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Revue Marocaine de Rhumatologie
Les cryoglobulines sont de véritables complexes immuns précipitant au froid. Elles sont liées à plusieurs affections. La forme mixte est principalement liée à une infection chronique, notamment au virus de l’hépatite C, à une hémopathie lymphoïde B ou à une connectivite [1]. La cryoglobuline peut rester une anomalie biologique isolée ou être responsable d’une vascularite des vaisseaux de petit calibre avec une atteinte préférentielle de la peau, des articulations, du rein et du système nerveux périphérique [2]. L’atteinte du système nerveux central est rare. Nous rapportons l’observation d’une vascularite cérébrale survenant au cours d’une cryoglobulinémie
mixte type III, chez une patiente suivie pour sclérodermie systémique avec hépatite virale C chronique et thyroïdite auto-immune.
ObservatiOn
Il s’agit de Madame A.H. Patiente âgée de 53 ans, sans antécédents pathologiques. Suivie pour sclérodermie systémique cutanée limitée depuis 20 ans. La sclérodermie systémique était retenue devant le phénomène de Raynaud, la sclérose cutanée caractéristique du visage, en aval des coudes et les genoux, la sclérodactylie, la positivité des anticorps anti-nucléaires, type Ac anti Scl
Vascularite cérébrale au cours d’une cryoglobulinémie mixte.Cerebral vasculitis during mixed cryoglobulinemia.
Kawtar Nassar, Saadia Janani, Wafae Rachidi, Ouafaa MkinsiService de Rhumatologie, CHU Ibn Rochd, Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, Casablanca - Maroc.
résuméLes cryoglobulines sont des immunoglobulines, précipitant à basse température et se dissolvant lors du réchauffement. Elles sont à distinguer des autres cryoprotéines. La cryoglobulinémie mixte apparaît au cours de l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC), mais aussi comme un élément clé au carrefour entre auto-immunité et lymphoprolifération, qui peuvent être causales ou associées. Les vascularites cryoglobulinémiques sont les formes les plus sévères des atteintes extra-hépatiques de l’infection par le virus de l’hépatite C, ayant bénéficié des thérapeutiques actuellement disponibles. Les manifestations cliniques de la vascularite à cryoglobulines sont dominées par l’atteinte cutanée, articulaire, rénale et neurologique périphérique. L’atteinte du système nerveux central est rare. Nous rapportons une observation d’une vascularite cérébrale au cours d’une cryoglobuline mixte III, avec hépatite virale C, sclérodermie et thyroïdite auto-immune.
Mots clés : Vascularite cérébrale ; Cryoglobulinémie mixte ; Connectivite ; Hépatite virale C.
abstractCryoglobulins are immunoglobulins,
precipitating at low temperature and
dissolving when heated. They should be
distinguished from other cryoproteins.
Mixed cryoglobulinemia appears during
HCV infection, but also as a key element at
the crossroads between autoimmunity and
lymphoproliferation, which may be causal or
associated. Cryoglobulinaemic vasculitis are
the most severe forms of extra-hepatic patients
infected with hepatitis C, who have benefited
from currently available therapies. The clinical
manifestations of cryoglobulinaemic vasculitis
are dominated by cutaneous, articular, renal
and neurological device. The central nervous
system manifestation is rare. We report a mixed
cryoglobulinemia cerebral vasculitis case with
hepatitis C virus, scleroderma and autoimmune
thyroiditis.
Keywords : Cerebral vasculitis; Mixed cryoglobulinemia; Connectivity; Hepatitis C virus.
Cas CLiniQUe
Rev Mar Rhum 2013; 26: 38-41
Disponible en ligne sur
www.smr.ma
Correspondance à adresser à : K. Nassar
Email : [email protected]
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70 à 320 UI/L. Concernant les atteintes viscérales, il s’agissait d’atteinte pulmonaire au stade non fibrosant, avec hypertension artérielle pulmonaire à 40 mmHg. Une atonie de l’œsophage associée à une œsophagite antrale et atteinte ano-rectale. La patiente était mise sous inhibiteur calcique, protection gastrique, et une corticothérapie à des doses variant de 5 à 10 mg/jour, prise pendant huit ans (pour épisodes de polyarthralgies inflammatoires), en arrêt progressive depuis trois semaines.
La patiente était admise au service pour gonalgies mixtes, à prédominance mécaniques, évoluant depuis 15 jours, associées à des myalgies diffuses et une fatigabilité intéressant principalement les ceintures scapulaires et pelviennes. Par ailleurs, la patiente rapportait une xérophtalmie et xérostomie subjectives, des paresthésies aux membres inférieurs, le DN 4 était à 6, et céphalées intermittentes en casque. L’examen physique, retrouvait les signes cutanés de sclérodermie limitée, avec troubles trophiques à l’extrémité des doigts.
On reproduisait les myalgies aux quatre segments. L’examen thyroïdien retrouvait une hypertrophie de la glande thyroïde, sans nodule palpable. Tout le bilan biologique était normal, hormis une vitesse de sédimentation élevée à 34 mm à la première heure, la C-réactive protéine augmentée à 13 mg/L, et une hypergamapathie sérique polyclonale à 22 g/L. Il existait néanmoins des signes électriques d’un syndrome myogène franc en proximo-distal à l’électromyogramme, attribués à la corticothérapie au long court. La biopsie neuromusculaire était normale. L’imagerie par résonnance magnétique nucléaire cérébrale avait montré des hypersignaux péri-ventriculaires en séquence T2 et flair, en faveur d’une vascularite (Images 1, 2 et 3).
Une vascularite sur syndrome de Sjögren était écartée, compte tenu de la normalité de l’examen ophtalmologique, absence des Ac anti SSA et anti-SSB. La biopsie des glandes salivaires accessoires retrouvait une sialadénite grade 2 de Shisolm et Masson.
Devant les myalgies, la sérologie de l’HVC retrouvait des Ac anti HVC, avec une charge virale élevée à 8,44 log, et génotype 2. Egalement, l’échographie thyroïdienne retrouvait un goitre multi-hétéro nodulaire avec aspect hétérogène des glandes thyroïdiennes. Les Ac anti-thyroperoxydase étaient très élevés à 1031,1 UI/mL. Compte tenu de l’hépatite virale chronique C, la sclérodermie, la thyroïdite auto-immune, la vascularite cérébrale a soulevé l’hypothèse d’une origine cryoglobulinique mixte. Ainsi, la recherche de
cryoglobulinémie était positive. Le reste du bilan retrouvait une carence en vitamine D à 5,4 µg/L, rattachée à un syndrome de malabsorption. Le diagnostic retenu chez notre patiente était, une vascularite cérébrale au cours d’une cryoglobulinémie mixte III, avec HVC, sclérodermie systémique et thyroïdite auto-immune. La patiente était mise sous traitement antiviral C pendant un mois (Rebetol 200 mg, 4 comprimés par jour, et Viraseronpeg 100 µg, une injection sous cutanée par semaine), puis association de
Figure 1 : imagerie par résonnance magnétique nucléaire cérébrale : Hyper signaux péri-ventriculaire en séquence T2 et séquence Flair, ne prenant pas le contraste, en faveur d’une vascularite cérébrale
Vascularite cérébrale au cours d’une cryoglobulinemie mixte
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Cas CLiniQUe K. Nassar et al.
biothérapie anti-CD20 (Rituximab), 375mg/m² (arrêtée après la première perfusion, suite à l’intolérance clinique, à type de fatigabilité généralisée, un syndrome polyalgique, associée à une sensation fébrile, de frissons ,et gêne respiratoire, cédant le lendemain de la perfusion). Le traitement antiviral a été poursuivi pendant six mois, avec surveillance et évaluation rapprochées de la clinique et les paramètres biologiques (enzymes hépatiques, charge virale, bilan thyroïdien et bilan inflammatoire).
L’évolution est bonne après cinq mois et demi de traitement. La patiente ne rapporte pas d’asthénie, pas de signes neurologiques, il n’existe pas de céphalées. La charge virale du virus de l’hépatite C réalisée il y’a trois mois montre une quantification de l’ARN du virus de l’hépatite C par PCR en temps réel inférieure au seuil de détection. Quant aux enzymes hépatiques,ASAT à 49 UI/L, ALAT à 34 UI/L. Une numération de la formule sanguine normale. En revanche le taux de TSH est augmenté à 17,87 µUI/ml.
DisCUssiOn
Notre observation rapporte un cas d’atteinte neurologique cérébrale au cours d’une cryoglobulinémie mixte III, avec hépatite virale chronique C, dans le cadre d’une sclérodermie systémique et thyroïdite auto-immune.
Les cryoglobulines sont des immunoglobulines précipitant au froid, à distinguer des autres cryoprotéines : Cryofibrinogène, complexe protéine C réactive, albumine, agglutinines froides [1]. La classification de Brouet est la plus utilisée depuis 1974 [3], permettant de définir les cryoglobulinémies monoclonales (type I) et les cryoglobulinémies mixtes (types II et III).
Les études de cohortes montrent que 56 à 95% des patients avec une cryoglobulinémie mixte présentent des anticorps anti-HVC dans le sérum [4,5], et réciproquement, le suivi prospectif des patients infectés par le HVC a révélé la présence d’une cryoglobulinémie mixte chez 36 à 55% des patients [6].
En effet, il existe des facteurs épidémiologiques, cliniques et biologiques fortement associés à la production d’une cryoglobulinémie mixte : Le sexe féminin, un génotype 2 ou 3, une fibrose hépatique extensive, la présence d’une stéatose, et le caractère symptomatique (vascularite) est significativement associé à un âge avancé, une longue durée d’infection et aux caractéristiques de la cryoglobulinémie mixte [7,8].
Néanmoins, la cryoglobulinémie mixte peut également être secondaire ou associée à d’autres affections, notamment
certaines maladies auto-immunes, comme le cas de notre patiente (principalement le syndrome de Sjögren et lupus, mais également sclérodermie, thyroïdite auto-immune). La majorité des patients sont asymptomatiques. En revanche, 13 à 30% peuvent présenter des symptômes en rapport avec une vascularite des petits vaisseaux (artérioles, capillaires, veinules) [9,10].
La classique triade clinique de la vascularite cryoglobulinémique qui est articulaire (arthralgie), cutanée (purpura), et asthénie, n’a pas été retrouvée chez notre patiente.
Les autres manifestations habituelles sont rénale et neurologique périphérique, liées à l’immunité cellulaire, puis une activation non spécifique du complément, suivi d’un afflux de cellules inflammatoires qui vont pénétrer la paroi du vaisseau aboutissant aux lésions de vascularite [11,12].
L’atteinte du système nerveux central objectivée chez notre cas est rare. Elle peut se manifester par une encéphalopathie, des convulsions, une vascularite cérébrale avec infarctus cérébraux et atteinte des paires crâniennes. Les altérations des fonctions supérieures ont également été rapportées [10,13].
Le traitement consiste en une combinaison de Peg-interféron-alpha plus ribavirine, permettant une réponse virologique et une rémission clinique des symptômes de la vascularite cryoglobulinémique chez 70 à 80% des patients [14]. La biothérapie anti-CD20 (Rituximab) a permis d’obtenir une réponse clinique (sur la vascularite) et immunologique chez 80% des patients [15]. Les bénéfices rapportés avec le Rituximab au cours des cryoglobulinémies mixtes liées au VHC ont également été notés dans les cryoglobulinémies non liées au HVC. L’usage des immunosuppresseurs doit être discuté selon les cas.
COnCLUsiOn
Notre patiente illustre le cas d’une localisation neurologique exceptionnelle et d’association rare de cryoglobulinémie mixte III, avec hépatite virale chronique C, sclérodermie systémique et thyroïdite auto-immune. Les cas rapportés sont à type de convulsions, d’encéphalopathie avec coma, une atteinte des nerfs crâniens, voire accident vasculaire cérébral. L’imagerie par résonnance magnétique cérébrale objective des signes caractéristiques de vascularite. Une meilleure compréhension de la physiopathologie a permis d’améliorer la recherche étiologique et la prise en charge thérapeutique.
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Vascularite cérébrale au cours d’une cryoglobulinemie mixte
COnfLits D’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
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