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UNIVERSITÉ D’ORLÉANS ÉCOLE DOCTORALE ENERGIE, MATERIAUX, SCIENCES DE LA TERRE ET DE L’UNIVERS LABORATOIRE LIGÉRIEN DE LINGUISTIQUE THÈSE présentée par : Daniel da Cruz ÉVORA soutenue le : 3 décembre 2014 pour obtenir le grade de : Docteur de l’université d’Orléans Discipline : Sciences du Langage Compétence langagière et parcours personnel Le cas des Cap-Verdiens de l’archipel et de la diaspora THÈSE dirigée par : M. Jean-Louis ROUGÉ Professeur des Universités, Université d’Orléans

 · Web viewEn premier lieu, j’aimerais remercier mon directeur de thèse, M. Jean-Louis Rougé, Professeur des Universités en Sciences du Langage, pour avoir su diriger ce travail

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UNIVERSIT DORLANS

COLE DOCTORALE

ENERGIE, MATERIAUX, SCIENCES DE LA TERRE ET DE LUNIVERS

LABORATOIRE LIGRIEN DE LINGUISTIQUE

THSE prsente par:

Daniel da Cruz VORA

soutenue le : 3 dcembre 2014

pour obtenir le grade de: Docteur de luniversit dOrlans

Discipline: Sciences du Langage

Comptence langagire et parcours personnel

Le cas des Cap-Verdiens de larchipel et de la diaspora

THSE dirige par :

M. Jean-Louis ROUGProfesseur des Universits, Universit dOrlans

RAPPORTEURS :

Mme Claudine MOSEProfesseur des Universits, Universit de Grenoble

M. Alain KIHMDirecteur de Recherches mrite, LLF. CNRS

_________________________________________________________________

JURY :

Mme Claudine MOSEProfesseur des Universits, Universit de Grenoble

M. Alain KIHMDirecteur de Recherches mrite, LLF. CNRS

M. Michel LESOURDProfesseur des Universits, Universit de Rouen

M. Jean-Louis ROUGProfesseur des Universits, Universit dOrlans

M. Olivier BAUDEMatre de Confrences, Universit dOrlans

REMERCIEMENTS

Je dois la ralisation de cette thse la patience et lamnit de plusieurs personnes que jai eu le plaisir de rencontrer tout au long de mes travaux de recherches, aussi bien au Cap-Vert (Praia), quen France, notamment dans certaines communes de lOrlanais et de lle-de-France.

En premier lieu, jaimerais remercier mon directeur de thse, M. Jean-Louis Roug, Professeur des Universits en Sciences du Langage, pour avoir su diriger ce travail avec circonspection et longanimit. La qualit de cette tude est le fruit de ses conseils aviss, de ses encouragements et de sa constante disponibilit. Pour tout cela, et pour bien dautres raisons, je tiens encore le remercier vivement.

Mes remerciements vont galement toute lquipe du Dpartement de Sciences du Langage de luniversit dOrlans, pour leurs enseignements dont jai pu bnficier pendant ma formation. Je suis surtout reconnaissant M. Gabriel Bergounioux, Professeur des Universits et directeur du Laboratoire Ligrien de Linguistique (UMR 7072), pour ses prcieuses recommandations, son soutien aux moments opportuns et sa sympathie. Merci aussi M. Emmanuel Schang et M. Olivier Baude, Matres de Confrences, pour leurs pertinentes remarques et suggestions. Jai beaucoup appris avec vous.

Je tiens encore manifester toute ma gratitude aux diffrentes quipes dirigeantes du Service de coopration et daction culturelle (SCAC) de lAmbassade de France Praia, et de luniversit du Cap-Vert (Uni-CV), pour avoir particip la gestion de ma formation en France. Votre collaboration ma permis de gravir ce dernier chelon de lenseignement suprieur. Je voudrais remercier ici particulirement Mme Marie-Thrse Tavares (notre trs chre Mat) pour son appui constant lors de chaque mise en route.

Jadresse en outre un mot de remerciements tous les tmoins pour avoir gentiment et spontanment accept de participer mes travaux denqutes. Merci pour leur gnrosit mon gard et pour le temps quils ont su me consacrer chaque fois quils ont t sollicits. Ce travail naurait pas pu tre ralis sans leur concours.

Je suis galement redevable de tous ceux qui ont facilit mes sjours Orlans et mes diffrents passages Paris. Merci en particulier M. David Leite, Attach culturel de lambassade de la Rpublique du Cap-Vert Paris, pour mavoir aimablement reu deux reprises dans son bureau et mavoir transmis dutiles informations sur la communaut cap-verdienne tablie dans la capitale franaise.

Finalement, je ne saurais tmoigner toute ma reconnaissance ma femme, Dicla Irene, ainsi qu nos deux petits garons, Danilo Luigi et Dylan Luka. Vous tes ma vritable motivation.

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS1

SOMMAIRE3

ABRVIATIONS6

INTRODUCTION GNRALE9

Problmatique10

Justification du choix du sujet13

Objectifs16

Cadre thorique et mthodologique17

Recherches documentaires19

Terrains dinvestigation et donnes collectes19

Plan de ltude21

Limites de ltude22

PREMIRE PARTIE24

SOCIT, IDENTIT ET RALITS POLITICO-LINGUISTIQUES AUX LES DU CAP-VERT24

CHAPITRE I25

Contraintes naturelles et problmes humains25

1.1.Une situation gographique peu favorable27

1.2.Linsularit, un handicap pour larchipel28

1.3.Une socit marque par la pauvret31

1.3.1.Les conditions alimentaires33

1.3.2.La composition sociale34

1.3.3.Les structures ducatives36

1.4.Indices dmographiques39

1.5.Lmigration cap-verdienne: une tradition ancestrale44

1.5.1.Retour sur lhistoire de lmigration au Cap-Vert45

a.Lmigration ancienne46

b.Lmigration contemporaine50

1.5.2.Les causes de lmigration cap-verdienne55

a.Lmigration cap-verdienne sous la plume dAntnio Carreira: pour une perspective diffrente55

b.Des explications environnementales58

c.Des explications socio-conomiques59

1.5.3.La nature des migrations cap-verdiennes61

a.Structures dmographiques61

b.Structures socioprofessionnelles65

1.5.4.Les enjeux et les consquences de lmigration cap-verdienne67

a.Le rle conomique de lmigration68

b.Les consquences de lmigration69

CHAPITRE II74

Identit cap-verdienne: Un mlange de larchipel et de la diaspora74

2.1.La construction des identits nationales75

2.2.Le concept de nation80

2.3.La nation: un terme rcent83

2.4.Lidentit cap-verdienne88

2.4.1.Le crole cap-verdien: principal pilier de lidentit et de lunit nationales88

2.4.2.Identit cap-verdienne et manifestations culturelles94

2.5.La capverdianit: un concept culturel essentiel99

2.6.Identit cap-verdienne plurielle: une menace pour la capverdianit?105

2.7.Choix de la population enqute110

2.7.1.Diaspora cap-verdienne: qui doit-on compter?112

2.7.2.Les notions de nationalit, naturalisation et naturalidade113

2.7.3.Diaspora cap-verdienne: appellations multiples, choix unique116

CHAPITRE III121

Ralits politico-linguistiques aux les du Cap-Vert121

3.1.Questions politiques laube de la lutte de libration nationale122

3.1.1.La cration du PAIGC ou lunion entre le Cap-Vert et la Guine-Bissau124

3.1.2.Lentre en scne du PAICV129

3.1.3.Larrive dune nouvelle re politique au Cap-Vert130

3.2.Le contexte sociolinguistique national: ralits historiques et contemporaines133

3.2.1.Le portugais134

3.2.2.Le crole cap-verdien136

3.2.3.Les langues trangres147

Conclusions151

DEUXIME PARTIE153

COMPTENCE COMMUNICATIVE LANGAGIRE ET PARCOURS PERSONNEL153

CHAPITRE IV154

La comptence communicative langagire154

4.1.La comptence de communication155

4.1.1.Hymes et la thorie chomskyenne159

4.1.2.La notion de communaut linguistique162

4.1.3.La notion de styles165

4.1.4.Critique dune thorie du langage axe essentiellement sur la grammaire167

4.1.5.La notion de crativit174

4.1.6.Vers un changement des priorits de recherche et dinterprtation du langage176

4.2.La comptence langagire dans la perspective de lobjet de recherche178

4.2.1.Le parcours personnel179

4.2.2.La population enqute182

CHAPITRE V187

Le parcours personnel187

5.1.La thorie de lacteur pluriel188

5.1.1.Lunicit de lhomme avant tout189

5.1.2.Le contexte sociohistorique de lutilisation de lunicit et de la pluralit190

5.1.3.Lhtrognit des contextes sociaux et des schmes dactions193

5.1.4.Lacteur pluriel et la rflexivit de laction196

5.1.5.La transmission dun hritage culturel incorpor198

5.1.6.Pour un nouveau paradigme pistmologique des recherches empiriques orientes vers le monde social200

5.2.La thorie de luniversalit culturelle des socits202

5.2.1.La mondialisation, ou lespace des particularismes collectifs203

5.2.2.Globalisations et rseaux daction: lexemple de lAfrique occidentale204

5.2.3.Le mouvement Nko: un vritable modle de globalisation culturelle206

5.2.4.Lidentit cap-verdienne et la thorie de la permabilit des cultures207

5.3.La thorie du parcours personnel215

5.3.1.Pays de naissance et pays dexistence216

5.3.2.Le contexte familial217

5.3.3.Les contextes socioculturel et sociolinguistique218

5.3.4.Le parcours scolaire et denseignement suprieur219

5.3.5.Le contexte socioprofessionnel220

5.3.6.Le parcours migratoire221

5.3.7.Rpertoire linguistique/biographie langagire222

Conclusions226

TROISIME PARTIE229

CADRE MTHODOLOGIQUE, TERRAINS DE RECHERCHE ET ENQUTES, PRSENTATION, OBSERVATION ET INTERPRTATION DU PARCOURS PERSONNEL ET DES PRODUCTIONS LANGAGIRES DES TMOINS229

CHAPITRE VI230

Cadre mthodologique, terrains de recherche et enqutes230

6.1.Mthodologie de la recherche231

6.1.1.Collecte de donnes et constitution du corpus: tape 1231

6.1.1.1.Le mode dapproche232

6.1.1.2.Lentretien: le choix des questions235

6.1.1.3.Pourquoi ces questions?236

6.1.1.4.Donnes collectes sur le terrain237

6.1.2.Collecte de donnes et constitution du corpus: tape 2238

6.1.2.1.La dmarche239

a.Au Cap-Vert239

b.En France242

6.1.2.2.Le questionnaire249

6.1.2.3.Reprise des entretiens251

6.1.2.4.Les notes de terrain252

6.1.3.Autres caractristiques mthodologiques253

6.1.3.1.Un corpus oral et un corpus crit254

6.1.3.2.Les mtadonnes254

6.1.3.3.Traitement, anonymisation et conservation des donnes255

6.2.Terrains de recherche et enqutes259

6.2.1.Les Cap-Verdiens natifs vivant au Cap-Vert260

6.2.2.Les Cap-Verdiens de retour au pays263

6.2.3.Les Cap-Verdiens de France267

CHAPITRE VII281

Prsentation, observation et interprtation du parcours personnel des tmoins281

7.1.Terrain 1: Les Cap-Verdiens natifs rsidants dans larchipel282

7.2.Terrain 2: Les Cap-Verdiens de retour de la diaspora328

7.3.Terrain 3: Les Cap-Verdiens tablis en France380

CHAPITRE VIII434

Prsentation, observation et interprtation des productions langagires434

Notes explicatives prliminaires435

8.1.Analyse des productions orales437

8.1.1.Le cas des tmoins du Terrain 1437

8.1.1.1.En Ccv437

a.Quelques exemples de variation rgionale438

b.Quelques exemples de variation sociale442

c.Alternances et mlanges de codes446

d.Alternance codique en rapport de traduction449

8.1.1.2.En franais449

a.Les marques phoniques450

b.Les marques lexicales456

c.Les marques morphosyntaxiques459

8.1.2.Le cas des tmoins du Terrain 2465

8.1.2.1.En Ccv465

a.Alternance codique465

b.Mlange de codes468

c.Bilinguisme et traduction470

d.Un lexique qui embrouille?472

e.Autres caractristiques lexicales473

f.Des constructions langagires redondantes475

g.Des carts de prononciation476

8.1.2.2.En franais477

a.Les marques phoniques478

b.Les marques lexicales482

c.Les marques morphosyntaxiques484

8.1.3.Le cas des tmoins du Terrain 3488

8.1.3.1.Le Ccv chez les Cap-Verdiens natifs de larchipel489

a.Quelques exemples dabsence dcarts489

b.Une tendance la conservation des traits basilectaux490

c.Bilinguisme et traduction491

d.Alternance et mlange de codes492

8.1.3.2.Le Ccv chez les descendants de Cap-Verdiens ns au Sngal495

a.Des carts de prononciation rcurrents495

b.Alternance en rapport de traduction497

c.Alternance et mlange de codes497

d.Quelques problmes morphosyntaxiques499

8.1.3.3.Le franais chez les Cap-Verdiens natifs de larchipel502

a.Les marques phoniques502

b.Les marques lexicales504

c.Les marques morphosyntaxiques507

8.1.3.4.Le franais chez les descendants de Cap-Verdiens ns au Sngal509

a.Les marques phoniques509

b.Les marques lexicales513

c.Les marques morphosyntaxiques515

8.2.Analyse des productions crites517

8.2.1.Le cas des tmoins du Terrain 1517

a.Les carts dordre grapho-phontique518

b.Les carts dordre orthographique520

c.Les carts dordre morphosyntaxique522

8.2.2.Le cas des tmoins du Terrain 2524

a.Les carts dordre grapho-phontique525

b.Les carts dordre orthographique526

c.Les carts dordre lexical528

d.Les carts dordre morphosyntaxique528

8.2.3.Le cas des tmoins du Terrain 3530

a.Les carts dordre grapho-phontique530

b.Les carts dordre orthographique532

c.Les carts dordre lexical534

d.Les carts dordre morphosyntaxique534

Conclusions535

CONCLUSION GNRALE537

RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES548

SITOGRAPHIE564

ANNEXES568

LISTE DES ILLUSTRATIONS569

A.FIGURES569

B.CARTES569

C.ENCARTS569

D.TABLEAUX569

E.GRAPHIQUES570

INDEX DES AUTEURS573

ABRVIATIONS

CSM: Calheta So Miguel

RAI: Praia

SC: Santa Cruz

[NLE]:nom dle

[NLOC]:nom de localit

[NPAYS]:nom de pays

[NPERS]:nom de personne

[NSOC]:nom de socit

[NVILLE]:nom de ville

PP:parcours personnel

CcvBR: crole cap-verdien, variante de Brava

CcvFG: crole cap-verdien, variante de Fogo

CcvSA: crole cap-verdien, variante de Santo Anto

CcvST: crole cap-verdien, variante de Santiago

CcvSV: crole cap-verdien, variante de So Vicente

fr.: franais

pt.: portugais europen

pt.br.: portugais brsilien

wol.:wolof

1s.: premire personne du singulier

2s.: deuxime personne du singulier

3s.: troisime personne du singulier

1p.: premire personne du pluriel

2p.:deuxime personne du pluriel

3p.: troisime personne du pluriel

ACC.:accompli

ADV.:adverbe

ANT.: marque le temps de lantriorit

ASP.: marqueur aspectuel

CPT.:complment

DEF.: article dfini

INDEF. SG. :article indfini singulier

INDEF. PL. :article indfini pluriel

NEG. :ngation

PmPP. :particule morphmique du participe pass du CcvSV

POSS. : possessif

PRP. : prposition

PRON.: pronom personnel complment dobjet direct ou indirect

REL.: pronom relatif

SN: syntagme nominal

SV: syntagme verbal

V.:verbe

: forme zro, forme non marque

vs :versus

*:forme impropre

FLE: franais langue trangre

L2:langue seconde

INTRODUCTION GNRALE

Le Cap-Vert, archipel situ au large des ctes sngalo-mauritaniennes, a t peupl partir de la fin du 15e sicle de colons europens et desclaves africains. La longue priode doccupation portugaise (plus de 500 ans) dans cet tat insulaire a rsult dun hritage qui sur le plan sociolinguistique sest traduit par une situation de diglossie o le portugais est la langue officielle alors que le crole, aujourdhui dnomm langue cap-verdienne, n des contacts linguistiques luso-africains est le vhicule de lexpression quotidienne.

Mais lhistoire de la socit cap-verdienne plonge aussi ses racines dans celle de lmigration. En effet, les conditions de vie pnibles dans ce petit monde insulaire ont pouss de nombreux Cap-Verdiens lexil, aussi bien sur le continent africain quen Europe ou aux tats-Unis. Des communauts cap-verdiennes crolophones se sont formes dans diffrents pays. Le crole du Cap-Vert sest donc enrichi dans ces communauts expatries en raison du contact avec la langue du pays daccueil. Cette tradition migratoire a permis aux Cap-Verdiens de souvrir au monde non seulement au plan conomique, politique, culturel, mais encore linguistique. A cela sajoute la grande mobilit internationale dun peuple dpendant de lextrieur en raison du dficit structurel de ses ressources (Cf. Lesourd, 1995, pp. 40-43). Un autre facteur est prendre en compte, depuis une trentaine dannes, des descendants de Cap-Verdiens ns dans la diaspora sont retourns au pays la recherche dune part dune rapide insertion socioprofessionnelle et dautre part de leurs origines jadis dcolores.

Lobjet de cette thse est dtudier la comptence langagire des Cap-Verdiens de larchipel et de la diaspora[footnoteRef:1] en sappuyant essentiellement sur leur parcours personnel. Divers paramtres tels que le pays de naissance et le(s) pays dexistence, le parcours scolaire et denseignement suprieur, ainsi que le parcours socioprofessionnel (systme ducatif dorigine, contextes sociolinguistique et socioculturel, catgorie socioprofessionnelle), le parcours migratoire, le rpertoire linguistique, le mode dacquisition et de transmission des langues du rpertoire linguistique (en particulier le crole cap-verdien), lexposition quantitative et qualitative aux diffrentes langues, les reprsentations de la capverdianit, entre autres, sont pris en compte. Il sagit par ailleurs dtablir des diffrences de comptence entre ces locuteurs ayant acquis leur(s) langue(s) dans chacun des pays faisant partie de leur trajectoire migratoire. Une attention particulire est apporte ltude des formes de bilinguisme (calques, alternances et mlanges de codes) des uns et des autres. Les enqutes, qui ont t menes aussi bien au Cap-Vert[footnoteRef:2] quen France[footnoteRef:3], prennent en compte des productions orales spontanes et provoques et des productions crites, car elles sont rvlatrices de la comptence orale. Elles portent particulirement sur le crole, le portugais et le franais. [1: Les enqutes concernent particulirement les Cap-Verdiens installs en France et ceux des communauts trangres de retour au pays.] [2: En raison de linsularit diverse du pays, les recherches ont essentiellement t menes dans lle-centre (Santiago), plus prcisment Praia.] [3: Les travaux de terrain concernent en grande partie les rgions Centre et le-de-France.]

Problmatique

Lhistoire des langues du Cap-Vert est indissociable de celle de lpoque de la dcouverte des les. Au 15e sicle et au dbut du 16e sicle, le Portugal poursuivait son expansion maritime et jouait un grand rle dans les voyages de dcouvertes. Cest au cours de ces voyages que les navigateurs dcouvrirent ces les dissmines dans locan Atlantique. Il est probable quelles taient inhabites lorsquils y abordrent en 1456. Mais, cest en 1460 que le navigateur Diogo Gomes prit possession de larchipel au nom du Portugal. Il est donc tout naturel que la langue portugaise y ft parle par les colons portugais. Ils firent alors venir leurs propres esclaves du continent africain pour les faire travailler dans les plantations. On pourrait ainsi supposer que le besoin de communication entre les matres portugais et leurs serviteurs africains aurait abouti la formation dun nouvel instrument langagier: le crole cap-verdien. Pourtant plusieurs hypothses sont avances pour expliquer la gense de cette langue.

Il existe une thorie dune gense europenne que lon retrouve chez certains auteurs comme Naro. Cette thorie soutient que les colonisateurs portugais auraient simplifi la langue portugaise de faon la rendre accessible aux esclaves africains qui serviraient dinterprtes lors des expditions maritimes. Selon Naro (1978) les diffrents croles issus de la rgion ouest de lAfrique ont puis leur origine dun pidgin portugais non pas partir des premiers contacts commerciaux entre Europens et Africains, mais au Portugal. Roug (1986, p. 30) affirme de son ct quavant le dernier quart du 16e sicle, la langue portugaise ntait pas dissmine en Afrique Occidentale et que, par consquent, aucun contact linguistique ntait possible entre Europens et Africains, tant donn que personne navait aucune notion de la langue parle par lautre[footnoteRef:4]. [4: Sur la question et les thses de Naro (1978), voir Kihm & Roug (2013).]

Une deuxime thorie dfend une gense locale. Autrement dit, le crole se serait form de manire spontane, non pas par les esclaves venus du continent africain, mais par la population ne dans les les, utilisant des structures grammaticales qui seraient innes et que tout tre humain semblerait possder en lui. On retrouve ce point de vue chez des auteurs comme Bickerton (1984). Celui-ci a formul une hypothse gnrale sur la formation des croles, le bioprogramme linguistique. Selon cette hypothse tous les types de processus dacquisition sont guids par un programme neurophysiologique cabl (Klein, 1989, p. 48). Pour soutenir ses propos, Bickerton montre certaines similitudes qui sont dmontres par les langues croles. Le systme darticles constitue dailleurs un des domaines de la grammaire du crole auquel il fait appel dans sa rflexion o il dfend que tous les croles partagent, virtuellement, le mme systme darticles. Cela expliquerait pourquoi les croles localiss des kilomtres de distance prsentent des structures grammaticales similaires, mme sils sont de base lexicale diffrente. Ces deux propositions relatives la formation du crole cap-verdien ont t fortement critiques pour des raisons aussi bien thoriques quempiriques.

On retient une troisime thorie qui soutient une gense africaine selon laquelle le crole aurait t form par les esclaves africains, en se servant des grammaires de langues de lAfrique Occidentale, et en remplaant le lexique africain par le lexique portugais. On retrouve ce point de vue, par exemple, chez Roug (1988, 1999a, 1999b) qui a montr que trois langues avaient particulirement contribu lmergence des croles cap-verdiens et guinens: le Wolof, le Temne, et le Manding. J. Lang (1999, p. 185) isole aussi ces trois langues africaines issues de lAtlantique ouest comme ayant jou un rle trs important dans la gense du crole cap-verdien, en plus du portugais qui a contribu son lexique. Cette opinion est du reste corrobore par Quint (2000):

Cest de lesclavage, du dracinement, que les croles afro-europens sont ns. Les Noirs, arrachs leur sol, se sont retrouvs au travail forc, sous la frule de leurs matres blancs. Santiago les Noirs taient Temns, Mandingues ou Wolofs, les Blancs taient Portugais. Ces Noirs devenus esclaves parlaient des langues diffrentes. Aussi se sont-ils mis communiquer en employant les mots de leurs matres, accommods la sauce grammaticale ouest-africaine: cest ainsi, trs schmatiquement, au milieu des pleurs, des grincements de dents, des crissements de chanes quest n le crole. Gardant en grande partie les structures grammaticales de leurs langues dorigine, ils puisrent dans le vocabulaire du portugais, quils pidginisrent, prononant les nouveaux mots avec les habitudes phontiques de leurs langues dorigine. Cest ainsi que naquit un proto-crole, un langage phontiquement, lexicalement et morphologiquement rduit, qui servait de trait dunion entre ces compagnons dinfortune. Un langage rduit, car il ntait la langue maternelle daucun des esclaves et que ceux-ci le composrent pour parer aux premires ncessits.

partir de 1472, ce proto-crole en ralit, il correspond avant tout des varits dapprenant sest transmis de gnration en gnration en acqurant une certaine stabilit lexicale et grammaticale en raison dun nombre important desclaves et dun nombre rduit de colons blancs fixs de faon permanente au Cap-Vert. Selon Fanha (1985, p. 293), le Cap-Vert est un cas typique dune crolisation rapide dans des circonstances dune domination numrique par des esclaves de diffrentes ethnicits, coups du contact avec leurs langues et leurs cultures dans des conditions extrmes disolement ( Santiago et Fogo, en 1582 pour quelques centaines de blancs il y avait 13.700 esclaves). En consquence, le crole cap-verdien sest progressivement propag dans toutes les les de larchipel entre la deuxime moiti du 15e sicle et le 19e sicle.

Au demeurant, la priode de limprialisme lusitanien a donc donn lieu la prsence de deux langues le portugais et le crole cap-verdien dont la coexistence est jusqu nos jours quivoque. En effet, alors que dun ct le portugais simpose comme langue officielle du Cap-Vert depuis la colonisation et langue ordinaire de lcrit, le crole cap-verdien, langue maternelle de tous les nationaux, noccupe quune place de langue ordinaire de loralit (Cf. Chapitre III, section 3.2.). Nous nous trouvons ainsi en prsence dune situation vidente de diglossie et non de bilinguisme tant donn que la plupart des citoyens sont confronts quotidiennement aux deux langues avec une hirarchie prtablie.

ces deux codes linguistiques qui dominent le panorama sociolinguistique national, viennent sajouter deux langues trangres langlais et le franais qui manent de la politique linguistique ducative en vigueur dans larchipel. Concernant le franais, le Cap-Vert a dailleurs particulirement mis sur lenseignement de la langue, grce aux orientations de la coopration franaise au Cap-Vert. Par ailleurs, compte tenu de sa situation gopolitique situ au large des ctes de lAfrique de lOuest, voisin de pays francophones comme la Mauritanie, le Sngal, la Guine, le Togo, le Bnin, la Cte dIvoire,etc., et membre de la CEDEAO (Communaut conomique des tats de lAfrique de lOuest), le Cap-Vert participe aussi aux institutions de la Francophonie depuis dcembre 1996. La langue franaise est donc bien positionne dans lunivers linguistique de ce pays lusophone. Langlais, langue internationale des affaires par excellence, occupe aussi une place de choix dans lenseignement scolaire et universitaire. On pourrait inclure dans cette liste, dautres langues le nerlandais, lespagnol, litalien, lallemand, le russe, le mandarin, le wolof, etc. qui drivent essentiellement de la tradition migratoire internationale des Cap-Verdiens.

Devant cette situation, le Cap-Vert na pas rsist la tentation de louverture au monde et sest vu oblig, en dpit de sa taille modeste, de mener une diplomatie active et ambitieuse visant transformer larchipel en un vritable pont entre lEurope, lAfrique et lAmrique. Les autorits cap-verdiennes ont donc pour objectifs majeurs dtablir un partenariat spcial avec lEurope, de se rapprocher de lOTAN et des tats-Unis sans sloigner des ctes du continent africain.

Grce ce contexte, les Cap-Verdiens parlent gnralement plusieurs langues au cours de leur existence et dans la vie de tous les jours. Cette grande richesse linguistique a jusqu maintenant t peu dcrite. Lobjectif de cette tude est donc de mieux connatre lusage des langues dans le quotidien des Cap-Verdiens. Quelles soient utilises dans le cercle rduit de la famille, dans le cadre de lexercice professionnel, dans les milieux scolaire ou universitaire, lors des voyages ou des migrations, ou sporadiquement, ces diverses langues ne subissent certainement pas le mme traitement dun locuteur un autre. Bien entendu, ce traitement individuel se ramne gnralement une ralit plus collective lie elle-mme aux microgroupes insrs dans le tissu social cap-verdien.

Dans cette pluralit linguistique, il est opportun de mesurer la comptence des Cap-Verdiens de larchipel et ceux de la diaspora en mettant en relief leur parcours de vie, danalyser les phnomnes de contact observables et dessayer de dterminer sil existe des varits linguistiques propres chacune de ces communauts. Autrement dit, est-ce que ces diffrents groupes de locuteurs appartenant la mme nation dveloppent en leur sein des idiolectes ou des sociolectesparticuliers?

Justification du choix du sujet

Jusqu ce jour, dincalculables recherches linguistiques ont t dj menes dans larchipel et de nombreux travaux ont t publis, aussi bien en crole, en portugais, en franais quen anglais. Toutefois, force est de reconnatre que la grande masse de ces tudes tourne autour de la formation des croles afro-portugais, du crole cap-verdien et de ses diffrentes varits ou prsente des tudes grammaticales, descriptives et syntaxiques du crole du Cap-Vert. Je me suis plutt intress la comptence langagire des Cap-Verdiens qui appartiennent un pays qui selon lexpression de Lesourd (1995, p. 65) est n du voyage et a voyag.

Le choix de ce sujet remonte 2007, lanne de mon arrive luniversit dOrlans (France) pour entamer, grce au soutien financier du ministre des Affaires trangres franais par lintermdiaire du SCAC[footnoteRef:5] (Service de Coopration et dAction Culturelle) Praia, mes tudes en master 2. Une fois sur place, jai pris connaissance du projet des corpus oraux dESLO 1[footnoteRef:6]. Plus tard, jai pris intrt un nouveau projet men par une quipe du CORAL (Centre Orlanais de Recherche en Anthropologie et Linguistique) aujourdhui LLL (Laboratoire Ligrien de Linguistique) , le projet LCO (Langues en contact Orlans). Ce projet a t initi au dbut de lanne 2007. Il a t conu comme une rponse une forte demande sociale et vise de nouvelles approches du contact des langues, de ses consquences sur chacune des langues en prsence (mergence de nouvelles varits: phnomnes de pidginisation, crolisation,etc.), ainsi que sur leur acquisition et transmission. Il concerne laccueil et lintgration des publics migrants et des populations non sdentaires. [5: Sous lautorit de lAmbassadeur, le Service de Coopration et dAction Culturelle est charg dappliquer la politique dfinie par le ministre des Affaires trangres europennes franais, en coordination avec le gouvernement cap-verdien, ainsi que de grer les moyens mis sa disposition.] [6: Lenqute ESLO 1 (Enqute Socio-Linguistiques Orlans), conduite par des universitaires britanniques des fins didactiques (enseignement du franais langue trangre dans le systme public dducation anglais) entre 1966 et 1971, comprend environ 200 interviews, toutes rfrences, et plus de 300 heures de parole incluant des enregistrements cachs, des conversations tlphoniques, des runions publiques, des entretiens mdico-pdagogiques, etc. Ce corpus constitue, par son ampleur, sa rigueur et sa cohrence, le plus important tmoignage sur le franais parl avant 1980. ]

Je me suis alors greff sur ce projet du CORAL et cest dans ce cadre que, dans un premier temps, la recherche a port sur le franais parl par les Cap-Verdiens installs en France, avec un accent particulier sur le parcours personnel et la prononciation des tmoins.

Arriv en octobre 2008, au terme des tudes de master et comptant sur le vif intrt de mon directeur de recherche pour poursuivre ltude, jai rintgr un an plus tard, en septembre 2009, le Laboratoire Ligrien de Linguistique dans le but dapprofondir ce travail dinvestigation. partir de l, lobjectif a t non seulement dlargir les terrains de recherche en France, mais encore douvrir le champ daction larchipel cap-verdien.

Mener des recherches sur ce sujet est aussi une option trs personnelle, en raison de mon identit et de mon parcours de vie singulier. Descendant de Cap-Verdiens, n dans limmigration[footnoteRef:7], jai moi-mme un rpertoire linguistique assez dense. En effet, je parle le crole cap-verdien (les variantes de So Vicente et de Santiago), le franais, le portugais, langlais, lespagnol et le wolof. Ceci est le rsultat dun itinraire de vie marqu par plusieurs variables lorigine des ascendants, le pays de naissance, le lieu de formation scolaire et universitaire, les migrations, les voyages, le contact avec divers milieux socioculturels, la catgorie socioprofessionnelle qui mobligent minterroger sur ma relle comptence langagire compte tenu de lacteur pluriel[footnoteRef:8] (Cf. Lahire, 2001) que je suis et du parcours htrogne que jai connu. [7: En ce cas, Dakar (Sngal).] [8: Ce sujet est abord en dtail dans la deuxime partie de la thse.]

Sil est vrai que je suis capable de parler plusieurs langues, on peut nanmoins questionner une telle comptence dans chacune des langues de mon rpertoire. Une tude diachronique simpose: comment parle-t-on ces langues aujourdhui et comment les parlait-on il y a quelques annes? Le rpertoire sest-il enrichi ou appauvri au cours du temps? Pourquoi? Comment? Lexposition quantitative et qualitative chaque langue (Roug, 2008), est-elle identique actuellement comme autrefois? Toutes ces questions et bien dautres doivent faire lobjet dune analyse profonde et srieuse, car il ne suffit pas simplement daffirmer que les Cap-Verdiens parlent plusieurs langues dans leur vie quotidienne, il convient surtout de comprendre les raisons de cette facult indite absorber divers codes linguistiques et de connatre les dispositions cognitives et linguistiques qui sont mises en uvre pour arriver une telle diversit de production langagire.

En choisissant de conduire des recherches dans ce domaine, il apparat indispensable de dfinir une double dmarche:

Postuler ds le dpart que le plurilinguisme des Cap-Verdiens provient du pass historique des les priode dexpansion coloniale portugaise et formation de la socit cap-verdienne de lmigration ancienne et constante ouverture traditionnelle de larchipel au monde et de la recherche de laide internationale, une contrainte pour le pays ouverture par laide au dveloppement (Lesourd, 1995, p. 19) mais, montrer encore que le parcours personnel des tmoins est un lment capital dans la dfinition de leur comptence langagire;

tablir un cadre thorique et mthodologique qui sappuie entirement sur le postulat de dpart.

Cela dit, je suis bien conscient que tous les Cap-Verdiens ne sont pas ns dans larchipel (certains sont ns en Afrique continentale, en Europe ou ailleurs), que tous nont pas migr (certains tmoins ns au Cap-Vert nont jamais quitt leur le) et que tous nont pas un parcours migratoire identique (il peut arriver, dans certains cas, que les parcours migratoires obissent des ncessits purement personnelles et se prsentent ainsi comme atypiques au regard de lensemble des migrations). La tche ici est donc plus ardue, tant donn quil sagira dans la multitude (groupe national) de chercher lexistence du commun travers lindividualit (parcours personnel).

Or quen sera-t-il de la comptence langagire des Cap-Verdiens face la prsence de parcours de vie individuels? Tous nont pas acquis la langue cap-verdienne dans les mmes circonstances, ceux qui ont migr ou qui sont ns dans dautres rgions du monde nont pas entretenu le mme rapport avec la langue portugaise. En outre, ceux qui ont toujours vcu dans larchipel nont probablement pas acquis les langues trangres de la mme manire que leurs compatriotes des voyages.

En plus du mode dacquisition, il faudra aussi sinterroger sur les diffrents lieux (contextes sociaux) dutilisation de chaque langue, leur frquence demploi, leur mode de rception, les reprsentations linguistiques de chaque tmoin et leur apptence ventuelle pour telle ou telle langue.

Ce travail a une vise sociolinguistique et entend apprhender la diversit linguistique de locuteurs issus dun micro-tat, insulaire dont la spcificit et les particularismes sont inhrents sa composition langagire actuelle. Les Cap-Verdiens vivent et voluent depuis toujours dans diffrents milieux sociaux; ils ont continuellement t confronts plusieurs environnements linguistiques. Rien de plus tonnant sils ont dvelopp une aptitude naturelle parler diverses langues afin de faciliter leur intgration et leur insertion quelle que soit la socit dans laquelle ils stablissent.

Objectifs

Cette tude qui sappuie sur le parcours de vie des diffrents tmoins vise fondamentalement mesurer la comptence langagire des Cap-Verdiens de larchipel et de la diaspora.

Par ailleurs, elle permettra:

au plan linguistique, dexaminer les processus dacquisition et de transmission de chaque langue, de comprendre les phnomnes de contact existant entre elles ainsi que les mcanismes naturels dmergence de nouvelles varits linguistiques;

de mieux apprhender, en matire danthropologie sociale et culturelle, le poids du parcours personnel des tmoins concernant lacquisition et lutilisation de chaque langue;

de participer llaboration dune nouvelle base de corpus oraux de larchipel, dans une socit o les traditions orales sont ancestrales, conformment aux rcits des voyageurs portugais et trangers du 16e au 19e sicle (Massa & Massa, 2004, pp. 221-232).

Aprs avoir demble cherch connatre la biographie langagire de chaque tmoin (langue(s) maternelle(s), langue(s) trangre(s) connue(s), langue(s) trangre(s) apprise(s), moment(s) dapprentissage de la (des) langue(s) apprise(s), dure de cet apprentissage, type(s) dapprentissage, lieu (x) dapprentissage), il sera possible danalyser:

dans quels contextes prcis ( la maison, lcole, dans la rue, au travail, lors de leurs voyages, en fonction des circonstances,etc.) ils utilisent chaque langue;

comment ils les utilisent (spontanment, par ncessit, en les alternant, en les mlangeant, en passant par la traduction,etc.);

et avec quelle frquence (tous les jours, toute la journe, souvent, rarement, jamais,etc.).

Cadre thorique et mthodologique

La comptence est un concept fondamental de la linguistique. Introduite par Chomsky (1965), larchitecte de la linguistique gnrative, la notion de comptence linguistique dsigne les connaissances intuitives des rgles grammaticales sous-jacentes la parole quun locuteur natif idal a de sa langue et qui le rendent capable de produire et de reconnatre les phrases correctes (Cuq, 2003, p. 48). Chomsky faisait rfrence des connaissances impliquant:

La facult de comprendre et de produire, partir dun nombre fini de rgles, lensemble infini des phrases grammaticales dune langue [] la capacit de distinguer les noncs bien forms de ceux qui ne le sont pas, les phrases ambigus ou les phrases inacceptables (Siouffi & Van Raemdonck, 1999, p. 90).

Toutefois, le langage nest pas un outil ordinaire, mais un outil qui entre dans la constitution mme de la pense et des relations sociales (Bruner, 1991). Hymes (1991) propose en contrepartie la notion de comptence communicationnelle, qui dsigne:

La capacit dun locuteur de produire et interprter des noncs de faon approprie, dadapter son discours la situation de communication en prenant en compte les facteurs externes qui le conditionnent: le cadre spatio-temporel, lidentit des participants, leur relation et leurs rles, les actes quils accomplissent, leur adquation aux normes sociales,etc. (Cuq, op. cit., p. 48).

Par ailleurs, les concepts de comptences linguistique et communicative pourront tre considrs comme des sous-parties dune troisime forme de capacit cognitive et comportementale: la comptence socioculturelle en ce sens que si une langue est apprhende comme un guide symbolique de la culture, la culture, elle, est conue comme tout ce quil faut savoir ou croire pour se comporter de faon approprie aux yeux des membres dun groupe (Cuq, 2003, p. 49).

Quant au concept de parcours personnel[footnoteRef:9] qui est la base de ce travail de recherche, le postulat est quil dtermine toute forme dacquisition linguistique quel que soit lacteur social en cause. Lacquisition de la langue maternelle et lventuelle acquisition dune langue seconde et/ou dune ou de plusieurs langues trangres dpendront de cette trajectoire individuelle. Les pratiques langagires dun individu quelconque seront galement le corollaire de son parcours de vie. Dailleurs, lopposition parcours personnel/parcours collectif qui mane du principe pris pour expliquer la comptence langagire des tmoins de la prsente tude pourrait, pour le coup, tre relie lopposition chomskyenne I. Language/E. Language. Autrement dit, la notion de I. Language (Internalized Language) qui concerne la langue de lindividu, cest--dire la langue quil possde (comptences personnelles) serait rattache au parcours personnel, tandis que la notion de E. Language (Externalized Language) qui correspond la langue comme elle est partage par la communaut (comptences partages) sappliquerait au parcours collectif, comme rsultat de la vie en socit. [9: Bien entendu, il convient de prciser que le concept de parcours personnel, exprim dans ce travail, nexclut sous aucun prtexte, les dterminismes sociaux.]

Partant, des lments tels que le pays de naissance et dexistence, les contextes familial (parents ayant les mmes origines, ou parents issus dun mariage ou union culturellement mixte), socioculturel (socit mono-, bi-, ou multiculturelle), sociolinguistique (socit mono-, bi-, ou plurilingue), le parcours scolaire et denseignement suprieur (formation scolaire, universitaire, professionnelle,etc.), le parcours professionnel (profession ncessitant ou pas lemploi de langues autres que la langue maternelle), les itinraires migratoires (lorsquils existent), la mobilit internationale (si elle existe), lexposition quantitative et qualitative aux diffrentes langues, entre autres, seront dcisifs dans la composition de la biographie langagire dun individu.

En somme, la comptence langagire et le parcours personnel constituent la charnire de cette thse. Qui plus est dun tat-nation fortement marqu par les particularismes ancrs dans son insularit rgionale et dans sa dimension multipolaire. Et, si en gnral, les Cap-Verdiens parlent une ou plusieurs autres langues au cours de leur existence, en plus de leur langue maternelle[footnoteRef:10], on peut donc supposer quil leur faut beaucoup plus que de lintuition pour quils soient capables dacqurir des idiomes aussi varis et aux systmes linguistiques souvent si distincts. [10: Il peut arriver, mme si cela est plutt rare parmi les tmoins de cette tude, que le crole cap-verdien ne soit pas la langue maternelle dun Cap-Verdien.]

Recherches documentaires

Les enqutes menes sur le terrain reprsentent un champ de recherche peu exploit au Cap-Vert. Sil est vrai quil existe des ouvrages traitant de la situation sociolinguistique interne cap-verdienne, en revanche, les ouvrages touchant au plurilinguisme et au contact de langues dans ces communauts cap-verdiennes de lmigration/immigration sont inexistants.

Ce sont des recherches qui vont au-del de la problmatique lie au bilinguisme ou la diglossie dj voque par dautres auteurs puisquelles franchissent les frontires linguistiques de lancrage colonial, pour placer le pays dans une nouvelle ralit, celle dun tat-nation non plus repli sur lui-mme, mais plutt ouvert au monde. Et cest dans cette perspective que la documentation livresque nest pas abondante.

En consquence, le recours une bibliographie trangre a t invitable. Il sagit cependant de modles pas toujours similaires qui vont dune situation sociolinguistique se distinguant du standard plus ou moins explicitement reconnu quest le monolinguisme vernaculaire une situation socioanthropologique particulire que reprsentent les diasporas (Donabdian-Dmopoulos, 2001, p. 5).

Terrains dinvestigation et donnes collectes

limage du choix du sujet (v. supra), ce travail de recherche est constitu dtapes chronologiquement et mthodologiquement diffrentes. La premire phase dinvestigation sest droule entre novembre 2007 et mai 2008, pendant environ 6 semaines; je faisais alors mes tudes de master 2, luniversit dOrlans (France). ce stade, les observations se sont limites au dpartement du Loiret, en rgion Centre. Les villes dOrlans, de Beaugency, dOlivet et la commune dArdon ont t ainsi parcourues.

Les recherches consistaient exclusivement constituer un corpus oral. Au terme des diverses prises de contact, des sances denregistrements ont t effectues. Il sagit dentretiens qui prenaient gnralement la forme de rcits de vie, composs de questions ouvertes dont lobjectif tait de recueillir une quantit importante de donnes linguistiques et personnelles concernant les tmoins.

La seconde phase de recherche est complmentaire la priode initiale puisquelle concerne mes tudes doctorales. Elle a dbut en fvrier 2010 et sest poursuivie jusquen mai 2014. Elle est naturellement plus largie et plus complte vu quelle rajoute des terrains en France et souvre au territoire cap-verdien. En effet, les enqutes ont t menes dans dautres communes de lOrlanais, en rgion Centre, ainsi que dans certaines villes de la rgion le-de-France o rsident des Cap-Verdiens, grce cinq sjours dans lHexagone, dont quatre Orlans (16 semaines) et un en rgion parisienne (5 semaines), entre juillet et aot 2011. Lre moderne qui offre la possibilit dtablir des contacts distance, grce notamment au recours la messagerie sur Internet et la tlphonie sur IP[footnoteRef:11] ma permis, par le biais du rseau estudiantin local et du relais entre enquts, de recueillir quelques questionnaires avec des tmoins vivant dans la diaspora en France, dans des rgions autres que celles supra mentionnes, et au Sngal (Dakar). [11: La tlphonie sur IP (ou VoIP pour Voix sur IP) est un mode de tlphonie utilisant le protocole de tlcommunications cr pour Internet (IP pour Internet Protocol).]

Dans larchipel cap-verdien, les pratiques de terrain ont essentiellement intress la ville de Praia, ceci en raison de sa dimension nationale et de son clectisme socioculturel. La collecte a concern dune part, les natifs des les, et dautre part, les Cap-Verdiens et les descendants de Cap-Verdiens venus sinstaller dans larchipel, trs souvent aprs de longues annes passes ltranger. Les enqutes taient conduites en intermittence avec mes responsabilits professionnelles.

Avec cette phase additionnelle, le volume denregistrements a considrablement augment. Les donnes orales ont dabord t stockes sur ordinateur. Postrieurement, certaines parties ont t transcrites et soigneusement anonymises par le moyen dun code accord chacun des tmoins des enqutes.

tant donn que certains facteurs temps, occupations professionnelles, disponibilit des tmoins,etc. empchaient denregistrer chaque individu, un questionnaire certes trs long, mais trs complet en tout semblable au modle dentretien a galement t distribu. Il a permis de collecter des donnes prcieuses notamment en matire de langage crit.

Toutes les donnes collectes ont t compltes, pendant les deux phases dinvestigation, par des notes de terrain provenant non seulement dobservations participantes, mais aussi dune oreille sans cesse trs indiscrte[footnoteRef:12] manifeste par lincursion de la vie quotidienne dans la vie scientifique. [12: Il sagit dune indiscrtion dans le bon sens du terme. Cest--dire que le chercheur est lcoute des traits langagiers particuliers produits par les tmoins et non de leurs histoires prives lorsquenregistreur, bloc-notes et stylo sont rangs. Lexpression la plus approprie serait dans ce cas affute.]

Plan de ltude

En dehors de lintroduction gnrale qui prcde la problmatique et les enjeux de lobjet de la recherche et aussi le cadre thorique et la dmarche mthodologique appliqus dans cette tude, lanalyse globale de cette thse comprend trois parties. Chacune delles dbouche sur le thme qui y est abord et prsente les points forts retenus pour son examen.

Larchipel cap-verdien est marqu par de profonds particularismes aussi bien sur le plan conomique, social, culturel, que sur le plan identitaire et linguistique. En outre, le pays ne se limite pas une prsence autour de lAtlantique. Le Cap-Vert, cest aussi ses les extrieures[footnoteRef:13]. Cest la raison pour laquelle une prsentation du pays est faite dans la premire partie. On y aborde aussi ses problmes humains lis essentiellement des contraintes naturelles. Dautres aspects tels que lmigration, lidentit cap-verdienne, la capverdianit, ainsi que les faits politiques et linguistiques en application dans les les sont galement revisits. [13: Cette expression, fort justement utilise par Lesourd (1995, p.127), met en relief la tradition migratoire ancienne et constante des Cap-Verdiens.]

La deuxime partie est consacre ltude thorique des concepts de comptence communicative langagire et de parcours personnel. Cest galement loccasion de poser la problmatique des parcours personnel et migratoire, deux lments dune grande importance dans la constitution de la biographie langagire des enquts.

En dernier lieu, la troisime partie fait place dune part, la prsentation de la mthodologie adopte pour le recueil des donnes, et dautre part, la prsentation des terrains denqutes, et linterprtation du parcours personnel et des productions langagires des enquts. Lanalyse de la comptence langagire des Cap-Verdiens de larchipel et de la diaspora, par le biais de comparaisons, dbouche sur la prsentation des rsultats des recherches menes dans les diffrents terrains se rapportant cette communaut linguistique savoir:

les Cap-Verdiens natifs vivant au Cap-Vert[footnoteRef:14]; [14: Plus prcisment Praia.]

les Cap-Verdiens et leurs descendants retourns au pays aprs un sjour considrable lextrieur (diaspora);

les Cap-Verdiens encore installs en France[footnoteRef:15]. [15: Ici, laccent est surtout mis sur les Cap-Verdiens de la diaspora, notamment franaise et francophone.]

Limites de ltude

Comme lvoque lintitul du sujet, les recherches conduites dans le cadre de cette thse portent essentiellement sur deux terrains: larchipel cap-verdien et sa diaspora. Sil est vident que lidal pour une tude de ce genre serait de parcourir dans leur totalit les aires mentionnes ci-dessus, il semble aussi quune telle entreprise soit parfaitement insoluble sur une priode de temps aussi rduite.

En ce qui concerne le territoire cap-verdien, seul un fort investissement financier transports ariens et maritimes peut permettre de sillonner lensemble du pays car en dpit de son exigut gographique un peu plus de 4.000 km2 son insularit ainsi que lclatement des rgions sont deux facteurs qui empchent quune telle initiative soit ralisable court terme. En tout tat de cause, Praia, la capitale de lle-centre, reprsente nanmoins un chantillon assez reprsentatif du panorama national aussi bien en termes sociaux, culturels, et linguistiques compte tenu de lagglomration dindividus de toutes les les et du noyau dur de la diaspora.

Quant lutilisation du terme diaspora, la premire intention ici est denglober tous les migrs qui rsident encore ltranger ou ceux qui sont retourns au Cap-Vert. Il va de soi que lhtrognit linguistique associe la dispersion de lmigration cap-verdienne ne permet pas de conduire des recherches dune telle envergure. Ltude se limite donc la diaspora cap-verdienne qui parle franais. Dautres tudes similaires pourraient tre menes dans la diaspora cap-verdienne anglophone, lusophone, hispanophone,etc.

Lune des mthodes choisies pour le recueil de donnes sur le terrain est le questionnaire. Sa distribution Praia na pas vraiment pos de grandes difficults. Cela est certainement d au fait que le terrain nest absolument pas trange et que plusieurs moyens voiture personnelle, rseaux familiaux, amicaux, systme de relais, tlphone,etc. ont t mis profit pour quun grand nombre de tmoins puissent participer ltude. La seule vritable contrainte sentie dans la capitale cap-verdienne est la relative faible accoutumance la recherche scientifique. Remplir un questionnaire le mien a la particularit dtre plutt long nest pas lexercice prfr des Cap-Verdiens de larchipel.

En revanche, la complexit des travaux de terrain a t majeure en France, mme sil faut sparer la collecte de donnes ralise dans les communes de lOrlanais, en rgion Centre de celle effectue dans les cits de divers dpartements de la rgion le-de-France. La communaut cap-verdienne installe dans le Loiret et les dpartements limitrophes est numriquement peu importante et fonctionne surtout sur le rseau familial et amical. Grce la morabeza[footnoteRef:16] de ses membres, ce fut possible daller dune famille une autre, dune maison une autre, dune localit une autre et ce, plusieurs reprises. [16: Cest un mot qui caractrise une manire dtre trs cap-verdienne, notamment travers un esprit ouvert, accueillant et hospitalier.]

En le-de-France (particulirement Paris), tout est bien diffrent. Cela ne veut absolument pas dire que les Cap-Verdiens de Paris ne sont pas hospitaliers ou accueillants, mais ils sont bien obligs daccompagner le rythme de vie (hte, agitation) qui anime la capitale franaise. Dautre part, Paris et sa banlieue sont immenses. Les Cap-Verdiens sont naturellement plus mfiants. Leurs associations sont trs fragmentes. Jaurai voulu y rencontrer plus de Cap-Verdiens, distribuer plus dexemplaires du questionnaire, mais, malheureusement, tel na pas t possible.

PREMIRE PARTIE

SOCIT, IDENTIT ET RALITS POLITICO-LINGUISTIQUES AUX LES DU CAP-VERT

CHAPITRE I

Contraintes naturelles et problmes humains

Pauvret, sous-dveloppement, micro-insularit contraignante: le Cap-Vert apparat comme lun des territoires de la plante les moins bien dots et les plus vulnrables.

(Michel Lesourd, tat et socit aux les du Cap-Vert).

Selon le rapport 2011[footnoteRef:17] divulgu par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le dveloppement) sur le dveloppement humain, le Cap-Vert 133e rang mondial sur un total de 187 pays et territoires reconnus par les Nations Unies appartient au groupe des pays dveloppement humain moyen avec un indice de dveloppement humain (IDH, Cf. Figure 1) tabli 0,568. Ce mme rapport prcise que: [17: Disponible sur: http://hdrstats.undp.org/fr/pays/profils/CPV.html.]

Lindice de dveloppement humain qui a t lanc comme alternative aux mesures conventionnelles de dveloppement, telles que le niveau de revenus et le taux de croissance conomique reprsente une volont de dfinition plus large du bien-tre et fournit une mesure composite de trois dimensions de base du dveloppement humain: la sant, lducation et le revenu. LIDH de lAfrique subsaharienne en tant que rgion a pass de 0.365 en 1980 0.463 aujourdhui, plaant Cap-Vert au-dessus de la moyenne rgionale[footnoteRef:18]. [18: Ibid.]

Sil est vrai que lIDH de larchipel est en nette ascension depuis quelques annes[footnoteRef:19], il nempche que la situation du Cap-Vert est encore intermdiaire entre lappartenance au groupe des pays en voie de dveloppement revenu moyen, mais proche des plus pauvres[footnoteRef:20] (Lesourd, 1995, p. 33). [19: Le rapport 1991 du PNUD tablissait lIDH du Cap-Vert 0,536 (Cf. Lesourd, 1995, p.34).] [20: Plus de quinze ans aprs, cette affirmation continue dtre une ralit nationale.]

Figure 1: Indice de dveloppement humain (IDH), Cap-Vert (Source: Human Development, Report 2007, Perspective Monde, Universit de Sherbrooke[footnoteRef:21]). [21: Disponible sur: http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=CPV&codeStat=SP.POP.IDH.IN&codeTheme=1.]

La pauvret que connaissent les les, constitue donc un frein au dveloppement de la socit cap-verdienne. Elle est lune des principales causes des problmes humains qui dominent ce petit monde insulaire. Mais, les handicaps aux les du Cap-Vert ne sont pas uniquement dordre structurel; certains facteurs de nature conjoncturelle faits climatiques notamment sont galement lorigine des ralits socitales du pays.

Ce chapitre met en exergue les principaux facteurs entre contraintes naturelles et problmes humains qui motivent les migrations internes et surtout lmigration internationale des Cap-Verdiens et qui dbouchent a posteriori sur le point qui retient lattention dans cette tude savoir la comptence langagire dune communaut linguistique a priori bilingue, quelle vive dans larchipel ou dans la diaspora.

ce propos, la position gographique de larchipel cap-verdien est une donne importante qui permet, dune certaine manire, dapprhender de faon plus prcise, les difficults inhrentes aux comportements et mouvements sociaux lintrieur et lextrieur du territoire national.

Une situation gographique peu favorable

La rpublique du Cap-Vert, en portugais Repblica de Cabo Verde, se situe 500 km de la cte ouest-africaine, dans locan Atlantique central. Micro-tat insulaire, elle a une superficie de 4.033 km2 de terres merges, disperses en 9 les habites, une le et 8 lots dserts, situs entre 1350 et 1715 de latitude nord, 2245 et 2525 de longitude ouest.

Carte 1: Les les du Cap-Vert[footnoteRef:22] [22: Disponible sur: http://www.pyrenevoyages.com/zoom-sur-le-cap-vert-.html.]

Deux ensembles gographiques composent larchipel. Au nord, les les Barlavento (au vent): Santo Anto, So Vicente, Santa Luzia (dserte), So Nicolau, Sal et Boavista 2.230 km2), plus froides et exposes aux alizs du nord-est. Au sud, les les Sotavento (sous le vent): Maio, Santiago, Fogo, Brava (1.803 km2), plus chaudes (Lesourd, 1995,pp. 31, 66).

Dorigine essentiellement volcanique, les les du Cap-Vert appartiennent galement la Macaronsie, un ensemble de plusieurs groupes dles identiquement dissmines dans locan Atlantique et qui comprend les les Canaries, Madre et les Aores[footnoteRef:23]. Le Cap-Vert, linstar de ces autres archipels macaronsiens, est pendant une grande partie de lanne, sous la dpendance des influences de lanticyclone des Aores qui gnre un systme de vents composante nord, laliz, le principal responsable des plus fortes permanences des caractres mtorologiques des les, mais affecte aussi les courants superficiels de locan Atlantique centre-oriental car dirigeant les eaux fraches du courant des Canaries vers le sud tandis quun gradient thermique latitudinal des eaux complte le dispositif[footnoteRef:24]. Or les domaines continental et ocanique ne se comportent pas de la mme manire face la chaleur provenant du soleil. LAfrique, proche des les, libre plus rapidement que locan cette chaleur reue, sous forme dnergie thermique tablissant entre la terre et la mer un fort gradient de pression, gnrateur de vents littoraux composante nord et nord-est, se combinant laliz et ventuellement lharmattan[footnoteRef:25]. Lanticyclone des Aores influence plus particulirement le Cap-Vert qui est situ dans la marge orientale de la sphre chaude de lAtlantique central (De Brum Ferreira, 1989, cite par Lesourd, 1995, p. 68) et pour des raisons varies, larchipel est sous linfluence dun environnement liquide frais, qui nest pas sans consquence sur la mdiocrit densemble des prcipitations. Laliz austral, apportant les prcipitations frontales de la convergence intertropicale, touche irrgulirement le Cap-Vert entre aot et octobre (Lesourd, 1995, p. 69) do son rattachement, selon lauteur, au Sahel atlantique. Des propos allant dans le mme sens taient dj tenus par dautres auteurs, notamment Ribeiro (1960, p. 64), cit par Elisa Andrade (1996) qui affirmait: [23: Cf. Lesourd, 1995, p.67, pour de plus amples dtails sur le Cap-Vert et la Macaronsie.] [24: Ibid., p.68.] [25: Ibid., p. 68.]

Soumises aux vents forts du nord-est, les les ont un rgime de pluies trs irrgulier. Les priodes de scheresse sont longues et frquentes ou alors ce sont les pluies qui tombent trop tt ou trop tard pour assurer le succs des cultures. cette irrgularit sajoute la violence des pluies. En un seul jour, les prcipitations peuvent atteindre la moyenne annuelle de 230 mm Praia et 120 mm Fogo (p. 147).

Linsularit, un handicap pour larchipel

La gographie dun tat-archipel est toujours une contrainte dcisive (Lesourd, 1995, p. 161). Cette affirmation sapplique parfaitement la ralit du Cap-Vert. Avec ses 9 les disperses dans locan Atlantique[footnoteRef:26], larchipel reprsente un territoire htrogne, maritime et terrestre, clat en rgions si singulires dont la gestion est particulirement complexe. Selon Lesourd, mme si les distances entre les groupes dles ne sont pas immenses, elles sont suffisantes pour gnrer lisolement. Par exemple, 100 kilomtres sparent le port de Praia (le de Santiago) de lle de So Nicolau, et plus de 200 kilomtres Praia de Porto-Novo, le principal port de Santo Anto. La cause majeure de cet isolement se trouve dans les difficults de communications interinsulaires[footnoteRef:27]. Lesourd explique que la violence des courants, la houle, lharmattan et son sable ainsi que les brouillards saisonniers gnent la circulation maritime. Brava situe moins de 10 kilomtres louest de Fogo est jusqu prsent lle la plus vulnrable en matire disolement dans larchipel. [26: Santa Luzia, le dserte, nest pas prise en compte ici.] [27: Ibid., p. 162.]

Les reliefs volcaniques constituent un autre aspect du problme en ce qui concerne la circulation terrestre et les tlcommunications. Les valles, profondes et troites, faites de paliers longitudinaux successifs ferms par des verrous structuraux, sont spares par de hautes barrires rocheuses et des cols difficilement franchissables (Lesourd, 1995, p. 162). Or, compte tenu des besoins urgents daccs aux localits, un programme prioritaire de construction et de rhabilitation des rseaux routiers a t conu dans chaque le[footnoteRef:28]. Le pays dispose ainsi de 1.437 kilomtres de routes paves (entre goudron, pave et terre) parmi lesquels 439 kilomtres sont en bon tat, 423 kilomtres dans un tat satisfaisant et 533 kilomtres en mauvais tat. La route qui stend entre la ville da Praia et le nord (Tarrafal) est celle qui se met nettement en vidence. De ses 70 kilomtres de distance, prs de 37 kilomtres entre Praia et Assomada ont dj t goudronns, ce qui permet que plus de la moiti de lextension de la route connaisse un parcours dun grand intrt non seulement social et conomique mais encore touristique, et bnficie de confort, de scurit et de plus de rapidit. En revanche, Santo Anto, le montagneuse et difficilement accessible, il existe 323 kilomtres de routes paves, la plupart en terre et en mauvais tat. [28: Donnes disponibles sur le site Web de la Chambre de commerce, dindustrie et de tourisme Portugal Cap-Vert, 2012 (Cf. Sitographie).]

Si dun ct les multiples contraintes physiques seraient responsables du handicap temporel, de lautre les communications ariennes constituent une adversit en termes de cots. Le contraste entre transports maritimes et transports ariens est aujourdhui encore financirement vident. Alors que les communications par voie maritime sont relativement peu coteuses, les dplacements par avion ne sont pas la porte du citoyen moyen. Lobstacle financier demeure donc un des problmes les plus difficiles rsoudre afin de permettre une plus grande mobilit des habitants dans larchipel[footnoteRef:29]. En effet, le pays a normment investi dans le domaine da la navigation arienne. Le Cap-Vert possde actuellement sept aroports un par le lexception de Santo Anto e Brava dont quatre internationaux (Sal, Santiago, So Vicente et Boavista), et trois arodromes (Fogo, Maio, So Nicolau). En plus de lloignement entre les les, la diversit des situations insulaires complique galement la planification du dveloppement. En raison de la concentration des activits conomiques et professionnelles, la capitale Praia est confronte des difficults de surpopulation et de mutations sociospatiales qui ne font que mettre en pril les les priphriques. [29: Lesourd, op. cit., p. 163.]

Heureusement, le pays sest quip ces dernires annes en communications radiophoniques et tlvises. Les avances considrables en matire de tlcommunications constituent aussi un facteur important visant au resserrement des liens culturels interinsulaires.

Pour les communications internes, les infrastructures existantes utilisent un anneau de cble sous-marin fibre optique et des antennes de retransmission par satellite, dans les communications entre les les, et 505 km de fibre optique dans le rseau terrestre. Les communications internationales combinent lutilisation de la fibre optique Atlantis cble 2, qui relie lAmrique du Sud, lAfrique et lEurope, la scurisation des communications par satellite partout dans le monde, y compris le Portugal, la France, les Pays-Bas, lEspagne, les tats-Unis et le Sngal[footnoteRef:30] (ma traduction). [30: Cf. Site Web de la Chambre de commerce, dindustrie et de tourisme Portugal Cap-Vert, op. cit, 2012.]

Malgr la performance de Cabo Verde Telecom, les utilisateurs font face certains aspects qui ne sont pas encore rsolus, en particulier le tarif lev des communications (accs linternational, rseau de tlphonie mobile et accs Internet), consquence dune concurrence[footnoteRef:31] encore fragile. [31: Larrive sur le march cap-verdien des tlcommunications, de loprateur de tlphonie mobile T+, filial du groupe Teylium, est une rponse partielle la politique des prix en vigueur dans le pays.]

Toutefois, lAoren Monteiro da Silva (1994, cit par Brito-Semedo, 2006, p. 60) soutient que linsularit est un phnomne qui va au-del du simple concept physique et il le caractrise par un ensemble de sept particularits fondamentales:

lexistence dune communaut organise socialement;

lexistence de caractristiques et dattributs anthropologiques, culturels, sociaux et conomiques qui la diffrencient des autres communauts sociales et qui lui confrent une identit propre plus ou moins accentue, soutenue par un certain parcours historique commun;

une grande vulnrabilit du systme cologique, social et conomique;

une conomie peu diversifie;

une dimension trs rduite dans le contexte international;

une dlimitation claire dune frontire physique dtermine, qui la spare dautres espaces et dautres communauts, dont la mer est, normalement, llment de frontire. Et cest cette caractristique qui dtermine et conditionne le cadre de valeurs de cette socit, en termes culturels, sociaux et conomiques;

lexistence de dsconomies, ou de surcots au niveau conomique et social (ma traduction).

Brito-Semedo (2006, p. 61) estime dailleurs que llargissement du concept dinsularit, avec les caractristiques mentionnes ci-dessus, conduit considrer linsularit comme un facteur fondamental dans la structuration de lidentit de lhomme cap-verdien. Il conclut de ce fait que:

La condition insulaire produit dans la socit cap-verdienne un ensemble dattributs qui permettent objectivement de lidentifier et, surtout, de la diffrencier de celles qui lui sont proches, avec des particularits et des spcificits ethniques, sociologiques, linguistiques, dus et de coutumes (Brito-Semedo, 2006, p. 62, ma traduction).

Une socit marque par la pauvret

La pauvret est ancre dans lhistoire des les. Du reste, au dbut de la priode dexpansion europenne, les grands navigateurs nont jamais prsent Santiago comme lun des paradis insulaires linverse de certains qui le dcrivaient comme une le humide et verdoyante. La pauvret est omniprsente partir de la fin du 16e sicle en raison des famines qui se manifestent dans la rgion (Lesourd, 1995, p. 43). Cet auteur rappelle que Les les, montagnes sches dans le Sahel et lAtlantique, furent dans lhistoire parfois plus opulentes quaujourdhui [] Les Portugais ont fait et dfait larchipel, o les contraintes physiques sont une permanence. (Ibid., p. 63).

Comme cela a t voqu dans la section prcdente, la position gographique de larchipel constitue un handicap pour le pays en termes dagriculture. Cest cette perspective que prsente E. Andrade (1996, p. 147), lorsquelle dit que lemplacement du Cap-Vert dans la vaste zone sous-sahlienne de climat aride et semi-aride, nest pas de nature favoriser les activits agricoles, et qui plus est, dans des conditions de surexploitation de la nature..

Et pourtant lancrage du pays dans la culture de la terre remonte lpoque de son peuplement. La premire dmarche des colons portugais pour assurer les conditions de leur propre existence aux les du Cap-Vert fut dy introduire les produits auxquels les Europens taient habitus savoir le bl, lorge et le seigle. Ces produits ne staient pas acclimats aux les en raison du rgime irrgulier des pluies et des vents forts du nord-est[footnoteRef:32]. Le mas, venu du Brsil, fut alors un produit alimentaire de grande importance pour larchipel (Brito, 1968, p. 14, cite par E. Andrade, 1996, p. 62). [32: Ibid., p. 62.]

Lesourd (1995, p. 191) montre aussi limportance que reprsente pour ce petit monde insulaire, le couple culture irrigue/culture sche, autrement dit la terre de lancien matre et celle de lancien esclave. Il rajoute immdiatement aprs que physiquement, techniquement et socialement, le couple irrigu/sec domine lhistoire de la mise en valeur de larchipel. En revanche, il explique que mme si le Cap-Vert fut exportateur de mas, il ne rvait plus, depuis longtemps, dautosuffisance cralire. lindpendance, il pratiquait, son corps dfendant, lautosubsistance depuis cinq sicles, avec tous les risques que cela comporte dans un environnement sahlien.

Selon le rapport final 2006[footnoteRef:33] (Composant 1 et 2) sur ltude dimpact dun accord de partenariat conomique ralis pour le compte de la SNEDE (Sociedade Nacional de Empreendimentos e Desenvolvimento Econmico[footnoteRef:34], SA), compte tenu des conditions extrmement adverses du territoire, la pauvret est un phnomne perptuel dans la ralit cap-verdienne (ma traduction, p. 49). La pauvret affectait alors 37% de la population (estimatives INE[footnoteRef:35]) dont 62% se localisaient surtout dans les zones rurales. Le mme rapport prcise que cette pauvret est aussi lie au chmage (24,4%) et atteignait particulirement la population urbaine (28,2%) contre 19,5% pour la population rurale. Elle concernait davantage les femmes chef de famille (51%), les jeunes (49% des pauvres ayant moins de 15 ans) et les les prdominance agricole (Santo Anto et Fogo). [33: Disponible sur: http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/cap_vert_etude_ape.pdf.] [34: Socit nationale dentrepreneuriat et de dveloppement conomique, SA.] [35: Institut national de statistique (Cap-Vert).]

Cette pauvret dabord nutritionnelle est accompagne dune pauvret sociale (notamment ducative) qui finit par avoir des rpercussions en termes sanitaires. Ces deux marques de pauvret correspondent dans lhistoire de larchipel une misre conomique peine entrecoupe de brves priodes despoir (Lesourd, 1995, p. 43).

Les conditions alimentaires

Comment le pays peut-il rsister face des conditions climatiques aussi fragiles et antagoniques? Lesourd (1995, p. 98) explique que la svrit de ces conditions rendent trs mdiocres, quatre annes sur cinq, les rcoltes de larchipel. Or, au cours de leur histoire, les les ont connu de nombreux pisodes de disettes et de famines. Carreira (2000, pp. 196-208) prsente, encore que de faon sommaire, une priode de crises de faim et dpidmies intermittentes allant du 16e sicle au 19e sicle. Les famines les plus rcentes dans larchipel sont relatives aux annes de scheresse rcurrentes o la mdiocrit voire labsence de pluies, sur une ou plusieurs les, taient lorigine des difficults de ravitaillement alimentaire (Lesourd, 1995, p. 44). Cet auteur montre par ailleurs que ces pnuries taient la cause de plusieurs misrestelles que la sous-nutrition chronique, le dclin dmographique temporaire et la mort des hommes et des femmes qui dsorganisait la production agricole. Les famines de 1941-1943, puis de 1947-1948 auront t les plus meurtrires. Elles obligrent les autorits coloniales, sous la pression de lopinion internationale, pondrer la question du ravitaillement pour le pays, ce qui permit de contenir la faim malgr les annes de scheresse qui suivirent[footnoteRef:36]. Cela dit, mme aprs lindpendance, larchipel na pas t en mesure de garantir sa propre subsistance alimentaire. Cest du moins lide qui est transmise par Lesourd (1995, p. 219) lorsquil affirmeque le Cap-Vert est contraint de recourir des importations de biens alimentaires, variables selon les annes, mais qui reprsentent, avec laide alimentaire, 90% de la consommation alimentaire du pays. [36: Ibid., p. 45.]

Un autre aspect souligner ici concerne le degr dinsertion de lconomie cap-verdienne dans le monde. Certes le Cap-Vert entretient des relations culturelles privilgies avec un certain nombre de lieux[footnoteRef:37], notamment avec le Portugal pour des raisons historiques et de proximit linguistique mais tant un tout petit pays, tant par sa population que par sa superficie, il est rest un trs faible contributeur aux commerces et aux services du monde[footnoteRef:38]. Lesourd montre bien que larchipel participe lconomie-monde avant tout comme consommateur plutt que comme producteur de richesse. En 1990 dj, 35% de la valeur totale des importations concernaient les biens de consommation principalement alimentaires contre 28,7% des biens intermdiaires (Lesourd, 1995, p. 427). [37: Au niveau rgional, le Cap-Vert intgre la Communaut conomique des tats de lAfrique de lOuest (CEDEAO) et la Communaut des pays de langue portugaise (CPLP). Dautre part, sa coopration avec lUnion europenne remonte mars 1977, suite son adhsion la convention ACP-CEE de Lom.] [38: Ibid., p. 425.]

Daprs le rapport final 2006, lanalyse des relations commerciales du Cap-Vert par rgions permet de constater que lEurope absorbe environ 80% aussi bien des importations que des exportations (ma traduction, p. 50), le Portugal tant en tte des flux commerciaux de larchipel avec prs de 50% de ses importations et plus de 70% des respectives exportations, nettement devant lEspagne (plus de 20% des exportations cap-verdiennes). Les tats-Unis apparaissent comme deuxime destination des exportations du Cap-Vert mais en nette chute 20% entre 2003 et 2004, contre peine 12,4% en 2005 certainement en raison de la fermeture de deux usines de confection dont le principal march tait les tats-Unis dAmrique (ma traduction, p. 50).

Mais sil est vrai que la famine a disparu de larchipel aprs lindpendance, grce au Programme alimentaire mondial et laide publique, la pauvret nutritionnelle na pas pour autant t radique et affecte encore de nos jours les familles faibles revenus et celles dont le chef est une femme seule.

La composition sociale

Selon Lesourd (1995, p. 46), lhistoire conomique, culturelle et sociale du Cap-Vert a permis la cration dune socit de la pauvret, hirarchise, aux catgories sociales assez fermes, marque par le maintien lcart des structures ducatives impriales. Il prcise que jusqu la fin de la premire moiti du 17e sicle, seules les familles riches des seigneurs blancs dtenaient le pouvoir politique et conomique dans les les. La domination des Blancs connatra, toutefois, son pilogue au milieu du 17e sicle avec la dcadence de lconomie commerciale et esclavagiste, et lmigration de la plupart dentre eux. Cette emprise sur le pouvoir dcoulait de la structure sociale tablie lpoque de la colonisation portugaise. Baleno (HGCV I) affirme ce propos que:

Na sociedade insular podem ser considerados trs grandes grupos sociais distintos. O primeiro constitudo pelos brancos, o segundo pelos africanos livres e forros, o terceiro pelos escravos. A estrutura do tipo piramidal, com os brancos situados no topo, na base os escravos e de permeio os forros (p. 157)[footnoteRef:39]. [39: Trois grands groupes sociaux distincts peuvent tre considrs dans la socit insulaire. Le premier est constitu par les Blancs, le second par les Africains libres et affranchis, le troisime par les esclaves. La structure est de type pyramidal, avec au sommet les Blancs, la base les esclaves et au centre les affranchis (ma traduction).]

En ralit, les classes sociales ont trs tt gagn une dynamique structurante dans la socit cap-verdienne. Afonso (2002) explique qu limage dautres tats africains plusieurs facteurs ont t/sont dterminants dans la formation et le caractre des classes sociales. Il sagit non seulement de lhritage colonial, mais encore de linsertion dans la division internationale du travail et du rle de ltat post-indpendance. ces lments sajoutent, aussi, les conditions climatiques et les mouvements migratoires de la population (surtout lmigration et, plus rcemment, lexode rural).

Avec lindpendance, ltat se tourne vers une politique o lagriculture est la base conomique et lducation llment vital pour promouvoir le dveloppement et renforcer lunit et lidentit nationales. Toutefois, ce mme auteur montre bien que le contrle de lconomie nationale par ltat na pas permis laffirmation dune bourgeoisie nationale comme une classe avec un pouvoir conomique, politique et idologique (ma traduction). Ltat est ainsi le principal employeur, ce qui provoque une intensification de lexode rural, avec la scheresse prolonge et de lmigration continue. Lducation devient alors le seul moyen de russir se procurer un emploi stable dans le secteur public. Ce sont dailleurs les petites bourgeoisies survalorises par ltat qui profiteront de ltat lui-mme et lducation pour se distinguer, se reproduire et assumer, avec lindpendance, la tte de la nation, grce ce privilge ducatif. Quoi quil en soit, les faibles ressources naturelles et la dpendance du pays de laide externe, ont aussi contribu rduire le pouvoir de cette bourgeoisie fortement reprsente par la bourgeoisie agraire, les commerants et les industriels; la paysannerie et les petits propritaires tant devenus une classe avec des effectifs mineurs. Afonso (2002) conclut que:

La structuration de la socit cap-verdienne est passe par un processus de transformation assez profond aprs lindpendance. Pour cela, le dclin de la population agricole, la tertiairisation du tissu conomique et laugmentation graduelle du taux de scolarisation ont t dcisifs (ma traduction).

Mme si ces dernires annes la pauvret sociale a considrablement recul, elle na cependant pas encore disparu. Le rapport 2007[footnoteRef:40] sur la convergence macroconomique du Cap-Vert, relatif au programme de coopration montaire de la CEDEAO diffus par lAMAO (Agence montaire de lAfrique de lOuest) rvlait dans la partie Conclusion et recommandations: [40: Disponible sur: http://www.amao-wama.org/en/pub.aspx.]

Malgr ces progrs impressionnants[footnoteRef:41], le pays est toujours confront de graves problmes structurels quil doit prendre en compte dans la rpartition de la croissance. Il sagit du chmage massif, pour lessentiel structurel (18,3% en 2006), de la persistance dun taux de pauvret relativement lev, de la qualit mdiocre des services proposs par les entreprises publiques et prives, de la pnurie de main-duvre qualifie et de linadquation des infrastructures[footnoteRef:42]. [41: Lconomie cap-verdienne a progress denviron 6,6 % en 2007, aprs une hausse de 10,8 % en 2006.] [42: Ibid., site de lAMAO.]

Les structures ducatives

Les structures ducatives existant dans le pays remontent la deuxime dcade du 16e sicle, au moment o lglise catholique se chargeait de la christianisation des non-chrtiens et des esclaves, tout en leur apprenant quelques mots de portugais (Carreira, 1977, pp. 15-16, cit par E. Andrade, 1996, p. 178). Pour sa part, Andrade assure que lenseignement destin la population cap-verdienne ne fit ses dbuts que vers la seconde moiti du 19e sicle. Elle sappuie en cela sur le Bulletin Officiel du Cap-Vert du 28 avril 1849 qui fait rfrence la Loi du 14 aot 1845 crant une cole principale de lenseignement primaire qui en ralit ne commena fonctionner qu partir doctobre 1848. Cest cette priode de massification de lenseignement quil importe de dvelopper ici, mme si lide nest pas den faire une prsentation morcele.

En 1866, lglise cra le premier sminaire-lyce So Nicolau qui permettra toute une gnration de fonctionnaires publics de se former et de servir la nouvelle administration indirecte dans les les et celle des colonies portugaises installes en Afrique continentale. Plus tard, en 1917, fut cr le lyce de Mindelo, suite la rforme portugaise de lenseignement (enseignement secondaire gnral) instaurant la lacit scolaire. De l sortira la gnration de llite scolarise ayant connu un notable succs scolaire et universitaire, lexemple dAmlcar Cabral, et celle des grands potes et hommes littraires cap-verdiens tels que Baltasar Lopes, sorte de mythe du haut culturel historique des habitants du Cap-Vert mais qui correspond une image errone de la ralit cap-verdienne (Lesourd, 1995, pp. 51-52). Toutefois, selon E. Andrade (1996, p. 179), lenseignement ne devient vritablement lac quen 1962, avec la cration du premier lyce de Praia. Elle met finalement laccent sur le fait que lenseignement et lducation dispenss au Cap-Vert lpoque des colons portugais portaient lempreinte de lidologie ethnocentrique[footnoteRef:43] et refusaient toute forme de manifestations culturelles cap-verdiennes[footnoteRef:44] arrachant ainsi les Cap-Verdiens de leurs rfrences historiques ou sociales propres (p. 181). [43: Selon cette idologie, la culture europenne tait suprieure aux cultures africaines.] [44: Andrade prcise que les lves qui parlaient le cap-verdien au lyce taient punis.]

Aprs lindpendance, il fut ncessaire dinvestir dans ce secteur afin de garantir le dveloppement du pays et de favoriser lunit et lidentit nationales. Un autre facteur de lclatement du systme ducatif colonial consistait la rduction, voire lradication de lanalphabtisme au Cap-Vert, qui en 1975 atteignait 60% de la population adulte (Afonso, 2002, p. 126). Entre 1977 et 1990, plusieurs rformes sont ainsi mises en uvre visant lextension du systme scolaire et la cration de conditions dadaptation aux changements sociaux et technologiques; autrement dit un enseignement ax sur les exigences et les besoins en dveloppement du pays et qui forme des hommes libres et cultes (Cardoso, 2007, pp. 252-253).

Avec la Loi de bases du systme ducatif (Loi n103/III/90 du 29 dcembre), lorganisation du systme est dsormais divise en trois sous-systmes:

lducation prscolaire (formation complmentaire ou suppltive des responsabilits de la famille;

lducation scolaire (enseignement de base, secondaire, professionnalisant, suprieur et modalits spciales);

lducation extrascolaire (alphabtisation, postalphabtisation, enseignement, formation professionnelle, systme gnral dapprentissage).

Larticle 5 de la Loi de bases du systme ducatif trace comme principaux objectifs, la formation intgrale de lindividu du citoyen afin de lui permettre de sintgrer dans la communaut et de contribuer son constant progrs, dliminer lanalphabtisme et de sauvegarder lidentit culturelle, prsente comme le support de la conscience et de la dignit nationales et un facteur stimulant du dveloppement harmonieux de la socit.

Avec les rfrences du nouveau systme ducatif que sont limposition de laccs lducation pour tous les citoyens, la scolarisation obligatoire 8 ans, la restructuration des curricula et programmes, limplantation de nouvelles pratiques pdagogiques et lexpansion du rseau scolaire, les progrs en matire dducation sont aujourdhui considrables. En guise dexemples, en 2009, le taux dalphabtisation tait denviron 85% chez les adultes de plus de 15 ans et de 98% pour les individus de moins de 15 ans[footnoteRef:45]. Dun autre ct, lanne scolaire 2010-2011 avait dbut avec 145.416 lves du prscolaire au secondaire, quivalent un taux de scolarisation suprieur 90% (Source MED - Ministrio da Educao e Desporto[footnoteRef:46]). [45: Cf. Site Web de la Chambre de commerce, dindustrie et de tourisme Portugal Cap-Vert, op. cit, 2012.] [46: Ministre de lducation et des sports.]

Quant lenseignement suprieur, il a connu ces dix dernires annes un progrs constant et graduel. Actuellement en harmonie avec le processus de Bologne, lenseignement suprieur au Cap-Vert est dot de huit tablissements, parmi lesquels on retrouve luniversit du Cap-Vert (Uni-CV). Cet tablissement public a t cr le 21 novembre 2006 et dispose de campus universitaires dans les villes de Praia et Mindelo. Il propose une offre diversifie condensant les quatre instituts publics aujourdhui teints:

ISE Institut suprieur dducation;

ISECMAR Institut suprieur dingnierie et des sciences de la mer;

INIDA Institut national dinvestigation et dveloppement agraire;

INAG Institut national dadministration et de gestion.

Il existe galement sept tablissements privs denseignement suprieur:

luniversit Jean Piaget Praia (cre par linstitut Piaget en 2001);

luniversit de Mindelo (auparavant IESIG, Institut dtudes suprieures Isidorao da Graa, fond en 2002);

luniversit lusophone du Cap-Vert (ULCV) tablie Mindelo et dont la premire anne universitaire remonte 2007;

luniversit intercontinentale du Cap-Vert (UNICA), spcialise dans le domaine de la sant et qui fait ses dbuts Praia en 2007;

luniversit de Santiago (US) cre en 2008 et dont le sige est lintrieur de lle;

linstitut suprieur de sciences juridiques et sociales du Cap-Vert (ISCJS), Praia;

linstitut universitaire dart, technologie et culture (M_EIA), prsente sur la scne nationale depuis 2004, plus prcisment Mindelo. Il sagit du premier, et jusqu prsent, de lunique espace denseignement suprieur dans les domaines de lart et du design. Il a merg dans le cadrre dun projet de trois ans, financ par le ministre de lducation, la fondation luxembourgeoise pour le dveloppement et excut par lONG Atelier Mar ONG.

Ces tablissements sont frquents par prs de 5.000 tudiants inscrits. Malgr la prolifration duniversits au Cap-Vert, on estime quenviron 10.000 tudiants cap-verdiens tudient encore ltranger[footnoteRef:47]. [47: Ibid.]

Indices dmographiques

Selon le IVme Recensement gnral de la population et de lhabitation (RGPH) ralis par lInstitut national de statistique (INE) du Cap-Vert en 2010, la population rsidente est de 517.831 habitants, dont 267.121 sont du sexe fminin (51,58%) et 250.710 du sexe masculin (48,42%).

Tableau 1

Population totale du Cap-Vert

Projections dmographiques par anne et par indices de population

Population totale

Population masculine

Population fminine

2010

517.831

250.710

267.121

Source: INE - BDEO on line[footnoteRef:48], 2012. [48: Banque de donnes de statistiques officielles en ligne (Cf. http://www.ine.cv/dadosestatisticos.aspx).]

62,09% de la population totale se concentrent en zone urbaine contre 37,91% rsidant en zone rurale.

Tableau 2

Zone de rsidence et Pourcentage

Projections dmographiques par anne et par indices de population

Population urbaine

Population rurale

Pourcentage urbain

Pourcentage rural

2010

321.498

196.333

62,09

37,91

Source: INE - BDEO on line, 2012.

La dure de vie moyenne est passe de 18 ans en 2000, 22 ans en 2010 et devrait atteindre les 25 ans en 2020. Le taux de croissance annuel moyen tait chiffr 1,78% en 2010; il tait de 1,87% en 2000 (INE - BDEO on line, 2012). Cette baisse de 0,09% enregistre sur la dernire dcennie serait probablement due laugmentation des flux migratoires dans larchipel.

La population est essentiellement jeune (53,87% ont entre 15 et 49 ans), ce qui reprsente un poids rel sur les systmes ducatif, sanitaire, de formation professionnelle et du march du travail.

Tableau 3

Pourcentage de la population par tranche dge

Projections dmographiques par anne et par indices de population

Pourcentage 0-4 ans

Pourcentage 5-14 ans

Pourcentage 15-49 ans

Pourcentage 15-64 ans

Pourcentage 65 ans et plus

2010

12,04

22,17

53,87

60,76

5,03

Source: INE - BDEO on line, 2012.

Toutefois, diverses transformations dmographiques sont en cours dans le pays, notamment la rduction de la fcondit, ce qui impliquera lavenir une diminution de la proportion de jeunes et une acclration du nombre de sniors comparativement avec la dcennie antrieure, mme sil est vrai que le taux brut de mortalit est aussi en baisse constante en raison des progrs apports aux structures sanitaires, dotes prsent dtablissements de sant publics et privs de meilleure qualit.

Tableau 4

Indices de fcondit

Projections dmographiques par indices de fcondit et par anne

2000

2005

2010

Taux brut de reproduction

1,96

1,42

1,41

Taux net de reproduction

1,88

1,37

1,36

Source: INE - BDEO on line, 2012.

Tableau 5

Indices de mortalit

Projections dmographiques par indices et par anne

2000

2005

2010

Taux brut de mortalit ()

6,80

5,90

5,60

Source: INE - BDEO on line, 2012.

Les projections de lINE indiquent malgr tout que la population rsidente au Cap-Vert va continuer augmenter et devrait dpasser les 620.000 habitants en 2020. La diminution du taux de mortalit, laugmentation de lesprance moyenne de vie et le maintien plutt stable du taux brut de natalit (25,90 en 2010, 25,60 en 2015 et 24,20 en 2020) semblent justifier cette tendance la croissance populationnelle particulirement dans les plus grandes les de larchipel (Santiago et So Vicente).

Tableau 6

Esprance moyenne de vie au Cap-Vert

Projections dmographiques par indices de mortalit et par anne

2000

2005

2010

Esprance de vie Homme (ans)

66,50

67,90

68,90

Esprance de vie Femme (ans)

74,90

75,80

76,60

Esprance de vie Total (ans)

70,80

72,00

72,90

Source: INE - BDEO on line, 2012.

Tableau 7

volution de la population du Cap-Vert par le

Projections dmographiques par le et par anne

Total

2000

2005

2010

Santo Anto

47.389

48.225

49.122

So Vicente

67.511

74.031

81.244

So Nicolau

13.735

13.291

12.685

Sal

14.892

17.631

20.702

Boa Vista

4.225

5.219

6.233

Maio

6.788

7.507

8.303

Santiago

237.8