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I D N° 86 III/2010 (octobre) ISSN 0987-2629 15,00 Ingénierie territoriale Vers une recentralisation Les collectivités territoriales Au prisme de la littérature LES CAHIERS DE LA DÉCENTRALISATION Trimestriel N°86 III/2010 (octobre) ISBN 2-909872-62-9 - 15,00 Laurent Barbut David Bayeux Marielle Berriet-Solliec Cynthia Blacodon Jean-Luc Bœuf Mathilde Boulet Vincent de Briant Michel Cabannes Jacques Caillosse Pierre-Yves Chicot Florence Crouzatier-Durand Jacqueline Domenach Thomas Frinault Jérôme Giudicelli Arnaud Haquet Dany Lapostolle Marion Legrand Laurence Lemouzy Jean-Marc Ohnet Ivanne Poussier Thomas Procureur Bruno Rémond Olivier Rouquan René Rizzardo Luciano Vandelli Hellmut Wollmann Couverture: C1 / B. Daix couv86_couv 65 13/09/10 15:39 Page1

Vers une recentralisation Au prisme de la littératureamor.cms.hu-berlin.de/~h0598bce/docs/HW-2010-Pouvoirs-Locaux-86.… · Arnaud Haquet Dany Lapostolle

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Ingénierie territorialeVers une recentralisation

Les collectivités territorialesAu prisme de la littérature

LES CAHIERS DE LA DÉCENTRALISATION

Trimestriel N°86 III/2010 (octobre)❚

ISBN 2-909872-62-9 - 15,00 €

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La répartition des compétenceslégislatives dans le système fédéralet sa récente réforme

L’enjeu constitutionnel et politique1

Au sein du système fédéral allemand, les Länderjouent un rôle législatif sur deux fronts. D’une part, lesLänder participent à la législation fédérale à travers leConseil Fédéral (Bundesrat) qui, à côté du ParlementFédéral (Bundestag), tient le rôle de la secondeChambre dans le processus législatif de l’Etat fédéral.Contrairement à d’autres systèmes fédéraux, parexemple, aux Etats-Unis où la seconde Chambre(Sénat) est composée de sénateurs directement éluspar la population des Etats régionaux (States), leBundesrat est formé de représentants des gouverne-ments des Länder. Ainsi, les votes effectués lors desséances tenues au Bundesrat, sont contrôlés par lesgouvernements des Länder, sur la base de leurmajorité et coalition politiques respectives. Une dis-tinction constitutionnelle cruciale existe entre deuxtypes de projets législatifs. D’une part, il y a les

projets législatifs (Einspruchgesetze) sur lesquelsl’avis du parlement fédéral (Bundestag) l’emporte surcelui du Bundesrat. Il s’agit d’un « veto législatif pro-rogatif / suspensif ». D’autre part, il y a un type deprojets législatifs sur lesquels le consentement duBundesrat est constitutionnellement requis (Zustim-mungsgesetze). Si le Bundesrat s’oppose à un telprojet législatif adopté par le parlement, son opposi-tion ne peut pas être écartée ; donc le projet législatifconcerné est abandonné. Il s’agit donc d’un « vetoabsolu » qui donne aux Länder, c’est-à-dire aux gou-vernements des Länder et à leurs coalitions politiquesrespectives, une influence considérable sur la législa-tion fédérale.

Selon le projet initial des « pères » (et « mères ») de la Constitution Fédérale de 1949 (Loi Fondamen-tale, Grundgesetz), les projets législatifs requérant leconsentement incontournable du Bundesrat (Zustim-mungsgesetze) devraient constituer un pourcentagemineur. Cependant, au fil des années, ce pourcentagen’a cessé d’augmenter arrivant au seuil des 70%. Lerisque de voir les deux Chambres législatives sebloquer mutuellement, dans le processus législatif,

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Les compétences législatives des Länder après la réforme de 2006

Le fédéralisme allemand devient-il plus « hétérogène » et « concurrentiel » ?

La réforme constitutionnelle qui entra en vigueur le 1er septembre 2006 fut considérée comme « la plus grande réforme constitutionnelle depuis 1949 ». Il s’agissait de « désenchevêtrer » et recalibrer la répartition des compétences législatives dans le système fédéral. Hellmut Wollmannen décrypte les débats antérieurs et les « soubresauts ». Au final, il constate que le « gain » de compétences législatives avec lequel les Länder sont sortis de la réforme de 2006 est tout à fait remarquable. Cela s’applique non seulement aux domaines importants comme l’éducation et le personnel public (des Länder et des collectivités locales) qui ont été transférés désormais de façon complète aux Länder, mais cela vaut aussi pour des domaines dont la régulation impactedirectement sur la vie quotidienne de la population, tels que la fermetures des magasins,l’interdiction de fumer, etc. En faisant un bilan des résultats de la réforme de 2006, il en conclut que si « le pouvoir législatifdes Länder en a nettement profité, le gain du législateur fédéral, en tenant compte de la réductionréelle du potentiel du veto absolu des Länder qui s’est avérée jusqu’ici limitée, semble êtredouteux ». En outre, parmi les innovations constitutionnelles, les Länder se sont vus attribuer le droit, sur certains domaines législatifs (environnement, éducation), d’adopter un règlementpropre en déviation d’un règlement du législateur fédéral déjà en vigueur. Cependant, puisque cette nouveauté constitutionnelle n’a jusqu’ici trouvé aucune application dans un Länder, HellmutWollmann relève que « la préoccupation des sceptiques, qui mettaient en garde sur cette procédureconstitutionnelle pouvant ouvrir la porte législative à “cibler” et “morceler” le tissu cohérent du “droit du pays”, ne s’est pas vérifiée ».

par HELLMUT WOLLMANN,

Professeur émérite à l’Université Humboldt,

Berlin

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s’est avéré particulièrement fort à des périodes où lamajorité des votes dans le Parlement Fédéral, et celleau sein du Conseil Fédéral, étaient dirigées par desmajorités politiques opposées. Dans une telle constel-lation de « cohabitations à l’allemande », le processusdécisionnel du législateur fédéral dans les deuxChambres se transformait en une arène des partispolitiques et des conflits entre la majorité parlemen-taire et son gouvernement et la majorité de l’opposi-tion au Bundesrat, d’autre part. Mais même dans uneconstellation « hors de cohabitation », le processuslégislatif finit par être jugé généralement commeobtus et politiquement coûteux, justifiant un «chantier » urgent d’une réforme constitutionnelle.

La répartition des compétences législativesavant la réforme constitutionnelle de 2006Depuis la mise en place du système fédéral en 1949, larépartition des compétences législatives entre la Fédé-ration (Bund) et les Länder a été caractérisée par unedistinction assez complexe :

- Sur le plan du législateur fédéral, la distinction aété faite entre, d’une part, les compétences exclusivesdans les domaines qui structurellement requièrent larégulation nationale et, d’autre part, la compétence de« cadre » (Rahmengesetzgebung), sur lesquelles lepouvoir du législateur fédéral est limité à fixer le « cadre » législatif tandis qu’il relevait de chaque Landde le remplir par leur propre régulation (ancien article75 Loi Fondamentale). La législation « de cadre » étaitvalable surtout en ce qui concerne les universités et lepersonnel public (voyez Hochschulrechtsrahmenge-setz et Beamtenrechtsrahmengesetz).

- Sur le plan de la législation des Länder, la compé-tence exclusive relève traditionnellement de l’éduca-tion / enseignement et de la police.

- En outre une compétence « concurrente » (« kon-kurrierende Gesetzgebung », article 72 Loi Fondamen-tale) est prévue pour des compétences législatives quirelèvent à la fois du législateur fédéral (à la Fédéra-tion, Bund) ainsi qu’à chacun des Länder – sous laréserve essentielle qu’une loi déjà adoptée par unLand soit supprimée, et que celui-ci soit empêché del’adopter, aussitôt que le législateur fédéral décided’exercer cette compétence.

Cette répartition compliquée des compétenceslégislatives a, au fil des années, induit de sérieuxproblèmes :

- La compétence « cadre », du législateur fédéral, aresserré la marge législative des Länder jusque dansleurs compétences propres, comme l’éducation / l’en-seignement. De plus la coexistence des règlements endroit fédéral (« de cadre ») et du droit d’un Land (régu-lation « en détail ») a produit une sorte d’« enchevê-trement à l’allemande ».

- L’application de la « compétence concurrentielle »par le législateur fédéral a abouti à une expansion

continuelle du droit fédéral et à une contraction cor-respondante du droit des Länder. Tandis que dans l’in-tention initiale des « pères » de la Constitution de1949, la clause constitutionnelle (article 72), selonlaquelle le législateur fédéral doit exercer cette compétence pour « créer des conditions de vie équiva-lentes sur le territoire de la Fédération », était conçuecomme une restriction, le législateur fédéral, au fil dutemps, en a fait un plus large usage. Cela a entraînéune « homogénéisation », « standardisation » et, enquelque sorte, une centralisation du « droit du pays »aboutissant à ce qui était, avec une connotationcritique, appelé « l’Etat fédéral unitaire » (« unitari-scher Bundesstaat », Konrad Hesse). En même temps,à cause du resserrement des compétences législativesdes Länder, leurs parlements ont été de plus en plusmarginalisés.

Par conséquent, le « désenchevêtrement » et le « recalibrage », de la répartition des compétenceslégislatives dans le système fédéral, sont devenus des« chantiers » de réforme constitutionnelle de plus enplus urgents.

Deux poussées d’une réforme constitutionnelle

En 2003, le gouvernement fédéral et les gouverne-ments des Länder se mirent d’accord sur la mise enplace d’une Commission de Réforme qui, composée de16 représentants issus du Parlement fédéral et 16autres des Länder, devait « moderniser le systèmefédéral ».

Malgré des débats et des négociations intensifs, lesmembres de la commission ne parvinrent pas àtrouver un compromis sur quelques points cruciaux,surtout sur l’enjeu de l’éducation (Bildung). La Com-mission se sépara en décembre 2004 sans aucunerecommandation finale.

Suite aux élections fédérales de septembre 2005,le nouveau gouvernement, surnommé « grandecoalition » avec les Chrétiens Démocrates et lesSociaux-démocrates, sous la Chancelière AngelaMerkel, décida, dans son traité de la coalition du 11novembre 2005, de moderniser le système fédéralen se référant aux résultats provisoires de ladernière commission (inachevée). Le 16 février 2006,le gouvernement fédéral et les gouvernements desLänder tombèrent d’accord sur les principes d’unprojet de réforme constitutionnel introduit dans leprocessus législatif en mars 2006. Il fut adopté le 1erseptembre 2006 par le Parlement Fédéral et leConseil Fédéral, avec les deux tiers de la majoritéconstitutionnellement requise dans les deuxchambres.

Les débats conduits au sein de la Commission, ladiscussion publique et le procès législatif, étaient ac-compagnés de vives controverses, sur la portée et les

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conséquences de la réforme envi-sagée. Les lignes de controversecouraient essentiellement entredeux positions.

Les partisans d’une réformemajeure plaidaient pour élargir etétendre le champ d’action, des com-pétences exclusives des Länder desorte que chaque Länder puisseadopter plus de règlements pro-pres. Une telle « régionalisation »législative pourrait introduire unélément compétitif dans le systèmefédéral et inaugurer sa transitiond’une structure jusqu’à présentrelativement « homogène », voire« nitaire » et « centralisé » à unfédéralisme « hétérogène » et« concurrentiel » (Konkurrenzfö-deralismus). Selon ses défenseurs,un tel schéma « concurrentiel »pourrait avoir un effet énergisant etdynamisant dans l’ensemble desLänder par le passé souvent critiquépour son « immobilisme ». Ainsi lesLänder pourraient être incités à sesurpasser l’un l’autre sur des ques-tions cruciales, telles que le sys-tème scolaire, le développementsocio-économique. Cet argumentétait lancé surtout par des Länderqui jouissent de conditions écono-miquement et financièrement favo-rables, notamment la Bavière etHesse. En défendant cette thèse, ilsne cachaient guère leur arrière-pen-sée : cette stratégie pourraitconduire les Länder économique-ment retardés et financièrement« pauvres » à intensifier leursefforts afin d’augmenter leur poten-tiel économique et financier et ainsià réduire leur dépendance du système de péréquationfinancé par leurs « riches » homologues.

Un autre argument portait sur le raffermissement dupoids législatif des Länder et notamment de leurs par-lements, au sein du système fédéral et au sein del’Union Européenne face à un développement européen,voire « globale », qui menace de marginaliser les Länderet particulièrement leurs parlements comme desacteurs clés dans le système politique allemand.

De plus, grâce à une « régionalisation » avancée, lalégislation individuelle des Länder pourrait mieuxprendre compte de la « proximité » régionale etlocale et ainsi promouvoir l’identité politico-culturelleet la participation politique de la populationconcernée.

En revanche, les sceptiques à une « régionalisation »avancée du pouvoir législatif des Länder argumentaientcontre une telle ouverture du système fédéral vers un fédé-ralisme « hétérogène » ou « concurrentiel » qui pourraitcontredire et contrecarrer l’obligation politique, ancrée dansl’article 72 de Loi Fondamentale, de « créer des conditionsde vie équivalentes sur le territoire de la Fédération » (Hers-tellung gleichwertiger Lebensverhältnisse im Bundesgebiet»). Cette formule (en quelque sorte : « républicaine à l’alle-mande ») est souvent interprétée comme la proclamationd’un fédéralisme (socio-économiquement)« homogène » et(politiquement) « solidaire ». Pas surprenant donc que lesLänder « pauvres », particulièrement ceux en Allemagnede l’Est, ce soient opposés à une réforme constitutionnellequi pourrait aggraver les disparités socio-économiques etfinancières qui déjà existent entre les Länder « riches » et « pauvres ».

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Selon le projet initial des « pères » (et « mères ») de la Constitution Fédérale de 1949 (Loi Fondamentale,Grundgesetz), les projets législatifs requérant le consentement incontournable du Bundesrat (Zustimmungsgesetze)devraient constituer un pourcentage mineur. Cependant, au fil des années, ce pourcentage n’a cessé d’augmenterarrivant au seuil des 70%.

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La répartition des compétences législativessuivant la réforme de 2006

La réforme constitutionnelle qui fut, en fin de compte,adoptée et qui entra en vigueur le 1er septembre2006, s’avéra issue d’un compromis entre les intérêtsde la Fédération (Bund) et les Länder et aussi entre lesLänder, et a été appelée « la plus grande réformeconstitutionnelle depuis 1949 ».

L’enjeu et l’intérêt du législateur fédéral : réductiondes matières législatives soumises au veto (absolu)du Conseil Fédéral. D’une part, la réforme constitu-tionnelle visait à réduire le champ des domaines légis-latifs pour lesquels le consentement du Bundesrat(c’est-à-dire, pratiquement, des gouvernements desLänder qui contrôlent les votes dans le Bundesrat) estrequis et indispensable (Zustimmungsgesetze ), et quisont donc soumis au « veto absolu ». En exigeant etimpulsant telle réduction le gouvernement fédéralcherchait à réduire le risque que des projets législatifproposés à son initiative et soutenus par « sa »majorité parlementaire soient bloqués par leBundesrat. En d’autres termes, l’influence des Ländersur la législation fédérale devait être coupée. Dans lesdébats sur la réforme, les partisans de cet amende-ment constitutionnel envisageaient et estimaient qu’ilserait possible de réduire le pourcentage des projetslégislatifs soumis au veto absolu de environ 70 %(dans le passé) à entre 40 et 35 % (ou même, uneperspective plus ambitieuse, à 25 %)2.

Cependant, jusqu’à présent, l’effet de la réformes’est avéré assez modéré et est resté certainementderrière des attentes et des estimations ambitieuses,puisque suivant la réforme le pourcentage des projetslégislatifs requérant le consentement incontournabledu Bundesrat (Zustimmungsgesetz) n’a baissé que de39 % ; sous le gouvernement formé par les Chrétiens-démocrates et les Libéraux, depuis septembre 2009, ilest même remonté à 53 %. Suite à ce constat,quelques critiques constatent que cet élément clé dela réforme de 2006 a largement échoué puisque laportée réelle du pouvoir de veto absolu, de la part desLänder, n’a été guère touché3.

Les enjeux et les intérêts législatifs des Länder :Elargissement de leurs compétences législatives.D’autre part, en échange de la réduction du droit deveto des Länder, la Fédération (c’est-à-dire le gouver-nement fédéral) a concédé aux Länder d’élargir subs-tantiellement les matières sur lesquelles ceux-cidésormais possèdent une compétence législativeexclusive (ausschliessliche Gesetzgebungskompetenzder Länder).

D’abord la Fédération a abandonné la compétence« de cadre » (Rahmengesetzgebung) (ancien article 75Loi Fondamentale / Grundgesetz) qui lui permettait de

fixer le « cadre » législatif que les Länder pouvaient « remplir » par leurs règlements détaillés propres. Lacompétence « de cadre » par laquelle la Fédérationpouvait influer et s’imposer sur la législation desLänder portait particulièrement sur le service publicdes Länder et des collectivités locales (Bundesbeam-tenrahmengesetz), ainsi que sur les universités (Hoch-schulrechtsrahmengesetz). Suite à la suppression decette compétence, les domaines de l’éducation et del’enseignement, y compris des universités, et dupersonnel public des Länder et des collectivités sontpassés, de façon complète, à la responsabilitéexclusive des Länder.

En outre les Länder ont gagné de nouvelles compé-tences exclusives sur :

- le régime pénitentiaire (Strafvollzugsrecht ).- les restaurants / bistros (Gaststättenrecht).- la fermeture des magasins (Ladenschlussrecht).- les réunions / meeting politiques (Versammlungs-

recht).- la presse (Presserecht).

De plus ils continuent à exercer, comme responsabi-lité « classique », le pouvoir législatif sur la police(Landespolizeirecht).

En fin de compte, il en ressort que la régulationlégislative de l’« Etat Social » (Sozialstaat), y compris la fixation du niveau des bénéfices, sous lesdifférents schémas de protection sociale, continuent àtomber sous la responsabilité du législateur fédéral etreste, pour ainsi dire, « uniformisée » et « centralisée ». Il est vrai, pendant la discussion légis-lative sur la réforme lesLänder « riches » ontlancé l’idée que lafixation des bénéficessoit « régionalisée » parle transfert de cette com-pétence à chacun desLänder – sans douteavec l’arrière-penséeque les Länder « pauvres» se verraient prêts etintéressés, vis-à-vis deleur situation budgétaireparfois désastreuse, àbaisser le niveau desbénéfices sociaux surleur territoire et à ainsiréduire leur dépendancede la péréquation.Cependant, devant l’op-position politique, au-delà des Länder « pauvres »,cette tentative politique de« régionaliser » le niveaudes bénéfices sociaux a échoué. En effet, sa mise enoeuvre aurait apporté un changement incisif, voire unerupture de l’« Etat Social » (« à l’allemande ») fondé

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“ Une telle ouverture du système fédéral vers un fédéralisme « hétérogène » ou « concurrentiel » pourraitcontredire et contrecarrerl’obligation politique,ancrée dans l’article 72 de Loi Fondamentale, de « créer des conditionsde vie équivalentes sur le territoire de la Fédération ».”

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sur une formule« solidaire » et « égalitaire » (« répu-blicaine à l’allemande »).

En somme, le « gain » de compétences législativesavec lequel les Länder sont sortis de la réforme de2006 est tout à fait remarquable. Cela s’applique nonseulement aux domaines importants comme l’éduca-tion et le personnel public (des Länder et des collec-tivités locales) qui ont été transférés désormais defaçon complète aux Länder, mais cela vaut aussi pourdes domaines dont la régulation impacte directe-ment sur la vie quotidienne de la population, tels quela fermetures des magasins, l’interdiction de fumeretc. En faisant un bilan des résultats de la réforme de2006, on pourrait conclure que le pouvoir législatifdes Länder en a nettement profité, tandis que le gaindu législateur fédéral, en tenant compte de laréduction réelle du potentiel du veto absolu desLänder qui s’est avérée jusqu’ici limitée, semble êtredouteux.

Le pouvoir des Länder de « dévier » du droit fédéral.En outre, dans une innovation remarquable, lesLänder se sont vus attribuer le pouvoir de la dite« déviation » (Abweichung) (article 72 alinéa 3 LoiFondamentale), c’est-à-dire le droit de chaque Land,

sur certains domaines législatifs(environnement, éducation),d’adopter un règlement propre (en «droit de Land », Landesrecht) endéviation d’un règlement du législa-teur fédéral déjà en vigueur (en « droitfédéral »).

Jusqu’à présent cette nouveautéconstitutionnelle n’a trouvé aucuneapplication dans un des Länder. Donc

la préoccupation des sceptiques, qui mettaient engarde sur cette procédure constitutionnelle pouvantouvrir la porte législative à « cibler » et « morceler » letissu cohérent du « droit du pays », ne s’est pasvérifiée.

Les compétences législatives des Länder – une brève revueL’éducation et l’enseignement. L’éducation et l’ensei-gnement sont une responsabilité « classique » et unefonction clé des Länder. Depuis longtemps lerèglement législatif et la pratique du secteur scolairesont caractérisés par une grande variation entre lesLänder. Par les uns, elle est appréciée par son potentiel d’expérimentation et de variabilitérégionale. Par les autres, elle est critiquée pour safragmentation interrégionale, pour son « particula-risme » (Kleinstaaterei) et sa « politique de clocher »(Kirchturmpolitik) problématique qui, par exemple,rend le transfert d’un étudiant (et de sa famille), d’unLand à un autre, difficile à cause de la grande variationdes systèmes scolaires, des critères et profilsd’examens etc. Les récents résultats de PISA,

comparant les Länder ont déclenché un débat très vifsur les avantages et les inconvénients des différentstypes et systèmes scolaires. Mais même ceux qui pré-conisent une certaine « uniformisation » et « standar-disation » des modèles scolaires à l’échelle nationalene sont pas prêts à mettre en cause la base essentiel-lement régionale (des Länder) du système scolaire.

Une conférence des ministres des affaires cultu-relles (Kultusministerkonferenz) est en place qui a latâche de mettre en œuvre des accords, parmi lesLänder, pour coordonner et harmoniser les politiqueset les règlements des Länder.

Récemment, le parlement régional du LandHamburg a adopté un projet législatif sur la réformede son système scolaire. Le 18 juillet 2010, un réfé-rendum a été conduit et approuvé par 58 % des votes– ainsi abrogeant ainsi, spectaculairement, le projetlégislatif et la réforme décidée par le parlementrégional.

Personnel (fonctionnaires et employés) des Länderet des collectivités locales. Le transfert de la compé-tence législative exclusive sur le personnel desLänder et des collectivités locale, a aboutit à une dif-férenciation considérable entre les Länder relative àquelques paramètres importants du règlement dupersonnel public, notamment, la décision si et dansquel degré le personnel soit embauché en tant defonctionnaire ou titulaire à titre public (Beamte), oud’employé à titre contractuel. Une autre différencia-tion peut valoir pour le niveau de salaire ou des «primes de fin d’année ».

La marge de manœuvre qui s’est élargie pourchacun des Länder a été récemment utilisée parcertains d’entre eux qui se trouvent dans des condi-tions financièrement favorables pour débaucher(abwerben) du personnel qualifié aux autres Länderen offrant de meilleurs conditions, (« nommer »comme fonctionnaire au lieu de contracter commeemployé, salaire et primes plus élevés etc.). LandBaden-Württemberg a récemment évoqué des conflitsgraves avec d’autres Länder, par exemple avec Berlin,quand il s’est mis à faire de véritables campagnespublicitaires (par affiches et annonces) pour explicite-ment « débaucher » des enseignants qualifiés auxautres Länder .

Fermeture de magasins. Le transfert de compé-tences législatives exclusives, issu de la réforme de2006, porte aussi sur la fermeture légale demagasins. Entre-temps tous les Länder ont adoptédes dispositions légales, pertinentes à leur échelle –avec certaine variation entre les Länder concernantles jours ouvrables et les jours fériés. En ce quiconcerne le dimanche la Cour ConstitutionnelleFédérale (Bundesverfassungsgericht) a décidé le 1er

décembre 2009 que, pour permettre à chaquecitoyen d’exercer son service religieux ou de prendre

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“ Le « gain » de compétences

législatives avec lequel lesLänder sont sortis de la

réforme de 2006 est tout àfait remarquable.”

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congés, les magasins doivent être fermés lesdimanches, sauf exceptions (par exemple dans lesgares ou dans leur proximité immédiate).

Interdiction de fumer. Issue de la réforme consti-tutionnelle de 2006, les Länder ont en outre obtenula compétence législative exclusive sur l’opérationdes restaurants / bistros (Gaststätten), ce qui porteaussi même sur la question du droit de fumer. Aussi,tous les Länder ont adopté des lois qui interdisentde fumer dans des restaurants et bistros. En votantcette interdiction générale, la plupart des Länder ontpermis, à titre exceptionnel, de fumer dans un res-taurant s’il s’agit d’une salle à part. Après que despatrons de bistros « à une seule salle » auxquelscette exception, par définition, ne s’applique pas etpour lesquels l’interdiction générale se dirigeait, parplainte constitutionnelle, à la Cour ConstitutionnelleFédérale réclamant une discrimination hors deconstitution, la Cour, le 30 juillet 2008, déclarait l’in-constitutionnalité de l’application de l’interdictionde fumer aux bistros « à une seule salle » et sommaitles parlements des Länder soit d’adopter une inter-diction de fumer sans exception, soit d’abolir l’inter-diction tout entière. A présent, suivant les jugesconstitutionnels, les Länder permettent de fumerdans les bistros « à une seule salle ». Entre temps,en Bavière, tout récemment, le 4 juillet 2010 un réfé-rendum a été adopté (ci-dessous) qui met en vigueurune interdiction de fumer sans exception. Celasemble entraîner la discussion législative dansd’autres Länder vers une interdiction sansexception.

L’exercice du pouvoir législatif des Länder – à deux voies(parlementaire et plébiscitaire)Dans tous les Länder – en Allemagne de l’Ouestdepuis l’après-guerre et en Allemagne de l’Est depuisl’Unification en 1990 – le pouvoir législatif exclusifdes Länder peut être exercé par deux « voies ». C’est-à-dire par la voie parlementaire – expression de ladémocratie représentative – et par la voie plébisci-taire, par référendum – émanation de la démocratiedirecte. Sur le fond historique de la dictature durégime hitlérien, l’introduction des référendums déci-sionnels était considérée comme un pas crucial versun regain et un réancrage du système démocratiquedans les Länder. Cependant, comparées avec laSuisse qui, bien entendu est le pays « père », enEurope, de la démocratie directe où dans les cantonsainsi que dans les communes le plus souvent unminimum de seulement 2 % des citoyens ayant ledroit de voter est requis pour initier un référendum etaucun minimum n’est prescrit pour l’approbation, lesprocédures qui ont été mises en place dans les Ländersont restrictives.

Cela se manifeste en deux « haies » procédurales.D’abord, pour initier le procès du référendum il fautqu’un minimum (oscillant, selon la réglementation duLand, entre 20 et 5 % des citoyens ayant le droit devote) s’inscrive en soutien de l’initiative. Puis, il estrequis que la majorité qui approuve le référendumatteigne un minimum entre 50 % (dans Land Sarre), 33 % (dans Land Baden-Württemberg), 25 % (dans laplupart des Länder) et 15 % (dans Nordrhein-Westfalen). Entre-temps les Länder d’Hambourg,d’Hesse, de Bavière et de Saxe ont supprimé leminimum requis pour l’approbation d’un référendumet donc ont facilité sa conduite.

Entre 1968 et 2010, dans tous les Länder, 18 initia-tives de référendum ont réussi à surmonter lapremière « haie » procédurale et sont entrés dans laconduite d’un référendum. Cependant la plupart desréférendums ont échoué parce qu’ils n’ont pas atteintsoit la majorité des votants soit le minimum requis descitoyens ayant le droit de vote. En résumé, la « voie »plébiscitaire dans l’exercice du pouvoir législatif desLänder a, jusqu’ici, eu un impact assez limitée.

Cependant il y a des données que cette pratique res-treinte est en train de changer et de faire évoluer versune fréquence et une portée plus larges. Commementionné ci-dessus, tout récemment deux référen-dums ont abouti à des réussites spectaculaires :

- Le 14 juillet 2010 en Bavière, l’interdiction de fumerportant, sans exception, sur tous les restaurants /bistros fut approuvée dans un référendum avec la par-ticipation de 37,7 % des citoyens ayant le droit de voteet avec une majorité de partisans de 81 % quiconstitue 22,9 % des citoyens ayant le droit de vote.(La Bavière n’a pas de minimum requis).

- Le 18 juillet 2010 en Hambourg, une loi adoptéepar le parlement sur une réforme du système scolairefut abrogée par un référendum auquel participaient37,7 % des citoyens et qui fut approuvé par 58 % desvotants (constituant 21 % des citoyens ayant le droitde vote et ainsi – étroitement – surpassaient leminimum requis de 20 pourcent).

H. W.

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1. Pour d’autres articles sur ce thème et les références bibliographiques cf. :Wachendorfer-Schmidt, Ute 2004, Le fédéralisme et sa réforme en Allemagne,dans Annuaire 2004 des Collectivités Locales, Paris : CNRS, pp.257-278.Wollmann, Hellmut 2004, Quelle modernisation du fédéralisme allemand ?,dans Pouvoirs Locaux, no. 64 II/2004, pp 133-140.Wollmann, Hellmut & Geert Bouckaert 2008, Réorganisation de l’Etat en Franceet en Allemagne, dans Pouvoirs Locaux, No. 76, I/2008, pp. 113-120.

2. Cf. Süddeutsche Zeitung, le 15 mai 2010, http://www.sueddeutsche.de/politik/foederalismusreform-macht-der-laender-ist-ungebrochen-1.9445360.

3. cf Süddeutsche Zeitung, le 15 mai 2010 dont l’article est intitulé : « Le pouvoir des Länder ne fut pas touché » (Macht der Länder ist ungebrochen).

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D o s s i e r

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