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1 …UN TEMPS POUR RÉCOLTER (1946-1957) « A time to be sowing, a time to be reaping… » Il est un temps pour semer et un temps pour récolter, dit la belle chanson de Mahalia Jackson. Avec la fin de la guerre s’annonce en effet pour Jean Walter le temps de toutes les récoltes, ou presque. C’est au Maroc qu’aura mûri sa moisson la plus fructueuse. Car, en très peu d’années, la mine de Bou Beker va accroître sa production dans des proportions que son “inventeur”, pourtant d’emblée persuadé de sa bonne étoile, n’aurait sans doute jamais imaginées. Et les revenus qu’il va en tirer dans la dernière décennie de sa vie sont sans commune mesure avec tout ce qui a précédé pour lui. “Cette réussite peut s’analyser, dit Jean-Jacques Walter, petit-fils de Jean, qui a fait l’École des Mines de Paris, et préside aujourd’hui la Fondation Zellidja pour les bourses de voyage. D’abord une certaine expérience est venue avec temps. En matière de concentration du minerai, par exemple, il y a eu, pour la méthode dite de “flottation au savon”, le classique processus essais/ échec/ essais à nouveau/ succès. Mais la réussite de Jean est aussi le produit d’une volonté d’airain : durant plus de vingt ans, de 1926 à 1947, il a investi et réinvesti à Bou Beker sans en tirer un sou – et les quelques amis qu’il avait convaincu de mettre au pot non plus. Il fallait donc y croire !” “Certes, poursuit Jean-Jacques Walter, ce n’est pas une industrie globalement très complexe. Mais au départ il fallait y arriver à Bou Beker : le coin était à l’écart de tout ! Et puis il faut admettre que Jean a eu de la chance. D’abord il était voisin d’une compagnie minière, l’Asturienne, et il a pu jouer un peu sur les histoires de permis – à l’époque la connaissance que les Services géologiques avaient du terrain marocain était encore floue. Mais surtout, il est tombé d’emblée sur le gros lot !” Jean-Jacques Walter nous rapporte encore ceci : “Henry Pagézy, directeur- administrateur de la considérable société Peñarroya, qui a été à partir de 1942 un innébranlable partenaire de Jean Walter (à qui il s’est associé pour construire une fonderie de plomb à Oued el-Himmer, sous le djebel Mohceur) aimait à dire, que 80 à 90 mines sur les quelque 130 que sa compagnie a exploitées en Espagne, en France et ailleurs) leur avaient fait perdre de l’argent, 30 avaient

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Avec la fin de la guerre s’annonce en effet pour Jean Walter le temps de toutes les récoltes, ou presque. un temps pour récolter, dit la belle chanson de Mahalia Jackson. 1 équilibré dépenses et recettes, 12 avaient fait gagner des sommes importantes, et 2 avaient été phénoménales. “Eh ! bien, conclut Jean-Jacques, Jean Walter est tombé du premier coup sur la mine phénoménale !” [Désencalminer Bou Beker, dont la production plafonne malgré tous les efforts...] 2

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…UN TEMPS POUR RÉCOLTER (1946-1957) « A time to be sowing, a time to be reaping… » Il est un temps pour semer et un temps pour récolter, dit la belle chanson de Mahalia Jackson. Avec la fin de la guerre s’annonce en effet pour Jean Walter le temps de toutes les récoltes, ou presque. C’est au Maroc qu’aura mûri sa moisson la plus fructueuse. Car, en très peu d’années, la mine de Bou Beker va accroître sa production dans des proportions que son “inventeur”, pourtant d’emblée persuadé de sa bonne étoile, n’aurait sans doute jamais imaginées. Et les revenus qu’il va en tirer dans la dernière décennie de sa vie sont sans commune mesure avec tout ce qui a précédé pour lui. “Cette réussite peut s’analyser, dit Jean-Jacques Walter, petit-fils de Jean, qui a fait l’École des Mines de Paris, et préside aujourd’hui la Fondation Zellidja pour les bourses de voyage. D’abord une certaine expérience est venue avec temps. En matière de concentration du minerai, par exemple, il y a eu, pour la méthode dite de “flottation au savon”, le classique processus essais/ échec/ essais à nouveau/ succès. Mais la réussite de Jean est aussi le produit d’une volonté d’airain : durant plus de vingt ans, de 1926 à 1947, il a investi et réinvesti à Bou Beker sans en tirer un sou – et les quelques amis qu’il avait convaincu de mettre au pot non plus. Il fallait donc y croire !”

“Certes, poursuit Jean-Jacques Walter, ce n’est pas une industrie globalement très complexe. Mais au départ il fallait y arriver à Bou Beker : le coin était à l’écart de tout ! Et puis il faut admettre que Jean a eu de la chance. D’abord il était voisin d’une compagnie minière, l’Asturienne, et il a pu jouer un peu sur les histoires de permis – à l’époque la connaissance que les Services géologiques avaient du terrain marocain était encore floue. Mais surtout, il est tombé d’emblée sur le gros lot !” Jean-Jacques Walter nous rapporte encore ceci : “Henry Pagézy, directeur-administrateur de la considérable société Peñarroya, qui a été à partir de 1942 un innébranlable partenaire de Jean Walter (à qui il s’est associé pour construire une fonderie de plomb à Oued el-Himmer, sous le djebel Mohceur) aimait à dire, que 80 à 90 mines sur les quelque 130 que sa compagnie a exploitées en Espagne, en France et ailleurs) leur avaient fait perdre de l’argent, 30 avaient

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équilibré dépenses et recettes, 12 avaient fait gagner des sommes importantes, et 2 avaient été phénoménales. “Eh ! bien, conclut Jean-Jacques, Jean Walter est tombé du premier coup sur la mine phénoménale !”

[Désencalminer Bou Beker, dont la production plafonne

malgré tous les efforts...] De surcroît Jean Walter, se souvenant sans doute du profit intellectuel et professionnel qu’il a retiré, en matière de construction hospitalière, de son premier voyage Outre-Atlantique au début des années 30, a décidé, presque seul, de miser à fond sur les États-Unis. Ce n’était pas absolument évident pour cet homme de la vieille Europe, presque du centre-Europe (la Franche-Comté, si l’on y songe...) Mais le débarquement des marines et des GIs à Casablanca, à Oran et à Alger fin 1942, dont son beau-frère Jean Lacaze, présent sur place, a pu lui faire un récit documenté – et bien sûr celui de Normandie le 6 juin 44, dont les échos ont dû lui parvenir très vite à Fresnes, l’ont impressionné par leur remarquable “management” et leur détermination - deux qualités qui lui plaisent. En outre il fait partie, en ces années 1944-46, d’une génération qui, instruite par le pacte Molotov-Ribbentrop (lequel avait donné le top à la guerre en 1939), pense que les Soviétiques seront tentés de ne pas arrêter à Berlin leur poussée vers l’ouest et que, dès lors, un nouveau face-à-face, voire une confrontation, se prépare entre Moscou et les démocraties occidentales. Et pour ces démocraties, quel autre rempart, et fer de lance à la fois, que les Etats-Unis ? Or, devant cet affrontement, armé ou non, qu’il pressent, Jean Walter sait de son expérience de la deuxième moitié des années 30 qu’il sera besoin de toutes sortes de matières premières, de minerai, de plomb... Mais encore faut-il désencalminer Bou Beker, dont la production plafonne, malgré les efforts de tous ceux qui sont restés sur place pendant les années de la guerre.

Les Américains, de leur côté, sont idéologiquement et organiquement favorables à une collaboration – et ce aussi pour leur meilleur intérêt ! - avec l’Europe des démocraties. Avant même leur entrée en guerre à la fin de 1941, ils avaient mis au point le système dit du “prêt-à-bail”, qui leur permettait d’aider

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la Grande Bretagne... tout en restant neutres. Et, alors que la Seconde guerre mondiale vient de se terminer, il se dit déjà dans les chancelleries que les Etats-Unis vont bien devoir aider l’Europe à se relever, s’ils ne veulent pas une réédition des soubresauts qui ont conduit un pays civilisé comme l’Allemagne aux horreurs du nazisme – et pourquoi pas cette fois des Soviétiques ? Cette évidence se concrétisera en 1947 par le Plan Marshall; mais, en 45, ce plan est loin d’être prêt : car la démocratie américaine est lente à se mettre en branle, si même une fois lancée elle se montre capable d’aligner des moyens gigantesques.

Bou Beker est une entreprise minuscule aux regards des attentes d’Outre-Atlantique, c’est un fait. Mais les réserves plausibles y sont très importantes –700 000 tonnes, dit-on. Déjà, l’été 1944, un ingénieur américain représentant une instance alliée de développement du Maghreb, la NAJEM - auprès de laquelle Jean Lacaze, devenu l’homme-pivot de la Shell en Afrique du nord, a été très officieux - est venu voir sur place. L’équipe de Bou Baker a montré pour la circonstance ce genre d’enthousiasme censé séduire les Américains. Et Washington a pu ainsi se trouver alerté. Mais les choses traînent, et Jean Walter n’aime pas ça. Alors que le patron de la modeste société des mines de Zellidja retrouve, en janvier 1945, son cher Maroc, c’est le secrétaire d’Etat américain Stettinius lui-même qui, prenant là une des dernières décisions du gouvernement Roosevelt, donnera l’ordre à la NAJEM de procurer à Zellidja le matériel nécessaire pour augmenter substantiellement, et dans les plus brefs délais, sa production annuelle. Et, de fait, quelque chose va se produire dès 1945, qui redonnera de l’allant au Bou Beker un peu alangui des années 40-44 : sur les plans des collaborateurs de la période de guerre, “une grande laverie moderne, la laverie n0 1, dont nous pûmes commander les éléments en Amérique sur la base du prêt-à-bail” va être construite, rapporte Jean Walter. Mais le changement d’administration qui met le vice-président Truman aux commandes à Washington, après le décès de Roosevelt en avril 45, freine à nouveau les choses. On reste loin du triplement de la production annuelle évoquée par Stettinius.

[Jusque là petit patron prospère, Jean Walter

va entrer dans le grand capitalisme.] Alors, convaincu désormais que tout système fondé sur l’argent public n’est d’une efficacité que marginale, Jean Walter, jusque là homme des petites équipes et du management très personnel, décide de franchir un pas. Ce pas va l’obliger à revoir toutes ses pratiquesn mais il en espère ce changement radical

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d’échelle qui fera de lui un des Français les plus puissants de son époque. Contre l’avis de beaucoup de ses collaborateurs, il va traverser l’Atlantique, afin “de rechercher une association avec un grand groupe minier U.S.”

C’est ce jour-là que Jean Walter, jusque là architecte non sans renommée et petit patron prospèren, sans plus, va entrer, à soixante ans passés, dans le grand capitalisme. En 1954, ses biens étaient évalués par Merry Bromberger, auteur d’un ouvrage déjà cité (Comment ils ont fait fortune), dont il est certes malaisé d’assurer l’absolue pertinence, à 100 milliards de francs (anciens) - 1% allant en être légué à l’Académie française pour assurer la permanence des Bourses Zellidja. Cette entrée tardive dans le Gotha mondial de l’industrie et de la finance

n’est pas le fruit d’une stratégie longuement mûrie. On peut plutôt y voir le produit d’une incroyable ténacité – vingt années à croire, contre vents et marées, à la fertilité de “sa” mine. Et, pour ce qui est du “choix américain”, on peut flairer là la conséquence d’un retournement de sa vision du monde, certainement liée à la répétition proche de conflits mondiaux et à la violence et la “planétarisation” de la guerre de 39-45. Cet homme qui était resté jusque là plutôt “hexagonal”, avec sur le tard une extension méditerranéenne, va sortir de son aire. Toutefois ce bouleversement, peut-être parce qu’il a été tardif, ou parce que l’homme était de bonne étoffe, n’a pas entamé la personnalité profonde de Jean Walter : jamais il ne deviendra l’homme au gros cigare et à la large Mercédès. Loisible à chacun de penser qu’un tel distingo est oiseux...

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Aux Etats-Unis où il arrive l’été 1946, que cherche-t-il précisément ? Lui-même l’a expliqué dans l’unique grand discours qu’il fit de sa vie, un soir de mars 1954 à Bou Baker : “Vendre des actions de notre compagnie - en dollars [car l’Office des changes français n’en délivre pas, en cette période de sécheresse des réserves publiques], et acheter du matériel avec le prix de ces actions. Puis m’assurer des concours techniques pour appliquer les méthodes de mécanisation les plus modernes.”

Impérial, il ajoute : “Diverses propositions me furent faites. J’ai retenu celles de Newmont Mining [Mines] Co et de Saint Joseph Lead [Plomb] Co.” De fait Fred Searls Jr, chairman de Newmont, et Andrew Fletcher, président de Saint Joseph, vont signer, le 1er novembre 1946, un accord de partenariat avec la Société des Mines de Zellidja, lequel fondera une Société nord-africaine du plomb. Ces hommes escorteront Jean Walter et son entreprise jusqu’au terme de sa vie. Dans le tableau se glisse aussi une Mrs Biddle, importante actionnaire de la Newmont, une des plus grandes fortunes des Etats-Unis, femme assez extravagante, cultivée et francophile, dont Jean Walter sut de faire une amie. Très important aussi, en la circonstance, fut Jean Lacaze, son beau-frère, qui montra à l’occasion de cette affaire de redoutables capacités de négociateur et conquit, malgré plus d’un différent avec “le patron”, ce que les Orientaux appellent volontiers des “mérites” : d’abord la capacité d’acheter des actions dans la SMZ (laquelle allait bientôt se fondre dans une holding, l’OVAIM : Omnium des valeurs agricoles, industrielles et minières); ensuite une position d’administrateur de plus en plus proche du “sommet”; et, finalement, la capacité de devenir le successeur en tout de Jean Walter : dans ses affaires, se substituant ainsi à sa famille naturelle; en influence réelle dans la FNBZ (Fondation Nationale des Bourses Zellidja), par-delà les instances tutrices et leurs représentants (Jules Romains pour l’Académie française et l’Inspecteur général Louis François pour l’Éducation nationale); et, oserions-nous ajouter... dans le “cœur” de Domenica, laquelle sera peut-être avant tout restée toujours la sœur...de son frère.

[L’activation des sondages a permis de vérifier

la présence également de zinc et d’argent.]

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Restait, bien entendu, à transcrire sur le terrain marocain les décisions prises aux Etats-Unis. La laverie no 1 inaugurée en 1945, et la modernisation de matériels déjà existants, permettent de doubler la production de minerai dès 1947. Mais lorsqu’arrive d’Outre-Atlantique, à partir de 1947 précisément, le dernier cri de la technologie minière mondiale, la face de Bou Beker change. D’une part la production va aller croissant (13 000 tonnes en 1948; 19 000 en 1949; 44 000 en 1950; 68 000 en 1951; 100 000 en 1952 [une nouvelle laverie, bien plus puissante, a été inaugurée en juin 1951 par le maréchal Juin, trois mois avant qu’il ne quitte son poste de Résident général au Maroc]; et 124 000 en 1953 – qui marquera un premier palier, en raison d’une chute conjoncturelle des prix du minerai due... à la fin de la guerre de Corée. Par ailleurs l’activation des sondages avait permis de vérifier l’exactitude, sur la place, d’une sorte de “loi” de la géologie selon laquelle un minerai est fréquement associé à d’autres : en l’occurrence ce fut le zinc, et en bien plus modestes quantités l’argent. L’extraction du zinc, d’ailleurs, a très vite concerné l’Algérie, située juste derrière les collines de Bou Beker – puisqu’une autre “loi” bien connue des géologues veut que les filons ne s’arrêtent pas aux frontières tracées par les hommes ! Du fait de la connaissance du terrain algérien que lui avaient valu ses fonctions à la Shell, Jean Lacaze, encore une fois, fut très actif dans la création de l’Algérienne du zinc (ALZI), à très peu de distance dans le pays voisin.

Florence Trystram, qui a vécu son enfance là-bas, où son père était ingénieur en chef, évoque dans son La dame au grand chapeau, le ballet des shuttle cars, “énormes engins d’un jaune éclatant qui sortaient le tout-venant des galeries” et faisaient la noria jusqu’aux deux laveries, d’autres emportant le produit déjà affiné jusqu’à la fonderie de Oued el Himmer, à quinze kilomètres de là...

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Les problèmes de transport étant pour l’essentiel résolus, il fallut s’attaquer à d’autres qui n’étaient certes pas nouveaux mais que le changement d’échelle de l’entreprise, avec les mouvements humains qu’il provoquait, rendait urgents à résoudre. Dans ce semi-désert, il fallut chercher l’eau plutôt loin, et cinquante kilomètres de pipe lines furent ainsi posés; certains d’ailleurs allaient puiser dans la voisine Algérie - ce qui ne manqua pas de poser des problèmes dès l’indépendance du pays voisin en 1962n et la guerre dite “des sables” qui allait éclater entre ces deux “frères ennemis” dès 1963. L’élecricité, elle aussi, dut être acheminée de loin – pour l’essentiel d’Oujda, à près de 50 kilomètrees. Tandis que les ingénieurs, français, américains et canadiens, s’activaient aux tâches techniques, Jacques Walter, de son côté, allait devenir une sorte de gouverneur général de ce qu’il faut bien commencer d’appeler une ville. C’est lui qui, dès après son arrivée en 1936, avait commencé de construire des maisons, d’un standing un peu hiérarchisé mais sans trop, pour les ingénieurs, les cadres, les contremaîtres. À partir de 1945, le rythme allait changer, et ce sont, au total, 420 maisons qui seront édifiées dans ce qu’il était convenu de nommer “le quartier européen”.

[“Ancrer” un nombre significatif mais réduit

d’homme motivés et prometteurs...]

Pour les ouvriers, le problème se posait différemment puisqu’il s’agissait, on l’a dit, d’hommes de populations locales mais semi-nomades, ou parfois même, pour un certain type de personnel comme les gardiens, de nomades venus de beaucoup plus loin. Leur embauche - à jet continu puisque par essence ils n’étaient guère désireux de se fixer - a fini par poser un vrai problème : vers la fin des années 40 en effet, 10 000 engagements annuels, la plupart d’ouvriers très temporaires et sans qualification, étaient comptabilisés à la mine. Il fut donc décidé, vers 1947-48, de changer radicalement de pratique : on allait “ancrer” un nombre significatif mais réduit d’hommes motivés et prometteurs. Pour ce faire trois moyens ont été utilisés : donner à ces hommes, par l’ouverture sur place d’une école technique, une formation accompagnée d’un traitement, puisque ses bénéficiaires étaient un temps privés de leurs moyens de subsistance; mener une politique de salaires et d’avantages sociaux comme aucune autre entreprise au Maroc, européennes ou locales, ne le faisait à l’époque ni ne le fait encore aujourd’hui; et d’autre part en leur offrant des lieux d’habitation suffisants pour qu’il puisse y vivre en compagnie de leur famille.

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Cette politique a connu un plein succès puisque, en 1954, le personnel ouvrier et employés de la mine ne comptait plus qu’un petit millier de personnes, avec un turn over dérisoire. Installé dans l’ancien restaurant des cadres un petit musée de la mine, qui donne sur la plaza, affiche les cartes de pointage d’une cinquantaine d’entre eux. S’agissant de la politique sociale, outre le versement de salaires deux à trois fois plus élevés que dans les entreprises correspondantes, Zellidja a notamment créé un système de retraites qui, selon M Abdel Bakir Benazza - “a servi de modèle à l’actuel Caisse Nationale.” M. Benazza a été trente-huit ans “réceptionnaire-distributeur au magasin de la mine” avant de devenir “responsable de l’expédition des minerais de Bou Bejker”, et il fut aussi, tout de temps, un ardent syndicaliste au sein de l’Union générale des Travailleurs Marocains. “Oui, dit encore cet homme aujourd’hui âgé de quatre-vingt trois ans, Jean Walter était un homme social, bien estimé par les Marocains. Avec lui on était considérés.” Et de conclure dans un soupir : “On ne trouvera jamais le même.” (Les notes de l’entretien sont à la disposition de qui le souhaiterait...) M. Benazza a aussi un mot sur Jacques Walter, le fils : “Il était très présent. Pour nous il était presque comme un avocat, il défendait les ouvriers. Si l’un de nous était arrêté, il allait voir les autorités...” Règnait-il une bonne entente entre Européens (ou Américains ) et Marocains ? M. Benazza dit que oui. Jean Walter laisse entendre que... non. Dans son discours souvent cité de mars 1954, il esquisse en effet une conclusion en forme d’admonestation sur ce thème : “La politique d’égards, de respect mutuel avec tous nos compagnons, quelle que soit leur origine s’impose. Je ne tolèrerai plus de discriminations injustes et stupides.” Et sa conclusion : “L’action sociale doit dominer vos efforts.”

[Les “Enfants de Zellidja” sur la brêche

pour redonner humanité au village de Bou Beker...]

Pour ce qui est de la construction de la “ville indigène”, elle allait commencer en 1947. Sur les plans de Jean Walter, on se doute : tout architecte a rêvé de construire une ville entière (Le Corbusier, très observé par Jean Walter, n’avait, à la même époque, construit à Chandigârh, capitale du Punjab indien, qu’une demi-douzaine d’édifices publics...) Les choses ont été rondement menées puisque, en 1951 (pour l’inauguration, en juin, de la nouvelle laverie), tout était paré. Et 10 000 personnes pouvaient loger dans la nouvelle cité (les quelques centaines de personnes qui avaient établi leur résidence dans le coin en raison de

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l’activité induite par la proximité de la mine ont pu s’y reloger dans certaines conditions).

Nous avons pu visiter Bou Beker au printemps dernier (2009). Et ce qui en reste est triste, malgré les efforts d’une association, “Les Enfants de Zellidja”, extrêmement active en dépit de la maigreur de ses moyens. Créée par M. Benali Sadequi, déjà cité, professeur de droit public à la faculté d’Oujda, et fils d’un ancien employé de la mine, cette instance s’efforce sans prétention de réhabiliter des lieux symboliques de la ville (telle l’ancienne plaza autour de

laquelle étaient les commerces, la Poste, un cinéma où l’on passait des James Bond, et la chapelle, inaugurée le 23 août 1944 par l’évêque de Rabat, aujourd’hui devenue un café arabe). Mais, surtout, Les Enfants de Zellidja se donnent pour tâche d’organiser des activités (cours de couture et d’alphabétisation...) pour les femmes et les jeunes filles en déshérence sociale ou familiale, et d’apporter une animation communautaire à une population laissée en état d’abandon depuis le repli des activités de jadis.

Un peu moins de 2 000 personnes vivent aujourd’hui sur le plateau de Bou Beker. Le lieu est rendu assez sinistre par les considérables friches industrielles qui me parsèment et les énormes “digues” (des terrils de scories, “stériles et autres déchets de la terre) qui le dominent. Il y a là, pour l’essentiel, des retraités et des veuves, mais aussi des gens d’Oujda n’ayant “aucun lien avec la mine”, parfois même occupants sans titre. Ceux-ci se sont surtout installés dans les maisons dites “européennes”, qu’ils ont retapées, et qui souvent même présentent un aspect pimpant, avec leurs jardins joliment fleuris. Parmi les “anciens” de la période glorieuse, d’évidence de moins en moins nombreux, il est aisé de rencontrer, autour d’un thé préparé par ses soins, M. El Hassnaoui, ancien chef chaouch (gardien) à la Société, quasi centenaire aujourd’hui, et qu’on nomme respectueusement el Hadj du fait qu’il fit à l’époque, en compagnie de son épouse, un pélerinage à la Mecque, bien entendu payé par la SMZ, à qui il garde, de ce fait notamment, une vive reconnaissance.

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Mais la désolation de la désolation, c’est la médina (à quoi les habitants de Bou Beker se réfèrent plus volontiers aujourd’hui comme à la kissaria), d’où presque toute vie s’est retirée. Dans cette ville de la taille d’une consistante sous-préfecture française, il ne reste plus que quelques douzaines d’habitants qui se serrent comme frileusement autour d’une ou deux rues. C’est là une ghost town comme il en existe des kyrielles dans l’Ouest américain, et pour la même raison.

Malgré cet abandon, ces quartiers entiers dont les maisons sont réduites à l’état de chicots, souvent dépouillées de leur encadrement de porte et de fenêtre par des pillards, la beauté du lieu, quelque part entre Chirico et Laurana avec une touche de Fromentin, est stupéfiante. Jean Walter s’est peut-être fait plaisir, mais il ne s’est pas moqué du peuple ! Le choix d’avoir édifié dans la pente donne à la médina un “coulé qui en fait une idée platonicienne de ville arabe. Cette impression de beauté culmine à la petite place supérieure où est la mosquée surmontée de son minaret carré. Quant aux légères arches qui font pont au-dessus des rues en pente, elles suggèrent une éternelle civilisation méditerranéenne. Pourtant, redisons-le, tout ici est voué à s’écrouler – d’autant que (et c’est là un gros bémol au lyrisme) une galerie de mine aurait été, vers la fin de l’exploitation, scandaleusemnt creusée sous la ville, ce qui fait craindre des affaissements de terrain. “ Bou Beker, mémoire d’un éternel village”, c’est le titre que Sami Barkaoui, lauréat Zellidja et Prix Jean Walter 2006, a récemment donné à son rapport de 2ème voyage. Nous souhaitons en tout cas que les efforts des “Enfants de Zellidja”, pourquoi pas relayés par quelques libéralités de “Z” des hautes époques (au sens du “haut” Moyen Age !), lui donnent raison.

[N’est-on pas là en présence d’une forme de prédation :

je prends puis je m’en vais...] Il reste tout de même à se demander s’il l’on n’a pas sous les yeux comme un phénomène de prédation : je prends puis je m’en vais... Nous avons voulu poser la question à Tahar Ben Jelloun, Marocain, et grand écrivain francophone (il a eu le prix Goncourt il y a quelques années), avec qui nous avions noué une belle amitié dans nos années de Monde. Embarrassé sans doute, on peut comprendre cela, il n’a pas répondu à notre lettre. C’est donc à la conscience de chacun de trancher. M. Sadaqui, lui, se refuse à la rancœur à propos de ce village où il a vécu toute son enfance et où son père, Mahi Sadequi, matricule 4422, exerçait le métier de conducteur d’engins : “J’évite de regarder dans le rétroviseur. En fait je dis merci à ce village où j’ai vécu des choses formidables. J’y ai habité, et aujourd’hui c’est lui qui m’habite.. Et il faudrait aussi se demander ce qui a été

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fait ici depuis quarante ans que la mine a fermé. Certains jours je me dis que des Jean Walter, il nous en faudrait d’autres.” Cette désolation pouvait-elle être évitée, ou du moins sérieusement retardée ? Il ne manque pas de bons esprits pour le penser. Et Florence Trystram est de ceux-là - quelque peu influencée sur ce sujet, on peut le penser, par l’opinion qu’en a eu son père, ancien ingénieur en chef de la mine. L’idée générale est qu’une exploitation plus prudentielle - risquons le mot : moins rapace - aurait permis aux Bou Bekri de prolonger leur âge d’or. En gros, le dilemme aurait été : on attaque d’emblée le cœur de la mine, où les rendements attendus promettent un retour sur investissements très rapide, ou bien on procède à une exploitation méthodique, veine après veine, moins rentable mais plus durable.

Les avis sont partagés. Jean-Jacques Walter croit bien avoir entendu son grand-père dire : “On casse le pot.” M. Jean Bailly, qui fut sept ans ingénieur à Bou Beker, de 1954 à 1961, estime lui que c’est un faux problème : “Il n’y a qu’une seule manière d’exploiter une mine, dit-il : on creuse des galeries qui se recoupent, déblayant ainsi tout le terrrain, et laissant seulement, à des distances étudiées, des piliers pour le soutènement qui eux, bien sûr, ne sont pas exploités. C’est ce qu’on appelle une exploitation "en bon père de famille", et c’est écrit dans tous les contrats du monde.” Il ajoute toutefois, au risque de la contradiction : “Ce qui est vrai, en revanche, c’est que la mine de zinc d’ALZI, en Algérie, juste derrière Bou Beker, a été ce que l’on pourrait nommer un véritable scandale géologique : un bloc de pur minerai oùl’ on pouvait piocher au bull dozer... “ Jean Walter venait deux à trois fois l’an à Bou Beker. De rares fois Domenica, son épouse, l’accompagnait. Mais alors ses capelines vertes ou roses, ses souples robes de mousseline et ses vastes lunettes noires de star hollywoodienne faisaient sensation... Le “patron” restait là de une à trois semaines, voyant tout le monde, accueillant avec un immense bonheur des hôtes venus des quatre

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horizons pour voir la “mine modèle” et le “Petit Paris”, comme on le disait alors. Il était debout à 6 heures du matin, avec le soleil, arpentant inlassablement son domaine, le plus souvent en costume sombre et cravate. “C’était un homme toujours en transport, dit joliment M. Benazza, toujours marchant seul, se renseignant sur tout, entrant même parfois dans les maisons pour se faire une idée du confort, de l’ordinaire de la vie des gens. On se souvient même ici d’un jour où il a engueulé une femme qui avait jeté à la poubelle un restant de couscous !”

[Une révolte contre

le Protectorat français

Un paternalisme réussi suppose la possibilité de visualiser le “Père”, fût-ce de temps en temps. Avec Jean Walter, les travailleurs de Bou Beker ont eu leur comptant ! Cette politique, quoi qu’il en soit, est certainement un des éléments qui a permis à la Société des Mines de Zellidja de traverser sans anicroches majeures les graves événements qui ont précédé l’indépendance du Maroc -officiellement obtenue le 2 mars 1956, et en fait scellée dès le 16 novembre 1955, date du retour en gloire au pays, après plus de deux ans d’exil forcé à Madagascar, de Sidi Mohammed Ben Youssef, qui allait aussitôt devenir “Mohammed V”, le sultan, l’empereur. Car le Maroc des villes d’abord (Casablanca surtout, bien sûr), puis celui du bled et des djebels, est entré en révolte contre le Protectorat français depuis que, le 20 août 1953, Sidi Mohammed Ben Youssef, principale autorité politque et religieuse du pays, a été déposé par le Résident à Rabat. Celui-ci, le général Guillaume, a agi... sans l’aval du gouvernement de Joseph Laniel, qui laisse “filer” sans réagir ! Ainsi était la 4ème République. Seuls deux ministres protestent – sans toutefois démissionner : Edgar Faure et François Mitterrand. Le futur sultan (il ne porte pas encore ce titre du fait, précisément, de la situation de Protectorat qui, depuis 1912, est imposée au pays) est d’abord envoyé en résidence forcé en Corse, puis à Antsirabé, à Madagascar. La Résidence générale a agi ainsi du fait que Ben Youssef, de plus en plus conscient de la violence faite à son pays depuis le Traité de Fès (1912), et de plus en plus soutenu par une élite elle-même de plus en plus nationaliste, pratique depuis six ans une politique de blocage institutionnel, en refusant de signer les décrets sous lesquels son seing est indispensable. La décision d’écarter ce gêneur a été prise par une camarilla de hauts fonctionnaires civils et militaires, elle-même soutenue par la majorité des colons français, et appuyée en métropole par un solide contingent de députés de droite et du centre, lesquels se

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sentent affermis par l’assentiment à leur position du plus prestigieux des militaires français d’alors (d’ailleurs ancien résident au Maroc) : le maréchal Juin. Pour faire passer la pilule auprès du gouvernement Laniel, la Résidence a organisé, à Marrakech, fief du Glaoui, un ennemi traditionnel de la famille des Alaouites régnant à Rabat, une grande démonstration de dissidence envers le Trône, qu’il a été jugé habile de faire passer pour un acte d’allégeance à la France.

[En 1948, Jean Walter acquiert

le quotidien Maroc Presse.

Bou Beker est proche d’Oujda où, quelque jours après la déposition de Ben Youssef, une descente de tribus qui lui sont favorables à fait dix-huit morts. Pourtant la mine et sa ville vont rester à m’écart de la tourmente : du fait de leur isolement géographique, mais plus encore en raison de la prise de position du journal de Jean Walter, Maroc-Presse, contre ladite déposition. Certes la posture oppositionnelle de la publication est un peu tardive : elle a lieu le 21 novembre 1953, trois mois après les événements, dans un éditorial, resté fameux, du directeur, Henri Sartout : “La journée des dupes” (le 20 août 53, bien sûr...) Dès lors l’opposition du quotidien restera claire, si même non tonitruée – devenant même véhémente (encore que pour des raisons ambiguës) aux approches du dénouement en 1955. Pourquoi Jean Walter a-t-il acquis un quotidien en 1948 ? Parce qu’alors, juge Stéphane Bernard, auteur d’un livre très documentée sur la période 1943-1956 au Maroc, “il veut plaire à la Résidence”, tenue à cette époque par le général Juin. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que ce quotidien était à vendre et que Jean Walter adore faire des affaires (celle-ci ne sera d’ailleurs jamais bonne...) Ainsi, outre Bou Beker bien sûr, il fera l’acquisition au Maroc d’une société d’assurances ett, au moment de sa mort en 1957, il était en tractations pour acquérir deux navires minéraliers. En Algérie, cependant, il a acheté des vergers; et d’autres aussi en métropole, dans l’embouchure de l’Adour... Si méthodique à certains égards, il serait donc devenu ce que l’on nommerait aujourd’hui “un homme de coups” ? Parce que tout lui réussit et qu’il ne se pose plus de bornes ? Toujours est-il que, cette fois, Jean Walter est entré dans un combat différent. Un combat potentiellement dangereux, et qu’il maîtrise moins bien que l’arène économique. Certes l’achat d’un journal est conforme à sa perception de la politique : un monde qu’il faut apprivoiser au mieux de ses intérêts ! Mais dans un climat où les passions se mêlent, il peut y avoir des coups à prendre. Et certes pas de la part des nationalistes marocains – même si ceux-ci vont vite ajouter la guerrilla aux attentats urbains, en une escalade qui, en 1955, va mener le pays à

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une virtuelle guerre que l’on hésite à appeler “civile” entre colons européens et une part croissante de la population autochtone. Sans doute moins que jamais idéologue en vieillissant (il a passé les 70 ans lorsqu’il s’engage dans ce combat-là), Jean Walter croit tout de même qu’il est impossible de faire marcher les êtres à la baguette. Pour lui l’homme est un animal doué de raison, donc sensible à ses intérêts. C’est d’ailleurs pourquoi il est un patron “social” : “Pour gagner de l’argent, il faut le partager...” De surcroît il travaille désormais “en ambiance américaine”, et l’on sait que les Etats-Unis, de par leur histoire, leur culture, sont viscéralement hostiles au colonialisme. Parfois partisans du “gros bâton”, ils croient aussi aux vertus de la soft domination... La radicalisation de Jean Walter contre le colonialisme peut devoir quelque chose à cette influence.

Durant toute cette période, Jean Walter va être très proche d’un homme politique français crucial du fait que, radical (c’est à dire centriste !), il est de toutes les combinaisons gouvernementales de la 4ème République laquelle, Dieu sait, en a vu pas mal ! L’un et l’autre ont d’ailleurs des acquaintances à l’Est - Franche-Comté et Jura. Et, sans doute, Edgar Faure, avocat, a-t-il plaidé pour Jean Walter (il le fera , en tout cas, en 1960 pour Jean Lacaze), ce qui peut faciliter de petits services entre amis. Interrogé en 1994 par Eric Passavant, auteur de la thèse d’Etat L’enchantement du monde par le voyage déjà citée ici, l’inspecteur général Louis François, qui fut l’alter ego de Jean Walter dans l’aventure des Bourses Zellidja, lui a fait cette déclaration stupéfiante sur Jean Walter : “”Il avait des gens à sa solde... il avait de grands politiques abonnés chez lui... c’étaient des gens qui touchaient chaque mois un traitement et devaient intervenir au bon moment pour sauvegarder les intérêts du monsieur ou de l’affaire dont il s’occupait. Il a eu Edgar Faure, président du conseil, comme abonné chez lui. Il me l’a dit et je savais combien Edgar Faure touchait...”

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Il est dès lors intéressant de rappeler que ce fut précisément alors qu’Edgar Faure était (une nouvelle fois) président du conseil (février 1955-janvier 1956) qu’un pas en avant décisif a été fait dans la solution de la crise marocaine : le retour en France de celui qu’il faut désormais appeler Mohammed V, et bientôt son retour à Rabat. Il n’est certes pas question d’imaginer que Jean Walter ait pu ainsi “acheter” une solution de la crise marocaine : Edgar Faure ne venait-il pas de règler la question de l’indépendance tunisienne, dont Pierre Mendès-France avait tissé les fils... Mais il est certain que, lorsqu’il est mort en juin 1957, le nom de Jean Walter était honni d’une certaine droite nostalgique de l’Empire. Quel parcours pour l’homme qui, en 1946, voulait envoyer des “Zellidja” aux quatre coins de l’Union française !

[Son ami J. Lemaigre-Dubreuil est victime de son combat

pour l’indépendance du Maroc.]

Un épisode douloureux a d’ailleurs fait sentir le vent du boulet à Jean Walter... Au printemps 1955, la droite colonialiste du Maroc, rassemblée dans une instance dénommée “Présence de la France”, faisait monter la température contre lui. Il fut plusieurs fois pris à partie dans une feuille nommée... Paris. Il décida alors de confier la direction de Maroc Presse à un de ses amis, un industriel qui le lui demandait

expressément dans le but de mener un combat plus pointu pour la solution “libérale”, comme on disait alors, c’est à dire pour une évolution rapide vers l’indépendance : son nom est Jacques Lemaigre-Dubreuil. Or comme celui-ci, retour d’une entrevue avec Edgar Faure à Paris, débarquait à Casablanca, il fut cueilli pas une rafale de mitraillette qui le coupa littéralement en deux. Ses assassins n’ont jamais été retrouvés, mais il n’est pas malaisé de conjecturer quels cercles ont armé leurs bras. Fin 1955, Jean Walter est victime d’une alerte cardiaque. Il comprend que c’est du sérieux puisque cela l’incite à prendre une disposition drastique à propos des Bourses Zellidja : pour en assurer la pérennité, il fait un legs de 1 millard de francs à l’Académie française. Il allait mourir exactement un an plus tard...

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Avait-il une idée précise du temps d’activité qui restait encore à la mine de Bou BeKer ? On peut penser qu’il en avait une bonne notion. C’est à la mi-1969 que l’extraction s’est arrêtée. En quelques mois tout a été pratiquement fermé. On n’a gardé que le matériel nécessaire pour exploiter les “calamines” – un déchet comportant encore une teneur en minerai suffisante pour justifier, au cas par cas, son exploitation. Cela n’a pas été très loin. Une tentative d’explorer un autre terrain de la Société Zellidja, à Zeida dans le Moyen Atlas, n’avait pas été concluante. M. Benazza se souvient donc aujourd’hui que huit cents ouvriers, sur le petit millier qui était couchés sur les rôles de Bou Beker, ont alors été “recasés” par la Mine, en France, en Allemagne et au Benelux. En 1975, plus une machine ne bougeait sur le terrain. Et en 1980 la liquidation des matériels était achevée.