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NATATION L'objet de cet article est de proposer aux élèves un ensemble de techniques dites « intermédiaires » ou « scolaires » en crawl, susceptibles de jalonner les différentes étapes dans la formation du nageur à l'école tout en répondant aux exigences des programmes. VIVRE DES COORDINATIONS DIFFÉRENTES POUR NAGER PLUS VITE ET PLUS LONGTEMPS EN CRAWL PAR F. POTDEVIN, P. PELAYO Le thème des coordinations reste pour l'enseignant d'EPS un des objets les plus complexes à appréhender. En natation, elles sont souvent définies par rapport aux relations temporelles et spa- tiales entre les trains supérieurs et inférieurs pour les nages simulta- nées (brasse, papillon) et/ou entre les deux bras qui organisent les nages alternées (crawl, dos). En crawl par exemple, on parle sou- vent de rattrapé, de superposition ou d'opposition, sans savoir pré- cisément si ces techniques sont efficaces ou adaptées au niveau de pratique de l'élève. Les coor- dinations sont souvent considé- rées comme peu transformables dans le cadre des séances d'EPS. Pour R. Catteau, elles ne s'ensei- gnent pas et sont peu sensibles aux consignes verbales des ensei- gnants. Depuis peu, les recherches menées à un haut niveau d'expertise en natation [1] ont quantifié les relations entre les actions des différents seg- ments propulsifs par l'utilisation d'indices de coordination dans chaque nage. Nous disposons aujourd'hui de données relatives à l'évolution des coordinations en fonction des distances de course [2], des vitesses [1] et de la fréquence de nage [3], de la respiration [4], du sexe [5], du niveau d'expertise [3, 6] ou encore de la fatigue [7]. Les techniques « intermédiaires » que nous avons retenues corres- pondent à trois étapes tenant compte du volume horaire en EPS. 1 ÈRE É TAPE: NAGER EN OPPOSITION SUR DE COURTES DISTANCES Les documents d'accompagne- ment pour les classes de 6 e diffé- rencient les nages dites « d'évo- lution » pour « nager loin et longtemps » en limitant le coût énergétique, des nages de « pro- pulsion » pour nager « vite sur de courtes distances ». À ce niveau de pratique, si la première com- pétence nécessite de maîtriser des techniques de nage économiques comme la brasse ou le dos brassé, le crawl représente la modalité de nage la plus adaptée pour nager vite sur de courtes distances (encadré 1). Dans une finalité de performance sur des distances de 10 à 25 m, il s'agit d'organiser, dans une pre- mière étape, une propulsion alter- native avec des retours aériens, tout en maintenant un corps hori- zontal et aligné sur un mode res- piratoire en apnée. La résolution des problèmes respiratoires pour maintenir un équilibre horizontal du corps et limiter les résistances de forme à l'avancement, se pose spécifiquement pour réaliser des parcours longs en crawl. Comment être efficace sur des distances de 10 à 25 m en 10 heures de pratique ? Une technique de crawl bras ten- dus en opposition peut être rete- nue lors d'un premier cycle (encadré 1, l ère étape). La coordination en opposition Cette technique se définit comme une action propulsive continue : un 50 Revue EP.S n°321 Septembre-Octobre 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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NATATION L'objet de cet article est de proposer aux élèves un ensemble de techniques dites « intermédiaires » ou « scolaires » en crawl, susceptibles de jalonner les différentes étapes dans la formation du nageur à l'école tout en répondant aux exigences des programmes.

VIVRE DES

COORDINATIONS DIFFÉRENTES POUR NAGER PLUS VITE ET PLUS LONGTEMPS EN CRAWL

PAR F. POTDEVIN, P. PELAYO

Le thème des coordinations reste pour l'enseignant d'EPS un des objets les plus complexes à appréhender. En natation, elles sont souvent définies par rapport aux relations temporelles et spa­tiales entre les trains supérieurs et inférieurs pour les nages simulta­nées (brasse, papillon) et/ou entre les deux bras qui organisent les nages alternées (crawl, dos). En crawl par exemple, on parle sou­vent de rattrapé, de superposition ou d'opposition, sans savoir pré­cisément si ces techniques sont efficaces ou adaptées au niveau de pratique de l'élève. Les coor­dinations sont souvent considé­rées comme peu transformables dans le cadre des séances d'EPS. Pour R. Catteau, elles ne s'ensei­gnent pas et sont peu sensibles

aux consignes verbales des ensei­gnants. Depuis peu, les recherches menées à un haut niveau d'expertise en natation [1] ont quantifié les relations entre les actions des différents seg­ments propulsifs par l'utilisation d'indices de coordination dans chaque nage. Nous disposons aujourd'hui de données relatives à l'évolution des coordinations en fonction des distances de course [2], des vitesses [1] et de la fréquence de nage [3], de la respiration [4], du sexe [5], du niveau d'expertise [3, 6] ou encore de la fatigue [7]. Les techniques « intermédiaires » que nous avons retenues corres­pondent à trois étapes tenant compte du volume horaire en EPS.

1ÈRE ÉTAPE : NAGER EN OPPOSITION SUR DE COURTES DISTANCES Les documents d'accompagne­ment pour les classes de 6e diffé­rencient les nages dites « d'évo­lution » pour « nager loin et longtemps » en limitant le coût énergétique, des nages de « pro­pulsion » pour nager « vite sur de courtes distances ». À ce niveau de pratique, si la première com­pétence nécessite de maîtriser des techniques de nage économiques comme la brasse ou le dos brassé, le crawl représente la modalité de nage la plus adaptée pour nager vite sur de courtes distances (encadré 1). Dans une finalité de performance sur des distances de 10 à 25 m, il s'agit d'organiser, dans une pre­

mière étape, une propulsion alter­native avec des retours aériens, tout en maintenant un corps hori­zontal et aligné sur un mode res­piratoire en apnée. La résolution des problèmes respiratoires pour maintenir un équilibre horizontal du corps et limiter les résistances de forme à l'avancement, se pose spécifiquement pour réaliser des parcours longs en crawl. Comment être efficace sur des distances de 10 à 25 m en 10 heures de pratique ? Une technique de crawl bras ten­dus en opposition peut être rete­nue lors d'un premier cycle (encadré 1, lère étape). La coordination en opposition Cette technique se définit comme une action propulsive continue : un

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1. Longueur et profondeur des appuis pour une trajectoire bras fléchi (rouge) comparé à des bras tendus et rigides (vert).

bras débute sa traction au moment où l'autre débute le retour aérien. Nager bras tendus permet dans un premier temps de maintenir une grande quantité de surfaces pro­pulsives et une longueur impor­tante du trajet moteur en empê­chant les élèves de fléchir spontanément le bras face aux résistances propulsives impor­tantes. Pour apprendre ce nou­veau geste, l'élève ne doit contrô­ler qu'une seule articulation-clé (l'épaule), les autres (coude, poi­

gnet) étant verrouillées (enca­dré 2, lère

étape).

Appliquer des principes d'efficacité propulsive Vivre cette coordination en milieu scolaire, sur des distances de nage non perturbées par des nécessitées respiratoires, permet rapidement aux élèves d'appli­quer les principes suivants. • Continuité des actions par une nage alternée et limitation des « trous moteurs ».

1. La référence aux experts Technique incontestée depuis mainte­nant plus d'un siècle dans les épreuves de nage libre, le crawl représente à haut niveau le moyen le plus efficace pour nager le plus vite quelles que soient les distances. Parce qu'il repré­sente la modalité la moins contrai­gnante réglementairement, il corres­pond en effet au meilleur compromis pour améliorer la propulsion et dimi­nuer les résistances à l'avancement. Depuis 1902, le record du monde de Richard Cavill sur 100 yards (91,44 m) puis sur 100 m, n'a été battu qu'en adoptant cette technique. Les épreuves de longues distances (comme le 25 km) ou la traversée de la manche (Gertrude Ederlé en 1923) se nagent également de bout en bout en crawl.

Si les techniques des experts repré­sentent l'application concrète des prin­cipes biomécaniques pour nager vite en surface, ceux-ci apparaissent inac­cessibles pour les élèves dans les conditions horaires de l'EPS. Pourtant on peut en retenir les logiques et pro­poser aux élèves des techniques « intermédiaires » aux 3 étapes du cursus.

Coordination en opposition (1e étape) Ce mode est utilisé sur des distances de sprint court (25 et 50 m) par des nageurs de niveau régional ou sur des distances de sprint long (100 m) par des nageurs de très haut niveau [1,5]. Dans le modèle de la « roue à aube » (crawl en opposition bras tendus), l'ab­sence de prise d'appui permet aux

élèves d'adopter un type de coordina­tion semblable à celui du haut niveau. Rattrapé bras tendu (2e étape) Les experts garçons et filles de niveau national maintiennent des modes de coordination en rattrapé sur des dis­tances de 100 à 3000 m [5]. Par exemple, des nageurs de niveau national réalisant environ 8 min 43 au 800 m ont en moyenne un temps mort propulsif égal à 8.5 % de la durée totale du cycle (soit environ 0,15 s pour une fréquence moyenne de 34,6 cycles.min-1). Toutefois, ces valeurs de fréquence correspondent à celles que les élèves scolaires main­tiennent sur des distances de 50 à 100 m [12]. Sur les plus longues dis­tances (de 200 à 400 m), les fré­quences adoptées à l'école sont en moyenne de 30 cycles.min-1. Des nageurs de niveau national à qui l'on demande de nager le plus vite possible en respectant cette valeur de fré­quence adoptent un temps mort pro­pulsif d'environ 15 % (soit 0,3 s) [3]. Il semble alors important de se fixer comme objectif de développer ce temps de glisse.

Adapter la coordination (3e étape) Plus la vitesse et la fréquence de nage sont élevées, plus les coordinations du haut niveau limitent le temps de glisse pour passer d'un rattrapé important à une opposition voire à une superposi­tion [1,5]. À des valeurs de fréquence inférieures ou égales à 45 cycles.min-1, les nageurs de haut niveau favorisent davantage le rattrapé en prolongeant les phases de glisse [3].

2. Justifications théoriques Coordination en opposition (1e

étape) Selon N.-A. Bernstein [8], apprendre une nouvelle habileté revient à maîtri­ser les différents degrés de liberté afin de créer le mouvement efficace. Moins il y a de degré de liberté, plus il est facile d'apprendre un nouveau geste. Rattrapé bras tendu (2e étape) • Au regard des données neurophysio­logiques, J . Paillard a montré que l'ac­quisition d'un nouveau geste passe prioritairement d'un contrôle des articu­lations proximales (ici, l'épaule) à un contrôle des articulations distales (coude) [14]. • D'un point de vue écologique, propo­ser cette technique dans un deuxième temps se justifie par ce qu'elle com­porte un degré de liberté supplémen­taire à contrôler (le coude en plus de l'épaule). • Selon K.-L. Newell [15, 16], une pre­mière étape dans l'acquisition d'une nouvelle coordination est une période de déstabilisation du comportement ini­tial où le sujet recherche de nouvelles relations entre les différents compo­

sants à coordonner. Aussi, tous les exercices réalisés un bras à la fois per­turbent fortement les relations tempo­relles ancrées dans le répertoire moteur de l'élève. • Plus la vitesse et la fréquence de nage sont élevées, plus la coordination tend vers une opposition des phases propulsives et moins le rattrapé bras tendus a de chance d'apparaître [17]. Contraindre l'élève à nager lentement, par des aménagements, favorise l'émergence de cette nouvelle coordi­nation. Cette procédure a déjà été sug­gérée par Bernstein : « Le plus judi­cieux et correct des entraînements devrait être organisé (...) de manière à créer les conditions optimales pour une absorption et une mémorisation de toutes les (bonnes) sensations » [18]. Adapter la coordination (3e étape) P. Pelayo et F. Wille [12] ont montré que l'augmentation de la fréquence et de l'amplitude était nécessaire pour accé­lérer jusqu'à la vitesse maximale aéro­bie mais qu'au-delà l'augmentation de la fréquence au détriment de l'ampli­tude permettait d'atteindre des vitesses supérieures.

• Longueur du trajet des appuis grâce à des bras tendus et fré­quence de nage élevée (photo 1). • Réduction des résistances à l'avancement (retour aérien, toni­cité et maintien de l'équilibre horizontal). Ces principes pourront être réin­vestis et complétés plus tard sur des distances de plus en plus longues nécessitant parallèle­ment la résolution des problèmes respiratoires. Que faut il apprendre pour acquérir une première technique de crawl en opposition ? Nager vite sur de courtes distances suppose la construction d'un nouvel espace moteur et la mise en place d'un équilibre horizontal tonique non perturbé par des actions motrices de bras à fréquence élevée. De nombreux ouvrages [9, 10, 11]

proposent des situations d'appren­tissage sur ces thèmes. Développer une tonicité axiale du corps Elle est dépendante de la fixité de la tête et de l'alignement pieds-bassin-épaules lors des poussées. Exercices de coulées ventrales, dorsales, costales, par poussée contre le mur ou par tiré de parte­naire dans toutes les directions (haut, bas, avant, arrière), sous plusieurs configurations corpo­relles (les 2 bras devant, 1 devant 1 derrière, les 2 bras dans le pro­longement du corps). Consignes : se durcir, se grandir, rentrer la tête sous les bras.

Structurer spatialement son espace moteur Les actions de bras se déroulent dans un espace non contrôlé par la vue.

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Situations de repérage combinant sensations kinesthésiques et tactiles • Jeu du parachutiste : reproduire des figures imposées (photo 2). • Venir toucher avec les mains et les bras tendus les points les plus en avant, en arrière, profonds, dans les p lans ho r i zon ta l et sagittal. Consignes : fe rmer les yeux , mémoriser les sensations d'étire-ment en associant des informa­tions tactiles et proprioceptives.

Combiner des actions propul­sives des bras sans déstructurer l'équilibre horizontal. • Aller le plus loin possible en apnée, en faisant le moins de bruit possible. • Aller le plus loin possible en crawl en x coups de bras sans arrêter les mouvements de bras. • Sprints en crawl sur de courtes distances. Consignes : ne jamais plier les bras et maintenir leur rigidité tout au long de l'exercice.

Évaluation Sprint sur des distances au choix de 10 à 15 m. Départ dans l'eau, apnée obliga­toire dans un premier temps.

2ème ÉTAPE : NAGER EN RATTRAPÉ SUR DE LONGUES DISTANCES

Un des objectifs majeurs des pro­g rammes du cycle central est l 'amélioration de la capacité à nager longtemps. Le crawl appa­raît incontournable pour poser le p rob lème resp i ra to i re et per­mettre le maintien de l'horizonta­lité mise en place lors d'un pre­mier cycle. Paral lèlement à la résolution de ce problème, l'en­jeu est de proposer une technique résultant du meilleur compromis entre économie et efficacité pro­puls ive pour des ép reuves longues.

Comment être efficace sur des distances de 200 à 400 mètres en 20 heures de pratique ? A ce niveau, deux techniques successives de crawl rattrapé peu­vent être envisagées. La première correspond à un crawl rythmé avec un arrêt momen tané des mains en avant du corps , une accélération continue des bras tendus d'avant en arrière et un re tour aér ien ba l i s t ique sous forme relâchée. On peut ensuite rechercher un trajet en légère forme sinusoïdale pour en aug­menter la longueur et optimiser l'orientation des surfaces propul-

2. Jouer au » parachutiste ».

sives des appuis, ainsi qu'une dis­sociat ion avant-bras /bras afin d'améliorer leur quantité.

Le rattrapé bras tendus Cette coordination est définie par un temps mort propulsif, la trac­tion d'un bras débutant après la sortie de l'eau de l'autre main. Il ne se limite pas au simple exer­cice éducatif consistant à démar­rer la traction d'un bras lorsque la main de l'autre bras a terminé son retour aérien et rentre dans l'eau ( temps mort propulsif égal au temps du retour aérien). Il existe en effet autant de coordinations en rattrapé que de temps morts propulsifs possibles [1]. Les données recueillies chez les experts sur 800 m [5] peuvent être comparées avec des élèves s'engageant sur des distances de 400 m (encadré 1, 2 e étape). L'ac­quisition d'une technique craw-lée en ra t t r apé pourra i t donc appara î t re c o m m e per t inen te pour nager sur des durées d'exer­c ices i den t i ques (entre 6 et 10 min).

Comment réduire les résistances de vague ? Nager en rattrapé en optimisant les phases de glisse en fonction de la distance de course résulte du compromis entre une continuité propulsive (temps de glisse court) et une diminution des résistances à l'avancement en jouant sur les résistances de vague. La résolu­tion des problèmes respiratoires permet de limiter la surface de maître couple durant toute la dis­tance nagée. Ce problème résolu, la diminution des résistances à

l'avancement n'est possible que par la réduction des résistances de vague. La résistance de vague est égale au rapport entre la vitesse et la racine carrée du produit de l'ac­célération gravitationnelle par la longueur du nageur (R vague = v/√(gL), [13]. La mise en place d'une phase d'appui légèrement prolongée, en allongeant le corps par un engagement de l'épaule et du bras vers le fond et l 'avant, peut créer un effet bulbe (principe utilisé en navigation lorsque la coque du bateau est composée d 'une extension à l 'avant) qui permet une diminution de ce type de résistance. Si la coordination en rattrapé présente des inconvé­nients par la discontinuité des actions de propulsion, elle repré­sente une solution pertinente pour diminuer les résistances. Le passage vers une coordination en rattrapé avec dissociation de l'avant-bras du bras se justifie au regard de différentes données sc ien t i f iques n e u r o p h y s i o l o ­giques et écologiques (encadré 2, 2 e étape).

Que faut il apprendre pour acquérir une première tech­nique de crawl en rattrapé ?

Déstructurer la coordination en opposition • Nager avec un bras, l'autre reste immobile placé dans le prolonge­ment du corps. Consignes : le bras « mort » ne peut pas bouger, nager lentement, utiliser le pull-buoy. Placer un temps de glisse entre les actions propulsives de chaque bras.

• Éducatif rattrapé : démarrer la traction d'un bras lorsque la main de l ' au t r e bras a t e rminé son retour aérien et touche la main placée devant (repère tactile). Consignes : bras tendus, nager lentement , d ' abord avec pull-buoy. • Nage hybride : bras en crawl et ciseaux de brasse. Consignes : un coup de bras par ciseau de brasse, les deux mains se touchent entre chaque coup de bras dans le pro longement du corps.

Diminuer le temps de glisse Alterner nage à un bras et nage à deux bras en « surfant » sur le bras immobile devant. Consignes : nager lentement , diminuer le nombre de coups de bras par longueur, expirer de plus en plus fort lorsque le bras repart vers l'arrière.

Évaluation 200 à 400 m en crawl sans limite de temps. Prise d'amplitude à 4 moments non annoncés au cours de la course.

Nager lentement Selon les concepts des théories dynamiques, il existe des coordi­nations plus ou moins stables en fonction des conditions de dérou­lement de la tâche [17]. La coor­dination proposée est adaptée pour des al lures lentes (enca­dré 2, 2 e étape). Aussi, des dispo­sitifs contraignant l'élève à nager lentement l'aideront au départ de son apprentissage pour transfor­mer les re la t ions tempore l les entre les deux bras et favoriser

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Découvrir le roulis.

l'émergence de la nouvelle coor­dination visée. Exemple : ne pas avoir le droit de dépasser un élève réalisant devant soi un parcours de récupération en brasse, suivre l'allure lente d'un observateur se déplaçant au bord du basin. L'aide matérielle du pull-buoy nous semble pertinente au début de l'apprentissage pour maintenir l 'équilibre horizontal à des vitesses lentes où le phénomène de portance est réduit.

Découvrir le roulis (dessin ci-dessus) Les épaules doivent s'enfoncer et osciller autour de l'axe longitudi­nal. D'un point de vue spatial, la création d'une phase de glisse nécessite l'allongement du corps vers l'avant au moment de l'en­trée de la main dans l'eau mais aussi un roulis des épaules. Il s'agit de coordonner une tonicité axiale et des contractions motrices périphériques par un jeu de dissociation tête-ceinture sca-pulaire tout en maintenant un équilibre horizontal. • Nager dans le petit bain, toucher le fond du bassin par enfonce­ment d'une épaule et une sortie de l'épaule opposée. Plus la pro­fondeur augmente, plus le roulis des épaules doit être important pour réussir à toucher le fond du bassin. • Diminuer le nombre de coups de bras sur 25 m en un temps donné, avec un bras le long du corps puis en crawl.

Consignes • Surfer sur le bras devant qui s'enfonce et s'allonge (roulis),

fixer la tête (nager au-dessus de la ligne de fond de bassin pour y fixer son regard). • Un travail parallèle de batte­ments associés à des inspirations latérales bras le long du corps, est nécessaire pour compenser les nouveaux déséquilibres du train supérieur par la stabilisation du bassin.

3ème ÉTAPE : ADAPTER SA COORDINATION

S'engager avec lucidité, c'est adopter la meilleure coordination par rapport à un ensemble de don­nées correspondant aux condi­tions de l 'épreuve comme la durée et la distance de course mais aussi sa vitesse ou ses capa­

cités physiques du moment. Les compétences visées au lycée prennent en compte ce paramètre de gestion dans la proposition d'épreuves crawlées, soit en com­binant des épreuves de nature énergétiquement différentes (exemples : un 400 m et un 50 m nage libre [9] ou un 125 m 4 nages suivis d'un 25 m sprint [19]), soit en incluant les épreuves crawlées dans des épreuve multinages. Aussi, le problème posé à l 'élève est d'adopter une coordination éner­gétiquement compatible avec son projet initial et son projet immé­diat (fatigue en début ou fin de parcours crawlé, volonté d'accé­lérer sur la fin de l'épreuve, tenta­

tive de doublement en situation de compétition). Gérer sa coordi­nation, c'est donc savoir en chan­ger ! Le lycéen physiquement éduqué en natation devrait être capable de s'engager dans une épreuve avec la coordination la plus efficace pour aller vite, la plus économique pour durer longtemps ou la plus pertinente pour doubler un partenaire.

Comment être efficace dans des épreuves combinées, du sprint court aux épreuves longues, après 40 heures de pratique ? La littérature de vulgarisation présente souvent une seule tech­nique de crawl. Pourtant, les récentes études scientifiques

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montrent qu'un même nageur n'utilise pas le même crawl selon les distances, voire les moments de la course. Le nageur lycéen devrait être capable d'utiliser deux types de coordinations (rattrapé et opposi­tion voire superposition), les maintenir sur la totalité d'un par­cours (de 15 à 400 m) ou les changer en fonction de ses inten­tions (accélérer, ralentir, s'épui­ser, se préserver). Se fixer comme objet d'enseigne­ment l'adaptabilité de la coordi­nation ne relève pas seulement de la réussite de l'élève à court terme (épreuves du baccalauréat ou évaluation de cycle). Dans sa pratique future, l'élève aura besoin de mobiliser l'ensemble de ces contenus techniques : - pour nager très vite sur de courtes distances (prendre une vague pour body-surfer, disputer une balle lors d'un match de water-polo) ; - pour nager longtemps (s'éloi­gner du bord en milieu naturel, entretenir sa santé lors des séances publiques de piscines) ; - ou pour nager lentement au moindre coût (récupérer après un effort, se relaxer). La coordination en superposition Elle est répertoriée uniquement chez les nageurs de très haut niveau sur des distances de 50 et 100 m [1, 6]. Toutefois, nous avons montré qu'il était possible de faire nager momentanément

des nageurs non experts (1 min 15 au 100 m nage libre) en super­position lorsqu'ils étaient contraints d'adopter une fré­quence de 50 cycles.min-1 [3]. Même si la forme technique du trajet moteur diffère des experts, faire vivre une coordination en superposition chez de bons nageurs scolaires peut s'envisager sur des distances de 10 à 15 m.

Que faut-il apprendre pour être capable de choisir et modifier sa technique de crawl ? Pouvoir choisir sous-entend avoir expérimenté plusieurs modes de coordinations sur des distances différentes. Le paramètre permet­tant de contrôler au mieux sa coordination fait encore débat. Si la vitesse de nage est importante, nous avons retenu la fréquence de nage (cycles de bras par minute) comme paramètre de contrôle principal. Mettre en place un type de coordination reviendrait alors à adopter une valeur de fréquence de nage adaptée à ses ressources pour la maintenir tout le long de l'épreuve. Toutefois, les para­mètres d'amplitude influencent également la coordination entre les bras [3] (encadré 1, 3e étape). Des contraintes cognitives liées au prolongement de la phase d'appui apparaissent possibles à des valeurs faibles de fréquence. Adopter la meilleure coordina­tion en fonction des distances, c'est apprendre à jouer avec les paramètres de fréquence et d'al­

longement à l'entrée dans l'eau en fonction du temps d'effort. De même, les paramètres à contrôler pour modifier sa coor­dination en cours d'épreuve sont complexes car peu de recherches ont été réalisées sur les accéléra­tions en natation. Apprendre à accélérer, à passer d'un rattrapé vers une opposition de phases, c'est apprendre à réguler une hausse de fréquence en limitant la chute d'amplitude pour nager plus vite [12] (encadré 2, 3e étape).

Passer d'un mode rattrapé à un mode proche de l'opposition et vice versa • Suivre un entraîneur qui marche au bord du bassin en variant sa vitesse. • Jeu du suiveur : 2 élèves, l'un derrière l'autre, disputent une course, arbitrée par un 3e élève qui marche lentement le long du bord. Le 1er nageur ne peut dépas­ser l'arbitre sauf si son suiveur l'a lui-même dépassé. Consignes : profiter des allures lentes pour s'allonger et récupérer.

Élaborer des stratégies de coor­dination en fonction des dis­tances de course Mémorisation de tempo sur des distances très différentes nagées à allure régulière (12,5 m, 100 m, 400 m). Combiner ces allures lors d'une épreuve en continu (75 m : 1er 50 m allure 100 m ; 37,50 m allure 400 ; 12,50 m allure 12,50).

Consigne : mémoriser un rythme de coup de bras. Évaluation Triathlon : 15 m-50 m-200 m chronométrés. Mesure de l'indice de nage ( VxA) ou de l'indicateur de Ver­ger (t+n) qui doivent être approximativement identiques pour les 3 épreuves.

Les techniques scolaires ou inter-médiaires, adaptées aux res­sources du moment de l'élève, ne limitent en rien l'acquisition ulté­rieure de techniques plus com­plexes. Elles doivent être inté­grées dans l'action elle-même pour nager vite (sprint court de 10 à 15 m), long (distances supé­rieures à 200 m) ou long et vite (sprint long de 50 à 100 m). Dans ce cadre, l'enseignant peut alors s'intéresser aux coordinations intersegmentaires adaptées à la tâche et à leur mise en place chez l'élève.

François Potdevin Professeur agrégé d'EPS.

Patrick Pelayo Professeur des universités,

Laboratoire Éducation Intervention,

Faculté des sciences du sport et de l'éducation physique,

Lille 2.

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