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QUELLES RELATIONS ENTRE L'ÉCONOMIE ET LA SOCIOLOGIE ? Le point de vue d'un transfuge ou d'un marrane François Vatin La Découverte | Revue Française de Socio-Économie 2014/1 - n° 13 pages 241 à 247 ISSN 1966-6608 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2014-1-page-241.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Vatin François,« Quelles relations entre l'économie et la sociologie ? » Le point de vue d'un transfuge ou d'un marrane, Revue Française de Socio-Économie, 2014/1 n° 13, p. 241-247. DOI : 10.3917/rfse.013.0241 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universit? de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 10/04/2015 15h08. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universit? de Nanterre - Paris 10 - - 193.50.140.116 - 10/04/2015 15h08. © La Découverte

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François Vatin - abordagem das principais discussões sobre a relação entre sociologia e economia

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QUELLES RELATIONS ENTRE L'ÉCONOMIE ET LA SOCIOLOGIE ?Le point de vue d'un transfuge ou d'un marraneFrançois Vatin La Découverte | Revue Française de Socio-Économie 2014/1 - n° 13pages 241 à 247

ISSN 1966-6608

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2014-1-page-241.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Vatin François,« Quelles relations entre l'économie et la sociologie ? » Le point de vue d'un transfuge ou d'un marrane,

Revue Française de Socio-Économie, 2014/1 n° 13, p. 241-247. DOI : 10.3917/rfse.013.0241

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Quelles relations entre l’économie et la sociologie ?

Le point de vue d’un transfuge ou d’un marrane

François VATINIDHE, Université Paris Ouest Nanterre-La Défense

[email protected]

1. Questions épistémologiques et questions corporatistes : petites remarques indisciplinéesLes débats sur l’inter-, la pluri-, ou la transdisciplinarité ont pour défaut congénital d’admettre les disciplines académiques comme des objets naturels que l’on chercherait ensuite à faire dialoguer. Il y a donc d’emblée une contradiction entre l’objectif affiché : transgresser les frontières et la façon même de poser la question, qui les admet. C’est pourquoi j’apprécie la formule, que j’emprunte à Laurent Loty [Loty, 2005], d’indisciplinarité, qui a la vertu de faire ressurgir le champ sémantique ambivalent de la notion de « discipline » : unité de découpage du savoir, mais aussi instrument de l’ordre social, y compris dans le monde académique.

Il ne s’agit pas de nier l’existence des disciplines, mais de les prendre pour ce qu’elles sont  : des « faits sociaux ». Certes, les disciplines trouvent pour une part leur fondement dans l’avancée des connaissances, laquelle crée de nouveaux espaces intellectuels et en supprime d’autres dans des jeux de recomposition. Mais elles sont aussi le produit de jeux sociaux au sein du monde acadé-mique. Car si les disciplines permettent effectivement d’organiser les savoirs, elles servent aussi à gérer les carrières. C’est particulièrement le cas en France où, du fait du régime centralisé du Comité national des universités (CNU), la discipline paraît comme une propriété des personnes, là où aux États-Unis, par exemple, elle ne caractérise que les emplois. La revendication présente de l’Association française d’économie politique (Afep) de création au CNU d’une nouvelle section dis-ciplinaire « Économie et société » témoigne, s’il en était besoin, des enjeux professionnels relatifs aux découpages disciplinaires.

Dans l’analyse des découpages disciplinaires, s’il ne faut pas sous-estimer les enjeux épistémo-logiques, il ne faut pas non plus les surestimer. Car, souvent, des arguments épistémologiques masquent mal des enjeux professionnels, pour ne pas dire corporatistes. Lors de la réforme dite «  LMD  » (Licences, Masters, Doctorats), les formations universitaires françaises ont été réparties en cinq « grands domaines » ; parmi eux, le domaine des « Sciences humaines et sociales » (SHS),

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qui va de la géographie à la psychologie, et le domaine « Droit, Économie, Gestion » (D.E.G.). Ce découpage prend sa source dans l’histoire universitaire française, qui a vu les sciences humaines et sociales se développer parallèlement, dans les facultés de droit (naissance en leur sein des sciences économiques, puis des sciences politiques, enfin de la gestion) et des facultés de lettres (disciplines de l’enseignement secon-daire : histoire, géographie, puis création au sein de la philosophie de la psychologie et de la sociologie). Si le projet porté par Fernand Braudel après la Seconde Guerre mondiale d’unification des sciences sociales a largement échoué 1, c’est en bonne part à cause de cette ancienne frontière facultaire. Or celle-ci repose, d’abord, sur deux régimes différents de gestion des carrières universitaires  : par l’agrégation du supérieur en droit et dans toutes les disciplines qui en sont issues (DEG), sans cette agrégation dans les « SHS », parce qu’elles sont issues de l’histoire, de la géographie et de la philosophie où existaient des agrégations du secondaire 2. Ainsi, la sociologie se trouve, au sein des institutions universitaires, coupée de l’économie, mais aussi du droit et même des sciences politiques ! Cette frontière, dont le fondement épis-témologique est très discutable, est naturalisée dans les universités françaises et fait obstacle au développement de formations et d’équipes de recherche qui la trans-gressent, alors même qu’au CNRS la sociologie est répartie en deux sections où elle est associée, d’un côté avec le droit (section 36), de l’autre avec les sciences politiques (section 40).

Ma propre histoire professionnelle, qui n’est pas isolée, fournit un éclairage sur la dynamique de déplacement de la frontière entre l’économie et la sociologie au cours de ces dernières décennies. Intellectuellement à la jointure des deux disciplines depuis le début de ma carrière, je suis titulaire d’une thèse de sciences économiques soutenue devant un jury comprenant deux économistes et deux sociologues. J’ai exercé pendant dix ans (1982-1992) comme assistant et maître de conférences de sciences économiques à l’université de Rennes  2 avant de devenir professeur de sociologie à Nanterre. Pour autant, je n’ai pas le sentiment d’avoir changé profondé-ment dans mes intérêts intellectuels et dans ma pratique professionnelle. Si je peux me permettre cette formule, je n’ai pas quitté l’économie, c’est elle qui m’a quitté ! Les mêmes objets et les mêmes pratiques, encore légitimes en sciences économiques au cours des années 1970-1980, ne le sont plus aujourd’hui et ont trouvé, en socio-logie, un nouvel espace de reconnaissance. Des économistes de formation comme moi peuvent ainsi, tels les marranes, continuer à pratiquer en sociologie des rites d’économistes assurément contaminés par la culture de leur nouvelle communauté d’appartenance.

Le développement de la sociologie économique française au cours de ces quinze der-nières années s’explique ainsi, pour une part, par l’activité de ces transfuges dont je suis. Il est parallèle au processus de rigidification des sciences économiques autour

1 Il est resté de ce projet de création de « Facultés de sciences sociales », comme une butte témoin, l’École des hautes études en sciences sociales, ainsi que le Capes et l’agrégation de sciences économiques et sociales.2 Au xixe siècle, les facultés de droit, comme les facultés de médecine, formaient pour l’essentiel les « professions libé-rales ». Les facultés de lettres et de sciences, beaucoup plus restreintes, formaient les enseignants du secondaire, recrutés par un concours d’agrégation. Certains d’entre eux, déjà « agrégés » donc, poursuivaient leur carrière dans le supérieur. Pour les disciplines non enseignées dans le secondaire (droit et médecine), on a alors créé, pour le recrutement du corps enseignant, une « agrégation du supérieur ».

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d’un modèle exclusif de modélisation mathématique, ce que l’on a coutume de dési-gner par l’expression d’économie « orthodoxe » ou mainstream. En clair, les écono-mistes s’occupant de moins en moins de décrire concrètement des faits économiques situés, l’économie « comme elle va », parce qu’ils rejettent épistémologiquement les méthodes inductives, ont laissé aux sociologues ce champ d’investigation. On peut, à cet égard, s’interroger sur les conséquences que pourra avoir, si elle a lieu, la création, demandée par l’Afep, d’une nouvelle section « Économie et Société » au sein du CNU. J’y reviendrai dans mon troisième point.

2. Du partage de l’espace entre l’économie et la sociologie : la paix des ménages ?Dans un article plus développé [Vatin, 2004], j’ai déjà mené la critique de l’idée d’un partage spatial entre le domaine des économistes et celui des sociologues. Cette question renvoie au débat classique, mené notamment par Maurice Godelier dans les années 1960 dans le sillage de Karl Polanyi, sur la définition, «  formelle » versus « substantielle », de l’économique [Godelier, 1966]. Pour échapper à la critique faite par Godelier de la définition formelle, c’est-à-dire néoclassique, de l’économie, tout en récusant l’idée que l’on pourrait identifier un territoire propre des « faits écono-miques » au sein des faits sociaux, j’ai proposé de définir l’économie comme « acte de gestion ». Ma proposition vaut ce qu’elle vaut, je n’ai pas l’intention d’en débattre ici 3. Je voudrais seulement évoquer quelques dimensions de cette question, du point de vue des relations pratiques entre économistes et sociologues.

On dénonce souvent, chez les sociologues, mais aussi chez les économistes « hété-rodoxes », l’« impérialisme économique ». Celui-ci, qu’incarne l’école de Gary Becker, consiste dans l’idée que le raisonnement économique « pur », constitutif de la défini-tion « formelle » de l’économie : en gros, celle énoncée en 1932 par Lionel Robbins : « science qui étude le comportement humain comme une relation entre des fins et des moyens rares qui ont des usages alternatifs » [Robbins, 1947], permettrait de trai-ter n’importe quelle dimension de la vie sociale. D’où la création d’une théorie écono-mique de la famille, de la criminalité, etc. L’économiste, devenu impérialiste, trahirait ainsi le « pacte parsonsien » qui aurait assuré, tel un Yalta académique, la « paix des ménages » entre les deux disciplines dans la science sociale d’après-guerre 4.

Ce que je voudrais simplement souligner ici, est que la sociologie est aussi, par nature, une discipline « impérialiste ». C’est tout particulièrement vrai dans le cas français où elle trouve ses fondations chez Auguste Comte, qui entendait établir une « physique sociale  », savoir «  positif  », destiné à se substituer à la «  fausse science de l’écono-mie politique », restée selon lui au stade intermédiaire, « métaphysique », du déve-loppement des connaissances. Le fondateur de l’école sociologique française, Émile Durkheim, procède directement de Comte à cet égard. Si, en 1893, il soutient sa thèse

3 Une solution consiste à réduire les faits économiques aux faits de marché. Elle rejoint alors paradoxalement la posture walrasienne. Je pense en revanche qu’il n’est pas heuristique de réduire l’économique au marché (réduc-tion qui conduit, notamment, à surévaluer le rôle de l’instance marchande dans la création de la valeur). Cf. François Vatin [2013a].4 Selon David Stark [2009], le pacte de Parsons pourrait se résumer dans les termes suivants : aux économistes « la » valeur, aux sociologues « les » valeurs.

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sur la « division du travail social », c’est pour montrer que ce thème classique de l’éco-nomie politique depuis Adam Smith peut trouver, avec la « méthode sociologique », une explication épistémologiquement fondée que ne saurait fournir la théorie éco-nomique. Pour un sociologue conséquent, les « faits économiques » sont des « faits sociaux » et l’économiste ne dispose donc d’aucun domaine propre.

Économie et sociologie sont donc des disciplines historiquement concurrentes 5. Il est illusoire de chercher à nier la tension épistémologique qui les oppose. Le « partage du territoire » est peut-être une solution pratique pour assurer la « paix des ménages » dans le champ social miné qu’est le monde académique. Il ne saurait constituer une posture heuristiquement productive. Si l’économie et la sociologie traitent les mêmes objets, qu’est-ce qui peut bien les différencier ? André Orléan m’avait un jour posé cette question dans une conversation privée. La réponse que je lui ai faite continue à me satisfaire et je me permets donc de la verser au débat. Il s’agit, à mon sens, d’une question de posture : l’économiste, même « hétérodoxe », privilégie toujours la cohé-rence du modèle sur l’intelligence des faits, le sociologue, l’intelligence des faits sur la cohérence du modèle.

À cet égard, certains sociologues, comme mon ami Alain Caillé par exemple, témoignent à mon sens d’un éthos scientifique d’économiste  : ils disposent d’un modèle, pour Alain Caillé celui du « don maussien », qu’ils cherchent à « faire tour-ner  », à valider, en sélectionnant les faits sociaux qui sont le plus favorables à son renforcement. Je pense au contraire, dans la lignée de Jean-Claude Passeron, que la sociologie, comme l’histoire, est une discipline non poppérienne, qu’elle vise, selon la formule de Paul Veyne, au «  récit de faits vrais  » [Veyne, 1971]. Nul rejet, pour autant, de la modélisation, car ce récit doit être argumenté et tout argument est un petit modèle, quel que soit le degré de sa formalisation. Mais le modèle est ici un instrument, non une fin. Les faits l’emportent sur la théorie. Dans un petit ouvrage stimulant, l’anthropologue Alain Testart a montré qu’un tel partage des tâches n’était pas propre aux sciences sociales [Testart, 1991] ; que les sciences de la nature étaient également marquées par une distinction entre les sciences déductives et les sciences inductives, comme, par exemple, entre l’hydrodynamique, science « pure » du comportement théorique des fluides et l’hydrographie, science d’observation du comportement des cours d’eau. Sans doute, les hydrographes doivent connaître les lois hydrodynamiques, mais leur savoir ne s’y réduit pas. Chaque fleuve est le produit d’une histoire singulière. De leur côté, les hydrologues peuvent trouver leur inspira-tion dans les résultats empiriques des hydrographes.

Pour illustrer ce point, je me permets de rappeler une de mes enquêtes socio-histo-riques [Vatin, 1996]. Je me suis intéressé à l’histoire spatiale de la laiterie française et ai rencontré sur mon chemin l’économie spatiale d’Heinrich von Thünen. Il se trouve que la situation de la laiterie française présente, jusque dans les années 1960, une structure qui correspond bien au modèle thunenien de l’« État isolé ». On peut ainsi décrire, grâce au modèle de Thünen sa répartition en cercles concentriques et même montrer comment, au milieu du xixe siècle, ces cercles se sont élargis avec

5 Pour un développement de cette question, voir Vatin [2013b].

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l’introduction du chemin de fer. Pour toute une série de raisons, cette structure dis-paraît au milieu des années 1960. Le sociologue historien économique que je suis est content de disposer du modèle de Thünen qui lui fournit un instrument particulière-ment puissant et élégant pour exposer les faits qu’il analyse jusque dans les années 1960 et nullement marri que ce modèle ne puisse plus lui servir à rien après. Son objectif n’était pas d’enrichir le modèle de Thünen sur un nouveau terrain, mais de l’utiliser pour servir son histoire singulière.

3. Les sociologues face aux débats et conflits des économistesJe voudrais, pour finir, poser une question dérangeante : les sociologues ne doivent-ils discuter qu’avec les économistes qui leur sont les plus « proches », c’est-à-dire les économistes critiques du mainstream, qui se désignent eux-mêmes par le terme d’« hétérodoxes » et qu’il me paraîtrait plus juste d’appeler «  institutionnalistes »6 ? Nous avons connu ce débat lors de la création du Groupe de recherches CNRS « Économie et Sociologie » en 2003. Philippe Steiner et moi étions convaincus qu’il fallait créer un espace où puissent se retrouver économistes et sociologues. Certains sociologues économistes pensaient en revanche qu’il fallait créer un réseau des « sociologues des faits économiques », fermé aux « économistes », au sens de leur rattachement institutionnel. L’argument était que l’ouverture faite aux économistes conduirait à ne nous associer qu’avec les économistes les plus proches (les « hété-rodoxes »), ce qui priverait la sociologie de la possibilité de nouer une relation, « de puissance à puissance », avec la discipline économique dans son ensemble.

À l’époque, Philippe Steiner et moi avons donné une réponse pragmatique à la ques-tion : la sociologie économique au sens large (c’est-à-dire « socio-économie », « éco-nomie sociale », etc., comprises) est pratiquée de fait en France par des sociologues et par des économistes. Il aurait été absurdement restrictif de créer un espace d’où les économistes auraient été d’emblée exclus. Nous n’avions aucune exclusive, vis-à-vis de tel ou tel courant d’économie, mais nous étions pour autant sans illusion sur le fait que, pour la plupart des économistes mainstream, le dialogue avec la sociologie était tout simplement sans objet. Il aurait donc été contre-productif de récuser les économistes désireux de nouer un dialogue avec les sociologues pour ne pas fermer la porte à ceux que ce dialogue n’intéressait pas  ! La suite des événements nous a donné raison, avec la participation significative des économistes institutionnalistes à la rédaction du Traité de sociologie économique [Steiner, Vatin, 2013], la reprise, en 2008, du GDR sous la codirection d’une sociologue (Alexandra Bidet) et d’une écono-miste (Florence Jany-Catrice) et la collaboration fructueuse qui s’est instaurée entre le GDR et la Revue française de socio-économie, qui publie notamment tous les ans un article d’un jeune chercheur primé issu des rencontres doctorales annuelles du GDR.

6 J’ai toujours été gêné par une conception substantielle de l’hétérodoxie qui en ferait une qualité en soi. Tout partisan d’une doctrine « hétérodoxe », c’est-à-dire critique vis-à-vis de l’orthodoxie, ne peut manquer d’avoir pour ambition de la voir se substituer aux conceptions orthodoxes, et, donc, de contribuer à forger une nouvelle ortho-doxie. L’institutionnalisme, dans ses larges contours, définit bien en revanche un projet intellectuel : celui d’une science économique qui admet l’historicité de ces catégories (voir Boyer dans ce même numéro).

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Cette réponse pratique au problème ne résout pas toutefois la question sur le fond. J’ai personnellement connu des collaborations fructueuses avec des économistes qui n’étaient pas « hétérodoxes ». En toute généralité, les sociologues économistes doivent se poser la question de leurs relations avec la science économique dans son ensemble ; il en est d’ailleurs de même des économistes institutionnalistes, qui auraient tort de croire que l’ensemble des sociologues ressemblent aux sociologues économistes qu’ils ont l’habitude de côtoyer. Or, de ce point de vue, la création, si elle a lieu, d’une nouvelle section du CNU « Économie et Société » ne pourra manquer d’avoir des effets. Jusqu’à présent, la question n’a été posée qu’au sein de la discipline économique. Mais une telle recomposition disciplinaire aura aussi nécessairement des conséquences en sociologie. La sociologie économique pourra-t-elle survivre comme espace propre de la sociologie ? Cela ne va-t-il pas renforcer, au sein même de la sociologie, les partisans d’une posture « irrédentiste » ? Ma longue expérience de circulation et d’organisation de la coopération entre économie et sociologie tend à me faire craindre de tels effets de domino.

L’histoire, déjà longue, des relations entre économie et sociologie est semée d’em-bûches. Ces disciplines sont en tension et il ne faut pas imaginer qu’une solution « miracle » permettrait de résoudre le problème. Il n’est d’ailleurs probablement pas fondé de chercher à « résoudre » ce problème, car ces embûches et ces tensions sont de celles qui assurent la dynamique de la recherche. L’opposition en sciences sociales entre un point de vue descriptif et un point de vue modélisateur fait probablement partie de ces grandes questions épistémologiques jamais définitivement résolues, du type de celles étudiées par Georges Canguilhem (le « discret » et le « continu », le « vital » et le « mécanique »). Au fil de l’histoire du développement des connaissances et des méthodes, on rejoue, dans de nouveaux contextes, les mêmes débats, dépla-çant ainsi ombres et lumières selon la belle métaphore d’Augustin Cournot  : «  On dirait qu’il y a dans certaines choses un fond d’obscurité que les combinaisons de l’intelligence humaine ne peuvent ni supprimer ni amoindrir, mais seulement répartir diversement. » [Cournot, 1982, p. 64]

BibliographieCournot Augustin (1861), Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les

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