvie nous donne une lecture projective des dires de l’élève,

soit une interprétation de type imaginaire du contenu latent du propos tenu : « le genre euh...

effectivement de se dire « allez espèce de ''hein''... vas-y éteins la lumière! tais-toi et laisse-nous regarder le

film comme on en a envie! » (Q3,L12-14) (cf. Chap. II. Contre-transfert).

Aussi, Sylvie repère et insiste sur sa difficulté à contenir ses propres affects et ses pulsions, dont

elle dit avoir « vraiment du mal à passer au-dessus », « à garder son calme » (L16) face à ce que lui

renvoie l’élève. Dans cette situation transférentielle, elle dit et reconnaît sa limite voire son

incapacité à garder sa position d’adulte-enseignante vis-à-vis de l’adolescente-élève, qu’elle dit être

« humainement impossible » (L17). Une situation de confrontation hostile, dans laquelle elle reconnaît

être en position d'adulte et qu'elle énonce sur le mode de la dénégation : « je sais bien que j'ai affaire

à des ados et que c'est moi l'adulte » (L18). Cette situation génère chez elle « une réaction à la limite

épidermique » (L20), menant dès lors la relation pédagogique dans l’impasse d’un face-à-face et d’un

corps-à-corps: « lève tes fesses et viens éteindre toi-même ! » (L20-21). Ordre auquel l’élève finira par se

soumettre, ce qui n'est pas sans susciter les rires de l’enseignante.

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Enfin, Sylvie identifie également les traits de personnalité de l’élève et les attitudes qui y sont

associées, « cette incongrue-là » suscitant dans son chef un transfert négatif de type spéculaire

(imaginaire), dans un rapport maître-élève de type égalitaire, symétrique. L'enseignante vit une

rivalité féminine dont on pourrait interpréter la relation maître-élève en termes de conflit œdipien,

où l'enseignante voit sa position privilégiée mise à mal par la rivalité manifestée par l'élève.

« il y a clairement deux leaders dont cette fille très très sûre d'elle... brillante et fille unique... En soi...

fille unique n’a pas beaucoup d'importance mais c'est dans le sens où elle a vraiment pris toute la place

et ici... en fait... elle régente la classe! elle régente les autres comme j'imagine elle régente chez elle !...

c'est dans ce sens-là... » (Q5,L12-15)

La question que pose Sylvie dans son discours renvoie au partage du pouvoir et au désir de

dominer, autrement dit à cet objet imaginaire, le phallus, désignant ici la toute-puissance. Sylvie

semble témoigner d’une certaine angoisse de castration imaginaire, soit la perte de la toute-

puissance phallique « elle est très très sûre d’elle, brillante et fille unique », dont semble s’être emparée

l’élève « elle a vraiment pris toute la place ; en fait… elle régente […] ».

A notre question de savoir qu’elle sorte de relation elle entretenait avec cette élève, Sylvie nous

donne une lecture interprétative quant aux paroles et aux agissements de l’élève, la projetant dans

une image de rivale quant à la prise du leadership, à savoir quant à celle qui l’a « vraiment » ou ne

l’a pas (le phallus).

« (silence, yeux baissés)...en dehors du cas que j'ai évoqué...il y a eu d'autres moments où vraiment elle

est... elle est très impertinente mais ce dont je me rends compte avec elle... c'est qu'il y a eu toute une

discussion où elle a pu s'exprimer face à d'autres (intonation) parce qu'elle a une image forte d'elle-

même et qu'elle doit aussi...et que tout le monde doit être au courant de ses dispositions à elle (rires)

(S2Q6,L1-4)

Il semble que l’usage de l’autorité naturelle (cf. Chap. III) ou d’un pouvoir « caché » renvoie chez

le sujet au phallus en tant qu’objet imaginaire. Il s’agit dans un premier temps de « paraître le

phallus » pour l’autre, fantasme d’une toute puissance imaginaire dont pourrait s'affubler tantôt

l'enseignante, tantôt l’élève. D’où les usages et mésusages du pouvoir de l’adulte vis-à-vis de

l’enfant/adolescent dans un processus de transfert imaginaire. Des procédés ou des manifestations

d’autoritarisme (menacer, devoir se taire), marqués de l’agressivité corollaire de cette quête

d'identification sur le mode spéculaire dans le chef de l'élève. Une agressivité teintée d’envie voire

de jalousie « elle est… ; elle a… ; tout …à elle», pouvant aller jusqu’à la destruction de l’autre

(pulsion de mort) pour ne pas être anéanti.

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IV.3.2. AU NON DE L’INTERDIT ! et MÉDIATION SYMBOLIQUE PAR LE TIERS

Au regard de notre problématique, en termes de réception des transferts de l’élève, Sylvie cherche à

maîtriser les phénomènes de transfert que les élèves lui adressent, en l’occurrence ici Caroline. La

maîtrise du transfert, tout comme son induction - en proposant une situation pédagogique autre que

celle du cours magistral - peut relever d’un fantasme de toute-puissance chez l’enseignante. Dans

ce sens, Sylvie semble se projeter dans le désir de l’autre de manière fantasmatique. En effet,

l’enseignante est elle-même aux prises avec la Figure de Maître, une image idéale de l’enseignant,

se présentant comme « image sans faille » au regard de chaque élève et réclamant de leur part, un

consentement quasi absolu (Rabant, op.cit., p. 104). Le désir chez l’enseignante resterait celui

d’avoir prise sur l’autre (élève) pour finalement lui faire reconnaître, au travers de sa demande

insistante, sa place de maître du savoir et de l’autorité et, ainsi, se sentir exister.

Sylvie en vient à évoquer deux faits qui ont contribué à transformer le rapport de rivalité, avec

l’autre de la relation spéculaire, en un rapport d’identification d’ordre symbolique.

Le premier fait évoqué concerne la mise en place de différents conseils de classe, en présence de

deux autres enseignants, durant lesquels « il y a eu toute une discussion où elle[l’élève] a pu s’exprimer

face à d’autres », à la classe.

Le deuxième fait évoqué concerne la double sanction adressée à l’élève. Une première sanction

attribuée par l’enseignante et qui a dû être actée par les parents et une seconde, dressée par les

parents qui a dû être, à son tour, signée par l’enseignante.

« alors voilà! tout le monde doit être au courant et donc elle s'est exprimée face à la classe parce qu'il y

a eu différents conseils de classe parce que c'est une classe vraiment dure... donc un conseil de classe où

la titulaire et la co-titulaire essaient de mener la barque... […] avoir cette possibilité-là et donc qu'elle

avait intérêt à essayer et aussi... donc il y a eu cette discussion et alors aussi autre chose à un moment

donné... je l'ai sanctionnée... ça c'était le deuxième fait... et elle est revenue en disant « mon papa et

maman ont demandé que vous signez la deuxième punition que j'ai dû faire pour eux »... Ces deux

événements-là... qui m'ont été très proches à une semaine d’intervalle...ont fait que son attitude a changé

vis-à-vis du cours en disant « je peux avoir quelque chose » et là je suis persuadée que la discussion et la

relation plus personnelle avec moi et devant les autres... où elle a pu à la fois ne pas avoir pu donner son

leadership et avoir une conversation avec les deux autres profs... comme jouant un peu le rôle de tiers...

et de l'autre côté les parents aussi derrière qui lui ont dit « Et! ma fille! tu ne fais pas tout et n'importe

quoi! »... les deux ensemble ont changé son attitude... (sourire) » (S2Q6,L5-7 ; L20-30)

Dans le premier cas, la « sanction » donnée par l’enseignante peut viser à contraindre l’élève à

reconnaître et à accepter son autorité. Elle met également en acte la revendication du droit de regard

des parents sur l'adolescente à l'école, ce qui peut avoir pour effet, à l'extrême, l'exclusion de la

rivale, les parents prenant eux-mêmes la place de l’enseignante (Filloux, 1983, p. 19).

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Ce qui peut expliquer que dans le second cas, une « punition » fût effectivement donnée à l’élève

par les parents eux-mêmes, qui lui ont demandé en retour de la faire acter par l’enseignante. Sylvie

décrypte cette mise en acte par ces mots : « Et ! ma fille ! NON tu ne fais pas tout [ce que tu veux] et [tu

ne fais pas] n’importe quoi ! »

Il s'agirait ici, pour celles rivalisant dans la position phallique, d'une réinscription de la castration

symbolique. A savoir, la Loi qui fonde le désir de toute-puissance impossible à satisfaire. Ce qui

implique de renoncer à l’adéquation du désir et de son objet, adéquation impossible du fait du

langage.

« Dans la classe on ne fait pas n’importe quoi, et si l’on peut presque tout dire on ne peut pas le dire

n’importe comment. Ce que le maître apporte surtout c’est peut-être sa façon de parler dans la classe, qui

est reprise par l’enfant. Tous deux sont dans le langage, utilisent et respectent les Tables de la Loi. En

réalité, ce n’est peut-être pas ce qu’on voit qui compte, c’est autre chose, une loi dont le maître est le

gardien qui empêche tout ce monde de sombrer dans la folie. » (Oury & Vasquez, op.cit., p. 145-146)

Les conseils de classe au cours desquels l’élève et l’enseignant ont pu s’exprimer « dans une

relation plus personnelle », ainsi que l’intervention des parents, ont constitué un dispositif d’inter-

pellation permettant à chacune de trouver sa place et d’engager son désir. Ce dispositif de

médiation tierce a permis de supporter l’ouverture d’un réseau symbolique et d’autoriser tant

l’enseignante que l’élève à se libérer de leur position imaginaire de rivale, pour se réapproprier

symboliquement, et de manière respective, celle de sujet-enseignant et celle de sujet-apprenant.

IV.3.3. MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT DE TRANSFERT

Ainsi par les conseils de classe et le discours des parents, dans une fonction médiatrice de support

de la Loi, on ouvre la voie au travail d’une séparation symbolique, mobilisant ainsi l’ensemble de la

dialectique phallique. Du phallus imaginaire et de la rivalité qu’il supporte, au phallus symbolique,

la logique phallique se décline dans ses différents moments ou « événements » jusqu’à la

réarticulation d’une séparation (castration) symbolique. Dans son discours, on peut observer un

changement de perception de l’image initiale négative qu’elle avait de l’élève « cette

fille…impertinente ; cette incongrue-là ». Ce qui peut témoigner d'un « dénouement » du transfert,

à savoir la désintégration des effets de la rivalité imaginaire. C'est à ce moment qu'advient un effet

d'interprétation (Imbert, 1996, p. 138). Soudain, ce qui se répétait - hostilité, rejet, fascination - a

pu délivrer son message et chacun retrouver sa place. Et c'est ainsi que Sylvie peut reconnaître que

l’élève cède sur sa position de toute-puissance phallique pour l’investir dans un autre objet,

commun au sien, soit à « l’intellectuel », à « une série de choses au niveau culturel ».

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« […] avec cette fille-là... il y a eu une discussion où elle a pu s'exprimer et en même temps dans la

discussion... je ne sais absolument pas ce que j'ai pu lui dire mais manifestement il y a quelque chose

qu'il l'a touchée... elle a été touchée en se disant « moi je valorise aussi l'intellectuel que Madame

propose et je comprends quand-même que si je n'écoute pas et je continue à faire comme je fais pour le

moment et bien ça ne va pas fonctionner et j'aurai et le quart ou la moitié »... pas spécialement de points

car c'est encore le genre de fille qui peut encore se permettre de ne pas écouter... mais plutôt je vais rater

toute une série de choses au niveau culturel et je sais qu'elle aime vraiment bien que l'on parle des

Dieux... de la mythologie gréco-latine et tout ça.... Il y a ce côté-là en fait et à un moment donné elle...

elle a compris qu'elle pouvait avoir cette possibilité-là et donc qu'elle avait intérêt à essayer … »

(S2Q6,L11-21)

En termes de réaction, l’attitude adoptée par Sylvie vis-à-vis du transfert de l’élève va dès lors

consister à apprécier les qualités de l’élève comme « étant une fille qui aime bien avoir de beaux

points », ainsi qu’à reconnaître ses centres d’intérêt voire ses goûts « je sais qu'elle aime vraiment bien

que l'on parle des Dieux... de la mythologie gréco-latine et tout ça… ». Ce changement s’entend

également au travers des variations d’intonation et des silences dans son discours. Sylvie se

repositionne comme enseignante qui a compris les enjeux de la formation pédagogique, à savoir

soutenir le désir de savoir et d’apprendre chez l’élève en tant que Sujet désirant. L’enfant ou

l’adolescente qui s’est identifiée au départ à l’objet qui manque à la mère (le phallus imaginaire)

accepte le sacrifice de ne plus occuper cette place et d’avoir en échange une promesse, un trait

unaire qu'elle pourra prendre chez l'enseignante (Lacan, 1973, p. 231). A un moment donné, « elle a

compris qu'elle pouvait avoir cette possibilité-là et donc qu'elle avait intérêt à essayer … ». L’enseignante

se met alors en position d’assumer une fonction symbolique : celle de garante de la médiation, de

passeur voire d’interprète « je sais que… » permettant ainsi de transférer le transfert de l’élève, à

savoir « je peux avoir quelque chose [d’autre, ailleurs] ».

IV.3.4. CONFUSION IMAGINAIRE, MÉDIATION SYMBOLIQUE et TRANSFERT par la PAROLE

Le message que Sylvie adresse à ses élèves, à savoir une demande de transfert (Filloux, 1974) (cf.

Chap. III), en leur offrant une situation pédagogique originale, agrémentée d’une mise en scène

hollywoodienne, s’épuise à être entendu dans le cri, dans le « devoir gueuler ». Et voici que

soudain, telle élève par tel de ses mots et telle de ses attitudes, vient mettre en circulation un autre

message qui recevra sa réponse sous forme de lettre-sanction. La ronde de l’avoir ou de ne pas

l’avoir commence dans sa répétition, impliquant un rapport imaginaire à l’autre. Il s’agit de

l’impasse d’une relation duelle qui se vit sur le mode de la menace, de l’intrusion envahissante et

sur le désir d’évincer l’autre. C’est le règne du « ou moi, ou toi » (Lacan, 1978, p. 201) celui du

face-à-face, du corps-à-corps. Le support d’une médiation symbolique, à la fois qui introduit et

supporte la Loi qui interdit (« Et! ma fille! tu ne fais pas tout et n'importe quoi! »), mais aussi qui oblige

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à l’échange (Conseils de classe), a permis l’ouverture de la lettre et dès lors, à la parole de

l'enseignante de se faire entendre et au désir de l'élève de se faire reconnaître comme tel.

« Ça... c'est la grande question de savoir ce qu’on peut dire à un moment donné...écoutez je me

souviens dans notre conversation de lui avoir... car je crois quand même… (intonation basse) étant une

fille qui aime bien d'avoir des beaux points... qui aime bien de comprendre... de savoir et tout ça (retour

intonation normale)... je me dis le côté intellectuel et culture et que même si l'année prochaine il n'y en a

plus... qu'au moins cette année-ci elle pourra en profiter et c'est cette année-ci et peut-être plus jamais

euh... c'est peut-être ça aussi... allez savoir (rires) (silence) puis les dieux ça venait au départ de moi...

j'ai présenté ce chapitre dans le cadre du programme du cours et je sais qu'elle attend ce moment avec

impatience […] Mais je suis persuadée que cette motivation... cet intérêt chez cette élève... ce désir

d'apprendre il est là... » (S2Q7,L1-12)

Ainsi toute interpellation du désir, si elle est mise en mouvement, conduit le sujet à prendre place

dans un réseau de réciprocité, à en passer par la loi de l’obligation à l'échange et à proprement

parler à se dé-sidérer, à sortir de l'orbe de sa planète, de son enfermement narcissique pour enfin

désirer (Imbert, 1992, p. 218). Le désir se présente alors comme « l'arrachement à la fascination, la

séparation du Un-Tout, la perte de l'image idéale » (Giust-Desprairies, 2003, p. 139). L'acte

d'éduquer pour l'enseignant, tout comme celui d'apprendre pour l'élève, ne peut être que le fait d'un

sujet inscrit dans une chaîne symbolique par sa parole et son désir. A la question de savoir quelle est

la fonction symbolique dont le pédagogue se doit d'être garant, on peut répondre : celle d'un

interpellare. Processus à entendre dans le double sens d'un acte d’ouverture des clôtures

imaginaires et de fondation d'une communauté (dont H. Zulliger en aurait donné les prémisses),

mais aussi d'une structure d'altération et de séparation, ou encore du passage du Un-Tout au Un

parmi d'autres (Imbert, op.cit.).

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Arrivée au terme de notre travail de recherche, il convient de confronter nos résultats à nos objectifs

de recherche, ainsi qu'à nos questions posées au départ, au regard du cadre théorique choisi et de

notre démarche de recherche empirique.

Notre travail s'est donné pour objet d'étudier les phénomènes transférentiels dans la relation

pédagogique, selon une démarche clinique d'orientation psychanalytique (Blanchard-Laville et al.,

2005). Tout au long de notre étude, nous avons cherché à repérer les désirs en jeu chez le maître et

chez l'élève, dans un commun rapport au savoir, mais aussi l'origine de ces désirs et leur mode

d'expression. Ensuite, nous avons analysé les phénomènes transférentiels, leur nature ainsi que leur

façon d'opérer. Enfin, nous avons identifié les attitudes adoptées par les enseignants vis-à-vis des

transferts dans les rapports réciproques maître-élève.

A partir de notre question de départ : « Qu'est-ce qui fait que surgissent, à un moment donné, dans

la relation maître-élève, des phénomènes transférentiels ? », nous en sommes venue à problématiser

le rapport au transfert en questionnant les attitudes possibles de l'enseignant vis-à-vis du

phénomène. Celles-ci peuvent se décliner sous trois termes: attitudes de repérage, de réception et

de réaction. Une problématique qui, en cours de recherche, en fonction de notre analyse des

données empiriques, s'est vue obligée de proposer un quatrième terme, celui de réponse à la

question des enseignants: « que faire des transferts? » ou « comment ne pas tomber dans le piège de

la relation duelle? » voire « comment en sortir? »

Après une réflexion épistémologique, les concepts et savoirs issus de la psychanalyse furent utilisés

en vue d'explorer les processus inconscients à l'œuvre dans le champ pédagogique. C'est également

en termes de lecture des phénomènes transférentiels mobilisés dans la relation pédagogique, à partir

d'un corpus de données constitué de discours d'enseignants, recueillis par entretiens non-directifs et

certaines observations sur le terrain pédagogique, que nous avons fait usage d'une interprétation qui

fait référence à la théorie psychanalytique. Ce travail de recherche fût élaboré selon une démarche

exploratoire à visée compréhensive de type empirico-inductif. Dès lors, nos hypothèses ne résultent

pas d'un système théorique posé préalablement. Elles sont émises a posteriori, soit induites par les

effets de transfert observés selon notre démarche empirique et des apports théoriques.

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Afin de répondre à nos objectifs de recherche et d'élaborer progressivement nos hypothèses

interprétatives, nous avons préalablement travaillé le sens du concept du transfert tel qu'élaboré par

Freud. Lié à des imagos (parentale, fraternelle), le transfert intervient comme reviviscence,

répétition d’affects, d'expériences issues de la vie infantile du sujet qui se déplacent sur l’autre (sur

l’enseignant ou sur l’élève). Ce qui est transféré, c’est la réalité psychique soit, au plus profond, le

désir inconscient et les fantasmes connexes ; ce sont des équivalents symboliques de modes de

relation parentale. Des scènes vécues enfouies, refoulées parce qu’ayant subi l’interdit Ŕ désirs

sexuels incestueux, désirs de mort des parents Ŕ et qui par le biais du transfert s’exprimeront sur

l’enseignant en situation pédagogique. Plus qu’une répétition, il s’agit d'une mise en acte de la

réalité de l'inconscient en tant qu'elle est sexuelle, le transfert étant relié à la pulsion.

Nous avons ensuite suivi l’enseignement de J. Lacan pour qui le transfert « c’est de l’amour qui

s'adresse au savoir » (Lacan, 2001a, p. 558). Ce processus commence dès lors qu'un petit autre

vient occuper la place d'un Grand Autre, soit de celui qui est supposé détenir un savoir énigmatique

sur son être au monde. C'est pourquoi, dans la structure du transfert, le désir occupe une place

centrale en tant que désir du sujet, mais aussi en tant que désir de l'Autre où le premier s'origine.

L'apport de Lacan est aussi d'avoir distingué deux dimensions dans la structure du transfert. Celle

de l'imaginaire, en tant que déplacement de l’imago ; celle du symbolique, en tant que déplacement

de signifiants en signifiants, et dont l'entrée s'opère par l'instance du Sujet supposé Savoir (SsS).

Pour traiter nos données, nous avons procédé à une analyse catégorielle du discours, complétée

d'une étude formelle de l'énonciation. Pour notre lecture interprétative, nous nous sommes appuyée

sur la théorie analytique, mais aussi sur des résultats de recherches d'orientation psychanalytique,

ainsi que des cas d'analyse issus de textes anciens publiés dans la Revue pour une pédagogie

psychanalytique (1926-1937). Nous proposons ici une mise en relation des hypothèses partielles

mises à jour progressivement, à partir de l'observation de la dynamique du transfert et du jeu des

désirs chez les sujets enseignant et apprenant.

Au départ, nous avons pu relever que l'émergence des transferts se produisait là où des relations de

sujet à sujet étaient en jeu. A savoir dans le champ pédagogique, la relation de deux partenaires

voire contractants qui vont faire alliance pour la durée de l'année scolaire. Ils sont « là pour

travailler quelque chose ensemble ». Ensuite, nous avons pu identifier l'importance de la

dissymétrie entre les sujets et plus précisément la disparité subjective existant entre le maître et

l'élève, qui offre le cadre dans lequel s'inscrivent les phénomènes de transfert. En effet, pour Lacan,

« la position des deux sujets en présence n'est aucunement équivalente » (Lacan, 1991, p. 11).

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Enfin, nous avons pu relever dans le discours des enseignants que la cause du transfert pouvait

résider dans cette disparité même en termes de rôles, de places. La présence de l'un ne se justifie

que par la présence de l'autre, mais elle ne se légitime que parce que l'un doit représenter le savoir

pour l'autre. Par sa spécificité, le rapport entre maître et élève se fonde sur un rapport de supérieur à

inférieur dans un rapport de soumission-domination.

Au regard de notre problématique, à partir de notre analyse du discours des enseignants et des cas

présentés, nous en venons à ré-articuler nos hypothèses partielles en vue de construire, ici a

posteriori, notre hypothèse générale se déclinant en quatre temps.

Dans un premier temps, il en est ressorti que la relation pédagogique était mobilisée par le désir

respectif du sujet-enseignant et du sujet-apprenant, et qu'elle était éminemment transférentielle. La

charge affective et pulsionnelle (amour/haine) contient son poids d’illusion car on aime chez l’autre

ce dont on croit manquer, soit ce dont on a été castré, l’objet perdu, le phallus imaginaire. C'est la

place du manque, de cette vacuité qui constitue la condition même à l'émergence du désir chez le

sujet-élève ou enseignant et qui suscite son transfert, son déplacement sur l'autre supposé le

combler. Le transfert est la quête de cet objet perdu que le sujet croit trouver chez un grand Autre

qui l'aurait, le saurait. Cet objet a convoité peut prendre deux formes principales : le savoir et le

pouvoir. Quand c'est cet Autre-enseignant qui maintient cette position de sujet détenteur d'un savoir

en exclusivité et d'un pouvoir réel, peuvent s’exercer des effets de fascination, de sujétion chez

l'élève. Tout comme l'enseignant peut révéler un désir de maîtrise voire d'emprise sur l'autre-élève,

et régir ainsi son désir. L'emprise séductrice deviendrait avec la domination, une condition du

maintien du pouvoir enseignant. De même, le désir du plaisir chez l’enseignant d’engendrer l'autre

dans le savoir peut être lié à un désir d'omnipotence et d’immortalité à des fins narcissiques.

Que ce soit selon les modalités d'un transfert imaginaire sur base d'une identification narcissique

(spéculaire) du sujet à son Moi, comme rencontré dans le cas de Sylvie, ou encore d'une érotisation

de la relation sur base d'une identification phallique, comme rencontré dans les cas de Chantal et de

Frédéric, il s'agit toujours d'une relation imaginaire à l'autre, relation éminemment duelle.

Ainsi l'autorité naturelle de l'enseignant tout comme le pouvoir de leadership chez l'élève, renvoient

chez le sujet au phallus, objet imaginaire. En référence aux stades de la dialectique phallique, nous

avons relevé qu'il s'agissait d'abord d'être ou de paraître le phallus pour l'autre, fantasme d'une

toute-puissance qui prédominerait chez l'enseignant ou chez l'autre-élève. Dans leur discours, les

enseignants repèrent ce pouvoir dans la relation pédagogique. Il s'agit d'« attirer l'attention sur lui ; de

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montrer qu'il est bien là » pour Chantal, de « prendre toute la place; d'occuper une position centrale de

pouvoir » pour Frédéric, et de « régenter tout le monde ; son leadership [de l'élève]» pour Sylvie.

Ce déplacement ou métonymie du désir, au sens lacanien, renvoie à ce manque et non à son objet, à

ce « quelque chose » d'autre. De ce fait, il y a toujours une inadéquation du désir et de son objet.

Cette quête de l'objet perdu chez l'élève se repère par les enseignants dans ses effets, soit tester le

maître afin de savoir s'il va y répondre voire y correspondre ou pas et ce, dans son insistance à

toujours témoigner de ce désir. Ces transferts se manifestent par une compulsion de répétition sous

forme de provocation, soit selon le jeu de la séduction ou celui de la contestation (joint géant). Ce

jeu peut prendre différentes modalités : interventions « incongrues » et « impertinentes », des

revendications, des interpellations agressives, des questions-demandes. En référence à la

dialectique phallique, la relation est mobilisée dans la rivalité avec l'autre imaginaire sur le mode

d'avoir le phallus ou de ne pas l'avoir. Tant dans le discours recueilli de nos trois enseignants que

dans les cas d'étude présentés, ces effets de rivalité confrontative sont marqués par le face-à-face

« Si!-Non !, JE te dis que si et je tiendrai jusqu'au bout » pour Chantal ; par le corps-à-corps selon

une agressivité teintée d'envie, de jalousie pouvant mener au fantasme de disqualification de l'élève

sur un mode « un peu sadique » comme « ne pas la rater à l'examen » pour Frédéric; ou encore sur

un mode répressif par la sanction dans toute sa déclinaison pour Sylvie. La relation imaginaire

fonctionnerait sur le mode de la castration imaginaire: c'est « ou moi, ou toi » (Lacan, 1978, p.201).

Ainsi, repérer l'existence du désir dans la demande de l'élève, en déceler les modes d'appel,

reconnaître son rôle fondamental dans l'émergence du transfert dont l'enseignant est l'objet et en

neutraliser les forces, tels sont les premiers enjeux du rapport enseignant-enseigné. Autant d'enjeux

« subtiles » que les enseignants questionnent en ces mots : Que faire avec ces transferts ? Doit-on

pour autant se laisser mordre par ces serpents? Comment ne pas répondre dans le même ordre?

Dans un deuxième temps, il est ressorti que la modalité selon laquelle l'enseignant va recevoir ou

accueillir ces transferts se traduira essentiellement dans la recherche de leur maîtrise.

Un premier principe consistera à éviter, comme éventuel mécanisme de défense, l’établissement de

liens transférentiels: « éviter un attachement trop important », « éviter de se retrouver dans des

relations malsaines » pour Chantal, « éviter de tomber dans le piège de la relation duelle » pour

Frédéric. Sylvie n'acceptera pas voire refusera par dénégation les phénomènes transférentiels qui lui

sont adressés, et réagira transférentiellement par projection. Elle renverra ces transferts à qui de

droit avec ou sans interpellation des parents, ou du père, ou de la mère.

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Un second principe consisterait à « savoir » contrôler le lien transférentiel, en cherchant à « couper

court à tout débordement » et à leur demander de renoncer à les voir leur « répondre dans le même

ordre ». Pour ce faire, l'enseignant se fait garant d'une certaine loi qui interdit la satisfaction

immédiate et édicte les limites du cadre établi. En donnant des refus et des interdictions fermement,

il montre que le passage par cette loi ne peut être évité. En affirmant l'interdit structurant du « Non!

tu ne fais pas ça! Ici! chez moi! dans ma classe! », il introduit et mobilise des repères symboliques.

Dans le cas de Vincent présenté par Chantal, d'une part, par l'énonciation de la Loi, le dire-NON! et

d'autre part, par la déchirure de l’objet factice, elle sépare symboliquement l’élève de son

identification imaginaire à l'objet-phallus. Par la parole, en s'en référent à la Loi du père, le Nom-

du-Père, elle ouvre la voie(x) au travail d’une coupure-séparation symbolique. Dans le cas de

Caroline présenté par Sylvie, c'est le dire-NON! des parents, en position de Tiers, dans une fonction

médiatrice de support de la Loi. Celle qui fonde le désir de toute-puissance comme impossible à

satisfaire. La castration est ici symbolique, impliquant de renoncer à l'adéquation du désir et de son

objet (phallus), adéquation impossible du fait du langage. On est au stade de ne pas avoir le phallus

et dans l'abandon de la problématique de l'être et de celle de la rivalité phallique (l'avoir ou pas).

Dans un troisième temps, il est ressorti que la réaction de l'enseignant dans l'impasse d'un transfert

consistait simultanément à inscrire la médiation symbolique par le tiers, en référence à la loi en tant

que versant de l'interdit, et à favoriser le transfert de transfert. Cette posture viserait, selon le terme

de Frédéric, à différer l'interpellation de l'élève, désignant à la fois le travail de séparation

(médiation symbolique) et de transfert du transfert sur d'autres personnes (enseignants-éducateurs,

parent(s), élèves du groupe-classe), en d'autres lieux (conseils de classe, centres PMS), à d'autres

moments. Dans la dialectique phallique, il s’agit de l'ouverture par le processus de séparation et

d'identification symbolique. Une identification fondée sur le trait unaire comme accroche dans le

symbolique et qui « n'est pas l'identification spéculaire immédiate » (Lacan, 1973, p. 241). Freud

disait qu'elle était « partielle, extrêmement limitée, et emprunte seulement un trait unique à la

personne-objet » (Freud, 2003, p.45). Identification à un trait qui fait le sujet Un à côté d'un autre

distinct, donc séparé.

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Régler les relations imaginaires faute de quoi elles risquent de tourner en rond et de s'enfermer dans

des impasses mortifères, tel semble être le second enjeu du rapport maître-élève. L'apport de Lacan

est de montrer que la fonction de l'identification à ce trait distinct est de soutenir et de régler les

identifications narcissiques (imaginaires). L'enjeu théorique est de faire entendre que « la régulation

de l'imaginaire dépend de quelque chose qui est situé de façon transcendante [...], le transcendant

dans l'occasion n'étant rien d'autre que la liaison symbolique entre les êtres humains » (Lacan,

1975a, p. 161), à savoir le langage comme véhicule, comme fonction de ce qui tisse le lien social.

Dès lors la problématique du transfert telle qu'articulée au désir du sujet implique sa ré-articulation

à celle de la médiation. Car, le transfert opère sur des objets actuels et la fonction de médiation est

précisément de réaliser l'intervention d'objets qui soient autant d'éventuels pôles d'investissement,

autant de possibles pôles de transferts (Imbert, 2005).

Cela nous amène à un quatrième temps, celui d'une praxis de la médiation élaborée par les

enseignants en termes de réponse à l'impasse transférentielle (Imbert, 1992, p. 154). C’est la

réconciliation de la Loi, en tant que versant de l’interdit, et du Désir, qui va autoriser le désir de

l'élève à se réaliser et lui permettre in fine d'entrer dans une activité d’apprentissage. Dans le cas de

Chantal et de Sylvie, la mise en place d'espaces de médiations (conseils de classe, réunion

participative, assemblée générale) dans un rapport triangulaire a permis l’ouverture du champ

d'échanges et de réciprocité favorisant le dénouement des transferts et l’émergence de ce désir. Pour

Frédéric, il s'agit d'une possibilité de médiation ou d'inter-pellation via l’inter-vention d’un Autre,

faisant tiers, qui permet et canalise les échanges entre maître-élève(s). Autant de réseaux

symboliques porteurs de cette loi fondatrice de l'humain, celle de « l'obligation à l'échange » à

travers laquelle s'articule, au-delà de toute circulation de biens, un désir et une parole (Imbert,

1993). Nous concevons la praxis de la médiation autour de cette obligation permettant d'une part, la

séparation (la bonne distance, la « barrière ») et d'autre part, l'alliance (travailler ensemble). Soit,

une pratique porteuse d'autonomie reconnaissant l'autre comme agent de son autonomie.

Dès lors, il résulte de notre étude que si la problématique du transfert est articulée au désir du sujet,

elle l’est tout autant à celle de la médiation. En effet, si le transfert réactualise des désirs refoulés

liés à des imagos en s’opérant sur des objets actuels, la fonction de médiation consiste à réaliser

l’intervention d’objets qui soient autant d’éventuels pôles d’investissement, autant de possibles

pôles de transfert (Imbert, 2005). C'est à cette condition que l'élève pourra se libérer de

l’identification imaginaire et accéder au registre symbolique par une activité implantée dans le réel

(culture, loi, langage), créatrice de savoirs nouveaux. On passe dès lors du règne du « ou toi, ou

moi » voire du « toi et moi », à un possible « et toi, et moi ».

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Pour ce faire, l’enseignant se trouve lui-même amené à subir en premier l’efficace de la castration,

la marque de la loi qui brise son illusion de toute-puissance: tel est le troisième enjeu du rapport

maître-élève. C’est parce que sa figure de maître n’obture pas la scène et qu'il renonce aux

satisfactions imaginaires de sa fonction, que quelque chose de l’ordre d’un trait symbolique peut se

transmettre dans le chef de l'élève. Ce trait distinctif peut relever de la loi du langage établi par le

maître dans la classe donnant « accès à une parole vraie » (Oury & Vasquez, op.cit., p.185); comme

de son désir de savoir, alors support à la construction chez l'élève de son propre rapport au savoir.

Dans cette perspective, à l'instar de Chantal suite à notre entretien, nous pourrions interroger les

élèves quant à leurs représentations concernant la relation maître-élève, et leurs ressentis. Comme il

serait intéressant de considérer davantage les contre-transferts de l’enseignant, ainsi que ses

mécanismes de défense et de compensation. Ce qui justifierait une analyse de la fantasmatique

groupale en référence aux travaux menés par D. Anzieu et R. Kaës dans une approche kleinienne.

Cela nous amène à la question de la formation professionnelle des maîtres. En effet, aux dires des

enseignants, ces derniers ne sont pas formés à une approche clinique de la relation pédagogique. Au

regard de notre problématique et des résultats obtenus, il s'agit de la possibilité pour l'enseignant de

« se faire lecteur de soi-même » (Cifali, 2007, p. 205) dans le cadre de sa pratique pédagogique. A

savoir, offrir à l’enseignant un espace permettant de "prendre conscience intellectuellement et

affectivement des processus inconscients en jeu" (Blanchard Laville, 2001) et des "processus contre-

transférentiels mobilisés" (Imbert, 2000) dans la relation pédagogique. Pour autant que, telle est

l'hypothèse de fond, les maîtres veuillent savoir quelque chose d'eux-mêmes et de ces processus

dans ce « métier » du lien que Freud disait « impossible ». Mais comment favoriser, susciter un tel

engagement chez l'enseignant ? Par quels moyens ? Les premiers pédagogues « psychanalytiques »

voulaient élaborer des méthodes issues ou déduites de la psychanalyse. A présent, il est question

d'une sensibilisation à une approche « éclairée » par la psychanalyse et les recherches cliniques

d’orientation psychanalytique en sciences de l'éducation. Quel que soit le type de pédagogie,

l'enseignant est susceptible d'être sensibilisé à repérer l'expression des phénomènes transférentiels

et à ne pas les occulter. A recevoir dans le sens d'accueillir l'assignation par l'élève d'une « position

parentale face aux investissements affectifs en jeu, mais sans s'identifier comme père et mère, sans se mettre

à leur place » (Filloux, 1992, p. 27). A réagir, dans le cas d'une situation transférentielle, en

proposant des moments, des lieux, des places, des cadres offrant d'autres pôles d'investissement

libidinal, d'autres pôles de transfert. Enfin à autoriser cette « autre attitude », à l'instar de nos

enseignants interviewés, relevant d'une praxis de la médiation, processus apte à supporter

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« l'obligation et la réciprocité des échanges », à « désidérer » les sujets, à soutenir leur travail de

séparation et de création.

Dans une perspective de recherche, nous pourrions envisager une étude comparative des dispositifs

d'élaboration clinique de la pratique enseignante, en vue de leur insertion dans la formation initiale.

Un groupe d’analyse des pratiques professionnelles qui peut s'étayer sur des histoires de vie, des

récits extraits de monographies. Quelles que soient les approches disciplinaire et méthodologique,

selon que ce soit un « travail psychique groupal » (Blanchard-Laville, 2001), ou un séminaire de

type Balint, il s'agirait d'un espace clinique, « lieu de symbolisation de son histoire » que peut opérer

« un travail d'élaboration psychique » (Giust-Desprairies, op.cit., p. 52) sinon « un travail de

médiation [...] de séparation », permettant chez l’enseignant « le dégagement des inerties imaginaires et

à ré-articuler quelque chose de la dimension symbolique » (Imbert, 2005, p. 196). Un lieu de parole où

l’enseignant peut exprimer ses difficultés et reconnaître les parts de son psychisme dans l'échange

avec d'autres, en position de tiers. Cela exige une éthique institutionnelle excluant toute obligation

participative et évaluative, une éthique du cadre (Mosconi, 2005) voire une éthique du sujet en

formation (de Villers, 2007).

Ainsi, nous terminerons ce présent travail avec le Rapport final de la commission « Psychanalyse et

éducation » d'un Congrès international des sciences de l'éducation, tenu en 1973. Il est écrit à

propos de la position de l'éducateur quant aux recherches de type psychanalytique :

« Au point où nous sommes parvenus, l’interaction entre le psychanalytique et le pédagogique est telle que

l’enseignant ne se trouve plus à utiliser un savoir qui soit lettre morte, qu’il n'est pas non plus dans une

situation d'analyste (qui n'est pas la sienne), mais qu'il y a une possibilité pour que la lecture du champ

pédagogique et la lecture de lui-même dans ce champ puisse l'interroger sur sa pratique et le mettre lui-

même en position de créer » (Colloque, 1976, in Filloux, 2000, p. 77).

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Dictionnaire en ligne : Latin-Français : Sur http://fr.wiktionary.org/wiki/

Illustration de la couverture

« Le cercle des poètes disparus », photo issue du film de 1989.

Sur http://www.google.com/search?q=cercle+des+poètes+disparus

ANNEXES : DEUXIÈME CAHIER