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1 UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME L’implication et le rôle des producteurs et distributeurs de voyages dans la gestion du risque voyage Mémoire professionnel présenté pour l'obtention du Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" (2e année) Spécialité Gestion des Activités Touristiques et Hôtelières Par Anne SACCALAIS Directeur du mémoire : Monsieur Xavier DECELLE JURY Membres du jury : Session de Septembre 2012 Année universitaire 2011 – 2012 IREST - Paris 1 / MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" M2 / "Mémoire" - 2011-2012

UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE ... · III-A-2 La gestion de crise vue par Marmara 98 III-A-3 Le cas de Costa, un mutisme non compris 100 III-A-4 Air France

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UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME

L’implication et le rôle des producteurs et distributeurs de voyages dans la gestion du risque voyage

Mémoire professionnel

présenté pour l'obtention du Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne

MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" (2e année)

Spécialité Gestion des Activités Touristiques et Hôtelières

Par Anne SACCALAIS Directeur du mémoire : Monsieur Xavier DECELLE JURY Membres du jury : Session de Septembre 2012

Année universitaire 2011 – 2012 IREST - Paris 1 / MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" M2 / "Mémoire" - 2011-2012

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Remerciements

Mes remerciements les plus sincères à toutes celles et à tous ceux qui auront contribué de près

ou de loin à l’élaboration de mon mémoire, ainsi qu’à la réussite de ces deux années

universitaires.

Je tiens à remercier tout particulièrement :

- Toute l’équipe enseignante de l’IREST pour la qualité de leur enseignement et

particulièrement Messieurs DECELLE et TIARD ainsi que Madame Sylvie

SOURMAIL-DAUSSANT pour leur disponibilité,

- Tous les professionnels rencontrés et spécialement Mesdames Sophie HUBERSON,

Dominique PAUL, Sandrine LARRERE ainsi que Monsieur Florent CHAPEL pour le

partage de leurs connaissances et leur enthousiasme,

- Mon compagnon et mes filles pour leur soutien et leur patience durant ces deux

années,

- Mes amies qui ont toujours su me motiver même dans les moments de doute, un grand

merci à Anais, Brigitte, Christelle, Jeana, Nathalie, Sabrina et Virginie.

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Préambule

J’ai décidé après une longue expérience professionnelle dans le secteur du tourisme de reprendre des études supérieures de Tourisme. En premier lieu pour donner « un second souffle » à ma carrière mais également pour pouvoir mieux appréhender un monde qui a fortement évolué ces dernières années, à l’image des critères d’embauche par exemple qui se sont beaucoup modifiés en termes de profils et de diplômes. Effectuer un troisième cycle était donc pour moi à la fois une reconnaissance de mon parcours professionnel, un enrichissement personnel mais aussi une ouverture en élargissant mes compétences essentiellement dans le domaine de la gestion et de l’hôtellerie. Mon objectif était de me donner les moyens de redynamiser ma carrière.  Ce mémoire est pour moi l’aboutissement de deux années passées à l ‘IREST, deux années d’enrichissement personnel. J’ai choisi pour thème général de mon mémoire la gestion de crise et plus particulièrement celle visant le secteur touristique. Sujet vaste s’il en est mais cependant très actuel. J’ai souhaité m’attacher plus particulièrement au secteur des producteurs et des distributeurs de voyages et leur implication dans la gestion du risque voyage. C’est un secteur que je connais bien pour y avoir travaillé pendant de nombreuses années. Ce sujet m’a paru intéressant à traiter au vu des nombreuses crises que connaît le secteur depuis une dizaine d’années avec comme point de départ, les attentats du 11septembre 2001 à New York. Il semble que le nombre de crises augmentent mais ont-elles pour autant un effet plus dévastateur ? La particularité du secteur touristique en fait-il un secteur plus vulnérable que d’autres ou simplement vivons-nous dans un monde plus complexe qui contribue à provoquer plus de crises ? Certains affirment que oui et qu’il s’agit là d’une conséquence de l’augmentation de la population mondiale, de l’urbanisation à outrance ou encore de la pression économique dans laquelle nous vivons (Blaikie et Al 1994)1. Je citerais à ce sujet Edgar Morin qui disait : « Et si ces crises multiples, protéiformes n’étaient pas le simple reflet d’une civilisation en mal d’être, une occidentalisation en mal de sens et d’avenir « (la Voie, p 260) Autant d’interrogations que j’aborderai dans ce mémoire et pour lesquelles j’apporterai des éclairages et des réflexions.

1 « At risk ; natural hazards, people’s vulnerability and disaster », 1994, London Routledge

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Table des matières

Introduction 8 Première partie : Le risque et l’approche du risque 11

I La notion de risque dans notre société 11 I-A Le risque, une notion difficile à cerner 11 I-A-1 De l’émergence de la sécurité à la notion de risque dans notre société 12 I-A-2 De nouvelles tendances sociétales : le besoin de sécurité et

de « réassurance » 12 I-A-3 Le risque zéro : un paradigme des sociétés industrialisées ? 13 I-B Une approche scientifique du risque 14 I-B-1 Quelques définitions 14 I-B-2 Une typologie des risques 15 I-B-3 Le risque et les calculs de probabilités 16 I-B-4 La construction de nombreux modèles économiques 16 I-C Le risque, une construction sociale avant tout 18 I-D La gestion des risques : une approche entrepreneuriale indispensable 19 II Vers une évolution de l’approche du risque ? 21 II-A Une approche scientifique globale des risques : 21

la cindynique ou la science du danger II-B Les limites du modèle assurantiel 23 II-C Le principe de précaution, une nouvelle approche d’analyse 25

économique basée sur l’incertitude II-C-1 Une réponse plus actuelle à la gestion des risques et à l’incertitude 26 II-C-2 Les erreurs d’interprétation possibles du principe de précaution 26 II-C-2-a Précaution ou prévention : deux notions distinctes souvent confondues 26 II-C-2-b Le principe de précaution n’a pas l’ambition du risque zéro 27 II-C-2-c Le principe de précaution, un frein à l’action ou être responsable 27 II-C-3 Le principe de précaution : une dimension sociale du risque 28 II-C-4 Les limites du principe de précaution 28 II-D Savoirs profanes et savoirs experts :une nouvelle vision du risque 29

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Deuxième partie : Le risque lié au voyage 31

I Les particularités du secteur touristique 31 I-A Un secteur économique en pleine expansion 31 I-B Des caractéristiques propres au secteur 33 I-C Un secteur vulnérable 34 I-D Les particularités du secteur des opérateurs de voyages et de séjours 35

en France I-D-1 Un secteur vaste, complexe et atomisé 35 I-D-2 Une profession réglementée : l ‘immatriculation et le devoir 35

d’information II Les particularités de l’homo touristicus 37 III La perception du risque chez l’homo touristicus 39 III-A Les phénomènes de « rassurance » et la recherche de sécurité, 40

parties prenantes de l’environnement touristique III-B Un homo touristicus plus vulnérable ? 41 III-C Un touriste vulnérable mais un touriste résilient 43 IV Les effets potentiels des crises sur le secteur du tourisme 44 V Quelles sont les crises susceptibles d’impacter

le secteur touristique ? 46 V-A Des terrains de crise à la crise 46 V-B Les crises de demain qui peuvent impacter l’activité touristique 46 V-B-1 Les crises naturelles 46 V-B-2 Les crises sanitaires 49 V-B-3 Les crises techniques 50 V-B-4 Les crises politiques 52 V-B-5 Les crises d’adaptation 53

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Troisième partie : La préparation à la gestion de crise, une piste pour réduire le risque lié au voyage 56 I De la gestion des risques à la gestion et communication de crise : une approche globale applicable à tous secteurs 56 I-A Les caractéristiques d’une crise 56 I-B Le déroulement d’une crise 57 I-B-1 Une phase préliminaire 58 I-B-2 Une phase aiguë 58 I-B-3 Une phase chronique 58 I-B-4 Une phase de cicatrisation 58 I-C Les crises, un phénomène qui a tendance à s’accélérer 59 I-D Le concept de gestion de crise 61 I-D-1 La gestion de crise 61 I-D-2 Comment se préparer à faire face à une crise ? 63 I-D-2-a « La prévention est la meilleure gestion de crise qui soit " 63 I-D-2-b Le recensement des terrains de crise 63 I-D-3 L’apprentissage du management de crise par la pratique 64 I-D-3-a Gérer une crise c’est avant tout un état d’esprit 64 I-D-3-b Des pistes à suivre pour la formation aux exercices de crise 65 I-D-3-c Des notions à intégrer pour organiser un exercice de crise 66 I-E Savoir communiquer, un art difficile en gestion de crise 68 I-E-1 Une atteinte à l’image d’une entreprise 69 I-E-2 Comment aborder une communication de crise 70 I-E-3 Et si finalement les crises étaient prévisibles ? 72 I-E-4 Des freins à la prévisibilité des crises 74 I-E-4-a Une société de l’urgence 74 I-E-4-b Des facteurs bloquants dans notre capacité à transmettre les informations 74 I-E-4-c L’effet de sidération 75 I-E-4-d Une nouvelle dimension dans la gestion de crise : le web social 76 II Comment la profession s’organise t-elle autour de la

prévention des risques voyages ? 78 II-A La gestion du risque voyage : un défi pour les professionnels 79

du tourisme et les pouvoirs publics II-A-1 Les acteurs privés du tourisme face au risque voyage 79 II-A-1- a Une profession qui connaît de profondes mutations 80 II-A-1- b Une profession complexe qui a du mal à se fédérer 80 II-A-1- c Une profession qui a de lourdes responsabilités en matière de

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sécurité des voyageurs 82 II-B Comment la profession se répartit les rôles autour du risque voyage ? 83 II-B-1 le rôle des producteurs : une démarche tournée vers la prise des risques 83 II-B-1-a Le rôle fédérateur du CETO 83 II-B-2 Le rôle de la distribution : une démarche orientée vers la prévention

des risques 84 II-B-2-a Le rôle des agents de voyages 84 II-B-2-b Un rôle à jouer dans la prévention des risques, une opportunité à saisir 85 II-B-3 Des limites toutefois de responsabilités… 88 II-B-4 Des voyagistes producteurs et distributeurs qui s’appuient aussi

sur d’autres secteurs de compétences : le rôle des assureurs 89 II-B-4-a Un métier qui évolue vers l’aide à « la gestion de crise » 90 II-B-5 Le rôle des pouvoirs publics, un soutien réglementaire et informatif

à la profession 91 II-B-5-a Les référents 92 II-B-5-b Les acteurs de l’ombre 93 III Comment la gestion de crise est-elle abordée chez les opérateurs de voyages ? 94 III-A La gestion de crise au sein de la profession :

Des pistes à suivre ou à ne pas suivre … 95 III-A-1 Le rôle fédérateur du CETO dans la gestion de crise 95 III-A-2 La gestion de crise vue par Marmara 98 III-A-3 Le cas de Costa, un mutisme non compris 100 III-A-4 Air France déstabilisée par ses pairs 100 III-B La gestion de crise doit faire partie intégrante de la culture

d’entreprise des distributeurs et des producteurs de voyages 101 III-B-1 La mise en place d’un dispositif de gestion de crise 102 III-B-1 –a la phase de préparation et de sensibilisation : la prévention 102 III-B-1 –b La phase d’intervention : la gestion de la crise en elle-même 103 III-B-1 –c La phase de capitalisation : Les leçons des expériences 106 Conclusion 107 Méthodologie 113 Bibliographie / Entretiens 114

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Introduction

L’implication et le rôle des producteurs et distributeurs

de voyages dans la gestion du risque voyage

En guise d’introduction, je citerai cette phrase de Patrick Lagadec : « Il est une exigence en matière de sécurité : « ne jamais être en retard d’une guerre » ; L’impératif est d’autant plus critique aujourd’hui que notre monde est en proie à des ruptures majeures, accélérées et entrecroisées sur tous les tableaux : climat, santé publique, environnement, terrorisme, médiatisation mondiale en temps réel… »2 Les risques sont partout et multiples. Nous avons plus ou moins conscience des risques qui nous entourent mais c’est véritablement au moment où le risque devient réalité que nous y portons une attention particulière, souvent renchéris il est vrai par les médias. Cependant l’opinion publique, nous-mêmes, acceptons de moins en moins objectivement que le risque survienne. Je suis conscient que le risque existe mais il ne faut pas qu’il arrive. Là est le premier des paradoxes que nous étudierons. La notion de risque est complexe et celui qui nous intéresse, le risque voyage, l’est d’autant plus qu’il doit s’envisager sous deux angles, celui du touriste qui achète un voyage et celui du professionnel qui le lui vend. L’un est engagé dans un processus de plaisir et il considère le voyage comme une évasion hors de son quotidien qui ne doit comporter aucun risque qu’il n’aurait pas mesuré. L’autre doit répondre de la sécurité de celui qui part et engager sa responsabilité afin que tout se déroule « pour le mieux ». La difficulté pour un professionnel du tourisme est donc de savoir rapprocher le niveau objectif du risque lié au voyage et la perception de ce niveau par le touriste. Certains risques latents deviennent des crises.. La crise est présente partout et si toutes les organisations ne sont pas complètement égales face au risque de crise, selon leur secteur d’activité ou leur notoriété, elles peuvent toutes être frappées un jour ou l’autre ; La crise a longtemps été considérée comme exceptionnelle, aujourd’hui certains experts se demandent si chaque entreprise ne serait pas en situation de crise latente permanente. Chaque entreprise, chaque organisme doit donc se préparer en interne comme en externe à devoir faire face un jour ou l’autre aux menaces qui peuvent peser sur sa pérennité comme 2 Patrick Lagadec, Docteur d'Etat en Science Politique (1980), Docteur en 3ème cycle, Paris-1 (1976), ancien Élève de l'ESSEC (1972), diplômé de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (1972).

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des menaces d’ordre technique auxquelles le professionnel doit être capable de répondre en mettant en œuvre notamment tous les moyens qui auront été au préalable préparés et testés lors d’exercices de simulation, des menaces d’ordre psychologique qui peuvent engendrer un processus de dégradation de l’image d’une entreprise ou d’une destination auprès du public ou encore des menaces d’ordre économique qui font que l’entreprise qui subit une crise est plus vulnérable face à une concurrence qui peut avancer de son côté et communiquer sur ses produits dépourvus eux de tous risques et prendre ainsi des parts de marchés supplémentaires. Les producteurs et distributeurs de voyages sont-ils suffisamment et correctement impliqués dans la gestion du risque voyage et par voie de conséquence dans la gestion des crises ? Ont-ils pleinement conscience que le risque obéit à une perception subjective liée aux individus ? Qu’il faut être préparé pour faire face à une crise ? Que le secteur du tourisme est plus vulnérable qu’un autre ? Qu’un process de référence peut être créé pour répondre à une crise ? Autant d’exemples de questions qu’une approche globale de la notion de risque, abordée en première partie de ce mémoire, nous aidera à répondre. Nous verrons qu’il s’agit d’une notion qui a évolué avec le temps puis nous tenterons d’explorer quelques pistes récentes pour les identifier et trouver des solutions pour mieux appréhender ces nouveaux risques que notre société industrielle a fait émerger. Il s’agira d’une vision générale, applicable à toute organisation. Mais est-ce désormais suffisant pour répondre aux risques nouveaux auxquels notre société doit faire face ? Citons en aparté le physicien Niels Bohr : « La prévision est un art difficile, surtout quand elle concerne l’avenir ». Doit-on aller vers de nouveaux modèles de gestion des risques ? C’est ce que nous étudierons avec de nouvelles approches de la notion du risque. Dans la deuxième partie, nous entrerons au coeur du sujet en tentant d’appréhender la perception du risque lié au voyage et de cerner les risques auxquels la profession peut être amenée à faire face. Comprendre les risques, évaluer et répertorier les terrains de crises est un travail essentiel et indispensable pour comprendre et appréhender une gestion de crise et son management. Nous verrons que si, par définition, beaucoup l’assimilent à un événement inattendu et imprévisible, certains experts pensent que les crises n’arrivent pas complètement par hasard et qu’elles sont plutôt un ensemble de dysfonctionnements qui mit bout à bout peut amener à la crise, Ce point sera l’un des sujets de la troisième partie qui sera consacrée dans un premier temps à la gestion et à la communication de crise tous secteurs confondus et à analyser comment les organisations l’abordent ou dans tous les cas devraient l’aborder. Si certains avancent que les crises sont prévisibles, alors pourquoi n’arrivent-on pas à les déjouer ? Nous verrons que des blocages existent et surtout que nous vivons une société de l’urgence qui nous aveugle.

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Nous aborderons ensuite cette question sous l’angle des producteurs et distributeurs de voyages. Le secteur est-il plus exposé qu’un autre et comment ces approches de gestion et communication de crise sont elles perçues ? Nous nous interrogerons également sur les crises potentielles de demain qui risquent de toucher le secteur et comment ce dernier s’est organisé pour faire face aux nombreuses crises qui le secouent depuis quelques années. Comment améliorer dès lors la compétence des acteurs du tourisme dans la prévention des risques et la gestion de crises ? L’exemple de quelques entreprises touristiques qui ont mis en place des dispositifs nous aidera à voir si cela est suffisant et si le secteur est suffisamment préparé. Nous terminerons par la suggestion non pas d’un modèle mais de quelques pistes que chaque organisme, quelle que soit sa structure, pourrait mettre en place pour se préparer efficacement à la gestion de crise.

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Première partie :

Le risque et l’approche du risque

I La notion de risque dans notre société Le risque, la sécurité ; des notions qu’il convient d’aborder pour comprendre la naissance de la gestion des risques, de crise et de la communication qui en découle. I-A Le risque, une notion difficile à cerner Les études consacrées aux risques se sont multipliées à partir des années 80. Depuis quelques années, le mot risque est à la mode. Nous parlons de risques naturels, de risques domestiques, de risques industriels majeurs, de risques du chômage, etc…Une personne est aujourd’hui exposée à des risques de toutes natures, dus en partie à la modernisation des sociétés. Nous vivons « une mise en risque » croissante du monde nous dit ainsi P.Peretti-Wattel. C’est l’une des nombreuses thèses défendue par Ulrich Beck 3dans son ouvrage paru en 1986, La société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Aubier, 2001. Il défend l’idée que notre société actuelle est devenue une « société du risque » différente de la société industrielle classique. En effet, elle ne se singularise plus seulement par sa capacité de production de richesses mais aussi par les risques produits par elle-même à travers son système productif et scientifique. Ulrich Beck a fortement contribué à l’émergence d’une « sociologie du risque », en plein essor depuis quelques années. Mais comment la notion de risque est-elle apparue dans nos sociétés. ? Chacun réclame le droit de se sentir en sécurité désormais mais c’est un long processus qui s’est mis en place. C’est un mot relativement récent qui a été inventé pour exprimer l’idée d’un danger. Son origine viendrait de l’italien « risco » mot lui-même dérivé du latin « resecum » (ce qui coupe) qui désigne dans un premier temps l’écueil qui menace les navires puis par la suite, tout danger encouru par les bateaux et marchandises en mer. Nous sommes au XVe siècle et c’est l’époque des grandes découvertes par voie maritime. La notion de risque est alors indissociable du monde maritime, milieu risqué par excellence à cette époque mais dont on va essayer de maîtriser « les coups du sort ». L’assurance maritime était née,

3 Ulrich Beck est professeur en sociologie à l’université de Munich

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I-A-1 De l’émergence de la sécurité à la notion de risque dans notre société C’est véritablement au XVIIIe siècle que naît le concept moderne de la sécurité avec la mise en place d’actions de prévention. La remise en cause du seul rôle de la « providence divine » dans la survenance des catastrophes semble actée désormais par la prise en charge humaine des systèmes de protection (surtout pour les épidémies qui sévissent à cette époque dans les villes). La notion de risque apparaît et se généralise avec la révolution industrielle. On assiste à une évolution lente de l’appréhension de la société des divers périls qui l’entourent. On est encore toutefois dans une approche du risque que l’on ne maîtrise pas C’est après la seconde guerre mondiale que les pouvoirs publics en France s’intéressent à la question et cherchent à répondre au besoin de sécurité des citoyens (mise en place de la sécurité sociale en 1945). On peut selon le terme de P.Peretti-Wattel parler de l’invention « du risque social moderne » On prend conscience de certains dangers qui menacent comme les accidents du travail, le chômage, les risques écologiques…F. Ewald4 parle de « l’émergence de l’Etat providence », L’homme a donc du peu à peu se forger des outils pour répondre aux besoins de sécurité grandissants et inhérents à notre société industrielle naissante et apprendre à gérer des risques nouveaux. Christine Dourlens parle de « conquête de la sécurité »5. Mais jusqu’ou peut-on aller en matière de conquête de sécurité ? Existe t il des limites ? I-A-2 De nouvelles tendances sociétales : le besoin de sécurité et de « réassurance » : Avec le développement au XXe siècle de tous ces dispositifs pour lutter contre l’insécurité et les risques de tout ordre, la société a développé de plus en plus une aversion au risque et une appréhension grandissante face au danger. La notion d’insécurité est devenue un thème majeur dans nos sociétés occidentales. Parallèlement, s’est affirmée l’idée que toute vie humaine avait un prix. Notre société se caractérise donc par une hypersensibilité au risque, certainement renforcée par la « surmédiatisation » des catastrophes en tout genre qui surviennent à travers le monde. Nous vivons dans une société angoissée où chaque instant l’individu a besoin de réassurance.. Pourtant, notre société n’a jamais bénéficié d’autant de protection, d’assistance, de droits, la sécurité est au cœur du débat. Comme si on avait besoin de se rassurer, de poser des limites à ce monde que l’on a de plus en plus de mal à contrôler et qui nous échappe. Ce sentiment de sécurité demeure toutefois plus important dans les pays industrialisés même si le phénomène est mondial. Plus les sociétés sont riches, plus elles veulent se protéger. François Ewald6 nous apporte un autre éclairage. Pour lui les Français n’ont pas une aversion si marquée au risque. C’est plutôt du fait d’avoir été placé dans une situation à risque sans

4 Histoire de l’état-providence en libre de poche, éditions Grasset, 1996 5 Conquête de la sécurité, gestion des risques » éditions l’harmattan, Christine Dourlens, JP Galland, 1991

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avoir été informé alors que d’autres savaient, qu’ils développent une intolérance au risque. On a tendance à penser que le poids du risque doit être reporté sur celui qui est supposé en être à l’origine et qui a priori détient l’information en ayant la connaissance du produit ou du service mais avec la révolution des NTIC et l’accès à tous à l’information, on peut envisager le partage du risque d’une façon plus consensuelle avec celui qui accepte de le courir en connaissance de cause et d’information. Toujours est il que pour répondre au besoin de sécurité et donc d’une certaine façon prévenir le danger, un cadre de référence peut-être défini, des lois établies, des structures mises en place, des politiques de prévention et d’organisation mises en œuvre. La progression des sciences, des connaissances font que des phénomènes autrefois jugés inexplicables voire « surnaturels » sont devenus maîtrisés ou tout du moins peuvent se comprendre et les causes identifiées. L’éradication des risques pourrait alors s’envisager au fur et à mesure des découvertes et des progrès de la science ? De cette maîtrise des risques pourrait-on envisager un jour, d’atteindre le risque Zéro ? I-A-3 Le risque zéro : un paradigme des sociétés industrialisées ? Depuis le XVIIIe siècle, nous vivons dans une idée de progrès. Mais avec ce progrès qu’il soit technique ou scientifique les risques se sont multipliés et complexifiés. On a longtemps cru que la science pourrait résoudre les grands problèmes du monde et que la technique était liée au progrès de l’humanité. La réalité est tout autre et beaucoup plus nuancée. Pour Edgar Morin, « nous avons quitté la foi dans le progrès et notre confiance en l’avenir a laissé la place à une incertitude immense et un vide existentiel ». Le monde s’est globalisé. Pour certains sociologues contemporains comme Ulrich Beck7, les progrès de la science nous auraient même fait basculer dans la « société du risque » et seraient source de nombreuses catastrophes écologiques ou technologiques comme les accidents nucléaires, les marées noires, qui sans le progrès n’auraient pas existé. Pour lui le risque est avant tout généré par notre société industrielle, la nature n’est plus seule responsable des catastrophes. Donc les risques d’hier pour certains maîtrisés ne sont plus forcément ceux d’aujourd’hui, d’autres apparaissent auxquels il faut faire face. Au cours de ces dernières années, la multiplication des accidents et la répétition des crises a mis à mal l’idée que nous pouvions nous faire du progrès et par la même l’idée du risque Zéro. Pour Patrick Lagadec et Xavier Guilhou, il ne serait même qu’un pur produit de notre société de consommation et de sa propension à vouloir tout contrôler. Force est de constater que le risque nul n’existe pas. L’utopie du risque zéro et de la garantie de la sécurité totale est un leurre et de nombreuses politiques publiques en ont fait les frais dans les années 80/90 notamment en matière de sécurité routière. C’était prévisible nous indique P.Peretti-Watel pour la simple et bonne raison « qu’à chaque risque sont associés des facteurs de risques caractéristiques dont la présence accroît la probabilité d’occurrence du risque mais sans en constituer une cause

6 François Ewald est philosophe et directeur de la recherche et de la stratégie à la Fédération française des sociétés d'assurances. Il est aussi spécialiste de l'étude du risque. Article paru dans l’express du 6/2/2003 7 Ulrich Beck est un sociologue allemand né en 1944 et auteur notamment de « société du risque » (1986)

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nécessaire et suffisante »8. L’autre explication est « l’intrusion » du facteur humain. D’une part parce que les individus ne recherchent pas forcément le risque zéro et sont même prêts à s’exposer à un certain niveau de risque qu’ils jugeront « acceptable » selon le bénéfice qu’ils peuvent en retirer. Le risque est inhérent à l’existence humaine pour Sylvain Allemand9 , fût-ce à des degrés variables selon l’âge, le milieu social ou le métier… Nous aborderons plus en détail ce sujet dans notre approche sociologique du risque ci-après. La notion de risque devrait donc être perçue plutôt comme un réducteur d’incertitude, caractéristique de l’activité prospective d’un individu qui cherche à maîtriser son avenir ou celui des autres. Que nous dit justement l’approche scientifique à ce propos ? I-B Une approche scientifique du risque Après avoir tenté de cerner la signification du mot risque depuis sa naissance jusqu’à notre société actuelle et avant d’aborder l’éclairage scientifique à propos de cette notion, revenons sur la définition même du risque et les différents types de risques que nous pouvons rencontrer. I-B-1 Quelques définitions Dans le langage courant, le risque est « un danger éventuel plus ou moins prévisible » (Petit Robert) ou « un danger, inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé (Petit Larousse). Pour Denys Bresse, professeur de génie civil à Bordeaux, le risque résulte de la conjonction d’un aléa et de l’existence des enjeux. Il n y a donc selon lui ni risque sans aléa, ni risque sans enjeux. Un aléa étant ce qui qualifie tout événement, phénomène ou activité humaine imprévisible qui peut provoquer la perte de vies humaines, des blessures, des dommages aux biens, des perturbations sociales ou économiques ou la dégradation de l’environnement et les enjeux sont l’ensemble des éléments (population, infrastructures, activités et organisations, patrimoine environnemental) qui peuvent être exposés au danger.

8 On peut illustrer ce propos par le risque d’avoir un cancer du poumon qui peut atteindre des non-fumeurs et au contraire ne pas toucher des fumeurs, il n’en est pas moins vrai que cette maladie touche plus souvent les fumeurs 9 Sylvain Allemand est journaliste et essayiste, source « les paradoxes d’une société du risque »

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Nous pouvons illustrer cela par le dessin ci-dessous :

La figure 1, montre que nous ne sommes en présence que d’un aléa (l’arbre peut tomber) La figure 2, montre les enjeux : la présence d’un village au pied de la falaise et au-dessus de l’arbre La figure 3, est la conséquence du risque qui s’est transformée en catastrophe I-B-2 Une typologie des risques On peut regrouper les différents types de risques en cinq grandes familles - Les risques naturels (avalanches, mouvement de terrain, tsunami, épidémies..) ; - Les risques technologiques ; - Les risques de transports collectifs; - Les risques de la vie quotidienne (accidents domestiques) ; - Les risques liés aux conflits. Il faut distinguer les risques aussi selon leur fréquence et leur intensité selon le tableau ci-dessous : Fréquence Très élevée Moyenne Faible Gravité Faible Modérée Extrême

Exemple Accident de voiture avec tôles froissées. Chute de pierres sur une route de montagne

Grave accident de la route. Glissement de terrain affectant quelques maisons.

Catastrophe des transports. Glissement affectant une ville.

Classification des types de risques selon la gravité et la fréquence. Il s’avère que les risques les plus fréquents affectent peu d’individus à chaque occurrence, c’est en fait leur cumul qui peut avoir des conséquences significatives. Ce sont eux que l’on qualifie de « risques de la vie quotidienne » ou risques individuels comme les accidents

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domestiques ou de la route. Ce que l’on appelle les risques majeurs sont répertoriés au niveau de la troisième colonne. L’accident majeur ou la catastrophe se définit donc à partir de l’intensité ou de la gravité des conséquences. Un risque majeur peut donc se définir comme « un événement d’importance majeure tel qu'une émission, un incendie ou une explosion résultant de développements incontrôlés survenus au cours d'une activité, entraînant pour la santé humaine ou pour l'environnement, à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone d'activité, un danger grave, immédiat ou différé. Par extension, « un accident majeur peut caractériser la succession d'événements imprévus susceptibles de mettre en péril une activité humaine ou avoir un impact socio-économique notable, sans toucher ni à la santé, ni à l'environnement » (Denys Bresse) I-B-3 Le risque et les calculs de probabilités La notion de risque est liée à la notion de probabilité. C’est même ce qui la diffère du danger ou de la menace dans la mesure où un danger est réel, pour lequel on est physiquement exposé alors qu’un risque exprime une probabilité. La naissance du risque a été en fait le fruit d’une nouvelle conception du danger et témoigne de la volonté de contrôler les caprices de la nature et du destin suite aux développements des grandes expéditions maritimes qui prirent leur essor dès le XVe siècle en Europe et particulièrement en Italie. Le risque va devenir prévisible et calculable grâce aux développements de la statistique publique et au calcul des probabilités qui va devenir un formidable outil de prévision pour l’ensemble de la société industrielle du XXe siècle. Cet outil va permettre d’estimer avec précision la probabilité d’occurrence d’un événement qui n’est encore jamais arrivé. On pourrait alors caractériser le risque dans une approche scientifique comme étant la recherche d’une mesure de la probabilité et de la sévérité des conséquences négatives d’un aléa sur la vie, la santé, les biens matériels ou l’environnement (Denys Bresse). I-B-4 La construction de nombreux modèles économiques Historiquement, la science économique est la première à s’être intéressée au risque avec la microéconomie et « l’homo oeconomicus. La plupart des décisions économiques se prennent dans un environnement « risqué » dont on ne connaît pas avec certitude les tenants et les aboutissants. Les agents économiques qui sont par défaut des agents rationnels sont amenés à prendre des décisions et optimiser des choix (fonction d’utilité) dont les conséquences ne sont pas forcément connues mais qui oeuvrent dans le sens de la recherche d’un bien-être. C’est le cas pour des décisions d’investissement, d’assurance mais également en matière de voyage (la particularité étant que la consommation du produit touristique est simultanée à sa production et donc l’individu qui achète son voyage ne peut pas savoir avec certitude avant son départ si le produit sera conforme à ses attentes).

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Pour tenter de formaliser ce problème de choix dans un environnement incertain, les économistes ont élaboré de nombreux modèles et se sont penchés sur le mécanisme des jeux, déjà étudiés d’ailleurs par Blaise Pascal au XVIIème lorsqu’il jeta les bases du calcul probabiliste10. Le cadre théorique de ces modèles reste identique : mettre en scène un joueur rationnel, confronté à diverses loteries entre lesquelles il doit répartir de façon optimale ses ressources. Une des solutions apportées est celui du modèle d’espérance d’utilité, encore utilisé et qui a montré sa valeur comme le souligne Christian Gollier11, en tant qu’outil d’aide à la décision dans un certain nombre d’applications comme la gestion de portefeuilles des ménages ou le choix d’assurance individuelle. A l’origine de ce modèle, Bernoulli en 1738 démontre déjà à cette époque l’aversion des individus pour le risque. Au fil des années, le modèle s’enrichit et se précise grâce à des économistes comme Friedman et Savage en 1948 qui vont introduire la notion de prime de risque 12 (qui mesure l’intensité de l’aversion pour le risque d’un décideur) ou encore J.Pratt et K.Arrow dans les années 1960 qui proposeront différentes définitions de l’aversion au risque. Mais c’est avec Von Neumann et Morgenstern en 1947 que la fonction d’utilité fit son entrée dans le domaine du risque. Ce modèle a été largement utilisé en économie mais aussi dans le monde de la finance. De nombreuses expériences par la suite semblent avoir montré les faiblesses du modèle d’espérance d’utilité à rendre compte du comportement réel des agents. Le modèle « d’utilité dépendante du rang » développé par Quiggin en 1982 est donc né des faiblesses du modèle d’espérance d’utilité. Toutefois, ces modèles n’ont principalement abordé que la prise de décision dans un univers risqué, or l’univers dans lequel peut-être prise la décision accepte 3 possibilités : - Un univers risqué - Un univers incertain - Un univers indéterminé Dans le premier, le décideur sait les évènements qui peuvent se produire dans le futur et connaît leur probabilité d’occurrence pour chacun d’eux. Pour le second, le décideur sait également les évènements qui peuvent se produire mais pas les probabilités correspondantes (les sociologues utilisent le terme de « probabilités subjectives »). Enfin pour l’univers indéterminé, le décideur ne connaît ni les évènements possibles ni par conséquent leur probabilité. C’est le cas typique d’un entrepreneur qui s’apprête à investir dans une innovation technologique. C’est là qu’une approche sociologique du risque peut compléter et explorer des champs différents de l’aspect parfois trop théorique et normatif des économistes que ces derniers ont de la « décision dans le risque »

10 Le pari de Blaise Pascal, nom donné à un passage de son livre des « Pensées » ou il explique le gain que l’on peut avoir à croire en Dieu. C’est la première application du calcul des probabilités. 11 Christian Gollier, professeur d’économie à l’université de Toulouse I et à l’école Polytechnique. 12 La prime de risque est la somme maximale que l'individu est prêt à payer pour remplacer une loterie par l'obtention avec certitude de son espérance mathématique.

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Toutefois avant d’aborder l’approche sociologique du risque, il faut mentionner que depuis les années 70, on voit se dessiner une économie du risque se rapprocher partiellement des sociologues. Les économistes s’intéressant de plus en plus aux univers incertains et indéterminés, notamment avec la théorie des jeux. I-C Le risque, une construction sociale avant tout Nous venons de constater que le risque n’est pas purement aléatoire dans la mesure où sa probabilité d’occurrence varie selon les individus et les situations. Il serait réducteur de penser qu’il ne peut exister qu’une seule approche du risque matérialisé par le discours scientifique. Même s’il est vrai que la science dispose théoriquement des outils permettant de mesurer, prévoir et gérer les risques, elle ne s’appuie somme toute que sur des logiques rationnelles. Ces dernières sont-elles suffisantes pour appréhender le risque ? Pour le sociologue P.Peretti-Wattel,13 Le risque est avant tout une « construction sociale » Les individus ne perçoivent pas le risque, le danger de la même façon ; « nos perceptions du risque ne sont pas indépendantes de notre identité culturelle, ni des rapports sociaux dans lesquelles nous nous inscrivons ». Pour Anne Marie Mamontoff14, « Les risques sont pensés socialement et décodés selon des grilles culturellement marquées » La logique scientifique du risque ne suit pas forcément la logique sociale et culturelle de chacun. Pour rebondir, P.Peretti-Watel parle même de dissonance entre experts et profanes dans le cas de « conduites à risque ». L’expert ne comprenant pas « l’irrationalité » du profane qui ne perçoit pas forcément le risque sous le même angle (on s’inquiète pour du maïs transgénique mais on n’hésite pas à multiplier les infractions du code de la route et à se mettre en danger au volant). Toutefois, il ne s’agit pas ici d’opposition entre un discours d’experts trop ardu et d’un manque de compétence technique du commun des mortels, Nous sommes dans un autre registre, celui du « biais culturel » ou les attitudes et opinions que nous pouvons avoir face au risque dépendent aussi des valeurs auxquelles nous croyons. Dans un autre registre, prendre des risques, c’est aussi une façon de se croire invincible et se forger une identité (cette approche est surtout vraie chez les jeunes15). Ou encore, on peut vouloir mettre un risque à distance en estimant que ce risque ne concerne qu’une catégorie d’individus à laquelle bien évidemment on n’appartient pas (cela n’arrive qu’aux autres) . « Le profane ne se contente pas de percevoir les risques auxquels il est exposé, il tente aussi de les conjurer, de les nier, par des pratiques mais aussi par des croyances »16 C’est ce que l’on appelle « le déni du risque ». 13 Agrégé en sciences sociales, Patrick Peretti-Watel est docteur en sociologie du risque et statisticien. Il a écrit notamment de nombreux ouvrages sur le risque dans la société, 14 Maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Perpignan, auteur de l’article « Quand les risques médiatiques supplantent les risques objectifs » 15 « Des conduites à risque comme rite de passage », David le Breton, professeur de sociologie à l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Auteur de Passions du risque (Métailié, 1991, rééd. 2000), 16 Extrait de l’article « Peur, danger, menace, le poids des représentations » Patrick Peretti-Watel, revue SH

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Il semble donc indispensable d’intégrer une dimension sociale et psychologique dans la perception des risques pour comprendre comment un risque peut-être amplifié ou au contraire atténué par les individus en particulier et l’opinion publique en général. Selon les valeurs auxquelles un individu croit et selon le style de vie qu’il a choisi, il aura tendance à craindre certains risques et à les éviter ou au contraire s’exposer à d’autres qu’il ne craint pas. Ceci révèle que l’on peut être exposé à un danger par ignorance mais aussi par la volonté d’une prise de risque. Nous verrons que cette approche est intéressante et prend tout son sens quand nous aborderons notre deuxième partie consacrée à la notion de risque liée au voyage. Ces approches économiques et sociologiques des risques sont semble t-elles déterminantes dans la compréhension des risques et leur évaluation. Elles permettent une meilleure prise de décision pour aborder au mieux et gérer des risques et surtout prévoir des campagnes de préventions concernant certains risques. Elles vont servir aux politiques publiques mais aussi au monde entrepreneurial. I-D La gestion des risques : une approche entrepreneuriale indispensable Pour Ulrich Beck, la gestion des risques est l’enjeu majeur de notre civilisation contemporaine. Qu’il soit généré ou pas par l’homme, on peut aborder le risque sous une démarche passive avec une idée de fatalité où l’homme serait exposé à un danger sans pouvoir réagir car cela ne sert à rien ou, au contraire, avoir une démarche plus active qui consiste à prendre conscience des dangers potentiels, tenter d’anticiper et d’avoir une attitude responsable en évaluant les risques. C’est ce que l’on appelle le « risk management » en entreprise. La définition d’un cadre de gestion des risques doit faire partie intégrante du management d’une entreprise qui doit apprendre à évaluer et gérer des risques, C’est une idée assez récente qui a pris son essor après les crises technologiques majeures qu’ont connues certains secteurs industriels et la prise de conscience des conséquences sur la dégradation de notre environnement. L’acceptation du développement durable dans ses dimensions sociale et culturelle a permis une accélération de l’urgence à ne pas faire n’importe quoi. Le danger pour une entreprise est qu’un événement inconnu ou imprévu surgisse et provoque l’effondrement des cadres référents de l’organisation et une perte de repères. La gestion des risques relève d’un processus comprenant des étapes bien définies. Elle permet à l’entreprise une meilleure prise de décision tout en fournissant une meilleure information sur les risques et leurs impacts éventuels. Il existe de nombreuses méthodes de management sur la gestion des risques et le but n’est pas de toutes les énumérer, d’autant que selon la taille des entreprises, de ce qu’elles vendent ou fabriquent, les risques ne seront pas les

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mêmes. L’idée est d’illustrer par un processus assez simple ce que toutes les entreprises devraient réaliser à minima pour une meilleure vigilance et connaissance de leurs risques potentiels. Eiling Hamso du European Event ROI Intstitute a ainsi mis en place un processus en trois étapes : - La première étape consiste en un « brainstorming » afin d’élaborer une liste de tous les risques possibles (sans négliger aucune piste même celle qui semble la plus banale) - La deuxième étape consiste à énumérer pour chacun des risques listés leur probabilité d’occurrence et surtout les conséquences possibles et les situer dans une matrice comme ci-dessous :

La section jaune représente des conséquences et des probabilités faibles, la section orange des risques de nature moyenne et la section rouge ceux de nature élevée. - La troisième et dernière étape est de déterminer les actions à entreprendre au regard de cette matrice Selon le risque, il peut être traité de plusieurs façons :

- Soit on peut l’éliminer - Soit on le traite en diminuant le risque (fréquence et conséquence) - Soit on le transfère à des sous-traitants ou des assureurs (cas du tourisme) - Soit on le tolère

L’objectif est de ne laisser aucun risque dans la section rouge. Cette méthode n’est pas infaillible et une entreprise peut se retrouver dans une situation qu’elle n’avait pas imaginée donc pas listée. Toutefois, le fait d’avoir déjà réfléchi à des situations qui peuvent être comparables nous permet d’être moins surpris et plus aptes à réagir.

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Enfin la gestion des risques pour être efficace doit impliquer au moins deux dimensions interdépendantes. D’abord une dimension technique, qui doit déterminer les coûts et les bénéfices attendus, ainsi que le degré d’acceptabilité du risque. Ensuite une dimension humaine, qui implique un dialogue avec les personnes concernées, et en particulier, au sein d’une entreprise, avec les salariés, avec les métiers, pour que leurs points de vue, leurs besoins et leurs objectifs propres soient pris en compte. Ce sont encore bien souvent les grandes entreprises qui se sont dotées d’un département de gestion des risques mais on voit aussi peu à peu apparaître dans des sociétés de plus petite taille des personnes en charge des risques et des crises. C’est le cas notamment dans le secteur touristique, particulièrement vulnérable dans ce domaine et que nous traiterons plus loin. Toutefois, les risques évoluent, les modèles classiques de gestion des risques ne sont plus suffisants. La mondialisation, la montée du capital immatériel ou encore la montée du souci sécuritaire des consommateurs donnent une dimension transversale qui pèse sur les entreprises d’aujourd’hui. D’autres approches sont devenues nécessaires Nous allons tenter de donner quelques pistes à explorer qui rendent compte de cette évolution. II Vers une évolution de l’approche du risque ? Pour faire face à un environnement de plus en plus complexe et instable, les entreprises doivent impérativement avoir une approche systématique de leurs risques. Les risques évoluent et la recherche de nouveaux outils de maîtrise des risques est plus que jamais d’actualité. La cindynique peut apporter des éléments de réponse. II-A Une approche scientifique globale des risques : La cindynique ou la

science du danger Le but ici n’est pas de détailler le modèle (intitulé l’hyperespace du danger) proposé par les cindyniques qui sert de base à l ‘étude des dangers mais bien de le présenter comme une piste de réflexion possible pour les organisations et les aider à mieux comprendre et appréhender les dangers et les risques qui les entourent. La cindynique (du grec Kindunos qui signifie danger) est une discipline récente qui se propose d’aborder le risque par une approche globale transdisciplinaire qui intègre les sciences humaines et celles de l’ingénierie. Cette discipline est actuellement supportée et développée par l’institut européen des cindyniques17 .

17 Associé depuis 2006 à l’institut pour la maîtrise des Risques et la Surété de fonctionnement, l’ensemble forme désormais IMdr.(institut pour la maîtrise des risques – Sureté de fonctionnement – management cindyniques)

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Ce concept a émergé suite aux importantes catastrophes technologiques que notre planète a connues à partir des années 70 comme Seveso en 1974, l’Amoco Cadiz en 1976, Bhopal en 84 et surtout Tchernobyl en 1986 ; C’est Georges-Yves Kevern18 qui promu cette nouvelle discipline dans les années 80. Les domaines d’application de cette science se sont élargies au fil du temps et étudient aussi bien les risques diffus comme les accidents de la route, domestiques que les crises majeures comme le terrorisme ou encore les atteintes au fonctionnement de la société telles que les violences urbaines, les trafics de stupéfiants…Sur un plan managérial, la cindynique explore le champ organisationnel et la conduite au changement pour aider les entreprises et les organismes publics à construire des méthodes de prévention efficaces et apprendre à maîtriser les risques et ses outils. C’est une démarche qui se veut systémique et globale dans la mesure où elle cherche à prendre en compte tous les facteurs, les éléments, les influences qui expliquent les différents risques, déterminent leurs caractères, leur occurrence et leurs conséquences ; elle veut préciser leur jeu exact, leurs interrelations, quelle que soit leur origine, naturelle, sociale, économique, etc., en utilisant autant que possible les méthodes de la théorie des systèmes. Selon eux, s’il est difficile d’intervenir au plus fort d’une crise, il existe de nombreuses opportunités à d’autres moments. Leur objectif est donc d’aider les organisations (le réseau d’acteurs) à identifier des situations porteuses de danger, faciliter l’appropriation des connaissances et éventuellement se poser en médiateur si nécessaire, Même si pour beaucoup l’approche cindynique semble encore très théorique et complexe et difficile à mettre en pratique19, elle a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques à ses débuts, sa démarche est intéressante dans son approche systémique de l’appréhension d’un danger dans une organisation. Les cindyniques pensent qu’au-delà de défaillances techniques et/ou humaines, la dimension organisationnelle peut jouer un rôle prépondérant dans la survenance d’une catastrophe. Nous verrons en troisième partie que certains experts à l’instar de Christophe Roux Dufort, se rapproche de ce courant et aborde la survenance d’une crise comme pouvant être un ensemble de dysfonctionnements mis bout à bout, que les organisations n’auraient pas détectées. Il est à noter aussi que la recherche sur les risques et dangers commence à séduire les universités et les grandes écoles puisque la cindynique est enseignée entre autres à l’université 1 Paris Panthéon Sorbonne dans le cadre du Master de Gestion Globale des Risques et des Crises et à l’école des Mines de Paris avec une formation doctorale « Sciences et génie des activités à risques » Il semblerait que le milieu industriel et les pouvoirs public soient demandeurs de ressources dans ce domaine et que des formations similaires existent déjà depuis des années à l’étranger (dont les Etats Unis, les Pays Bas et l’Angleterre)

18 Georges Yves Kerven est l’un pionniers de la science des cindyniques 19 Pour illustrer comment on peut mettre en pratique le concept cindynique : cf les pages 33 à 37 du site : http://www.mines.inpl-nancy.fr/~verdel/cindy/opensupport/risquesgc.pdf

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Pour illustrer et conclure sur la cindynique, citons,20 le professeur Jean Louis le Moigne, professeur émérite à la faculté d’Aix-Marseille et spécialiste de la Systémique : « Les cindyniques, "sciences du danger" nées en 1987 et depuis "en irrésistible essor", assumant... sans complexes la complexité de leur objet, constituent peut-être aujourd'hui un des premiers prototypes des "très nouvelles sciences", celles qui vont se développer au XXIe siècle dans l'interaction permanente de l'épistémique et de l'empirique. Empirique ? : si nous ne voulons pas subir passivement Tchernobyl, Bhopal ou la contamination sanguine ; épistémique ? : si nous voulons pourtant raison garder, et même ingéniosité susciter, sans nous résigner aux mythes de la punition divine ou aux expédients de la technique du bouc émissaire » Un nouveau modèle à explorer donc pour les entreprises mais pas suffisant pour aborder certains risques dont la finalité est devenue incertaine. Depuis quelques années, on constate une évolution dans l’analyse scientifique du risque à savoir que l’on intègre de plus en plus l’idée que l’on se sait pas tout, voire, pas grand-chose dans certains cas (OGM, changement climatique). II-B Les limites du modèle assurantiel Selon le modèle économique, la conception de risque s’inscrit dans une logique rationnelle d’anticipation probabiliste. Percevoir un risque, c’est évaluer sa probabilité d'occurrence et la gravité de ses conséquences. C’est sur cette logique que repose le principe des assurances. Le calcul des risques est le nerf de la guerre du monde assurantiel nous dit François Ewald. La base du métier d’assureur est donc de prendre des risques et de les évaluer. Si nous nous basons sur l’une des définitions du risque que nous donne le dictionnaire, nous notons qu’il s’agit d’un « préjudice, sinistre éventuel que les compagnies d’assurance garantissent moyennant le paiement d’une prime » (Larousse). Ce sont les rôles des actuaires 21qui selon des statistiques établissent des modèles probabilistes qui aboutiront à la création de polices d’assurances qui permettront aux individus et aux entreprises de s’assurer contre des risques. On a commencé à assurer les risques sociaux (vieillesse, pauvreté, maladie..) puis on a poursuivi avec la « mise en risque » des vols, des accidents de la route (risque urbains), des inondations ( risque naturels), les accidents domestiques. On peut distinguer deux types de risque en assurance : les risques d’intensité à l’instar des risques industriels et les risques de fréquence ou de masse telles que les multirisques habitation, automobile, tempête ou encore inondation.

20 Extrait tiré sur le site http://www.intelligence-complexite.org/ 21 Dans le domaine de l’assurance, l’actuariat désigne les techniques d’évaluation des polices d’assurances à partir des méthodes statistiques et des calculs de probabilité

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Or le problème majeur actuel auquel est confronté le monde assurantiel est l’évolution des types de catastrophes et leurs conséquences. On serait tenté de penser que cette dernière décennie à été l’objet d’un nombre grandissant de catastrophes et de crises en tout genre mais il est difficile de dire si cette dernière décennie est objectivement plus dangereuse que les précédentes. Nous pouvons citer cette phrase de François Ewald: » Depuis le déluge, nous pensons aux catastrophes. Pendant très longtemps, celles-ci étaient naturelles. Désormais, elles sont aussi le fait de l'homme: attentats, risques technologiques, modifications du climat ». Une chose est certaine, par la circulation de l’information, elles sont plus proches de nous et prennent parfois des dimensions économiques insoupçonnées. Prenons l’exemple des dernières inondations qui ont touché la Thaïlande. Ce pays a l’habitude d’être régulièrement touché par ce type de catastrophe. Ce qui a changé depuis quelques années, c’est l’aspect économique qui est venu s’y greffer. La Thaïlande est l’un des pays ou se fabrique désormais la majorité des composants électroniques utilisés dans le monde entier pour la fabrication des appareils photos, portables ou encore ordinateurs. Les inondations ont provoqué un arrêt net de cette fabrication donnant lieu à des ruptures de stocks un peu partout dans le monde. Les assureurs ont chiffré les dégâts à des sommes supérieures à ceux de la centrale de Fukushima…(Bernard Paul, courtier en assurance) Les risques amènent d’autres risques que l’on ne soupçonnait pas jusqu’à présent. Comment faire face aux risques de type sécheresse, à la concentration grandissante des populations dans des zones à risque (type inondations), la déforestation ou encore tout simplement les risques provoqués par la main de l’homme (bitume à outrance provoquant des inondations car les sols sont de moins en moins perméables) Avec l’exemple cité ci-dessus, on se rend bien compte que les catastrophes qui menacent notre société comme les catastrophes technologiques, écologiques voire terroristes ( les attentats du 11 septembre 2001 ont été catastrophiques sur l’économie mondiale) sont devenues difficilement probabilisables et par conséquent de moins en moins modélisables et assurables. Selon F.Ewald les risques technologiques peuvent avoir de tels effets secondaires graves qu’ils en deviennent difficilement probabilisables. La logique assurantielle et donc le modèle économique de la gestion des risques devient par la même remis en cause. Les primes d’assurances et provisions pour sinistres ayant de plus en plus de mal à couvrir des frais de plus en plus exorbitants. Un autre problème soulevé par Dominique Paul 22 est celui du modèle économique et financier que suivent les compagnies d’assurances depuis quelques années. Elles sont désormais plus dans une logique de rendements financiers à court terme qu’une logique à moyen et long terme qui permettait avant de réinjecter de l’argent dans le tissus économique Aujourd’hui, regrette Dominique Paul « on a tendance à confondre le métier d’assureur avec celui de banquier. C’est un vrai problème ». Pour tenter de répondre et de faire face à ces nouveaux risques, d’autres éléments de réponse tentent de voir le jour, le principe de précaution est l’une des pistes. 22 Dominique Paul est directrice générale au sein de Générali réassurance courtage

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II-C Le principe de précaution, une nouvelle approche d’analyse

économique basée sur l’incertitude. Le principe de précaution : une nouvelle façon d’appréhender les risques d’aujourd’hui ? L’application du principe de précaution peut-être vu comme une réponse aux nouveaux risques qui nous entourent et auxquels nous allons devoir faire face sans avoir la certitude réelle de pouvoir y faire face. Le principe de précaution a été médiatisé lors de son application pour la campagne de vaccination contre le virus la grippe H1N1 en 2010. C’est toutefois une notion qui date du début des années 80 suite à la préoccupation du gouvernement allemand sur l’état alarmant de la mer du Nord. L’idée est lancée de prendre des mesures pour éviter des impacts dommageables sur l’environnement et ce même s’il n’existe pas de preuves scientifiques avérées... . »Le principe de précaution interdit de reporter la décision au motif d’une incertitude scientifique » 23 . C’est lors du sommet de la terre à Rio en 1992 que l’on intègre le principe de précaution à égalité avec les principes de responsabilité, de coopération ou de participation. Ces principes définissent en quelque sorte les nouvelles relations des hommes entre eux avec la Terre. Il est entré dans le droit français avec la loi Barnier de 1995 et désormais intégré à la constitution de la Ve République dans le cadre de la charte de l’environnement (adoptée le 28/2/2005). Si initialement le principe de précaution s’applique essentiellement à une démarche environnementale, il ne cesse depuis une trentaine d’année de s ‘étendre et de se renforcer. Il est désormais indissociable de la philosophie du développement durable et s’applique aussi à la protection de la santé humaine, animale ou végétale. C’est ainsi que l’Union Européenne en donne une définition : « Le principe de précaution peut être invoqué quand il est besoin d'une intervention urgente face à un possible danger pour la santé humaine, animale ou végétale, ou pour la protection de l'environnement dans le cas où les données scientifiques ne permettent pas une évaluation complète du risque « 24 Il semble donc que le principe de précaution se soit imposé peu à peu comme la réponse la plus adéquate en situation d’incertitude.

23 Le principe de précaution, François Ewald, Christian Gollier, Nicolas de Sadeleer, Colleciton Que sais-je, éditions PUF 2008 24Extrait de la définition du principe de précaution du portail de l’union européenne « Europa »http://europa.eu/legislation_summaries/consumers/consumer_safety/l32042_fr.htm

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II-C-1 Le principe de précaution : une réponse plus actuelle à la gestion des risques et à l’incertitude.

Comment passer d’un univers risqué mais certain à un univers incertain dont on ne connaît pas grand-chose, Pour Dominique Bourg25, le principe de précaution est, je cite : « un principe d’action qui nous incite face à des dommages potentiels graves, voire gravissimes, et ce dans un contexte d’incertitude scientifique, à prévenir le danger sans attendre d’avoir levé cette incertitude » Mark Hunyadi, professeur de philosophie nous dit : « La précaution vise les risques dont ni l’ampleur, ni la probité d’occurrence ne peuvent être calculés avec certitude, compte tenu des connaissances du moment. On peut donc en déduire qu’il existe deux conditions à la mise en œuvre de ce principe. La première étant la gravité présumée du risque, la seconde est l’incertitude scientifique par un défaut de connaissances face au risque encouru. Le principe de précaution ne s’applique pas à tous les risques mais à ceux que l’on appelle « les risques technologiques matériels différés ». Les cas de l’amiante et du distilbène, dont on connaît désormais les causes et les effets, en sont des cas typiques mais ce n’est pas le cas d’autres risques dont on ne connaît pas précisément les tenant et les aboutissants. On peut citer les émissions exponentielles de carbone, soufre ou azote et molécules de synthèse dans l’atmosphère, auxquelles on associe les risques suscités par le changement climatique ou encore la montée de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Dans le premier cas, les causes sont mesurables mais les effets paraissent encore incertains et dans le deuxième cas, c’est l ‘inverse, les effets sont mesurables mais les causes demeurent entourées d’incertitude. Ce qui est certain, c’est que dans les deux cas cités, il y a incertitude et c’est cette incertitude qui conduit au recours à la précaution face à ces deux types de risques. Pour appliquer un principe de précaution dans sa dimension économique, il faut faire l’analyse du coût bénéfice pour savoir s’il est bénéfique ou pas d’appliquer le principe de précaution. II-C-2 Les erreurs d’interprétation possibles du principe de précaution II-C-2-a) Précaution ou prévention : deux notions distinctes souvent confondues La perspective de précaution intègre la notion la prévention. Pour appliquer une politique de précaution (obtenir des résultats), il faut prendre des mesures de prévention (mise en place de moyens) Mais la réelle différence entre la précaution et la prévention est dans le degré de preuves ou certitudes scientifiques. La prévention s’applique à des risques identifiés contrairement à la précaution qui se rapporte à des situations incertaines. La précaution est 25 Dominique Bourg est philosophe et l’auteur avec Jean Louis Schlegel du livre : « Parer aux risques de demain, le principe de précaution »

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envisagée comme une démarche anticipative pour aller au-devant du risque avant qu il ne se réalise. « La précaution concerne les risques mal connus et entachés d'incertitude, la prévention, les risques connus et éprouvés » nous dit Dominique Bourg Pour le sociologue Patrick Peretti-Watel, le principe de prévention c’est « l’ensemble des activités qui visent à réduire la probité d’occurrence d’un risque vers zéro et éviter qu’il n’arrive ». De nos jours, la prévention est liée directement à la notion de risque, qui est ni plus ni moins selon lui, qu’une façon d’appréhender les choses et de les maîtriser. II-C-2-b) Le principe de précaution n’a pas l’ambition du risque zéro Il serait faux de penser que l’application à la lettre du principe de précaution peut déboucher sur le risque-zéro dans la mesure où la précaution ne concerne que les risques gravissimes qu'elle cherche à réduire pour en minimiser les effets dommageables. C’est le cas du changement climatique. II-C-2-c) Le principe de précaution, un frein à l’action ou être responsable La précaution est souvent assimilée à une attitude attentiste. Mais ce n’est pas son objectif nous précise Dominique Bourg, au contraire : « c'est tout sauf s'abstenir dans le doute ; la précaution incite à agir et à prévenir le danger en dépit du doute ».

Mais attention nous dit Patrick Lagadec" : « s’il est mal utilisé, il peut devenir "une dégradation du régime de responsabilité".

Quant à F.Ewald26, il nous alerte que trop de précaution peut empêcher l’innovation et donc la non prise de risque et ce, par crainte justement d’avoir trop à se justifier sur les risques encourus de telle mise en projet. Par précaution, on va inciter à « repérer les risques » en faire un inventaire pour les rendre visibles et parfois même être sanctionné pour ne pas l’avoir fait… La précaution peut donc encourager en son nom, une certaine prolifération indéfinie des risques réels ou supposés et amener à une certaine confusion quant à son application. A vouloir trop appliquer le principe de précaution, on peut penser qu’il peut perdre de sa pertinence. Enfin D. Bourg attire notre attention sur le fait que la précaution ne constitue nullement un principe antiscience et anti-progrès car selon lui, la mettre en oeuvre implique justement que l’on produise des connaissances nouvelles : « si ces dernières confirment le danger, la précaution s'efface devant la prévention ; si tel n'est pas le cas, les mesures par définition provisoires prises au nom de la précaution sont levées ».

26 Que sais-je « le principe de précaution » p 36

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II-C-3 Le principe de précaution : une dimension sociale du risque Le plus difficile reste d’identifier les risques et surtout d’évaluer le niveau de risque « acceptable » par la société qui doit supporter le risque. En effet l’application du principe de précaution n’est pas toujours en adéquation avec l’opinion publique (on l’a constaté avec la vaccination contre la grippe A/H1N1 en 2010), la pression des médias et des hypothèses pas forcément vérifiées : Ce qui est « à priori » optimal compte tenu des connaissances scientifiques du moment peut apparaître néfaste à « postériori » et inversement 27 « La logique de précaution devient une condition d’acceptabilité sociale du risque. Même si cela peut paraître coûteux, superfétatoire, inutile, irrationnel, il faut s’y plier. La dimension sociale du risque prend le pas sur la dimension technique » nous dit F.Ewald. Pour H. Curien, « La précaution conduit à envisager toutes sortes de choses qui ne peuvent êtres démontrées, mais qui sont émotionnellement évoquées, on vous demande quoi que vous fassiez, d’être en mesure de prévenir un événement qui n’est pas prévisible, mais dont on ne peut pas dire qu’il n’aura pas lieu »28 Quoi qu’il en soit, le principe de précaution doit être pris au sérieux car il résulte d’une prise de conscience de l’inévitable incertitude produite par la progression même de nos connaissances. A ce niveau, le discours de Dominique Bourg rejoint l’approche sociologique d’Ulrich Beck qui pense que les domaines de la recherche scientifique et technologique ne peuvent tout expliquer. « Nous pensions il y a encore peu, que la certitude de nos connaissances débouchait sur la maîtrise technique des phénomènes. Force est de constater aujourd'hui que ladite maîtrise engendre à court terme de l'ignorance et, à moyen et long terme, des effets aussi indésirables qu'imprévisibles »29. Selon U.Beck, on assiste à une disparition du monopole scientifique sur la connaissance, «la science devient de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une définition socialement établie de la vérité 30» II-C-4 Les limites du principe de précaution En fait, toute la problématique du principe de précaution peut se résumer à : doit-on en faire trop ou pas assez ?

27 Chritian Gollier , le principe de précaution, que sais-je (p 109) 28 H.Curien, Science et connaissance des risques , risques, les cahiers de l’assurance, n°44, Paris, octobre-décembre 2000 29 Extrait de l’article de Dominique bourg : Principe de précaution, mode d’emploi (revue SH « Société du risque, fantasmes et réalité » 30 Ulrich Beck, « la société du risque » (p 343)

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Selon François Ewald : « La démarche de précaution s’infinitise elle-même ; elle est circulaire : production et réduction des risques à la fois. Par principe, on ne prend jamais assez de précautions. Et, pourtant trop de précaution nuit. Comment tracer la limite entre le trop et le trop peu ? c’est le défi de l’attitude de précaution ». Pour conclure on peut avancer que finalement, le principe de précaution n’est pas le choix entre une action qui pourrait s’avérer porteuse de danger et une inaction prudentielle. Il est le choix entre deux risques : celui d’agir et celui de ne pas agir avec les conséquences dommageables qui découlent de chacune de ces deux options. Nous évoluons ici dans l’incertitude scientifique. Il faut donc mesurer cette incertitude qui par essence même n’est pas mesurable. Là est toute la difficulté… Cependant, le principe de précaution, même s’il a le mérite de nous poser des questions fondamentales quant à notre avenir incertain ou les risques ne sont plus imputables à la simple fatalité mais aussi à l’action humaine et notre course effrénée du profit, on peut se demander s’il n’est pas mis en avant d’une façon excessive par les entreprises et les pouvoirs publics en matière de prévention des risques et que par conséquence, devienne une norme pour l’opinion publique qui s’il ne s’applique pas peut amener à l’inverse à des dérives difficilement gérables pour un organisme quel qu’il soit. A l’inverse, si on l’applique trop par peur de « représailles », ne risque t on pas de dévaloriser et de le banaliser pour arriver à ne plus prendre aucune décision en matière d’innovation et de prise de risques, éléments indispensables pour la croissance et l’économie d’un pays et de sa production. Cependant à ces nouvelles approches scientifiques de la gestion des risques vient s’opposer une autre logique, celle de la dualité entre ce que l’on peut appeler les « savoirs profanes » et les « savoirs experts » et qui apporte une nouvelle dimension à la perception du risque. II-D Savoirs profanes et savoirs experts : une nouvelle vision du risque Au-delà des croyances et valeurs que chacun peut avoir dans sa perception du risque, l’évaluation de ce dernier dépend aussi de quel point de vue on se place. Le discours scientifique a longtemps été perçu comme inébranlable car se reposant sur des méthodes universelles et dans notre cas avec une approche du risque reposant sur d’une part sa probabilité d’occurrence et sur la gravité de ses conséquences ( P.Peretti-watel la société du risque p29).. On estime un risque selon des modèles et des méthodes rigoureuses L’individu lambda a une approche moins standardisée et certainement plus intuitive et moins quantitative. Les critères de jugement pour savoir si un risque est acceptable ou pas ne se situent donc pas au même niveau. On observe une méfiance à l’égard du discours expert (l’exemple de l’échec de la vaccination en 2010 contre le virus de la grippe H1N1 auprès de la population française illustre bien ce décalage entre l’expert et le profane). L’individu qui acquiert la connaissance est plus vigilant aux discours tenus par les experts, il se forge sa propre opinion

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Nous vivons donc dans un monde ou les barrières entre le savoir « expert » (entendons par-là ceux qui ont la connaissance d’un sujet) et le savoir profane (ceux qui ne sont pas spécialistes du sujet) se réduisent considérablement. Anthony Giddens31 parle de « sociétés de plus en plus réflexives » Les individus ne veulent plus êtres passifs et développent un sens critique et n’hésitent pas en une remise en cause dans tous les domaines et à tous les niveaux. On peut supposer que cela est dû à notre ouverture sur le monde avec le développement des technologies, la télévision bien sûr mais surtout les NTIC et particulièrement ces dernières années le monde des réseaux sociaux. La quantité d’informations disponibles sur le web permet à chacun s’il le souhaite de se documenter et d’acquérir une compétence technique et scientifique sur des sujets jusque là réservés aux « experts » Une autre raison à cela : nous avons déjà évoqué que dans notre société industrielle, de nouveaux risques sont apparus dont personne ne connaît véritablement l’issue, pas même les experts. L’estimation par des probabilités d’occurrence s’avère difficilement réalisable. L’expert se retrouve face à des méthodes et outils qui ne répondent pas forcément aux interrogations posées et comme le souligne P.PerettI-Watel : » face aux risques technologiques contemporains, l’expert se trouve lui aussi réduit à faire des conjectures plus ou moins informelles et intuitives, puisqu’il ne lui est guère possible d’évaluer un danger simplement en estimant sa probabilité d’occurrence et la gravité des conséquences. » Nous serions donc « tous ignorants » devant ces nouveaux risques. Il n’est pas question ici de remettre en cause la rigueur scientifique ni de minimiser l’importance de la recherche, mais force est de constater que nous assistons peu à peu à un « rééquilibrage » des savoirs et que la société a pris conscience des risques encourus et ne veut plus les ignorer. Elle s’organise de plus en plus pour se faire entendre. Nous avons peut-être accordé trop d’importance aux discours d’experts en oubliant en chemin des Savoir-faire et des bonnes pratiques, certes plus intuitives mais qui se révèlent parfois plus efficaces au quotidien. P.Peretti-Watel parle de « nouveau contrat social », le risque est devenu un objet de concertation qui implique à terme un partage des responsabilités entre l’état et les citoyens. Nous verrons en troisième partie comment les réseaux sociaux apportent une nouvelle donne pour les organisations sur leur façon de gérer une crise. Mais qu’en est-il du risque lié au voyage ? Nous verrons dans cette deuxième partie que le secteur touristique est un secteur de services qui a ses propres particularités et caractéristiques. Nous nous poserons donc la question de savoir si la perception du risque quand on voyage répond aux mêmes caractéristiques que celles vues auparavant ou si elle répond à sa propre logique. Que devient l’homo oeconomicus quand il voyage ? Nous verrons en quoi ce secteur est vulnérable et quels peuvent être les terrains de crise qui favorisent l’émergence de crises dans le tourisme aujourd’hui et à venir. 31 Anthony Giddens, sociologue anglais professeur et auteur de très nombreux ouvrages dont « les conséquences de la modernité » aux éditions l’Harmattan (2000)

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Deuxième partie :

Le risque lié au voyage Avant de se pencher sur la notion même du risque voyage et comment ce dernier est perçu par les touristes, il paraît important de comprendre l’environnement touristique, ses particularités et pourquoi les individus font du tourisme et ce qui les motive à partir. I Les particularités du secteur touristique Selon l’équipe MIT32, le tourisme pourrait se définir comme « un système d’acteurs, de pratiques et de lieux qui a pour finalité de permettre aux individus de se déplacer pour leur récréation hors de leurs lieux de vie habituels afin d’aller habiter temporairement d’autres lieux » I-A Un secteur économique en pleine expansion On peut affirmer que le XXIe siècle sera celui de la mobilité et d’après l’étude de Henley Centre 33 sur les voyageurs de demain, la croissance des déplacements internationaux va aller en augmentant avec la mondialisation des affaires et les mouvements de migration qui stimuleront le besoin de voyager à l’étranger. Parallèlement, la croissance du pouvoir d’achat et la baisse des coûts des voyages devraient permettre de rendre les voyages accessibles à un plus grand nombre de personnes, sans oublier l’amélioration de la santé et le prolongement de l’espérance de vie. Les flux touristiques internationaux sont en augmentation constante, en 2011 nous avons atteint 980 millions d’arrivées de touristes dans le monde pour atteindre normalement le milliard en 201234. Pour se donner une idée, ce chiffre représente environ 14% de la population mondiale à l’heure actuelle. L’industrie du tourisme représente aujourd’hui 12% du PIB mondial et lors du troisième sommet des ministres du tourisme des pays du G2035, ces derniers ont préconisé de s’appuyer sur le tourisme pour stimuler l’activité économique.

32Extrait de Tourismes 1,lieux communs par l’équipe MIT (Mobilités, itinéraires, Territoires) composée de chercheurs géographes de l’université de Paris 7 qui travaillent autour de Rémy Knafou 33 Future Traveller Tribes Les voyageurs de demain 2020 - Etude pour l’industrie du voyage aérien 34 Source veille info tourisme « Tourisme international » http://www.veilleinfotourisme.fr/86167005/0/fiche___pagelibre/&RF=TOU_INT 35 Ce troisième T20 a eu lieu à Paris les 24 et 25 octobre 2011

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Il existe trois marchés qui structurent le marché international : L’Europe qui comptabilise 50,6% des arrivées, la zone Asie/Pacifique avec 21,7% et enfin les Amériques avec 15,9 % 36 On constate que certains marchés qui ont porté la croissance jusqu’à maintenant comme l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord ont une tendance à stagner et que d’autres marchés se révèlent. Selon le rapport réalisé par le Henley Center, c’est l’apparition d’une classe moyenne de plus en plus aisée au sein des économies émergentes des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) qui pourrait avoir un impact fort sur les déplacements mondiaux dans les futures années. C’est la Chine qui devrait l’emporter avec 40% de la population qui devrait appartenir à la classe moyenne d’ici 2020 (si les conditions de croissance économique se maintiennent) et donc connaître la plus forte croissance entre maintenant et 2015 en termes de voyages effectués. Toujours selon ce rapport, il est prévu au cours de la prochaine décennie une importante croissance des voyages à l ‘échelle mondiale, sous l’impulsion d’une série de facteurs sociaux et économiques : La croissance de la population mondiale (les estimations des Nations Unies parlent d’une croissance de près de 8 milliards de personnes d’ici à 2025 qui se fera majoritairement dans les pays en voie de développement)37, La mondialisation des activités économiques va s’accroître et donc générer un besoin croissant de déplacements internationaux, la croissance de la richesse mondiale et donc des consommateurs de part le monde (comme on l’a cité ci-dessus, certains pays émergents ont une catégorie de leur population qui s’enrichit et va s’enrichir dans le temps et qui aura les moyens de plus en plus de pratiquer des loisirs au sens large, leurs besoins matériels étant couverts). Enfin, phénomène assez nouveau et lié à la mondialisation, on devrait assister à une forte croissance des migrations de personnes qui viendront augmenter les déplacements internationaux. On compte actuellement plus de 180 millions d’immigrés dans le monde et ce chiffre devrait atteindre les 250 millions d’ici à 2050. Les flux actuels montrent que les migrations vers l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada), l’Europe et l’Océanie (Nouvelle-Zélande et Australie) sont les plus prisées, et que les immigrés proviennent principalement d’Asie, d’Amérique Latine, des Caraïbes et d’Afrique (37). D’ici 2020, nous devrions donc atteindre d’après les prévisions de l’OMT 1,6 milliards de touristes dans le monde, chiffre largement supporté par un tourisme de proximité puisque la répartition sera de 1,2 milliards pour le trafic intra régional et 0,4 milliard pour les voyages à longue distance 38. Les innovations en matière de nouvelles technologies participeront également à la croissance des déplacements internationaux, notamment dans le domaine du transport aérien où à l’instar de l’Airbus A380 d’Air France, des technologies plus efficaces permettront de voler plus loin, sans escale et permettront de consommer moins de carburant.

36 Chiffres tirés du « Mémento du tourisme 2011 » 37 Source des Nations Unis : http://www.un.org/esa/population/publications/WPP2004/2004Highlights_finalrevised.pdf 38 Source OMT – « Faits saillants du tourisme » - édition 2010 http://www.unwto.org/facts/eng/pdf/highlights/UNWTO_Highlights10_fr_HR.pdf

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Toutefois, malgré un contexte mondial à priori favorable à l’accroissement des déplacements touristiques, des facteurs externes pourraient venir pondérer voir noircir ces prévisions telles les contraintes énergétiques auxquelles nous devrons faire face dans les années à venir. Même si les progrès techniques nous permettront de consommer moins de carburant, nous devons et devrons faire face à une demande accrue d’énergie, essentiellement de la part de pays émergeants comme la Chine et l’Inde. Les réserves ne sont pas infinies et une augmentation du coût du pétrole pourra s’avérer être un frein aux déplacements touristiques. Depuis ces dernières années, d’autres craintes se profilent et sont susceptibles de venir influencer les déplacements mondiaux, comme les risques terroristes ou encore les catastrophes naturelles. Un secteur qui se distingue aussi par de nombreux aspects à d’autres secteurs d’activités de l’économie des services. I-B Des caractéristiques propres au secteur

• Une obligation de se déplacer pour consommer le produit Le secteur touristique est un secteur à forte mobilité qui implique un déplacement systématique des personnes pratiquant l’activité avec un investissement en temps et en argent. Les ressources constitutives d’une destination touristique ne peuvent s’exporter (tels que paysage, climat, patrimoine culturel etc….)

• Les services sont consommés là où ils sont produits La grande particularité du produit touristique pour les consommateurs est qu’ils ne peuvent essayer le produit avant l’achat.

• Pour faire du tourisme, il faut des destinations qui soient touristiques Pour faire du tourisme, il faut des destinations avec un intérêt touristique certain qu’il soit naturel, patrimonial ou crée de toutes pièces comme un parc d’attractions mais aussi des infrastructures comme les transports, hébergements etc… Sans mise en tourisme du lieu, il n’y a pas de touristes et la destination est moribonde.

• Le produit touristique est un produit composite Le produit touristique est composé de plusieurs éléments. Des biens et services marchands, parfois non-marchands (résidences secondaires, logement chez des amis) et des biens et services publics.

• Une capacité d’offre limitée qui, si elle n’est pas consommée, est perdue L’existence de nombreux éléments de l’offre touristique (hébergements, transports) présente des capacités fixes ou limitées qui peut entraîner en fonction des flux touristiques des pénuries à certaines périodes (phénomène de haute saison). A contrario si ces capacités ne sont pas utilisées par les consommateurs, elles se réduisent en pure perte pour les offreurs (phénomène de basse saison).

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• Un secteur qui demande un fort investissement capitalistique Une grande partie des infrastructures touristiques demande des ressources importantes comme les hébergements, le transport, les parcs de loisirs etc…non seulement en constructions mais aussi en maintenance et ce quel que soit le nombre de touristes. Cela peut à terme poser des problèmes de rentabilité.

• Une concurrence importante des destinations touristiques La variété des produits et services proposés aux touristes, les restrictions de ces derniers par le temps et l’argent, l’extension des pratiques touristiques de par le monde, l’augmentation du niveau de vie mondial font que de nombreuses destinations se font concurrence

• De multiples acteurs aux intérêts parfois divergents Le produit touristique est composé de nombreux éléments (Hébergement, transport, activités) que l’on peut assembler ou pas en package) mais aussi de nombreux acteurs qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs. Cela peut venir altérer parfois la qualité de la prestation touristique mais aussi son coût. Pour y remédier, certaines structures ont pratiqué l’intégration verticale à l’instar des tours opérateurs allemands et britanniques. I-C Un secteur vulnérable Depuis quelques années, le touriste (nous nous baserons sur la notion de touriste, tel que le défini l’O.M.T (Organisation Mondiale du Tourisme), à savoir toute personne qui se déplace hors de son domicile plus de 24 heures mais moins d’une année) est soumis de façon incessante à des catastrophes naturelles et climatiques (Tsunami en 2004, l’ouragan Katrina qui frappa les côtes de la Nouvelle Orléans en 2005), des attaques terroristes : on a encore en mémoire le spectre du 11/9/2001 mais plus récemment d’autres attentats ont eu lieu provoquant également la mort de touristes comme à Bali en 2002, au Caire en 2005 à Bombay en 2008 ou à Marrakech en 2011. La crainte de voir se répandre des menaces pandémiques à l’échelle mondiale (grippe aviaire, SRAS) et l’apparition de virus émergents comme le West Nile, le Chikungunya ou la Dengue préoccupent les scientifiques. La mondialisation et l’intensification des transports facilitant l’exposition aux agents infectieux. Les événements comme le Printemps Arabe en 2011 ou le naufrage du Costa Concordia au tout début de l’année 2012 confirment que le secteur touristique est vulnérable et doit faire face constamment à des crises polymorphes qui peuvent impacter une région toute entière (le Proche Orient avec le Printemps Arabe), un pays (le Japon en 2011 après le tremblement de terre et le tsunami) ou une entreprise ( la compagnie »Costa Croisière » après le naufrage du Costa Concordia). Si tout le monde s’accorde pour dire que la place du tourisme dans l’économie mondiale est majeure et qu’il apparaît dans de nombreux pays, surtout en Europe, comme une ressource

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contribuant à diversifier les activités économiques locales face aux déclins agricole et industriel, il n’en demeure pas moins un secteur vulnérable face aux menaces et risques en tout genre dans le monde. I-D Les particularités du secteur des opérateurs de voyages et de séjours

en France I-D-1 Un secteur vaste, complexe et atomisé Le tourisme est un domaine très composite qui impacte et est impacté par de nombreux phénomènes et secteurs, ce qui ne facilite pas la tâche. De nombreux acteurs sont impliqués dans la filière touristique, les métiers et les enjeux sont souvent bien différents ! En amont, se trouvent des structures qui fournissent les composantes du produit touristique comme les fournisseurs d’hébergement, les compagnies de transports, les fournisseurs d’activités touristiques (activités culturelles et de loisirs, les parcs d’attractions etc..) au milieu, les tours opérateurs qui ont pour fonction d’assembler les prestations touristiques et en aval on a les métiers de la distribution et le monde des agences de voyages au sens large. Il ne faut pas oublier non plus le service public et ses nombreuses institutions (collectivités locales, comités régionaux et départementaux du tourisme, les offices de tourisme) qui participent également à la structuration du secteur touristique. Cette filière est parfois très bousculée dans la mesure où l’on voit de plus en plus des tours opérateurs opérer des fonctions de distribution et inversement des distributeurs qui se lancent dans la production et il n’est pas rare d’avoir des hôteliers qui se lancent dans la vente de forfaits et des offices de tourisme habilités à vendre des prestations touristiques… Pour venir compliquer les choses, en France, le secteur touristique reste majoritairement très atomisé et cloisonné. Contrairement aux opérateurs allemands ou anglais qui pratiquent depuis longtemps l’intégration verticale et sont très peu à se partager le marché touristique, en France, bien que quelques intégrations verticales existent, le marché est essentiellement composé de petits tours opérateurs et de nombreuses agences indépendantes (même si beaucoup d’entre-elles ont intégré des réseaux volontaires comme AS voyages ou Tourcom pour ne citer qu’eux). I-D-2 Une profession réglementée : l’immatriculation et le devoir d’information Le régime des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages et de séjours a été très tôt contrôlé par l’état. Dès 1937, une loi instaure une licence obligatoire pour les professionnels et exige une caution. Plusieurs lois se succèderont et la dernière en date à laquelle doivent se plier les opérateurs touristiques est celle de la loi de « développement et

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modernisation des services touristiques »39 Les opérateurs touristiques pour exercer leur métier doivent obligatoirement obtenir une immatriculation auprès d’Atout France (opérateur touristique de l’état en charge de l’immatriculation des opérateurs de voyages et de la tenue du registre des immatriculations). D’après la loi, on entend par opérateurs de voyages40 : « toutes les personnes physiques ou morales qui se livrent ou apportent leur concours, quelles que soient les modalités de leur rémunération :

- Aux opérations consistant en l’organisation ou la vente de voyages ou de séjours individuels ou collectifs

- A toute autre activité mentionnée à l’article L. 211-1 du code du tourisme : organisation/vente de services pouvant être fournis à l’occasion de voyages et de séjours et de services liés à l’accueil touristique, production ou vente de forfaits touristiques, émission de "coffrets cadeaux" touristiques.

Pour obtenir une immatriculation, il faut cependant répondre à certains critères stricts comme l’aptitude professionnelle, l’apport d’une garantie financière d’un montant de 100,000 Euros et enfin une attestation d’assurance de responsabilité civile professionnelle. Au-delà de ces garanties, les opérateurs touristiques ont également un devoir d’information obligatoire envers leurs clients, que l’on soit agence physique ou site Internet, la profession est reconnue comme « responsable de plein droit » devant la loi (loi du 23/7/2009) en cas de manquement à ces clients. Toutefois, d’après le rapport de la commission d’immatriculation en date du 24/04/2012,41 on notera que malgré une profession très réglementée, une conjoncture économique difficile, la tendance est à la hausse du nombre des immatriculations des opérateurs de voyages et de séjours. C’est ainsi que Jacques Sanvert, président de la commission écrit : « Le secteur du voyage et des séjours semble ainsi devoir rester un secteur d’activité attractif, parce qu’il offre à une clientèle globalement pérenne, malgré des variations conjoncturelles dans les destinations, les moyens de rêver, de se détendre et de découvrir des produits nouveaux et des horizons nouveaux dans et hors de France ». Nous venons d’aborder les particularités du secteur touristique, mais qu’en est-il des touristes ? qui sont-ils et comment se fait le processus de consommation touristique ?

39 Loi n°2009- 888 du 27/02/2009 40 Définition tirée du site d’Atout France : https://registre-operateurs-de-voyages.atout-france.fr Pour en savoir plus sur la réglementation, se référer au code du tourisme sur le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006074073&dateTexte=20120712 41 Pour en savoir plus ci-après l’ intégralité du rapport de la commission d’immatriculation : http://www.atoutfrance.fr/system/files/bibliotheque_contenus/Rapport_commission_immatriculation_240412.pdf

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II Les particularités de l’homo touristicus Pourquoi les individus voyagent, qu’est ce qui fait que l’espace d’un temps, l’individu souhaite devenir touriste et le pousse à s’engager volontairement dans une mobilité temporaire par rapport à son environnement habituel ? Même si le désir de voyager remonte à très loin dans notre civilisation, le fait de faire du tourisme est un phénomène récent qui remonte au XVIIIe siècle et débute dans l’aristocratie britannique avec les « tours », sorte de voyage initiatique que devait réaliser la jeunesse aristocratique avant son entrée dans « le monde. Cette première approche du tourisme est élitiste même si déjà la notion d’expérience individuelle est déjà actée. Depuis cette époque, la façon de voyager à bien évolué puisque comme nous le fait remarquer Marc Boyer « L’évolution du tourisme, en particulier, et du loisir en général, reflète une évolution générale de la Société et de sa Culture » 42 Dans notre société « post moderne voir hypermoderne »43 le consommateur est désormais à la recherche du bien-être et de son épanouissement personnel, il veut vivre des expériences nouvelles à chaque fois. Les loisirs et les vacances font désormais partie intégrante du bonheur et de l’épanouissement individuel de la société où dominent les notions de plaisir, détente et découverte. Le « droit » aux vacances est devenu un fait social même si on peut constater encore que plus de 20% de la population française ne part pas en vacances44. L’ouverture sur le monde, notamment grâce aux progrès des nouvelles technologies (Internet, les réseaux sociaux, les téléphones mobiles) rendent le monde à « portée de main », on a envie de le découvrir et les voyages sont un moyen d’assouvir cette envie. Nous citerons l’introduction de l’étude réalisée par Henley Centre 45sur les voyageurs de demain pour corroborer ces propos : « Les guerres, les épidémies, l’endettement record, la flambée des prix du pétrole… Il semble que rien ne puisse arrêter le désir de voyager vers des terres proches ou lointaines, que ce soit pour rencontrer un client de l’autre côté de la planète ou pour s’allonger sur une plage perdue, un bon livre à la main. » Voyager c’est aussi l’envie de découvrir l’autre, s’autoriser à changer de vie le temps d’un moment entre parenthèses. « Le tourisme correspond lui aussi au besoin de fuir pour un temps la prose de la vie, forme ordinaire de l’expression de la vie » nous dit Edgar Morin. L’équipe Mit46 nous donne une vision de l’altérité assez pertinente : « Pour le touriste, l’altérité occupe une place centrale dans les pratiques touristiques puisque les lieux ne sont pas de simples localisations ni de simples supports topographiques aux pratiques. Un lieu touristique prend sens pour le touriste parce qu’il est autre, parce qu’il tranche avec les 42 Marc Boyer, extrait de son livre « L’histoire du tourisme de masse », éditions PUF 1999 43 Concepts développés par des sociologues tels que M. Maffesoli pour la Post Modernité et G.Lipovetsky pour l’hyper modernité. 44 Source Chiffres clés du tourisme – édition 2010 45 Future Traveller Tribes Les voyageurs de demain 2020 - Etude pour l’industrie du voyage aérien 46 Tourismes1, lieux communs p 83

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qualités de son lieu de vie et, surtout il sera cet espace qui lui permettra de répondre à des attentes aux formes infinies. » Mais voyager peut être aussi envisagé par certains comme une consommation ostentatoire destinée à montrer un certain statut social ou à vouloir imiter un statut que l’on aimerait avoir. Ce sont des approches sociologiques qui ont été traitées entre autres par les sociologues Thorstein Veblen dans sa théorie de la classe de loisir en 1899 ou encore Pierre Bourdieu dans son ouvrage « la distinction » publié en 1979. Au-delà de ces approches socioculturelles qui poussent l’individu à voyager, il serait réducteur de penser que la simple envie de partir pour vivre une expérience ou la recherche d’une dimension statutaire suffisent à provoquer le déplacement. Voyager est aussi fonction de différentes contraintes qui vont obliger l’individu à faire des choix. C’est en ce sens que l’homo touristicus peut rejoindre l’homo œconomicus ; un individu qui confronte ses désirs ou ses préférences à la réalité qui sont ses contraintes. Citons par exemple des contraintes à la fois temporelle (voyager demande d’avoir du temps disponible), financière (pour voyager, il faut avoir des ressources suffisantes pour partir en vacances), administratives (besoin de documents officiels pour voyager), professionnelle (un chef d’entreprise ou un agriculteur aura plus de difficultés à s’absenter qu’un individu employé dans une entreprise) etc… Mais les contraintes qui vont nous intéresser particulièrement dans cette étude sont les contraintes liées à la sécurité. En effet, on peut se dire qu’un touriste une fois qu’il s’est abrogé des contraintes citées plus haut, va être particulièrement vigilent, avant de partir, sur le niveau de sécurité des lieux qu’il va visiter (criminalité, instabilité politique, risques sanitaires etc…) Du fait de sa spécificité (vivre une expérience touristique qui nécessite un déplacement), le secteur touristique est certainement le secteur de l’économie mondiale le plus vulnérable aux menaces et aux risques en tout genre qui pèsent sur notre monde. Par conséquent, ces menaces et risques pèsent obligatoirement sur la sécurité des individus qui le pratiquent. Toutefois, le risque perçu est-il à la hauteur des risques réels ? Un besoin de rupture totale avec son quotidien pourrait-il faire prendre des risques inconsidérés aux touristes ?, Lui a t-on donné la juste information ou n’a t-il pas voulu l’entendre ?. Autant de questions auxquelles nous pouvons tenter d’apporter des réponses dès lors que nous nous interrogeons sur la manière dont le risque est perçu dans un environnement touristique.

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III La perception du risque chez l’homo touristicus Comme le souligne Didier Heiderich47 dans son article « la perception du risque dans la société de la peur », le risque et la peur font partie désormais de notre environnement qui peuvent venir influencer les individus sur leur choix en matière de tourisme et de loisirs. Toutefois la perception du risque n’est pas la même chez toutes les personnes et peut-être de de deux ordres. Il existe des risques acceptables, ceux qui sont familiers et pour lesquels on est prêt à se mettre en danger en « connaissance de cause ». Décider de faire un voyage peut faire partie de ces risques acceptables. Puis il y a les risques inacceptables, les non familiers, ceux qui sont injustes et imprévisibles. La notion de risque inacceptable est complexe car s’il est évident qu’être victime d’une catastrophe naturelle sur son lieu de vacances est injuste et intolérable, les touristes peuvent également trouver inacceptable qu’une mauvaise météo vienne « gâcher » leurs vacances ou qu’un incident technique au moment du décollage de l’avion puisse entamer leur séjour. Le risque dans ces cas-là « c’est de ne pas profiter de l’instant, d’être soumis aux caprices du temps, d’échouer ! » (Didier Heiderich) Anne Marie Mamontoff 48nous rappelle que « la médiatisation des accidents et catastrophes dans le tourisme joue un rôle essentiel dans la perception de chacun sur la nature des risques qu’il encourt ». Elle nous parle de ces risques rendus visibles car médiatisés et finalement avec une probabilité d’occurrence faible par rapport à d’autres risques dont on ne parle pas, les risques invisibles. Il semblerait donc que moins un risque est quotidien (attentat, accident d’avion..), plus l’émotion de l’opinion est forte. Cette émotion semble augmenter en fonction de l’âge, le nombre et l’origine des victimes. Des études menées par les psychologues corroborent ces propos et ont démontré que nous avions tendance à surestimer la fréquence des évènements spectaculaires ou très médiatisés comme une catastrophe aérienne au détriment de menaces plus discrètes mais avec une probabilité d’occurrence beaucoup plus élevée (accidents de la route, maladies …) L’individu face au risque voyage va également réagir selon sa propre expérience mais aussi selon ses connaissances et à sa propension à emmagasiner les informations. En effet, la réussite d’un voyage dépend du produit proposé par les opérateurs touristiques mais aussi de l’état d’esprit dans lequel voyage le touriste, son vécu (contenu affectif) et sa capacité à accéder ou non à des connaissances puis à les mobiliser pour une participation active ou non de son voyage (contenu cognitif).

47 Didier Heiderich, rédacteur en chef de la revue numérique communication-crise.com et président de l’observatoire international des crises. Article paru dans les cahiers espaces n°85, mai 2005 : Crise, risque et tourisme » 48 Maître de conférence en psychologie sociale à l’université de Perpignan et auteur de l’article « quand les risques médiatiques supplantent les risques objectifs »

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Notre représentation du monde est induite par la capacité que nous avons à traiter l’ensemble des informations en provenance de notre environnement, elle est subjective. La perception des risques liés au voyage s’inscrit parfaitement dans cette représentation que nous nous faisons du monde et nous avons justement ce sentiment de vivre dans un monde de plus en plus risqué. Il est omniprésent et surtout sans cesse mis sur le devant de la scène nous rappelle P.Peretti-Watel (la société du risque). Didier Heiderich lui parle de monde globalisé et médiatisé « sur fond de sensationnalisme » a tel point qu’il est devenu difficile de se positionner face à sa propre réalité. Notre perception des risques et des crises liée au voyage s’en trouve forcément modifiée. Les consommateurs de voyages, de par la médiatisation de ces risques rendus « visibles » (attentats, catastrophes naturelles, accidents dans les transports…), réclament donc de plus en plus de sécurité et les opérateurs du tourisme se doivent d’y répondre. Comme nous l’avons évoqué dans l’approche sociale du risque supra, corroborée ici par une étude menée par la DGCIS49 : le paramètre sécurité qu’il soit physique ou mental, est une donnée qui entre de plus en plus en ligne de compte dans le choix et l’organisation des vacances. Partir oui, mais sous condition d’un « risque zéro ». La sécurité du voyageur est donc au cœur des métiers du tourisme. III-A Les phénomènes de « rassurance » et la recherche de sécurité, parties

prenantes de l’environnement touristique Le tourisme est une activité conviviale et permet la découverte de nouveaux horizons, il permet de vivre des expériences toutefois, c’est un secteur très exposé aux risques. L’actualité touristique nous rappelle sans cesse combien la sécurité est un enjeu fondamental pour le développement des opérateurs et la tranquillité d’esprit des utilisateurs du tourisme. Il est en effet insupportable que des activités synonymes de loisirs et de détente puissent être à l’origine d’une atteinte à l’intégrité physique de la personne. Le phénomène sécuritaire et son corollaire, « la rassurance », néologisme crée par Robert Rochefort, Directeur Général du Crédoc de 1987 à 2009, est devenu selon lui l’une des plus importantes évolutions sociétales que connaît notre société de consommation ces dernières années. Le sentiment d’insécurité est un concept politique qui est né au XXe siècle et qui alimente et nourrit la peur de l’autre. Cette montée du sentiment sécuritaire trouve écho avec un besoin d’assistanat qui se répand de plus en plus dans notre environnement collectif et sociétal. Les opérateurs du tourisme doivent en tenir compte et ne pas négliger cet aspect dans leur argumentaire de vente ou lors de la transmission d’informations.

49 DGCIS (Direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services) : Etude sur « les nouvelles perceptions de la valeur des offres touristiques : impact sur les opérateurs », février 2010

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La difficulté de faire du tourisme et donc de voyager que ce soit pour le touriste lui-même ou les organisateurs de voyage vient du fait que rien n’est jamais identique puisque chaque voyage est une expérience unique. Paradoxalement, la clientèle touristique est souvent à l’affût de produits touristiques qui pimentent « une vie banale » (voyager dans des pays à risque ou la pratique d’un sport dangereux…) alors que dans le même temps elle ne veut prendre aucun risque… » L’aventure sécuritaire deviendrait-elle une tendance forte ? Il est vrai que depuis quelques années, de plus en plus d’avocats et de sociétés de consommateurs s’intéressent au secteur touristique (peut-être alertés par les touristes eux-mêmes) et n’hésitent pas, parfois, à remettre en cause des « principes établis » comme celui de la force majeure auprès des voyagistes (de nombreux cas ont été traités notamment lors de l’éruption du volcan Eyjafjoll en 2010). Dans une société où tout va très vite, on prend moins le temps de s’informer, se renseigner sur les destinations visitées, même si le besoin de savoir est devenu prépondérant et facilement accessible avec les outils informatiques. Par contre, si un problème survient, beaucoup se déchargeront et se retourneront vers les personnes qui ne les auront pas assez informé des risques encourus. C’est à ce niveau que se trouvent le rôle et la difficulté des opérateurs touristiques que nous étudierons plus loin, même si tout le monde ne passe pas par eux pour réserver un voyage. III-B Un homo touristicus plus vulnérable ? « Le voyage, le déplacement ne connaissent plus qu’une poignée de contraintes géographiques. On peut aller presque partout et pour tout : travailler, découvrir, s’expatrier, s’exiler, se ressourcer, se cacher, se retrouver, secourir, investir, se reposer voire se soigner ».50 Le touriste serait-il plus vulnérable que l’individu qui évolue dans son environnement quotidien ? C’est ce que semble vouloir nous faire entendre Olivier Guillard dans son ouvrage écrit sur le risque voyage. Pour lui, quelle que soit la façon dont le touriste perçoit le risque, il est réel et souvent sous-estimé. Il faut sensibiliser les futurs voyageurs aux divers risques qui les attendent lors de leurs déplacements à l'étranger : risques liés au transport, risques naturels, industriels et sanitaires, risques politiques. Car, même si le voyageur peut aller désormais là où bon lui semble sans contrainte et parfois au mépris de certaines précautions sécuritaires, ces déplacements voulus ou imposés n’iront pas toujours de soi d’après Olivier Guillard. Il semble que nous soyons entrés dans une période incertaine où se mêlent environnement politique mondial incertain (révolution arabe), menace terroriste, mouvements sociaux, péril 50 Extrait du libre: le risque voyage d’Olivier Guillard », 2005, Collection tourisme et sociétés, édition l’Harmattan

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endémique, catastrophe naturelle et récurrence des accidents de transports (le dernier en date, très médiatisé, le naufrage du Costa Concordia, début 2012) Alors doit-on en conclure que voyager implique forcément une notion de risque ? On peut penser que oui. Pour les raisons citées ci-dessus mais aussi parce que dès que l’on quitte son environnement habituel on perd certains repères. Si chacun vit une expérience unique et différente de celle de son voisin, face à un événement inhabituel, une catastrophe et particulièrement en voyage chacun se retrouve à un moment précis dans une même dynamique d’angoisse face au danger et se demande comment il va s’en sortir. Le risque voyage d’une destination est multiforme mais en fonction du degré d’inquiétude, des connaissances de mobilisation des individus, ces derniers peuvent minimiser ou exagérer la réalité. Olivier Guillard a tenté une approche du risque voyage qui semble intéressante et constructive dans la mesure où elle ne se limite pas à une simple approche sécuritaire d’une destination comme peut l’être le concept de risque pays (analyse limitée à l’environnement politique et économique) et ne vient pas non plus se greffer aux multiples outils déjà existants pour tenter d’informer le voyageur (que nous étudierons ci-après). Pour lui le concept de risque voyage au sens ou il l’entend, est plus large et tient compte également de nombreux paramètres comme : - L’environnement sanitaire et épidémique, - Le niveau de criminalité et des niveaux de dangerosité qui sont parfois à relativiser, - Les risques de terrorisme - L’état des infrastructures de transports et le niveau des accidents de la route - La météorologie et des expositions aux catastrophes naturelles - Le cadre social (conflits, grèves) - La politique des droits de l’homme et les conditions de détention si un problème sur place survenait, - Les avis officiels, souvent première source d’information vers laquelle on se tourne mais qui ne sont pas toujours objectifs au vu d’intérêts économiques diplomatiques entre pays. A partir de ces données, il a donc proposé un indice du risque voyage appelé IRV. Cet Indice est conçu pour permettre à tout acteur impliqué dans la mobilité de faire son choix au niveau des destinations qu’il souhaite visiter en toute connaissance de cause et avoir une vision claire et précise de l’environnement sécuritaire d’un pays. Par un système de notation selon les critères énumérés ci-dessus, une graduation des destinations est proposée partant de risque voyage « excellent », « bon », « moyen », « passable », « médiocre » pour terminer à « élevé » Malgré la pertinence de l’outil par l’éclairage qu’il y apporte sur les destinations à risque ou pas, il semble que depuis la parution du livre en 2005, l’outil n’est pas trouvé sa place au sein du monde du voyage et en particulier auprès des acteurs du tourisme. Cet indice qui se veut

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« objectif « a peut-être été perçu comme difficilement adaptable aux particularités et spécificités de certains voyagistes. Un Tour Opérateur spécialisé sur la Tunisie culturelle ou d’aventure, qui ne fait partir que des petits groupes de 10 personnes hors des sentiers battus, n’abordera pas le risque voyage de ses clients de la même façon qu’un voyagiste habitué à faire un tourisme de masse sur cette même destination. De même, les individus, selon leur propre perception du risque en fonction de leur vécu et leurs croyances peuvent ne pas adhérer au concept. III-C Un touriste vulnérable mais un touriste résilient Les risques liés au voyage sont donc bien réels et par conséquent rendent le touriste vulnérable mais fait paradoxal, ce même touriste sait aussi faire preuve de résilience face à des évènements qui peuvent venir bouleverser à un moment donné l’activité touristique comme un acte terroriste, une tempête ou autre. Même si dans un premier temps on constate une baisse des fréquentations au niveau de la destination concernée, on s’aperçoit aussi qu’ avec le temps on recouvre généralement un taux de fréquentation quasi normal. C’est le psychologue Boris Cyrulnik qui a inventé le concept de résilience : « la résilience définit la capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dû être délabrants ». Plus communément on parle de « capacité d’individus à surmonter les épreuves ». Pour illustrer la capacité du voyageur à faire preuve de résilience, ci-après les résultats d’une enquête menée par le site Skycanner 51 Sur les 300 personnes interrogées, les risques d’épidémies semblent être ceux qui sont craints par le plus de voyageurs avec 31% des sondés. Viennent ensuite les attaques terroristes avec 21% des sondés puis les guerres civiles pour 20%. Enfin les catastrophes naturelles pour 17%. Dans le cas d’une épidémie, les voyageurs pensent ne pas revenir vers la destination avant 12 mois, délai qui tombe à 3 mois après une attaque terroriste ou une catastrophe naturelle ! Cette enquête est à pondérer car elle n’a pas de valeur réellement « scientifique » mais elle est intéressante pour montrer que le touriste à tendance à vite oublier ce qui aurait pu le faire fuir quelque temps auparavant. Il semblerait donc qu’une destination touchée par un sinistre important, recouvre assez rapidement un taux de fréquentation similaire avant la catastrophe voire plus élevé. Le cas de New York est significatif, le nombre de visiteurs est en constante progression depuis les

51 Société de technologie de moteur de recherche basée à Edimbourg – Enquête publiée par le site Travel Daily News - 6 mai 2010 et intitulée « Tourists more put off by epidemic than by terrorist attack http://www.traveldailynews.com/pages/show_page/36855-Tourists-more-put-off-by-epidemic-than-by-terrorist-attack

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attentats du 11 septembre et les touristes sont fort nombreux autour du « Ground Zéro », lieu de la catastrophe. Pourrait-on y voir un nouveau genre de tourisme apparaître ? Un tourisme voyeur qui se nourrit du drame des autres ? . À ce sujet, l’article de Julie Hernandez52 sur le tourisme macabre à la Nouvelle- Orléans après l’ouragan Katrina est intéressant. Elle nous parle de nombreux tours qui se sont organisés après la catastrophe pour visiter des sites complètement dévastés mais témoins du drame. Plus récemment, suite au drame du Costa Concordia, un article, paru dans le quotidien du tourisme53, nous fait part que la petite île toscane de Giglio où a eu lieu le drame, a vu sa fréquentation exploser depuis le naufrage du bateau. Des gens viennent pique-niquer sur les rochers à côté de l’épave ou encore se font photographier … Cette « dérive » n’est malheureusement que la conséquence d’évènements dramatiques qui ont eu lieu mais qui peuvent nous faire réfléchir sur le fait que le tourisme est à multi facettes et qu’il se régénère constamment parfois sous d’autres formes mais d’une façon ou d’une autre. Il n’en reste pas moins que le secteur touristique est particulièrement exposé et par son terrain vulnérable a été bien malmené ces dernières années face à des crises de plus en plus nombreuses et multiformes qui ont ébranlé le secteur comme les attentats du 11/9 en 2001, le SRAS en 2002, le tsunami en 2004 et plus récemment les événements politiques survenus en Thaïlande en 2010 et la Tunisie en 2011. Crises d’autant plus difficiles à gérer pour les professionnels, que les pays comme la Thaïlande ou la Tunisie, tous deux très touristiques, ont toujours été considérés comme des destinations « sures » et non à « risque ». Les conséquences économiques qui résultent de ces crises peuvent parfois être également lourdes à supporter pour les acteurs du tourisme. IV Les effets potentiels des crises sur le secteur Les comportements touristiques lorsqu’une crise survient dans le secteur se modifient et avec lui le processus de décision sur l’idée de partir quand-même dans un environnement incertain ou différer son déplacement. Même si le touriste peut faire preuve de résilience, tout dépend aussi, comme on l’a vu supra, de la perception que le futur voyageur se fait du risque encouru et de son degré de familiarité avec le voyage ou la destination touchée. Un individu « rodé à partir » ne réagira pas de la même façon qu’un primo-voyageur. De même qu’en vieillissant, une personne sera plus sensible au risque. D’où l’importance pour les professionnels d’apprendre à savoir bien gérer une crise et surtout bien communiquer sous peine d’une incontrôlable prise en main médiatique. 52 Article paru dans « revues.org » Le tourisme macabre à la Nouvelle Orléans après Katrina ; « résilience et mémorialisation des espaces affectés par des catastrophes majeurs ». 53 Article du quotidien du tourisme paru le 15/4/2012 : « Avec le Costa Concordia, le tourisme explose dans l’île de Giglio »

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Une crise peut donc avoir des effets variés sur le secteur touristique et dépend de l’étendue des dégâts. Selon ces derniers, on peut observer : Des Effets immédiats : Avec une baisse des flux touristiques vers la destination touchée voire un arrêt net manifesté par des annulations ou un report massif des voyageurs vers d’autres destinations et généralement par voie de conséquences une baisse des réservations et d’activités chez les professionnels du tourisme concernés. Des Effets durables : On assiste à un prolongement de la baisse des flux touristiques dans la destination et chez les voyagistes à l’instar des destinations du Proche-Orient suite au Printemps Arabe qui de surcroît a été assorti d’un amalgame géographique qui a touché tous les pays de la zone alors que seulement certains étaient concernés. Des effets de dégradation de l’image auprès du public : En fonction de certains facteurs non présents comme la confiance dans les autorités locales pour assurer la sécurité et le retour à l’ordre, l’efficacité des mesures prises par les autorités d’une destination ou par les dirigeants d’une entreprise, en termes de communication et de nouvelles commercialisations pour relancer les ventes ( recovery marketing),on peut observer une baisse ou non de confiance de la part des relais et des médias dans la destination ou la marque (exemple de Costa Croisières). Cette baisse de confiance peut entraîner rapidement une dégradation de l’image auprès du public. Les crises engendrent donc des coûts souvent lourds à supporter pour les acteurs du tourisme. Prenons l’exemple du Tsunami du 26/12/2004 qui a frappé les régions côtières de l’Océan indien en tuant environ 300 000 personnes, toutes les infrastructures d’hébergement, de transports ont été dévastés et le secteur touristique a essuyé des pertes chiffrées à près de 3 milliards de dollars et environ 250000 personnes ont perdu leurs emplois54. Plus récemment, dans un article du quotidien du tourisme55, on peut lire que le bénéfice net du groupe Transat France a chuté de 71,4% en 2010, affecté notamment par diverses crises sanitaires (grippe H1N1), catastrophes naturelles (séisme en Haïti), géopolitiques (la crise politique en Thaïlande) et le nuage islandais. Nous avons évoqué la vulnérabilité du secteur et du touriste par les nombreux risques associés au fait de voyager et de faire voyager des individus, que du risque voyage à la crise il n y a finalement qu’un pas et que le secteur n’est malheureusement pas épargné voire même très exposé à toutes sortes de crises dont les manifestations ne sont pas sans conséquence sur l’activité touristique. Mais une crise ne peut se déclencher que sur un terrain déjà favorable à la crise que les experts appellent des terrains de crise. Nous verrons dans le chapitre qui suit les différents terrains de crises à l’origine de ces crises subies par le secteur touristique 54 Source http://veilletourisme.ca/ - article : Désastres, crises politiques ou sanitaires : des risques à prévoir et des stratégies à planifier », juillet 2010 55 Article « Transat France plombé par les promotions et le volcan, 12 janvier 2011

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(entreprises, institutions, pays) qui sont plus que jamais d’une grande variété et d’une extrême violence puis nous nous interrogerons, à travers une typologie des crises, sur ce que pourraient être les terrains de crise de demain et par voie de conséquence les crises susceptibles d’impacter le secteur dans les années à venir. V Quelles sont les crises susceptibles d’impacter le secteur

touristique ? V-A Des terrains de crise à la crise Les terrains de crise sont nombreux dans le secteur du tourisme. Nous pouvons dresser une liste d’évènements (non exhaustive) qui peuvent se transformer rapidement en crise majeure et impacter le secteur touristique : Pollutions (marée noire, algue verte) Catastrophes naturelles (tempêtes, météo, manque de neige, inondations..) Dangers sanitaires (SRAS, grippe aviaire, Chikungunya) Accidents (transports..) Mouvements sociaux (grèves, fermetures…) Fusion ou acquisition d’entreprise Évènements politiques (émeutes, manifestations, terrorisme) Cette liste d’évènements peut nous aider à faire ressortir cinq types de crises majeures qui demain pourront jouer fortement sur l’activité touristique et son devenir. Pour chacune de ces catégories, nous relèverons le risque majeur qui peut ou pourra impacter le secteur dans les prochaines années d’une façon significative. Cette analyse est personnelle et s’appuie sur des rapports et études rendus par des spécialistes dans chaque domaine. V-B Les crises de demain qui peuvent impacter l’activité touristique V-B-1 Les crises naturelles Un risque majeur de demain : le changement climatique Même si les avis des spécialistes divergent sur l’origine, l’évolution et les conséquences du réchauffement climatique au niveau de la planète que l’on observe depuis quelques années, le phénomène est réel et aura fatalement un impact sur le secteur du tourisme. Le secteur lui-même est partie prenante dans l’accélération du processus puisque c’est l’un des secteurs qui produit le plus de GES (gaz à effets de serre) avec environ 5% des émissions totales au niveau

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mondial (soit à titre comparatif l’équivalent des émissions d’un pays comme l’Inde en 2005 – source Céron-Dubois)56 Les impacts climatiques directs que l’on peut craindre sont des étés et des hivers plus chauds, une modification des précipitations avec paradoxalement un manque d’eau et une augmentation des inondations et une augmentation des évènements extrêmes comme les canicules ou les cyclones. Le secteur touristique est très sensible au climat et ses évolutions. Ce dernier conditionne en partie le choix d’une destination de la part des touristes et leurs pratiques touristiques, même si des études démontrent que le temps est un paramètre important mais pas le plus important. Le poids des paramètres climatiques varie aussi selon les types de destinations et leur environnement (Crédoc 2010)57. Selon Besancenot (1989, Climat et Tourisme), les exigences et préférences climatiques des touristes peuvent se classer sous deux grandes rubriques qui déterminent le seuil d’acceptabilité en matière de climat :

- L’agrément - Le confort

Les paramètres de l’agrément sont l’ensoleillement d’une destination qui regroupent des exigences comme le soleil, le ciel bleu ou encore l’absence de précipitations gênantes avec une notion de régularité sur la durée. Les paramètres du confort sont le confort thermique et le confort hydrique. Le premier est celui qui permet à un individu de maintenir la température interne de son corps proche de 37°c. Des études ont démontré que la pratique d’activités de plein air est compromise en dessous d’une température de 18°c (cette température correspond au seuil où les mécanismes de lutte contre le refroidissement se mettent à fonctionner pour un individu au repos, à l’inverse, au-delà d’une température supérieure à 33°c, toute activité de plein air devient difficile. Le confort hydrique résulte de la combinaison de la température et du vent. La teneur en vapeur d’eau dans l’atmosphère (humidité) conditionne les échanges entre l’oxygène et le sang du corps humain et engendre des répercussions sur ce dernier en fonction de la haute teneur en humidité ou pas d’une destination. A ces paramètres, s’ajoutent la capacité d’adaptation de chaque individu en fonction de sa santé, son âge, du milieu socioculturel et culturel (un chinois par exemple ne voyage pas selon le climat d’une destination mais pour se distinguer) mais aussi la perception qu’ont les

56 Présentation de Jean Paul Ceron et Ghislain Dubois sur « Changement climatique et tourisme : répondre à un enjeu global. » janvier 2008 57 Tec - Crédoc, « Météorologie, climat et déplacements touristiques : comportements et stratégies des touristes », étude réalisée par la DGCIS, le MEEDDM et la DIACT, Octobre 2009

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touristes des conditions climatiques (accentuée par des effets de mode ou d’origine des touristes). Même si de l’avis de nombreux experts, il est encore difficile de s’appuyer sur des connaissances précises en matière d’attente et d’exigences climatiques des différentes clientèles (difficulté encore de perception pour les individus du changement climatique et de ses conséquences mais surtout d’élaborer un seuil d’acceptabilité du « climat idéal ou de la température idéale » en dessous duquel on décide de changer de destination ou de ne pas partir ), le climat est un élément déterminant dans la prise de décision mais il n’est pas le seul. En effet, l’élément financier, la beauté des paysages et la découverte de nouveaux lieux l’emportent avant le climat (Enquête du Crédoc 2010). C’est pourquoi l’environnement naturel de la destination est tout aussi primordial et une modification du climat peut affecter également les ressources environnementales du tourisme comme la neige, les paysages, le niveau de la mer ou la qualité des eaux, une altération de la biodiversité peut aussi avoir des conséquences sur la gestion des équipements et des hébergements (climatisation, chauffage, alimentation en eau, création de neige artificielle). On peut donc supposer qu’à terme, tout cela aura un impact sur les destinations, les mobilités et les flux touristiques ainsi que sur le développement du tourisme lui-même, tant au niveau des impacts potentiels du changement climatique cités supra qu’en raison de la nécessité de diminuer les émissions de gaz produites par l’activité touristique, particulièrement dans le domaine des transports. Cela peut amener à des bouleversements profonds dans la façon de voyager dans les années à venir dont la profession devra tenir compte pour adapter son offre et surtout savoir anticiper, se préparer et intégrer ces changements pour ne pas se retrouver face à des crises majeures demain. Pour Céron et Dubois, les tendances touristiques pour les prochaines décennies pourraient être en fort décalage avec les tendances actuelles des comportements touristiques. Selon eux, on risque d’assister à un ralentissement de l’hyper mobilité (partir à tout prix) d’une part à cause des impacts des politiques de réductions des émissions sur la mobilité touristique qui peuvent impacter le coût du voyage (augmentation du coût des transports mais aussi des hébergements si le manque d’eau venait à se faire ressentir..) et d’autre part avec la prise de conscience des individus pour l’environnement qui les conduisent à rechercher un cadre de vie au quotidien qui peut à terme leur donner moins envie de partir pour échapper à leur environnement. Enfin, le dernier élément non négligeable reste celui du changement d’attitude des nouvelles générations et celles à venir qui évoluent dans un environnement économique incertain avec moins de moyens financiers que les générations du baby boom qui ont vécu les « Trente Glorieuses ».

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V-B-2 Les crises sanitaires Risque majeur de demain ; le risque sanitaire Les risques sanitaires peuvent impacter fortement l’activité touristique. L’exemple du SRAS en 2002 ( et ses conséquences ) a eu de graves répercussions sur la mobilité des individus au niveau mondial. C’est la première crise sanitaire importante que le secteur du tourisme ait connue et auquel il a du faire face dans l’urgence. Et pourtant, les risques sanitaires sont nombreux et la profession se doit de les intégrer dans son argumentaire de vente pour informer les clients des risques encourus lors de leur voyage. Le professeur William Dab pense que les risques sanitaires sont des risques encore trop sous-estimés de la part des professionnels et des touristes qui manquent souvent de réflexes » santé » quand ils voyagent (seulement 68% des Français jugent essentiel le vaccin contre l’hépatite A quand ils voyagent). Une certaine banalisation du voyage accentue cette sous-estimation des risques et comme nous l’avons évoqué dans la perception des risques, chacun a tendance à penser que cela n’arrive qu’aux autres. Toutefois, fait paradoxal, selon le baromètre Ifop/Institut Pasteur réalisé sur la santé en voyage 58, 36% (soit un français sur trois) déclarent être prêt à renoncer à une destination dont la situation sanitaire est jugée risquée. Selon Florent Chapel de LJ Corporate, les problèmes sanitaires sont même la première préoccupation des Français. Les risques sanitaires auxquels les touristes peuvent êtres exposés sont :

- Les menaces pandémiques qui sont les plus spectaculaires (SRAS, le virus H5N1) - Les risques infectieux comme la fièvre jaune (200 000 cas et 50 000 décès par an), le

paludisme, la légionellose (bactérie qui se niche dans les systèmes d’eau et de climatisation), le VIH ou encore les virus émergents comme le West Nile, le Chikungunya, la Dengue (30 000 décès par an) mais aussi les méningites.

- Les risques liés ou accentués avec le transport, essentiellement aérien comme les maladies cardiovasculaires, les problèmes psychiatriques ou les maladies chroniques.

- Les risques naturels ou climatiques à l’instar du Tsunami en 2004 - Les risques industriels et nucléaires (Fukushima au Japon en 2011)

S’il est difficile d’avancer que les risques sanitaires seraient en augmentation ces dernières années, force est de constater que de nouvelles donnes sont à prendre en considération comme les menaces terroristes, nucléaires et chimiques. La mondialisation, la démocratisation et l’intensification des transports facilitent l’exposition aux agents infectieux. Enfin, certains écosystèmes sont menacés par la main de l’homme avec le développement industriel à outrance depuis plusieurs décennies. Le plus difficile est d’arriver à évaluer ces risques sans tomber dans un excès d’informations qui pourraient rebuter le futur voyageur mais arriver à lui faire prendre conscience des risques encourus et l’inciter à être vigilant. 58 Le premier Baromètre Institut Pasteur-Ifop sur la santé en voyage a été mené auprès d’un échantillon de 960 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus du 20 au 21 septembre 2007

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Les voyagistes ont un rôle indéniable à jouer dans la prévention des risques sanitaires. Ces derniers ne doivent en aucun cas négliger l’aspect sanitaire qui de par la mondialisation des déplacements doit être pris en compte dans l’offre globale proposée aux clients. Même si ce sont parfois des aspects difficiles à aborder pour les professionnels du tourisme face à un client, t il serait encore plus dramatique pour l’image des opérateurs de tourisme de ne pas se préoccuper de la santé et de la sécurité des voyageurs et de privilégier uniquement l’économie. Il n’est bien sûr pas question d’envisager un transfert de responsabilités et de se substituer au corps médical toutefois chacun à son niveau de compétences doit prendre ses responsabilités pour assurer une sécurité la plus optimale possible aux touristes. Les voyagistes à terme doivent plus travailler en collaboration avec les spécialistes et les autorités publiques pour se tenir informés régulièrement mais aussi avec les compagnies d’assistance pour être prêts et opérationnels le jour où une crise grave survient. Pour cela, ils doivent disposer de compétences nécessaires et mettre en place des procédures de crises adaptées. V-B-3 Les crises techniques Risque majeur : les accidents et les incidents techniques d’avions Les accidents d’avions comme un crash en plein vol ou un atterrissage non maîtrisé sont assez rares comparés au nombre de vols quotidiens qui circulent dans le monde entier, toutefois lorsque cela arrive, les conséquences sont souvent terribles en termes de vies humaines bien sur mais aussi en termes de conséquences financières et d’image pour la compagnie aérienne qui se répercutent sur le monde des voyages. On peut aussi se demander si avec le nombre croissant de touristes qui voyagent dans le monde entier, les progrès technologiques réalisés pour construire des avions plus rapides, moins polluants, le développement du tourisme dans les pays émergents tels les BRIC, le nombre de vols quotidiens circulant dans le ciel ne peut aller qu’en s’accélérant et augmenter ainsi le nombre d’incidents ou d’accidents. Phénomène qui peut aussi être accentué par une gestion dans l’urgence pour parer aux nombreux décollages, même si des règles de sécurité strictes doivent être fort naturellement observées. Pour illustrer les conséquences que peut avoir un accident d’avion, nous nous reposerons sur l’exemple du crash Rio-Paris vécu par la compagnie Air France en 2009. Ce type d’accident est sans doute ce qui peut arriver de pire pour une compagnie aérienne : perdre un avion avec son équipage et ses passagers. Nous verrons également que beaucoup plus fréquents mais moins médiatisés, de nombreux incidents techniques surviennent, particulièrement en période estivale avec les compagnies charters qui effectuent des rotations quotidiennes à un rythme effréné. Selon le témoignage de Gilbert Gautier, Directeur Tourisme et Partenariats d’Air France, La gestion de crise est permanente dans une structure comme Air France. La compagnie, présente dans 80 Pays, est confrontée régulièrement à des évènements plus ou moins majeurs qui peuvent impacter une destination, un avion ou encore le personnel. Vingt-cinq personnes

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sont sur le pont au quotidien dans un service « cellule de crise ».Le plus gros risque pour cette cellule est de ne pas tomber dans la routine souligne Gilbert Gautier et de ne plus être assez vigilante pour être prête le jour ou un accident majeur survient. Cette réflexion est basée sur la propre expérience d’Air France qui a pris conscience en 1997 lors d’un accident aérien survenu avec la compagnie brésilienne TAEM (qui a coûté la vie à une cinquantaine de passagers d’Air France en correspondance) qu’ils n’étaient pas préparés à affronter une crise de cette dimension, renforcée par la présence de nombreuses nationalités parmi les passagers Air France à bord. Air France a donc entièrement revu sans plan de crise avec notamment le traitement de l’information aux clients, aux agences etc.. via des centres d’appels dédiés mis en place en moins de 4 heures et la création d’un outil interne performant apte à mémoriser toutes les informations données par la compagnie mais aussi recueillies par les familles de victimes pour mieux gérer la crise dans le temps. Il a également fallu mettre en place des procédures selon les réglementations par pays ; A titre d’exemple, aux Etats-unis, c’est la compagnie aérienne qui en cas de décès de passagers l’annonce aux familles, en France c’est interdit. Toutes ces mesures doivent se préparer et s’organiser précise Gilbert Gautier, ce qui a permis, malgré l’horreur du drame, à Air France d’être « prête » à affronter et gérer rapidement le crash aérien du vol AF 447 Rio-Paris. Le vol comptait plus de 80 nationalités et même si la cellule de crise é été mise en place rapidement, il a fallu tout de même faire face à une part d’inconnu et d’improvisation ce qui est le propre des crises mais d’où l’intérêt de savoir déjà de quoi on parle quand on y est confronté ! C’est pourquoi, il est indispensable que les plans d’actions soient revus et modifiés régulièrement en fonction des retours d’expérience et de l’évolution environnementale (cartographie des risques, vulnérabilité selon les nationalités.,.). La mobilisation du personnel est tout aussi primordiale dans la gestion d’une crise ainsi que la prise en compte du facteur humain et des dimensions psychologiques. Cet exemple peut nous conduire à une autre réflexion. Celle qu’avec l’accélération de l’internationalisation des compagnies ariennes qui pour se développer et survivre doivent opérer des alliances stratégiques avec d’autres compagnies à l’instar de Star Alliance, One World, elles multiplient leurs risques d’être impactées par des crises de toutes sortes et donc se doivent de renforcer leur gestion de crise et surtout leur prévention par une préparation en amont. Le plus difficile selon Gilbert Gautier reste la rapidité du traitement de l’information et Air France cherche sans cesse à l’améliorer. Ce qui d’ailleurs n’est pas sans poser de problèmes au niveau du traitement de l’information pour Air France puisque ses interlocuteurs privilégiés restent en majorité des voyagistes et non les clients en direct. Il faut gérer un niveau supplémentaire de contacts ce qui n’est pas non plus sans contraintes puisque ce sont théoriquement les agences qui ont les coordonnées de leurs clients et qui doivent les contacter en premier lieu par souci de confidentialité. Nous avons donné l’exemple d’une crise grave qui, finalement, est cependant assez rare mais les compagnies aériennes doivent également faire face à des incidents ou pannes techniques qui ont certes moins de conséquences en termes de victimes mais qui sont plus régulières et nombreuses. On pourrait rapprocher ce type d’incidents aux risques invisibles dont parle Anne Marie Mamontoff et qui génèrent parfois des coûts non négligeables mais auxquelles les entreprises semblent moins se préparer ou tout du moins de pas vouloir les inclure dans un

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plan de gestion de crise. Nous traiterons ce sujet plus en détail quand nous parlerons en troisième partie des dispositifs de gestion de crise mis en place par le voyagiste Marmara. V-B-4 Les crises politiques Risque majeur de demain: le terrorisme Le secteur touristique est vulnérable à tous les niveaux de sa chaîne économique : transport, lieux de visites, hébergements etc…il est devenu la cible privilégiée des réseaux terroristes qui contribuent à l’accroissement de l’insécurité et de la violence de par le monde. Le secteur du tourisme a certainement été celui le plus touché par les attentats. Eric Denécé et Sabine Meyer dans leur livre « tourisme et terrorisme » parlent d’une multiplication de guerres civiles, de trafics en tout genre et de renforcement d’intégrisme religieux avec la fin de la guerre froide qui a laissé de nombreux états en voie de développement livrés à eux-mêmes. Une insécurité qui s’aggrave avec la pauvreté de nombreux pays du sud et un écart qui malheureusement se creuse entre les pays riches et les pays pauvres malgré une croissance de la richesse mondiale mais mal répartie. Cette injustice ressentie par nombre de peuples conduit à un prétexte idéal pour extirper de l’argent aux plus riches. Les enlèvements de touristes ou d’expatriés sont d’ailleurs en constante augmentation ces dernières années ; Même si la probabilité de se faire enlever ou d ‘être victime d’un acte terroriste est faible, cela n’en reste pas moins une menace pour le touriste. On ne peut que constater ces dernières années une multiplication des attentats contre les destinations touristiques qui touche le monde entier. En Europe, citons les attentats de Madrid le 11/3/2004, les attentats de Londres le 7/7/2005, En méditerranée orientale et au proche Orient, la Turquie a été touchée à plusieurs reprise, Israël où le problème du terrorisme ne cesse de se poser depuis la création de l’état en 1948, La Jordanie ou l’Egypte, cibles privilégiées car alliées fidèles des Etats Unis, L’Afrique n’est pas en reste avec les attentats au Maroc en 2003 à Casablanca et à Djerba en Tunisie contre une synagogue en avril 2002. Enfin, la région de l’Asie du Sud-Est qui devient, elle aussi, la cible de menaces terroristes islamistes depuis le début des années 2000. Le nouveau terrorisme djihadiste avec l’organisation principale Al–Qaïda et ses ramifications est la principale menace terroriste de par le monde actuellement. Les attentats du 11/9/2000 au World Trade Center de New-York restent à jamais graver dans la mémoire de chacun. Cette entité terroriste d’un nouveau genre car non gouvernementale et autosuffisante est due à un homme qui a mis sa fortune au service d’une cause et a réussi à fédérer de nombreux mouvements djihadistes ; Oussama Ben Laden (Il a été assassiné en 2011 par les Américains au Pakistan). Pour Eric Denécé, Al-Qaïda est avant tout une centrale d’assistance technique du terrorisme, une sorte de soutien logistique (formation sous forme de stages d’entraînement mais aussi utilisation d’Internet, soutiens financiers…) Il n y a pas de centre de décision, ils fonctionnent en réseaux. La menace est partout, les réseaux opèrent dans plus de 60 pays et les terroristes disposent de points d’ancrage sur tous les continents (Denécé, Meyer, Tourisme et terrorisme p 29)

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Le tourisme est la priorité d’Al-Qaïda, symbole absolu du capitalisme et « destructeur des croyances et traditions » C’est la cible idéale au niveau politique, économique, opérationnelle et surtout médiatique. Au-delà des cibles privilégiées que peuvent être les touristes pour eux, ils affirment également leur puissance par des conquêtes de territoires, à l’instar de ce qui se passe actuellement au nord du Mali où les islamistes d’Aqmi ( Al-Qaïda au Magreb Islamiste ) ont pris le contrôle sans que rien ni personne ne puissent les arrêter. Les conséquences sur le tourisme sont catastrophiques mais au-delà de l’arrêt total du tourisme dans la région, les membres d’Aqmi sont en train de détruire une partie du patrimoine touristique du pays. Cela laisse présager une crise à très long terme aussi bien pour les populations que pour les professionnels qui vivent du tourisme. Ces menaces conduisent les autorités publiques à toujours plus de vigilance et de sécurité renforcée dans le transport aérien et la réglementation en matière de déplacements notamment. On peut dire que depuis les attentats du World Trade Center à New York en 2001, on a réellement pris conscience d’un risque terroriste qui ne s’est pas démenti depuis. Le rôle de conseil du professionnel du voyage est à jamais encore plus d’actualité surtout face à une société du risque qui refuse « l’inacceptable » et devient de plus en plus procédurière mais qui aussi, fait paradoxal, a pris un certain recul avec le risque terroriste. Eric Denécé et Sabine Meyer parlent du terrorisme s’inscrivant dans une « routine tolérable » et Jean Louis Caccomo nous dit que finalement les touristes ne sont pas plus exposés que les populations résidantes de sorte que le « risque terroriste « n’est plus un risque spécifique au secteur touristique, il est devenu en quelque sorte un risque normalisé (Caccomo, Fondements d’économie du tourisme, p 115) V-B-5 Les crises « d’adaptation » Risque majeur de demain: le changement de comportement des touristes dans leur façon de voyager : des modèles économiques basés sur le tourisme de masse en perte de vitesse. Depuis quelques années, on constate que le tourisme dit de masse ne répond plus tout à fait aux aspirations des touristes. Les modèles économiques d’intégration verticale dans le secteur touristique crées par les Allemands et les Anglais dans les années 70, stagnent et se cherchent même si leur arrivée en France au début des années 2000 avait fait craindre à certains la mort du tourisme sur mesure et de proximité. Aujourd’hui, ce phénomène de saturation est certes plus accentué en France que dans leurs pays d’origine (Le groupe allemand TUI qui a racheté Nouvelles Frontières annonce un plan de licenciement de 450 personnes d’ici la fin de l’année 2012) mais les tendances de la demande touristique semblent évoluer et on peut se demander quel sera l’impact de ces changements sur le secteur touristique. Hormis les crises d’ordre naturel, politique ou encore sanitaire, la profession ne va t’elle pas aussi devoir faire face à des formes de crises plus insidieuses, plus longues à se déclencher mais tout aussi dangereuses : les crises d’adaptation.

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La vision de Luc Boltanski à ce sujet est radicale puisque pour lui, les destinations Tunisie, Egypte, Maroc, symboles d’un tourisme de masse avec l’Espagne, sont en train de s’écrouler en raison du phénomène du Printemps Arabe mais aussi en corollaire à la lassitude des touristes à voyager en masse. Ainsi, pour Jean Pierre Nadir 59 : « Les mouvements actuels sont une formidable opportunité pour engager une réflexion sur une refonte des modèles économiques construisant les offres touristiques des grands acteurs européens ». Il ajoute également que « C’est probablement la fin du « soleil à petits prix », souvent réalisé au détriment des conditions vécues localement pour proposer un nouveau modèle plus serein et plus équanime ». Le monde est en train de connaître de multiples crises économiques et financières. Le monde bouge, évolue, se modifie et de nombreux secteurs économiques traversent des périodes difficiles à l’instar de la sidérurgie, l’automobile et bien d’autres encore. Le secteur touristique n’est pas épargné car les tendances sociétales générales sont en train de changer pas seulement dû à un certain nombre de facteurs externes comme un contexte économique, géopolitique, technologique ou encore climatique en pleine évolution, mais aussi liées à des facteurs de transformation plus profonds qui touchent la vie familiale, la valeur travail, les évolutions des modes de consommation où la e-consommation va devenir la tendance forte de ces prochaines années. Même s’il était prématuré d’annoncer la mort du tourisme de masse en France, des paradoxes s’installent dans la façon de consommer un produit touristique. La clientèle semble encore disposée à consommer des prestations de masse mais auxquelles il faut intégrer de la personnalisation et plus de souplesse, critères à l’opposé même de la définition du tourisme de masse. Le forfait ou package dynamique est l’une des réponses de la profession à cette évolution de la demande. Il faut aussi mettre en parallèle l’hypothèse avancée par un certain nombre de spécialistes de l’épuisement d’ici 30 à 40 ans des énergies non renouvelables comme le pétrole, élément moteur à l’heure actuelle pour faire fonctionner les moyens de transport et partie intégrante de l’activité touristique. D’autres un peu plus optimistes sont sur une durée plus importante mais le fait est que les réserves se raréfient et que personne ne peut prédire à ce jour si les recherches actuelles, tant au niveau technologie pour consommer moins d’énergie qu’au niveau de solutions de remplacement du pétrole, permettront d’accompagner la croissance du tourisme mondial. Les compagnies aériennes ne semblent donc pas avoir un avenir tout tracé et doivent évoluer dans un contexte économique complexe et incertain. C’est d’ailleurs le constat qui peut être fait tant de nombreuses compagnies semblent prises dans un tumulte de difficultés financières depuis quelques années à l’instar de notre compagnie nationale Air France. Ces risques ne seront pas non plus sans conséquence sur la façon de voyager des clients avec une baisse des voyages lointains pour un renforcement du tourisme de proximité, déjà majoritaire dans la répartition géographique des touristes au niveau mondial. En effet, le tourisme de proximité 59 Article Tunisie, Egypte : la fin du soleil à petits prix, Le cercle des échos : 24/3/2011

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représente environ 80% des touristes internationaux qui voyagent dans leur propre région ou sur leur propre continent. Les nouvelles attentes des consommateurs, combinées à des prévisions pour certains pessimistes sur la rareté de l’énergie dans un avenir relativement proche, le développement des technologies vont être autant de défis à relever pour les professionnels du tourisme qui vont devoir faire preuve de créativité pour adapter leurs offres à ces nouvelles exigences et contraintes. Les professionnels du tourisme doivent donc êtres vigilants et être attentifs à ces risques de demain qui ne seront pas sans conséquences sur leur activité et leur devenir. Pour cela, la profession doit s’y préparer du mieux possible en considérant la sécurité des voyageurs comme un facteur indispensable devant être au cœur du développement de l’activité touristique. Mais la profession est-elle suffisamment préparée et organisée pour faire face à ces crises, celles d’aujourd’hui mais aussi et surtout celles de demain ? Ce sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cette troisième partie. Nous brosserons dans un premier temps un tableau général de la gestion de crise, ce qu’elle implique et comment peut-on y faire face, tous secteurs confondus, puis nous aborderons plus particulièrement le secteur touristique en se basant sur quelques exemples de mise en place de dispositifs pour lutter contre les crises pour arriver à l’étude de deux cas pratiques sur la façon dont a été appréhendée la crise chez deux acteurs du tourisme. Au vu de ces analyses, nous essaierons de définir non pas un modèle mais quelques règles de base qui pourraient s’appliquer chez tous les voyagistes, producteurs et distributeurs pour amorcer une préparation de gestion de crise dans chaque structure.

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Troisième partie :

La préparation à la gestion de crise, une piste pour réduire le risque lié au voyage

Quand le risque devient événement, c’est une crise à gérer … On est prêt à partir, prendre des risques, les assumer, tant que rien de grave ne survient. Partir en voyage, c’est du rêve, on n’a pas envie de s’entendre énumérer une liste des risques présumés ou avérés qui pourraient survenir au cours de son déplacement. Parler de risques potentiels à de futurs clients peut être perçu comme déjà le signe d’une probabilité d’occurrence et avoir l’effet inverse de celui escompté, engendrant angoisse et peur avant le départ. Comme le dit Didier Heiderich, : « le moteur de l’angoisse est l’imaginaire ». Cela ne fait pas partie du contrat de voyage et pourtant…. La profession doit trouver des leviers pour agir sur les facteurs de risques et les crises multiples auxquels elle doit faire face. La prévention est une solution avec la préparation à la gestion de crise par des exercices d’entraînement mais elle peut également passer par une meilleure information aux clients sur le risque voyage. Pour cela le voyagiste doit aller au-delà du simple registre du plaisir dans son discours de pré vente aux clients. I De la gestion des risques à la gestion et communication de

crise :Une approche globale applicable à tous secteurs I-A Les caractéristiques d’une crise Sous un aspect économique, on pourrait résumer l’état de crise comme un fait qui vient menacer le fonctionnement normal d’une entreprise, d’une organisation ou encore d’une destination.C’est la phase ultime d’une suite de dysfonctionnements mettant en péril la réputation et la stabilité d’une organisation qui l empêche d’atteindre ses objectifs. Sous un angle plus philosophique, on peut citer la définition qu’en donne Edgar Morin pour lequel la crise signifie indécision et est le moment, où, « en même temps qu’une perturbation surgissent les incertitudes ». La vision de Jean Bernard Pinatel est de considérer la crise comme un changement, une transition entre deux états, mais qui se fait de façon accélérée ou encore celle d’André Comte-Sponville qui aborde la crise sous le signe d’un changement

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rapide et involontaire qui peut s’avérer favorable ou défavorable mais de toute façon toujours difficile et douloureux. Une crise déstabilise une organisation, c’est certain car elle marque une rupture avec son fonctionnement habituel et la place dans une zone où la prise de décision s’effectue dans un domaine d’incertitudes fortes. Malgré le caractère soudain et grave de ce qui se passe, il faut que la « chaîne de commandement » continue de fonctionner aux différents échelons pertinents de l’organisation. I-B Le déroulement d’une crise Selon les travaux de B. Robert et D.Verpeaux qui datent de 1991, une crise se décompose selon un schéma identique en quatre phases60 :

Pour illustrer ce schéma, nous prendrons l’exemple du Chikungunya qui a sévi sur l’île de la Réunion en 2005/2006 et qui d’une crise sanitaire s’est transformé en crise touristique. La crise a duré un an et demi avec une perte en vie humaine (le taux de mortalité a été identique à celui d’une grippe saisonnière) mais aussi d’un point de vue économique avec une baisse importante des touristes sur l’île (perte de 170 000 touristes sur un total de 470 000) et d’emplois (de l’ordre de 500). Les voyagistes français ont été contraints de « fermer » la destination pendant un certain temps. Certains experts ont expliqué le manque de réactivité de la part des autorités locales aussi par le fait que le paludisme qui sévissait sur l’île était en

60 Cité par Thierry Libaert dans son livre, la Communication de crise chez Dunod

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baisse constante depuis trente ans, ils avaient en quelque sorte baissé la garde et n’étaient plus préparés à un risque sanitaire de cette ampleur. I-B-1 Une phase préliminaire (qui a duré un an) C’est la phase où les premiers signaux d’alerte apparaissent. Dans notre cas, fin 2005, le risque est apparu mineur et a largement été sous-estimé pour plusieurs raisons. D’un côté, on a un contexte national difficile où plusieurs crises survenues simultanément mobilisent le gouvernement (grippe aviaire et les incidents de banlieue). De l’autre, un contexte local où l’activité touristique peine à décoller. Cependant, avec quelques 10 000 cas recensés, quelques associations locales se mobilisent pour évoquer l’éventualité d’un problème sanitaire mais aucune mise en place de prévention n’est envisagée. Il est à souligner que si une phase préliminaire est bien gérée, on peut parfois éviter la phase aiguë car c’est à ce stade que tout se joue. Si l’organisation a mis en place des dispositifs de veille stratégique ou de détections de signaux faibles, elle sera plus à même d’être préparée et de percevoir les dysfonctionnements, ce qui n’a pas été le cas dans cet exemple. I-B-2 Une phase aiguë (qui a duré deux mois) Dans sommes dans la phase où l’événement survient et la crise éclate avec une montée en intensité souvent rapide. De janvier à mars 2006, le nombre de cas augmente fortement pour arriver à 157 000 sur l’île de la Réunion. Les médias s’emparent du sujet mais un manque de communication fait que chacun a le sentiment que des informations sont dissimulées. Une campagne télé ne sera lancée qu’en février alors que la crise est déjà bien installée. L’intensité médiatique va crescendo avec l’intensité sanitaire. Toutefois des initiatives gouvernementales sont mises en place comme la démoustication des zones à risques ou la mise en place de mesures pour éviter que les gens ne se fassent piquer par les moustiques. I-B-3 Une phase chronique (qui s’installe) La crise atteint son apogée. Le gouvernement commence à s’emparer du sujet, les médias sont toujours présents mais en moindre intensité et relayés par internet. Les professionnels du tourisme décident de ne plus proposer la destination, la crise est vraiment là. De plus, au lieu d’essayer de dédramatiser la situation en opposant des arguments à la presse nationale et internationale, rien n’est fait, bien au contraire, les acteurs locaux ont joué à fond la carte de la dramatisation. I-B-4 Une phase de cicatrisation La crise commence à s’estomper avec encore parfois quelques rebondissements médiatiques mais de moindre ampleur. Le secteur touristique a reçu des subventions pour l’aider à relancer l’activité. Cette étape est souvent négligée par les organisations au vu des difficultés rencontrées antérieurement et qui préfèrent refouler l’idée même de crise. C’est pourtant à ce moment qu’il est important de prévoir un bilan de la situation et de réaliser avec toutes les parties prenantes le retour d’expériences sur les évènements passés et la gestion de crise.

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En conclusion, dans le cas du Chikungunya, on peut avancer qu’il y a eu un manque de réactivité de la part des autorités qui n’ont pas su informer et ont manqué de transparence. De plus la mobilisation des acteurs locaux du tourisme n’a pas été optimum dans la mesure où ils n’ont pas su se coordonner entre eux, ce qui a abouti à une baisse dramatique de l’activité touristique. Enfin un autre problème est venu se greffer à la crise provoquée par le Chikungunya celui d’une crise sociale entre riches et pauvres car la maladie a surtout atteint ceux qui ne possédaient pas la climatisation, les populations les plus défavorisées en fait. Il est intéressant de noter que l’île voisine, l’île Maurice qui par extension a également été sévèrement touchée par la crise du Chikungunya, n’a pas abordé la crise de la même façon. Ils ont bombardé l’île de pesticides et jouer la transparence à fond. Il s’est avéré que les touristes sont revenus plus vite sur l’île Maurice que sur celle de La Réunion, ceci grâce à une très bonne communication qui est essentielle, comme nous le verrons dans un prochain chapitre. Un autre point important est aussi à noter, ce que beaucoup d’entreprises ont tendance à oublier, il s’agit de celui qui fait qu’une crise ne disparaît jamais totalement et ce pour plusieurs raisons. La première est que des effets matériels peuvent rester perceptibles (marée noire, tsunami), la seconde est la conservation sur le long terme des informations sur la crise avec Internet et les moteurs de recherche, la troisième est que les médias, à titre comparatif avec un autre événement, peuvent faire ressortir des informations sur des crises anciennes et enfin parce que les procédures juridiques qui peuvent s’ensuivrent sont très longues et durent parfois plusieurs années. I-C Les crises, un phénomène qui a tendance à s’accélérer Selon une étude d’Oxford Métrica61, jusqu’à 83% des entreprises seront confrontées à une crise au cours des cinq prochaines années. Cela peut laisser perplexe et surtout présuppose pour chaque organisme et quel que soit le secteur, une prise en compte mais surtout une prise de conscience de la notion des risques éventuels encourus et leur identification en ayant en tête les principaux terrains de crises. Les Terrains de crise qui peuvent amener à une éclosion de crise sont nombreux et parfois complexes et d’origines diverses (les catastrophes naturelles, des attentats terroristes, des révolutions ou soulèvements de pays, des virus informatiques, des problèmes financiers, scandale ou rumeur portant atteinte à la réputation d’un organisme, grève, accident grave du travail ou de touristes etc… Toutes les crises ne sont pas majeures, elles peuvent être latentes, confinées, mineures puis se transformer ou pas en crise majeure. Une crise doit être connue mais elle ne nécessite par forcément la mise en place d’un dispositif.

61 Oxford Métrica est une firme-conseil anglaise en stratégie des affaires

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Tout va dépendre aussi de la façon dont les organisations sont préparées à la gestion de crise et leur degré de perception et de compétences dans la reconnaissance d’une crise. On peut toutefois observer ces dernières années un phénomène d’accélération au niveau des crises et que les seuils de perception d’une crise ont changé. La crise est désormais un phénomène susceptible de concerner tout type d’organisation quelles que soient son activité et sa taille. La combinaison de plusieurs éléments apparus ces derniers temps peuvent expliquer en partie ce phénomène d’accélération. Une complexité technologique tout d’abord qui rend nos organisations plus fragiles que ce soit comme on l’a déjà évoqué sur le risque de nouvelles menaces industrielles avec le développement des raffineries, des usines chimiques ou centrales nucléaires et des laboratoires pharmaceutiques mais aussi dans l’organisation même d’une entreprise avec le développement d’Internet et le renforcement des risques de détournement de données ou tout simplement le risque de panne générale qui peuvent amener à une paralysie partielle ou totale de la structure. Le rôle des médias peut renforcer la dynamique d’une crise car ces derniers sont très friands d’une recherche du « scoop » afin de capter un auditoire à la recherche de sensations. Une surenchère médiatique peut alors apparaître lors de certaines crises et accélérer son processus. Parallèlement avec le développement des téléphones portables et des réseaux sociaux qui permettent d’enregistrer instantanément un événement puis de le diffuser tout aussi rapidement sur des sites de partage en ligne fait de chacun un reporter en herbe non contrôlable. Une crise peut s’amplifier sous l’effet de la rapidité des informations. Nous aborderons infra le rôle nouveau des médias sociaux dans la gestion de crise et plus particulièrement sous l’angle de la communication. Une plus grande sensibilité à l’environnement fait que l’opinion publique se sent beaucoup plus concernée par les risques de pollution de l’air et de l’eau et préoccupée par ce qui sera légué aux générations futures. Cette dimension, renforcée par la présence de nombreuses associations de protection de l’environnement au pouvoir grandissant (ONG Greenpeace) fait que les menaces environnementales provoquées par la course au profit de certaines organisations au détriment de la sécurité ne sont plus tolérées et peuvent provoquer parfois des crises majeures (Shell). Ces nouveaux centres de pouvoirs n’hésitent plus par ailleurs à dénoncer publiquement certaines organisations qu’ils jugent responsables. Parallèlement, un accroissement de la méfiance envers les entreprises et les pouvoirs publics et même envers les progrès scientifiques et techniques (cf. première partie p 29) fait que les messages des hommes de pouvoir ou de savoir sont moins crédibles ou plus facilement remis en question, ce qui ne facilite pas la gestion d’une crise et sa communication. La mondialisation qui accentue la guerre économique et les rivalités entre les entreprises n’arrange rien. Les entreprises étant souvent prises dans un engrenage de financiarisation, de course au profit et de restructuration à tout va pour survivre, ce point n’est alors pas sans répercussions notables

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sur le monde du travail. Des écarts et incompréhensions apparaissent entre salariés et dirigeants qui de plus en plus souvent se retrouvent en décalage sur la notion de la valeur « travail ». Enfin l’offensive des avocats s’accentue et leur rôle dans l’accélération d’une crise peut se révéler très efficace. On n’a plus peur désormais de s’attaquer aux plus hauts rouages de l’état ou aux lobbying comme les plaintes américaines contre certains fabricants de tabac.On assiste après la financiarisation à la juridiciarisation à outrance. Ces évolutions engendrent inévitablement une modification dans la manière de concevoir la gestion de crise, ce qui nous amène à revenir aux origines et à la naissance du concept de gestion de crise et son évolution pour mieux comprendre les nouveaux enjeux auxquels doivent faire face les organisations quelles qu’elles soient. I-D Le concept de gestion de crise I-D-1 La gestion de crise Dans ces débuts, le concept de gestion de crise, qui date d’une cinquantaine d’années, fut principalement consacré à la politique et plus généralement à son volet militaire.. Ce concept n’est pas arrivé par hasard et s’est appuyé sur des faits réels survenus au cours des années 70-80 au sein des grandes installations techniques que sont les centrales nucléaires ou encore les usines chimiques. C’est avec la catastrophe de Tchernobyl en 1986, que la gestion de crise civile fait son apparition avec une prise de conscience que les catastrophes qui peuvent résulter de ces installations sont, par leur ampleur, comparables à des catastrophes naturelles. Le premier à aborder le terme de « crisis management » applicable à toute organisation est Patrice Lagadec. Il a également été le premier à sensibiliser le monde entrepreneurial français sur un risque de type nouveau : le risque technologique majeur. Il formalisera le concept en 1993, dans son ouvrage intitulé « La gestion des crises : outils de réflexion à l’usage des décideurs » chez Ediscience International. Quelques années plus tard, Christophe Roux -Dufort, lui emboîtera le pas avec la publication du livre : « Gérer et décider en situation de crise » aux éditions Dunod. Selon Patrice Lagadec, nous devons faire face à trois types de handicap majeurs dans la gestion de crise 62 :

- Un handicap culturel : nous avons une fâcheuse tendance à penser que rien ne peut nous arriver. Pour Patrick Lagadec « tout ce qui relève de l ‘inédit, de l’exceptionnel est instinctivement rejeté »

62 Securité et Gouvernance dans des mondes explosés, Lucidité et Initiative" Presse Parlementaire, numéro spécial : "Risques, Prévention et Sécurité, Organisations et moyens", Octobre 2004, p.10.»

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- Un handicap managérial : le management tel qu’enseigné actuellement est pensé pour résoudre des situations structurellement stables, or la conduite de crise qui amène souvent à des ruptures demande des aptitudes et une éducation parfois contradictoires avec la formation reçue des dirigeants.

- Un handicap de gouvernance : des progrès sont encore à réaliser dans la gestion des crises et des événements « imprévisibles »

Trois handicaps pour lesquels il faut rapidement trouver des compétences pour appréhender les nouveaux enjeux de sécurité. Il prône l’initiative, la créativité, l’écoute de tous les acteurs concernés et surtout l’analyse des « retours d’expérience » indispensable pour « apprivoiser » et mieux comprendre les crises. On peut aussi avancer que les crises s’accentuent certainement dans des entreprises qui ne sont pas ou moins aptes au changement. A l’occasion d’une interview donnée à l’Iris63 (Institut de relations internationales et stratégiques), Didier Heiderich donne sa définition de la crise comme étant « un phénomène qui peut mettre en cause ou en danger une organisation quelle que soit sa taille ». Pour lui, bien qu’il existe des constantes dans la façon de gérer une crise comme les capacités à mobiliser les acteurs clés à un instant t, les organisations à mettre en place ne peuvent pas être standard et dépendent du type de la crise. Prévenir les crises, c’est faisable mais en balayant un certain nombre de nos certitudes, méthodes et croyances et s’y préparer, c’est s’ouvrir à l’inconnu. Selon Christophe Roux-Dufort 64, la gestion de crise est encore trop souvent abordée sous une approche « événementielle», au moment où la crise est déjà là. Il faut absolument aider les dirigeants à discerner « les terrains de crise » avant que l’événement ne survienne et ne déstabilise l’organisation. Pour cela, il faut donner aux décideurs des repères nécessaires à leurs détections. Pour lui, la gestion de crise est presque devenue « une mode » au risque de la banaliser. Enfin pour Emmanuel Bloch, la gestion de crise repose avant tout sur l’expérience et les ressources disponibles. Il est également important d’intégrer le fait que la gestion de crise est avant tout un travail avec l’ensemble des acteurs concernés. Or ce n’est pas chose aisée et pas toujours vu sous cet angle, même si nous avons évoqué en première partie que la notion de risque évoluait avec de nouvelles approches, notamment la vision systémique. Une crise fait donc finalement partie de la vie normale d’une entreprise, c’est pourquoi il faut s’y préparer et anticiper pour couvrir les risques éventuels, liés à chaque secteur d’activité. Il a été remarqué que les entreprises qui se préparent aux crises sont plus efficaces en situation réelle que celles qui n’anticipent pas. L’exemple de l’entreprise EDF en 2000 est révélateur. L’entreprise se préparait depuis quelques temps à une éventuelle crise qui pouvait survenir au 63 http://www.youtube.com/watch?v=xz8NeJEHosI, nov 2010 64 Auteur de nombreux ouvrages sur le management de crise « gérer et décider en situation de crise, outils de diagnostic, de prévention et de décision, 2003, édition Dunod

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niveau informatique lors du passage de l’an 2000. En fait, la crise potentielle que l’on attendait sur le bug informatique ne s’est pas produite mais une autre est apparue.. EDF a du faire face à des milliers de personnes qui se sont retrouvés sans électricité suite à la tempête qui a sévi en France en fin d’année 1999. l’entreprise a pu gérer dans un temps relativement restreint le problème simplement car s’étant préparé à une autre crise, elle était prête et tout le monde était mobilisé. Dès lors comment aborder ces « terrains de crises » et les intégrer dans le management d’une entreprise ou d’un organisme pour une meilleure prévention des crises ? I-D-2 Comment se préparer à faire face à une crise ? I-D-2-a) » La prévention est la meilleure gestion de crise qui soit » (Lagadec) Les organisations, souvent trop accaparées dans leur quotidien, doivent faire face à la crise quant elle est là. Or, une crise doit se gagner avant son émergence, d’où l’intérêt pour les organisations de mettre en place une organisation de crise par anticipation qui s’appréhende à deux niveaux. D’un côté, l’aspect matériel avec l’apprentissage de la gestion de crise par la pratique (recensement des terrains de crises, répartition des rôles, mise en place d’une cellule de crise, exercices de simulation, etc…) . De l’autre, l’apprentissage de la communication de crise en interne et en externe avec la préparation d’argumentaires pour une meilleure maîtrise de l’information. C’est ce que nous allons aborder dans cette partie. I-D-2-b) Le recensement des terrains de crise Les crises subies par les entreprises et les institutions trouvent leurs causes dans de nombreux domaines. Pour les identifier, des classifications ont été proposées par des experts pour aider à recenser les risques potentiels et élaborer des stratégies de réponse aux crises. Nous choisirons celle proposée par Patrick Lagadec en 1993 (Communication de crise, p 20) autour de deux axes : le caractère interne ou externe d’une crise et sa nature technico-économique ou organisationnelle, humaine et sociale selon le tableau ci-dessous : Défauts de produit ou de service Accidents dans les installations Panne informatique Informations erronées, cachées (piratées) Interne – Techniques /Economiques

Destruction majeure de l’environnement / accidents Défaillances du système à grande échelle Catastrophe naturelle (sanitaire) OPA Crise gouvernementale Crise internationale Crise financière Externe – Techniques /Economiques

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Echec pour s’adapter /changer Défaillance organisationnelle Sabotage, altération d’un produit en usine Rumeur, diffamation Activités illégales Harcèlement moral, sexuel Maladies du travail Interne – organisationnelles/humaines/sociales

Sabotage Terrorisme Enlèvements de dirigeants Altération de produits hors usine Contrefaçons Rumeurs, diffamations Grèves externes Boycottages Informations piratées Externe – organisationnelles/humaines/sociales

Les mots en italique sont ceux que j’ai rajouté à la liste et qui me paraissent être des risques nouveaux depuis 1993 dont il faut désormais tenir compte. Cette classification est toutefois à pondérer dans la mesure où l’une des particularités des crises est leur transversalité. Leur origine peut donc être une accumulation de plusieurs risques potentiels et un mélange de plusieurs facteurs. Une autre approche mérite également d’être citée, celle de Bill Faulkner65, qui a notamment effectué de nombreux travaux de recherche dans le secteur touristique et qui pense que d’emblée, il faut distinguer les crises des catastrophes (« Disaster » selon le terme de l’auteur en anglais). Pour lui, une crise est un événement interne ou externe, qui fait apparaître un problème d’adaptation ou de capacité de changements d’une structure. Une crise est introduite par l’action ou l’inaction d’une structure. Une Catastrophe est le fait qu’une entreprise ou un organisme soit confrontés de manière soudaine à un évènement pour lequel il a peu de contrôle. Il est dû à un phénomène naturel ou à une action humaine externe (Progressing Tourism Research, chapitre 11) Les organisations peuvent donc s’aider de ces classifications pour dans un premier temps identifier et recenser les crises potentielles et inhérentes à leur secteur d’activité. Toutefois, une fois répertoriées et quand bien même un plan de gestion de crise élaboré, ce travail n’est plus suffisant. Il faut se préparer, faire des exercices en amont pour accumuler de l’expérience, du sang-froid et de la connaissance car on est toujours plus efficace quand on a déjà été confronté à certains problèmes même s’ils n’étaient pas réels et de savoir de quoi on parle plutôt que d’improviser. I-D-3 L’apprentissage du management de crise par la pratique I-D-3-a Gérer une crise c’est avant tout un état d’esprit, il faut se préparer, faire des exercices.

Gérer une crise ne s’improvise pas, cela s’apprend. La prévention est primordiale et permet d’être mieux préparé lors de la survenance d’une crise ou parfois même de la contourner. Mais de nos jours, il n’est plus envisageable et suffisant de suivre de simple « fiches

65 Le Professeur Herbert William Faulkner était considéré comme le « père » de la recherche en tourisme en Australie. Il est décédé le 28/01/2002

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réflexes » ou de se contenter d’établir un plan de gestion de crise si ce dernier n’est pas d’une part renouvelé et mis à jour régulièrement et surtout s’il n’est pas assorti de pratiques d’exercices devenues incontournables dans la vie de toute organisation. Pour Patrick Lagadec, il faut absolument sortir de cet état de pensée qui est de considérer les questions de crise comme des « situations d’urgence « ou des sorties de routes accidentelles, encore qualifiées trop souvent d’exceptionnelles et surtout perçues comme ayant une probabilité faible donc un coût limité. Certes, faire de la prévention a un coût mais une gestion de crise est souvent beaucoup plus coûteuse nous dit Florent Chapel. On fait trop souvent appel à des sociétés spécialisées dans la gestion de crise au moment où la crise est déjà là, or comprendre l’organisation, son fonctionnement et ses dysfonctionnements prennent du temps. Il serait beaucoup plus judicieux de faire appel à ces spécialistes dans le cadre d’une politique de prévention. Cette politique de prévention doit faire partie de la stratégie de toute organisation qui doit impliquer, au-delà des services spécialisés, quand il y en a, les dirigeants et les comités exécutifs. Il faut apprendre à « être créatif dans l’inconnu » car nos logiques opérationnelles relèvent de paradigmes dépassés ((Lagadec, Gestion de crise). Mais la démarche de préparation aux crises, pour être efficace, doit se faire dans une dynamique positive et volontaire entre tous les acteurs concernés et non imposée et perçue comme une énième corvée qui ne sert à rien et amène au rejet. Il faut être dans une logique combative et de conquête et apprivoiser la culture du risque pour mieux conduire les crises et ne plus les subir (Sophie Huberson, Snelac)66 . La pratique d’exercices de gestion de crise nous vient de la Défense et de la Sécurité nationale qui ont été les premiers à mettre en place des outils pour gérer des situations de crise en matière de Sécurité civile. I-D-3-b Des pistes à suivre pour la formation aux exercices de crise La formation est la base de la réussite pour apprendre à monter des exercices et compléter les guides existants par un apprentissage sous forme de travail dirigé avec des mises en situation. Elle doit s’adresser à la fois aux gestionnaires de risques et aux décideurs. Des formations existent à un niveau universitaire mais aussi au sein d’instituts spécialisés ou de cabinets de consultants, moyennant un coût de formation. La formation doit se faire en amont au niveau des études mais aussi tout au long de la vie professionnelle de celui qui est en charge de la gestion des risques dans une organisation. C’est en pratiquant que l’on apprend à acquérir ses propres réflexes (ce que Patrick Lagadec a conceptualisé par la Force de Réflexion Rapide) et à savoir garder la tête froide en toute circonstance car c’est bien de cela qu’il s’agit. S’approprier les outils modernes est aussi devenu nécessaire en utilisant les moyens informatiques mis à disposition et désormais abordables comme certains logiciels via Internet. 66 Sophie Huberson déléguée générale du SNELAC (syndicat national des Espaces de loisirs, d’attractions et culturels)

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Mais pratiquer des exercices n’est rien si l’on n’instaure pas dès le départ des règles d’éthiques et de neutralité lors de la réalisation des exercices pour éviter toute zone d’influence de la part de certains acteurs, de même que les exercices de crise ne doivent pas être laissés au hasard de l’improvisation car cela a un coût en temps et en argent pour les entreprises. Réaliser des exercices de crise doit être conçu comme un projet qui pourrait se dérouler en trois phases : Une phase d’exercices de sensibilisation des acteurs qui vont êtres impliqués dans le projet Une phase d’exercices pédagogiques pour tester les connaissances et les procédures élaborées Une phase de validation permettant de valiser l’ensemble du système. -La phase des exercices de sensibilisation Cette étape doit se prévoir avant la réalisation du plan de gestion de crise. L’objectif avec ces exercices est de promouvoir une culture de gestion de crise parmi les parties prenantes de l’organisation et d’éveiller en eux l’intérêt de la mise en place d’un dispositif de gestion de crise et leur faire toucher du doigt qu’être dans un état de crise ne requiert pas forcément les mêmes compétences qu’en situation « normale » de gestion au quotidien. Manager une situation de crise demande de redéfinir un cadre de pensée et d’action qui ne peut passer que par la créativité (Christian Jeandemange, Gestion de crise, p 102) pour laquelle nous ne sommes pas préparés. Cette démarche de sensibilisation n’est pas simple à mettre en place et peut être déstabilisante pour beaucoup. Il faut y aller progressivement dans l’apprentissage mais l’étape est indispensable selon les experts en management de crise pour apprendre à produire de « nouveaux savoirs « (C. Jeandemange) et à réfléchir vite. - La phase des exercices pédagogiques Cette étape est généralement préconisée à la fin de la phase de rédaction du plan de gestion de crise (écriture des procédures et organisation à mettre en place) ou l’on apprend concrètement à se familiariser avec la gestion de crise à l’aide des documents écrits (cartographie des risques, comment procéder, la cellule de crise, les interlocuteurs etc…). Chacune des personnes concernées doit à ce moment des exercices apprivoiser le dispositif, se sentir responsable de sa mission et apprendre à travailler avec les autres. - La phase des exercices de validation C’est l’étape de contrôle et de validation de l’efficacité du dispositif, une mise à l’épreuve en quelque sorte où l’on va simuler la crise dans des conditions réelles. Intégrer la pratique par des exercices par étapes successives dans le management de gestion de crise semble être une bonne préparation et prévention aux crises potentielles qu’une organisation peut-être amenée à affronter au cours de son cycle de vie. D’autres notions doivent également être prises en compte . I-D-3-c Des notions à intégrer pour organiser un exercice de crise

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La notion de temps Il existe une relation très forte entre le temps et la crise. Apprendre à maîtriser le temps est souvent un facteur de succès et l’un des premiers principes à respecter dans la gestion d’une crise. La durée d’une crise dépend du type de l’aléa qui peut être à cinétique rapide ou lente mais aussi elle peut être majorée par l’enjeu. Le but des gestionnaires de crises est de tenter de réduire la durée de la crise. Pour cela, il faut savoir jouer avec le temps et l’intégrer dans tout exercice de crise. Il existe un temps de référence qui est notre temps universel coordonné (UTC) qui permet de régler l’ensemble des appareils de mesure sur une heure unique mais d’autres temps existent, les temps « spécifiques » (Pascal Gremillot, Gestion de crise p 33).Ces derniers se décomposent en quatre grandes familles : Les temps imposés par la nature (saisons, marées, durée de vie..) qui sont déterminés par les lois physiques ou physiologiques Les temps imposés par la société (temps politique, temps de travail, temps médiatique..) En gestion de crise, un gestionnaire de crise devra savoir caler impérativement ses actions de communication sur le temps médiatique (flash infos aux heures de grande écoute). Les temps imposés par la technologie (durée de vie du matériel, temps de déplacement des véhicules, temps de transmission de l’information..). la connaissance de ces temps est importante pour pouvoir planifier des actions nécessaires à la résolution de crise. Les temps imposés par les structures (temps imposé pour obtenir un hélicoptère ou pour alerter une population d’une catastrophe naturelle…). Les exercices sont un bon moyen de mesurer leur efficacité. Le retour d’expérience L’expérience et la pratique ne sont utiles que si on réalise des bilans pour faire le point sur ce qui a fonctionné ou pas. Savoir reconnaître les erreurs ou dire ce qui a été positif est une condition nécessaire à l’amélioration de tout dispositif de crise. Le retour d’expérience doit avoir un caractère itératif et fonctionner comme un entraînement qui aide à la prise de décision ou chacun des acteurs impliqués doit être en mesure de rapporter son propre vécu en toute impartialité. La dimension humaine et le stress Ce sont deux facteurs qui viennent se greffer sur toute organisation et à fortiori en situation de crise où les acteurs concernés ne disposent pas, à cause de cet état de stress, de toutes leurs capacités cognitives et affectives. Cet état peut venir accentuer le phénomène de crise et de déstabilisation d’une organisation et être une source supplémentaire de risque dans la résolution d’une crise. L’élaboration de la cellule de crise qui est le symbole même de la gestion de crise doit tenir compte des comportements et des relations entre les acteurs choisis qui vont devoir évoluer dans un environnement de stress. C’est pourquoi, là encore, une préparation à la gestion du stress pour apprendre à travailler dans un contexte particulier et en situation incertaine est primordiale et doit être intégrée dans les exercices pratiques de la gestion de crise.

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L’exercice est donc un moment privilégié dans la préparation à la gestion de crise car c’est le moment ou tout est permis et « l’imagination reine » (Charles Edouard Anfray, gestion de crise p 51), renforcée par des moyens technologiques modernes qui permettent une créativité sans limite. Toutefois, il ne faut jamais perdre de vue que ces exercices ont pour but de se préparer à des crises réelles et non virtuelles. Même si la clef de réussite pour l’acquisition des compétences nécessaires à une « bonne » gestion de crise, passe par la formation et la pratique, elle ne peut être efficace que sur la durée et non sur un effet de mode et sur l’implication totale de la part des équipes dirigeantes. C’est certainement ce qui est le plus difficile à réaliser pour les entreprises de nos jours qui connaissent une accélération dans leur mode de fonctionnement avec des réorganisations permanentes et un turn-over souvent important au niveau des équipes dirigeantes (phénomène plus remarquable dans les moyennes et grosses structures que dans les PME et PMI qui restent encore très familiales). Le mode de management actuel en entreprise, pour gagner en efficacité, tourne autour de trois axes en général qui sont la formalisation, la coordination et le contrôle (Christian Jeandemange, Gestion de crise, p103) . C’est ainsi que de nombreuses procédures sont écrites pour permettre de définir un cadre de référence informatif, précis et rigoureux à chacun (renforcées par le développement et l’apprentissage des nouvelles technologies en entreprise). Les personnes prennent donc l’habitude de travailler dans un cadre de travail formalisé et normalisé qui peut fonctionner avec efficacité au quotidien mais qui peut être un frein en situation de crise ou justement il est requis de sortir du cadre pour mieux appréhender l’événement et tenter de le cerner Une autre dimension importante est également à ne pas négliger quand on est dans une démarche de gestion de crise, c’est l’aspect communication. I-E Savoir communiquer, un art difficile en gestion de crise L intensité d’une crise ne dépend pas de l’événement mais de sa perception…(T.Libaert) La crise, quelle que soit son origine, doit aussi s’appréhender sous l’angle de la communication. Pour Thierry Libaert, elle doit même être au cœur du dispositif de la gestion de crise dont elle est un des éléments déterminants, qui permettra selon sa plus ou moins bonne maîtrise de surmonter la crise. La communication de crise peut être définie comme l’ensemble des techniques et actions de communication entreprises pour lutter contre les effets négatifs d’un évènement (accident, pollution, rappel produit..), sur l’image de l’entreprise concernée ou de ses produits. Elle est apparue plus tardivement que la gestion de crise et a commencé à prendre son essor au tout début des années 2000. Actuellement, il semble qu’une nouvelle phase de la communication de crise s’impose : celle de la « communication sensible ». Cette nouvelle approche s’est développée avec le constat que la notion même de crise avait évolué depuis sa prise en considération dans les années 80 avec les travaux de Patrick

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Lagadec. Elle ne répond plus tout à fait aux modèles explicatifs traditionnels développés à cette époque. De plus, l’explosion de la communication sous l’essor d’Internet a rendu caducs les principes mêmes de la maîtrise de l’information et a eu pour corollaire l’intrusion de nouveaux acteurs comme le public auquel se trouvent confrontées les entreprises avec la montée en 67puissance du web collaboratif (voire chapitre sur le rôle des médias sociaux). « La communication est d‘abord définie sous cette dénomination parce que son thème est« sensible » aux yeux de l’opinion. C’est prioritairement en raison de la perception par l’opinion publique des thèmes couverts par le risque, le sujet polémique, l’acceptabilité ou encore la crise que la communication peut être qualifiée de sensible » Lorsqu’une crise interne éclate, il faut la résorber avant que les médias ne s’en emparent ou l’image de l’entreprise en souffrira, ce qui peut lui être fatale. Toutefois, il faut reconnaître que communiquer alors que l’on est déjà en état de crise dans un environnement flou et évolutif n’est pas simple. C’est l’une des raisons pour laquelle cet aspect est encore souvent négligé ou mal géré dans la gestion de crise. I-E-1 Une atteinte à l’image d’une entreprise "La qualité de la communication prive la rumeur du terrain dont elle a besoin pour vivre et se développer" (Patrick Lagadec) Une entreprise peut voir sa réputation fortement diminuée lors de la survenance d’une crise. Cette dernière est souvent liée à la marque de l’entreprise ou à l’entreprise elle-même. L’une comme l’autre sont fragiles et doivent faire l’objet de vigilance et protection de la part des dirigeants de sociétés. Les médias ont tendance lorsqu’ils s’emparent d’une mauvaise nouvelle à renchérir sur la gravité du problème. Ces derniers ont tendance également à se focaliser plus sur les mauvaises nouvelles que sur les bonnes, renforcés par un certain côté « voyeur » des individus qui alimentent l’information à sensation qui d’une certaine façon rassure en pensant qu’il y a toujours plus malheureux que soi. L’objectif en situation de crise est de sauvegarder la continuité de l’activité et sa réputation. Il faut donc communiquer sur les valeurs de l’entreprise et créer un capital confiance vis-à-vis du public et des médias Car les médias peuvent aussi véhiculer des images positives nous dit Sophie Huberson68, il faut simplement ne pas les tenir à l’écart, les informer avec transparence et jouer le jeu sinon ils vont ailleurs et là on ne maîtrise plus rien. Ils peuvent même devenir des régulateurs émotionnels et promouvoir un discours rassurant vis à vis de l’opinion publique ! Il faut jouer sur la dimension rationnelle du journaliste. La difficulté de ces dernières années est toutefois qu’avec la montée du web 2.0, on assiste à une déferlante de journalistes « amateurs » 67 Thierry Libaert, « La communication sensible, nouvelle discipline de la communication organisationnelle » 68 Sophie Huberson déléguée générale du SNELAC (syndicat national des Espaces de loisirs, d’attractions et culturels)

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renchérit Sophie Huberson qui fait que l’information peut de moins en moins se maîtriser et que la communication de crise va devoir d’adapter et s’appréhender différemment avec ce nouvel outil très puissant. Il est toutefois plus rationnel et moins coûteux de bien gérer une crise et prendre en main sa communication que d’avoir à reconstruire une réputation endommagée. Mais la difficulté, tout comme l’aspect organisationnel de la crise étudié plus haut , est dans l’apprentissage et la pratique à communiquer en situation de crise. I-E-2 Comment aborder une communication de crise La plupart des spécialistes en communication de crise, pense que cette dernière doit s’appréhender comme une discipline non autonome et transverse et doit faire partie intégrante de la communication d’entreprise. Deux écoles existent en communication de crise : Une école technicienne ou rationaliste qui préconise qu’en période de crise, on perd ses repères, il faut donc être concret, techniques sur ses réponses et communiquer sur des faits précis : date, heure, volume.. Une école symbolique ou communicante qui nous dit qu’en période de crise, il faut se mettre sur un registre émotionnel et tant que l’on a pas les éléments techniques, mieux vaut se mettre en mode symbolique. La communication visuelle est essentiellement basée sur des valeurs, des images basées sur l’affect et sur l’émotion. Il n’y a pas à proprement parlé de prédominance de l’une ou l’autre des deux écoles mais l’on estime que les premières heures de la crise seraient davantage situées dans le registre de l’émotion alors que la période suivante serait plutôt propice à un discours plus rationnel. Ce qui est sûr, c’est que la communication de crise est avant tout une posture et un état d’esprit à posséder. Une organisation qui accepte de reconnaître qu’un dysfonctionnement existe au sein de son organisation aura plus de facilités à s’en sortir qu’une entreprise qui nie. De même, les entreprises qui démontrent un comportement humain dans leur discours semblent rebondir plus facilement après une crise. Il faut être responsable dans son discours et assumer ses choix et ses responsabilités. Cela passe mieux auprès de l’opinion publique. Il faut avoir l’esprit de conquête et valoriser les informations données. L’exemple de Total et la crise de l’Erika sont significatifs à ce sujet. Le Groupe Total, lors du chavirage du bateau Erika, a soutenu qu’il n’était pas responsable du pétrole déversé dans la mer dans la mesure où le pétrole ne lui avait pas encore été livré et que par conséquent, le responsable était le transporteur mais. Cela a été très mal vécu par la

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population et l’image du groupe s’est fortement dégradée. Le groupe aurait du opter pour une attitude plus responsable même si effectivement il n’était pas lié directement au naufrage, le pétrole transporté leur était bien destiné cependant. En communication de crise, la règle absolue pour Florent Chapel c’est l’application de « la règle du jeu : TEM (transparence, empathie, mobilisation) » La transparence : Il est légitime, quand une crise survient, de ne pas avoir tous les éléments en main pour donner des informations correctes et précises sur les évènements survenues. Toutefois, la règle de la transparence est primordiale et il vaut mieux dire que pour le moment, on ne sait pas et que l’on s’informe sur les mesures à prendre que de nier ou pire de ne rien dire sur l’événement ou encore donner des informations contradictoires. Ce souci de transparence est d’autant plus important que l’opinion publique semble de plus en plus méfiante vis à vis des institutions et ceux qui ont le « pouvoir » ou le « savoir » en ayant le sentiment que l’on nous cache des choses et que la vérité ne veut pas être révélée pour éviter une panique générale. Ce propos rejoint ce que nous avions évoqué en première partie sur les savoirs profanes et les savoirs experts. Les Français de ce point de vue semblent de plus en plus critiques vis à vis de l’information donnée surtout en période de crise. L’empathie : Quand on est face à une crise à gérer, les victimes de cette crise sont dans un état de souffrance, d’autant plus si la crise a engendré des morts ou des blessés. L’entreprise ne doit absolument pas adopter une attitude distante et faire preuve d’empathie vis à vis des victimes Elle se doit de faire le nécessaire pour réconforter et montrer qu’elle n’est pas uniquement mue par des contraintes économiques. La Mobilisation : Elle se fait à trois niveaux : -Au niveau des messages diffusés, il s’agit d’être ferme et responsable -Au niveau des mesures mises en place qui doivent être conséquentes selon le degré de la crise (il est important d’être cohérent et de réparer à la hauteur du problème survenu) - Les dirigeants doivent être présents et surtout montrer leur détermination à gérer et résoudre la crise. Une chose évidente est que la communication en situation de crise ne s’improvise pas et il est essentiel que la réflexion sur les messages à véhiculer selon le type de crise dans une organisation soit préparée et ce aussi bien en interne qu’en externe. Le but ultime, quelle que soit l’ampleur de la crise, est de remporter l’adhésion de l’opinion publique mais aussi de l’ensemble des collaborateurs. Pour cela, l’entraînement à la prise de parole (média training) dans une communication de crise est l’un des piliers de la réussite car il doit apporter à celui qui prend la parole, crédibilité et efficacité et de ces deux éléments dépendront le jugement porté par le consommateur, le citoyen, les journalistes et plus globalement le verdict de l’opinion publique. D’autant plus nous dit Florent Chapel que si les scientifiques et les organisations internationales à l’instar d’OMS, de Greenpeace, ou encore de Médecins du Monde bénéficient e d’une certaine « aura » vis à vis du public en cas de crises, les politiques

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et les entreprises privées recueillent quant à eux beaucoup plus de méfiance au niveau de leur discours. Mais la réussite d’une communication de crise a aussi pour pilier la cellule de crise. Son rôle est de valider les propositions d’action, les discours et de veiller à leur cohérence. Elle doit pour cela appliquer quelques principes de base issus de la communication sensible au sens ou l’entend Thierry Libaert : Il parle d’anticipation, base de toute stratégie globale pour une entreprise pour gagner en efficacité et activer une communication d’alliance, surtout s’il s’agit de sujets sensibles au yeux de l’opinion. Faciliter la prise de parole des relais d’opinion pour donner plus de crédibilité au discours et gagner en proximité. Ne pas hésiter à reconnaître les impacts négatifs que l’organisation occasionne et surtout occuper le terrain sur le long terme avec une présence argumentaire justifiée et constante. Enfin le dernier point est de rester vigilant sur la teneur du discours, on a déjà évoqué la transparence mais il ne faut pas négliger son accessibilité pour la compréhension de tous. I-E-3 Et si finalement les crises étaient prévisibles ? C’est le propre des crises que de faire remonter à la surface tous les antagonismes, même anciens existants au sein d’une entreprise… Une crise déstabilise une organisation car elle marque une rupture avec son fonctionnement habituel et la place dans une zone ou la prise de décision s’effectue dans un domaine d’incertitudes fortes. Se préparer est certainement l’une des solutions les plus efficaces pour aborder la crise avec plus de sérénité et moins d’effet de surprise mais ce n’est pas suffisant nous disent certains spécialistes comme Shrivastava ou Christophe Roux Dufort. En effet, les crises qui surviennent ne seraient pas le fait d’un événement isolé comme on a eu tendance à la croire pendant très longtemps mais le résultat d’un lent processus dans le temps et l’espace comme la résultante d’une série de dysfonctionnements. De plus on définit encore trop souvent la crise au regard de ces manifestations extérieures mais pas suffisamment au regard de ses propres vulnérabilités en interne. La gestion de crise telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, consiste à circonscrire rapidement l’accident ou les évènements exceptionnels et à déployer des dispositifs de prise en charge de l’urgence et de la déstabilisation. Cette approche donne à la crise un caractère exceptionnel et urgent et la plupart des formations en gestion de crise sont orientées pour aider les entreprises à retrouver le contrôle des évènements en mettant sur pied des dispositifs de prise en charge de la crise. C’est peut-être parce que l’on reste trop centré sur une approche évènementielle de la crise et son caractère fataliste et indépendant de notre volonté que la gestion de crise telle qu’elle se pratique actuellement ne répond plus tout à fait à l’évolution des crises de ces dernières années et y trouve ses limites nous dit Christophe Roux Dufort.

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Peut- on alors avancer que les crises seraient finalement prévisibles et qu’il suffirait d’être plus vigilant aux signaux avant coureurs en provenance du terrain qui sont parfois multiples et détectables. Oui, répond Denys Bresse, si on accepte d’intégrer la culture du risque qui permettrait de poser un regard différent et de développer une approche alternative du risque. Les défaillances apparaîtraient alors non comme un accident, mais comme la conséquence logique de la conjonction de divers événements aléatoires défavorables qu'il s'agit de mieux cerner (Denys Bresse, p 21) 69 . Cette approche est intéressante car elle apporte une dimension nouvelle et complémentaire à la survenance des crises qui ne seraient plus considérées comme « un point de départ d’une action exceptionnelle mais plutôt comme le point d’arrivée d’un long processus de déstabilisation ’ »(Christophe Roux Dufort ). Dans cette optique, il faut donc aider les dirigeants à mieux discerner leurs terrains de crise avant que l’événement ne survienne et ne mette en péril l’équilibre et la pérennité de leur entreprise. Selon l’approche de l’auteur (C. Roux Dufort), les crises prolifèrent et ne peuvent se propager que sur des terrains fertiles ou on a laissé s’accumuler et s’installer peu à peu des dysfonctionnements, plus par ignorance managériale et par manque de repère nécessaire à leur détection que par réelle intention de la part des dirigeants. Alors l’une des solutions serait de concevoir la crise à la fois comme un événement et un processus, l’angle évènementiel étant celui qui est abordé le plus fréquemment. L’angle processuel apporte un nouvel éclairage sur la manière de concevoir une crise dans la mesure où il consiste à voir l’événement comme un simple facteur déclencheur dans la dynamique de crise et simple résultante d’une situation déjà en marche. Ces deux angles de vision sont, bien entendu complémentaires souligne Christophe Roux Dufort, bien que l’approche processuelle qui met en lumière la partie sous-jacente de la crise a été peu abordée en théorie et en pratique. Elle met pourtant en perspective une dimension intéressante, celle de la reconnaissance d’une part de responsabilité dans l’occurrence de la crise et nous apporte un éclairage nouveau sur l’enracinement des terrains de crise qui se dessinent peu à peu par l’accumulation « d’interstices » jugés non prioritaires par les organisations et leurs équipes dirigeantes mais qui se développent et s’amplifient au fils du temps. Il suffirait donc d’identifier l’apparition de ces « zones non couvertes » par la vigilance de l’entreprise et propice aux développements d’anomalies pour réaliser une traçabilité des dysfonctionnements et permettre aux organisations d’exercer une meilleure prévention au quotidien de leur gestion de crise. Mais alors pourquoi, partant de ce constat, n’arrive t-on toujours pas à mieux anticiper les crises voire à les déjouer ? 69 Unit, Projet cyber ingénierie des risques en Génie Civil

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Chacun s’accorde à dire après coup, que des évènements dramatiques comme ceux du 11 septembre aux Etats-Unis et l’explosion de la navette Challenger le 28 janvier 1986 étaient prévisibles. Pour le premier le FBI et la CIA savaient à priori depuis longtemps qu’un tel risque pesait sur les Etats Unis bien avant que le premier avion ne vienne frapper la tour du World Trade Center et pour le second, les ingénieurs du projet avaient prévenu leur management qu’un risque de ce type était plus que probable ce qui a été confirmé par la commission d’enquête qui a mis à jour la série de signaux d’alerte ayant rendu la catastrophe quasi inéluctable. On peut alors se demander, pourquoi personne n’a rien fait pour empêcher de telles catastrophes. Quelques pistes de réflexions ci-après vont nous permettre d’y apporter un éclairage. I-E-4 Des freins à la prévisibilité des crises C’est le propre des crises de ne pas êtres conformes aux prévisions (Thierry Libaert) I-E-4-a Une société de l’urgence, « La pression accrue du rendement et de l’efficacité secrète un mal être qui vient s ajouter aux autres mal-être. Les urgences de la vie quotidienne nous font perdre la valeur du temps et de la vie, comme elles minent nos relations avec autrui et notre relation à nous-même » (Edgar Morin, la Voie p 258). Cette course effrénée contre le temps est l’une des caractéristiques de nos sociétés modernes. Christophe Roux-Dufort parle de « régime d’urgence généralisé dans lequel fonctionnent toutes les entreprises » et qui peut expliquer que l’on est forcément moins attentif, moins à l’écoute de ce qui nous entoure. La prise de recul nécessaire parfois pour comprendre un environnement et ses risques potentiels disparaît au profit de priorités données au court terme. La vigilance décroît. Le regard critique d’une organisation est du coup souvent anesthésié par une charge mentale importante liée aux contraintes de survie immédiate de la structure qui sont la rentabilité, la concurrence accrue. Phénomène accentué avec l’invasion des nouvelles technologies comme les téléphones portables qui impliquent d’être disponible à tout moment ou encore les systèmes d’informations qui nous donnent l’information en temps réels. « Ce régime d’urgence » tel que le nomme Christophe Roux Dufort dans lequel se sont installées les entreprises et qui est devenu un mode de management (objectifs chiffrés dans un temps limité, réalisation de bilans à trois mois voire un mois pour certaines entreprises), donne cette sensation permanente que tout est devenu urgent. Cela fragilise forcément et ouvre la porte selon lui à de nouveaux types de crises et de risques industriels. N’ayant plus le temps de l’analyse et du discernement, les managers sont alors pris dans un engrenage de priorités à donner à leur quotidien et laissent s’installer peu à peu des dysfonctionnements qu’ils n’ont pas le temps de voir et donc de corriger. Il faut toutefois pondérer cela par le fait que cette perception de l’urgence provient des sociétés occidentales qui ont une vision linéaire et irréversible du temps faite de successions

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d’échéances dont l’ultime est celle de la mort. Dans les pays africains et asiatiques, la conception du temps est cyclique ce qui implique que rien n’est jamais fini et que tout peut recommencer ou se refaire. Cependant, et on peut peut-être le regretter, c’est souvent la conception occidentale dans l’économie de marché mondiale qui prend le dessus sur l’autre. I-E-4-b Des facteurs bloquants dans notre capacité à transmettre les informations Sébastien Jardin70, dans une publication qu’il a écrite dans l’Observatoire International des crises, nous fait part de son étonnement quant à la survenance des crises alors que souvent l’information est à disposition. Pour lui, il manque un maillon clé dans la chaîne qui unie le terrain aux gestionnaires de crises et qui rendrait plus complexe la gestion de crise. L’une des premières explications vient de la nature humaine. Il existerait en chacun de nous des freins psychologiques puissants à la circulation des informations Ces blocages ne seraient pas intentionnels mais plutôt parce nous aimons tous avoir un avantage par rapport aux autres en termes de position sociale, de connaissance d’un sujet ou d’un client ou un fournisseur donné. La difficulté réside donc en notre capacité à échanger les informations que nous détenons et surtout en avoir le temps ! C’est la deuxième explication. Pour Sébastien Jardin, ce sont les managers qui ont bien souvent les clés de l’anticipation des crises puisqu’ils détiennent l’information par leurs équipes en provenance du terrain. Toutefois, et à ce niveau on rejoint le point de vue de Christophe Roux Dufort, le fait de travailler dans une urgence chronique fait que le ratio « importance-urgence » est dominé par le poids du court-terme pour en oublier de regarder au loin et autour et ne plus avoir de vision globale de son environnement pourtant indispensable au fonctionnement de toute organisation. Les alertes sont souvent présentes mais pas entendues ou transmises par faute de temps mais peut-être aussi parce les managers sont plus sensibilisés sur ce qu’il faut faire mais pas ce sur quoi il faut faire attention ! I-E-4-c L’effet de sidération Pour Didier Heiderich, l’effet de sidération consiste en notre incapacité à agir au vu de certains évènements tant leur dimension a une telle ampleur ou semble tellement incroyable que cela ne nous paraît pas réalisable. Si on ajoute que l’on a tendance à ne voir que ce dont nous avons déjà fait l’expérience et à développer des mécanismes de défense pour nous protéger de certaines réalités menaçantes, on comprend mieux les difficultés que nous pouvons avoir à discerner les terrains de crise ou les dysfonctionnements qui s’accumulent au fur et à mesure Nous restons parfois blottis dans nos croyances et ne pouvons imaginer le pire. Cette hypothèse est reprise par Thierry Libaert 71qui parle d’incrédulité de la part des décideurs qui malgré l’information qu’ils détiennent sur les risques potentiels d’une

70 Sébastien Jardin est ingénieur IBM. Son article : Vision business globale et équation importance-urgence : Une méthode pour mieux diffuser les signaux d’alerte. 71 Publication dans l’Observatoire International des crises : L’impossible prévisions des crises, 2009

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catastrophe ou d’un événement majeur se retrouvent dans l’incapacité à envisager un tel scénario et essaieront toujours de se rassurer sur quelques indicateurs épars alors que la plupart convergent vers un risque maximal. Cette vision est souvent renforcée mais faussée aussi par certains dans la « rassurance » d’avoir mis en place des outils techniques et communicationnels suffisamment efficaces lesquels, dans l’éventualité d’une crise, la réduiront considérablement. « L’accélération des crises nécessite un changement de paradigme. Trop influencés par notre culture technique, nous nous réfugions dans des typologies, des circuits d’information, des processus alors que la notion même de crise a changé » (Thierry Libaert). Ne faut-il pas alors tenir compte d’une nouvelle dimension dont on ne connaît pas encore les répercussions à terme sur notre société mais qui, c’est certain, nous oblige à revoir peu à peu nos modes classiques de pensée et de management, le web 2.0 et en particulier dans la gestion de crise l’influence du web social ? I-E-4-d Une nouvelle dimension dans la gestion de crise : le web social L’apparition du web social a eu pour conséquence de modifier notre approche en termes de relations et notre façon de communiquer avec les autres. Pour Emmanuel Bloch72, avec le web social sont apparus plusieurs bouleversements structurels majeurs : Notre relation au temps qui selon lui est passée d’un mode long « chronos » qui est celui de la planification et de la stratégie à un mode court « kairos » qui est devenu celui des opportunités et de l’adaptabilité en permanence. Notre relation à l’autorité qui est passée d’un mode de fonctionnement patriarcal avec le respect du père, du patron, des experts à un mode « fratriarcal » fondé sur la communauté et par voie de conséquence la disparition de ce qu’il appelle « la ligne de commandement ». Avec le web social, l’organisation vient désormais de la base et favorise un nouveau type de communication, celle asymétrique qui modifie les règles de la relation entre les entreprises et leur public ou un état et ses citoyens. Le plus bel exemple est celui des révolutions du Printemps Arabe » où Facebook et Twitter ont joué un rôle considérable dans l’émancipation de ces populations opprimées et dépourvues de libertés de parole. Le principe de la communication asymétrique est simple et ne respecte plus les codes traditionnels mais exploite au maximum la puissance offerte par le web collaboratif en allant chercher en un temps record le soutien du plus grand nombre de personnes pour faire pression sur une organisation et la contraindre parfois à changer de comportement ou de cap. Le web social permet à chacun de devenir son propre média. L’impact d’Internet peut en fait s’exercer à trois titres sur la gestion d’une crise : 72 Emmanuel Bloch est expert en communication sensible et d’influence. Il enseigne la communication de crise dans des mastères et des organismes de formation. Il a écrit notamment, « Communication de crise et médias sociaux », aux éditions Dunod.

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Internet, comme source de crises potentielles : Internet peut -être source de crise à deux niveaux dans ce domaine. Un niveau technique par le piratage de sites, l’envoi de virus ou encore d’un nombre important d’informations dans le but de saturer certains sites. Un niveau communicatif avec la vitesse de propagation de l’information qui se trouve aujourd’hui démultipliée par le web-2.0, particulièrement avec les réseaux sociaux et les blogs qui accentuent la visibilité d’une crise. Cela exige une réactivité encore plus grande de la part des organisations concernées qui peuvent se retrouver assez rapidement déstabilisées. Internet, lieu d’amplification des crises : Internet permet d’accroître le retentissement médiatique d’une crise et parfois faire d’un simple incident, une crise majeure si certains relais d’opinion s’en emparent. Des sites contestataires peuvent se créer et être relayés sur les blogs, les forums de discussion et les réseaux sociaux tels que facebook ou twitter pour ne citer qu’eux. Internet, comme outil de gestion : A l’inverse, si Internet peut amplifier une crise, il peut aussi être un outil de prévention et de réduction des crises par la mise en place de veilles efficaces et pertinentes. Il existe différents type de veille qu’une organisation peut aborder dans le domaine de la surveillance de son environnement et du jeu des acteurs dans un but de prévention de crises potentielles. On peut en noter trois qui vont différer en fonction des besoins et des résultats attendus par une organisation.

- Une veille économique qui vise à obtenir une compréhension du marché et des concurrents, des tendances en recherche et développement, des risques potentiels techniques, naturels ou encore politiques.

- Une veille marketing qui permettra de mieux comprendre les relations des consommateurs par rapport aux marques, d’être à l’écoute de leurs commentaires, déceler des leaders d’opinion et surtout d’identifier les tendances de fond en matière de consommation.

- Une veille d’opinion qui est celle où repose le plus la prévention de crise pour E. Bloch. mais aussi la plus complexe et qui requiert le plus de vigilance dans la mesure où il faut savoir identifier les mouvements potentiels d’opinion avant qu’ils ne se déploient et se multiplient et surtout comprendre comment de tels mouvements peuvent prendre forme et impacter une organisation

Comme le souligne E. Bloch dans son livre ( Communication de crise et médias sociaux ), le plus difficile dans la mise en place de veilles sur Internet est la sélection des informations et savoir se concentrer sur les « contenus utiles » Il cite à ce sujet les propos de Guilhem Fouetillou, co-fondateur de Linkfluence (institut d’études spécialisées sur le web) qui nous dit que 0,3% des contenus font 95% des audiences. Il ne sert donc à rien de se disperser mais il faut d’abord donner du sens à l’information collectée. Un autre point important pour réaliser une veille efficace est de confier la mission de veille à des personnes qui connaissent aussi bien la structure et ses valeurs que les rouages du web. L’un ne peut pas aller sans l’autre.

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Même si les fondamentaux d’une gestion de crise demeurent une bonne anticipation, un entraînement et l’évaluation du retour d’expérience, celle d’une communication de crise doit se baser sur un discours ouvert, empathique, emprunt de compassion pour les victimes s’il y en a et bien sûr dans la transparence et le respect de l’autre. On ne peut plus nier aujourd’hui que les réseaux sociaux ont un rôle d’influence sur les crises et leur gestion. Par la rapidité des informations car il s’agit avant tout d’un lieu d’expression des émotions et d’échanges d’informations où personne n’a peur de s’exprimer. On peut même avancer qu’avec l’émergence des réseaux sociaux, de nouvelles crises sont apparues, des crises « exogènes » déclenchées par Internet et portant essentiellement sur l’image d’une entreprise. Ces crises, difficiles à appréhender et à la croissance progressive, se développent principalement sur l’incompréhension entre une organisation et ses communautés. Tous ces phénomènes provoquent de gros changements pour les organisations, entre autres la maîtrise technique du Web 2 0 et la compréhension sociale des enjeux et usages des réseaux sociaux. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes entre la génération dirigeante peu habituée à ces nouveaux outils et celle de la génération Y montante qui elle les maîtrise parfaitement. Emmanuel Bloch nous parle « d’inversion du savoir » où pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les jeunes générations maîtrisent mieux la technologie que leurs aînés… La majorité des organisations semblent encore très frileuse vis-à-vis de ce moyen de communication et même si de nombreuses grandes marques sont désormais présentes sur les réseaux sociaux, leur façon de transmettre les informations restent encore dans un mode « top down » à sens unique (Emmanuel Bloch) alors que les médias sociaux doivent êtres considérés avant tout comme un lieu d’échanges et de dialogue. Un décalage certain se fait sentir entre les internautes donc l’opinion publique et les organisations qui n’ont peut-être pas encore intégré que c’est l’état d’esprit et les fondements de l’organisation même qu’il faut changer. De nombreuses entreprises ont engagé ces dernières années, un nouveau profil dans leur recrutement, celles des Community Manager pour réaliser l’interface entre l’organisation et le web-2.0. Toutefois, la difficulté aujourd’hui selon Didier Heiderich73, c’est que leur utilité n’est pas encore pleinement reconnue et donc leurs pouvoirs forcément limités. Qu’en est-il dans le secteur touristique et plus particulièrement celui qui nous intéresse, celui des opérateurs de voyages et de séjours ? II Comment la profession s’organise t-elle autour de la

prévention des risques voyages ?

Comment mieux appréhender et accompagner la démarche sécuritaire dans le secteur des opérateurs de voyages et de séjours

73 Consultant, créateur du Communication-sensible.com et Président de l’observatoire international des crises

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La gestion des risques et des crises doit constituer un enjeu majeur pour le tourisme. Peu de recherches sur la gestion de crise ont été effectuées au niveau du secteur du tourisme, pourtant c’est un secteur très vulnérable et exposé à de nombreux risques que nous avons généralisés par le risque voyage. Une partie de la réponse vient peut-être du fait de la transversalité de la recherche dans le secteur qui touche de nombreux domaines aussi variés que l’économie, la géographie, les sciences humaines, le droit, etc… Nous allons toutefois analyser les moyens et outils mis en place dans la profession touristique en France pour appréhender la sécurité des touristes. Comment la profession est-elle organisée pour faire face à ces crises de demain, de quels outils disposent-elles et sont-ils suffisants ou assez efficaces pour prévenir les crises ? II-A La gestion du risque voyage : un défi pour les professionnels du

tourisme et les pouvoirs publics Les crises qu’elles soient d’ordre sanitaire, climatique, terroriste, etc.. ont une influence sur la carte des vacances. Nul n’est à l’abri d’un état de crise qui peut survenir et dans lequel l’entreprise ou la destination concernée se retrouve rapidement dans un mode de fonctionnement dégradé auquel chacun doit faire face. Les questions de sécurité touchent tous les pays. Même si le phénomène sécuritaire a tendance à se banaliser (phénomène de résilience), il faut l’intégrer comme une donnée déterminante des analyses prospectives dans la conduite des entreprises touristiques mais aussi au niveau des pouvoirs publics qui ont une obligation de veiller à la sécurité de leurs concitoyens en France et à l’étranger.. II-A-1 Les acteurs privés du tourisme face au risque voyage L’une des difficultés majeures pour les professionnels du tourisme est de pouvoir passer d’une logique de divertissement ou de rêve (vendre un produit pour un temps donné pour détourner les clients de leurs préoccupations habituelles) à une logique de sécurité (tenir un discours sécuritaire sur les risques éventuels encourus lors d’un voyage afin de garantir l’intégrité des individus et les conforter dans l’idée qu’ils peuvent voyager en toute sécurité en leur vendant par exemple une assurance voyage). C’est comme si le futur voyageur était à la fois dans une attente objective et subjective en matière de sécurité mais que paradoxalement, il ne se sentait pas totalement prêt à entendre un discours trop sécuritaire de la part du voyagiste qui pourrait le ramener un peu trop vite à son quotidien et à ses contraintes qu’il est justement venu « oublier » en souhaitant acheter un voyage. Les professionnels sont donc parfois pris dans une équation complexe face au risque voyage. Ils doivent à la fois savoir concilier la bonne information aux clients, le faire rêver tout en

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sachant évaluer les risques que les clients peuvent encourir selon les destinations ou les produits proposés. L’offre de produits touristiques est le fait d’une grande variété d’acteurs qui occupe chacun une place spécifique dans la filière touristique ; les transporteurs, l’hôtellerie et la restauration, les tours opérateurs et les agences de voyages. Notre analyse des acteurs du tourisme portera principalement sur les métiers des tours opérateurs et des agences de voyages qui sont les deux métiers en charge du déplacement des touristes hors de leur quotidien et qui vendent l’ensemble des prestations touristiques de la filière touristique (y compris l’hébergement et le transport). Toutefois, ces dernières années, l’arrivée d’Internet et l’évolution du comportement des voyageurs a bousculé en peu de temps un certain ordre établi entre producteurs et distributeurs. II-A-1- a Une profession qui connaît de profondes mutations Comme dans beaucoup d’autres secteurs économiques, le secteur touristique évolue dans un secteur concurrentiel. L’arrivée d’Internet a bouleversé les systèmes de distribution classique et par conséquent l’organisation de vente des produits touristiques. Le client peut en effet accéder et réserver un large choix d’offres divers et varié ; de la prestation seule comme une nuitée dans un hébergement, un transport aérien, ferroviaire ou à un forfait tout compris. Les clients se sont habitués à co-produire leurs vacances voire pour certains à les produirent par eux-mêmes, se passant d’intermédiaires, en l’occurrence les professionnels du voyage. Le client est désormais au cœur du processus du e-tourisme. Le chamboulement est d’autant plus marqué que certains professionnels comme les tours opérateurs, les transporteurs ou encore les hébergeurs voient aussi en Internet une belle opportunité de s’adresser directement à leurs clients et ainsi éviter les intermédiaires. Force est de constater qu’au-delà de l’apprentissage d’une nouvelle technologie plus interconnectée et plus informatisée (François Victor, cabinet Kanopée), il faut voir en Internet la remise en question des modèles économiques traditionnels et contractuels des acteurs de la production et de la distribution. Les acteurs professionnels ont donc vu leur modèle économique traditionnel menacé et ont dû repenser leur organisation pour s’adapter à cette mutation d’ordre structurel. La profession qui semble la plus menacée dans ce contexte est celle des métiers de la distribution. II-A-1- b Une profession complexe qui a du mal à se fédérer Notre analyse portera essentiellement sur l’organisation des acteurs privés qui portent l’économie du secteur des opérateurs de voyages et de séjour. Toutefois, les acteurs publics ont aussi un rôle à jouer, nous verrons comment infra. Une situation de crise implique tous les

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acteurs du privé et du public et chacun dans son domaine doit être vigilant pour être prêt le moment voulu. Des structures existent dans la profession comme le SNAV (Syndicat National des Agents de Voyages), organisme professionnel crée en 1945 et qui défend les droits de ses adhérents, essentiellement des agences de voyages. Parallèlement, existe aussi le CETO (Centre d’Etude des Tours Opérateurs crée en 1973 et devenue l’Association des Tours Opérateurs en 2001) qui regroupe les tours opérateurs les plus importants de France. Cet organisme émet notamment des recommandations en concertation avec les tours opérateurs et le SNAV en cas de crise, sur les annulations, reports ou remboursements à effectuer dans de tels cas. Cette démarche est assez récente puisqu’elle remonte au tout début des années 2000 suite aux évènements du SRAS ou pour la première fois apparaît ainsi une réelle concertation au sein de la profession entre distributeurs et producteurs. Un autre organisme important est l’APS (Association Professionnelle de Solidarité du tourisme) qui fournit à ses adhérents la garantie financière. Il intervient lors de faillites d’opérateurs touristiques pour protéger les consommateurs et veiller à leur garantir leur voyage ou le remboursement des sommes versées en cas de défaillance du voyagiste. On assiste donc à une profession qui commence à s’organiser pour faire face entre autres aux multiples risques et crises qu’elle doit gérer de plus en plus régulièrement. Même si la profession reste encore très cloisonnée, d’un côté les distributeurs, de l’autre les tours opérateurs puis les hôteliers et les compagnies aériennes, on voit émerger une volonté de se fédérer. Le meilleur exemple est l’annonce faîte par le CETO en décembre 2010 de créer une fédération des métiers du tourisme regroupant les grands acteurs du tourisme comme la FNAM (les compagnies aériennes), l’UMIH (l’hôtellerie), l’UDIV (Union des Distributeurs du Voyage dont la grande distribution comme Voyages Carrefour et Leclerc voyages font partie avec Thomas Cook et Nouvelles Frontières) et Level.com (représentant les agences en ligne). Pour René Marc Chikli, le Président du CETO, « il est grand temps d’être considéré comme une industrie organisée et sérieuse »74. L’objectif est d’adhérer au Medef pour que la profession soit enfin représentative. Ce projet de fédération permettrait à la profession d’avoir un poids plus important auprès de l’Etat à l’instar d’autres fédérations ou lobbying comme l’agriculture et elle pourrait ainsi mieux se faire épauler et aider dans le cas de crises majeures comme celles vécues avec le volcan Eyjafjöll ou le Printemps Arabe. Toutefois, depuis cette annonce faite il y a deux ans maintenant, le projet de fédération est resté au point mort et n’a toujours pas vu le jour. Du chemin reste encore à parcourir. Il est à noter cependant que si la profession peine encore à se rassembler, les relations entre la profession et les consommateurs avancent avec la nomination depuis juillet 2011 d’un médiateur tourisme. Cette médiation, initiée par les représentants du transport (FNAM) et du tourisme (CETO et SNAV), est née des revendications des consommateurs et des associations 74 Source le Quotidien du Tourisme, article « Fédération du tourisme : le Ceto passe à l’action », 15 décembre 2010

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dont UFC-Que choisir suite à la fermeture quasi générale du trafic aérien européen provoquée par les cendres volcanique de Eyjafjöll en 2010. Ce dispositif, gratuit pour le consommateur et dédié aux voyages à forfaits et aux vols secs, a pour but de privilégier la résolution extrajudiciaire des litiges après vente et est financé à parts égales par les trois fondateurs nommés ci-dessus ainsi que par les frais de dossiers et d’interventions facturés pour chaque dossier traité par le médiateur. Une profession donc, dont il est vrai pour beaucoup, de comprendre le fonctionnement tant les contours d’activité entre production et distribution restent parfois flous à saisir. On peut supposer d’ailleurs qu’ils le seront de plus en plus dans les prochaines années avec l’utilisation accrue d’Internet des consommateurs qui vont « piocher » des prestations chez les uns et chez les autres pour souvent monter leur propre voyage. Le package tel qu’il a été conçu par les tours opérateurs avec l’avènement du tourisme de masse dans les années 60 semble en perte de vitesse (on entend par package un séjour assemblé par un voyagiste comprenant le transport, l’hébergement et des activités touristiques pour lesquels il a négocié au préalable des stocks et des tarifs). II-A-1- c Une profession qui a de lourdes responsabilités en matière de sécurité des voyageurs Les Français voyagent majoritairement en France en tourisme non marchand (chez des amis, de la famille ou en résidence secondaire) et s’ils le font en tourisme marchand, ils réservent généralement en direct sans passer par les professionnels pour réserver. D’après une enquête d’Eurostat75, les Français ont effectué 225 millions de voyages en 2011 répartis pour 89 % en France et 11 % à l’étranger. Sur la totalité de ces voyages réalisés en France et à l’étranger, seulement 8 à 9 % passent par des professionnels du tourisme (à l’inverse des Allemands et des Anglais qui eux font majoritairement appel à des professionnels pour réserver). Pourtant, c’est une profession qui a de lourdes responsabilités en matière de sécurité des voyageurs car la majorité des clients qui passent par des organismes de voyages sont ceux qui partent à l’étranger. La profession est donc fortement impactée par des évènements touchants à la sécurité des biens et des personnes. Les acteurs du tourisme doivent concilier l’information, l’évaluation du risque, la protection de l’individu, la poursuite de l’activité économique et la survie de l’entreprise : cela reste une équation complexe. Nous allons étudier comment les opérateurs de voyages et de séjours s’organisent et appréhendent chacun à leur niveau le risque touristique du départ au retour de leurs clients, en tenant compte à la fois des facteurs inhérents à l’activité, des impondérables externes et plus précisément du risque voyage. 75 Source Eurostat publié le 2/7/2012 sur le nombre de voyages touristiques des résidents des 27 pays de l’UE sur l’année 2011.

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II-B Comment la profession se répartit les rôles autour du risque voyage ? II-B-1 le rôle des producteurs : une démarche tournée vers la prise des risques Les producteurs que l’on appelle plus communément Tours Opérateurs sont des opérateurs touristiques qui ont pour rôle principal la fabrication de séjours ou circuits organisés pour une clientèle plus ou moins ciblée. Parmi ces producteurs, on a des producteurs généralistes comme Fram, Thomas Cook, TUI ou des spécialistes comme Asia, Kuoni ou Donatello… La plupart des producteurs édite une brochure destinée au public dont les produits sont revendus par des agences de voyages distributrices qui assurent la vente directe des produits en échange d’une commission. Depuis quelques années, le modèle producteur en amont et distributeur en aval de la filière touristique est en train de se modifier dans la mesure où des tours opérateurs ont décidé d’ouvrir leurs propres agences de voyages pour se rapprocher ainsi de leurs clients (Kuoni, Fram, TUI etc…) ou encore, ont créé leur site Internet, non seulement en « BtoB » (business to business) mais aussi en « BtoC » (business to customer). Toutefois, le producteur reste celui qui prend des risques en s’engageant financièrement sur l’achat de places d’avion ou d’hôtels appelés « allotements » pour assurer aux clients des départs garantis et permettrent aux agents de voyages de les vendre jusqu’à la dernière minute. La contrepartie au risque est d’appliquer une politique de yield management pour optimiser la rentabilité et ne pas subir de pertes financières qui pourraient mettre en danger la survie de l’entreprise Dans ce paysage parfois complexe, le CETO (Association des tours opérateurs) est très actif et s’est engagé dans un certain nombre de chantiers dont la mise en place d’un dispositif de gestion de crise commun à tous les voyagistes que nous étudierons infra, comme un exemple de gestion de crise dans la profession. II-B-1-a Le rôle fédérateur du CETO La majorité des tours opérateurs français adhèrent au CETO puisque ce dernier représente environ 80% du marché des voyages à forfait et des vols secs. Ce dernier joue un rôle essentiel à plusieurs niveaux :

- Un rôle de collaborateur et de rassembleur pour et entre les tours opérateurs qui parfois sont en concurrence frontale sur des destinations.

- Un rôle de coordinateur dans la filière touristique sur l’ensemble des destinations, (France y compris) avec un dispositif dédié de conférences téléphoniques.

- Un rôle de communicateur et de porte-parole auprès des professionnels, de l’état et de l’opinion publique en jouant les cartes de la transparence et de la crédibilité dans un cadre ou l’information doit être rapide et structurée.

- Un rôle de gestionnaire de ressources et de gestionnaire de crise pour les tours

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opérateurs mais aussi pour les agences de voyages en collaboration avec le SNAV.

La mise en place d’un outil spécifique à la profession : le SIS

Le CETO a souhaité mettre en ligne son propre dispositif de suivi et d’analyse des risques pays et concevoir un outil spécifique à la profession en accès « BtoB » (business to business). Depuis 2011 un portail d’information a donc été rendu accessible via le portail général de l’association : le SIS (Service d’Information Sécurité). Ce portail à une double fonction, d’une part informer sur les déplacements des Français à l’étranger mais aussi donner la position des voyagistes sur les destinations jugées à risque et les recommandations du CETO. Il est à souligner, comme l’a fait remarquer le président du CETO René Marc Chikli, que le nouveau portail SIS n’a pas pour vocation « à remettre en cause la légitimité du site du Quai d’Orsay » dont nous parlerons plus loin. On peut se demander alors, pourquoi avoir souhaité mettre en place, un énième outil sur la sécurité des voyageurs alors que de nombreux autres sites existent à disposition de la profession et du public.

Plusieurs raisons ont été à l’initiative de ce portail. En tout premier lieu, une volonté de la part du CETO de pouvoir avoir la main sur l’évaluation, selon ses propres critères et par voie de conséquence celui des voyagistes, des évènements susceptibles d’impacter la profession. Une autre raison est de permettre aux professionnels du tourisme et particulièrement les tours opérateurs qui ne sont que des intermédiaires et donc n’ont pas accès au public directement de pouvoir prouver qu’ils ont bien observé leur devoir d’information via le site (des documents sont téléchargeables sur chaque destination et traçables dans l’historique du site). Enfin, la dernière raison a été la volonté de s’aligner sur les professionnels d’autres pays européens comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne qui avait déjà leur propre outil d’information dédié et qui dans leur pays est une composante de leur démarche qualité. La France a pris du retard en matière d’information sécuritaire aux voyageurs et doit donc le combler. La mise en place du site SIS est l’une des réponses à ce retard.

II-B-2 Le rôle de la distribution : une démarche orientée vers la prévention des risques II-B-2-a Le rôle des agents de voyages La profession des agents de voyages est très réglementée et son objectif premier est la protection du client. L’agence de voyages est présumée responsable devant la loi de la non-conformité des prestations qu’elle a vendues à son client. Elle ne peut dégager sa responsabilité qu’en justifiant de l’un des trois motifs prévus par la loi : la faute du client, celle d’un tiers autre que l’un de ses prestataires ou en cas de force majeure (imprévisible, et insurmontable). Le droit français s’est fondé sur la notion de contrat pour définir la responsabilité du professionnel du voyage. En cas de défaillance de l’un de ses prestataires, l’agent de voyage

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est responsable et c’est lui qui devra porter assistance aux clients (article L 211-17 du Code du Tourisme76). L’agent a également une obligation d’information préalable au bénéfice du consommateur (chapitre premier du code de la consommation mais aussi article R211-4 du Code du Tourisme77). Lorsque ce dernier vend un voyage, il contracte donc un certain nombre d’obligations envers son client et se doit :

- De renseigner le client sur toutes les caractéristiques du produit vendu, - D’être prudent dans l’organisation des excursions, dans le choix et la surveillance des

prestataires de services (c’est son rôle de sélectionner les tours opérateurs avec lesquels il va décider de travailler)

Toutefois, si la responsabilité de plein droit est réelle (et entraîne parfois de lourdes charges pour l’agent de voyage), il n’est cependant pas tout seul a endossé cette responsabilité et peut se retourner en cas de conflit vers le ou les prestataires défaillants pour réclamer préjudice. En règle générale, les professionnels avec lesquels travaillent les agences qu’ils soient hôteliers, compagnies aériennes ou tours-opérateurs sont relativement solidaires et selon la gravité du problème travaillent ensemble pour apporter le meilleur service au client. Mais il n’en ait pas moins vrai que le client est de nos jours, de plus en plus considéré par la jurisprudence, comme « irresponsable » et de nombreux cas jugés récemment ont donné raison au client alors que le voyagiste avait légitimé le cas de force majeure. Certains, comme Eric Denécé, avance même qu’à terme, la Communauté Européenne plaidera en faveur « d’une responsabilité sans faute » du professionnel à l’instar de ce qui existe déjà dans le droit communautaire avec une directive CEE de 1985 sur la responsabilité liée à l’utilisation des produits dangereux (Tourisme et terrorisme p118). Il faut donc sensibiliser les professionnels sur le rôle fondamental de l’information qui doit englober des aspects beaucoup plus larges que les simples obligations juridiques prévues au contrat pour permettre une meilleure prévention des risques et des crises qui peuvent en découler. II-B-2-b Un rôle à jouer dans la prévention des risques, une opportunité à saisir Les agences de voyages pour survivre et se développer doivent impérativement mettre en avant leur valeur ajoutée en faveur des clients et de leurs prospects. La concurrence est rude et la désintermédiation se fait sentir tous les jours un peu plus surtout dans le domaine des services et des voyages en particulier.

76 L’article L-211-17 du code du tourisme, institué par l’ordonnance du 20/12/2004 dispose que « toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l’article L-211-1 est responsable de plein droit, à l’égard de l’acheteur , de la bonne exécution des obligations, résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. » 77 Pour lire le détail de l’article concerné : http://www.legifrance.gouv.fr - Code du tourisme – Livre II – Titre 1er – section 2 : contrat de vente de voyages et de séjours

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Ce qui est sûr, c’est que chacun doit s’adapter à ce nouvel environnement et tenir compte que désormais si les touristes sont prêts « à intégrer » certains risques quand ils voyagent (risque terroriste par exemple) , ils devront toutefois être limités et calculés, Une agence de voyages doit participer avant tout à la sécurité des voyageurs, avant même la notion de plaisir et de bien d’expérience. On constate bien souvent que si les notions de prix, produit et services sont mises en avant dans l’argumentaire de vente, la notion de sécurité est souvent oubliée. Les phénomènes de « rassurance » et de recherche de sécurité que l’on a évoqués supra doivent donc plus que jamais être intégrés dans leurs actes et discours sans oublier que si la vente d’un voyage est le premier acte du service voyage, les consommateurs réclament de plus en plus un service après-vente personnalisé. Cela fait également partie du bien d’expérience, ce que les voyagistes ont parfois tendance à oublier. L’information comme moyen utilisé pour prévenir les risques voire les crises qui peuvent en découler. Nous pouvons illustrer cela par l’exemple des risques cycloniques dans les pays tropicaux à certaines périodes de l’année. Le risque peut-être le cyclone qui s’abat sur la région où se trouvent des touristes. Au moment où le voyage est vendu, le cyclone peut ne pas être connu Par contre, les professionnels (agents de voyages, sites Internet..) peuvent prévenir les voyageurs en attirant leur attention sur les risques encourus compte tenu de la période, les moyens à mettre en œuvre et les consignes à respecter dans un pareil cas. Il ne s’agit pas d’effrayer les touristes mais de leur permettre d’être vigilants et de ne pas être pris au dépourvu si un tel événement devait se produire. L’information comme moyen utilisé pour réduire les risques. Dans le cadre de la vente d’un voyage, le professionnel peut réduire le risque du client en lui proposant une assurance annulation. En effet, si le client doit annuler son voyage pour un motif de santé où désormais pour toutes cause justifiées (assurance multirisque d’Europe Assistance), sans achat d’assurance annulation (qui reste obligatoirement un achat facultatif dans la législation), il risque de perdre la totalité de son voyage (des frais d’annulation étant appliquées au client à partir de 30 jours avant la date de départ ). L’assurance annulation sert à couvrir ces frais qui seront de plus en plus élevés au fur et à mesure que l’on s’approchera de la date de départ. Dans un paysage de multiplication des canaux de distribution et de nouvelles pratiques d’achat, on peut s’interroger sur la place qu’auront demain les agences de voyages traditionnelles encore fort nombreuses dans le domaine de la distribution (on dénombre encore entre 4 et 5000 agences de voyages en France, appartenant ou non à un réseau de distribution). L’opportunité de se positionner en véritables experts de l’information comme valeur ajoutée pour le client est l’une des solutions. D’autant que devant la masse d’informations et de services qui s’offrent aux individus via le web-2.0, un nécessaire filtrage de l’information peut devenir un véritable atout pour les professionnels

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D’après une étude du cabinet Raffour Interactif78, les clients veulent de plus en plus avoir accès à une offre personnalisée et vivrent des voyages expérientiels, très bien organisés. L’offre Internet est pratique et souvent alléchante mais le nombre d’heures passées pour comparer, vérifier, réserver peut en rebuter plus d’un dans un monde où l’on court après le temps. De plus, l’offre Internet a tendance à se banaliser pour n’offrir que des produits facilement commercialisables dans laquelle effectivement un intermédiaire n’a pas beaucoup de latitude pour offrir de la valeur ajoutée (billets d’avion ou de train, nuits d’hôtels ou encore package de séjours en clubs ou en résidence). On peut alors se demander si une nouvelle répartition des rôles n’est pas en train de se faire dans le monde de la distribution des voyages. D’un côté une offre via Internet banalisée et « impersonnelle » avec des prestations simples ou le client n’a plus besoin de se déplacer pour réserver mais ne sait plus très bien à qui il a à faire ou à qui il a acheté sa prestation de voyage et de l’autre l’offre des agences de voyages qui pour jouer pleinement leur rôle de conseillers se trouvent dans l’obligation de se spécialiser dans une offre de services sur mesure, trop complexe à réserver sur Internet pour le client et surtout grande consommatrice de temps. « L’agent de voyages devient plus que jamais un véritable conseiller avec une mission d’assistance que le client ne pourra jamais trouver ailleurs, ni auprès des centres d’appels téléphoniques des compagnies aériennes, ni auprès des sites Internet de ventes de voyages. Cette dimension humaine est l’atout de base de votre profession » déclarait Gilles de Robien, en 2005, alors Ministre des Transports. Mais depuis 2005, le monde du voyage a encore évolué et celui d’Internet aussi. Les progrès du Web sont fulgurants et de nouveaux opérateurs touristiques à l’instar de Planetveo.com se sont depuis spécialisés dans la vente de voyages sur mesure sur Internet en ayant su mettre en place un outil efficace de réservation et des conseillers performants qui informent le client par téléphone. Il est à noter aussi que ces nouveaux arrivants sur le marché peuvent êtres considérés comme une véritable menace pour les réseaux de production et de distribution classiques (au sens du modèle de Porter) par la mise en place d’un modèle économique qui a su tenir compte des évolutions et des attentes des clients tout en jouant à fond la carte des nouvelles technologies. Leur volonté de se démarquer de la profession et de garder une certaine liberté d’actions est aussi à noter comme le démontre l’interview réalisée par le magazine Tourmag à Geoffroy de Becdelièvre, fondateur et PDG de Planetveo,com79. A la question du magazine : « Quelles sont vos relations avec les autres professionnels du tourisme, le SNAV, le CETO... » Le PDG répond : "Jusqu'à maintenant nous ne faisions pas partie de réseau tourisme... Nous avons justement très prochainement rendez-vous avec le CETO. Nous allons voir… » Cela démontre deux choses pour le professionnel « traditionnel » du tourisme : 78 Le Cabinet Raffour Interactif est un cabinet d’études spécialisé dans le tourisme et l’e-tourisme . 79 Article « Planetvéo.com : un ovni dans le secteur du voyage sur mesure et en ligne »Tourmag 27/6/2012

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- Une nécessaire adaptation aux changements dans un monde qui évolue à grande vitesse avec une remise en question continuelle de son modèle économique pour survivre.

- La confirmation que le rôle de conseiller voyages est plus que jamais d’actualité et que l’information aux clients est primordiale et doit se faire non seulement au niveau des opérateurs en liens directs avec les clients mais également à tous les niveaux de la filière touristique.

II-B-3 Des limites toutefois de responsabilités

Les voyagistes et en particulier les agents de voyages ont un rôle indéniable à jouer dans l’information donnée aux clients et doivent l’intégrer dans leur argumentaire de ventes comme un atout de la profession. Toutefois ce devoir d’information comporte des biais et on peut se demander jusqu’ou les distributeurs mais aussi par extension les producteurs doivent participer au devoir d’information ? Selon l’avocate Maître Joëlle Forest- Chalvin, avocate à Lyon : « le tourisme est une activité qui intéresse l’économie d’un pays, il n’est donc pas concevable de laisser aux seuls voyagistes la charge d’une indemnisation qui devrait être répartie sur la collectivité tout entière ». Pour confirmer ces propos, on peut citer la condamnation du voyagiste Ultramarina en juin 2006 lorsque le tribunal de grande instance de Paris a rendu un jugement retenant la responsabilité civile du voyagiste Ultramarina et de son assureur AXA, suite à une prise d’otages de touristes lors d’un voyage en Malaisie en 2000 sur l’île de Jolo. Le tribunal a estimé que le voyagiste n’avait pas fourni je cite : « une information complète et loyale sur la situation en omettant de les mettre en garde contre les graves dangers auxquels ils risquaient d’être confrontés ».80 La cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation en 2009 après que le voyagiste et l’assureur ont fait appel. L’avocat des ex-otages a déclaré au nom de ses clients : « que les tours opérateurs et agences de voyage doivent prendre enfin conscience que la sécurité de leurs clients doit être leur priorité en leur qualité de professionnels du voyage et que cette longue procédure s'achève enfin par le prononcé de cet arrêt"81. Cette limite quant à la responsabilité des voyagistes reste d’actualité, elle pose non seulement la question du devoir de l’information mais aussi celle de la prise en charge financière qui incombe à ce jour aux professionnels en cas de conflits à gérer. Les professionnels ont encore en mémoire le coût des affrètements d’avion pour rapatrier les clients suite au déclenchement du Printemps Arabe ou encore les nombreux remboursements effectués et les procédures 80 Source cabinet Mundubeltz, article « Tourisme et risque terroriste » écrit par Brigitte Mundubeltz 81 Source le Quotidien du tourisme du 26/1/2009, article « Otages de Jolo : la justice confirme la condamnation d'Ultramarina.

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judiciaires toujours en cours suite à la fermeture du ciel européen lors de l’éruption du volcan Eyjafjöll en 2010. À ce titre, René Marc Chikli, Président du CETO, est clair en soulignant qu’à terme : « la responsabilité ne pourra plus incomber à 100% aux voyagistes et devra être partagée » II-B-4 Des voyagistes producteurs et distributeurs qui s’appuient aussi sur d’autres

secteurs de compétences : le rôle des assureurs Comme nous l’avons déjà évoqué, un individu qui décide de faire du tourisme est un individu qui par le seul fait de se déplacer prend des risques. Ces risques sont de deux ordres : le premier est le risque d’annulation d’un voyage. En effet l’achat d’un voyage se fait avant la date réelle du départ (même si on observe une tendance ces dernières années à l’achat de dernière minute, la majorité des voyages s’achètent plusieurs semaines voire plusieurs mois à l’avance). On peut donc être obligé d’annuler son voyage avant le départ pour des raisons médicales pour soi ou ses proches. Le deuxième risque est tout ce qui peut survenir dès le départ jusqu’au retour du voyage que nous avons déjà nommé le » risque voyage » (accident dans les transports, tempête, risque sanitaire, crise cardiaque, accident de piscine, etc…) Pour répondre à ce besoin « d’assurer » les individus, les producteurs et les distributeurs font appel à des compagnies d’assurance spécialisées dans l’assurance voyage comme Mondial Assistance ou Europ Assistance, les pionnières, ou plus récemment Groupama avec Présence Assistance. Ces sociétés collaborent avec les voyagistes en leur proposant un produit d’assurance voyage pour leurs clients qui permettent de couvrir les deux types de risques évoqués ci-dessus. Ce produit d’assurance voyage comprend donc : - Des garanties d’assistance qui incluent généralement l’assistance aux personnes en cas de maladie, blessure ou décès au cours d’un voyage, de retour anticipé en cas d’hospitalisation, décès d’un membre de la famille resté en France ou d’un sinistre survenu au domicile, d’avances, si nécessaire, de frais médicaux ou d’hospitalisation sur place, de frais de recherche ou de secours en mer et montagne, d’avances de caution pénale ou prise en charge d’honoraires d’avocats à l’étranger. De plus en plus d’assureurs voyage proposent également des garanties d’assistance après le voyage pour des personnes devant être hospitalisées en France après un retour anticipé, avec des services à domicile tels que l’aide ménagère, la garde des animaux de compagnie, l’école à domicile, etc …. - Des garanties d’assurance qui incluent la possibilité d’annuler son voyage sous certaines conditions. Historiquement pour maladie, accident grave ou décès du souscripteur ou de l’un des membres proches de la famille, du remplaçant professionnel ou de la personne en charge de la garde des enfants au cours du voyage. Progressivement, au cours de ces dernières années, au regard des différents évènements qui se sont succédés de part le monde (catastrophes naturelles, terrorisme, le volcan Eyjafjöll en 2010 ou plus récemment les évènements en Méditerranée du Printemps Arabe), les assureurs ont dû s’adapter et les garanties annulation se sont étendues et assouplies. La plupart proposent

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désormais l’annulation pour toutes causes justifiées : si l’assuré peut justifier son annulation par le caractère imprévisible de l’évènement et prouver qu’il est indépendant de sa volonté, il sera remboursé (selon le barème des frais d’annulation). D’autres garanties d’assurance existent comme la couverture contre la perte, le vol ou les dommages aux bagages, le retard aérien, les frais d’interruption de séjour, la responsabilité civile à l’étranger ou encore la garantie individuelle accident (paiement d’indemnités en cas d’accident corporel pouvant atteindre l’assuré pendant la durée de son voyage). Mais les assureurs ne s’arrêtent pas là et fourmillent d’idées pour innover et proposer toujours plus de garanties aux clients comme le départ et/ou le retour impossible ou encore les vacances gâchées… Cette démarche rejoint la tendance actuelle de vouloir tout prévoir à tout prix et garantir le maximum « d’imprévus » aux clients. Proposer ce genre de garanties aux clients rassure et encourage encore plus à penser que le risque voyage n’existe pas mais en fait on peut se demander qui en sont réellement les bénéficiaires car au final c’est bien le client qui paye ! On peut se demander si trop de protection vis-à-vis du consommateur n’entraîne pas finalement plus de méfiance et d’exigence en matière de sécurité ?

Parallèlement, les assureurs élargissent leur métier et proposent des offres de « Gestion de Crise » à leurs clients voyagistes.

II-B-4-a Un métier qui évolue vers l’aide à « la gestion de crise » Nous prendrons pour illustrer cette évolution et à titre d’exemple le rôle joué par Europ Assistance.

Europ Assistance, de part son métier, est quotidiennement impacté par des événements extérieurs : catastrophes climatiques, accidents aériens, attentats, pandémies... Les origines de la crise peuvent être diverses en entreprise : incendie, explosion, accident mortel de travail, système informatique paralysé, crash aérien, attaque médiatique… Les situations de crise, qu'elles soient majeures ou de moindre importance, peuvent avoir des répercussions importantes sur les clients, les organisations et les collaborateurs d’Europ Assistance car ils peuvent concerner simultanément plusieurs sociétés du Groupe (filiales). C'est la raison pour laquelle le Groupe a mis en place des procédures, des dispositifs et des outils qui lui permettent de coordonner, au niveau mondial, ce type de situations et de formaliser un savoir-faire en la matière acquis depuis plus de 40 ans. La société Europ Assistance s’est donc dotée d’un nouveau service créé récemment pour aider les entreprises à prévenir, gérer et communiquer en cas de situation de crise en leur proposant d’acheter un véritable produit d’expertise crise. …Elle agit essentiellement à deux niveaux pour le moment :

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- Au niveau de tours opérateurs (Fram, le Club Med) ou de compagnies aériennes qui ont décidé de faire appel à Europ Assistance et son savoir-faire pour mettre en place un dispositif de gestion de crise personnalisé. Cette prestation comprend l’élaboration d’un guide de procédures « gestion de crise « mentionnant des informations sur les premières actions à mener en cas de déclenchement de crise (Alertes des services et personnes concernés, mise en place d’une cellule de crise, engagement des actions dont l’assistance aux victimes, l’organisation des transports pour les rapatriements…) et celui d’un guide d’astreintes de crise (premières personnes à contacter).

- Au niveau des entreprises qui dans un contexte de mondialisation sont amenées à

expatrier ou missionner leurs salariés dans les pays étrangers parfois troublés (catastrophes naturelles, politique, criminalité, terrorisme…) Pour répondre à ce nouveau « risque mobilité » auquel les sociétés doivent faire face, Europ Assistance propose en collaboration avec la société « Crisis Consulting »82 un nouveau service axé sur la sécurité des collaborateurs lors de leurs déplacements professionnels et inclut des prestations en amont de conseils et d’informations préventives des risques mais aussi d’enregistrement du déplacement du collaborateur pour permettre un suivi proactif sur place et si nécessaire une intervention en cas de crise.

Toutefois, les services proposés par Europ Assistance dans ce domaine restent essentiellement des services d’assistance plus qu’une véritable aide à la formation en gestion de crise. Parallèlement, à la vente de ces assurances voyages proposées pour répondre au risque voyage d’un individu, Il ne faut pas oublier, le métier de base des assureurs qui est celui d’assurer les risques de toutes sortes comme les risques naturels (risques d’inondations), techniques (défaillance d’une machine..) ou tout simplement assurer un hôtel ou un paquebot en cas de perte ou dégradation. Les sommes engagés et les primes d’assurance ne sont plus du tout dans le même registre que les assurances voyages proposés aux clients car proportionnelles aux risques encourus (cf. la première partie, le chapitre intitulé « II-B/ Les limites du modèle assurantiel «). A titre d’exemple, le montant de la prise en charge du naufrage du Costa Concordia va coûter à la compagnie d’assurances anglaise qui l’assurait quelques 300 millions d’Euros…. II-B-5 Le rôle des pouvoirs publics, un soutien réglementaire et informatif à la

profession Les pouvoirs publics, face à la gestion des risques touristiques, ont un rôle majeur en termes de réglementation mais aussi de mise à disposition d’informations pour aider les professionnels à prendre des décisions dans un cadre préventif des risques et de concertation. Certains comme le Ministère des Affaires Etrangères ont mis en place des outils pour crédibiliser la démarche d’information auprès des voyageurs. 82 Crisis consulting est un cabinet de management et conseils en gestion de crises et négociations pour la sécurité des expatriés, analyses des risques : prises d'otages, kidnapping, en proposant des prestations d'analyse et de gestion des risques internationaux.

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II-B-5-a) Les référents Le ministère du commerce, de l’artisanat et du tourisme Sylvia Pinel a pris en charge ce nouveau ministère créé en juin 2012.. Il est encore tôt pour connaître les objectifs que se donnera ce ministère en matière de tourisme mais on sait d’ores et déjà qu’il sera vigilant en matière de réglementation. Lors d’une interview sur les immatriculations des opérateurs de voyages et de séjours, la Ministre a rappelé que les conditions imposées aux professionnels immatriculés, notamment la garantie financière offerte aux clients, et la souscription à une assurance responsabilité civile, permettent de ne pas faire courir aux clients "un risque inacceptable » (Extrait du communiqué de presse de Sylvia Pinel du 05/7/2012) Le Ministère des Affaires étrangères : MAE Il est le référent pour la profession et l’ensemble des acteurs se tourne vers lui pour prendre note, discuter et élaborer, Une cellule de veille a été mise en place depuis 1997 par le ministère, Elle est composée de 5 personnes. Sa mission est d’assurer une veille permanente sur les situations pouvant affecter la sécurité des ressortissants et touristes français à l’étranger par la mise en œuvre d’un dispositif adapté à la gestion des risques et leur prévention (liens permanents avec les ambassades, consulats de France à l’étranger). L’un des outils de prévention mis à la disposition de tous les ressortissants et de la profession du secteur touristique est le site internet « conseils aux voyageurs ». Avec une mise à jour régulière, il informe sur l’état de sécurité des pays à travers le monde et les risques éventuels encourus qu’ils soient d’ordre climatique, politique ou sanitaire. Cette démarche d’information est juridiquement obligatoire puisque telle que le définit la Convention de Vienne (1964), les représentants des états se doivent de porter assistance à leurs ressortissants en difficulté et de les rapatrier si nécessaire. Depuis peu, un nouvel outil dénommé « Ariane » a été mis en place par le « MAE » pour permettre une traçabilité des touristes où qu’ils soient de par le monde et pour les autorités françaises de localiser dans un délai relativement court les voyageurs. Cet outil semble particulièrement intéressant pour les individus qui ne passent pas par un service marchand ou un intermédiaire de voyages et pour lesquels il est très difficile de retrouver la trace en cas de problème. Toutefois, le site « conseil aux voyageurs » du MAE a ses limites. C’est une des raisons pour laquelle le CETO a souhaité mettre en place son propre outil d’information, le SIS. La position des tours opérateurs n’est pas toujours celle du Quai d’Orsay qui est souvent plus radicale et plus globale. Un problème circonscrit à une région d’un pays n’implique pas forcément la fermeture de la destination dans son intégralité. Il faut ainsi parfois être plus nuancé dans l’argumentaire. Le site du Ministère des Affaires Etrangères (MAE ) reste une référence auprès du public et de la profession mais d’un côté, nous avons une logique publique avec des impératifs et des enjeux qui ne sont pas les mêmes que la logique privée des Tours Opérateurs. Le MAE ne prône qu’une mission de conseil et d’ailleurs ne prétend pas représenter une caution légale devant les tribunaux. Comme il est stipulé sur son site :

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« Le MAE ne peut en aucun cas être tenu responsable d’incidents qui pourraient survenir pendant un voyage » A cette raison, s’ajoute le fait que le Quai d’Orsay doit parfois tenir compte de considérations politiques et diplomatiques qui peuvent à un moment lui faire manquer de partialité dans les informations données. Le Ministère des transports Il intervient au niveau de la sécurité dans les transports, les aéroports et la mise en place de problématique de crises communes entre les professionnels du tourisme, le ministère des Affaires étrangères et la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) II-B-5-b) Les acteurs de l’ombre Les ministères de La Défense et de l’Intérieur La Défense est le bras armé de la République et peut-être considéré comme une source « technique » du risque voyage. C’est la Défense qui est en charge de procéder à l’évacuation des ressortissants (logistique, sécurité) et de gérer les enlèvements de touristes ou expatriés à l’étranger. Quant à l’intérieur, bien que plus discret, il sert à la sécurité des citoyens sur le sol national et parfois au-delà en travaillant sur l’international avec Interpol (dimension criminelle et terroriste du risque voyage) L’Union Européenne La CE intervient de plus en plus au niveau du tourisme en Europe qui est devenu une compétence européenne depuis peu. Elle intervient avec des directives dans la prévention des conflits, des droits de l’homme ; la sécurité aérienne (charte) etc… Le système Onusien Les Nations Unies sont au cœur de la dynamique du risque voyage avec notamment plusieurs entités telles que :

- L’OMS : veille sur les épidémies, la santé des voyageurs avec le programme des Nations Unis pour le développement (PNUD) et l’organisation de l’Aviation Civile internationale (OACI)

- L’OMT en faveur d’un code mondial d’éthique du tourisme, du tourisme durable, de la lutte contre la pauvreté et des problèmes de sécurité… C’est un opérateur international déterminant qui publie chaque année de nombreuses études de réflexion et de données chiffrées sur l’état actuel et à venir du tourisme mondial.

Parallèlement l’OMT œuvre pour la sécurité du tourisme dans le monde en créant un service international dans les années 90 (Le réseau Sécurité et Protection du Tourisme) qui repose sur une participation volontaire de ses adhérents qui font bénéficier de leurs compétences et connaissances la profession et les consommateurs. « L’objectif du réseau est la protection de la vie, de la santé et de l’intégrité

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psychologique et économique des voyageurs, des travailleurs du secteur et des personnes composant les communautés d’accueil » (Tourisme et Terrorisme, p 95). Une publication de fiches nationales fournissant des renseignements sur la sécurité et la protection des touristes dans les pays est régulièrement mise à jour et disponible sur le site de l’OMT.

Les acteurs qu’ils soient publics ou privés semblent donc attentifs et conscients de l’information qu’ils doivent dispenser en matière de sécurité aux voyageurs. Chacun essaye à son niveau de répondre au risque voyage en intégrant des outils d’information (Le SIS pour le CETO, le « Conseil aux voyageurs » du Ministère des Affaires Etrangères ou encore les sites proposés par les compagnies d’assurance voyages comme « Voyagez Zen » de Mondial Assistance.). On peut aussi se demander si à un moment donné, trop d’information ne tue pas l’information tant il peut être difficile de s’y retrouver dans cette somme information éparse et diffuse. Ne risque-t’on pas une surcharge d’informations au détriment d’une ligne directrice claire et déterminée surtout quand il s’agit de sécurité ? C’est à ce niveau que les distributeurs peuvent avoir leur rôle à jouer dans une démarche de qualité et de délivrance de l’information sur le risque voyage. Chacun des acteurs semble également avoir un rôle défini dans l’implication du risque voyage. Les producteurs sont plus tournés vers une prise de risque importante puisqu’ils doivent s’engager financièrement auprès des compagnies aériennes ou hôtelières pour assurer les prestations qui composent le voyage aux distributeurs et donc aux clients. Les distributeurs quant à eux doivent répondre à un devoir d’information et de responsabilité sur la prestation achetée par les clients et les assureurs amènent leur expertise d’une part dans le domaine de l’assistance médicale et du rapatriement mais aussi dans le domaine de l’assurance voyage. Enfin la présence des pouvoirs publics apporte un cadre législatif à cette organisation. Toutefois reste à poser des limites sur la sur la prise de responsabilités en matière de sécurité des voyageurs que ce soit au niveau de l’information ou de la prise en charge financière. Il semble qu’à terme, une réflexion devra être menée avec les pouvoirs publics et tous les acteurs du tourisme concernés, assureurs y compris, pour essayer d’aboutir vers une solution équilibrée alliant la protection du voyageur et la viabilité, à terme, d’une profession déjà durement touchée par les nombreuses catastrophes qui inévitablement ponctuent ce domaine d’activité. Ce qui nous conduit au chapitre suivant. Après avoir étudié, le rôle de chacun des acteurs dans la prise en charge du risque voyage pour prévenir du mieux possible les crises potentielles, abordons la façon dont certains opérateurs de voyages sont ou ne sont organisés et préparés à faire face à une gestion de crise. III Comment la gestion de crise est-elle abordée chez les

opérateurs de voyages ?

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« La meilleure façon d’éviter une crise est de la prévenir. Et le pire moment pour se préparer à une crise, c’est quand on est dedans! »83 Certains acteurs du tourisme ont mis en place des dispositifs pour parer aux gestions de crises et réfléchissent régulièrement aux solutions à apporter et améliorer pour être le moins possible dans le désarroi le jour ou un évènement provoquant une crise intervient. Nous citerons deux exemples, celui du CETO et du tour opérateur Marmara. Toutefois, nous verrons que si faire de la prévention, mettre en place des outils et dispositifs de gestion de crise sont des éléments indispensables, il est tout aussi primordial de s’être préparé à une bonne gestion médiatique, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas. Nous prendrons également deux exemples pour illustrer ces propos, celui de Costa Croisières et de la Compagnie Air France. Enfin, nous tenterons de réfléchir à un dispositif simple que chaque voyagiste à son niveau de compétences et de structures pourrait mettre en place pour intégrer la gestion de crise définitivement comme partie intégrante du métier. III-A La gestion de crise au sein de la profession : Des pistes à suivre ou à ne pas suivre … Au niveau du marché de la production et de la distribution, pour toutes les raisons qui ont été évoquées ci-dessus mais aussi pour des raisons financières et de structures, l’élaboration de la gestion de crise peine à se généraliser et revient pour partie à l’assureur qui va apporter son soutien et son savoir-faire en collaborant avec les opérateurs touristiques. Cependant, le CETO et quelques voyagistes à l’instar de Marmara ont fait de la gestion crise leur « second métier », d’autres comme Costa Croisières et Air France, bien que « préparés » n’ont pas su gérer une étape importante de la gestion de crise, sa communication. III-A-1 Le rôle fédérateur du CETO dans la gestion de crise Le CETO a mis en place un dispositif permanent de gestion de crise et assume pleinement son rôle de gestionnaire de crise pour les tours opérateurs mais aussi pour les agences de voyages en collaboration avec le SNAV. Ce dispositif comporte trois étapes :

Avant la crise

Le dispositif permanent intègre un certain nombre d’éléments comme :

- Le centre de crise composé du président, du secrétaire général et de l’attaché de presse du CETO. La mise en place de relais opérationnels avec l’appui de gestionnaires de crises des tours opérateurs, des compagnies de transports, des réseaux d’agents de voyages, des réceptifs sur place (sources locales) et de relais institutionnels tant en France qu’à l’étranger.

83 Extrait de l’article « Quand la crise éclate » tiré du site « veilletourisme.ca » http://veilletourisme.ca/2008/08/29/quand-la-crise-eclate/

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- Un dispositif efficace pour faire circuler l’information via un canal de distribution propre au CETO avec l’utilisation de son portail SIS en mode « pull » via Internet pour recevoir les informations relatives aux destinations et en mode « push » via l’envoi de mails aux professionnels pour mettre l’accent sur une information particulière. La création d’un forum entre professionnels est aussi utile pour échanger.

- Une veille permanente réalisée pour mieux anticiper et accroître la vigilance de chacun avec un certain nombre de procédures écrites comme un annuaire téléphonique avec la liste des tous les contacts mobiles et E-mail des personnes responsables à contacter en cas de crise mais aussi la procédure à suivre rapidement dans le cas où une destination deviendrait fortement déconseillée par le site officiel du MAE (Ministère des Affaires Etrangères) selon l’illustration ci-dessous :

Pendant la crise

Trois phases importantes qui se chevauchent :

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- La phase de détection avec l’activation de la cellule de crise, de la coordination avec les différents relais opérationnels et institutionnels pour jauger de la situation et des risques encourus pour la profession et les clients avec appréciation du cadre juridique et économique.

- La phase de l’urgence avec la mise en place d’une communication efficace avec les médias et les relais opérationnels et institutionnels (alertes, Sms, mails etc..), l’activation de la procédure ci-dessus pour gérer les clients déjà sur place ou pas encore partis, soutien et aide aux tours opérateurs dans la mise en place si nécessaire d’une logistique adéquate mais aussi soutien aux clients ou familles de clients selon le degré de l’événement. Le CETO doit être capable de prendre une décision pour ses membres dans les trente minutes qui suivent la connaissance de l’événement si cela le nécessite.

- La phase de la maîtrise de la crise avec une communication toujours présente, rapide et régulière et des informations transparentes et objectives. Il est indispensable de « protéger » la profession qui est souvent en première ligne et soumise aux émotions les plus diverses de clients éprouvés par un choc ou un événement survenu lors de leurs vacances. Il faut coordonner, gérer, être solidaire. C’est à mon sens l’une des grandes réussites du CETO depuis sa création, avoir réussi à fédérer des professionnels qu’ils soient distributeurs ou producteurs pour ne faire entendre désormais qu’une seule et même voix face aux multiples crises que connaît le secteur, tout du moins dans la coordination et la façon de gérer les dossiers clients (coordination au niveau des frais d’annulation, reports des clients sur d’autres destinations etc..). La maîtrise de la crise consiste aussi en la diffusion de documentations et d’indicateurs chiffrés, à évaluer les impacts réels sur le secteur touristique (mise en place de baromètres et d’outils de perception auprès des clients)

Après la crise

Il faut envisager la phase de relance auprès des membres des destinations touchées par la crise et la gestion des dossiers litigieux entre les clients et les professionnels dans un contexte juridique, économique et médiatique depuis peu. Il faut aussi comprendre la crise, ce qui s’est passé et faire un retour d’expérience.

Pour Jürgen Bachmann, secrétaire général du CETO, chaque crise est différente mais avec de l’anticipation, on est plus à même de faire des choses cohérentes par la suite. Il est indispensable de jouer l’interface avec les tours opérateurs et de mettre en place des relais opérationnels et institutionnels pour une mise en réseau efficace de la profession et de la gestion de crise.

Toutefois, ce dispositif se fait dans le cadre de l’association et n’exclue aucunement le fait que chaque membre du CETO dispose de ses propres moyens de gestion de crise comme nous allons l’étudier ci-après avec le dispositif de gestion de crise mis en place par le Tour

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Opérateur Marmara.

III-A-2 La gestion de crise vue par Marmara Pour faire face à une situation de crise grave, le voyagiste Marmara, comme d’autres de ses confrères, s’est doté d’un dispositif d’urgence ces dernières années et a pu éprouver son efficacité lors des évènements du Printemps Arabe qui a contraint le voyagiste, en début d’année 2011, à rapatrier des milliers de clients qui étaient en séjour dans leur club de vacances. Marmara, spécialiste au départ de la Turquie, a mis en place très tôt un modèle économique efficace axé sur une logique de tourisme de masse en s’engageant financièrement sur les allotements aériens et terrestres pour pouvoir proposer des tarifs attractifs aux clients. Progressivement et avec un modèle économique éprouvé en Turquie, le voyagiste a étendu son activité à quelques pays du pourtour méditerranéen comme la Tunisie et le Maroc. Le principe même des fondateurs de Marmara, la famille Vighier, est de jouer la carte d’une destination à fond avec un effet de volume et de standardisation dans tous leurs clubs. Le voyagiste contrôle l’ensemble des prestations du séjour proposé aux clients : de l’aérien, à l’hébergement, en passant par la restauration, les excursions, l’animation, etc. La maîtrise et le volume des prestations permettent de réaliser des économies d’échelle et obtenir pour les clients un rapport qualité- prix imbattable sur le marché des clubs. On peut ne pas adhérer à ce style de vacances et trouver le modèle trop rigide car les contreparties de ce dernier imposent de partir à des dates de départs et de retours fixe, non modifiables et une standardisation dans les prestations touristiques offertes. Toutefois, force est de constater qu’au fil des années, Marmara est devenu le leader incontesté en France des forfaits tout compris en club sur ces destinations moyens courriers. C’est aussi l’un des rares Tours opérateurs français dont le modèle économique réalise des bénéfices depuis des années, ce qui est à souligner. Depuis peu, Marmara s’est rapproché du groupe allemand TUI et fait désormais partie du groupe TUI, Marmara, Nouvelles Frontières. Fort de son volume d’activité, Marmara a été aussi l’un des premiers à mettre en place un dispositif de gestion de crise au sein de son entreprise qui a pu être testé lors des évènements du Printemps Arabe . Toute l’équipe a été réquisitionnée et en moins de 72 heures, onze avions ont été affrétés pour rapatrier 2200 touristes de Tunisie et 1700 d’Egypte 84. Au centre du dispositif, la mise en place d’une cellule de crise avec les principaux dirigeants de l’entreprise et l’ensemble des collaborateurs joignables jour et nuit en cas de crise (liste prédéfinie et mise à jour régulièrement) qui se réunissent dans une salle dédiée avec une dizaine de lignes téléphoniques et de connexions aux serveurs de réservations et un site web actualisé en temps réel. Le travail se fait en équipe et en collaboration avec les professionnels du tourisme, dont le CETO pour mesurer l’urgence ou non de la situation, des mesures à 84 Source Capital.fr, » la gestion de crise, l’autre métier de Marmara »,21 avril 2011

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prendre et des informations à communiquer aux médias mais aussi aux agents de voyages et aux individus concernés mais aussi avec les interlocuteurs clés sur le terrain, les autorités françaises et locales…Un centre d’appel propre à Marmara est prévu, renforcé par une équipe du centre d’appel de l’assureur du voyagiste, en charge de l’assistance médicale en fonction du volume et de la sensibilité des appels. D’après Marmara, les procédures internes sont régulièrement auditées par la maison Mère, TUI , en Allemagne et testées grandeur nature lors d’exercices de simulation (une fausse prise d’otages en Egypte par exemple) pour acquérir les réflexes nécessaires en cas de vrai problème. Marmara affirme d’ailleurs qu’en cas de crise, les décisions sont parfois prises en flux tendus et pas seulement par les dirigeants mais aussi les salariés qui ont « toute latitude pour engager l’entreprise sans même en référer à leur hiérarchie » Ce dernier point nous fera rebondir sur les risques « visibles » et souvent médiatisés comme ce fut le cas pour Marmara lors des retours massifs en plein Printemps Arabe et l’éloge de son efficacité à travers la mise en place d’un dispositif bien rôdé, ce qui a été le cas. Mais que peut-on dire de la non prise en compte des risques « invisibles » moins intéressants car moins impressionnants aussi bien pour la presse que pour l’entreprise mais pourtant plus proches et plus récurrents dans la vie d’une entreprise ? Pour illustrer ces propos, je prendrai le cas d’une mésaventure qui m’est arrivée avec le voyagiste Marmara suite à un problème technique au niveau du transport. Le vol ayant été annulé, le départ pour la destination prévue n’a pu se faire, faute de trouver un avion de remplacement en période estivale. C’est embêtant mais ce n’est pas à ce niveau que se situe la mauvaise gestion « de crise » du voyagiste. Elle se situe d’une part, au niveau du manque d’information totale et de prise en charge des passagers à l’aéroport mais aussi en termes de responsabilité que personne n’a été en mesure de prendre durant 12 heures, ni la compagnie aérienne, ni Marmara, ni l’assureur pour répondre à des questions restées sans réponse. Affirmer ainsi que les salariés en cas de crise ont « toute latitude pour engager l’entreprise sans même en référer à leur hiérarchie » correspond plus à de belles paroles qu’à des actes concrets ! C’est un exemple intéressant car il fait réfléchir sur le besoin de mettre en place des dispositifs de gestion de crise pour parer à des évènements de grande ampleur mais pas seulement. La profession doit aussi pouvoir intégrer tous les cas de figures, y compris les moins spectaculaires mais qui à la longue peuvent venir ternir l’image d’une société, avec tout ce que cela peut avoir comme conséquences. Nous verrons plus loin que la gestion de crise quel que soit degré de gravité, doit véritablement faire partie intégrante de la culture d’entreprise d’un voyagiste. III-A-3 Le cas de Costa, un mutisme non compris

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A la suite du naufrage du Costa Concordia le 13 janvier 2012 qui a fait une quarantaine de victimes, de l’avis de tous, la compagnie Costa Croisières n’a pas été très performante dans sa communication, surtout dans les premiers 48 heures et ce, pour plusieurs raisons. La première est que l’entreprise a mis 48 heures avant de réagir et donner un début d’explication sur les évènements survenus dans la nuit du vendredi au samedi. Le samedi, l’AFP a essayé de joindre Costa mais sans succès et il en fut ainsi tout le week-end (propos recueillis par Audrey Kauffmann, journaliste à l’AFP). Première erreur pour Costa, d’avoir laissé la presse s’emparer du sujet (images tournant en boucle durant tout le week-end) sans donner le moindre début d’explication et permettre aux journalistes de faire leur travail et surtout les laisser libres ainsi que l’opinion publique d’interpréter l’événement à leur guise Une mauvaise nouvelle peut se répandre rapidement et être l’objet de rumeurs ou de désinformation si aucune stratégie de communication n’a été envisagée par l’entreprise. On peut donc constater dès les premières heures un manque de transparence et d’empathie de la part de Costa. Pourtant, remarque Florent Chapel, c’est dommage car la mobilisation s’est rapidement fait sentir au sein du personnel du bateau et aurait pu être un élément fédérateur autour du drame car on peut aussi penser que si le personnel n’avait pas été autant mobilisé et dévoué il y aurait pu avoir encore plus de victimes. Ces éléments auraient été signalés dès le départ aux journalistes, on peut supposer qu’une autre histoire aurait pu être racontée. Si l’histoire est racontée dès le départ remarque Florent Chapel, il n y a plus grand chose à raconter après… L’autre erreur qui a été commise est de ne pas avoir reconnu immédiatement la responsabilité de Costa Croisières mais d’avoir cherché un bouc émissaire en accusant le capitaine. Chacun a sa part de responsabilités et le capitaine avait tout de même été embauché par la compagnie quelques années auparavant… III-A-4 Air France déstabilisée par ses pairs On ne peut reprocher à la compagnie Air France d’avoir été opérationnel dès la connaissance du crash Rio-Paris en juin 2009 car de l’avis de tous et comme on l’a évoqué supra, la compagnie s’était bien préparé en amont pour faire face à ce genre de drame. Par contre, il semble que sa communication ait connu quelques failles. Si dans les premières heures, la communication fût perçue comme responsable avec un ton juste, la phase qui a suivi, a été moins convaincante. Une polémique a commencé à poindre son nez, ce qui est redoutable pour une entreprise dans une gestion de la crise. Dans le cas du vol AF 447, une polémique est rapidement survenue avec la problématique des sondes Pitot. Les médias et de nombreux blogs alimentés par des spécialistes, notamment d’anciens pilotes de ligne à la retraite, révèlent que dès 2008, plusieurs incidents liés aux sondes ont produit les mêmes messages que ceux qui ont précédés ceux du vol Rio-Paris. Il est alors reproché à la compagnie de ne pas voir fait le nécessaire pour remplacer ces sondes alors qu’une autre compagnie l’avait fait (Air Caraïbes) et ne pas avoir appliqué le

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fameux principe de précaution. Cette polémique a été renforcée par la prise de position des pilotes au sujet de la sécurité des avions qui a été perçue beaucoup plus crédible que le discours de la direction qui a vite été dépassé et n a pas réussi à combler par sa communication le décalage de perception qui s’est opéré sur l’image de l’entreprise réputée sûre et fiable. Au vu de ces quelques exemples, on se rend compte très vite que la prise en compte des risques doit devenir véritablement une culture d’entreprise, petite ou grande qu’elle soit de dimension nationale ou internationale. La culture du risque doit faire partie intégrante du secteur touristique pour mieux appréhender l’avenir et la gestion de crise. III-B La gestion de crise doit faire partie intégrante de la culture d’entreprise des

distributeurs et des producteurs de voyages Nous allons tenter de donner quelques pistes à suivre pour une meilleure implication des distributeurs et producteurs de voyages dans cette culture du risque voyage. Au niveau du secteur touristique dans sa globalité, ce sont plutôt des sociétés de dimension internationale qui ont mis en place des dispositifs de management des risques et de gestion de crise comme le groupe hôtelier Accor, la compagnie aérienne Air France ou encore le Club Med. On peut expliquer cet état de fait par l’essence même de leurs activités dans le paysage touristique. En effet construire des hôtels ou des avions implique de lourds investissements en capital et donc une multiplication des risques encourus sur d’une part la rentabilité des investissements lors d’une nouvelle implantation (en France ou à l’étranger mais avec un risque accru quand on s’implante dans certains pays à risque ) puis d’autre part sur les dispositifs à mettre en place pour assurer la sécurité des clients au sein de ces infrastructures. Les opérateurs de voyages et de séjours, à l’exception de quelques-uns (Marmara, Nouvelles Frontières..) semblent être en retard sur la mise en place de dispositifs performants de gestion des crises par rapport à d’autres secteurs d’activité. Ceci peut s’expliquer par un manque de temps et de moyens mais aussi parce que des organismes comme le CETO ou les compagnies d’assurances ont mis en place leurs propres dispositifs qui sont des appuis certains pour les professionnels. Le niveau objectif du risque voyage pour les distributeurs et les producteurs demande de se préparer à toute éventualité de crises pouvant survenir dès lors que l’on a choisi le métier d’organisateur de voyages. Cette préparation à la gestion de crise peut se faire à plusieurs niveaux dans le secteur et en tout premier lieu par l’information. Elle permet de porter à la connaissance des clients les conditions de sécurité d’une destination en s’aidant des divers outils mis à disposition. En second lieu, on peut envisager l’intégration de cours sur la gestion des risques et des crises à tous les niveaux des cursus de formation tourisme, ce qui ne se fait pas actuellement. Il est indispensable de former mais surtout de sensibiliser les futurs acteurs du tourisme à se préparer aux crises de demain. Enfin, la professionnalisation des métiers du tourisme à la

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gestion de crise peut aussi passer par la formation continue et des dispositifs comme le DIF (droit individuel à la formation) peuvent êtres envisagés par les entreprises pour former le personnel. Mais la sensibilisation et la formation des collaborateurs peuvent aussi se faire par la mise en place d’un dispositif de gestion de crise propre à chaque organisme, relativement simple à structurer mais qui demande de suivre quelques règles de base tant au niveau de la partie opérationnelle qu’au niveau de la communication. C’est ce que nous allons proposer ci-après. Ces recommandations ne sont finalement que la synthèse et la formalisation d’un certain nombre de règles et tendances générales que nous avons abordées précédemment et n’ont pas valeur à être exhaustive mais simplement de proposer une piste pour chaque voyagiste, quelles que soient sa taille et sa structure, pour se sentir moins démuni le jour où la crise est là et peut-être mieux l’anticiper. Et au final être mieux en mesure de répondre à leur devoir de responsabilités envers les clients qu’ils font voyager. III-B-1 la mise en place d’un dispositif de gestion de crise Une crise doit pouvoir se gérer dans les premières heures. Pour être donc prêt et réactif, il faut nécessairement se préparer en amont et s’être approprié les outils et procédures de crises mis précédemment en place. On peut imaginer la mise en place d’un « plan » de gestion de crise s’articulant autour de trois phases distinctes85 :

• La phase de sensibilisation et de préparation • La phase d’intervention • La phase de capitalisation

III-B-1 –a La phase de préparation et de sensibilisation : la prévention La mise en place d’un système de veille permanente : Il faut analyser les programmes de gestion de crise existants dans la profession mais aussi dans d’autres secteurs d’activités pour connaître la façon dont la crise a été gérée, les outils mis en place et les bonnes pratiques (benchmarking) et éventuellement s’imprégner de leur retour d’expérience. Il faut organiser un système de veille permanente (outils : Internet, presse, réglementations) sur le sujet. Ces données permettront une première sensibilisation à la gestion de crise dans l’entreprise et serviront de base pour la rédaction d’un manuel de référence. Une cartographie des risques :

85 Ces trois phases ont été inspirées librement de la présentation faîte par Florent Chapel de LJ Corporate à l’occasion de la journée organisée par Atout France sur la gestion de crise le 6/2/2012

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Il faut évaluer les risques potentiels et l’impact de ces risques dans l’environnement proche (personnel, clients, fournisseurs, matériel informatique, téléphonie, etc…) et au niveau de la profession pour pouvoir réaliser une cartographie de ses propres risques mais aussi de ceux de la profession. On peut s’aider de la matrice de Eiling Hamso du European Event ROI Intstitute dont nous avons parlé dans la première partie ( p20) et qui permet d’identifier rapidement les risques mineurs des risques majeurs. Il faut scénariser quelques risques parmi les plus significatifs en opérant un recoupement au regard de l’impact potentiel sur l’activité, de la probabilité d’occurrence des risques et des conséquences pour l’organisme (vulnérabilité). La création d’un manuel de référence : Le niveau objectif de sécurité appelle à un travail « technique » important avec l’application de normes et de procédures. Il faut mettre en place un schéma général de crise, un cadre commun et formalisé en quelque sorte qui devra comprendre les éléments essentiels suivants :

- Analyse de la situation avec des niveaux possibles de crises (évaluation, qualification de la crise) pour savoir détecter les signaux faibles

- Les cibles concernées : clients, professionnels, médias, pouvoirs publics.

La formation interne et externe pour sensibiliser les collaborateurs : Toutefois, le manuel de référence n’a d’intérêt que s’il est mis à jour régulièrement et surtout s’il est diffusé et expliqué à l’ensemble des personnes concernées et parties prenantes dans la gestion potentielle d’une crise. Il n’est pas exclu de sensibiliser les clients fidèles de la démarche du voyagiste soit oralement, soit par courrier soit via Internet pour une diffusion plus large. Cela peut crédibiliser une entreprise dans une démarche responsable. III-B-1 –b La phase d’intervention : la gestion de la crise en elle-même C’est l’anticipation de la phase opérationnelle. La crise est là, il faut la gérer et déjà connaître les actions à mettre en place, les informations à faire passer. Il faut désigner qui dans l’entreprise peut gérer une crise et s’exprimer au nom de l’entreprise sur la crise et définir les messages clés à délivrer. Au-delà de préparer, il faut aussi faire et le meilleur moyen pour cela passe par des exercices de préparation pour d’une part s’assurer que le dispositif mis en place est opérationnel et d’autre part pouvoir y apporter d’éventuelles corrections. Se préparer à la survenance d’un évènement ne réduit pas le risque de réalisation de celui-ci mais permet de réduire les risques de mauvaise gestion de la crise qui peut suivre.

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La mise en place d’une cellule de crise : Cette phase consiste à nommer une personne responsable directe de la gestion de crise, une sorte de coordinateur qui sera à même d’organiser et de mettre en place une cellule de crise. Pour de nombreux experts, la cellule de crise est la colonne vertébrale de la gestion de crise. Il faut réfléchir à qui peut en faire partie, (les intervenants doivent être choisis en fonction de leur capacité d’analyse mais aussi de leur capacité à gérer le stress), quand la déclencher et les personnes à contacter en cas d’urgence (avoir une liste mise à jour des numéros de permanence des personnes ou organismes à contacter en cas de crise puis une autre liste avec les contacts de toutes les parties prenantes liées à la crise. Pour une réactivité optimum, l’idéal est de pouvoir mettre en place un numéro d’urgence joignable 24h/24h pour garder un lien avec les parties prenantes (Clients, fournisseurs etc..). Il est important aussi de s’assurer que les locaux dans lesquels sera installée la cellule de crise sont accessibles 24h/24h. La difficulté d’une telle mise en place au niveau des voyagistes peut venir du nombre important d’intermédiaires dans l’élaboration d’un séjour : de la compagnie aérienne jusqu’à l’hébergeur en passant par les nombreux réceptifs qui gèrent les activités et les clients sur place. Il est également indispensable de pouvoir avoir une traçabilité des clients (ceux déjà sur place mais aussi ceux qui ne sont pas encore partis) pour agir rapidement. La tache est d’autant plus difficile car il peut y avoir des différences selon le type de prestation vendue (un billet seul ou un forfait) ou encore avec la façon de voyager des clients ( seuls ou en groupe ). L’outil Ariane mis en place par le gouvernement peut-être un appui indéniable à condition que les clients aient été sensibilisés à l’outil avant le départ. La cellule de crise mise en place doit être la gardienne du plan d’action défini au préalable. Elle doit centraliser les informations et les superviser (pour éviter tout détournement ou altération des messages) et bien entendu travailler en transversalité avec l’interne et l’externe et tenir informé les différents partenaires. La gestion de la communication : C’est à ce niveau également qu’il est indispensable d’élaborer un plan stratégique et tactique de communication pour ne pas être pris au dépourvu le moment venu. Il faut aussi travailler en amont sur l’image de l’entreprise, celle que peut s’en faire le client mais également les collaborateurs La première étape est de désigner un porte-parole qui ne sera d’ailleurs pas le coordinateur de la cellule de crise. Ce dernier doit avoir certaines qualités requises et notamment savoir prendre les bonnes décisions mais aussi :

• Avoir de l’empathie vis-à-vis des personnes ( clients ) concernées • Etre entreprenant et dynamique

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• Fournir des réponses rapides mais en adéquation avec la politique définie de l’entreprise et en phase avec la crise

• Mobiliser les différents acteurs • Engager sa responsabilité si nécessaire

Il faut se préparer à des stratégies de réponse en fonction de l’événement et surtout comme on l’a vu, adopter une posture de transparence, empathie et prévoir des messages clefs (application de « la règle du jeu : TEM (transparence, empathie, mobilisation). Il faut également prendre conscience de l’importance capitale d’une bonne communication en situation de crise. Les exemples réussis ou moins réussis évoqués supra dans la gestion de la communication de crise nous montrent que l’on est ainsi passé de l’ère de l’information continue qui est apparue dans les années 90 avec notamment la guerre du Golfe (que les chaînes de télévision repassaient en boucle 24h/24h) à celle du débat « permanent et multiforme » (Hédi Hichri)86 communication sensible) accentué par l’émergence du Web-2.0 qui accélère et multiplie le débat. Chaque expert, chaque citoyen, chaque journaliste peut faire entendre son opinion, poser des questions et faire circuler des informations qui remettent en cause parfois le discours de l’entreprise et des pouvoirs publics. Face à ce phénomène, si les entreprises n’ont pas un discours sûr et cohérent, elles ne peuvent convaincre. L’une des difficultés en communication de crise est de reconstruire l’image parfois dégradée qu’a pu subir une entreprise ou une destination et se préparer à savoir quoi dire à chaque public concerné. La grande majorité des crises connaissent trois phases en matière de communication qu’il faut savoir appréhender :

- La phase de l’émotion - La phase de la polémique - La phase rationnelle

Tout l’enjeu selon Hédi Hichri est de pouvoir : « endiguer la polémique et faire taire les rumeurs inévitables, suite logique du déroulement d’une crise, ou l’entreprise est prise à partie et remise en question sur ce qui fonde sa réputation »87. Plusieurs alternatives s’offrent alors à l’entreprise lorsqu’une controverse émerge :

- Couper court aux rumeurs en y répondant par des preuves

86 Directeur conseil Fleishman-Hillard France, 87 Extrait de l’article « Communication de crise d’Air France, publié par l’observatoire International des crises.

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- Reporter la responsabilité d’un dysfonctionnement sur un tiers (fournisseurs, collaborateurs, pouvoirs publics ..)

- Reconnaître immédiatement l’incident sans le minimiser et montrer que tout est mis en œuvre pour le gérer

Lorsqu’une entreprise n’adopte pas de stratégie claire et hésite entre l’une de ces alternatives, c’est à ce moment-là que la communication peut devenir incohérente et rapidement sanctionnée par le public et les médias. Enfin, un autre facteur est important également en communication de crise, celui de ne pas négliger la communication interne (cas du crash Rio-Paris). Pour réussir une communication interne, il faut tout d’abord l’intégrer dans la culture de l’entreprise et instaurer une confiance entre la direction et les collaborateurs. Cela ne s’improvise pas et requiert là aussi une préparation et de l’entraînement. Plus les relations seront de qualité avec le personnel, plus l’organisme peut espérer un soutien infaillible de ce dernier en cas de crise. III-B-1-c La phase de capitalisation : Les leçons des expériences C’est une phase capitale que l’on a tendance à oublier dans la gestion de crise : l’après crise. Il faut également s’y préparer. Elle passe par l’évaluation du retour d’expérience à l’aide de débriefings et ainsi établir un bilan et tirer les enseignements de la crise. La gestion de crise doit être abordée comme une dynamique d’entreprise en perpétuel renouvellement et questionnement et toujours en éveil aux moindres signaux d’alertes, non seulement au sein de l’entreprise elle-même mais face aussi à son environnement. Pour cela, chaque partie prenante doit se sentir concernée et apprendre à travailler ensemble. C’est certainement à ce niveau que se trouve la principale difficulté pour mettre en place un tel système car savoir gérer son temps et ses urgences dans un secteur déjà en proie à de multiples mutations nécessite une volonté claire et affichée de vouloir « prendre du temps » pour le consacrer à cela.

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CONCLUSION Le risque, un phénomène permanent et évolutif : La notion de risque a beaucoup évolué depuis le temps des grandes découvertes maritimes où pour la première fois les hommes ont pris conscience que même si on ne pouvait pas aller contre « la puissance divine », on pouvait tout au moins se prémunir économiquement avant le voyage contre les risques maritimes comme les tempêtes ou les piratages. Le premier modèle « assurantiel » était en quelque sorte né ! Toutefois, depuis cette époque, la notion de risque a changé même si elle reste toujours liée à des mécanismes économiques et de probabilité qui font qu’elle est prévisible et estimable. Certains, comme Ulrich Beck, pensent ainsi que de nouveaux risques, beaucoup plus incertains et donc moins prévisibles, ont fait leur apparition dans notre société actuelle. Ils seraient le fruit de notre société industrielle au travers de son propre système productif et scientifique. Mais au-delà du risque réel et menaçant commun à tous, il existe aussi une notion plus abstraite qui est celle de la perception des choses, qui prend racine dans nos croyances et cultures et qui du coup rend le risque beaucoup plus subjectif et irrationnel dans son acceptation. Il y a ainsi les risques que l’on considère comme acceptables et les autres, ceux pour lesquels aucune tolérance n’est accordée même si d’une façon générale, dans notre « société de la peur » en référence à Didier Heiderich, la notion même de risque est de moins en moins tolérée dans notre vie quotidienne. Le risque voyage ne déroge pas à la règle, même si celui-ci possède ses propres caractéristiques. Sa perception n’est pas toujours rationnelle, d’autant plus si on tient compte de la spécificité même du voyage qui est à la fois un facteur de ressourcement et un bien d’expérience pour les individus qui le pratiquent. Chaque déplacement est un cas unique. Le risque perçu n’est pas toujours à la hauteur des risques réels du fait de ce besoin de rupture totale avec l’environnement quotidien. La notion de voyager fait désormais partie intégrante de la plupart des individus dont le nombre augmente régulièrement à travers le monde. Les producteurs et distributeurs de voyages sont confrontés en continu à la notion de risque car celui-ci est à la fois omniprésent ( les touristes voyagent partout à travers le monde et ils sont à ce titre sujets potentiellement à tous les risques conséquents comme le crash d’un

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avion, la maladie, les évènements climatiques ou politiques, … ) et permanent ( on voyage aujourd’hui à tout moment de l’année ). De la notion de risque à celle de crise : Ce risque omniprésent et permanent étant potentiellement sujet à devenir une crise, le secteur touristique est en conséquence particulièrement exposé à ce phénomène voire très vulnérable puisqu’il doit supporter la responsabilité légale et judiciaire de la sécurité des voyageurs qui n’hésitent plus à « judiciariser » chaque difficulté, même pour des évènements mineurs. Les conséquences de la multiplication des crises peuvent donc être préjudiciables à l’ensemble de la filière touristique et particulièrement au monde de la production et des distributeurs qui pour les uns, doivent supporter parfois des coûts financiers importants et pour les autres, affronter une responsabilité de plein droit qui si elle défend le consommateur, peut aussi dériver juridiquement et avoir des conséquences dramatiques pour le voyagiste (cf. l’exemple du voyagiste Ultramarina et des otages de l’île de Jolo). Les crises naturelles, politiques, sanitaires ou encore techniques auxquelles le secteur doit faire face sont réelles. Il faut donc se préparer au risque voyage et anticiper « le plus possible dans la mesure du possible ». A défaut, il y aura « échec » selon Florent Chapel de LJ Corporate ou « déroute » selon Patrick Lagadec, à fortiori dans « un monde construit sur la complexité, la vitesse et l’interconnexion ». Même s’il faut reconnaître que des efforts non négligeables ont été réalisés et des dispositifs mis en place à l’instar du Ceto ou de Marmara, la profession s’y prépare de façon très inégale et se trouve encore trop souvent démunie face à un événement tel que l’a vécu Costa Croisières avec l’accident du Costa Concordia ou encore Air France avec le crash du vol Rio Paris. Et que dire de l’attitude des petites structures ( qui composent rappelons-le la majorité du paysage touristique français ), lesquelles le plus souvent par manque de moyens et de temps font le « dos rond » en espérant que rien n’arrivera ! L’hypothèse qu’une information de qualité pouvait aider dans la prévention du risque voyage a également été mise en avant. Ce point est indéniable mais il faudrait surtout qu’une meilleure coopération existe entre tous les acteurs du voyage pour mieux affronter les crises de demain. La tentative avortée de la mise en place du projet fédératif de l’Udiv qui devait réunir l’ensemble de la profession et les débats qui animent actuellement les producteurs et distributeurs sur des éventuelles baisses de rémunérations des commissions de la part des producteurs vers les distributeurs ou encore le sujet brûlant concernant le paiement très tardif des distributeurs aux producteurs sur les voyages vendus ne montrent pas une amélioration en ce sens pour le moment. On ne peut que le regretter.

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La crise, un risque majeur pour le secteur du tourisme : On peut aussi se demander si, à terme, les crises qui touchent le secteur et leur multiplication ne peuvent pas venir menacer l’activité touristique en décourageant les touristes de voyager à travers le monde. Rien n’est certain car même si les crises semblent avoir un impact immédiat sur l’activité touristique (baisse des réservations, méfiance des touristes..), la croissance internationale du secteur ne fléchit pas sur la durée. Le tourisme mondial est tellement vaste, complexe et diversifié qu’une crise même majeure et dramatique ne suffit pas à modifier dans le temps l’augmentation constante des touristes (même si une stagnation a été observée en 2009, les chiffres sont en progression constante au niveau mondial depuis plusieurs années). L’exemple le plus frappant a été les attentats du World Trade Center où l’activité touristique mondiale a fortement chuté durant les mois voire l’année suivante et où sont apparues des conséquences dramatiques pour bon nombre d’entreprises touristiques notamment. L’activité a pourtant repris son cours peu à peu pour atteindre le milliard de touristes de par le monde en 2012. On peut donc constater à la lueur de nombreuses crises que le secteur a traversé ces dernières années et qu’une fois l’élément perturbateur terminé dans un temps plus ou moins long selon l’intensité de la crise, les marchés du voyage se ressaisissent assez rapidement. Les touristes s’adaptent désormais plus facilement aux situations de crise que peut connaître le secteur et lorsqu’un problème surgit sur une destination donnée, optent pour une autre sans trop de difficultés. Nous pouvons citer ici l’exemple des pays touchés par le Printemps Arabe comme la Tunisie ou le Maroc desquels les touristes se sont largement éloignés au cours des étés 2011 et 2012 au profit d’autres destinations balnéaires comme l’Espagne ou la Grèce. Mais à mon sens, plus que les risques terroristes, naturels ou sanitaires, je pense que le secteur est en proie à d’autres crises qui se profilent, plus sournoises, qui sont ce que j’appellerais « les crises d’adaptation ». L’évolution des mentalités, les façons de voyager changent. On assiste à une évolution sociologique lente et implacable depuis le tourisme de masse des années 50 jusqu’à celui du 21ème siècle. C’est en effet un secteur qui connaît, comme beaucoup d’autres, de profondes mutations . Pour illustrer ce propos, je citerais le cas de la Tunisie après le Printemps Arabe et sa difficulté à retrouver une activité touristique. Au-delà de la crise géopolitique, une autre crise s’est en effet révélée encore plus sournoise, celle de l’image même de la destination et de son offre touristique trop bon marché et très ciblée balnéaire et qui peine à retrouver un public

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dans un contexte touristique mondial en pleine mutation et très concurrentiel. Nous sommes bien là au cœur de ce que j’appelle une crise d’adaptation ! Où il est nécessaire de s’adapter pour ne pas disparaitre : Au-delà de s’entendre et de coopérer, le monde des producteurs et des distributeurs en France et en Europe (principale zone émettrice de touristes à travers le monde) connait de profonds bouleversements structurels. Les modèles économiques qui fonctionnaient jusqu’à présent semblent aujourd’hui en panne. On peut citer pour illustrer ce propos la difficulté des tours opérateurs allemands et anglais (TUI avec Nouvelles Frontières et Marmara ou Thomas Cook avec Jet Tours ) qui peinent à trouver leur équilibre financier depuis qu’ils se sont installés en France et ce malgré de nombreux rachats de voyagistes à forte notoriété. . C’est comme si le secteur était en quête d’une nouvelle identité. A contrario cependant, on voit se profiler de nouveaux venus dans le tourisme, comme Planetveo.com qui a su adopter un modèle économique différent entièrement basé sur Internet, sans stock mais très réactif aux souhaits des clients. Nous pourrions encore évoquer le succès d’un Voyage.Privé.com qui s’est internationalisé très rapidement pour démultiplier ses ventes et ses achats. Est ce l’avenir ? La question a le mérite d’être posée. La crise, une opportunité pour « rebondir » ? Une piste de réflexion peut être évoquée concernant la façon d’appréhender les crises en général et plus particulièrement les crises d’adaptation en se demandant si finalement, une crise ne doit pas être vue comme un facteur d’innovation ? Beaucoup affirment que les organisations dans leur globalité sont de plus en plus fragilisées, prises dans une tourmente mondialisée, en perte de repères et à l’avenir incertain. Nous avons tendance à ne voir dans le phénomène de la crise qu’un événement déstabilisant soit parce qu’il est mal préparé soit parce que peut-être aussi nous utilisons des modèles et des logiques opérationnels pour y faire face dépassés et non réactualisés. Il ne faut pas toujours voir la crise comme une menace mais plutôt comme une accélération de restructuration qui peut devenir une véritable opportunité si elle est bien gérée. En chinois, la traduction du mot crise désigne deux termes : le danger et l’opportunité. Selon Edgar Morin, « les crises engendrent des forces créatrices et toute crise porte en elle un risque et une chance. Le risque de voir une crise s’enliser voire s’amplifier et courir à la perte d’une société et une chance de se réinventer, se remettre en question pour construire autre chose » (la voie). On retrouve les mêmes propos chez Thierry Libaert qui pense que « la crise n’est pas toujours un danger ».

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Le cas de la ville de Toronto en est un bon exemple. La crise sanitaire que le pays a connue avec l’épidémie du Sras et la baisse de fréquentation que cela a engendrée, a poussé la ville de Toronto à revoir son positionnement et redéfinir complètement l’image de la destination autour de la culture et du divertissement. On peut alors se demander si faire face à une crise n’est pas une étape nécessaire à toute organisation laquelle, pour survivre et se développer, doit aussi savoir se remettre en question et s’adapter aux changements et aux évolutions de son environnement sous peine de devoir disparaître. Pour corroborer ces propos, je citerais une réflexion de Christophe Roux Dufort qui nous dit que « Tout développement, tout progrès et toute croissance génère ses propres vulnérabilités. En ce sens la crise est inhérente à tout mouvement de croissance et de développement, De ce point de vue elle n’est pas exceptionnelle mais témoigne d’un stade de développement au delà duquel l’entreprise ne plus continuer sur les mêmes base que celle qui l’ont portée jusqu’alors. Les crises alors prolifèrent et ne se propagent que sur des terreaux fertiles et sont l’aboutissement d’un processus d’accumulation de vulnérabilités que l’on a laissé s’installer. Ce sont les terrains de crise. La vulnérabilité d’une entreprise ne réside pas tant dans ses fragilités réelles que dans l’ignorance sur ses fragilités » L’implication des distributeurs et producteurs de voyages dans le risque lié au voyage doit aussi passer par la prise de conscience d’intégrer à terme une « culture du risque » au sein de la profession pour mieux comprendre les crises et leurs déclenchements. Mais cette implication doit se penser sur la durée et non avec des raisonnements à court terme portés bien souvent par des enjeux économiques comme la tendance actuelle à chercher à déresponsabiliser les individus en leur faisant croire que tout est sous contrôle ( réglementations, labels..) ou possible ( assurances contre les « vacances gâchées » ou le manque de soleil par exemple ). Chacun s’abrite, se protège (principe de précaution) et en oublie de prendre sa part de responsabilités. Intégrer le développement durable : Cette culture du risque, au-delà de la préparation à la gestion de crise que devrait intégrer toute entreprise touristique, peut aussi se concevoir sous l’angle du développement durable. On a en effet tendance à ne voir dans le développement durable qu’un phénomène de mode et toujours tourné vers son aspect environnemental. Cela va au-delà je pense et je suis persuadée que les entreprises touristiques qui sauront intégrer peu à peu une démarche durable du tourisme dans ses trois dimensions (environnementale, économique et sociale) auront plus de chances de s’en sortir que d’autres face aux crises de demain. Ne serait-ce que parce qu’elles auront initié une réflexion de fond sur ce qu’elles doivent améliorer ou pas dans leur fonctionnement pour répondre aux critères du développement durable.

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Dans ce cas, on peut espérer que les dysfonctionnements dont parle Christophe Roux Dufort soient repérés avant que la crise n’éclate. Nous sommes là encore sur une implication à long terme car actuellement la différence de générations dans les organisations n’est pas sans poser de problèmes. La hiérarchie est ainsi encore trop souvent fondée sur l’expérience et la connaissance alors que le savoir technologique est désormais aux mains des plus jeunes par leur la maîtrise du web 2.0 et bientôt du Web 3.0 . Le risque actuel est que les décideurs, souvent encore l’ancienne génération, n’aient pas forcément la compréhension totale du phénomène à l’inverse des jeunes qui pourraient en apporter un meilleur décryptage mais ne sont que dans des positions subalternes…y compris dans le secteur touristique qui pourtant est en train d’évoluer. « La crise, quelle crise » : Pour conclure, on peut affirmer qu’au final une crise reste toujours unique, faite d’incertitudes et de questions et pour reprendre une phrase de Thierry Libaert : « la crise intervient toujours par surprise, et bien sûr, jamais telle qu’on l’avait imaginée »88. Toutefois, adopter la position qui consisterait à dire que la crise relève de l’imprévisible et que par conséquent rien ne sert de s’y préparer serait la pire des postures à avoir de nos jours. On ne pourra jamais éviter les crises dans le monde et dans le secteur touristique en particulier. Les risques externes comme les catastrophes naturelles, les risques sanitaires et les pandémies ou encore les instabilités politiques et les risques terroristes seront toujours inévitables pour les opérateurs de voyages car ils s’inscrivent dans une dimension mondiale et complexe sur laquelle ils n’ont finalement que peu de latitudes pour agir. Les crises d’adaptation sont peut-être celles où l’organisme a une marge de manœuvre un peu plus large s’il reste clairvoyant et vigilant vis à vis de son environnement. Au vu de nos précédentes analyses, il n’existe pas de remèdes miracles, il faut surtout de la préparation, de l’entraînement, de la vigilance et un certain recul et état d’esprit pour anticiper et « voir « les choses. Travailler ensemble en s’appuyant sur les compétences des uns et des autres sans se déresponsabiliser et adopter une démarche vraisemblablement plus culturelle que technique et moins centrée sur le mode de l’organisation. « La crise, quelle crise ?». 89 est une phrase célèbre qu’un manager du tourisme bien préparé et confronté à une crise pourrait reprendre à son compte si tout était sous contrôle, anticipé et géré et qu’en conséquence, « la crise ne serait alors plus une crise ».

88 Le club Mediterranée et la gestion de crise, revue espaces n°73, 2002 : Risques et sécurité dans le tourisme et les loisirs 89 « Crisis, what crisis », formule demeurée célèbre qu’aurait prononcé le Premier Ministre Britannique Jim Callaghan en 1979.

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Méthodologie

Une problématique L’implication et le rôle des producteurs et distributeurs de voyage dans la gestion du risque voyage Pour répondre à cette problématique, quelques hypothèses ont été posées . Des hypothèses H1 : Le risque, une perception subjective H2 : Le risque lié au voyage a ses propres caractéristiques H3 : Le secteur du tourisme est plus vulnérable aux crises H4 : La préparation à la gestion de crise, une piste pour réduire le risque voyage H5 : Le secteur touristique est-il suffisamment organisé pour faire face aux crises de plus en plus nombreuses H5 : L’information comme vecteur de prévention H6 : Un modèle de référence dans le secteur pour faire face aux crises de demain Pour m’aider dans cette réflexion, je me suis basée sur de nombreuses sources externes aussi variées que des lectures de livres spécialisés sur le sujet mais aussi des articles et revues sans oublier les sources en provenance d’internet. Pour compléter ces sources, j’ai assisté à des débats proposés sur la gestion de crise dans le secteur touristique et mené quelques entretiens pour avoir un avis en provenance du terrain.

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Bibliographie / Entretiens Ouvrages Emmanuel BLOCH, « Communication de crise et médias sociaux » éditions Dunod, 2012 Christine DOURLENS, J.P GALLAND, « Conquête de la sécurité, gestion des risques » éditions l’Harmattan, 1991 Patrick LAGADEC, « La civilisation du risque », éditions Seuil, 1981 Ulrich BECK « La Société du risque - Sur la voie d'une autre modernité » Flammarion -Champs 2003 Eric DENÉCÉ, Sabine MEYER, « Tourisme et terrorisme », éditions Ellipses Marketing, 2006 Olivier GUILLARD « Le risque voyage », collection tourisme et sociétés, éditions l’Harmattan, 2005 Sophie GAUTHIER-GAILLARD, Michel PERSON, Benoit VRAI, « Gestion de crise » éditions Eyrolles, 2012 Thierry LIBAERT, “la communication de crise” collection : les topos, Dunod, 2010 (3ème édition) Didier HEIDERICH , « Plan de gestion de crise : Organiser, gérer et communiquer en situation de crise » , éditions Dunod , 2010 Jean Luc WYBO, collectif d’auteurs, “Introduction aux cindyniques”, collection métiers et compétences, éditions Eska, 1998 Patrick PERETTI-WATEL – « La société du risque », étude – éditions la Découverte, mai 2010 François EWALD, Christian GOLLIER, Nicolas de SADELEER, « Le principe de précaution », Collection Que sais-je, éditions PUF 2008 Patrick LAGADEC, « La gestion des crises : outils de décision à l’usage des décideurs », Paris, Mc Graw Hill, 1991

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Christophe ROUX-DUFORT, « la gestion de crise, un enjeu stratégique pour les organisations », éditions de Boeck université, 2000 Bill FAULKNER, « Progressing tourism research », Channel view publications, 2003 Edgar MORIN, « La voie », éditions Fayard, janvier 2011 Équipe MIT. « Tourismes 1. Lieux communs », Paris, Belin, 2002, Jean Louis CACCOMO, « Fondements d’économie du tourisme », éditions de Boeck, 2007 Revues – Articles - Revue "Sécurité & Stratégie" n°1, mars 2009 Article « retour d’expérience. Bombay et Bangkok » : enseignements de deux crises simultanées et spécifiques » - Cahiers Espaces n°85, « Crise, risque et tourisme », Editions Espaces - mai 2005 Et particulièrement : « Comment en est on arrivé là ? Du terrain de crise à la catastrophe », Christophe ROUX-DUFORT « Organiser la communication interne en vue de l’anticipation des crises » Arlette BOUZON « Pour une approche globale du risque » Philippe MOUTENET, Alexandre EVIN-LECLERC - Cahier Espaces n°73, « Risques et sécurité dans le tourisme et les loisirs »,Editions Espaces- juin 2002 Et particulièrement : « L'instabilité politique nationale et ses impacts sur le tourisme » Julie CARON -MALENFANT « L’offre de sécurité entre développement durable et risque Zéro » Pierre CHAZAUD « Crise et tourisme. Dix recommandations pour maîtriser sa Communication » Thierry LIBAERT « Le Club Méditerranée et la gestion de crise » Thierry LIBAERT

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« Crise, communication et développement durable » Michèle GABAY - Revue Espaces n° 280, « Varia », avril 2010 « Préventions des risques. Quand les risques médiatiques supplantent les risques « objectifs » Anne Marie MAMONTOFF -Collection cahier espaces, éditions Espaces tourismes et loisirs « Société du risque, fantasme et réalité » Revue SH (Sciences Humaines) n° 124 – février 2012 - 3Le projet Cyber ingénierie des risques en Génie Civil », Denys Breysse, 2011 (Document en accès libre : http://irevues.inist.fr/utilisation) « L’impossible prévision des crises », Thierry LIBAERT, publié par l’observatoire international des crises, 2009 « Vision business global e et équation importance-urgence : une méthode pour mieux diffuser les signaux d’alerte », Sébastien JARDIN, publié par l’observatoire international des crises, 2007 « Pourquoi le Ceto fait le pari d’un nouvel outil » Tour Hebdo, magazine n° 1451, 29 avril 2011 « Communication de crise d’Air France », Hédi HICHRI, publié par l’observatoire international des crises, Août 2009 « La gestion de crise a un demi-siècle », Didier HEIDERICH, publié par l’observatoire international des crises, 2008 Sites internet http://ces.univ-paris1.fr/membre/tallon/bilan7.pdf http://www.patricklagadec.net/fr/ http://www.ijet.com/about/index.asp http://www.crisis-europe.com/

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http://observatoire-crises.org/index.php http://www.communication-sensible.com/portail/default.php http://www.veilleinfotourisme.fr/: « Sécurité, gestion des risques et crises » http://www.ecosociosystemes.fr/cindyniques.html http://veilletourisme.ca/ http://tourisme.gouv.fr Etudes / rapports « Météorologie, climat et déplacements touristiques : comportements et stratégies des touristes », Tec - Crédoc, étude réalisée par la DGCIS, le MEEDDM et la DIACT, Octobre 2009 « Changement climatique et tourisme : répondre à un enjeu global. » janvier 2008 Présentation de Jean Paul CERON et Ghislain DUBOIS « Tourisme et sécurité sanitaire », 2008 Présentation du professeur William DAB (chaire hygiène et sécurité du CNAM ) « Nouvelles perceptions de la valeur des offres touristiques, impact pour les opérateurs », février 2010, DGCIS, « Le Tourisme des années 2020, des clés pour agir », la Documentation française « Future traveller tribes, les voyageurs de demain 2020 », Etude pour l’industrie du voyage aérien réalisée par Henley Centre Headlight Vision en partenariat avec Amadeus « La commercialisation des produits et des destinations touristiques : en quoi Internet change-t-il la donne » ? Etude réalisée à la demande de la Direction du Tourisme, Ministère du Tourisme, Avril 2007 par François VICTOR, Cabinet Kanopée « Tourisme rassurance et sécurité » septembre 2005, Les études techniques de l’APS, en collaboration avec la revue Stratégos,

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Entretiens Petit-déjeuner débat autour du thème « Tourisme et gestion de crise » avec l’exemple du Printemps Arabe le mercredi 16/11/2011 : entretien avec René Marc CHIKLI du Ceto. Journée technique organisée par Atout France sur le thème : « sensibilisation à la communication de crise dans le secteur du tourisme » Rencontres et entretiens avec Sophie HUBERSON du Snelac, Florent CHAPEL de LJ Corporate, société spécialisée sur la gestion de crise, Gilbert GAUTIER d’Air France et Jürgen BACHMANN du Ceto. Stage de deux mois effectué chez Europ Assistance en juin et juillet 2011 : entretien avec Sandrine LARRERE, chef de projet tourisme et Cécile EUVRARD, ingénieur d’affaires en gestion de crise. Entretien avec Dominique Paul, Directrice Générale au sein de Générali réassurance courtage, sur le métier d’assureur et de réassureur ainsi que la gestion des risques en assurance