61
Vladislav Popovic D. Boskovi Noël Duval Pierre Gros V. Popovi Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin (V) In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 87, N°1. 1975. pp. 445-504. Résumé V. Popović, Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyrieum byzantin (Y), pp. 445-504. A partir d'un examen systématique des trouvailles monétaires, des données textuelles et du matériel de fouille (fibules en particulier), analyse de la progression des Avars et de l'implantation slave au Sud du Danube et de la Save. Après la prise de Sirmium en 582, le centre de l'Illyrieum byzantin reste à l'écart des axes de la pénétration barbare, et la slavisation de la région ne sera pas réalisée avant la fin du Ier quart du VIIe siècle. Citer ce document / Cite this document : Popovic Vladislav, Bosković D., Duval Noël, Gros Pierre, Popović V. Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin (V). In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 87, N°1. 1975. pp. 445-504. doi : 10.3406/mefr.1975.1020 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1975_num_87_1_1020

vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Vladislav PopovicD. BoskoviNoël DuvalPierre GrosV. Popovi

Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dansl'Illyricum byzantin (V)In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 87, N°1. 1975. pp. 445-504.

RésuméV. Popović, Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyrieum byzantin (Y), pp. 445-504.

A partir d'un examen systématique des trouvailles monétaires, des données textuelles et du matériel de fouille (fibules enparticulier), analyse de la progression des Avars et de l'implantation slave au Sud du Danube et de la Save. Après la prise deSirmium en 582, le centre de l'Illyrieum byzantin reste à l'écart des axes de la pénétration barbare, et la slavisation de la régionne sera pas réalisée avant la fin du Ier quart du VIIe siècle.

Citer ce document / Cite this document :

Popovic Vladislav, Bosković D., Duval Noël, Gros Pierre, Popović V. Les témoins archéologiques des invasions avaro-slavesdans l'Illyricum byzantin (V). In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 87, N°1. 1975. pp. 445-504.

doi : 10.3406/mefr.1975.1020

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1975_num_87_1_1020

Page 2: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

ν

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS

AVARO -SLAVES DANS L'ILLYRICUM BYZANTIN

PAR

Vladislav Popovic

La prise des villes de l'Illyricum par les Avars et l'établissement de la population slave au sud du Danube et de la Save, ne représentent que deux aspects, étroitements liés, d'un même phénomène historique. Les opérations militaires des Avars, redoutables cavaliers nomades, ouvraient la voie à l'implantation permanente des Slaves sédentaires. La décomposition de l'autorité impériale dans les Balkans, survenue à la fin du VIe et au cours des premières décennies du VIIe siècle, marquait la fin de la civilisation antique dans une vaste région de l'Illyricum byzantin.

Le cadre géographique de la préfecture du prétoire d'Illyricum oriental a été tracé au lendemain de la mort de Théodose Ier 1. L'ancien diocèse romain d'Illyricum, faisant partie de la grande préfecture italienne, fut partagé en un diocèse d'Illyricum occidental et une préfecture d'Illyricum oriental, avec les diocèses de Dacie et de Macédoine (Fig. 1), tels qu'on les voit déjà esquissés dans la Notitia Dignitatum. Dans le ßynekdemos de Hiéroklès, composé en 527/8, mais dont les sources r

emontent au Ve siècle, l'Illyricum civil comprenait les deux Macédoine, la Thessalie, la Nouvelle Epire, les deux Dacie, la Dardanie, la Prévali- taine, la Mésie Première et la Pannonie Seconde avec Sirmium et Bas- sianae 2. Cette dernière province ne pouvait y figurer qu'après 427, quand

1 Parmi beaucoup d'autres ouvrages, on consultera à ce sujet l'étude synthétique de P. Lemerle, Invasions et migrations dans les Balkans depuis la fin de Γ époque romaine jusqu'au VIIIe siècle, Bévue historique, 211, 1954, p. 265-273, chapitre sur le cadre administratif.

2 Fontes Bulg., II, 1958, p. 88-90.

Page 3: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

446 VLADISLAV POPOVIC

Fig. 1 - Provinces balkaniques.

les parties occidentales illyriennes furent provisoirement rattachées à l'Orient. En réalité, la Pannonie Seconde n'appartiendra à l'empire byzantin que pendant de courtes périodes et jamais dans sa totalité. Malgré les erreurs géographiques nombreuses dans les ouvrages des auteurs anciens, cette répartition territoriale est en ses larges traits confirmée par les meilleures sources grecques. Ainsi, Procope de Cesaree mentionne, directement ou indirectement, toutes ces provinces comme faisant partie de l'Illyricum *. A l'ouest se trouvait la Dalmatie, à l'est le diocèse thrace, comprenant les provinces de Mésie Seconde, de Ehodope, d'Hémimont, de Thrace, d'Europe et de Scythie 2, au sud l'Hellade ou Achaïe 3. Depuis

1 De aed. (éd. Loeb, p. 248 sqq.), IV 4, 1 sqq, confirmé par IV 5, 1, où il est question des deux Epires, de la Macédoine, de la Thessalie et de la Dardanie comme provinces illyriennes. La liste se complète par les villes de l'Illyricum situées dans les provinces qu'il ne nomme pas, ou qu'il nomme ailleurs, comme par exemple la Dacie Ripuaire figurant dans De aed., IV 5, 10-11. Procope parle parfois de l'Illyricum dans un sens très large.

2 Synekdèmos, Fontes Bulg., II, 1958, p. 88-90. 3 Procope, De aed. (éd. Loeb, p. 236-237), IV 2, 17-18, précise qu'en allant

de l'Illyricum en Grèce, on parvient jusqu'à deux montagnes et un ruisseau, probablement le Sperchéos. D'après IV 2, 23 les villes helladiques seraient

Page 4: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 447

longtemps déjà le chef -lieu de la préfecture illyrienne était établi à Thes- salonique. Son transfert à Prima Justiniana ne fut, semble-t-il, que provisoire, si jamais il eut vraiment lieu x. Par ailleurs, il est certain que la fondation de Justinien et Thessalonique se partagèrent les pouvoirs ecclésiastiques 2. Selon la Novelle XI, du 14 avril 535, sous l'autorité de l'archevêque de Prima Justiniana tombaient après coup mediterranea Dada quam Dada ripensis nec non Misia prima et Dardania et secunda Macedonia et pars secundae Pannoniae quae in Bacensi est dvitate 3. A l'exception de la Pannonie de Bassianae et d'une partie de la Macédoine Seconde ou Salutaris, l'ensemble de ce territoire formait l'ancien diocèse civil de Dacie 4. Dans la Novelle CXXXI, du 18 mars 545, le territoire de Prima Justiniana ne comprend plus une partie de la Macédoine Seconde, mais y ajoute la Pannonie 5. Encore est-il difficile de croire que par Pannonie on entendait autre chose que la Bassianensis dvitas, habitée par les Hérules, tribu germanique évangélisée par Justinien 6. La ville de Sirmium, reconquise par les Grecs en 567, définitivement perdue en 582, ne fut vraisemblablement jamais soumise à son autorité spirituelle 7. C'est d'ailleurs plus dans les limites territoriales de l'ancien

au-delà des Thermopyles. Comp. aussi IV 2, 17-18. On notera que la notion de l'Illyricum, tant chez Procope que dans le Synekdèmos, est réduite par rapport à la préfecture administrative connue de la Notifia Dignitatum, dont le diocèse macédonien comprenait aussi l'Achaïe et la Crète. Pour l'auteur des Miracula Sancii Demetrii, II 1 (Fontes Bulg., III, 1960, p. 128-129), l'Achaïe, la Thessalie et l'Epire sont des régions distinctes de l'Illyricum.

1 P. Lemerle, op. cit., p. 268-269. 2 J. Zeiller, Les origines chrétiennes dans les provinces danubiennes de

Γ empire romain, Paris 1918, p. 388-341. 3 Fontes Bulg., II, 1958, p. 47. 4 Ibid., p. 47, n. 1. 5 Ibid., p. 71. 6 Proc, Hist. (éd. Loeb, p. 410-413), VI 14, 33-35. 7 Ce que nous avons essayé de démontrer dans une étude intitulée Le

dernier évêque de Sirniium, dans la Bévue des Etudes Augustiniennes, XXI, 1935, p. 91-110. (L'article a paru entre temps). Il est significatif que, tant dans l'Antiquité que dans la tradition romaine du Haut Moyen Age, Sirmium ne figure pas parmi les évêchés appartenant à la juridiction de Thessalonique, ou revendiqués en son nom. L'archevêque du diocèse pannonien slave, Méthode, sera titulaire de l'église de St. Andronique, évêque légendaire de Sirmium, et sera directement responsable devant le Saint-Siège. Voir là-dessus plusieurs lettres pontificales, Ph. Jaffé, JRegesta Pontificium Romanorum, I, Leipzig, 1885, p. 378-380, N°s 2970-2976, lettres du 14 mai 873. Ce n'est que dans la lettre du 25 septembre 860 (ibid., p. 343, N° 2682) qu'on trouve parmi les provinces soumises à l'autorité spirituelle de Thessalonique l'adjonction atque

Page 5: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

448 VLADISLAV POPOVIC

diocèse de Dacie, parfois identifié à l'Illyricum byzantin 1, que dans celles de l'ensemble de la vaste préfecture illyrienne, que notre enquête a été poursuivie. Encore faut-il ajouter que, faute de renseignements historiques, archéologiques et numismatiques suffisants, elle a été réduite à quelques villes fortifiées et au limes danubien.

Une récente tentative voudrait voir dans la grande percée sklavene du milieu du VIe siècle, rapportée par Procope de Cesaree, le plus ancien témoignage historique d'un groupe slave parvenu et resté au sud du Danube et de la Save, ou plus précisément dans l'ancienne province de Dalmatie 2. L'information de Procope est d'ailleurs mise en rapport avec

Illyricum. Il s'agit bien de l'Illyricum occidental romain, y compris Sirmium et la Pannonie. Mais c'est une interpolation due à Anastase le Bibliothécaire. Cf. C. Silva-Tarouca, Epistolarum romanorum pontificium ad viearios per Illyricum aliosque episcopos, Rome, 1937, p. VI, n. 5.

1 Plusieurs lettres pontificales de la fin du Ve et du début du VIe siècle laissent entendre que seules les provinces daciques et la Mésie Première du diocèse de Dacie portaient l'appellation d'Illyricum: lettre de Félix III, de 494, universis episcopis per Dardaniam sive per Illyricum (al. Daciam), Ph. Jaffé, op. cit., p. 86, N° 638; lettre de Symmaque, de 515, adressée à Césaire d'Arles, où figure l'expression episcopos tam Dardanos, quam Illyricos, pene omnes, necnon Scythas, ibid., p. 101, N° 777; lettre de la même année envoyée à Avitus de Vienne, per conversionem provinciarum, id est Dardaniae, Illyrici vel ScytMae (al. Thraciae), ibid., p. 101-102, N° 778. C'est dans le même sens qu'on doit comprendre Dardaniam et Illyricum vicinum Pannoniae (probablement la Mésie Supérieure et les deux Dacie), d'une lettre de 517, adressée elle aussi à l'évêque de Vienne, ibid., p. 102, N° 784. La Dardanie s'interposait pratiquement entre le diocèse de Macédoine, d'une part, et les trois provinces septentrionales, de l'autre. Plus ambiguë est une lettre de 512, envoyée par Symmaque au clergé et au peuple per Illyricum, Dardaniam et utramque Daciam, ibid., p. 99, N° 763. Pour une époque plus tardive, alors que l'autorité de Prima Justiniana était depuis longtemps constituée, deux lettres pontificales de 591, l'une adressée Johanni, Primae Justinianae Illyrici episcopo (ibid., p. 151, N° 1164), l'autre universis episcopis per Illyricum (ibid., p. 151, N° 1165), laissant entrevoir leur soumission au même évêque, ont suscité un intérêt plus particulier, cf. J. Zeiller, op. cit., p. 389, et n. 1. Thessalonique et Prima Justiniana ayant chacune sa jurisdiction territoriale, le terme d'Illyricum ne pouvait donc se rapporter qu'aux provinces du diocèse dacique. On notera, aussi, sans toutefois trop y insister, que dans un passage des Miracula Sancii Demetrii, II 5 (Fontes Btilg., II, 1960, p. 158-159), peut-être interpolé dans le texte original, on retrouve, parmi les provinces de l'Illyricum, les deux Pannonie, les deux Dacie, la Dardanie, la Mésie, la Prévalitaine, la Rhodope et « toutes les autres ». A l'exception des deux Pannonies et de la Rhodope, sont nommées ici les provinces de l'ancien diocèse dacique.

2 F. Barisié, Procès kolonizacije istocnog Balhana, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 13-17.

Page 6: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 449

la découverte spectaculaire des premiers vestiges slaves archaïques en Bosnie de l'est 1. Mais, aussi ingénieuse et suggestive qu'elle soit, cette hypothèse ne semble pas établie au moyen de critères chronologiques et archéologiques satisfaisants. Contrairement à ce qui a été constaté sur les sites bosniaques, on devrait s'attendre à trouver, s'il s'agissait vraiment de groupes sklavènes implantés dès le milieu du VIe siècle, des contacts avec la civilisation autochtone 2. Par conséquent, il est autant ou même plus probable que ces vestiges, encore peu nombreux mais certainement slaves, se situent à une époque où l'ancienne autorité n'existait pratiquement plus. Cette tentative mise de côté, les recherches historiques récentes laisseraient entendre que la plus ancienne et aujourd'hui la seule installation slave éventuelle dans les Balkans, avant le VIIe siècle, n'aurait pas eu lieu dans les régions proches de la frontière danubienne, mais dans le sud, en Macédoine, en Grèce et peut-être en Albanie. Cette opinion, soutenue par plusieurs savants, surtout yougoslaves, repose sur des renseignements provenant de sources indépendantes 3. Ainsi, Ménandre nous apprend que dans la quatrième année de règne du César Tibère Constantin, le peuple des Sklavènes, comptant plus de cent mille hommes, s'amassa en Thrace pour piller cette région et

1 Par exemple, J. Kovacevic, Sloveni i staro balkansko stanovniëtvo Materijali, 9, Belgrade 1972, p. 68, met en rapport l'incursion de 550 et les trouvailles archéologiques de la Sklavinie bosniaque. Pour les récentes découvertes de la civilisation slave archaïque en Bosnie et Herzégovine, voir surtout I. Cremosnik, Die ältesten Ansiedlungen und Kultur der Slawen in Bosnien und der Herzegowina im Lichte der Untersuchungen in MuSici und Batkovici Balcanoslavica, 1, Beigrade 1972, p. 59-64 et Die Chronologie der ältesten sla- vischen Funde in Bosnien und der Herzegovina, Archaeologia Iugoslavica, 11, Beigrade, 1970, p. 99-103. Tout en faisant remonter au VIe siècle certains vestiges de Musici et de Dvorovi, I. Cremosnik souligne à juste titre que l'implantation slave massive en province de Dalmatie n'est pas antérieure au VIIe.

2 II ne faut pas perdre de vue le contenu mixte, comprenant nombre d'objets byzantins, caractérisant la civilisation slave-autochtone en Koumanie. Parmi tant d'autres travaux, on consultera utilement les aperçus synthétiques de M. Comsa, Directions et étapes de la pénétration des Slaves vers la Péninsule balkanique au VIe-VIIe s., Balcanoslavica, 1, Belgrade 1972, p. 9-28 et de D. G. Theodor, La pénétration des Slaves dans les régions du S-E de VEurope d'après les données archéologiques des régions orientales de la Roumanie, ibid., p. 29-42.

3 Sur ce problème, en dernier lieu F. Barisic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 19-20 et Lj. Maksimovic, Ο hronologiji slovenskih upada na vizantijsku teritoriju krajem sedamdesetih i poëethom osamdesetih godina VI veka, ZRVI, 8, 1964, p. 263-271.

MEFRA 1975, 1. 29

Page 7: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

450 VLADISLAV POPOVIÓ

d'autres pays 1. L'événement se place au plus tôt en 577 et au plus tard en 581, années où Tibère Constantin fut proclamé César et Auguste. De son côté, Jean d'Ephese précise que dans la troisième année après la mort de Justin II et l'avènement de Tibère II, soit entre le 26 novembre 580 et le 26 novembre 581, le peuple des Sklavenes traversa toute l'Hellade, les provinces de Thessalonique, comprenant par là une partie au moins de l'Illyricum, et la Thrace tout entière, pilla nombre de villes et de terres, s'installa et se répandit dans les régions conquises, jusqu'aux remparts extérieurs de la capitale et, chose plus grave, qu'en 584 il se trouve encore établi dans les provinces romaines 2. Malgré l'opinion qui voit dans les passages de Ménandre et de Jean d'Ephese l'écho d'un seul et unique événement, il y aurait aujourd'hui une tendance, justifiée semble- t-il, à dissocier les deux renseignements 3. Par conséquent, on serait vraisemblablement en présence de deux pénétrations sklavenes chronologiquement proches mais néanmoins distinctes, dont celle de 580/1 serait à la racine d'une implantation profonde et de longue durée 4. En effet, si on rattache l'information de Jean d'Ephese sur la présence des Slaves dans la région de Thessalonique avec l'attaque d'un petit groupe de guerriers sklavenes contre cette ville (Miracula Sancii Demetrii, I 12), et tout en datant ce dernier événement en 584 ou un peu avant, il devient possible de conclure qu'à cette date une première Sklavinie macédonienne existait déjà 5.

Cependant, il n'est pas absolument certain que l'attaque décrite par les Miracula, I 12 est antérieure au grand siège de 586 ou de 597 des

1 Exe. de leg., I 469, 2-5 (Fontes Jug., I, 1955, p. 96). 2 F. Barisic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 19 et Lj. Maksimovic, op.

cit., p. 268. 3 En plus d'autres arguments, Lj. Maksimovic, ibid., p. 264-266, montre

avec beaucoup de vraisemblance que le titre de « César » ne pourrait se rapporter, dans le texte de Ménandre, à l'époque où Tibère était déjà Auguste. Par contre, certains auteurs, à l'exemple de L. Hauptmann, voient dans les événements de 579-584 le résultat d'une seule invasion slave, cf. B. Grafenauer, Nekaj vprasanj iz dobe naseljevanja juznih Slovanov, Zgodovinski öasopis, 4, Ljubljana 1950, p. 49 sqq. Puisque Jean d'Ephese place en 581 certains événements qui ont eu lieu en 579, tel la construction du pont auprès de Sirmium, il se pourrait qu'il ait daté par erreur l'incursion slave en 581, au lieu de la situer en 579, comme le fait Ménandre.

4 Lj. Maksimovic, op. cit., p. 267-268, note de son côté que le gros de la population slave parvenue au sud du Danube en 577/8 se serait retiré dans leur pays après l'intervention avare en hiver 578/9.

5 F. Barisic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 19-20 et onda, Belgrade 1953, p. 53-55.

Page 8: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 451

chapitres 13-15. Une date tardive, entre 602 et 610, ou en 609 plus exactement x, ne pourrait être trop vite rejetée. Mais, l'incertitude d'une implantation sklavène plus profonde dans le sud balkanique entre 580 et 584 se voit accrue par les différentes versions de la traduction du texte de Jean d'Ephèse et plus particulièrement encore par l'étude d'un résumé arabe de sa chronique, plus complet que les manuscrits auxquels on a l'habitude de se référer, et où il est dit que les Slaves retournèrent chez eux 2. D'autre part, si des deux dates, 586 ou 597, envisagées pour le grand siège avaro -sklavène de Thessalonique, la première semble plus probable, il n'a pas été établi que la population d'une éventuelle Skla- vinie macédonienne y avait pris part. Ainsi que d'autres l'on déjà noté, tandis que l'attaque du chapitre I 12 est menée par des Sklavènes indépendants, installés ou non auprès de la ville, les acteurs du grand siège manqué sont les Avars suivis de masses sklavènes soumises après les opérations de 579-584. Ainsi, non seulement à la source des deux événements ne se trouvaient pas les mêmes groupes slaves 3, mais le siège de 586, à condition qu'on admette cette date, n'apporte pas non plus de témoignage sur l'existence préalable d'une Sklavinie macédonienne. Quant à la date elle-même, parmi de nombreux arguments avancés en sa faveur, notons seulement qu'elle s'accorde mieux avec les événements historiques des années 584-586 qu'avec ceux survenus autour de 597 4.

Pour les partisans de l'implantation sklavène dans le sud balkanique au temps de Maurice Tibère, la percée des groupes barbares en Grèce et en Albanie, survenue en 587/8 selon la Chronique de Monemvasie, ne serait en somme que l'extension de la grande poussée ayant commencé par le siège manqué de 586 5. A cette nouvelle vague d'envahisseurs se seraient joints les groupes préalablement arrivés. Après s'être fait

1 Parmi d'autres, P. Lemerle, op. cit., p. 295, note que le cri de guerre des barbares, comme le texte le précise, était « bien connu des Thessaloniciens ». L'événement serait par conséquent postérieur au grand siège de Thessalonique, daté en 586 ou en 597, qui est aussi le premier assaut contre la ville. Sur le problème en général, cf. F. Bariéic, öuda, Belgrade 1953, p. 49-55.

2 Exposé par I. Nestor, La pénétration des Slaves dans la péninsule balkanique et la Grèce continentale, Bévue des Etudes Sud-Est Européennes, 1, 1963, p. 50-54 et Les éléments les plus anciens de la culture slave dans les Balkans, dans Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 117-118.

3 A. Avenarius, Die Awaren und die Slaven in den Miracula Sancti De- metrii, dans Byzantina, 5, Thessalonique 1973, p. 13 et 17. L'auteur date le siège des Miracula, I 12, entre 581 et 584.

* Ibid., p. 18. 5 F. Barisic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 22.

Page 9: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

452 VLADISLAV POPOVIC

l'écho de la prise de Singidunum en 584 et de la campagne thrace qui la suivit, la chronique précise que le khagan avar s'empara de la Thes- salie, de l'Hellade, de l'Ancienne Epire, de l'Attique et de l'Eubée. Toujours selon le même texte, les Avars obligèrent les Grecs à quitter le Péloponnèse pour s'installer sur la côte escarpée, dans les îles et dans le sud italien. Les conquérants s'établirent alors en Morée où ils restèrent de 587/8 jusqu'à 804/5. Seul le Péloponnèse oriental resta libre de l'emprise avare, c'est-à-dire sklavène. Cependant, si la réalité de l'installation des Slaves dans le Péloponnèse est aujourd'hui indiscutable, la date avancée par la Chronique de Monemvasie pour leur arrivée suscite des doutes justifiés 1. L'auteur de la chronique, du IXe siècle vraisemblablement, s'est servi de plusieurs sources connues, notamment d'Evagrius et de Théophane. Mais, puisque aucune d'elles ne parle d'une invasion avaro -sklavène du Péloponnèse en 587/8 et encore moins d'une installation permanente, il n'est pas interdit de croire que la date est une invention du chroniqueur désireux de donner à son ouvrage une apparence de précision. Cela se conçoit d'autant plus facilement qu'il était au courant des vastes opérations avares après la prise de Sirmium. Il en ressort donc que la slavisation profonde d'une partie du Péloponnèse ne doit pas être située nécessairement sous le règne de Maurice Tibère 2. En revanche, la correspondance du pape Grégoire Ier, dont l'authenticité ne fait pas de doute, laisse entrevoir d'assez profonds bouleversements survenus dans l'Illyricum byzantin avant 591, surtout dans ses parties sud-ouest, comprenant la Nouvelle Epire et la Prévalitaine. Bien entendu, il doit s'agir cette fois-ci des conséquences de l'expédition avaro -sklavène de 586. Dans une lettre adressée en mai 591, le pontife romain enjoint à tous les évêques de l'Illyricum d'accueillir leurs confrères fuyant les barbares 3, tandis que dans une seconde lettre, envoyée en mars 592 à Jovin, préfet du prétoire d'Illyricum, le pape parle de dévastations causées par l'ennemi4. Dans la même série, la plus importante encore est la lettre

1 P. Lemerle, La chronique improprement dite de Monemvasie: le contexte historique et légendaire, dans Bévue des Etudes Byzantines, 21, 1963, p. 34-35.

2 Nous ne signalons que quelques-uns parmi les nombreux travaux traitant le problème des Avars et des Slaves dans le Péloponnèse: A. Bon, Le Péloponnèse byzantin, Paris, 1951, surtout p. 31-48; P. Charanis, On the Slavic Settlement in Greece, dans Byz. Zeit., 46, 1953, p. 91 sqq; F. Barisic, « Monem- vasijska » hronika ο doseljavanju Avaro-Slovena na Peloponez 587 , dans Godisnjak Centra za balkanoloska ispitivanja, 1, Sarajevo, 1965, p. 95 sqq.

3 Ph. Jaffé, op. cit., p. 147, N° 1113. 4 Ibid., p. 152, N° 1176.

Page 10: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVAKO -SLAVES 453

où l'on apprend que l'évêque de Lissus (Ljes en Albanie), aux confins de la Nouvelle Epire et de la Prévalitaine, avait dû quitter son diocèse pour l'Italie, où il se trouvait en juin 592 x. Cette progression avaro- sklavène en direction du littoral adriatique, dont on ne sait pas trop bien les voies qu'elle suivit, n'affecta que peu semble-t-il les grandes cités telles que Scodra et Doclea, dont les évêques figurent encore en 602 parmi les destinataires de la correspondance pontificale 2. Par ailleurs, s'il est à croire des documents tardifs, l'implantation avare à l'intérieur du pays fut peut-être assez importante. Le témoignage en serait fourni par l'existence, au Moyen Age, d'un évêché de Chunatia, au nord de Dyrrachium, et d'une région, entre Dyrrachium et Prilep de Macédoine, dont le nom de Chunavia est suggestif en soi 3.

Tout compte fait, l'interprétation des sources écrites mentionnées, sans s'y opposer, ne confirme pas non plus une implantation sklavène permanente dans le sud balkanique envers les années 578-588. Mais il est impossible aussi de nier que dès 581 les Sklavènes s'attardent plus longuement sur les terres conquises, sans que l'on puisse vraiment savoir

1 F. Barisic, Simpozijuni, Sarajevo, 1969, p. 22-23. En s'appuyant sur l'information de Procope (De bell. Goth., II 449), Β. Saria, Pauly-Wissowa, Bealenc, 22, 1954, col. 1677, a supposé qu'il s'agit de Slaves ayant occupé Lissus, parvenus jusqu'à Dyrrachium au milieu du VIe siècle. On fait partager le sort de l'évêque de Lissus avec celui de l'évêque Sébastien, titulaire de l'é- vêché présumé de Rhisinium (Risan), aux confins de la Dalmatie et de la Prévalitaine. Cf. F. Barisic, loc. cit., et J. Kovacevic, Istorija Orne Gore, I, Titograd, 1962, p. 262-263. Comme J. Zeiller, op. cit., p. 146-147 l'avait déjà suggéré, Sébastien est plutôt évêque de Sirmium que de Rhisinium. Nous avons tenté de démontrer dans l'étude mentionné (p. 447, note 7) que l'évêque n'avait pas fui Rhisinium pour gagner Constantinople en 591, comme on le supposait jusqu'ici, mais qu'il s'était d'abord rendu à Rome pour être envoyé dans la capitale de l'empire d'Orient en 584. La lettre du pape Pelage II à Grégoire, du 4 octobre 584 (Ph. Jaffé, op. cit., p. 138, N° 1052; MGH, Gregorii I Beg. Epist. II, Appendix II, p. 440-441), où il est question de l'évêque Sébastien, était jusqu'à présent restée inaperçue. Son exil est donc antérieur à 587 et se situe vraisemblablement au moment de la prise de Sirmium par les Avars en 582.

2 B. Saria, op. cit., col. 1678. La circulation monétaire dans le sud albanais n'a pas été interrompue au temps de Phocas. Deux monnaies provenant de cette région, conservée au Musée régional de Sarajevo, ont été frappées à Cyzique, dont une en 603/4, l'autre en 609/10: Inv. num. 2776 {DOC, II, p. 185, N° 79b. 1-4) et N° 2774 (DOC, II, p. 183, N° 75 b).

3 J. Kovacevic, Rapports entre les Avares et les Slaves dans les Balkans, dans Actes du VIII« Congrès I8PP, III, Belgrade, 1973, p. 343. Peut-être qu'il y a eu, aussi, une civitas Avarorum sur le littoral monténégrin: Id., Avari na Jadranu, dans Materijali, 3, Belgrade, 1966, p. 73.

Page 11: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

454 VLADISLAV POPOVIC

s'ils y restèrent ou non. Pour l'empire, la masse slave qui comptait et qu'ils combattaient dans ces années, se trouvait au-delà du Danube. Néanmoins, l'invasion de 586 a peut-être eu des conséquences plus profondes et plus durables. Mais elle n'apporte pas non plus de preuve irréfutable s'opposant au point de vue traditionnel considérant les années du règne de Phocas comme cruciales pour l'installation slave massive dans l'ensemble des Balkans. Certes, ce processus a pu être plus nuancé, touchant certaines régions plus tôt que d'autres. En ce qui concerne la Macédoine, ce n'est en réalité que le siège slave de Thessalonique, survenu autour de 615, décrit dans le second recueil des Miracula Sancii Bemetrii, qui reste jusqu'à présent le seul repère chronologique sûr de l'existence de cette Sclavinie que l'on voudrait voir formée dès 581. Il montre en tout cas que pendant les premières années d'Héraclius ce processus de slavisation du pays était depuis un certain temps terminé.

De leur côté, les témoignages archéologiques de la présence des Avars et des Slaves dans le sud et le sud-ouest de l'Illyricum et en Grèce, ou plus précisément dans cette vaste région qui dans les années en question fut la scène de plusieurs incursions barbares, restent non seulement peu nombreux, mais aussi discutables. Depuis longtemps déjà la découverte d'objets « avares » à Corinthe et à Aphiona de Corfou est connue par les archéologues l. Toutefois, plusieurs critiques ont pu très tôt montrer que les trouvailles déterminées comme « avares » ne le sont pas vraisemblablement 2. La présence d'objets analogues en Sicile et en Lombardie, d'un côté, et dans les nécropoles avares de Hongrie, de l'autre, permettent de croire qu'il s'agit, dans tous ces cas, d'une origine byzantine commune. A Corinthe, comme à Aphiona, il est question de tombes tardives en rapport avec la garnison byzantine et la population grecque réfugiée derrière les remparts du site fortifié 3. Par ailleurs, le cimetière d' Aphiona montre des liens avec les trouvailles de Kalaja Dalmaces,

1 G. R. Davidson, The Avar Invasion of Corinth, dans Hesperia, 6, 1937, p. 227-239 (avec un appendice de T. Horvath, p. 239-240) et Archaeological Evidence for a Slavic Invasion of Corinth, dans AJA, 40, 1936, p. 128-129; H. Bulle, Ath. Mitt., 59, 1934, p. 147-240.

2 D. I. Pallas, Hellenica, 1954, p. 340 sqq. et 1955, p. 87 sqq. Critique admise par J. Werner, Slavische Bügelnbein des 7. Jahrhunderts, Beinecke Festschrift, Mainz, 1950, p. 171, et d'autres. Voir aussi H. Zeiss, Avarenfunde in Korinth, dans Serta Hoffilleriana, Zagreb, 1940, p. 95-99.

3 G. R. Davidson, Hesperia, 6, 1937, p. 229: les tombes (II et III) en question ont été trouvées dans une tour carrée du rempart ouest. Le cimetière militaire byzantin était installé sur la pente ouest de l'Acrocorinthe. H. Bulle, op. cit., p. 213 sqq. mentionne à Aphiona l'existence d'un castellum, d'un cimetière et d'un site d'habitation.

Page 12: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 455

à l'est de Scutari, près de Koman sur le Drim. Ces liens sont surtout attestés par la présence, sur les deux sites, d'une variante particulière de la fibule « à pied enroulé » (Fiebel mit umgeschlagenem Fuss) x, rencontrée aussi dans la nécropole de Mijele en Prevalitaine (Fig. 2/7) 2, dérivant de la fibule à pied enroulé byzantine du VIe siècle (Fig. 2/6,8) 3. D'autres vestiges du même genre ont été trouvés en Albanie centrale, dans la nécropole de Kruje, et jusqu'en Dalmatie, à Ston dans la presqu'île de Peljesac. A la base de ces découvertes, peu nombreuses pour le moment, on a pu parler d'une « civilisation de Koman », régionale et retardataire, comprenant des éléments slaves, mais d'une datation encore mal définie4. Ce manque de précision chronologique, plus encore que les incertitudes de l'attribution ethnique, suscite les hésitations à rattacher les éléments « slaves » ou « avares » dans le sud et le sud-ouest balkanique aux vagues barbares des années quatre-vingt, plutôt qu'à celles d'une époque postérieure.

Parmi les objets de caractère « avare », d'ailleurs tous tardifs δ, ou présumés « sklavènes » ou « antes », qu'on a cru reconnaître en Albanie, en Macédoine et en Grèce, s'inscrivent en tout premier lieu les fibules digitées à masque humain (« Bügelfibeln mit Maskenfuss »), de la fin du VIe et du VIIe siècle, découvertes à Kruje, à Nea Anchialos (Thèbes en Thessalie) et à Sparte dans le Péloponnèse (Fig. 2/4) 6, auxquelles s'ajoutent trois exemplaires de la Macédoine yougoslave, provenant de Vini- cani dans la région de Stobi, d'Héraclée de Lyncestide 7 et d'un site in-

1 H. Bulle, ibid., p. 227-228, Fig. 28; p. 229, Fig. 29 et 30. 2 O. Velimirovic-Zigic, Epoque préhistorique et protohistorique en Yougosl

avie (VIIIe Congrès ISPP), Belgrade, 1971, p. 152 et flg. 3 J. Werner, op. cit., Fig. 3 et dernièrement S. Uenze, Festschrift für

Joachim Werner (Münchener Beiträge zur vor-und Frühgeschichte, Ergänzungsband 1), München 1974, p. 484-494. Ce type de fibule balkanique se rencontre aussi dans les sites slaves de la Roumanie.

4 Z. Vinski, Haut Moyen Age, Epoque préhistorique et protohistorique en Yougoslavie (VIIIe Congrès ISPP), Belgrade, 1971, p. 387-388.

5 II faut dissocier ici les objets byzantins faussement attribués aux Avars des objets de caractère avare tardif vraisemblable. Cf. J. Kovacevic, Materijali, 3, Belgrade 1966, p. 60-61 (Elbasan), 65 (Kalaja Dalmaces), 66 (Kruje). Dans la riche trouvaille d'Elbasan, provenant probablement d'une sépulture prin- cière, on a trouvé en plus d'autres objets un chaudron de type avare et une pièce de ceinturon à signe de clan identique à celui de la tombe princiere d'O- zora en Hongrie, datée par une monnaie frappée en 669/70, cf. J. Kovacevic, ibid., p. 60-61. Sur cette trouvaille en général, J. Strzygowski, Altai-Iran und Völkerwanderung, Leipzig, 1917, p. 22 sqq. et PI. 5.

6 J. Werner, op. cit., p. 150, N° 1; p. 151, N° 4; p. 155, N° 55. 7 B. Babic, Srednovekovno kulturno bogatstvo na SB Makedonija, Prilep,

1974, p. 26, N° 4-5.

Page 13: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

τ ο

β

8 Fig. 2 - Fibules digitées et à pied enroulé: 1. Velesnica près de Kla- dovo; 2-3. Caricin Grad; 4. Sparte; 6. Eoumanie; 7. Mijele; 8. Eoumanie. Pièce de ceinturon: 5. Caricin Grad. (Sans échelle).

Page 14: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 457

connu x. La trouvaille de la tombe à inhumation de iiéa Anchialos, donc d'un type contraire aux coutumes funéraires de la civilisation slave archaïque, est d'autant plus significative qu'elle s'associe à un contexte architectural pauvre, s'étant formé auprès des basiliques chrétiennes et du baptistère désaffectés 2. Ce groupe de fibules à masque humain, dérivées de fibules germaniques, est dans son ensemble étranger à la civilisation byzantine et son centre de diffusion a été cherché dans les régions danubiennes des Balkans 3. Par ailleurs, si les résultats d'explorations récentes vont à l'appui d'une détermination plus particulièrement « ante » de ces fibules, parvenues jusqu'en Pannonie et sur le Danube dans le sillage des grands mouvements avares 4, d'autres recherches laissent penser que la fibule à masque humain n'a connu d'emploi que là où la tradition germanique était fortement implantée. Par conséquent, le milieu ethnique de ces parures serait peut-être plus varié qu'on ne l'a cru à l'origine et ne comprendrait pas seulement les Sklavènes et les Antes 5. Ce qui importe donc, c'est de souligner qu'à l'exception de la découverte faite à Olympie d'une quinzaine de tombes à incinération, datant du VIIe siècle tardif, aucun autre objet ou ensemble indiscutablement slave n'a été rencontré jusqu'à présent dans le sud balkanique 6. En résumé, la totalité des trouvailles archéologiques que nous venons d'énumérer très brièvement, illustrent surtout une étape tardive de la civilisation paléobyzantine, de la fin du VIe et du VIIe siècle, déjà fortement régionalisée et contaminée par des apports étrangers, provenant de l'aire géographique danubienne.

Les témoignages numismatiques, s'ils étaient toujours publiés, seraient susceptibles d'apporter plus de clarté au problème de la présence barbare dans le sud balkanique. Si, d'une part, il y a eu au VIIe siècle un décroissement certain de la circulation monétaire dans les grands centres grecs bien explorés, d'autre part, la présence ininterrompue des monnaies, aussi faible qu'elle fût, confirme à elle seule l'existence prolongée des villes comme Corinthe et Athènes 7. Par ailleurs, une série

1 J. Werner, op. cit., p. 155, N° 50, conservée au Musée national de Sofia. 2 Gr. A. Soteriou, Praktika, 1935, p. 62 sqq. et Arch. Eph., 1929, p. 6 sqq.,

selon J. Werner, op. cit., p. 171 et n. 75-77. 3 J. Werner, op. cit., p. 170 et Fig. 4. 4 M. Comsa, op. cit., p. 18. 5 I. Nestor, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 143 et 146. 6 Ibid. 7 M. Thompson, The Athenian Agora, Vol. II: Coins, Princeton 1954,

p. 69-71; K. M. Edwards, Coins 1896-1926, Corinth, Vol. VI, Cambr. Mass. 1939, p. 121-133 et p. 165, avec suppléments (sans données sur l'atelier et la

Page 15: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

458 VLADISLAV POPOVIC

de trésors de monnaies datés autour de 580, trouvés en Grèce centrale et dans les îles, témoignent de la réalité du danger slave dont Ménandre et Jean d'Ephèse se font l'écho 1. En outre, les rapports de fouilles de l'Agora signalent que des monnaies de Justin II furent trouvées dans les débris des édifices incendiés et qu'après cet événement la population de la ville se replia derrière le rempart « valérien » 2. Toutefois, aussi illustratives qu'elles soient des incursions barbares, ces informations ne résolvent pas entièrement le problème d'une première tentative d'installation de caractère plus permanent. On ne pourra essayer de trancher cette question que par une analyse plus complète des monnaies et surtout en comparant la circulation monétaire établie dans des régions variées.

Pour la Macédoine yougoslave, les informations numismatiques publiées font largement défaut. Mais, aussi peu nombreuses qu'elles soient pour l'instant, elles n'en sont pas moins suggestives 3. Les anciennes listes ne signalent, pour la période postérieure à Justin II, que deux monnaies de bronze de Maurice Tibère, trouvées quelque part en Macédoine. Quant aux grands sites archéologiques d'Héraclée en Lyncestide et de Stobi, anciens centres administratifs et évêchés, les plus récentes monnaies de bronze repérées ont été frappées au temps de Justin II 4. Ceci s'accorde avec la découverte, déjà ancienne (1932), d'un petit trésor de monnaies d'or au nord de la grande basilique de Stobi, conservé au Musée

date d'émission) de K. M. Edwards, Hesperia, 6, 1937, p. 241-256 et J. M. Harris, ibid., 10, 1941, p. 143-162, surtout p. 152-153. Essai d'interprétation dans A. Bon, op. cit., p. 51-54.

1 D. M. Metcalf, The Slavonic Threat to Greece circa 580: Some Evidence from Athens, dans Hesperia, 31, 1962, p. 134-157.

2 M. Thompson, op. cit., p. 3. 3 Les données ont été recueillies par J. Kovacevic, Arheoloski prilog pre-

ciziranju hronologije slovenskog naseljavanja Balkana, dans Simpozijum,, Sarajevo, 1969, p. 74-75.

4 Nous devons à la bienveillance de M. I. Mikulcié, professeur à la Faculté des Lettres de Skopje, des informations supplémentaires sur les trouvailles de monnaies byzantines, encore inédites, en Macédoine yougoslave (le chiffre entre parenthèses est celui du nombre de localités et non de monnaies): Anastase (12), Justin Ier (4), Justinien Ier (45), Justin Ier ou II (5), souverains indéterminés du VIe siècle (10). Quatre trésors ne sont pas postérieurs au règne de Justinien Ier, pour un cinquième on sait seulement qu'il est du VIe siècle. Ainsi que M. I. Mikulcié nous fait savoir, un examen plus attentif est susceptible de changer ces rapports, surtout au profit de Justin II. Néanmoins, on est frappé à première vue par l'absence des monnaies de Maurice Tibère et on peut dès maintenant croire que cette lacune ne pourra pas être complétée par des séries abondantes.

Page 16: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

TABLEA

U DE REPARTITION

DES M

ONNAIES DE

MAURICE

TlBÈRE PAR

SITES, ATELIERS ET

ANNÉES D'ÉMISSION

EM

IS

SIONS

582/3

583/4

584/5

585/6

586/7

587/8

588/9

589/90

59(^1

591/2

592/3

593/4

594/5

595/6

596/7

597/8

598/9

599/600 60O/1

601/2

602

I LLYRICUM

Cons

2 2 3 2 3 4 S 2 1 3 1 1 1 1 31

Thés

3 2 2 2 2 1 1 6 19

Nie 1 2 3 1 1 8

Kyz 0

Ant 1 1 2

CORINTHE ET

ATHENES Cons

1 1 3 1 1 3 2 1 2 2 17

Thés

1 2 2 1 4 1 1 12

Nie 1 1

Kyz 1 1

Ant 1 1

SARDIS Cons

6 6 2 2 2 3 5 2 3 4 1 2 2 40

Thés

3 2 1 2 1 1 2 1 13

Nie 1 1 1 1 1 2 1 3 11

Kyz 2 1 1 1 2 1 1 1 10

Ant 1 1 1 1 4

ANTIOCHE Cons

3 3 1 1 3 1 2 1 1 1 3 1 21

Thés

1 3 1 1 1 1 8

Nie 1 1 1 1 1 S

Kyz 1 2 1 4

Ant

(1)

(1)

(1)

(2)

(1)

(a)

(2)

(6) (6)

(1)

(1)

(2)

(1)

28)

TOTAL PAR ATELIERS Cons

9 12 11 6 6 6 10 8 10 8 6 0 3 1 2 3 Ο 3 0 5 0

109

Thés

0 2 11 0 4 5 4 3 0 7 0 2 2 8 1 0 0 0 1 1 1 52

Nie 1 3 2 0 1 4 4 1 3 1 0 1 3 0 0 0 0 0 0 1 0

25

Kyz 0 2 1 0 0 1 2 5 2 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

15

Ant 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 2 1 0 2 0 1 0 0 0 0 0

7(28)

TOTAL

10

20

25 6 11 16 20

17 15 17 8 4 8

11 3 4 0 3 1 8 1

208

Page 17: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

460 VLADISLAV POPOVIC

national de Belgrade. Le trésor consiste en cinq sous d'or frappés à Constantinople, deux de Justinien Ier, trois de Justin II 1. De la même époque est un trésor inédit de 2400 monnaies d'or, se terminant par les émissions de Justin II, découvert dans les mines près de Kratovo 2. De son côté, le trésor publié de Bargala, autre siège episcopal de la Macédoine Seconde, apporte de nouvelles précisions chronologiques 3. Toutes les dernières monnaies sûrement datées ont été frappées en 583/4, tandis que dix monnaies pouvant appartenir aux années 584/5 sont d'une attribution plus contestable. Sur la base de ce trésor, les auteurs du rapport de fouilles ont conclu que le site fortifié avait été détruit vers 585 4. En tenant compte des événements historiques déjà passés en revue, on serait tenté de dater en 586, c'est-à-dire au moment des opérations avares dirigées contre Thessalonique, l'incendie qui mit fin au site et dont le rapport des fouilles signale les traces 5.

Aussi modeste et incomplet qu'il soit du point de vue de la circulation monétaire, ce dossier numismatique suggère un apauvrissement, sinon la disparition partielle, des agglomérations urbaines du nord macédonien au cours des premières années du règne de Maurice Tibère. Peut- être s'agirait-il même de deux vagues barbares, dont la première serait antérieure aux événements de 586. Par ailleurs, la circulation monétaire sur le limes danubien et dans les villes à l'intérieur de l'Illyricum s'est normalement poursuivie. Sur 319 monnaies de bronze de l'époque entre 565 et 602, provenant des sites byzantins de Serbie 6, 262 pièces appartiennent à Justin II et Tibère II Constantin (565-582), 57 sont réparties sur les années de règne de Maurice Tibère (582-602). Ceci représente

1 Musée national de Belgrade, Inv. num. II 358-362. Aucune des monnaies de bronze provenant de Stobi, conservées au Musée national de Belgrade, ne dépasse le règne de Justin II.

2 J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 74. 3 B. Aleksova and C. Mango, Bargala: A Preliminary Report, dans Dumb

arton Oaks Papers, 25, 1971, p. 273-275. Le trésor, découvert en 1968, consiste de 270 monnaies de bronze et de 13 monnaies d'or, dont 115 sont de Justin II, 60 de Tibère II, 42 de Maurice Tibère. Deux trouvailles individuelles de monnaies, l'une de Justin Ier, l'autre de Justin II, sont également signalées par les auteurs du rapport, ibid., p. 267, n. 21.

* Ibid., p. 273. 5 On notera que toutes les monnaies de Maurice Tibère, faisant partie

du trésor, ont été émises à Thessalonique. Vu que l'atelier de Thessalonique est pratiquement fermé en 585/6, il n'est pas difficile de reporter le trésor en 586.

6 Dans les musées de Serbie, pour la plupart inédites.

Page 18: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS A VARO -SLAVES 461

pour les deux périodes une proportion de 82,2% contre 17,8%, soit un coefficient annuel (nombre de monnaies par année) de 15,2 contre 2,8. Ce simple calcul a été fait sur l'ensemble des monnaies. Bien entendu, une analyse plus fine devra tenir compte de la concentration inégale à l'intérieur d'un règne. Au cours de la période de Justin II et de Tibère II Constantin, l'atelier de Thessalonique est représenté par 154 monnaies, soit 58% ou un coefficient annuel de 9,0, les autres 108 monnaies, réparties sur plusieurs ateliers (58 émises à Constantinople), n'atteignant que 42% ou un coefficient annuel de 6,1. Pendant la période de Maurice Tibère, l'atelier de Thessalonique est représenté par 19 monnaies, ce qui fait 33% ou un coefficient annuel de 0,9 pièces. D'autre part, 38 monnaies sont réparties sur différents ateliers, surtout Constantinople (29 pièces), ce qui donne 66,6 % ou un coefficient annuel de 1,9. Les résultats montrent clairemant qu'il y a eu un decroissement de la circulation des monnaies dans l'Illyricum après 582. Ce phénomène est dû à des raisons monétaires générales, car on le constate ailleurs aussi. Ce qui frappe plus, c'est le decroissement du rôle de l'atelier de Thessalonique au profit de celui de Constantinople. Cela pourrait s'expliquer en partie par les bouleversements survenus dans le sud balkanique à la suite des incursions répétées et, pour ces mêmes raisons, par l'établissement de rapports plus étroits entre le territoire de la Serbie et l'est.

La dégradation du rôle de l'atelier de Thessalonique après 582 se reflète aussi dans la circulation monétaire en Grèce centrale, notamment à Corinthe et à Athènes. Sur 316 monnaies de bronze de la période entre 565 et 602, provenant des deux sites, et dont l'atelier a été déterminé % 282 (89,2%) sont du règne de Justin II et de Tibère II, 34 (10,8%) seulement de Maurice Tibère. Sur les 282 monnaies de la première période, 164 (58,1%) ont été émises à Thessalonique, 118 (41,9%) dans les autres ateliers. Pendant le règne de Maurice Tibère, le rapport entre Thessalonique et les autres ateliers est de 13 pièces (38,2%) contre 21 (61,8%). Ceci montre que durant la période de 565-582 la circulation monétaire en Serbie et en Grèce centrale se déroule dans des proportions relatives tout à fait semblables. Par ailleurs, le nombre de monnaies et les pourcentages qui en résultent sont plus bas en Grèce centrale qu'en Serbie pour la période comprenant le règne de Maurice Tibère. S'il est permis de juger d'après le nombre restreint de monnaies (34 pièces) dont l'atelier d'émission nous est connu à Corinthe et à Athènes, la présence de

1 M. Thompson, op. cit. et K. M. Edwards, op. cit. (monnaies de 1896- 1926).

Page 19: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

462 VLADISLAV POPOVIC

l'atelier de Thessalonique se serait maintenue sous Maurice Tibère à une plus vaste échelle que dans le nord illyrien. Par contre, il y a une très nette recrudescence de la circulation monétaire à Corinthe et à Athènes au temps de Phocas, reflétant éventuellement la stabilisation des conditions économiques après les bouleversements survenus. Non moins de 66 pièces, dont l'atelier a été déterminé, se répartissent sur seulement huit années de règne. Thessalonique est représentée par 20 monnaies (30,3%), tous les autres ateliers par 46 pièces (69,7%), dont 24 ont été frappées à Constantinople. Pour la même période, nous n'avons enregistré que 11 exemplaires sûrs dans les musées de Serbie. Encore faut-il ajouter qu'aucun n'appartient aux émissions de Thessalonique x.

On obtient un supplément d'information sur l'ensemble de la circulation monétaire au temps de Maurice Tibère en ajoutant, d'une part, à l'Illyricum et à la Grèce centrale les séries complètes de Sardes et d'An- tioche 2, et, d'autre part, en répartissant les monnaies par régions ou sites, ateliers et dates d'émission (comp. le « Tableau de répartition des monnaies »). Bien entendu, une telle analyse, fondée sur un nombre restreint de monnaies (208 exemplaires en tout) dont nous avons toutes les données requises, reste d'une portée limitée. Elle est néanmoins sensée apporter de nouveaux indices non seulement sur le rayonnement des ateliers byzantins, mais aussi sur les événements historiques précis. On se rend compte à première vue de l'importance de Constantinople par rapport au nombre de monnaies des autres ateliers trouvées dans toutes les régions envisagées. Thessalonique est relativement bien représentée dans les Balkans, tandis qu'en Orient sa présence est légèrement plus forte que celle des ateliers de Mcomédie, de Cyzique et d'Antioche. Par contre, le rôle joué par les trois ateliers de l'est, surtout de Cyzique et d'Antioche, dans la circulation monétaire de l'Illyricum, est presque infime. Ce qui frappe plus particulièrement, c'est la très forte concentration en 584/5, surtout des émissions de Thessalonique (11 pièces sur 11 de Constantinople), suivie d'une baisse vertigineuse en 585/6, quand seul l'atelier de Constantinople s'est maintenu. On ne connaît jusqu'à présent qu'une seule monnaie émise à Thessalonique en 585/6 (DOC, I, p. 321, N° 76). Encore faut-il noter qu'il s'agit d'une sur-frappe d'une

1 Constantinople 7, Nioomédie 3, Cyzique 1. 2 D'après les catalogues de G. E. Bates, Byzantine Coins, dans Archaeol

ogical Exploration of Sardis, Cambridge, Mass. 1971 et D. B. Waage, Antioch on-the-Orontes, IV, Part Two, Princeton, 1952. Les monnaies émises à Antioche et trouvées au cours des fouilles d'Antioche, ont été déduites de l'analyse et placées entre parenthèses dans le « Tableau de répartition des monnaies ».

Page 20: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-8LAVES 463

pièce de 16-nummia de Justinien, ce qui en fait un exemplaire tout à fait exceptionnel. Tout porte à croire que l'activité de l'atelier de Thes- salonique en 585/6, au moment des ravages avares en Thrace et dans l'Illyricum, fut de courte durée. Cette interruption était déjà précédée par le déclin de l'atelier de Thessalonique en 579/80-583/4, coïncidant avec les incursions slaves décrites par Jean d'Ephèse 1. On aurait là un argument numismatique favorable à la détermination chronologique en septembre 586 du grand siège avaro-slave de la ville. L'atelier de Thessalonique reprendra son activité normale au plus tôt en août 586, ou beaucoup plus vraisemblablement après la défaite avare de septembre, pour se poursuivre sans interruption jusqu'en 590/1, année où aucune émission n'a été jusqu'à présent enregistrée. On serait tenté de mettre en rapport cette lacune avec les bouleversements survenus en territoire illyrien, signalés par le pape Grégoire dans ses lettres de 591 et de 592. Comme il a été déjà dit, il pourrait y avoir un lien direct entre la défaite avare auprès de Thessalonique et les événements dont Grégoire se fait l'écho. Les émissions de Thessalonique deviennent abondantes en 591/2, surtout en Illyricum, pour aboutir à une baisse relative au cours des années 592-594. Ce déclin est illustré par les grandes collections dont les catalogues ne signalent pour 592/3, 593/4, 594/5, 596/7 et 598/9 qu'une seule monnaie pour chacune de ces années et aucune pour les années 595/6, 597/8 et 599/600. La série a été complétée ces dernières années avec la découverte de monnaies frappées en 595/6, faite à Sardes et en plusieurs endroits de la Serbie 2. Le monnayage de Thessalonique ne reprendra son cours normal qu'en 600/1. Comme plusieurs années plus tôt, le décroissement marqué du monnayage de Thessalonique en Illyricum dans les années 597-600 est précédé par une concentration des émissions de 595/6. Cela s'explique par les opérations menées à cette époque-là sur le moyen Danube. Nous reviendrons sur la question. Ajoutons enfin que la tentative d'interpréter la fermeture de l'atelier de Thessalonique en 597/8 par le siège avare, tout en plaçant celui-ci

1 D. M. Metcalf, op. cit., p. 143-144, en s'appuyant sur la rareté des monnaies de Thessalonique datant de la sixième année du règne de Tibère II, conclut que l'atelier était pour un certain temps fermé en 579/80. D'autre part, il est aujourd'hui certain que Thessalonique frappait des monnaies pendant la première année de Maurice Tibère (582/3). Cf. DOC, I, p. 320, N° 70-72. Les émissions de 582/3 et de 583/4 sont relativement rares et témoignent d'une activité assez modeste au cours de ces années.

2 La découverte de l'émission de 595/6, représentée dans l'Jllyricum et à Sardes, est tout à fait récente. Cf. G. E. Bates, op. cit., p. 73, N° 626-627.

Page 21: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

464 VLADISLAV POPOVIC

en 597 et non en 586, est difficile à admettre l. C'est justement à partir du milieu de la dernière décennie du VIe siècle que se manifestent de nombreuses lacunes dans les émissions des ateliers byzantins. Il s'agit donc en premier lieu d'un phénomène général de dégradation du monnayage impérial n'étant pas limité à Thessalonique toute seule. Pour la même raison, l'interruption de 585/6 et vraisemblablement celles de 590/1 et de 592/3, ne peuvent s'expliquer autrement que par des événements touchant de plus près Thessalonique et son territoire.

Alors que la Macédoine et la Grèce propre se voyaient aux prises avec l'adversaire avaro-slave, dont les vagues successives déferlaient vers le sud, le territoire de l'ancien diocèse dacique, à l'exception du limes danubien, semblait jouir d'une paix relative. Après un siège de trois ans, la ville de Sirmium s'était rendue au khagan, très peu de temps avant que Maurice Tibère ne fût revêtu de la pourpre 2. Or, comme Tibère II Constantin était mort le 13 août 582 et que Maurice fut proclamé Auguste quelques jours avant sa mort, la reddition de la ville doit se placer en été 582. Les fouilles archéologiques menées à Sremska Mitrovica ces dernières années, ne jettent aucune lumière nouvelle sur le siège avar de la ville. Elles ont toutefois pu révéler que de larges ensembles architecturaux, tel l'ancien cirque romain, avaient servi de lieu d'habitation et de refuge à la population romanisée 3. Le seul document archéologique indubitablement en rapport avec le siège avar est une brique à inscription grecque, depuis longtemps connue 4. Les monnaies byzantines sont relativement nombreuses sur le site et dans ses environs. Mais aucune monnaie postérieure au règne de Justin II n'a été jusqu'à présent trouvée 5. La dernière monnaie en date est un demi-follis frappé à Thessalonique en 577/8 (Fig. 3) 6. Il est certain que la prise de Sirmium, important lieu stratégique aux abords de la Dalmatie et de l'Illyricum oriental, eut de graves conséquences pour la suite des conflits avaro-byzantins. En moins de dix ans, le khagan s'appropria toutes les cités pannoniennes.

1 W. Wroth, Catalogue of the Imperial Byzantine Coins in the British Museum, Vol. I, London, 1908, p. XXI.

2 Théoph. Simokatta, Hist., I 3 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 292). 3 V. Popovic, A Survey of the Topography and Urban Organization of

Sirmium in the Late Empire, dans Sirmium, I, Belgrade, 1971, p. 130-131. 4 J. Brunsmid, Eranos Vindobonensis, Wien, 1893, p. 331-333; Gy. Mo-

ravcsik, Byzantinoturcica, 11/ 1, Berlin, 1958, p. 303. 5 Contrairement à J. Kovacevic, mentionnant une monnaie de Maurice

Tibère dans Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 67. Il s'agit probablement d'une monnaie de Mursa, voir note 3, p. 465.

6 Musée de Srem, Cat. num. 1482. Type DOC, I, p. 225, N° 85.1-3.

Page 22: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 465

A en croire les listes épiscopales aquiléennes, Virunum et Poetovio succombaient avant 579, Celeia et Emona avant 588, Teurnia et Aguntum autour de 591 l. A Siscia, nous connaissons peut-être un évêque du nom de Vindemius (episcopus Cessensis), ayant assisté d'abord au concile de Grado, en 579, puis au concile de Marano, en 588/9 2. Quoi qu'il en soit, il est difficile de croire que la ville de Siscia, et encore moins celle de Mur- sa, survécurent à la prise d'Emona et de Celeia 3. L'occupation avare des anciennes provinces pannoniennes, archéologiquement attestée par les vestiges de la civilisation du premier khaganat 4, rendait possible,

Fig. 3 - Demi-« follis » de Sirmium.

dès 587/8 semble- t-il, une poussée massive des Slaves en direction des Alpes 5. Par ailleurs, elle était le prélude des futures opérations avares au sud de la Save, à l'intérieur de la province de Dalmatie et en direction des grandes cités du littoral adriatique. On a parfois voulu reconnaître dans les trésors dalmates la preuve d'incursions avares, sinon même d'une occupation plus permanente de l'importante voie de communication menant de Sirmium à Epidaurum sur le littoral e. Il s'agit en effet

1 B. Grafenauer, Procès doseljavanja Slovena na zapadni Balkan i u istoêne Alpe, dans Simpozijum, 1969, p. 36-39.

2 J. Zeiller, op. cit., p. 140. Comp. le point de vue de B. Grafenauer, loe. cit. 3 D. M. Metcalf, The Currency of Byzantine Coins in Syrmia and Slavonia,

dans Hamburger Beiträge zur Numismatik, 14, 1960, Bd. 4, p. 436, N° 86 et p. 437, N° 99-100, publie un exemplaire de Maurice Tibère, frappé en 592/3, provenant d'Osijek (Mursa), et deux exemplaires de Phocas, provenant de Sisak (Siscia), aujourd'hui au Musée archéologique de Zagreb (Inv. num. 613, 639 et 651). Leur présence dans les cités pannoniennes, s'il ne s'agit pas tout simplement de monnaies parvenues à Osijek et à Sisak par le commerce, ne confirme nullement l'existence de la circulation monétaire dans des villes occupées par les Avars et ne prouve pas non plus que Siscia avait survécu Sirmium d'une dizaine d'années (J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 67).

4 Etat de la question dans Z. Vinski, op. cit., p. 391-395. 5 B. Grafenauer, loc. cit. 6 J. Kovacevic, Materijali, 3, Belgrade 1966, p. 76-77. Interprétation

moins hésitante et sans doute plus juste, proposée par le même auteur dans Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 80.

MEFRA 1975, 1. 30

Page 23: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

466 VLADISLAV POPOVIC

d'un trésor de monnaies d'or de îfarona (Vid), de l'époque de Tibère II Constantin x, et de trouvailles dalmates isolées, ou plus probablement encore de trésors de monnaies d'or démembrés, dont les plus récents exemplaires ne dépassent pas le règne du même empereur 2. On ajoutera à ce dossier le trésor de Grabovnik, dans le district de Ljubuski, de l'époque de Justin II3, et un petit trésor (?) inédit, provenant de Salonae, conservé au Musée national de Belgrade, du temps de Tibère II Constantin 4. Le trésor de Grabovnik mis à part, sur un total de 112 monnaies d'or comprises par les trouvailles énumérées, 50% sont de Justin II, 26,8% de Tibère II Constantin, avec un coefficient annuel de 4,30 et de 7,50 pièces respectivement. Cette forte concentration annuelle pour le règne de Tibère II Constantin et l'absence totale de monnaies frappées sous Maurice Tibère, sur 112 monnaies de provenance disparate, suffit à placer l'ensemble de ces trouvailles numismatiques à la fin du règne de Tibère II ou au plus tard dans les premiers mois de celui de son successeur 5. Il s'agit donc vraisemblablement de trésors reflétant la panique dont les villes dalmates furent prises en apprenant le siège ou la reddition de Sirmium durant l'été 582. D'ailleurs aucune source écrite grecque ou latine ne révèle, avant 597, d'opérations militaires avares de large envergure menées en province de Dalmatie. On ajoutera à tout cela que le siège de Sirmium, s'il ne fut pas la seule, ne fut pas non plus la moindre des conditions historiques ayant permis en 580/1 l'invasion des Slaves de Dacie, mentionnée par Jean d'Ephèse, avec toutes les perturbations que celle-ci avait pu provoquer dans le sud balkanique.

1 Ibid.; S. Mosser, Numismatic Notes and Monographs, 67, 1935, p. 57-58 et bibl. Le trésor est composé de monnaies de Justin Ier (1), Justinien Ier (24), Justin II (24) et Tibère II Constantin (11).

2 Au Musée archéologique de Split. Cf. J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 79-80: Justin II (30) et Tibère II Constantin (15).

3 Glasnik Zemaljskog Muzeja, Sarajevo 1900, p. 547 sqq.: Justinien Ier (4) et Justin II (15).

4 II s'agit de cinq sous d'or, Inv. num., II, 1139-1143: Justinien Ier (1), Justin II (1), Tibère II (3). La liste se complète par la trouvaille de Gruberevac, dans la région de Kosmaj en Serbie de l'ouest, conservée au Musée national de Belgrade, consistant en un sou d'or de Justin II et en un autre de Tibère II.

5 II convient de rappeler aussi que les trésors de monnaies d'or datant des premières années du règne de Maurice Tibère comprennent au moins une, sinon plusieurs pièces de cet empereur: trésor de l'Osteotheke d'Athènes, D. M. Metcalf, Hesperia, 31, 1962, p. 157; plusieurs trésors de Sadovets en Dacie Ripuaire, S. Mosser, op. cit., p. 74-75 et J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 62-63, étudiés plus loin.

Page 24: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 467

A en juger d'après deux trésors de monnaies de bronze découverts à Veliko Orasje, 80 km. au sud-est de Belgrade 1, et à Pincum (Veliko Gradiste), sur le Danube 2, la menace avare eut au même moment un effet semblable en Mésie Supérieure. Dans le premier trésor, la plus récente monnaie est un foïlis de Tibère II Constantin, émis à Constantinople en 579 3. Dans le second, c'est encore un follis du même empereur et du même atelier, frappé en 580/1 4. Cependant on notera que la composition du trésor de Veliko Orasje est beaucoup plus uniforme. Sur 34 monnaies, 17 sont de Justin II, provenant en majorité de l'atelier de Constantinople. Il n'y a qu'une seule pièce de Thessalonique, frappée en 567/8, ce qui n'est pas habituel pour l'Illyricum. Vu que l'atelier de Constantinople avait poursuivi une activité normale dans les années après 579, il est permis de conclure qu'il n'y a pas de décalage considérable entre la dernière monnaie et la date d'enfouissement du trésor. Par conséquent, le trésor est postérieur à l'intervention avare contre les Slaves, lancée en 578 sur l'instigation de l'empereur, et très probablement antérieur aux grandes opérations dirigées en 584 contre l'empire. La composition de ce lot monétaire laisse croire qu'il s'agit d'argent ayant fait partie de la solde d'un militaire venu de l'est. Par contre, il est plus difficile d'interpréter le petit trésor de Pincum. Sur l'ensemble assez hétérogène de 17 monnaies, 5 sont de Justin II, toutes frappées à Thessalonique. Le déclin de l'atelier de Thessalonique au cours des années 579/80-583/4 et l'absence des monnaies de cette période dans le trésor de Pincum, ne s'opposerait pas en principe à une datation en 584, sans que celle-ci fût réellement prouvée. Pour les mêmes raisons on hésitera à dater avec trop de précision deux groupes numismatiques inédits, provenant du limes des Portes de Fer. Le premier se compose de six monnaies trouvées ensemble dans le castellum byzantin de Boljetin (Smorna), dont la plus récente est un follis de Mcomédie frappé en 577/8 5. L'autre représente un petit trésor (?) de 24 monnaies de Justin II, provenant de Trans- dierna (Tekija) ou de sa région, se terminant par un demi-follis de Tibère

1 D. G aj -Popò vie, Dve ostave vizantijskog novea VI veka iz numizmaticke zbirke Narodnog muzeja u Beogradu, dans Zbornik radova Narodnog muzeja, 7, 1973, p. 33-37.

2 Sv. Dusanic, Nalazi vizantiskog novea sa terena Pinkuma,, Vesnik mu- zejskog i konzervatorskog drustva NES, 1960, 1-2, p. 33-39.

3 D. Gaj-Popovic, op. cit., p. 37, N° 57 (DOC, I> p. 270, N° 11 d. 1). 4 Sv. Dusanic, op. cit., p. 37, N° 14, flg. 8 (DOC, I, p. 271, N° 13a. 1-3). 5 DOC, I, p. 231, N° 103 b. Je dois l'information à l'obligeance de Mme Lj.

Zotovic, auteur des fouilles de Boljetin.

Page 25: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

468 VLADISLAV POPOVIC

II Constantin, émis à Thessalonique en 579 *. Sur 17 monnaies identifiables, 15 ont été frappées à Thessalonique, 1 à Constantinople et 1 à Mcomédie. L'ensemble de ces trésors ou groupes monétaires, quelle que soit la date exacte de leur enfouissement ou de leur perte, révèle toute l'ampleur du désastre provoqué par le siège de Sirmium et les invasions qui eurent lieu quelque temps après la prise de la ville par les Avars. Leur composition les situe à la veille des opérations qui mèneront au grand siège de Thessalonique en 586 et dont la plus proche illustration est l'important trésor de Bargala en Macédoine.

La prise de Sirmium fut suivie d'une paix de deux ans. Mais, dès l'été 584, le khagan s'achemina vers l'est, occupant les villes de Singi- dunum, de Viminacium et d'Augustae dans l'Illyricum, pour aboutir à Anchialus 2. Les trois années suivantes seront marquées par des combats incessants menés dans le diocèse thrace, jusqu'aux abords de Constantinople, combats auxquels s'étaient joints les Slaves 3. C'est d'ailleurs dans le cadre de ces sanglantes opérations qu'on place le siège de Thessalonique du 22 septembre (Miracula, I 13-15) 4. Les historiens modernes avancent à l'appui de cette thèse les informations fournies par plusieurs sources grecques. Ainsi, en se référant aux événements de 584, Evagrius précise que par deux fois les Avars atteignirent les Longs Murs, prirent et pillèrent Singidunum, Anchialus et, ceci est important, l'Hellade toute entière 5. De son côté, la « Chronique de Monem- vasie » fait savoir que les Avars, après avoir atteint Byzance et l'Asie Mineure, conclurent la paix, et que dans une seconde attaque, entreprise à la suite des campagnes de Scythie et de Mésie (585/6), envahirent la Grèce du nord et le Péloponnèse 6. Les événements de 584-587 intéressent d'autant plus notre sujet qu'ils touchent le territoire des provinces de Mésie Première et de Dacie Eipuaire. Après une courte accalmie en 585,

1 J)OC, I, p. 277, N° 23. 1-6. Le trésor (?) a été mis à notre disposition par Mine A. Cermanovic-Kuzmanovic, auteur des fouilles de Tekija.

2 La principale source, comme d'ailleurs pour tout le règne de Maurice Tibère, est Théphylacte Simokatta, Hist., I, 3-4 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 296). Il nous paraît superflu de citer Theophane dont les informations relatives aux mêmes événements reposent sur Simokatta.

3 Théoph. Simokatta, Hist., I 6-8; II 10-17 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 297- 299).

4 F. Bariäic, onda, Belgrade 1953, p. 56-64. Datation reprise dans les Fontes Jug., I, Belgrade 1955, p. 109, n. 27 et ailleurs.

5 VI 10 (Fontes Jug., I, Belgrade 1955, p. 100). 6 Ibid., p. 285-286.

Page 26: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 469

1 e khagan lança une nouvelle attaque au début de l'automne de la même année1, au cours de laquelle il pilla les provinces d'Europe, de Scythie et de Mésie (Seconde), et s'empara, parmi tant d'autres, des villes de Ratiaria (Arcar), Bononia (Vidin) et Aquis (Prahovo!), sur le limes de la Dacie Ripuaire 2. Une seconde vague de destruction s'abattait sur Durostorum et les villes situées sur la voie traditionnelle de pénétration des Slaves du bas Danube.

Des témoignages directs des dévastations avares dans les parties orientales de l'Illyricum byzantin proviennent des villages fortifiés de Sadovsko et Golemanovo-Kale, sur la rivière Vit, en Bulgarie 3. Les premiers rapports des fouilles signalent deux couches et deux conflagrations d'époque byzantine 4. D'après les monnaies qui y furent trouvées, la couche plus récente de Sadovsko-Kale ne serait pas antérieure au règne de Justin II 5. Mais, l'intérêt des deux sites réside pour l'instant dans la découverte de plusieurs trésors de monnaies d'or et de bronze, récoltés dans des pots enfouis sous les sols et les foyers d'argile 6. Parmi les trésors déjà publiés ou restés inédits 7, un se compose de monnaies d'or se terminant par le règne de Maurice Tibère 8, sans que nous disposions en ce moment d'autres précisions d'ordre numismatique. Des deux trésors de monnaies uniquement de bronze, l'un ne dépasse pas le

1 Plutôt qu'en 586, année parfois proposée pour ces opérations, cf. B. Grafenauer, Zgodovinski öasopis, 4, 1950, p. 56-57. F. Barisic et M. Markovic, Fontes Jug., I, 1955, p. 108-109, placent correctement l'événement en automne 585 et en 586. Les repères chronologiques sont les suivants: Simokatta (I 6) fait savoir que les opérations de 584 aboutirent à la paix conclue l'année suivante, donc en 585; Comentiolus est la même année à Hadrianopolis et c'est au début de l'automne que se place l'attaque avare (I 8).

2 Théoph. Simokatta, Hist, I 8 (Fontes Jug., I, 1955, p. 109). 3 Les deux sites ont été fouillés en 1934-1937: I. Welkow, Germania, 19,

1935, p. 149 sqq et Gr. Bersu, Antiquity, Mars, 1938, p. 1 sqq. Cf. H. Vetters, Dacia Bipensis, dans Schriften der Balkankommission, Ant. Abt., 11, Wien 1950, p. 49-57.

4 H. Vetters, op. cit., p. 57. 5 Ibid., p. 58, n. 469. « Ibid. 7 Aperçu général de trois trésors dans J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo

1969, p. 62-63 et d'un autre dans S. Mosser, op. cit., p. 74-75. Je dois l'information sur les trésors inédits (listes de Th. Gerasimov et de Gr. Bersu) à la bienveillance de Mme S. Uenze de Munich.

8 Premier trésor de J. Kovacevic, loc. cit.: Anastase (1), Justinien Ier (86), Justin II (20), Tibère II (20), Maurice Tibère (1).

Page 27: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

470 VLADISLAV POPOVIC

règne de Justin II 1, l'autre est daté par un follis de Tibère II Constantin, frappé à Constantinople en 579 2. Enfin, deux trésors, contenant des monnaies d'or et de bronze, se terminent par des exemplaires de Maurice Tibère. Pour l'un d'eux nous ne disposons que de données générales, tandis que l'autre comprend parmi les pièces de bronze un follis de Maurice Tibère, frappé à Constantinople en 582/3 3. Le nombre restreint d'exemplaires de Maurice Tibère par rapport à ses prédécesseurs montre qu'au moins trois des trésors ont été formés pendant les premières années de son règne et qu'ils ne sont vraisemblablement pas étrangers aux événements survenus en été 584 et en automne 585. Il n'est pas sans intérêt de noter que les exemplaires de Maurice Tibère sont nettement mieux représentés par les exemplaires d'or que par ceux de bronze. Cela confirme les résultats auxquels nous sommes arrivés plus haut en étudiant les trésors de Dalmatie et du limes danubien. Le monnayage d'or ininterrompu à Constantinople et par là la présence ou l'absence de pièce de Maurice Tibère dans les trésors permet, d'une part, de situer les trouvailles dalmates en 582 au plus tard, et, d'autre part, de dater les trésors de monnaies d'or de l'est Illyrie des années 584/5. Par contre, le déclin du monnayage thessalonicien pendant les années 579/80-583/4 amoindrit considérablement la force démonstrative qu'on pourrait conférer à l'absence ou à la faible présence de ces émissions dans les trésors de monnaies de bronze trouvés en Illyricum. Dans le même sens, il est caractéristique que les plus récentes monnaies de bronze des trésors bulgares appartiennent aux émissions de Constantinople et non à celles de Thessalonique. Cette dernière ne connaîtra un sursaut du monnayage qu'en 584/5, donc au moment des ravages subis par le limes danubien et la Thrace. De leur côté, les nombreuses trouvailles individuelles de monnaies byzantines de bronze, dont aucune n'est postérieure à Justin II, faites sur les deux sites bulgares, s'opposent à une rénovation éventuelle

1 Information de Mme S. Uenze: sans détermination précise (2), Justin Ier (2), Justinien Ier (7), Justin II (24).

2 Troisième trésor de J. Kovacevic, loc. cit.: Anastase (14) Justin Ier (18), Justinien I" (59), Justin II (80), Tibère II (1).

3 II s'agit de deux lots de monnaies d'or, dont un est le deuxième trésor de J. Kovacevic, loc. cit.: Justinien Ier (3), Justin II (3), Tibère II (4), Maurice Tibère (3). L'autre, S. Mosser, loc. cit.: Justinien Ier (10), Justin II (22), Tibère II (16), Maurice Tibère (6). Les deux trésors contenaient des exemplaires de bronze, aussi. Probablement qu'à l'un des deux doit être ajouté le lot de monnaies de bronze (information de Mme S. Uenze): Justin Ier (3), Justinien Ier (15), Justin II (29), Tibère II (1), Maurice Tibère (1).

Page 28: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 471

de ces sites fortifiés après 584/5. Par ailleurs, la composition de deux des trésors, lesquels, tout comme les trésors de Pincum, de Transdierna et de Boljetin, ne dépassent pas les règnes de Justin II et de Tibère Constantin (579), illustrent peut-être une menace barbare précédant de très peu l'événement qui mit fin à l'existence de ces sites à l'extrémité orientale de l'IUyricum, sans qu'on puisse être trop affirmatif à ce sujet.

On se demandera si les villes de la Dacie Ripuaire, mentionnées par Théophylacte Simokatta, n'avaient pas à jamais disparu au cours de ces hostilités. On ne sait rien, à partir de 584/5, du sort d'Augustae, de Ratiaria et d'Aquis 1. Seule Bononia figurera une dizaine d'années plus tard dans les relations historiques 2. Toutefois, le silence des sources écrites n'apporte pas de preuve décisive en faveur d'une disparition totale ou même partielle de la défense byzantine de ce secteur du limes dans les années quatre-vingt du VIe siècle. Les coups portés par les Avars furent certainement durs pour la région. Les découvertes numismatiques de Sadovsko et de Golemanovo-Kale laissent entendre que des sites fortifiés à l'intérieur du pays ne s'étaient jamais plus relevés. Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'assaut avare de 585 fût lancé en direction d'un secteur bien défini et limité de la frontière danubienne, s'étendant de Ratiaria (Arcar) jusqu'à Aquis (Prahovo !), encerclant ainsi l'embouchure du Timacus (Timok) dans le Danube. En allant de la région d'Aquis vers le sud et tout en passant auprès de Gamzigrad et de Timacum Minus (Revna près de Knjazevac), l'ancienne voie romaine du Timacus donnait accès à la région de Naissus, de Remesiana et de Caricin Grad (Prima Justiniana), et traversait la Dardanie et la Macédoine Salutaire, menant par Scupi et par Stobi jusqu'à Thessalonique 3. Deux autres routes romaines, partant elles aussi du secteur danubien de la Dacie Ripuaire dévasté en 585 par les Avars, rejoignaient le Timacus. L'une menait de Bononia (Vidin), en passant par Castra Martis, l'autre, de Ratiaria, par Combustica, aboutissait auprès de Timacum Minus. Du

1 II n'est pas sûr qu'Aquis de Théoph. Simokatta, Hist., VII 2 (année 595) corresponde au site de Prahovo (Ad Aquas romaine), cf. Fontes lug., I, 1955, p. 117, n. 58. La préférence de Prahovo, au lieu de Vidovgrad, pour la localisation de Ad Aquas (Aquis byz.) romaine, repose surtout sur l'ampleur du premier site archéologique, cf. D. Vuckovic-Todorovic, Iskopavanja kod Donjeg Milanovca i u Prahovu, Limes u Jugoslaviji, 1, Belgrade, 1961, p. 138-139.

2 Théoph. Simokatta, Hist., VI 3-4 (Fontes Jug., I, 1955, p. 112, en 593). 3 Les voies de communication sont indiquées d'après la Tabula Imperii

Romani, Section K34, Sofia (Naissus-Serdica-Thessalonike), édition de l'Institut d'Archéologie de l'Académie Slovène des Sciences et des Arts (sous presse).

Page 29: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

472 VLADISLAV POPOVTC

point de vue stratégique, les routes partant d'Augustae, ville occupée par les Avars en été 584, étaient non moins importantes. L'une d'elles suivait l'Augusta (Ogost), passait par Montana, traversait la grande voie Ïfaissus-Sardica auprès de Turres (Pirot), rejoignait la Dardanie (Ad Fines, près de Mrtvica) et la route Scupi-Stobi-Thessalonique. L'autre route descendait vers le Sud, passait par Sardica, longeait le Strymon et aboutissait dans la région de Thessalonique. Une autre route menait de Sardica à Pautalia, d'où l'on pouvait facilement rejoindre Scupi et Stobi, cette dernière par Bargala. Il n'est pas sans intérêt de constater que les opérations avares de 585/6 n'étaient pas, semble-t-il, dirigées vers le large secteur danubien comprenant le limes entre Eatiaria et Durostorum. Comme il a été déjà noté, le gué de Durostorum représentait l'endroit habituel par où s'effectuait la pénétration slave dans les Balkans. Ainsi, après la défaite slave en Thrace, les Avars créaient les conditions nécessaires à une invasion barbare par de nouvelles voies. Or, comme nous l'avons vu, ces voies menaient vers Thessalonique.

Les Miracula ßancü Demetrii, I 13, 109 x précisent qu'à l'origine du grand siège du 22 septembre se trouvait le refus de l'empereur à satisfaire les exigences avares, ce qui s'accorde, comme d'autres l'ont déjà souligné à maintes reprises, avec les renseignements de Théophylacte Simokatta (Hist., I 8) concernant les causes ayant provoqué le début des opérations avares en automne 585. Les Miracula ajoutent que dans sa colère le khagan avait décidé de prendre Thessalonique, cette ville si chère à l'empereur. Cependant, comme plus tard à l'occasion du siège sous le règne d'Héraclius, les Avars savaient que l'entreprise ne pouvait réussir que s'ils avaient pour eux le bénéfice de la surprise: « Et cette masse {se. des Sklavinies et d'autres tribus barbares) reçut l'ordre de faire le parcours à une telle allure que nous n'apprîmes leur arrivée qu'un jour auparavant. Car quand la nouvelle les concernant parvint dimanche le 22e jour du mois de septembre et alors que les citadins ignorants croyaient qu'ils viendraient ici dans quatre ou même dans cinq jours et puisque pour cette raison ils avaient négligé la défense de la ville, juste avant la tombée de la seconde nuit après samedi, ils surgirent sans bruit auprès des murailles de la ville » 2, après avoir, bien

1 Fontes Bulg., III, 1960, p. 114. 2 Miracula, I 13, 111, ibid.: Και ή τοσαύτη πλη&ύς τοσούτω τάχει την όδον

διανύσαι προσετάχ-9-ησαν, ώς μηδέ γνώναι ημάς την ελευσιν αυτών πλην προ μιας ημέρας · κυριακη γαρ ήμερα μηνυθέντων τούτων, τη είκάδι δευτέρα του Σεπτεμβρίου μηνός, και των της πόλεως άμφιβόλως εχόντων, ώς μετά τεσσάρας, ή και προς πέντε ημέρας μόλις τα έν&άδε καταλαμβάνουσιν, κφντεϋθεν άμελέστερον περί την αύτης φυλακήν διαμεινάντων,

Page 30: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 473

entendu, dévasté les pays qu'ils traversèrent l. De même que pour le siège sous Héraclius, quand les Avars, ayant emprunté un raccourci, surprirent la population de la ville dans les champs 2, cette fois-ci aussi l'avance de quatre ou même de cinq jours prise par les barbares s'explique tant par la rapidité de l'attaque que par l'utilisation d'un itinéraire plus court et sans doute différent de celui emprunté par les Slaves venant de Thrace dans les années 578-581. De son côté, la prise de Durostorum en 585/6 suggère une double voie de pénétration vers l'Egée et c'est peut- être de l'est que les Thessaloniciens s'attendaient, comme plusieurs années auparavant, à voir surgir l'ennemi. Quoi qu'il en soit, la diversion avare en Dacie Eipuaire et le siège de Thessalonique se présentent comme deux étapes d'un vaste plan stratégique.

Les résultats obtenus par l'archéologie roumaine d'après-guerre laissent entrevoir que le territoire au nord du Danube, faisant face au limes de la Dacie Ripuaire, et jusqu'au Banat méridional, n'est pas resté à l'écart de la pénétration sklavène et ante de la seconde moitié du VIe siècle. Jusqu'à présent, le site slave le plus occidental est celui de Svi- nitsa 3, situé à peu près à hauteur des castella de Taliatae et de Campsa sur la rive droite du Danube. De leur côté, les recherches récentes révèlent qu'une présence slave massive en Pannonie avare est exclue 4 et que par conséquent il ne pouvait s'agir de Slaves pannoniens prenant part au siège de Thessalonique. Tout au contraire, il devait s'agir de Slaves moldaves et de ces « autres tribus barbares », parmi lesquelles on comptait la population transylvaine comprenant, outre les autochtones romanisés et les Slaves, des Gépides transférés à l'est lors de la prise de la Pannonie par les Avars. En s'appuyant sur les renseignements des sources écrites, on a pu conclure dernièrement que les Slaves traversaient le Danube dans le secteur de Kladovo, non loin du castellum de Caput Bovis (Karata§), à l'endroit où le fleuve devenait à nouveau franchissable 5. Particulièrement précieuse est l'information de Théophylacte Si-

αύτη τη νυκτί δευτέρα σαββάτων επιφωσκούση επί τα τείχη της πόλεως έφθασαν άψοφητί και πρώτη ευθύς έπισκιάσις τοϋ πανενδόξου μάρτυρος Δημητρίου γεγένηται έν τω άμα- υρώ&ήναι εκείνους τη νυκτί εκείνη, και περί το φρούριον της καλλινίκου μάρτυρος Ματρώνης ώραις ίκαναϊς ένασχοληθηναι.

1 Ibid. 2 F. Barisic, Öuda, Belgrade 1953, p. 96. 3 M. Comsa, op. cit., p. 26, n. 28, flg. 9. 4 I. Nestor, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 144. 5 M. Ljubinkovic, Les Slaves du centre balkanique du VIe au IXe siècle,

Balcanoslavica, 1, Belgrade 1972, p. 46. Nous suivons ici l'identification des castella byzantins du limes des Portes de Fer proposée par V. Kondic, Ganta-

Page 31: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

474 VLADISLAV POPOVIC

mokatta sur les intentions avares en 601, à la veille de leur expédition contre les Antes 1. L 'historien grec nous apprend notamment que les Avars s'étaient réunis auprès des Cataractes et qu'ils voulaient d'ailleurs les soustraire à l'autorité impériale. Pour cette raison même, le stratège Pierre se vit obligé de quitter ses quartiers de Palastolum (Palatiolum) près d'Oescus, à la limite de l'Illyricum et du diocèse thrace, et de gagner la Dardanie, terme désignant vraisemblablement la Dacie Méditerranéenne habitée par les Dardaniens 2. Le fait d'avoir rejoint la Dardanie au lieu de longer le Danube révèle son intention de couper aux Avars la route vers le sud. Pour y parvenir, le stratège avait dû emprunter soit la voie de l'Oescus, soit celle de l'Augusta, pour déboucher dans la région du « limes intérieur », sur la route Naissus-Bemesiana-Turres. De là, il était facile de descendre le cours du Timacus jusqu'au Danube et les Cataractes. L'importance de ce « limes intérieur » est révélée par le nombre tout à fait exceptionnel de fortifications nouvelles que Justinien Ier fit construire dans la région de ïfaissus et de Eemesiana, nettement plus élevé que dans les autres parties du territoire illyrien 3. Les Cataractes, endroit stratégique de premier ordre, ont été identifiées par une inscription romaine récemment découverte à Caput Bovis, montrant qu'il s'agissait des courants rapides des Portes de Fer, entre Gospodjin Vir et

baza, Smorna, Gampsa, Sfarinar, 22, Belgrade 1971, p. 23-57 et P. Petrovié, The New Tabula Trajana in Djerdap, Archaeologia Iugoslavica, 9, Belgrade 1968, p. 83-89: Golubac (Cuppae), Cezava (Novae), Saldum (Cantabaza), Bosman (Ad Scrofulas?), Boljetin (Smorna), Eavna (Campsa), Donji Milanovac (Ta- liatae), Tekija (Transdierna), Sip (Ducis Pratum), Karatas (Caput Bovis), D avido vac (Ζ ânes), Kladovo (Pontes).

1 M. Ljubinkovic, loc. cit.; Theoph. Simokatta, Hist., VIII 5 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 353).

2 Proc, De aed., IV 1, 17 (éd. Loeb), situe Prima Iustiniana, vraisemblablement Caricin Grad, dans le pays des Dardaniens. Les Dardaniens s'étendaient jusqu'à Knjazevac sur le Timok, au nord-est de Naissus, cf. N. Vulic, Iustiniana Prima, Glasnik skopskog nauënog drustva, 5, 1929, p. 46. Une inscription de 371, trouvée à Bargala, montre que cette ville et au moins une partie de la Dardanie, appartenaient, à un moment donné, à la province de Dacie Méditerranéenne, cf. V. Velkov, Die thrakische und dakische Stadt in der Spätantike (4.-6. Jh.), Sofia, 1959, p. 83 (rés. allemand). Discussion détaillée des limites de la province de Dardanie dans F. Papazoglu, Srednjobalkanska plemena u predrimsko doba, Sarajevo 1969, p. 143-161.

3 Proc. De aed., IV 4 (éd. Loeb, p. 261-264). Cf. Dj. Stricevic, Uvod u ispitivanje unutrasnjosti romejskog limesa u Iliriku, Limes u Jugoslaviji, 1,

le, 1961, p. 179.

Page 32: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 475

ce castellum 1. Or, c'est précisément dans ce coin-là, où le fleuve devient plus docile, non loin de la route du Timacus, qu'on cherche le point de départ de la diffusion des « fibules à masque humain » vers l'intérieur de l'Illyricum et la Grèce 2. En tête se trouvent plusieurs exemplaires de la région de Kladovo (Pontes-Zanes-Caput Bovis) (Pig. 2/1) 3, auxquels s'ajoutent, en allant vers le sud, les fibules de Caricin Grad (Fig. 2/2-3), sur lesquelles nous reviendrons, de la Macédoine yougoslave, de la Thes- salie et du Péloponnèse. Ces fibules, si elles n'apportent pas beaucoup de clarté sur la chronologie des invasions et si elles ne sont pas nécessairement toutes contemporaines, ni même slaves, n'en sont pas moins un témoignage intéressant sur une des voies principales de dispersion dans les Balkans des éléments étrangers à la civilisation byzantine.

Après la fin des hostilités en 587, l'activité des troupes impériales sera pendant plusieurs années dirigée contre les Slaves du bas Danube. Le limes d'Illyricum ne redeviendra champ de bataille qu'au moment d'un nouveau siège avare, manqué cette fois-ci, de la ville de Singidunum. Le khagan se rendit alors à Sirmium, traversa la Save et parvint en cinq jours, par la Mésie Première et la Dacie Eipuaire, jusqu'à Bononia. De là il arriva jusqu'à Périnthe, en province d'Europe, et ne quitta le sud thrace qu'en fin d'automne 4. L'événement se place deux ans après la paix conclue avec les Perses au printemps de 591. Mais c'est justement la reprise des guerres contre les Slaves et les Avars qui pose un sérieux problème chronologique. Si on élimine une opinion excessive plaçant le début des hostilités en 595 5, les dates de 591 6 et de 592 7 restent les seules

1 M. Ljubinkovic, op. cit., p. 46. L'inscription a été publiée et interprétée par P. Petrovic, op. cit., p. 83-89, flg. 1 et PI. I: Imp(erator) Caesar Divi Nervae f(ilius)/Nerva Traianus Aug(ustus) Oerm(anicus)fpont(ifex) max(imus) trib(u- nicia) pot (estate) V p(ater) p(atriae) co(n)s(ul) IlIIfob periculum cataractarum/ derivato flumine tutam Da/nuvi navigationem fecit. L'inscription est datée de 101.

2 M. Ljubinkovic op. cit., p. 47. 3 J. Werner, op. cit., p. 151, N° 6c, flg. 2, exemplaire de Velesnica près

de Kladovo. De la Serbie du nord provient un exemplaire dont le lieu de trouvaille n'est pas déterminé, ibid., p. 151, N° 2, PI. 27, 2. De Kladovo provient le fragment d'une troisième fibule, J. Kovacevic, Varvarska kolonizacija juzno- slovenskih oblasti, Novi Sad 1960, p. 17, flg. 8. Un quatrième exemplaire, de la même région, est au Musée de Negotin.

4 Théoph. Simokatta, Hist., VI 3 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 317-321). 5 G. Labuda, Chronologie des guerres de Byzance contre les Avars et

les Slaves à la fin du VIe siècle, Byzantinoslavica, 11, 1950, p. 167-173. Point de vue réfuté par B. Grafenauer, Zgodovinski öasopis, 4, 1950, p. 62-64.

6 L. Hauptmann, Les rapports des Byzantins avec les Slaves et les Avars pendant la seconde moitié du VIe siècle, dans Byzantion, 4, 1927/8, p. 161, 167.

7 B. Grafenauer, Zgodovinski öasopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 65-67. Chro-

Page 33: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

476 VLADISLAV POPOVIC

probables. Par conséquent le siège de Singidunum et l'incursion avare en Thrace se situerait soit en 592, soit en 593. Or, un argument d'ordre numismatique nous fournit ici un repère important, sinon même un argument décisif, pour la solution du problème tellement controversé de la chronologie de Théophy lacté Simokatta. Le monnayage de bronze de l'atelier de Constantinople s'était poursuivi à une allure régulière jusqu'aux émissions de la douzième année du règne de Maurice Tibère, comprenant la période d'août 593-août 594. Pour cette année nous ne disposons que d'un seul follis de l'officine A 1, tandis que pas un àemi-follÌ8 n'a été reconnu jusqu'ici. Par contre, les émissions précédant ou suivant immédiatement la douzième année du règne de Maurice Tibère sont relativement abondantes, avec les cinq officines presque au complet 2. Notre tableau de répartition des monnaies montre que le rayonnement de l'atelier était en 593/4 tombé pratiquement à zéro. A l'exception de 598/9, l'atelier de Constantinople n'a jamais connu pareil déclin. Celui-ci coïncide avec la présence avare dans le sud thrace pendant la seconde moitié de 593. En conséquence, du moment qu'on place l'expédition avare en 593 et non en 592, on se voit obligé de dater en 596 la seconde bataille de Singidunum et vraisemblablement en 597 l'invasion en Dalmatie 3.

D'une signification tout à fait particulière pour notre sujet sont les combats menés en 596 autour de Singidunum 4. Au printemps de cette année, le stratège Priscus s'achemina avec l'armée de Thrace vers 1Ί1- lyricum, traversa le Danube et, après quatre jours de marche, arriva à Novae Supérieures — vraisemblablement le castellum de Cezava sur la rive droite du fleuve 5. On ne sait pas exactement où se fit la traversée du Danube. Toutefois, si on tient compte des difficultés du parcours,

nologie adoptée par F. Barisic et M. Markovic dans Fontes Jug., I, 1955. Comp. aussi le point de vue de P. Lemerle, Bev. hist., 211, 1954, p. 290-292 et notes.

1 DOC, I, p. 308, N° 35. 2 On peut ajouter aujourd'hui au DOC, I, l'officine Β pour les folles de

l'année 590/1 (G. E. Bates, op. cit., p. 69, N° 560) et l'officine Δ pour 592/3 (Ibid., N° 563).

3 Comme l'a fait B. Grafenauer, Zgodovinski Casopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 66.

4 Théoph. Simokatta, Hist., VII 7; 10-12 (Fontes Buia., Il, 1958, p. 337- 338; 341-344).

5 Fontes Iug., I, 1955, p. 120, n. 67: Novae ne pouvait se trouver sur la rive gauche du fleuve. Le qualificatif « Supérieures » est ajouté pour marquer la différence avec le site de Novae en Mésie Seconde. L'identification de Novae avec le grand eastellum de Cezava est pratiquement certaine.

Page 34: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 477

l'armée romaine, pour arriver en quatre jours jusqu'à Novae, avait dû traverser le fleuve quelque part dans le secteur d'Aqui-Pontes. Le khagan envoya alors une légation au stratège, lui faisant savoir qu'il se trouvait en territoire avare et que, selon les lois de la guerre, ce territoire n'appartenait plus aux Romains 1. La même source nous apprend que les Avars avaient détruit les remparts de Singidunum et que le khagan avait établi ses quartiers à Constantiola — sans doute un autre castellum de la rive droite 2. C'est là, au cours de son entrevue avec le stratège, que le khagan dira: « L'Istros vous est étranger, ses vagues sont votre ennemi. Nous l'avons vaincu par les armes. Avec la lance nous le domptâmes » 3. L'allusion est claire. Le limes romain ne compte plus. Pour les Avars, le Danube ne représente plus la frontière. Le khagan ne fait que reprendre l'argument avancé en automne 594, après les opérations avares de 593 en Thrace, alors que Priscus et ses troupes parvenaient à Durostorum 4. D'ailleurs, on a déjà remarqué qu'après l'invasion de 593 les Avars circulent librement entre le Danube et le Balkan 5. Quelque temps après, l'histoire thrace se répète en Illyricum. C'est donc dans ce contexte que se situe l'expédition de Priscus en Mésie Première et ses altercations avec le khagan. Les sources écrites ne laissent pas préciser le moment où le khagan s'empara de la zone limitrophe de l'Illyricum. Lors de leur invasion en 593, les Avars ne firent que traverser la Mésie Première et la Dacie Eipuaire, pour séjourner plus longuement en Thrace et finalement rentrer chez eux au terme de l'année. On peut concevoir sans trop de risques que l'intervention de Priscus au printemps 596 avait été provoquée par les opérations avares menées le long du limes illyrien. Par conséquent, le fait d'armes qui, selon les paroles du khagan, fit du Danube une rivière avare, doit se situer quelque part entre le retour des Avars de la Thrace en fin d'année 593 et les événements de printemps 596. A partir de cette date, l'ancien limes perdait sa fonction au profit de l'arrière-pays ou de ce qu'on appelle le « limes intérieur ». Notons qu'une récente tentative d'interprétation du texte de Théophane le Confesseur laisse entendre qu'en mars 599 le khagan ne s'attaqua pas à la Mésie du diocèse thrace et à la ville pontique de Tomis, comme on le croyait jusqu'à

1 Théoph. Simokatta, Hist,, VII 7 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 337-338). 2 Ibid., VII 10 (p. 341). 3 Ibid. : ξένος ό "Ιστρος ύμΐν, το po&tov τούτου πολέμιον. δπλοις έκτησάμηθα τοϋτον '

τω δόρατι τοϋτον έδουλωσάμεθα. 4 Ibid., VI 6 (ρ. 321). Comp. aussi les événements décrits dans VII 2 sqq.

(p. 331 sqq.). 5 Β. Grafenauer, Zgodovinshi öasopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 67-71.

Page 35: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

478 VLADISLAV POPOVIC

présent, mais qu'il envahit la Mésie Première et essaya de prendre Toméa en Dacie Méditerranéenne 1. Cette dernière ne serait autre que le castel- lum de Tomes, mentionné par Procope (De aed., IV 4) dans la région de Remesiana ou la Tomitana urbs de Paulin de Noie, importante station intermédiaire sur le chemin menant de Scupi en Dardanie à Remesiana 2. A l'appui de cette thèse suggestive irait le fait que l'attaque avare eut lieu lors des opérations de Singidunum, ce qui laisserait croire que l'intention du khagan était de couper la retraite à l'ennemi. En gros, l'événement rappelle l'intervention du stratège Pierre en 601. Comme il a été déjà dit, le stratège ne s'était pas rendu de Palatiola près d'Oescus dans la région du limes des Portes de Fer, mais en Dardanie, ou plus vraisemblablement en Dacie Méditerranéenne habitée par les Darda- niens, d'où il descendra le Timacus pour parvenir jusqu'aux Cataractes. L'intention avare de s'emparer des Cataractes ne veut nullement dire que la défense du limes était rétablie en 601. Il s'agit là d'un litige territorial, à la suite de la restauration de la frontière danubienne en 600 3. Mais cela ne veut pas non plus dire que l'empire ne gardait pas des points d'appui sur le Danube, telles les grandes cités fortifiées et peut-être aussi quelques castella occupés de façon plus ou moins permanente.

Les résultats des fouilles archéologiques de large envergure, menées ces dernières années dans la région des Portes de Fer (Fig. 4), sont susceptibles de contribuer à une meilleure connaissance de la frontière de l'Illyricum byzantin et de résoudre quelques-uns des problèmes historiques posés 4. La rénovation justinienne des forteresses danubiennes se limitait pour la plupart à l'adoption du plan et des dimensions des anciens castella romains, tout en leur ajoutant de spacieuses tours circulaires, dont chacune pouvait tenir place de véritable fortin indépendant. Ce qui frappe à première vue, c'est l'absence, à quelques exceptions près, d'une architecture solide à l'intérieur des forteresses. Une place exceptionnelle est réservée à l'église, avec ou sans cuve baptismale, telle qu'elle se présente dans les castella bien explorés de Taliatae (Donji Milanovac), Novae (Cezava), Cantabaza (Saldum), Smorna (Boljetin) (Fig. 5) et Hajducka Vodenica. Les premiers rapports de fouilles mentionnent parfois l'exis-

1 Grh. Stefan, Tomis et Toméa, dans Dacia, 11, Bucarest, 1967, p. 253- 258. Il s'agit du passage de la Chron., p. 278 (éd. Bonn).

2 Ibid., p. 256-257. 3 Théoph. Simokatta, Hist., VII 15 {Fontes Buia., Il, 1958, p. 348). 4 Les résultats de ces fouilles, dirigées par l'Institut archéologique de

Belgrade, ne sont que très sommairement connus. Pour l'instant la seule publication en langue étrangère: Anciennes cultures du Djerdap, Belgrade, 1969.

Page 36: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 479

Fig. 4 - Principales cités et forteresses antiques en Serbie.

tence de deux couches byzantines 1. Dans pratiquement tous les castella, l'espace intérieur est marqué par la présence de rangées de pierres déli-

1 V. Trbuhovic, Arheoloski Pregled, 8, Belgrade 1966, p. 79 (Taliatae) et P. Petrovic, ibid., 9, 1967, p. 76-77; 10, 1968, p. 106-107 (Cantabaza).

Page 37: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

480 VLADISLAV POPOVIC

mitant des constructions légères, peut-être des tentes ou des huttes *, et de vestiges de cabanes en pisé avec sols en argile tassée 2. A Hajducka Vodenica l'occupation byzantine tardive est surtout bien illustrée le long des remparts, où l'on a retrouvé des restes de cabanes en bois, des foyers dallés et un four de destination inconnue 3. Un autre four (de potier?) de la même époque provient de Taliatae 4. L'activité des habitants se révèle par les outils variés en fer et par la découverte de deux

L J ο

4

15 m.

Fig. 5 - Plan du «castellum» byzantin de Boljetin (Smorna): a) Eglise avec cuve baptismale; b) Espace réservé pour les tentes;

c) Maisons en pisé.

1 V. Trbuhovic, ibid., 8, 1966, p. 79 (Taliatae); N. Petrovic, ibid., p. 93 et N. Petrovic-Lj . Zotovic, ibid., 9, 1967, p. 70 (Smorna).

2 N. Petrovic-Lj. Zotovic, ibid. (Smorna); P. Petrovic, ibid., 11, 1969, p. 148 (Cantabaza); V. Kondic, ibid., p. 142-144 (Ad Scrofulas!).

3 N. Petrovic, ibid., 11, 1969, p. 99. 4 V. Trbuhovic, ibid., 8, 1966, p. 79.

Page 38: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 481

fig. 6 - céramique du limes des portes de fer: 1-3. pots faits à la mainj 4-6. Pots faits au tour lent. (Sans échelle).

pithos enfoncés dans le sol auprès d'une cabane à Smorna 5. L'ensemble de ces trouvailles reflète plus un milieu rural que militaire et on se demandera en quoi consistait vraiment ce limes byzantin, surtout à l'époque de Maurice Tibère. L'existence d'églises, parfois munies d'un

5 Lj. Zotovic, ibid., 10, 1968, p. 80.

MEFRA 1975, 1. 31

Page 39: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

482 VLADISLAV POPOVIC

baptistère, témoigne aussi en faveur de communautés permanentes, de véritables villages fortifiés ou d'endroits de refuge de la population rurale avoisinante. Certes, de temps à autre, surtout au moment des grandes opérations militaires, ces castella devaient abriter la troupe des corps mobiles. Les vestiges d'habitations légères et provisoires (tentes?) et l'espace libre qui leur était réservé, comme par exemple à Smorna (Fig. 5), illustrent peut-être cette double fonction des castella danubiens. De son côté, la poterie byzantine, surtout celle trouvée auprès des remparts et dans les tours, révèle une production céramique déjà fortement dégradée. Elle comprend, entre autres, des pots grossiers faits au tour lent ou à la main (Fig. 6), rappelant à bien des égards la céramique « slave » et les vases de la civilisation mixte, autochtone-slave, d'Ipotesti en Boumanie, sur la rive gauche du Danube *. Il est certain qu'au moins quelques-unes de ces forteresses connurent une fin violente 2. Cependant, les auteurs des fouilles signalent des traces de la population « slave », ou peut-être de ce qui restait encore des anciens occupants, établie à l'extérieur des remparts après la destruction des castella 3. Tout compte fait, il ne s'agit pour l'instant que d'impressions encore trop générales et dont les lacunes ne pourront être comblées qu'après la publication de rapports beaucoup plus détaillés.

Les monnaies byzantines découvertes dans les castella des Portes de Fer fournissent des renseignements de premier ordre sur la date de l'écroulement du limes danubien. Ainsi, la dernière monnaie déterminée à Cantabaza (Saldum) est un follis de l'atelier de Constantinople, frappé en 592/3 (Fig. 7) 4. De la même année est un follis d'Antioche trouvé à

1 Sur ce sujet, l'article de Dj. Jankovic dans Balcanoslavica, 3, Belgrade, 1973 (à paraître). Le premier à avoir attiré l'attention sur cette poterie « slave » dans les castella des Portes de Fer est Dj. Boskovic, Archeologia Polski, XVI, p. 337-346.

2 Traces de conflagration: D. Pribakovic-D. Piletic, Arheoloski Pregled, 8, 1966, p. 106 (Novae); P. Petrovic, ibid., 10, 1968, p. 106-107 (Cantabaza): V. Kondic, ibid., 11, 1969, p. 143-144 (Ad Scrofulas?).

3 V. Kondic, ibid.; même cas à Maio Grolubinje, selon l'information de M. Lj. Popovic. Les vestiges archéologiques d'une occupation avare du limes sont assez discutables. En fait, pas plus de quatre objets (boucles d'oreille) peuvent être mis en rapport avec les Avars: D. Minic, Srednjovekovna nalazista na podrucju Djerdapa, dans Materijali, 6, Belgrade, 1971, p. 54-56 (Eam, Ko- etolac et Donji Milanovac).

4 Nous devons l'information à M. P. Petrovic: Inv. 92/1970 (DOC, I, p. 307, N° 34a).

Page 40: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

Illustration non autorisée à la diffusion

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 483

Smorna (Boljetin) (Fig. 8) 1. Mais c'est surtout deux trésors de monnaies, l'un de Taliatae, l'autre de Bosman (Ad Scrofulas?), qui jettent une lumière décisive sur la chronologie de la disparition des castella danubiens. Le premier est de composition disparate, comprenant des monnaies d'A- nastase (6), Justin Ier (7), Justinien Ier (29), Justin II (62), Tibère II Constantin (1) et Maurice Tibère (2). Tous les ateliers sont bien représentés. Le trésor reflète assez bien la circulation monétaire dans la région au moment de son enfouissement et ne pourrait pas s'expliquer par une présence militaire. La dernière monnaie en date est un follis de l'atelier

Fig. 7 - «Follis» de Saldum (Cantabaza).

Fig. 8 - « Follis » de Boljetin (Smorna).

de Constantinople, frappé en 594/5 (Fig. 9) 2. Le trésor de Bosman est nettement plus homogène: Justin II (7), Tibère II Constantin (2), Maurice Tibère (8). Comme dans le cas du trésor plus ancien de Veliko Orasje, les ateliers représentés sont tous de l'est de l'empire: Constantinople (12), Mcomédie (3), Antioche (2). Il est surtout caractéristique que pas une des sept monnaies de Justin II n'a été émise à Thessalonique, dont l'a-

1 Nous devons l'information à Mme Lj. Zotovic: Inv. 201/1966 {DOC, I, p. 341-342, N° 163 b.2-4).

2 DOC, I, p. 308, N° 36a. Cf. D. Minic, The Hoard from Taliatae, Sirmium, 6, Belgrade 1975 (sous presse), Cat. N° 107.

Page 41: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

Illustration non autorisée à la diffusion

Illustration non autorisée à la diffusion

484 VLADISLAV POPOVIO

teuer est relativement bien représenté dans le trésor de Taliatae. Le plus récent exemplaire du trésor de Bosman est un follis de l'atelier de Constantinople, frappé en 595/6 (Fig. IO)1. La composition du trésor montre qu'il s'agit sans aucun doute de monnaies provenant de la solde d'un militaire. Les couches de cendres témoignent de la fin violente du castel- lum de Bosman et c'est d'ailleurs dans une cabane incendiée que le trésor fut mis au jour 2. La date de la conflagration est confirmée par la trouvaille individuelle d'un demi-follis frappé en 595/6, cette fois-ci à Thes- salonique (Fig. 11) 3. Les deux trésors révèlent non seulement les diffé-

Fig. 9 - «Follis» de Donji Milanovac (Taliatae).

Fig. 10 - «Follis» de Bosman (Ad Scrofulas?).

Fig. 11 - Demi-« follis » de Bosman (Ad Scrofulas?).

1 DOC, I, p. 308, N° 37 b. Cf. V. Kondic, The Hoard from Bosnian, 8ir- mium, 6, Belgrade, 1975 (sous presse), Cat. N° 17.

2 V. Kondic, ArheolosU Pregled, 11, 1969, p. 143-144. Des traces de feu ont été constatées sur les monnaies du trésor.

3 Nous devons l'information à M. V. Kondic: Inv. 123/1969. Variante reconnue à Sardes, cf. note 1, p. 463.

Page 42: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS AKCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 485

rences entre les occupants des castella au moment de leur destruction, mais montrent aussi que cet événement s'était produit après l'invasion avare de la Thrace en 593, vraisemblablement pendant les combats de printemps-été 596 ou un peu avant (août 595-août 596). Les exemplaires de 592/3 trouvés à Cantabaza et à Smorna ne donnent qu'un terminus post quem pour leur destruction ou leur abandon et il n'y a aucune raison de dissocier leur sort des deux castella précédents. Cette conclusion est d'autant plus raisonnable si on tient compte de la très faible activité de l'atelier de Constantinople en 593/4 et du fait que les dernières monnaies du limes des Portes de Fer ont été trouvées dans un trésor et sur un site où la présence de troupes mobiles est probable.

Il a été déjà dit que dans l'ensemble de l'Illyricum byzantin la circulation des monnaies de l'atelier de Thessalonique, pendant le règne de Maurice Tibère, avait diminué au profit des ateliers de l'est, surtout de Constantinople. Cependant, les monnaies des trésors mises à part, on remarque dans les villes de la Dacie Méditerranéenne (ïfaissus et Caricin Grad), entre 588 et 596, une concentration des émissions de Thessalonique supérieure à celle des ateliers de l'est 1. Ce phénomène s'explique tant par les liens plus étroits entre Thessalonique et l'intérieur de l'ancien diocèse dacique, que par la présence répétée de l'armée de Thrace dans la zone danubienne. D'un intérêt tout à fait particulier pour le problème est un groupe de 14 monnaies (trésor?) de Caricin Grad, conservé au Musée National de Belgrade 2. Justin II est représenté par 6 monnaies (2 de Thessalonique, 4 de Mcomédie), Maurice Tibère par 8 monnaies (5 de Thessalonique, 3 de Constantinople). Sur ces cinq dernières monnaies de Thessalonique, quatre sont des demi- folles de l'émission déjà rencontrée à Bosman (Fig. 11), frappées en 595/6. Une sixième monnaie de la même émission a été trouvée dans une tombe de Naissus 3. D'une part,

1 Pour la période de 588-596, ce rapport est 6 (Thessalonique) contre 4 (ateliers de l'est) dans les deux villes, et 1 (Thessalonique) contre 5 (ateliers de l'est) sur le limes.

2 Toutes les monnaies portent le numéro d'inventaire 59. A ce petit lot a été ajouté un demi-follis de Phocas, sans date précise, très probablement étranger au groupe. Il pourrait s'agir du trésor signalé par Dj. Mano-Zisi dans Sfarinar, 3/4, Belgrade 1952/3, p. 160, trouvé dans un pot «slave », consistant de 10 folles et de 7 demi-/oZïes de Justin II et de Maurice Tibère. La difficulté d'identifier les deux repose dans le fait que le groupe Inv. num. 59 consiste en seulement 5 folles et de 9 demi-folles. Cependant, il faut préciser que le nettoyage des monnaies est de date récente.

3 Musée de Nia, Inv. num. 35, nécropole de Jagodin Mala.

Page 43: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

486 VLADISLAV POPOVIC

elles révèlent ensemble l'importance pour Thessalonique, au moment de la bataille du limes, de cette défense intérieure barrant la route du sud et, d'autre part, à condition qu'il s'agisse vraiment d'un petit trésor, toute la portée de l'opération avare. A partir de 595/6 pas une monnaie n'a été enregistrée sur le limes de l'Illyricum byzantin. De son côté, l'alimentation monétaire se poursuivra dans les grandes villes, après avoir connu un déclin, sinon même une interruption, entre 597/8 et 601/2. Elle reprendra à nouveau son cours normal, quoique assez modeste, au temps de Phocas. Sur le Danube, l'empire gardera des points d'appui, en premier lieu à Singidunum et à Viminacium 1.

En 597 le khagan brisa la défense à l'intérieur de la province dalmate: « Le dixième jour (après la rupture de la paix), le barbare, ayant réuni son armée, dirigea une attaque vers le Golf Ionien (Mer Adriatique). Dans cette contrée se trouve le pays de Dalmatie. Ayant fait le nombre nécessaire d'étapes, le barbare arriva au lieu dit Vonke et, après avoir pris la cité à l'aide de machines de guerre, il détruisit quarante forteresses » 2. Théophane précise que les Avars, à la suite de quelques mésaventures, rentrèrent chez eux 3. D'autant plus intéressante est la lettre du pape Grégoire, envoyée en juillet 600 à Maxime, archevêque de Sa- lonae, en réponse aux lettres apportées par Veteranus. On y trouve les paroles suivantes: Et quidem de Sclavorum gente, quae vobis valde imminet, affliger vehementer et turbor4. La lettre pontificale est envoyée plus de deux ans après l'invasion avare, ce qui laisse supposer la présence des Slaves sur le territoire de la Dalmatie de Salonae après la retraite des Avars 5. La destruction du système de défense d'au moins une partie de

1 Théoph. Simokatta, Hist., VIII 3 (Fontes Jug., I, 1955, p. 123) mentionne les deux au cours des opérations menées autour de 600.

2 Ibid., VII 11-12 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 343): δεκάτη δέ ήμερα, και τας περί αυτόν δυνάμεις συναθροίσας ό βάρβαρος επί τον Ίόνιον κόλπον στρατεύει την σάλπιγγα. 12. περί τούτους τους τόπους ή Δελματία χώρα κα&έστηκεν. τοίνυν ικανούς χάρακας ό βάρβαρος ποιησάμενος εις τας λεγομένας Βογκείς έχώρησεν, καί δή παραστη- σάμενος τήν πόλιν τοις μηχανήμασι τεσσαράκοντα έξεπόρθησε φρούρια, ό δέ στρατηγός τούτων διακηκοώς των δεινών δισχιλίοις μαχίμοις οπλίζει τον Γουδοϋϊν επί κατασκοπη τε τών πραττομένων τούτον έξέπεμπεν. On ne sait pas au juste où se trouvait la ville de Vonke. Peut-être sur la voie Sirmium-Salonae, sinon sur une autre route plus occidentale.

3 Ghron., p. 277, 19-278, 2, éd. de Boor (Fontes Bulg., III, 1960, p. 252). 4 C. Jirecek, Die Romanen in den Städten Dalmatiens während des Mitt

elalters (Denkschr. d. Kais. Akad. d. Wiss., Phil. -hist. Cl., Band 49), Wien, 1904, p. 25.

5 Β. Grafenauer, Zgodovinski öasopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 71, met en rapport la lettre avec l'invasion de 597, tout en ajoutant que Théophylacte

Page 44: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 487

la Dalmatie continentale et la lettre pontificale qui la suit, représentent des indices suggestifs sur les débuts de la slavisation de l'IUyricum occidental. La correspondance du pape Grégoire nous fait savoir aussi que les grandes villes du littoral ne furent pas directement affligées par l'invasion de 597. Il faudra attendre presque vingt ans le coup de grâce que les Avars et les Slaves porteront aux cités dalmates. En s'appuyant sur l'épitaphe de Jeanne l'Abbesse, réfugiée de Sirmium, morte à Salo- nae x, on avait pu jusqu'à présent fixer en 612 le terminus post quern de la prise de la ville par les Avars et les Slaves. A défaut de renseignements

Fig. 12 - «FOLLIS» DES ENVIRONS DE PrOZOR.

numismatiques disponibles provenant de Salonae, mentionnons quelques exemplaires dalmates conservés au Musée Régional de Sarajevo 2. La plus récente pièce de l'intérieur de la province de Dalmatie est un follis, trouvé dans la région de Prozor, émis à Constantinople en 594/5 (Fig. 12) 3. De Narona (Vid), grande cité du littoral, proviennent deux monnaies plus tardives. L'une est un pentanummium de l'époque de Phocas ou d'Héraclius, frappé à Carthage ou à Catania 4. L'autre, déterminée avec

Simokatta n'a pas poursuivi jusqu'au bout le récit de l'événement. De toute façon, vu que l'attaque contre Tomis (ou Toméa) en automne 599 est précédée par une période de paix de dix-huit mois (Hist., VII 12), l'invasion en Dalmatie n'avait pu se prolonger bien au-delà de l'année 597.

1 CIL, III, 9551: Hic quiescit in pace/sanct(a) abtissajlohnna (sic) Ser- menses qui bixit ann{i8)jdie vénères exiit de corpore/IIII idus matas indictione qu{in)jta decim(a). Cependant, voir la note additionnelle de C. Jirecek, op. cit., p. 102. La leçon quinta n'est pas tout à fait sûre. La restitution indictione quarta placerait ce vendredi 12 mai en 506 ou en 551. Les deux dates sont historiquement moins vraisemblables que la première.

2 Nous devons ces renseignements et les photos des monnaies à la bienveillance de M. G. Kraljevic, conservateur au Musée Régional de Sarajevo.

3 Inv. num. 4084 (DOC, I, p. 308, N° 36 b). 4 Inv. num. 12048: DOC, II, p. 200, N° 128 (Catania, 602/10); ibid., p. 351,

X° 239 (Carthage, 610/41); ibid., p. 361, N° 260 (Catania, 610/23).

Page 45: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

488 VLADISLAV POPOVIÓ

précision, est un foïlis d'Héraclius, sorti de l'atelier de Constantinople en 613/4 (Fig. 13) 1. Constantin le Porphyrogénète rapporte par deux fois la tradition salonitaine sur la prise de la cité par les Avars ou Slaves autour de Pâques 2. La même source nous apprend que la chute de Sa- lonae fût suivie par l'installation de ces mêmes Avars ou Slaves en Dal- matie. Etant donné que Narona n'est pas au nombre des villes qui survécurent à la catastrophe, il est plausible de croire que sa prise eut lieu au même moment ou très peu de temps après la chute de Salonae. Or, si d'une part on tient compte que l'année du règne d'Héraclius commen-

Fig. 13 - «Follis» de Vid (Nakona).

çait en octobre et, d'autre part, si on ajoute foi à la chronologie de Constantin sur l'arrivée des barbares vers Pâques, la présence du follis à Narona reporterait le terminus post quern de l'invasion, ou tout au moins de la prise de cette ville, au plus tôt en 614. Nous obtenons ainsi un nouvel indice sur la destruction des cités dalmates vers 614/5 3.

Au lendemain des événements de 596/7, les parties centrales de l'Illyricum byzantin restaient les moins touchées par les dévastations ennemies. En 578-584 les Slaves, à partir de 586 les Avars et les Slaves, avaient ravagé la Macédoine et la Prévalitaine, pour s'y établir peut- être de façon permanente. Les assauts avars de 584-586 s'abattaient sur le limes illyrien et il semble que des villes et des bourgs fortifiés, tant

1 Inv. num. 11245 (DOC, II, p. 283, N° 79 c.2-3). Surfrappe d'une ancienne monnaie d'Antioche.

2 De adm imp. (éd. Gy. Moravcsik-K. J. H. Jenkins, Washington 1967, p. 122-125 et p. 138-143), 29, 14-53, où il est question d'Avars ou Slaves, et 30, 6-61, où Constantin parle tantôt de Slaves, tantôt d'Avars. Cf. B. Ferjancic, Fontes Jug., II, 1959, p. 10-12 et p. 28-29.

3 B. Grafenauer, Zgodovinslci Öasopis, 4, Ljubljana 1950, p. 76, après 612 et pas plus tard que 615. Sur les différentes opinions, B. Ferjancic, op. cit., p. 11-12 et n. 11.

Page 46: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 489

dans l'est de l'Illyricum qu'en Macédoine Seconde, ne se relevèrent plus jamais. En 596, la désagrégation de la défense danubienne de l'Illyricum est pratiquement achevée. En 597, le continent dalmate est envahi, les fortifications rasées, l'établissement des Slaves y a peut-être lieu. Ce qui reste de l'empire dans les parties septentrionales de la péninsule balkanique ne consiste plus qu'en lambeaux parsemés sur le littoral dalmate et pontique, et en grandes villes à l'intérieur, surtout en Dacie Méditerranéenne et en Dardanie. Le problème de la prise des villes byzantines en Illyricum central et la colonisation des Slaves qu'on y rattache, a été ces derniers temps l'objet de recherches historiques intensives 1. Le concept traditionnel sur l'établissement massif des Slaves à l'époque de Phocas 2, ou plus exactement à partir de 604, au moment du transfert de l'armée d'Europe en Orient, a été mis en doute 3. Selon cette thèse nouvelle, l'information de Théophane sur les dévastations avares en Europe et l'anéantissement de l'armée byzantine, corroborée par Jean de Mkiou, ne se situerait pas sous Phocas, en 609/10, mais plus probablement dans les premières années du règne d'Héraclius. Plus proches de la réalité historique seraient les témoignages divers attestant, en 611/2, les destructions et les pillages avares et slaves en Istrie, en Dalmatie, en Illyricum, en Macédoine, en Hellade et en Thrace. Les ravages ne se limitèrent certes pas aux années 611/2, car on apprend d'Isidore de Seville que les Slaves occupent la Grèce dans la cinquième année de règne d'Héraclius (614/5), ou pendant la quatrième année (613/4) selon une chronique occidentale anonyme et indépendante d'Isidore. Quoique en termes imprécis, Jean de Mkiou nous donne une bonne idée de la catastrophe qu'il place en 609 4: « On rapporte, au sujet de l'empire

1 L'opinion sur une installation massive des Slaves dans les Balkans pendant le règne de Phocas, alors que la frontière danubienne n'était plus défendue, a été soutenue, ou l'est encore, par les meilleures autorités en matière d'histoire byzantine, comme par ex.: G. Ostrogorsky, Geschichte des Byzantinischen Staates, 2e éd., München 1952, p. 70-71; P. Lemerle, Bev. hist., 211, 1954, p. 292; I. Nestor, Bévue des Etudes Sud-Est Européennes, 1, 1963, p. 63-65; B. Ferjan- cic, Vizantija i Juzni Sloveni, Belgrade, 1966, p. 20; B. Grrafenauer, Zgodovinski öasopis, 4. Ljubljana 1950, p. 74, 83, et d'autres encore.

2 L'étude approfondie des sources écrites relatives à la destruction des villes illyriennes a été surtout poursuivie par F. Barisic, dans une série de travaux parus en Yougoslavie.

3 F. Barisic, Car Foka (602-610) i podunavski Avaro- Sloveni, dans ZBVI, 4, 1956, p. 73-88, et ailleurs.

4 Ibid., p. 81. C. Jirecek, op. cit., p. 26: Alwaricon (au lieu d'Lllyriens), comme dans la première édition de Zotenberg.

Page 47: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

490 VLADISLAV POPOVIC

romain, que les rois de ce temps avec les barbares des peuples étrangers et des Illyriens (= Alwaricon, Avares) ravageaient les villes des chrétiens et emmenaient les habitants captifs. Seule la ville de Thessalonique fut épargnée, car ses murs étaient solides et, grâce à la protection de Dieu, les peuples étrangers ne réussirent pas à s'en emparer; mais toute la province fut dépeuplée ». En 617, les Avars sont devant Constantinople et ce n'est qu'en 619/20 que les hostilités prendront fin. A l'exception des premières Sklavinies établies dans le sud, l'installation massive des Slaves dans les Balkans ne se serait pas produite sous Phocas, mais seulement à la suite de ce cataclysme au cours des premières années du règne d'Héraclius. Quand à Phocas, il aurait réussi a acheter la paix.

Il est hors de doute que les chapitres 1-2 et 5 des du second recueil des « Miracles de Saint Démétrius » se placent dans le même contexte historique 1. Il est d'abord (II, 1) question d'un groupe de Slaves qui pilla la Grèce et les îles, et ensuite, sous la direction d'un certain Hatzon, assiéga en vain Thessalonique. Cependant, mécontents du résultat de ce premier assaut, les Slaves macédoniens se tournèrent vers les Avars et leur demandèrent de les aider. Deux ans plus tard, le khagan arriva à la rescousse avec une grande armée composée de peuples variés. Cette fois non plus, le siège ne fut pas couronné de succès. L'auteur anonyme du second recueil énumère à deux reprises les provinces ravagées par les Slaves et les Avars et mentionne expressément les réfugiés parvenus de Sardica (Sofia) et de ïfaissus (Nis). Les historiens sont plus ou moins d'accord pour dater les deux sièges dans la seconde décennie du VIIe siècle. Celui de Hatzon suivrait de près les agressions slaves fixées en 614/5 par Isidore de Seville et vraisemblablement ne serait pas postérieur à 616. Comme le siège avaro-slave tombe deux ans plus tard, il aurait eu lieu vers 617/8. Les Byzantins ayant conclu la paix avec les Avars en 619, l'événement ne pourrait être postérieur à cette date. Tels sont, en de larges traits, les résultats des recherches historiques récentes 2.

Du point de vue archéologique, la détermination chronologique de la défaite byzantine finale dans l'Illyricum et du début de la colonisation slave massive, n'a été l'objet que de rares tentatives. Assez récemment, un premier effort méritoire a été fait pour rassembler les informations numismatiques disponibles sur la disparition de l'autorité impériale dans les Balkans 3. Selon les conclusions de ce travail, les cités de l'Illyricum

1 F. Barisic, Onda, Belgrade, 1953, p. 85-102. 2 Ibid., p. 97-98. 3 J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 57-83.

Page 48: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 491

byzantin ne seraient tombées aux mains des Avars et des Slaves que pendant la période initiale du règne d'Héraclius l, confirmant ainsi les résultats des recherches historiques esquissées plus haut. Cependant, tout en représentant, du point de vue de la méthode, un grand pas en avant, cette tentative d'interprétation archéologique s'appuyait sur des renseignements publiés très incomplets et trop souvent imprécis. Ainsi, sur deux prétendues monnaies d'Héraclius provenant de Caricin Grad, site présumé de Prima Iustiniana, l'une appartient indubitablement à Phocas 2, l'autre vraisemblablement aussi 3. Pour l'instant, les plus récentes monnaies de Caricin Grad ont été frappées sous Phocas, ou plus précisément en 606/7 4. Quant aux autres grandes cités byzantines de Serbie, les témoignages numismatiques font largement défaut 5. Le sou d'or d'Héraclius, provenant de Viminacium 6, est perforé et n'a en somme qu'une valeur chronologique très relative. Par conséquent, l'attribution à la période initiale du règne d'Héraclius de la chute des cités byzantines et de l'installation massive des Slaves dans l'IUyricum central, ne repose en réalité que sur l'interprétation des sources écrites.

Le second recueil des « Miracles de Saint Démétrius » nous offre en effet des renseignements extrêmement précieux. Comme il a été déjà noté, les Miracula, II, 2, 169 nous font savoir que les Slaves des environs de Thessalonique, après la défaite de Hatzon, demandèrent l'aide du khagan

1 J. Kovacevic, Materijali, 9, Belgrade, 1972, p. 68. 2 J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 72, à la base de la déter

mination erronée dans Sfarinar, n. s. 5/6, Belgrade 1954/5, p. 167. Il ne s'agit point de l'année XXXX, mais de la dénomination (40 nummia).

3 Le rapport de Dj. Mano-Zisi, Sfarinar, n. s. 17, Belgrade 1966 (fouilles de 1962-1965), p. 165, ne mentionne que des monnaies du VIe- VIIe siècles, sans détermination plus précise. Grâce à l'aimable autorisation de M. Dj. Mano- Zisi, auteur des fouilles de Caricin Grad, de Mme D. Gaj-Popovié, numismate du Musée National de Belgrade, et de Mme D. Kostic, conservateur du Musée de Leskovac, nous avons pu examiner les monnaies trouvées à Caricin Grad.

4 Monnaie datée en 605/6 par J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 72, d'après A. Deroko-S. Radojcic, Sfarinar, n.s. 1, Belgrade 1950, p. 133, fig. 34. Il s'agit d'un follis au Musée de Leskovac (sans N° d'inv.), frappé à Nicomédie (DOC, II, p. 178, N° 58 b.1-2). Un autre follis de la même collection (peut-être M. Grbic, Sfarinar, 1939, p. 110, N° 10) est sorti de l'atelier de Constantinople en 606/7 (DOC, II, p. 164, N° 29a).

5 J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo 1969, p. 73, en s'appuyant sur les données publiées, ne mentionne de Naissus aucune monnaie postérieure à Tibère II Constantin. Les plus récentes monnaies connues de Singidunum sont des sous d'or de Maurice Tibère, ibid., p. 65.

6 Ibid.

Page 49: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

492 VLADISLAV POPOVIC

avare, « pour que non plus cette seule (se. ville) ne soit plus dans leur milieu, car, tandis qu'ils (se. Slaves) ont dévasté toutes les villes et provinces qui lui (se. Thessalonique) sont subordonnées, elle est la seule, comme il a été dit, à rester entourée de leurs habitats, et en outre elle accepte tous les réfugiés du Danube, de la Pannonie, de la Dacie, de la Dardanie, et d'autres provinces et villes, aussi, et leur offre l'hospitalité » x. A la suite de cette requête, le khagan (II 2, 170) « réunit dans les régions sous son autorité toutes les tribus barbares et ensemble avec une masse innombrable de tous les Slaves, des Bulgares et beaucoup d'autres tribus, et à l'issue de la deuxième année les dirigea contre notre ville protégée par le martyr » 2. L'arrivée inattendue de la cavalerie avare non seulement surprit la population travaillant dans les champs, mais provoqua aussi une véritable panique dans la ville (II 2, 171): «Car d'autres (se. réfugiés) encore, parmi ceux venant de Naissus et de Serdica, ayant déjà subi leur (se. avare) siège de la ville, parlaient les larmes aux yeux: ayant fui de là, nous sommes venus ici pour mourir avec vous. Car un coup de leur pierre (se. lance-pierres) brisera le rempart » 3. Bevenant plus loin sur ces événements, l'auteur du recueil précise (II 5, 195): « Comme vous le savez, dans les précédents (se. chapitres) nous avons exposé au moins en partie ce qui se rapporte aux Slaves c.-à-d. Hatzon et les Avars et (se. nous avons dit) qu'ils dévastèrent l'Illyricum presque tout entier, c.-à-d. ses provinces, je pense les deux Pannonie, de même les deux Dacie, la Dardanie, la Mésie, la Prévalitaine, la Ehodope et toutes les autres, et encore la Thrace et la contrée auprès des Longs Murs, et d'autres villes et sites d'habitation, et (se. ils emmenèrent) toute la population dans la région danubienne envers la Pannonie, province dont jadis la métropole était la ville appelée Sirmium 4 ».

1 Fontes Bulg., III, 1960, p. 134: καί μή μόνον εις μέσον αυτών καθεστάναι, δι ότι τας ύπ' αυτήν πάσας πόλεις καί επαρχίας εξ αυτών άοικήτους γενέσθαι, ταύτην δέ μόνην, καθώς είρηται, έμμέσω αυτών ύπάρχειν, και αυτήν ύποδέχεσθαι πάντας τους άποφύγους τών έκ του Δανουβίου μερών, Πανονίας τε καί Δακίας καί Δαρδανίας, καί των λοιπών επαρχιών τε καί πόλεων, καί έν αύτη έπερείδεσθαι.

2 Ibid., ρ. 135: Προθύμως οδν ό λεχθείς τών Άβάρων χάγανος το αίτηθέν παρ' αυτών έκπληρώσαι σπουδάζων τα ένδότερον αύτοϋ πάντα βάρβαρα φύλα συναθροίσας, άμα τε τών πάντων Σκλαβίνων καί Βουλγάρων καί απείρων εθνών άναριθμήτω λαώ, παρετάξατο μετά διετή χρόνον τη μαρτυροφυλάκτω ταύτη ημών πάλει,

3 Ibid., ρ. Ι35:1τεροι δέ τών άπο Ναϊσσοΰ καί Σαρδικής υπαρχόντων, ώς πεΐραν της αυτών τειχομαχίας είληφότες μετά θρήνων Ιλεγον, ότι εκείθεν φυγόντες ένταϋθα ήκομεν μετ' υμών άπολέσθαι, μία γαρ τούτων λίθου βολή το τείχος, κατεάξει.

4 Ibid., ρ. 158-159: Ώς ϊστε, φιλόχριστοι, έν τοις προτέροις την τών Σκλαβίνων ήγουν του κληθέντος Χάτζονος καί τών Άβάρων καί έν μέρει Ικθεσιν έποιησάμεθα, καί δτιπερ

Page 50: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 493

On remarquera tout de suite que les Miracula, II, 1, 158, en parlant des dévastations slaves précédant le siège de Hatzon, mentionnent la Thessalie et ses îles, les îles helladiques et les Cyclades, l'Achaïe tout entière, l'Epire, une partie de l'Asie et une grande partie de l'Illyricum. Le contraste avec les Miracula, II, 2, 169 est évident. Dans leur requête au khagan, les Slaves tirent argument du fait que les fuyards de l'ancien diocèse dacique trouvent refuge à Thessalonique. Cela concerne les Avars. On voit donc délimités, en gros, d'une part le territoire ravagé par les Slaves, comprenant surtout le sud balkanique, de l'autre les provinces prises par les Avars. La liste est corroborée et complétée par les Miracula, II 5, 195, quoique la mention des deux Pannonie puisse être une interpolation tardive x. Au moment du siège avaro-slave des Miracula, II, 2, 171, les réfugiés des villes de Sardica et de Naissus sont expressément nommés 2. Or, puisqu'il est permis de croire que les deux passages, II, 2, 169 et II, 2, 171, font allusion au même événement, la chute des villes de Dacie Méditerranéenne serait antérieure au moins de deux ans au siège avaro-slave, à condition que l'intervention du khagan « à l'issue de la deuxième année » comprenne l'intervalle entre la requête slave et son expédition. Tout compte fait, en admettant la date de 617/8 pour le siège avaro-slave, nous n'obtenons que le terminus ante quern de 615/6 pour la prise de Naissus et de Sardica. Les dates récemment proposées « quelque part après 615 » 3 ou « autour de 615 » 4 ne découlent pas des Miracula, mais de l'interprétation de l'ensemble des sources disponibles, parmi lesquelles se trouvent aussi les textes controversés de Théophane et de Jean de Mkiou, plaçant dès 609/10 les désolations causées par les Avars en Europe. La question est d'autant plus délicate qu'Isidore de Seville et la Chronique anonyme, donc les deux uniques sources fixant

το Ίλλυρικον σχεδόν άπαν, ήγουν τας αύτοΰ επαρχίας, λέγω δη Παννονίας δύο, Δακίας ωσαύτως δύο (Δαρδανίαν, Μυσίαν, Πρέβαλιν, 'Ροδόπην και πάσας επαρχίας ε*τι καί Θρφκην, και τα προς Βυζάντιον μακρόν τείχος) καί λοιπας πόλεις τε καί πολιτείας έκπορθήσαντες, άπαντα τον αυτόν λαον εις τω Δανουβίω ποταμοί, ήστινος επαρχίας πάλαι μητρόπολις ύπηρχεν το λεχ-9-εν Σερμεΐον ·

1 V. Besevliev, Bandbemerkungen über die « Miracula Saneti Demetrii », dans Byzantina, 2, Thessalonique, 1970, p. 287-288.

2 Cette chronologie dépend surtout de la date de 615 que plusieurs auteurs proposent, avec raison croyons-nous, pour l'assaut slave de Hatzon. Voir cependant les réserves de A. Avenarius, op. cit., p. 20-21. B. Grafenauer, Zgodo- vinski öasopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 80-82, avance des arguments en faveur de 615 et de 617 comme dates des deux sièges consécutifs.

3 F. Barisic, Öuda, Belgrade, 1953, p. 98. 4 J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 73.

Page 51: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

494 VLADISLAV POPOVIC

les dévastations en 613/4 ou 614/5, ne parlent en fait que de Slaves. Bien entendu, si l'on accepte les corrections d'ordre chronologique apportées aux textes de Théophane et de Jean de Nikiou, la prise des villes daciques par les Avars se situerait probablement entre 611 et 616. De leur côté, les témoignages numismatiques ne dépassaient pas jusqu'à présent la cinquième année du règne de Phocas (606/7).

Dans la collection numismatique du Musée de Nis se trouvent plusieurs monnaies byzantines susceptibles de contribuer à l'élucidation du problème de la prise de Naissus par les Avars 1. La période de Phocas

Fig. 14 - «Follis» d'une tombe byzantine de NiS (Naissus).

est représentée dans l'enceinte de l'ancienne ville par deux follis, l'un frappé à Cyzique en 605/6, l'autre à Mcomédie en 606/7 2. Mais le plus important sans doute est un follis d'Héraclius (Fig. 14), trouvé en 1960 dans une sépulture byzantine à voûte 3. La pièce est sortie de l'atelier de Constantinople en janvier-octobre 613 et représente le premier, et jusqu'à présent l'unique, exemplaire en bronze du règne d'Héraclius trouvé dans un contexte archéologique en Serbie. Les légères traces d'usure montrent que la monnaie avait circulé pendant un certain temps. Un témoignage direct de la menace avare surgie aux portes de Naissus nous est fourni par trois sous d'or de la même collection (Fig. 15-17) 4. Les

1 Nous avons pu examiner les monnaies trouvées à Naissus et dans ses environs grâce à la bienveillance de Mme D. Jankovic, conservateur au Musée de NiS.

2 Inv. num. 197 et sans numéro (DOC, II, p. 182, N° 72 a. 1-3 et p. 178, N° 58 a-b).

3 Inv. num. 192, trouvé avec un outil de fer (DOC, II, p. 279, N° 76 a. 1-4). * Inv. num. 158 (Fig. 15), 171 (Fig. 16) (DOG, II, p. 246, N° 5 a-b, variante

de l'officine A, « light-weight solidi»). La monnaie Inv. num. 172 (Fig. 17) est exactement du même type, mais on voit les traces de la légende du revers sur le droit.

Page 52: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

Illustration non autorisée à la diffusion

Illustration non autorisée à la diffusion

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO -SLAVES 495

trois pièces sont d'un type identique, frappées à Constantinople en octobre 610-janvier 613, dans la même officine. Si on élimine les dommages subis par la mauvaise frappe de l'un des exemplaires (Inv. num. 172), il semble bien qu'aucune d'elles n'a circulé. En outre, deux des exemplaires (Inv. num. 158 et 171) révèlent l'emploi du même coin, tandis que la troisième pièce (Inv. num. 172) est tout à fait semblable aux deux précédentes. Bien qu'indépendamment acquises par le Musée de M§, il paraît que les trois sous d'or proviennent du même endroit (village de

Ψ

Fig. 15 - Sou d'or du Musée de Ni§ (Naissus), Inv. num. 158.

Fig. 16 - Sou d'or du Musée de Nia (Naissus), Inv. num. 172.

Fig. 17 - Sou d'or du Musée de Nia (Naissus), Inv. num. 171.

Gornja ou de Donja Vrezina, dans les environs de Ms). Il s'agirait vraisemblablement d'un groupe de monnaies ou d'un trésor aujourd'hui démembré, enfoui au plus tôt entre 610 et 613, sans doute à l'époque du danger avare, sinon même au moment du siège décisif. Les monnaies ne peuvent être mises en rapport avec le tribut payé aux Avars, tant pour des raisons gégographiques, qu'à cause du fait que celui-ci n'était jamais versé au moment des hostilités 1. Ainsi, on notera que sur 15 mon-

1 J. Kovacevic, Avari i zlato, Sfarinar, η. s. 13/14, 1962/3, p. 125-134.

Page 53: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

496 VLADISLAV POPOVIÓ

naies d'or d'Héraclius enregistrées jusqu'à présent sur le territoire avare, en Pannonie yougoslave et hongroise, 9 sont sûrement postérieures à 613, 4 n'ont pas été identifiées avec précision, tandis que 2 ne sont que des imitations barbares 1. Les trois sous d'or de Naissus et un quatrième de Viminacium 2, déjà cité, donc provenant tous du territoire de l'empire, restent pour l'instant les seuls témoins des émissions d'or frappées entre 610 et 613. Un quatrième sou d'or d'Héraclius trouvé à M§, est sorti de l'atelier de Constantinople entre janvier 613 et 616 (Fig. 18) 3. Les irré-

Fig. 18 - Sou d'or du Musée de Nie (Naissus), Inv. num. 193.

gularités constatées à la surface du droit et du revers seraient plutôt le résultat d'une mauvaise frappe que de l'usure de la monnaie. Tout comme le follis de la tombe à voûte, elle place le terminus post quem de la prise de Naissus par les Avars en janvier 613. Mais, contrairement au follis, dont l'émission s'arrête en octobre 613, le sou d'or permet une datation jusqu'en 616 environ 4. D'autre part, si l'on admet le terminus ante quem suggéré par les Miracles de Saint Démétrius, la chute de Naissus doit se placer entre janvier 613 et 615/6. Les traces d'usure du follis laissent croire que l'événement est plus proche de la seconde que de la première date. En résumé quelle que soit l'attitude qu'on aura envers les informations de Théophane et de Jean de Mkiou, nous disposons désormais de preuves irréfutables qu'au moins quelques-unes parmi

1 Les exemplaires ont été réunis par plusieurs savants: J. Kovacevic, ibid.; Gr. Csallany, La circulation monétaire byzantine dans l'empire avare, Ada Arch. Acad. Scient. Hung., 22, Budapest, 1952, p. 236-250; L. Huszar, Das Münzmaterial in dem Funden der V ölkerwanderungszeit im mittleren Do- naubecTcen, ibid., 5, 1955, p. 61-109.

2 J. Kovacevic, loc. cit., Musée de Pozarevac, sans numéro d'inventaire. Perforé.

3 Inv. num. 193 (DOC, II, p. 249, N<> Ile, «light-weight»). 4 Ph. Grrierson, Solidi of Phocas and Heraclius: The Chronological Framew

ork, dans Numismatic Chronicle, 19, 1950, p. 145-146.

Page 54: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 497

les agglomérations urbaines du centre de l'Illyricum byzantin avaient survécu au règne de Phocas.

Bien qu'à première vue l'existence des grandes cités de la Dacie Méditerranéenne pendant les premières années d'Héraclius tendrait à situer la colonisation massive des Slaves au cours de son règne x, elle ne saurait s'opposer, en principe, à une infiltration de groupes transdanubiens vers l'intérieur de l'empire dès l'écroulement du limes illyrien en 595/6. La question qui se pose est de savoir si la présence de certains vestiges archéologiques étrangers à la civilisation byzantine, reconnus en Illyricum et notamment à Caricin Grad, doivent s'expliquer comme des témoins de l'installation des Slaves au milieu des ruines abandonnées par la population romaine ou, au contraire, comme la preuve d'une première infiltration étrangère précédant la disparition violente des grandes cités. La découverte au cours des fouilles de Caricin Grad (Fig. 19), site identifié à Prima Justiniana, de deux fibules digitées, avait dans une large mesure renforcé l'opinion voyant dans le dernier établissement de la ville un site d'habitation slave postérieur à la débâcle byzantine 2. L'une des fibules (Fig. 2/2), trouvée au pied d'une tour, est du type danubien, semblable à l'exemplaire de Kiskörös en Hongrie 3. L'autre (Fig. 2/3), mise au jour dans le portique de la rue sud, n'est pas du type danubien, mais pontique-slave 4, de la région du Dniepr, mais avec des analogies en Hongrie aussi 5. Parmi d'autres éléments provenant des steppes, révélés à Caricin Grad, on notera surtout les extrémités métalliques de ceinturons (Fig. 2/5), portant le signe de la tribu 6. Ces signes

1 J. Kovacevic, Simpozijum, Sarajevo, 1969, p. 73-74, rapporte la trouvaille d'un sou d'or d'Héraclius à, Ulpiana. L'exemplaire n'est pas conservé au Musée de Pristina.

2 Outre les précieux rapports de Dj. Mano-Zisi, où il est généralement question de l'existence d'un établissement « slave », plusieurs archéologues yougoslaves se sont brièvement occupés du problème: M. Óorovic-Ljubinkovic, op. cit., p. 48, notant que les Slaves n'évitaient pas les anciennes cités; Z. Vinski, op. cit., p. 390; J. Kovacevic, Materijali, 9, Belgrade, 1972, souligne que la question de l'installation «slave» sur le site n'a pas été résolue; Dj. Stricevié, op. cit., p. 180 et n. 13 croit de son côté que les adaptations dites « slaves » ne sont autre chose que des édifices provisoires, byzantins, érigés par les réfugiés au moment du danger barbare.

3 Dj. Mano-Zisi, Sfarinar, η. s. 5/6, Belgrade, 1954/5, p. 168, fig. 38. 4 Dj. Mano-Zisi, ibid., n.s. 7/8, 1956/7, p. 312-313, fig. 39. 5 J. Kovacevic, Varvarska kolonizacija juznoslovenskih oblasti, Novi Sad

1960, p. 18, fibule similaire de Tiszabura. 6 Dj. Mano-Zisi, Sfarinar, n.s. 3/4, Belgrade 1952/3, p. 154; n.s. 20, 1969,

p. 212; n.s. 7/8, 1956/7, p. 169-170.

MEFRA 1975, 1. 32

Page 55: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

498 VLADISLAV POPOVIC

Fig. 19 - Plan de Caricin Grad, site supposé de « Prima Jtjstiniana ».

sont analogues à ceux rencontrés à Öadjavica, dans la vallée de la Drave, mais aussi dans la civilisation de Martinovka, en Bussie méridionale x, avec attribution possible aux Huns, aux Koutrigours ou aux Protobulgares 2. Le phénomène pontique à Caricin Grad ne se limite pas d'ailleurs

1 J. Kovacevic, Ο tamgama iz Caricinog Grada i Sonte, Sfarinar, η. s. 12, Belgrade 1961, p. 7.

2 Z. Vinski, op. cit., p. 394.

Page 56: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

' "IT LJ ΙΊ LJ I

Fig. 20 - Adaptations tardives (traits foncés) dans la zone du forum CIRCULAIRE DE CarICIN GrRAD.

Page 57: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

500 VLADISLAV POPOVIC

aux seuls objets de parure de femmes. Les rapports de fouilles notent avec persistance les pointes de flèches à trois ailerons, les peignes d'os barbares, les sabots du cheval de la steppe. Outre la poterie grossière dite « slave », faite à la main, déjà rencontrée sur le limes des Portes de Fer, cet inventaire d'origine pontique, sans aucun doute étranger à la civilisation byzantine de l'Illyricum, est un phénomène digne d'un examen attentif. Comme l'auteur des fouilles de Caricin Grad l'a répété à plusieurs reprises % ces objets, d'après la place stratigraphique qu'ils occupaient, ne peuvent être dissociés des véritables produits byzantins. Ainsi, par exemple, la fibule du portique de la rue sud (Fig. 2/3) fut trouvée auprès d'un foyer et de jarres 2, ces dernières étant sans doute byzantines. Ailleurs, des monnaies de Maurice Tibère sont signalées dans des fosses et dans des pots « slaves » 3. Les observations faites sur place ont permis de distinguer plusieurs couches: sous l'humus, d'épais débris architecturaux surmontent une couche d'incendie et de tuiles, vestige des toitures, précédée à son tour par deux niveaux d'habitation successifs 4. La période récente d'habitation se distingue surtout par un matériel de construction réemployé et lié à l'argile, des habitats parfois érigés dans des bâtiments déjà en ruines, des cabanes en bois, des foyers et des dépotoirs 5. C'est d'ailleurs à cette époque finale, que bon nombre d'archéologues considèrent comme « slave », que se côtoient objets byzantins et monnaies, pièces d'armement et parures pontiques, et poterie « slave ».

Outre la dégradation architecturale, la lutte pour l'espace qualifie la période terminale de Caricin Grad. Elle se manifeste par l'adaptation des portiques, la construction de huttes dans les espaces libres (Fig. 20), et jusqu'à la transformation d'églises en habitats ou en ateliers 6. Les

1 Dj. Mano-Zisi, Sfarinar, n.s. 7/8, 1956/7, p. 171 sqq. et ailleurs. 2 Ibid., p. 312. 3 Ibid., η. s. 5/6, 1954/5, p. 167; n.s. 3/4, 1952/3, p. 161. 4 Ibid., n.s. 5/6, 1954/5, p. 163-164; n.s. 3/4, 1952/3, p. 165. 5 Ibid., n.s. 17, 1966, p. 166, fosses d'habitation. 6 Ibid., n.s. 3/4, 1952/3, p. 154: foyer sur le sol de la nef latérale de la

basilique sud, pithos dans le transept nord; ibid., p. 161: foyer à côté d'un mur lié à l'argile dans le portique sud de la rue à l'est du forum, cabanes en pierres et argile auprès de la tour de la porte est; ibid., p. 162: foyers et fosses dans le bloc d'édifices auprès de la rue est; ibid., p. 165: sols en argile tassée et foyer dans le même bloc, adaptations et four circulaire dans la rue à l'ouest du forum; ibid., n.s. 5/6, 1954/5, p. 158-160: bouchage du portique de la rue ouest, cabane de bois érigée dans les ruines, bouchages de la porte et des fenêtres; ibid., p. 161, adaptation d'un praefurnium abandonné, maison en matériaux

Page 58: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

Illustration non autorisée à la diffusion

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 501

changements profonds survenus dans la ville, quelle que soit leur date exacte, s'expriment par deux phénomènes essentiels. L'un est la « bar- barisation » de la civilisation, manifestée par la présence d'objets ponti- ques ou autres, en tout cas signe de nouveaux apports ethniques. L'autre est la « ruralisation » profonde, se manifestant surtout par le mode d'habitation et la découverte de nombreux outils destinés à l'agriculture, l'élevage du bétail, le travail du bois et du fer. Ainsi, dans la ville basse, à côté de cabanes munies de foyers, on trouve un espace réservé au bétail 1. Tout porte à croire qu'il ne s'agissait pas d'une population nou-

Fig. 21 - HEXAGRAMME TROUVÉ À <t LjUTI VrH » PRÈS DE SVRLJIG.

velie s'adaptant à la vie urbaine. Bien au contraire, on est en présence d'une transplantation du mode de vie villageois dans un espace qui s'y accommodait mal. L'explication qui s'offre d'elle-même est de reconnaître dans le dernier établissement de Caricin Grad un refuge de la population romaine s'abritant derrière les puissants remparts de Justinien. L'ensemble des trouvailles révèle toute l'ampleur des transformations éco-

liés à l'argile et four de forgeron en forme de fer à cheval, maison en pisé sous le rempart de l'acropole et fosse remplie de cendres, ossements d'animaux et objets de parure « slaves »; ibid., p. 162: dans le complexe au nord de la rue ouest, maison en bois avec foyer et moulin à blé, sols en argile tassée; ibid., η. s. 7/8, 1956/7, p. 312: portiques de la rue sud fermés par des cloisons en bois ou pierres liées à l'argile, foyer avec pithos; ibid., p. 319: foyers auprès du rempart; ibid., η. s. 15/16, 1964/5, p. 56: adaptations dans la villa au sud de la cité; ibid., 17, 1966, p. 164, péribole dans le sud de la cité, avec forge dans l'atrium; ibid., p. 165: adaptation d'un four, fermeture des portiques; ibid., p. 166: fosse d'habitation avec foyer; ibid., η. s. 19, 1968, p. 112: adaptations auprès du portique sud de la rue est; ibid., p. 113: triconque (édifice de culte) construit au-dessus des anciens thermes.

1 Interprété comme macellum, ibid., η. s. 17, 1966, p. 165.

Page 59: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

502 VLADISLAV POPOVIÓ

nomiques et sociales survenues vers la fin du VIe et dans les premières années du VIIe siècle, l'aggravation accélérée du danger barbare et sans doute la supplantation quasi-totale de l'ancienne autorité municipale et même militaire, par celle de l'évêque 1. Les cités, anciens lieux de résidence des gros propriétaires, abritaient maintenant une population subvenant à ses propres besoins par le travail dans les champs voisins. Ainsi, Théophylacte Simokatta précise qu'en 584, en s'attaquant à Singidunum, le khagan « surprit la majorité de la population urbaine dans les champs, car le battage exigeait qu'on fasse ainsi. On se trouvait notamment en été et les gens accumulaient les réserves de nourriture pour la vie » 2. Une autre fois, lors du siège avaro-slave de Thessalonique sous Héraclius, les cavaliers du khagan surprirent la population de la ville travaillant dans les champs 3. De son côté, Constantin le Porphyrogénète nous apprend que la défense byzantine du Danube, ou plutôt ce qui restait encore de celle-ci, n'était pas assurée par des garnisons locales, mais par des corps expéditionnaires réunis dans toutes les villes 4.

La prise des villes de l'ancien diocèse dacique par les Avars au cours des premières années du règne d'Héraclius n'a pas été la condition préalable à la slavisation massive du sud balkanique, notamment du diocèse macédonien. Les informations d'Isidore de Seville et de la Chronique latine anonyme sur les dévastations slaves en Grèce et en Illyricum méridional autour de 614/5, complétées par les données des Miracula, II, 1-2, montrent que ce processus d'installation était déjà terminé au moment de l'assaut avare décisif contre les villes de l'Illyricum 5. Par conséquent la slavisation des régions proches de l'Egée, quelle que soit la date qu'on lui assignera, n'a pas suivi les voies venant du nord, mais plutôt celles déjà tracées par les invasions slaves à partir de 578. Les données numis- matiques de ïfaissus et de Narona, situant la prise des villes daciques et dalmates vers 614/5, suggèrent une action simultanée, mais néanmoins dissociée, des Slaves déjà établis dans les régions énumérees par les Miracula, II, 1, 158, et des Avars pannoniens, accompagnés vraisemblablement de Slaves et d'autres tribus, dans les provinces mentionnées par les Miracula, II, 2, 169 et 5, 195. Nous ne savons pratiquement rien sur le

1 Dj. Stricevic, op. cit., p. 182. 2 Hist., I 3 (Fontes Bulg., II, 1958, p. 293). 3 Miracula, II, 2, 170 (Fontes Bulg., III, 1960, p. 135). 4 De adm. imp. (éd. Moravcsik-Jenkins, p. 122-123 et 140-141), 29, 22-32

et 30, 18-21, parlant du prélèvement de troupes dans les cités dalmates. 5 Cette conclusion repose aussi sur les liens étroits déjà établis entre Thes-

saloniciens et Slaves, illustrés par le texte des Miracula, II 1.

Page 60: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

LES TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES DES INVASIONS AVARO-SLAVES 503

centre de l'Illyricum au lendemain de la catastrophe. Les Miracula, II, 5, 195, sont les seuls à parler de déportations de l'ancienne population. Les hostilités avaro-byzantines se terminèrent en 619, reprirent temporairement en 623, pour aboutir enfin au grand siège manqué de Constantinople en 626 1. Après 619, la frontière avare devait se trouver de nouveau au nord. C'est dans ce contexte historique que pourrait se placer l'information de Constantin le Porphyrogénète sur la présence d'un stratège byzantin à Belgrade, au moment de la migration des Serbes 2. Or, en s'appuyant sur notre unique source, l'événement est postérieur à la catastrophe de 614/5. Constantin précise en effet que la migration des Croates 3 et des Serbes 4 se déroula après la prise des villes dal- mates, peut-être en 623, lors des difficultés avares avec les Slaves mo- raves 5. Cela pourrait signifier que cette civilisation byzantine, fortement ruralisée et déjà contaminée par des intrusions « sklavènes », « antes », ou autres encore, parvenant en Serbie par le Timok, telle qu'on l'a reconnu à Caricin Grad, avait pu se prolonger dans les parties centrales de l'Illyricum jusqu'à la colonisation slave finale, effectuée avec l'approbation ou même à l'instigation de l'empereur. Cependant, ce n'est que la publication de rapports complets des fouilles de Caricin Grad qui pourra révéler l'éventuelle existence et l'ampleur de cette même civilisation après l'incendie dont les traces ont été signalées par l'auteur des fouilles. Dans le cadre du même problème s'inscrit la découverte d'un héxagrame d'Héraclius (Fig. 21) 6 à « Ljuti Vrh» (près de Svrljig), topo- nyme suggérant un lieu fortifié du « limes intérieur » entre Naissus et Turres. L'héxagramme a été frappé entre 615 et 638 7.

L'ensemble des témoignages historiques et archéologiques, y compris les trouvailles de monnaies, révèle la place particulière que le centre

1 B. Grrafenauer, Zgodovinski Gasopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 77-79. 2 De adm imp. (éd. Moravcsik- Jenkins, p. 152-153), 32, 19-20. 3 Ibid. (p. 146-149), 31, 6-30. 4 Ibid. (p. 152-155), 32, 1-29. 5 B. Grafenauer, Zgodovinski öasopis, 4, Ljubljana, 1950, p. 82. « Musée de Nis, Inv. num. 126 (DOC, II, p. 272, N° 64.10-11, selon la

légende du droit). 7 Signalons qu'un important lot de monnaies d'argent de l'époque d'Hér

aclius et de Constant II, trouvé près de Vaiando vo, en Macédoine Yougoslave, a été récemment acquis par le Musée National de Belgrade. Les monnaies d'argent du VIIe siècle sont largement diffusées de la Roumanie (cf. La culture byzantine en Roumanie, Bucarest, 1971, p. 253, N° 396-398) jusqu'en Europe centrale, où on les rencontre dans un milieu avare ou slave, vraisemblablement parvenues par le commerce.

Page 61: vladislav popovic'Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans l'Illyricum byzantin

504 VLADISLAV POPOVIC

de l'Illyricum byzantin occupa à partir de la prise de Sirmium en 582. Exception faite de l'invasion avaro-slave en 586, les villes de l'arrière- pays restèrent pour la plupart à l'écart des grandes voies de pénétration barbare, jusqu'à l'assaut décisif des années 614/5. La découverte d'éléments étrangers à la civilisation byzantine propre, reflète une symbiose entre l'ancienne population romaine et les barbares, accélérée sans doute par la décomposition de la défense danubienne vers les années 595/6, plutôt qu'une slavisation profonde et totale de la région. En effet, tout porte à croire que, à l'encontre de ce qui se passe pour l'intérieur de la province dalmate et surtout le diocèse macédonien, celle-ci ne fut pas réalisée avant les années vingt du VIIe siècle, quand Héraclius se vit forcé d'accueillir les Serbes et les Croates sur le territoire ravagé et dépeuplé.

Vladislav Popovic

ABEÉVIATIONS

F. Barisic, öuda, Belgrade 1953 = F. Barisic, öuda Dimitrija Solunskog kao istoriski izvori (Vizantoloski institut, knjiga 2), Beograd, 1953.

DOC, I et II = A. E. Bellinger, Catalogue of the Byzantine Coins in the Dumbarton Oaks Collection and in the Whittemore Collection, Volume One: Anastasius I to Maurice (491-602), Washington, D.C. 1966; Ph. Grierson, Volume Two, Part I, Phocas and Heraclius (602-641), Washington, D.C. 1968.

Fontes Bulg., II, 1958 et III, 1960 = Fontes Graeci Historiae Bulgaricae, II, Sofia, 1958; III, Sofia, 1960.

Fontes Jug., I, 1955 = Fontes Byzantini Historiam Populorum Jugoslaviae Spectantes, Tomus I (Vizantoloski institut, knjiga 3), Beograd, 1955.

ZBVI = Zbornik r adova Vizantoloskog instituta, Beograd. Simpozijum, Sarajevo, 1969 = Simpozijum: predslavenski etnicki elementi na

Balkanu u etnogenezi Juznih Slovena (Mostar, 24.-26. oktobra 1968.). Centar za balkanoloska ispitivanja, knjiga 4, Sarajevo, 1969.