4

Click here to load reader

Vues d'ailleurs

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Vues de Grande-Bretagne

Citation preview

Page 1: Vues d'ailleurs

2012 - Vues d'ailleurs

www.cevipof.com

Vues d'ailleurs

Vues de Grande-Bretagne

N°2 Décembre 2011

Andrew KnappProfesseur Université de Reading, Grande-Bretagne

www.cevipof.com

Centre de recherches politiques

2012Elections

Page 2: Vues d'ailleurs

Au commencement était le terrain. Jetez donc un coup d’œil sur le compte rendu des élections législatives de 1958 par Philip Williams et Martin Harrison1. Trop long pour un article, trop bref pour un livre, ce petit chef-d’œuvre comporte au moins une référence détaillée à chaque département de la France de cette Ve République naissante (il est suivi, aussi, par deux autres chapitres, encore plus détaillés, sur la Somme et la Vienne). Le lecteur anglais se trouve projeté dans un pays beaucoup plus étranger, bien plus fragmenté aussi, qu’un demi-siècle plus tard  : «  l’élection de 1958 n’était pas une bataille entre des armées politiques, bien dressées, se livrant à une campagne nationale, mais une série de centaines d’escarmouches locales, menées de village en village par les candidats et leurs groupes, relativement petits, de fidèles, souvent sans souci de ce qui se passait à une vingtaine de kilomètres de là.  » Et Williams et Harrison d’égrener les discours du chanoine Kir, l’extrême insalubrité des bureaux du Parti socialiste autonome, ou le passage de Mme Chaban-Delmas à un meeting où un adversaire, le général Chassin, cataloguait longuement les infidélités de son mari. La méthode Williams, dont se servaient aussi des héritiers comme Harrison ou comme David Goldey, consistait à parcourir la France de long en large, en accumulant de vastes quantités de tracts,

de coupures de presse, d’affiches, et surtout en interviewant des personnalités de tous les bords politiques, en nouant aussi, d’élection en élection, des connaissances - voire des amitiés - approfondies, donnait lieu à une série de chroniques irremplaçables qui respirent encore une France révolue ou presque. Où quelques comparaisons avec les scrutins anglais ou américains tiennent lieu de base théorique, où l’analyse des résultats – terrain oblige – est surtout minutieuse et cartographique, à la Goguel (avec qui, d’ailleurs, Williams organisait les rencontres biannuelles Oxford-Sciences Po).

Révolue aussi, la méthode ? Il va de soi que la présidentielle, élection nationale s’il en est, s’y prête un peu moins facilement que les législatives. En témoigne, par exemple, l’article de Williams sur le scrutin de décembre 1965, où le local, sans disparaître, est désormais complémenté par deux innovations : la campagne télévisée et l’apparition des sondages2. Il n’empêche  : les chroniques dans le style de Williams, riches en détails, informées par un labour patient du terrain, assez peu préoccupées par les débats méthodologiques d’outre-Atlantique, se produisent régulièrement jusqu’aux années 80, voire au-delà.

2012 - Vues d'ailleurs

www.cevipof.com

1 WILLIAMS (Philip M.) and HARRISON (Martin), “France 1958”, David E. Butler (ed.), Elections Abroad, 1957-1958, London, Macmillan, 1959, pp. 13-90.2 WILLIAMS (Philip M.), “The Rivals Emerge: the 1965 Presidential Election”, French Politicians and Elections, 1951-1969, Cambridge, Cambridge University Press, 1970, pp. 186-203. [ISBN 978-0-521-09608-9]

Vues de Grande-Bretagne

Comment les chercheurs britanniques considèrent-ils l’élection présidentielle française ? Hier, ils parcouraient de long en large la France en campagne, livrant des chroniques riches en détails. 1981 marque un tournant vers des études pluridimensionnelles. Et aujourd’hui ?

N°2Décembre 2011

Andrew KnappProfesseur Université de Reading, Grande-Bretagne

1

Page 3: Vues d'ailleurs

Avec parfois un souci croissant  : la gauche peut-elle gagner  ? Tout en accueillant les promesses de la gauche française des années 70 avec une bonne dose de scepticisme, la plupart des universitaires britanniques souhaitaient sa victoire, ne serait-ce que par souci d’alternance démocratique. La meilleure manifestation de ce souhait est sans doute signée par Richard William Johnson, qui se demandait si la «  longue marche  » de la gauche française serait une « marche sans fin », dans un ouvrage très informé par la déception de 1978 et paru en … mars 19813.

gauche, les autres (sans doute trop peu) sur la droite parlementaire, d’autres encore (nombreux, comme en France) sur le FN, ou sur les nouvelles techniques d’analyse électorale, ou sur les enjeux divers (contexte économique, féminisation - ou non - des candidatures, etc.). Enfin, et logiquement, à l’instar de ce qui se passe en France à partir des années 1970, ce fractionnement aboutit au collectif. Au chercheur passant de longues semaines dans la France provinciale se substitue le colloque groupant une dizaine d’intervenants spécialisés et aboutissant à une véritable étude collective, la première de ce genre sortant en 19894. Comme leurs homologues français, ces ouvrages présentent l’avantage d’intégrer à la fois des études plus poussées sur les forces politiques et les candidats en présence, et des dimensions plus thématiques  : les perspectives des patrons et des syndicats5 ; les comportements électoraux6 ; les enjeux économiques7 ; ou alors les médias8 ou les femmes9.

2012 - Vues d'ailleurs

www.cevipof.com

3 JOHNSON (Richard-William), The Long March of the French Left, London, Macmillan, 1981, p. 285 [ISBN 978-0-333-27418-7]. Voir aussi la très bonne et succincte analyse du tournant de 1981 : MACHIN (Howard) and WRIGHT (Vincent), “Why Mitterrand Won: The French Presidential Elections of April‐May 1981”, West European Politics, 5 (1), January 1982, pp. 5-35. [ISSN 0140-2382]4 GAFFNEY (John) (ed.), The French Presidential Elections of 1988: Ideology and Leadership in Contemporary France, Aldershot, Dartmouth Publishing, 1989, 241 p. [ISBN 978-1-85521-059-2]5 Voir les chapitres de JONES (George W.), “Business as Usal: the Employers” et de MILNER (Susan), “Guardians of the Republican Tradition?: The Trade Unions”, John Gaffney (ed.), op. cit., 1989, pp. 186-210 et pp. 211-239, et ceux de MACLEAN (Mairi), “The Business Community and the Election” et de MILNER (Susan), “The Trade Unions and The Election”, John Gaffney and Lorna Milne (eds), French Presidentialism and the Election of 1995, Aldershot, Ashgate Publishing, 1997, pp. 165-180 et pp. 181-189. [ISBN 978-1-84014-086-6]6 Voir le chapitre de GOLDEY (David B.), “Analysis of the Election Results”, John Gaffney and Lorna Milne (eds), op. cit., 1997, pp. 55-83, celui de GUYOMARCH (Alain), “Voting Behaviour”, Robert Elgie (ed.), Electing the French President: the 1995 Presidential Election, London, Macmillan, 1996, pp.  149-171 [ISBN 978-0-333-63085-3] et celui de SZARKA (Joseph), “Election Dynamics, Party System Change and Regime Evolution in the 2002 Elections”, John Gaffney (ed.), The French Presidential and Legislative Elections of 2002, Aldershot, Ashgate Publishing, 2004, pp. 276-292. [ISBN 978-0-7546-3436-2]7 Chapitres de MAZEY (Sonia), “The Issue Agenda in Perspective”, et de WRIGHT (Vincent) et ELGIE (Robert) “The French Presidency: The Changing Public Policy Environment”, Robert Elgie (ed.), op. cit., 1996, pp. 123-148 et pp. 172-194, chapitre de HOWARTH (David), “Rhetorical Divergence: Real Convergence?: The Economic Policy Debate in the 2002 French Presidential and Legislative Elections”, John Gaffney (ed.), op. cit., 2004, pp. 200-221.8 Chapitre de HAYWARD (Susan), “Television and the Presidential Elections, April-May 1988”, John Gaffney (ed.), op. cit., 1989, pp.  58-80, de MOORES (Pamela M.) et TEXIER (Christophe), “The Campaign and the Media”, et de PRADEILLES (Catherine), “Politics as Narrative: The Media, the Polls and Public Opinion”, John Gaffney and Lorna Milne (eds), op. cit., 1997, pp. 191-211 et pp. 229-257, de KUHN (Raymond), “The Media and the Elections”, et de HILL (Irène), “The Television Campaigns for the French Elections of 2002”, John Gaffney (ed.), op. cit., 2004, pp. 83-116 et pp. 117-131.9 Chapitres de FOOTITT (Hilary), “In Search of Lost Women: Alternative Political Maps in the Presidential Election of 2002”, et de BIRD (Karen), “The Effects of Gender Parity in Elections: the French Case”, John Gaffney (ed.), op. cit., 2004, pp. 222-237 et pp. 238-259.

2

Au-delà du triomphe de la gauche, inattendu pour de nombreux commentateurs britanniques comme français, les années 1980 représentaient un tournant chez les Britanniques, à trois titres. D’abord, le terrain, sans disparaître … perd du terrain : rares sont les universitaires de l’Angleterre thatchérienne et au-delà qui disposent du temps nécessaire pour mener les enquêtes exhaustives d’antan, dont la valeur diminue quelque peu, surtout en ce qui concerne la présidentielle, avec la nationalisation de la vie politique. Ensuite, la production commence à se fractionner, les uns se spécialisant dans la

Page 4: Vues d'ailleurs

À la richesse du terrain, en quelque sorte, se substitue celle de ces études pluridimensionnelles. Peut-on y voir un fil conducteur ? Tout d’abord, le maître des cérémonies de trois de ces volumes s’intéresse au phénomène du leadership, voire au vedettariat, dans la France contemporaine. Comme le dit Gaffney, « Suivre la vie et les fortunes des présidents et des présidentiables est amusant [fun]  : ceci tranche avec la IVe République où non seulement les gens ne faisaient pas confiance aux politiques, ils ne savaient presque pas qui ils étaient. Ce détail est lourd de conséquences »10. Les candidat(e)s et leur place dans le monde socio-culturel y a toute sa place.

Relativement absente, en revanche, est la dimension comparative11 . Parmi les nombreux comparatistes britanniques, peu s’intéressent aux élections en France. Parmi les spécialistes de la France, beaucoup sont des civilisationnistes des sections de French Studies peu empressés à mener des études comparatives. À cela s’ajoute le fait que le scrutin présidentiel français se prête moins spontanément aux comparaisons avec le système parlementaire britannique qu’avec les élections à la présidence américaine.

Enfin, les commentateurs britanniques des élections présidentielles françaises aiment, en général, la France, et sont fascinés par la présidence même s’ils ne partagent pas, loin de là, les perspectives politiques de tous les occupants de

l’Élysée. Chez les universitaires, les critiques systématiques viennent le plus souvent de la gauche marxisante12. Pour tremper vraiment dans le scepticisme libéral anglo-saxon, ce mélange de passion et de condescendance qui a de tous temps marqué une certaine perspective britannique sur la France, il faut sans doute passer chez les journalistes  : chez un Jonathan Fenby, qui trouve que la présidence, faite par Charles de Gaulle, est surdimensionnée pour ses successeurs13 ; et surtout les libéraux anonymes de The Economist, pour qui le PS, encore dévoué, en principe, à la cause de la retraite à 60 ans, a encore bien des progrès à faire avant de rejoindre le monde du réel14. Chez ceux-ci, l’avenir de la France se profile ni dans une présidence forte, ni dans une hypothétique VIe République, mais à travers ses nouveaux entrepreneurs informatiques. C’est-à-dire sur le terrain.

2012 - Vues d'ailleurs

www.cevipof.com

10 GAFFNEY (John), Political Leadership in France: from Charles de Gaulle to Nicolas Sarkozy, London, Macmillan, 2010, p. 213. [ISBN 978-0-230-00181-7]11 Voir cependant l’œuvre de EVANS (Jocelyn), par exemple « Le vote gaucho-lepéniste : le masque extrême d’une dynamique normale », Revue française de science politique, 50 (1), 2000, pp. 21-51.http://www.persee.fr/articleAsPDF/rfsp_0035-2950_2000_num_50_1_395452/article_rfsp_0035-2950_2000_num_50_1_395452.pdf12 Voir par exemple l’œuvre de HEWLETT (Nick): son chapitre, “A Crisis of Democracy?”, John Gaffney (ed.), op. cit., 2004, pp. 293-311, ou alors “Nicolas Sarkozy and the Legacy of Bonapartism: The French Presidential and Parliamentary Elections of 2007”, Modern and Contemporary France, 15 (4), November 2007, pp. 405-422.http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0963948070162754313 Voir FENBY (Jonathan), “The French Malaise”, Prospect, October 2011. http://www.prospectmagazine.co.uk/2011/10/the-french-malaise/14 Voir “Reforming Gloomy France”, The Economist, 20 April 2011. http://www.economist.com/node/18584584

3