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Séance 2/ Concurrence des contentieux internationaux et européens * Concurrence normative devant les juridictions européennes L’affaire Kadi (droit de l’UE) TPI (deuxième chambre élargie), arrêt du 21 septembre 2005, Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, aff. T-315/01 « Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Compétence de la Communauté — Gel des fonds — Droits fondamentaux — Jus cogens — Contrôle juridictionnel — Recours en annulation » Résumé de l’arrêt : 1. Dans le cadre d’un recours en annulation, lorsqu’un règlement qui concerne directement et individuellement un particulier est remplacé, en cours de procédure, par un règlement ayant le même objet, celui-ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge communautaire contre un règlement, adapter le règlement attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux au règlement ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci.

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Séance 2/

Concurrence des contentieux internationaux et européens* Concurrence normative devant les juridictions européennes

L’affaire Kadi (droit de l’UE)

TPI (deuxième chambre élargie), arrêt du 21 septembre 2005, Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, aff. T-315/01

« Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Compétence de la Communauté — Gel des fonds — Droits fondamentaux — Jus cogens — Contrôle juridictionnel — Recours en annulation »

Résumé de l’arrêt :

1. Dans le cadre d’un recours en annulation, lorsqu’un règlement qui concerne directement et individuellement un particulier est remplacé, en cours de procédure, par un règlement ayant le même objet, celui-ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge communautaire contre un règlement, adapter le règlement attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux au règlement ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci.

(cf. points 53-54)

2. Les articles 60 CE et 301 CE ne constituent pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour adopter un règlement communautaire visant à la lutte contre le terrorisme international et à l’imposition à cette fin de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à

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l’encontre de particuliers, sans qu’il existe un quelconque lien entre ces particuliers et un pays tiers.

De même, l’article 308 CE ne constitue pas, à lui seul, une base juridique suffisante pour permettre l’adoption d’un tel règlement. S’il est vrai qu’aucune disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter des sanctions visant des individus ou entités ne présentant aucun lien avec un pays tiers, la lutte contre le terrorisme international, et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, ne peut être rattachée à aucun des objets explicitement assignés à la Communauté par les articles 2 CE et 3 CE. De plus, il ne ressort nullement du préambule du traité CE que celui-ci poursuit un objectif plus vaste de défense de la paix et de la sécurité internationales. Celui-ci relève exclusivement des objectifs du traité UE. S’il est certes permis d’affirmer que cet objectif de l’Union doit inspirer l’action de la Communauté dans le domaine de ses compétences propres, il ne suffit pas, en revanche, à fonder l’adoption de mesures au titre de l’article 308 CE. En effet, il n’apparaît pas possible d’interpréter l’article 308 CE comme autorisant de façon générale les institutions à se fonder sur cette disposition en vue de réaliser l’un des objectifs du traité UE.

Cela étant, le Conseil était compétent pour adopter le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, qui met en oeuvre dans la Communauté les sanctions économiques et financières prévues par la position commune 2002/402, en l’absence de tout lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers, sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

En effet, dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte de la passerelle spécifiquement établie, lors de la révision résultant du traité de Maastricht, entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures. À cet égard, les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions tout à fait particulières du traité CE, en ce qu’elles envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont fixés par le traité CE, mais un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en oeuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune. Ainsi, lorsque les pouvoirs de sanctions économiques et financières prévus par les articles 60 CE et 301 CE, à savoir l’interruption ou la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et de paiements, s’avèrent insuffisants pour permettre aux institutions de réaliser l’objectif de la PESC, le recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE se justifie, dans le contexte particulier de ces deux articles, au nom de

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l’exigence de cohérence énoncée à l’article 3 UE. Ainsi, le recours à la base juridique cumulée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE permet de réaliser, en matière de sanctions économiques et financières, l’objectif poursuivi dans le cadre de la PESC par l’Union et par ses États membres, tel qu’il est exprimé dans une position commune ou une action commune, nonobstant l’absence d’attribution expresse à la Communauté des pouvoirs de sanctions économiques et financières visant des individus ou entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé.

(cf. points 96-97, 100, 116, 118-121, 123-124, 127-128, 130, 135)

3. La Communauté n’a aucune compétence explicite pour imposer des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. En revanche, l’article 58 CE admet que les États membres prennent des mesures ayant un tel effet dans la mesure où cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs prévus par cet article et, notamment, pour des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. La notion de sécurité publique englobant tant la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de l’État, les États membres seraient donc en principe en droit d’adopter, au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, des mesures visant à la lutte contre le terrorisme international et à l’imposition à cette fin de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre de particuliers, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou avec le régime dirigeant d’un pays tiers. Pour autant que ces mesures soient conformes à l’article 58, paragraphe 3, CE et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, elles seraient compatibles avec le régime de libre circulation des capitaux et des paiements instauré par le traité.

(cf. point 110)

4. Du point de vue du droit international, les obligations des États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) au titre de la charte des Nations unies l’emportent incontestablement sur toute autre obligation de droit interne ou de droit international conventionnel, y compris, pour ceux d’entre eux qui sont membres du Conseil de l’Europe, sur leurs obligations au titre de la convention européenne des droits de l’homme et, pour ceux d’entre eux qui sont également membres de la Communauté, sur leurs obligations au titre du traité CE. Cette primauté s’étend aux décisions contenues dans une résolution du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de la charte des Nations unies, aux termes duquel les membres de l’ONU sont tenus d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité.

Bien qu’elle ne soit pas membre des Nations unies, la Communauté doit être considérée comme liée par les obligations résultant de la charte des Nations unies, de la même façon que le sont ses États membres, en vertu même du traité l’instituant. D’une part, elle ne peut violer les obligations incombant à ses États membres en vertu de cette charte ni entraver leur exécution. D’autre part, elle est tenue, en vertu même du traité par lequel

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elle a été instituée, d’adopter, dans l’exercice de ses compétences, toutes les dispositions nécessaires pour permettre à ses États membres de se conformer à ces obligations.

(cf. points 181, 184, 192-193, 204)

5. Le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, adopté au vu de la position commune 2002/402, constitue la mise en oeuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’Organisation des Nations unies (ONU), de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, qui ont été décidées et ensuite renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

Dans ce contexte, les institutions communautaires ont agi au titre d’une compétence liée, de sorte qu’elles ne disposaient d’aucune marge d’appréciation autonome. En particulier, elles ne pouvaient ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification. Tout contrôle de la légalité interne du règlement nº 881/2002 impliquerait donc que le Tribunal examine, de façon incidente, la légalité desdites résolutions.

Or, compte tenu du principe de primauté du droit de l’ONU sur le droit communautaire, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité des décisions du Conseil de sécurité à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire. En effet, d’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier de ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités. D’autre part, elle serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international.

Dès lors, les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la

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mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.

Le Tribunal est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité de telles résolutions au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

(cf. points 213-215, 221-223, 225-226)

6. Le gel des fonds prévu par le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, tel que modifié par le règlement nº 561/2003, et, indirectement, par les résolutions du Conseil de sécurité que ces règlements mettent en oeuvre, ne viole pas les droits fondamentaux de l’intéressé, à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens.

À cet égard, les possibilités explicites d’exemptions et de dérogations dont est assorti le gel des fonds des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions montrent clairement que cette mesure n’a ni pour objet ni pour effet de soumettre ces personnes à un traitement inhumain ou dégradant.

En outre, pour autant que le droit à la propriété doive être considéré comme faisant partie des normes impératives du droit international général, seule une privation arbitraire de ce droit pourrait, en tout état de cause, être considérée comme contraire au jus cogens. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, en premier lieu, le gel de ses fonds constitue un aspect des sanctions décidées par le Conseil de sécurité à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, compte tenu de l’importance de la lutte contre le terrorisme international et la légitimité d’une protection des Nations unies contre les agissements d’organisations terroristes. En deuxième lieu, le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation. En troisième lieu, les résolutions du Conseil de sécurité prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des sanctions. Enfin, la réglementation en cause aménage une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen, par l’intermédiaire de l’État membre de leur nationalité ou de leur résidence.

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Eu égard à ces circonstances, le gel des fonds des personnes et entités soupçonnées, sur la base des informations communiquées par les États membres des Nations unies et contrôlées par le Conseil de sécurité, d’être liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et d’avoir participé au financement, à la planification, à la préparation ou à la perpétration d’actes terroristes ne saurait passer pour constitutif d’une atteinte arbitraire, inadéquate ou disproportionnée aux droits fondamentaux des intéressés.

(cf. points 238, 240, 242-245, 248-251)

7. Ni le Conseil, dans le contexte de l’adoption du règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, ni le comité des sanctions, dans le contexte de l’inscription de l’intéressé sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions du Conseil de sécurité que ledit règlement met en oeuvre, n’ont violé le droit de l’intéressé d’être entendu.

En effet, en premier lieu, le Conseil n’était pas tenu d’entendre l’intéressé au sujet de son maintien sur la liste des personnes et entités visées par les sanctions, dans le contexte de l’adoption et de la mise en oeuvre du règlement en cause, étant donné que les institutions communautaires ne disposaient d’aucune marge d’appréciation dans la transposition dans l’ordre juridique communautaire des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions du comité des sanctions de sorte qu’une audition de l’intéressé n’aurait pu en aucun cas amener l’institution à revoir sa position.

En second lieu, le droit de l’intéressé d’être entendus par le comité des sanctions dans le contexte de son inscription sur la liste des personnes soupçonnées de contribuer au financement du terrorisme international dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité n’est pas prévu par les résolutions en question. En particulier, dans la situation où est en cause une mesure conservatoire limitant la disponibilité des biens de l’intéressé, le respect de ses droits fondamentaux n’impose pas que les faits et éléments de preuve retenus à sa charge lui soient communiqués, dès lors que le Conseil de sécurité ou son comité des sanctions estiment que des motifs intéressant la sûreté de la communauté internationale s’y opposent.

(cf. points 258-259, 261, 274, 276)

8. Dans le cadre d’un recours en annulation introduit contre le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, le Tribunal exerce un entier contrôle de la légalité dudit règlement quant au respect, par les institutions communautaires, des règles de compétence ainsi que des

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règles de légalité externe et des formes substantielles qui s’imposent à leur action. Le Tribunal contrôle également la légalité de ce même règlement au regard des résolutions du Conseil de sécurité que ce règlement est censé mettre en oeuvre, notamment sous l’angle de l’adéquation formelle et matérielle, de la cohérence interne et de la proportionnalité du premier par rapport aux secondes. De surcroît, il contrôle la légalité de ce règlement et, indirectement, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité, au regard des normes supérieures du droit international relevant du jus cogens, notamment les normes impératives visant à la protection universelle des droits de la personne humaine.

En revanche, il n’incombe pas au Tribunal de contrôler indirectement la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire. Il n’appartient pas davantage au Tribunal de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve que le Conseil a retenus à l’appui des mesures qu’il a prises ni encore, sous réserve du cadre limité du contrôle exercé au regard du jus cogens, de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Dans cette mesure, le requérant ne dispose d’aucune voie de recours juridictionnel, le Conseil de sécurité n’ayant pas estimé opportun d’établir une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions.

Toutefois, cette lacune dans la protection juridictionnelle du requérant n’est pas en soi contraire au jus cogens. En effet, le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. La limitation du droit d’accès du requérant à un tribunal, résultant de l’immunité de juridiction dont bénéficient en principe les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, est inhérente à ce droit, tel qu’il est garanti par le jus cogens. L’intérêt du requérant à voir sa cause entendue sur le fond par un tribunal n’est pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt général essentiel qu’il y a à ce que la paix et la sécurité internationales soient maintenues face à une menace clairement identifiée par le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la charte des Nations unies. Dès lors, le droit du requérant à un recours juridictionnel effectif n’est pas violé.

(cf. points 279-280, 282-289, 291)

CJCE [GC], arrêt du 3 septembre 2008, Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, Affaires jointes C-402/05 P et C-415/05 P.

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«Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Nations unies — Conseil de sécurité — Résolutions adoptées au titre de chapitre VII de la charte des Nations unies — Mise en œuvre dans la Communauté — Position commune 2002/402/PESC — Règlement (CE) nº 881/2002 — Mesures visant des personnes et entités incluses dans une liste établie par un organe des Nations unies — Gel de fonds et de ressources économiques — Comité du Conseil de sécurité créé par le paragraphe 6 de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité (comité des sanctions) — Inclusion de ces personnes et entités dans l’annexe I du règlement (CE) nº 881/2002 — Recours en annulation — Compétence de la Communauté — Base juridique combinée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE — Droits fondamentaux — Droit au respect de la propriété, droit d’être entendu et droit à un contrôle juridictionnel effectif»

Résumé de l’arrêt :

1. Retenir l'interprétation des articles 60 CE et 301 CE, selon laquelle il suffirait que les mesures restrictives prévues par la résolution 1390 (2002) du Conseil de Sécurité des Nations unies et mises en œuvre par le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, visent des personnes ou des entités se trouvant dans un pays tiers ou y étant associées à un autre titre, donnerait une portée excessivement large à ces dispositions et ne tiendrait nullement compte de l’exigence, découlant des termes mêmes de celles-ci, que les mesures décidées sur la base desdites dispositions doivent être prises à l’encontre de pays tiers.

D'une part, l'interprétation de l'article 301 CE, selon laquelle celui-ci établirait une passerelle procédurale entre la Communauté et l’Union européenne de sorte qu'il devrait être interprété aussi largement que les compétences communautaires pertinentes, dont celles relatives à la politique commerciale commune et à la libre circulation des capitaux, serait susceptible de réduire son champ d'application et, partant, son effet utile, car cette disposition, au vu de ses termes mêmes, vise l'adoption de mesures affectant les relations économiques avec des pays tiers potentiellement très diverses et qui donc, a priori, ne doivent pas être limitées aux domaines relevant d’autres compétences matérielles communautaires telles que celles en matière de politique commerciale commune ou de libre circulation des capitaux. Cette interprétation ne trouve du reste pas d’appui dans le libellé de l’article 301 CE, celui-ci conférant une compétence matérielle à la Communauté dont la portée est, en principe, autonome par rapport à celle d’autres compétences communautaires.

D'autre part, eu égard au but et au contenu dudit règlement, il ne saurait être considéré que ce règlement porte spécifiquement sur les échanges internationaux en ce qu’il serait essentiellement destiné à promouvoir, à

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faciliter ou à régir les échanges commerciaux et il ne pouvait donc pas être fondé sur la compétence communautaire en matière de politique commerciale commune. En effet, un acte communautaire ne relève de la compétence en matière de politique commerciale commune prévue à l’article 133 CE que s’il porte spécifiquement sur les échanges internationaux en ce qu’il est essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges commerciaux et a des effets directs et immédiats sur le commerce ou les échanges des produits concernés. Il ne saurait pas non plus être considéré que ledit règlement relève du champ d'application des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux et des paiements, en ce qu'il interdit le transfert de ressources économiques à des particuliers dans des pays tiers. S'agissant tout d'abord de l'article 57, paragraphe 2, CE, les mesures restrictives en cause ne relèvent pas de l'une des catégories de mesures énumérées à cette disposition. En ce qui concerne ensuite l'article 60, paragraphe 1, CE, cette disposition ne saurait pas non plus fonder le règlement en question dès lors que son champ d'application est déterminé par celui de l'article 301 CE. Pour ce qui est enfin de l'article 60, paragraphe 2, CE, cette disposition ne comporte pas de compétence communautaire à cet effet, dès lors qu'elle se limite à permettre aux États membres d’adopter, pour certains motifs exceptionnels, des mesures unilatérales contre un pays tiers concernant les mouvements de capitaux et les paiements, sous réserve du pouvoir du Conseil d’imposer à un État membre de modifier ou d’abolir de telles mesures.

(cf. points 168, 176-178, 183, 185, 187-191, 193)

2. Une conception, selon laquelle l'article 308 CE permettrait, dans le contexte particulier des articles 60 CE et 301 CE, l’adoption d’actes communautaires visant non pas l’un des objets de la Communauté, mais l’un des objectifs relevant du traité UE en matière de relations extérieures, au nombre desquels figure la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), se heurte au libellé même de l'article 308 CE.

S'il est exact qu’une passerelle a été établie entre les actions de la Communauté comportant des mesures économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE, ainsi que les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures, dont la PESC, ni le libellé des dispositions du traité CE ni la structure de celui-ci ne donnent un fondement à une conception selon laquelle cette passerelle s’étendrait à d’autres dispositions du traité CE, et en particulier à l’article 308 CE.

Un recours à l'article 308 CE requiert que l’action envisagée, d’une part, ait trait au «fonctionnement du marché commun» et, d’autre part, vise à réaliser «l’un des objets de la Communauté». Or, cette dernière notion, eu égard à ses termes clairs et précis, ne saurait en aucun cas être comprise comme incluant les objectifs de la PESC.

La coexistence de l’Union et de la Communauté en tant qu’ordres juridiques intégrés mais distincts ainsi que l’architecture

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constitutionnelle des piliers, voulues par les auteurs des traités actuellement en vigueur, constituent en outre des considérations de nature institutionnelle militant contre une extension de ladite passerelle à des articles du traité CE autres que ceux avec lesquels celle-ci établit un lien de façon expresse.

Par ailleurs, l’article 308 CE, faisant partie intégrante d’un ordre institutionnel basé sur le principe des compétences d’attribution, ne saurait constituer un fondement pour élargir le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité CE, et en particulier de celles qui définissent les missions et les actions de la Communauté.

De même, l’article 3 UE, en particulier son second alinéa, ne saurait servir de base à un élargissement des compétences de la Communauté au-delà des objets de la Communauté.

(cf. points 197-204)

3. L'article 308 CE vise à suppléer l’absence de pouvoirs d’action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques du traité dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que la Communauté puisse exercer ses fonctions en vue d’atteindre l’un des objets fixés par ce traité.

Le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, en ce qu’il impose des mesures restrictives de nature économique et financière, relève manifestement du champ d’application ratione materiae des articles 60 CE et 301 CE. Ces articles ne prévoyant toutefois pas de pouvoirs d’action exprès ou implicites pour imposer de telles mesures à des destinataires n'ayant aucun lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers tels que ceux visés par ledit règlement, cette absence de pouvoir, due aux limitations du champ d’application ratione personae desdites dispositions, peut être suppléée en recourant à l’article 308 CE en tant que base juridique dudit règlement en sus de ces deux premiers articles fondant cet acte du point de vue de sa portée matérielle, pourvu toutefois que les autres conditions auxquelles l’applicabilité de l’article 308 CE est assujettie aient été remplies.

Or, l'objectif de ce règlement étant celui d'empêcher les personnes associées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban de disposer de toute ressource financière et économique, afin de faire obstacle au financement d’activités terroristes, il peut être rattaché à l’un des objets de la Communauté au sens de l’article 308 CE. En effet, les articles 60 CE et 301 CE, en ce qu’ils prévoient une compétence communautaire pour imposer des mesures restrictives de nature économique afin de mettre en œuvre des actions décidées dans le cadre

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de la politique étrangère et de sécurité commune, sont l’expression d’un objectif implicite et sous-jacent, à savoir celui de rendre possible l’adoption de telles mesures par l’utilisation efficace d’un instrument communautaire. Cet objectif peut être considéré comme constituant un objet de la Communauté au sens de l’article 308 CE.

La mise en œuvre de telles mesures par l'utilisation d'un instrument communautaire ne déborde pas le cadre général résultant de l'ensemble des dispositions du traité, dès lors que, de par leur nature, elles présentent en outre un lien avec le fonctionnement du marché commun, ce lien constituant une autre condition d'application de l'article 308 CE. En effet, si des mesures économiques et financières telles que celles imposées par ledit règlement étaient imposées unilatéralement par chaque État membre, une prolifération de ces mesures nationales serait susceptible d'affecter le fonctionnement du marché commun.

(cf. points 211, 213, 216, 222, 225-227, 229-230)

4. La Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions. Un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de la compétence exclusive dont elle est investie par l’article 220 CE, compétence qui relève des fondements mêmes de la Communauté.

S'agissant d'un acte communautaire qui, tel le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, vise à mettre en oeuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’incombe pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une telle résolution adoptée par cet organe international, ce contrôle fût-il limité à l'examen de la compatibilité de cette résolution avec le jus cogens, mais de contrôler la légalité de l'acte communautaire de mise en oeuvre.

Un arrêt d'une juridiction communautaire par lequel il serait décidé qu’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une telle résolution est contraire à une norme supérieure relevant de l’ordre juridique communautaire n’impliquerait pas une remise en cause de la primauté de cette résolution au plan du droit international.

(cf. points 281-282, 286-288)

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5. Les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La convention européenne des droits de l’homme revêt, à cet égard, une signification particulière. Le respect des droits de l'homme constitue ainsi une condition de la légalité des actes communautaires et ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci.

À cet égard, les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires doivent respecter les droits fondamentaux, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ce traité.

Les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Une telle immunité juridictionnelle d’un acte communautaire, en tant que corollaire du principe de primauté au plan du droit international des obligations issues de la charte des Nations unies, en particulier de celles relatives à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de cette charte, ne trouve aucun fondement dans le traité CE. L'article 307 CE ne pourrait en aucun cas permettre la remise en cause des principes qui relèvent des fondements mêmes de l’ordre juridique communautaire, parmi lesquels les principes de liberté, de démocratie ainsi que de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales consacrés à l'article 6, paragraphe 1, UE en tant que fondement de l'Union. Si la disposition de l'article 300, paragraphe 7, CE, prévoyant que les accords conclus selon les conditions y fixées lient les institutions de la Communauté et les États membres, était applicable à la charte des Nations unies, elle conférerait à cette dernière la primauté sur les actes de droit communautaire dérivé. Toutefois, au plan du droit communautaire, cette primauté ne s'étendrait pas au droit primaire et, en particulier, aux principes généraux dont font partie les droits fondamentaux.

Les juridictions communautaires doivent donc, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l'ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux, y compris sur les

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actes communautaires qui, tel le règlement en cause, visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

(cf. points 283-285, 299, 303-304, 306-308, 326)

6. Les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international et un acte adopté en vertu de ces compétences doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international.

Dans l'exercice de sa compétence d'adoption d'actes communautaires pris sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE pour mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, la Communauté se doit d’attacher une importance particulière au fait que, conformément à l’article 24 de la charte des Nations unies, l’adoption, par le Conseil de sécurité, de résolutions au titre du chapitre VII de cette charte constitue l’exercice de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité, responsabilité qui, dans le cadre dudit chapitre VII, inclut le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir.

Toutefois, la charte des Nations unies n’impose pas le choix d’un modèle prédéterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre de son chapitre VII, cette mise en œuvre devant intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU. En effet, la charte des Nations unies laisse en principe aux membres de l’ONU le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions.

(cf. points 291, 293-294, 298)

7. Pour ce qui concerne les droits de la défense, et en particulier le droit d’être entendu, s’agissant de mesures restrictives telles que celles qu’impose le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, il ne saurait être requis des autorités communautaires qu’elles communiquent, préalablement à l’inclusion initiale d’une personne ou d'une entité dans la liste des personnes ou entités visées par ces mesures, les motifs sur lesquels est fondée cette inclusion. En effet, une telle communication préalable serait de nature à compromettre l’efficacité des mesures de gel de fonds et de ressources économiques qu’impose ce règlement. Pour des raisons tenant également à l’objectif poursuivi par ledit règlement et à l’efficacité des mesures prévues par celui-ci, les autorités communautaires n'étaient pas non plus tenues de procéder à une audition

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des requérants préalablement à l’inclusion initiale de leurs noms dans la liste figurant à l’annexe I de ce règlement. En outre, s’agissant d’un acte communautaire visant à mettre en oeuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de la Communauté et de ses États membres peuvent s’opposer à la communication de certains éléments aux intéressés et, dès lors, à l’audition de ceux-ci sur ces éléments.

Toutefois, les droits de la défense, en particulier celui d'être entendu, ne sont manifestement pas respectés dès lors que ni le règlement en cause ni la position commune 2002/402, concernant des mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, à laquelle ledit règlement renvoie ne prévoient une procédure de communication des éléments justifiant l’inclusion des noms des intéressés dans l’annexe I dudit règlement et d’audition de ces derniers, que ce soit concomitamment ou ultérieurement à cette inclusion, et que, ensuite, le Conseil n’a pas communiqué aux requérants les éléments retenus à leur charge pour fonder les mesures restrictives qui leur ont été imposées ni accordé à ceux-ci le droit de prendre connaissance desdits éléments dans un délai raisonnable après l'édition de ces mesures.

(cf. points 334, 338-339, 341-342, 345,348)

8. Le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l’homme, ce principe ayant d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le respect de l'obligation de communiquer les motifs sur lesquels est fondée l'inclusion du nom d'une personne ou d'une entité dans la liste constituant l'annexe I du règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, est nécessaire tant pour permettre aux destinataires des mesures restrictives de défendre leurs droits dans les meilleures conditions possible et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge communautaire que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de l’acte communautaire en cause qui lui incombe en vertu du traité.

Ainsi, dès lors que lesdites personnes ou entités ne sont pas informées des éléments retenus à leur charge, compte tenu des rapports qui existent entre les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, elles ne peuvent pas non plus défendre leurs droits à l’égard desdits éléments dans des conditions satisfaisantes devant le

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juge communautaire et celui-ci n'est pas en mesure de procéder au contrôle de la légalité dudit règlement pour autant qu'il concerne ces personnes ou entités, de sorte qu’une violation dudit droit à un recours juridictionnel effectif doit être constatée.

(cf. points 335-337, 349, 351)

9. L'importance des objectifs poursuivis par un acte communautaire est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris ceux qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété.

Au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la lutte par tous les moyens, conformément à la charte des Nations unies, contre les menaces à l’égard de la paix et de la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme, le gel des fonds, avoirs financiers et autres ressources économiques des personnes identifiées par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions comme étant associées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban ne saurait, en soi, passer pour inadéquat ou disproportionné. À cet égard, les mesures restrictives qu'impose le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, constituent des restrictions au droit de propriété qui, en principe, peuvent être justifiées.

Toutefois, les procédures applicables doivent offrir à la personne ou entité concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes, comme l'exige l'article 1er du protocole nº 1 de la convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi, l'imposition à des mesures restrictives que comporte ledit règlement à l'égard d'une personne ou entité, en raison de l'inclusion de cette dernière dans la liste contenue à son annexe I, constitue une restriction injustifiée de son droit de propriété, dès lors que ce règlement a été adopté sans fournir aucune garantie permettant à cette personne ou entité d'exposer sa cause aux autorités compétentes, et ce dans une situation dans laquelle la restriction de ses droits de propriété doit être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale et à la durée effective des mesures restrictives dont elle fait l'objet.

(cf. points 361, 363, 366, 368-370)

10. Dans la mesure où un règlement tel que le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, doit être annulé, pour autant qu'il concerne les requérants, en raison d’une violation de principes applicables dans le

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cadre de la procédure suivie lors de l’adoption des mesures restrictives instaurées par ce règlement, il ne saurait être exclu que, sur le fond, l’imposition de telles mesures aux requérants puisse tout de même s’avérer justifiée.

L'annulation de ce règlement avec effet immédiat serait ainsi susceptible de porter une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose ledit règlement et que la Communauté se doit de mettre en oeuvre, dès lors que, dans l’intervalle précédant son éventuel remplacement par un nouveau règlement, les requérants pourraient prendre des mesures visant à éviter que des mesures de gel de fonds puissent encore leur être appliquées. Dans ces circonstances, il est fait une juste application de l’article 231 CE en maintenant les effets dudit règlement, pour autant qu'il concerne les requérants, pendant une période ne pouvant excéder trois mois à compter de la date du prononcé de l'arrêt.

(cf. points 373-374, 376)

In extenso, §280 à 299 :

280    Il convient d’examiner les griefs par lesquels les requérants reprochent au Tribunal d’avoir jugé, en substance, qu’il découle des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors qu’il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant place à aucune marge à cet effet, ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel quant à sa légalité interne, sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens, et bénéficie donc dans cette mesure d’une immunité juridictionnelle.281    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23).282    Il convient de rappeler également qu’un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de la compétence exclusive dont elle est investie par l’article 220 CE, compétence que la Cour a d’ailleurs déjà considérée comme relevant des fondements mêmes de la Communauté (voir, en ce sens, avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I-6079, points 35 et 71, ainsi que arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande, C-459/03, Rec. p. I-4635, point 123 et jurisprudence citée).283    En outre, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont

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la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, Rec. p. I-5305, point 29 et jurisprudence citée).284    Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires (avis 2/94, précité, point 34) et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci (arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p. I-5659, point 73 et jurisprudence citée).285    Il découle de l’ensemble de ces éléments que les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires doivent respecter les droits fondamentaux, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ce traité.286    À cet égard, il importe de souligner que, dans un contexte tel que celui de l’espèce, le contrôle de légalité devant ainsi être assuré par le juge communautaire porte sur l’acte communautaire visant à mettre en œuvre l’accord international en cause, et non sur ce dernier en tant que tel.287    S’agissant plus particulièrement d’un acte communautaire qui, tel le règlement litigieux, vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’incombe donc pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une telle résolution adoptée par cet organe international, ce contrôle fût-il limité à l’examen de la compatibilité de cette résolution avec le jus cogens.288    Par ailleurs, un éventuel arrêt d’une juridiction communautaire par lequel il serait décidé qu’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une telle résolution est contraire à une norme supérieure relevant de l’ordre juridique communautaire n’impliquerait pas une remise en cause de la primauté de cette résolution au plan du droit international.289    Ainsi, la Cour a déjà annulé une décision du Conseil approuvant un accord international après avoir examiné la légalité interne de celle-ci au regard de l’accord en cause et avoir constaté une violation d’un principe général du droit communautaire, en l’occurrence le principe général de non-discrimination (arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C-122/95, Rec. p. I-973).290    Il y a dès lors lieu d’examiner si, comme l’a jugé le Tribunal, les principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire impliquent qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux est en principe

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exclu, nonobstant le fait que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 281 à 284 du présent arrêt, un tel contrôle constitue une garantie constitutionnelle relevant des fondements mêmes de la Communauté.291    À cet égard, il convient d’abord de rappeler que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts précités Poulsen et Diva Navigation, point 9, ainsi que Racke, point 45), la Cour ayant en outre précisé, au même point du premier de ces arrêts, qu’un acte adopté en vertu de ces compétences doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international.292    De plus, la Cour a jugé que les compétences de la Communauté prévues aux articles 177 CE à 181 CE en matière de coopération et de développement doivent être exercées dans le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies et des autres organisations internationales (arrêt du 20 mai 2008, Commission/Conseil, C-91/05, non encore publié au Recueil, point 65 et jurisprudence citée).293    Le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies s’impose tout autant dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, lors de la mise en œuvre par la Communauté, par l’adoption d’actes communautaires pris sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.294    Dans l’exercice de cette dernière compétence, la Communauté se doit en effet d’attacher une importance particulière au fait que, conformément à l’article 24 de la charte des Nations unies, l’adoption, par le Conseil de sécurité, de résolutions au titre du chapitre VII de cette charte constitue l’exercice de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité, responsabilité qui, dans le cadre dudit chapitre VII, inclut le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir.295    Il convient ensuite de constater que les compétences prévues aux articles 60 CE et 301 CE ne peuvent être exercées qu’à la suite de l’adoption d’une position commune ou d’une action commune en vertu des dispositions du traité UE relatives à la PESC qui prévoit une action de la Communauté.296    Or, si, du fait de l’adoption d’un tel acte, la Communauté est tenue de prendre, dans le cadre du traité CE, les mesures qu’impose cet acte, cette obligation implique, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, que, lors de l’élaboration de ces mesures, la Communauté tienne dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée ainsi que des obligations pertinentes découlant de la charte des Nations unies relatives à une telle mise en œuvre.297    Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que, aux fins de l’interprétation du règlement litigieux, il y a également lieu de tenir compte du texte et de l’objet de la résolution 1390 (2002), que ce règlement, selon son

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quatrième considérant, vise à mettre en œuvre (arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, point 54 et jurisprudence citée).298    Il y a toutefois lieu de relever que la charte des Nations unies n’impose pas le choix d’un modèle déterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de cette charte, cette mise en œuvre devant intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU. En effet, la charte des Nations unies laisse en principe aux membres de l’ONU le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions.299    Il découle de l’ensemble de ces considérations que les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.(…)

TPI, arrêt du 30 septembre 2010, Yassin Abdullah Kadi c. Commission européenne, Affaire T-85/09

« Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Règlement (CE) nº 881/2002 — Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne par suite de son inclusion dans une liste établie par un organe des Nations unies — Comité des sanctions — Inclusion par suite dans l’annexe I du règlement nº 881/2002 — Recours en annulation — Droits fondamentaux — Droit d’être entendu, droit à un contrôle juridictionnel effectif et droit au respect de la propriété »

Résumé de l’arrêt :

1.      Dans des circonstances où est en cause un acte adopté par la Commission en remplacement d’un acte antérieur annulé par la Cour, dans le cadre d’un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal ayant rejeté le recours en annulation formé contre ledit acte, le principe même du pourvoi et la structure juridictionnelle hiérarchique qui en est le corollaire recommandent en principe au Tribunal de ne pas remettre lui-même en cause les points de droit tranchés par la décision de la Cour. Il en va d’autant plus ainsi lorsque la Cour a statué en grande chambre et a manifestement entendu prononcer un arrêt de principe. Dès lors, si une réponse devait être apportée aux interrogations soulevées par les institutions, les États membres et les milieux juridiques intéressés, à la suite d'un arrêt de la Cour, il conviendrait que la Cour elle-même y pourvoie dans le cadre des futures affaires dont elle pourrait avoir à

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connaître. Par ailleurs, dans de telles circonstances, c’est en principe à la Cour, et non au Tribunal, qu’il revient, le cas échéant, d’opérer un revirement de jurisprudence, si cela lui apparaît justifié au regard, notamment, des graves inconvénients invoqués par les institutions et par les gouvernements des États membres.(cf. points 121, 123)2.      Dans le cadre d'un recours en annulation ayant pour objet le règlement nº 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, il incombe au Tribunal d'assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité dudit règlement au regard des droits fondamentaux, sans faire bénéficier ce règlement d'une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu'il vise à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.Il doit en aller ainsi, à tout le moins, aussi longtemps que les procédures de réexamen mises en œuvre par le comité des sanctions des Nations unies n'offrent manifestement pas les garanties d'une protection juridictionnelle effective. À cet égard, dès lors que le Conseil de sécurité n'a toujours pas estimé opportun d'établir un organe indépendant et impartial chargé de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions, le contrôle exercé par le juge communautaire sur les mesures communautaires de gel des fonds ne saurait être qualifié d'effectif que s'il porte, indirectement, sur les appréciations de fond effectuées par le comité des sanctions lui-même ainsi que sur les éléments qui les sous-tendent.Le principe d'un contrôle juridictionnel complet et rigoureux des mesures de gels de fonds est d'autant plus justifié que ces mesures affectent de façon sensible et durable les droits fondamentaux des intéressés.(cf. points 126-129, 151)3.      Dès lors que le règlement nº 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, impose à une personne des mesures restrictives du fait de son inclusion dans la liste contenue à l'annexe I de ce dernier règlement, sans fournir à ladite personne de garantie réelle quant à la communication des informations et des éléments de preuve retenus à sa charge ou quant à la possibilité pour celle-ci d'être utilement et effectivement entendue à cet égard, il doit être conclu que ce règlement a été arrêté selon une procédure au cours de laquelle les droits de la défense n'ont pas été respectés.En outre, à défaut d'avoir eu le moindre accès utile aux informations et aux éléments de preuve retenus à sa charge et compte tenu des rapports qui existent entre les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, ladite personne n'a pas non plus pu défendre ses droits au regard desdits éléments dans des conditions satisfaisantes devant le juge communautaire, de sorte qu'une violation dudit droit à un recours juridictionnel effectif doit également être constatée.

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(cf. points 181, 184)4.      L'imposition à l'égard d'une personne des mesures restrictives, comme le gel de fonds, que comporte le règlement nº 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, du fait de son inclusion dans la liste contenue à l'annexe I de ce dernier règlement, constitue une restriction injustifiée de son droit de propriété, dès lors que ledit règlement nº 1190/2008 a été adopté sans fournir aucune garantie réelle permettant à ladite personne d'exposer sa cause aux autorités compétentes, et ce dans une situation dans laquelle la restriction de son droit de propriété doit être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale et à la persistance des mesures de gel dont elle fait l'objet.(cf. points 192-193)

CJUE [GC], arrêt du 18 juillet 2013, Commission européenne et autres contre Yassin Abdullah Kadi, Affaires jointes C-584/10 P, C-593/10 P et C-595/10 P

«Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – Mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban – Règlement (CE) nº 881/2002 – Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne incluse dans une liste établie par un organe des Nations unies – Inclusion du nom de cette personne dans la liste figurant à l’annexe I du règlement (CE) nº 881/2002 – Recours en annulation – Droits fondamentaux – Droits de la défense – Principe de protection juridictionnelle effective – Principe de proportionnalité – Droit au respect de la propriété – Obligation de motivation»

Arrêt (extraits) :

1 Par leurs pourvois, la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 septembre 2010, Kadi/Commission (T-85/09, Rec. p. II-5177, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé le règlement (CE) nº 1190/2008 de la Commission, du 28 novembre 2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement (CE) nº 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban (JO L 322, p. 25, ci-après le «règlement litigieux»), pour autant que cet acte concerne M. Kadi.(…) Les antécédents des litiges L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kadi

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16      Le 17 octobre 2001, le nom de M. Kadi, identifié comme étant une personne associée à Oussama ben Laden et au réseau Al-Qaida, a été inscrit sur la liste récapitulative du comité des sanctions.17      Ce nom a, subséquemment, été ajouté sur la liste contenue à l’annexe I du règlement (CE) nº 467/2001 du Conseil, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement nº 337/2000 (JO L 67, p. 1), par le règlement (CE) nº 2062/2001 de la Commission, du 19 octobre 2001, modifiant, pour la troisième fois, le règlement nº 467/2001 (JO L 277, p. 25). Il a, par la suite, été inscrit sur la liste figurant à l’annexe I du règlement (CE) nº 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement nº 467/2001 (JO L 139, p. 9).18      Le 18 décembre 2001, M. Kadi a saisi le Tribunal d’un recours visant à obtenir l’annulation, initialement, des règlements nos 467/2001 et 2062/2001, puis du règlement nº 881/2002, pour autant que ces règlements le concernaient. Ses moyens d’annulation étaient pris, respectivement, d’une violation du droit d’être entendu, du droit au respect de la propriété et du principe de proportionnalité ainsi que du droit à un contrôle juridictionnel effectif.19      Par l’arrêt du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission (T-315/01, Rec. p. II-3649), le Tribunal a rejeté ce recours. En substance, il a jugé qu’il découlait des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique de l’Union que le règlement nº 881/2002, dès lors qu’il visait à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité ne laissant place à aucune marge à cet effet, ne pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel quant à sa légalité interne et bénéficiait donc d’une immunité juridictionnelle, sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose, sans dérogation possible, à tous les sujets du droit international, y compris aux instances de l’ONU.20      Dans ces conditions, le Tribunal a, à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens, exclu en l’espèce l’existence d’une violation des droits invoqués par M. Kadi. S’agissant, en particulier, du droit à un contrôle juridictionnel effectif, il a souligné qu’il ne lui appartenait pas de contrôler indirectement la conformité des résolutions du Conseil de sécurité avec les droits fondamentaux tels que protégés par l’ordre juridique de l’Union, ni de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve retenus par cette instance internationale à l’appui des mesures prises, ni encore de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Il a ajouté qu’une telle lacune dans la protection juridictionnelle de M. Kadi n’est pas en soi contraire au jus cogens.21      Par son arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. p. I-6351, ci-après l’«arrêt Kadi»), la Cour a annulé l’arrêt Kadi/Conseil et Commission, précité, ainsi que le règlement nº 881/2002 dans la mesure où ce dernier visait M. Kadi.22      En substance, la Cour a jugé que les obligations découlant d’un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, notamment au principe du respect obligatoire des droits fondamentaux par l’ensemble des actes de l’Union, ce respect constituant

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une condition de légalité de ces actes qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit le traité. Elle a considéré que, nonobstant le respect dû, lors de la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, aux engagements pris dans le cadre de l’ONU, les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas pour autant une immunité juridictionnelle d’un acte de l’Union tel que le règlement nº 881/2002. Elle a ajouté qu’une telle immunité ne trouve aucun fondement dans le traité.23      Elle a, dans ces conditions, jugé, aux points 326 et 327 de l’arrêt Kadi, que les juridictions de l’Union se doivent d’assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux, y compris lorsque de tels actes visent à mettre en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, et que l’analyse du Tribunal était, par conséquent, entachée d’une erreur de droit.24      Statuant sur le recours introduit par M. Kadi devant le Tribunal, elle a jugé, aux points 336 à 341 de l’arrêt Kadi, que l’efficacité du contrôle juridictionnel implique que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les motifs de la décision d’inscription en cause et offre à cette personne la possibilité d’être entendue à cet égard. Elle a précisé que, s’agissant d’une décision d’inscription initiale, des raisons tenant à l’efficacité des mesures restrictives en cause et à l’objectif du règlement concerné justifiaient que cette communication et cette audition interviennent non pas préalablement à l’adoption de cette décision, mais au moment de cette adoption ou aussi rapidement que possible après celle-ci.25      Aux points 345 à 349 de l’arrêt Kadi, la Cour a ajouté que, dès lors que le Conseil n’avait ni communiqué à M. Kadi les éléments retenus à sa charge pour fonder les mesures restrictives prises à son encontre, ni accordé à celui-ci le droit de prendre connaissance de ces éléments dans un délai raisonnable après l’imposition de ces mesures, l’intéressé n’avait pas eu la possibilité de faire connaître utilement son point de vue à cet égard, si bien que les droits de la défense et le droit à un contrôle juridictionnel effectif avaient été violés. Elle a également constaté, au point 350 dudit arrêt, qu’il n’avait pas été remédié à cette violation devant le juge de l’Union étant donné que le Conseil n’avait avancé devant ce dernier aucun élément de cette nature. Aux points 369 à 371 du même arrêt, elle a conclu, par identité de motifs, à une violation du droit fondamental de M. Kadi au respect de la propriété.26      Les effets du règlement annulé en tant qu’il concernait M. Kadi ont été maintenus pour une période de trois mois maximum, pour permettre au Conseil de remédier aux violations constatées. Les suites données par les institutions de l’Union à l’arrêt Kadi et le règlement litigieux27      Le 21 octobre 2008, le président du comité des sanctions a communiqué l’exposé des motifs relatifs à l’inscription de M. Kadi sur la liste récapitulative de ce comité au représentant permanent de la France auprès de l’ONU, en autorisant sa communication à M. Kadi.28      Cet exposé des motifs est libellé comme suit:«L’individu Yasin Abdullah Ezzedine Qadi [...] satisfait aux conditions d’inscription par le [comité des sanctions] en raison de ses actes consistant dans a) le fait de participer au financement, à l’organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l’exécution d’actes ou d’activités en association avec le réseau Al-Qaida, Oussama ben Laden ou les Taliban, ou toute cellule, filiale ou émanation ou tout groupe dissident, sous leur nom, pour leur compte ou pour les soutenir; b) le fait de fournir, vendre ou transférer des armements et matériels connexes; c) le fait de recruter pour le compte de ceux-ci; d) le fait de

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soutenir, de toute autre manière, des actes commis par ceux-ci ou des activités auxquelles ils se livrent [voir résolution 1822 (2008) du Conseil de sécurité, paragraphe 2].M. Qadi a reconnu qu’il était un membre fondateur de la Fondation Muwafaq et qu’il en dirigeait les activités. La Fondation Muwafaq a toujours fonctionné sous l’égide du Bureau afghan [Makhtab al-Khidamat] (QE.M.12.01.), organisation fondée par MM. Abdullah Azzam et Oussama ben Laden [Usama Muhammed Awad Bin Laden] (QI.B.8.01.) et précurseur d’Al-Qaida (QE.A.4.01.). Après la dissolution du Bureau afghan, début juin 2001, et son absorption par Al-Qaida, plusieurs des organisations non gouvernementales qui lui étaient autrefois associées, notamment la Fondation Muwafaq, se sont également ralliées à Al-Qaida.En 1992, M. Qadi a confié à M. Shafiq Ben Mohamed Ben Mohamed Al-Ayadi (QI.A.25.01.) la direction des bureaux européens de la Fondation Muwafaq. Au milieu des années 90, M. Al-Ayadi dirigeait aussi le bureau de la Fondation Muwafaq en Bosnie-Herzégovine. M. Qadi a recruté M. Al-Ayadi sur la recommandation du célèbre financier d’Al-Qaida, M. Wa’el Hamza Abd al-Fatah Julaidan (QI.J.79.02.), qui a combattu aux côtés de M. Oussama ben Laden en Afghanistan dans les années 80. Au moment de sa nomination par M. Qadi au poste de directeur pour l’Europe de la Fondation Muwafaq, M. Al-Ayadi agissait au titre d’accords avec M. ben Laden. M. Al-Ayadi était l’un des principaux leaders du Front Islamique Tunisien, il s’est rendu en Afghanistan au début des années 90 pour y suivre un entraînement paramilitaire, puis au Soudan, avec d’autres personnes, pour y rencontrer M. ben Laden, avec lequel ils ont conclu un accord officiel concernant l’accueil et la formation de Tunisiens. Ils ont rencontré M. ben Laden une deuxième fois et obtenu un accord visant à ce que les collaborateurs de ben Laden en Bosnie-Herzégovine accueillent des combattants tunisiens venus d’Italie.En 1995, le dirigeant d’Al-Gama’at al Islamiyya, M. Talad Fuad Kassem, a déclaré que la Fondation Muwafaq avait fourni un appui logistique et financier à un bataillon de combattants en Bosnie-Herzégovine. Au milieu des années 90, la Fondation Muwafaq a contribué à l’appui financier fourni aux fins des activités terroristes de ces combattants, ainsi qu’au trafic d’armes en provenance d’Albanie et à destination de la Bosnie-Herzégovine. Une partie du financement de ces activités a été assurée par M. ben Laden.M. Qadi était aussi l’un des principaux actionnaires de la Depozitna Banka, établie à Sarajevo et aujourd’hui fermée, où M. Al-Ayadi exerçait également des fonctions et représentait les intérêts de M. Qadi. Des réunions consacrées à la préparation d’un attentat contre un établissement américain en Arabie saoudite ont peut-être eu lieu dans cette banque.M. Qadi était en outre propriétaire en Albanie de plusieurs sociétés qui transmettaient des fonds à des extrémistes ou confiaient à des extrémistes des postes leur permettant de contrôler les fonds des sociétés en question. Jusqu’à cinq des sociétés appartenant à M. Qadi en Albanie ont reçu des fonds de roulement versés par M. ben Laden.»29      Ledit exposé des motifs a également été publié sur le site Web du comité des sanctions.30      Le 22 octobre 2008, le représentant permanent de la France auprès de l’Union a transmis ce même exposé des motifs à la Commission, laquelle l’a, le même jour, adressé à M. Kadi, en l’informant du fait que, pour les motifs évoqués dans cet exposé, elle envisageait de maintenir l’inscription de son nom sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002. La Commission a laissé à M. Kadi jusqu’au 10 novembre 2008 pour faire valoir ses observations

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sur ces motifs et lui fournir toute information qu’il jugerait pertinente, avant qu’elle adopte sa décision finale.31      Le 10 novembre 2008, M. Kadi a transmis ses observations à la Commission. Faisant valoir, sur la base de pièces documentaires attestant de l’abandon par les autorités suisses, turques et albanaises d’enquêtes pénales ouvertes à son encontre pour des faits allégués de soutien à des organisations terroristes ou de criminalité financière, que, chaque fois que l’opportunité lui avait été donnée d’exprimer son point de vue sur les éléments de preuve retenus à son encontre, il avait pu démontrer l’absence de bien-fondé des allégations formulées contre lui, il a sollicité la production des éléments de preuve corroborant les affirmations et les assertions figurant dans l’exposé des motifs relatifs à son inscription sur la liste récapitulative du comité des sanctions ainsi que les documents pertinents du dossier de la Commission, et a demandé à pouvoir formuler des observations sur ces éléments de preuve. Tout en dénonçant le caractère vague ou général d’un certain nombre d’allégations contenues dans cet exposé des motifs, il a contesté, preuves à l’appui, le bien-fondé de chacun des motifs invoqués à sa charge.32      Le 28 novembre 2008, la Commission a adopté le règlement litigieux.33      Aux termes des considérants 3 à 6, 8 et 9 dudit règlement:«(3)      Pour se conformer à l’arrêt [Kadi], la Commission a communiqué à M. Kadi [...] [l’]exposé[...] des motifs fourni[...] par le [c]omité des sanctions [...] et [lui] a donné la possibilité de formuler des observations sur ces motifs pour faire connaître [son] point de vue.(4)      La Commission a reçu des observations de M. Kadi [...] et les a examinées.(5)      M. Kadi [...] figure[...] sur la liste des personnes, groupes et entités auxquels le gel des fonds et des ressources économiques devrait s’appliquer, liste établie par le [c]omité des sanctions [...].(6)      Après avoir attentivement examiné les observations formulées par M. Kadi dans une lettre datée du 10 novembre 2008, la Commission estime, au vu du caractère préventif du gel des fonds et des ressources économiques, que l’inscription de M. Kadi sur la liste se justifie en raison de ses rapports avec le réseau Al-Qaida.[...](8)      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’ajouter M. Kadi [...] à l’annexe I.(9)      Il convient d’appliquer le présent règlement à compter du 30 mai 2002 vu le caractère préventif et les objectifs du gel des fonds et des ressources économiques imposé par le règlement [...] nº 881/2002 et la nécessité de protéger les intérêts légitimes des opérateurs économiques qui se sont fiés à la légalité du règlement annulé [par l’arrêt Kadi].»34      Aux termes de l’article 1er et de l’annexe du règlement litigieux, l’annexe I du règlement nº 881/2002 est modifiée en ce sens, notamment, que la mention suivante est ajoutée sous la rubrique «Personnes physiques»:«Yasin Abdullah Ezzedine Qadi [alias a) Kadi, Shaykh Yassin Abdullah, b) Kahdi, Yasin; c) Yasin Al-Qadi]. Né le 23 février 1955 au Caire, Égypte. Nationalité: saoudienne. Numéro de passeport: a) B 751550, b) E 976177 (délivré le 6 mars 2004, expire le 11 janvier 2009). Renseignement complémentaire: Jeddah, Arabie saoudite.»35      Aux termes de l’article 2 du règlement litigieux, celui-ci est entré en vigueur le 3 décembre 2008 et s’applique à compter du 30 mai 2002.36      Par lettre du 8 décembre 2008, la Commission a répondu aux observations de M. Kadi du 10 novembre 2008.

Sur les pourvois

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59      La Commission, le Conseil et le Royaume-Uni invoquent différents moyens à l’appui de leur pourvoi respectif. Ceux-ci sont, en substance, au nombre de trois. Le premier moyen, soulevé par le Conseil, est tiré d’une erreur de droit liée à l’absence de reconnaissance d’une immunité juridictionnelle en faveur du règlement litigieux. Le deuxième moyen, soulevé par la Commission, le Conseil et le Royaume-Uni, est pris d’erreurs de droit relatives au degré d’intensité du contrôle juridictionnel défini dans l’arrêt attaqué. Le troisième moyen, soulevé par ces mêmes requérants, est fondé sur des erreurs commises par le Tribunal dans l’examen des moyens par lesquels M. Kadi a fait valoir devant lui une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective ainsi qu’une violation du principe de proportionnalité.

Appréciation de la Cour

65 Au point 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, conformément aux points 326 et 327 de l’arrêt Kadi, le règlement litigieux ne pouvait bénéficier d’une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu’il vise à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

66 Aucune évolution qui puisse justifier la remise en cause de la solution affirmée par la Cour dans l’arrêt Kadi n’est intervenue parmi les différents éléments qui soutiennent cette solution aux points 291 à 327 dudit arrêt et qui tiennent, en substance, à la garantie constitutionnelle qu’incarne, dans une Union de droit (voir arrêts du 29 juin 2010, E et F, C-550/09, Rec. p. I-6213, point 44, ainsi que du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C-335/09 P, point 48), le contrôle juridictionnel de la légalité de tout acte de l’Union, y compris de ceux qui, comme en l’occurrence, mettent en œuvre un acte de droit international, au regard des droits fondamentaux garantis par l’Union.

67 L’absence d’immunité juridictionnelle des actes de l’Union mettant en œuvre des mesures restrictives décidées au niveau international a, par ailleurs, été confirmée par l’arrêt du 3 décembre 2009, Hassan et Ayadi/Conseil et Commission (C-399/06 P et C-403/06 P, Rec. p. I-11393, points 69 à 75) et, plus récemment, par l’arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil (C-548/09 P, Rec. p. I-11381), dont le point 105 énonce, en s’appuyant sur l’arrêt Kadi, que, sans pour autant que cela remette en cause la primauté d’une résolution du Conseil de sécurité au plan international, le respect s’imposant aux institutions de l’Union à l’égard des institutions des Nations unies ne peut avoir pour conséquence l’absence de contrôle de la légalité de tels actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit de l’Union.

68 Il s’ensuit que l’arrêt attaqué, en particulier son point 126, n’est entaché d’aucune erreur de droit tirée de ce que le Tribunal a refusé,

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conformément à l’arrêt Kadi, de faire bénéficier le règlement litigieux d’une immunité juridictionnelle.

69 Le premier moyen doit donc être écarté.

Sur les deuxième et troisième moyens, tirés, respectivement, d’erreurs de droit relatives au degré d’intensité du contrôle juridictionnel défini dans l’arrêt attaqué et d’erreurs commises par le Tribunal dans l’examen des moyens d’annulation fondés sur une violation des droits de la défense, du droit à une protection juridictionnelle effective et du principe de proportionnalité.

70 Il convient d’examiner ensemble les deuxième et troisième moyens, étant donné que ceux-ci visent, en substance, à dénoncer des erreurs de droit dont serait entachée l’interprétation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, exprimée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.(…)

Appréciation de la Cour

– Sur l’étendue des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

97 Ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 125, 126 et 171 de l’arrêt attaqué, la Cour a jugé, au point 326 de l’arrêt Kadi, que les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, y compris lorsque de tels actes visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies (voir également, en ce sens, arrêts précités Hassan et Ayadi/Conseil et Commission, point 71, ainsi que Bank Melli Iran/Conseil, point 105). Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE.

98 Au rang de ces droits fondamentaux figurent, notamment, le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective.

99 Le premier de ces droits, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union (ci-après la «Charte») (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C-27/09 P, Rec. p. I-13427, point 66), comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité.

100 Le second desdits droits fondamentaux, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur

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lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 4 juin 2013, ZZ, C-300/11, point 53 et jurisprudence citée).

101 L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt ZZ, précité, point 51).

102 En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C-110/10 P, Rec. p. I-10439, point 63), notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, à propos du respect du devoir de motivation, arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C-539/10 P et C-550/10 P, points 139 et 140, ainsi que Conseil/Bamba, C-417/11 P, point 53).

103 En l’occurrence, il y a lieu de vérifier si, eu égard aux exigences résultant, notamment, des articles 3, paragraphes 1 et 5, TUE et 21, paragraphes 1 et 2, sous a) et c), TUE, relatives à la préservation de la paix et de la sécurité internationales dans le respect du droit international, en particulier, des principes de la charte des Nations unies, l’absence d’accès de M. Kadi et du juge de l’Union aux informations et aux éléments de preuve retenus à l’encontre de l’intéressé, dénoncée par le Tribunal, notamment, aux points 173, 181 et 182 de l’arrêt attaqué, constitue une violation des droits de la défense ainsi que du droit à une protection juridictionnelle effective.

104 À cet égard, ainsi que la Cour l’a déjà précisé, en particulier, au point 294 de l’arrêt Kadi, il y a lieu de souligner que, aux termes de l’article 24 de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité s’est vu conférer par les membres de l’ONU la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. À cette fin, il appartient à cet organe international de déterminer ce qui constitue une menace contre ces valeurs et de prendre, par l’adoption de résolutions au titre du chapitre VII de cette charte, les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir, en conformité avec les buts et les principes des Nations unies, notamment, avec le respect des droits de l’homme.

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105 Dans ce contexte, ainsi qu’il ressort des résolutions, mentionnées aux points 10 et 11 du présent arrêt, qui régissent le régime de mesures restrictives telles que celles en cause en l’espèce, il revient au comité des sanctions, sur proposition d’un membre de l’ONU étayée par un «exposé des motifs» devant comporter «un exposé aussi détaillé que possible des motifs de la demande d’inscription», la «nature des éléments d’information» et «tous les éléments d’information ou pièces justificatives pouvant être fournis», de désigner, en application des critères définis par le Conseil de sécurité, les organisations, les entités et les personnes dont les fonds et les autres ressources économiques doivent être gelés. Cette désignation, matérialisée par l’inscription du nom de l’organisation, de l’entité ou de la personne concernée sur la liste récapitulative du comité des sanctions tenue à jour en fonction des demandes des États membres de l’ONU, repose sur un «résumé des motifs» qui est établi par le comité des sanctions à la lumière des éléments dont l’État à l’origine de la proposition d’inscription a autorisé la divulgation, notamment à l’intéressé, et qui est rendu accessible sur son site Web.

106 Lors de la mise en œuvre de résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies effectuée par l’Union, sur la base d’une position commune ou d’une action commune adoptée par les États membres en vertu des dispositions du traité UE relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, il appartient à l’autorité compétente de l’Union de tenir dûment compte des termes et des objectifs de ces résolutions ainsi que des obligations pertinentes découlant de cette charte en relation avec une telle mise en œuvre (voir arrêt Kadi, points 295 et 296).

107 Partant, lorsque, dans le cadre des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, le comité des sanctions a décidé d’inscrire le nom d’une organisation, d’une entité ou d’une personne sur sa liste récapitulative, l’autorité compétente de l’Union doit, pour donner suite à cette décision au nom des États membres, prendre la décision d’inscrire le nom de celle-ci, ou de maintenir cette inscription, sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002 sur la base de l’exposé des motifs fourni par ledit comité. En revanche, il n’est pas prévu dans ces résolutions que le comité des sanctions mette spontanément à la disposition, notamment, de l’autorité compétente de l’Union aux fins de l’adoption par cette dernière de sa décision d’inscription ou de maintien d’une inscription, d’autres éléments que cet exposé des motifs.

108 C’est ainsi que, tant pour une décision initiale d’inscription du nom d’une organisation, d’une entité ou d’une personne sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002 que, comme en l’espèce, pour une décision de maintien sur cette liste d’une inscription initialement adoptée avant le 3 septembre 2008, date de l’arrêt Kadi, les articles 7 bis, paragraphes 1 et 2, et 7 quater, paragraphes 1 et 2, du règlement nº 881/2002, insérés par le règlement (UE) nº 1286/2009 du Conseil, du 22 décembre 2009, modifiant le règlement nº 881/2002 (JO L 346, p. 42) afin

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d’amender la procédure d’inscription sur ladite liste à la suite de cet arrêt, ainsi qu’il est précisé au considérant 4 du règlement nº 1286/2009, se réfèrent exclusivement à l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions aux fins de la prise de telles décisions.

109 Dans le cas particulier de M. Kadi, il ressort du dossier que l’inscription initiale de son nom, le 17 octobre 2001, sur la liste récapitulative du comité des sanctions a fait suite à une demande des États-Unis motivée par l’adoption d’une décision du 12 octobre 2001 par laquelle l’Office de contrôle des actifs étrangers a identifié M. Kadi comme étant un «terroriste mondial spécialement désigné» («Specially Designated Global Terrorist»).

110 Ainsi qu’il ressort du considérant 3 du règlement litigieux, à la suite de l’arrêt Kadi, la Commission a, par ledit règlement, décidé de maintenir le nom de M. Kadi sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002 sur la base de l’exposé des motifs qui avait été communiqué par le comité des sanctions. Ainsi que le Tribunal en a pris acte au point 95 de l’arrêt attaqué, et comme elle l’a confirmé lors de l’audience devant la Cour, elle n’a, à cette fin, pas été mise en possession d’autres éléments que cet exposé des motifs.

111 Dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont dispose cette autorité à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, c’est-à-dire, à tout le moins, l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions (voir, en ce sens, arrêt Kadi, points 336 et 337), et ce afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union.

112 Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son encontre (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21; du 21 septembre 2000, Mediocurso/Commission, C-462/98 P, Rec. p. I-7183, point 36, ainsi que du 22 novembre 2012, M., C-277/11, point 87 et jurisprudence citée).

113 S’agissant d’une décision consistant, comme en l’occurrence, à maintenir le nom de la personne concernée sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002, le respect de cette double obligation procédurale doit, contrairement à ce qui est le cas pour une inscription initiale (voir, à cet égard, arrêt Kadi, points 336 à 341 et 345 à 349, ainsi que arrêt France/People’s Mojahedin Organization of Iran, précité, point 61), précéder l’adoption de cette décision (voir arrêt France/People’s Mojahedin Organization of Iran, précité, point 62). Il n’est pas contesté

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que, en l’espèce, la Commission, auteur du règlement litigieux, s’est conformée à cette obligation.

114 Lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci (voir, par analogie, arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14; du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C-525/04 P, Rec. p. I-9947, point 58, et M., précité, point 88).

115 À ce titre, il incombe à cette autorité d’évaluer, eu égard, notamment, au contenu de ces observations éventuelles, la nécessité de solliciter la collaboration du comité des sanctions et, à travers ce dernier, du membre de l’ONU qui a proposé l’inscription de la personne concernée sur la liste récapitulative dudit comité, pour obtenir, dans le cadre du climat de coopération utile qui, en vertu de l’article 220, paragraphe 1, TFUE, doit présider aux relations de l’Union avec les organes des Nations unies dans le domaine de la lutte contre le terrorisme international, la communication d’informations ou d’éléments de preuve, confidentiels ou non, qui lui permettent de s’acquitter de ce devoir d’examen soigneux et impartial.

116 Enfin, sans aller jusqu’à imposer de répondre de manière détaillée aux observations soulevées par la personne concernée (voir, en ce sens, arrêt Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, précité, point 141), l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE implique en toutes circonstances, y compris lorsque la motivation de l’acte de l’Union correspond à des motifs exposés par une instance internationale, que cette motivation identifie les raisons individuelles, spécifiques et concrètes, pour lesquelles les autorités compétentes considèrent que la personne concernée doit faire l’objet de mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêts précités Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, points 140 et 142, ainsi que Conseil/Bamba, points 49 à 53).

117 S’agissant de la procédure juridictionnelle, en cas de contestation par la personne concernée de la légalité de la décision d’inscrire ou de maintenir son nom sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002, le contrôle du juge de l’Union doit porter sur le respect des règles de forme et de compétence, y compris sur le caractère approprié de la base juridique (voir, en ce sens, arrêt Kadi, points 121 à 236; voir également, par analogie, arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C-376/10 P, points 46 à 72).

118 Le juge de l’Union doit, en outre, vérifier le respect par l’autorité compétente de l’Union des garanties procédurales mentionnées aux points 111 à 114 du présent arrêt de même que de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, rappelée au point 116 du présent

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arrêt, et, notamment, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués.

119 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige également que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002 (arrêt Kadi, point 336), le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C-478/11 P à C-482/11 P, point 56), repose sur une base factuelle suffisamment solide (voir, en ce sens, arrêt Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, précité, point 68). Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision (voir, en ce sens, arrêt E et F, précité, point 57), de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés.

120 À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, point 59).

121 C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs.

122 À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’exposé fourni par le comité des sanctions. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée.

123 Si l’autorité compétente de l’Union est dans l’impossibilité d’accéder à la demande du juge de l’Union, il appartient alors à ce dernier de se baser sur les seuls éléments qui lui ont été communiqués, à savoir, en l’occurrence, les indications contenues dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions, les observations et les éléments à décharge éventuellement produits par la personne concernée ainsi que la réponse de l’autorité compétente de l’Union à ces observations. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause.

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124 Si, par contre, l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet.

125 Certes, des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales peuvent s’opposer à la communication de certaines informations ou de certains éléments de preuve à la personne concernée. En pareil cas, il incombe toutefois au juge de l’Union, auquel ne saurait être opposé le secret ou la confidentialité de ces informations ou éléments, de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les considérations légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité de garantir à suffisance au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt Kadi, points 342 et 344; voir également, par analogie, arrêt ZZ, précité, points 54, 57 et 59).

126 À cette fin, il incombe au juge de l’Union, en procédant à un examen de l’ensemble des éléments de droit et de fait fournis par l’autorité compétente de l’Union, de vérifier le bien-fondé des raisons invoquées par ladite autorité pour s’opposer à une telle communication (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, points 61 et 62).

127 Si le juge de l’Union conclut que ces raisons ne s’opposent pas à la communication, à tout le moins partielle, des informations ou des éléments de preuve concernés, il donne la possibilité à l’autorité compétente de l’Union de procéder à celle-ci à l’égard de la personne concernée. Si cette autorité s’oppose à la communication de tout ou partie de ces informations ou éléments, le juge de l’Union procédera alors à l’examen de la légalité de l’acte attaqué sur la base des seuls éléments qui ont été communiqués (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, point 63).

128 En revanche, s’il s’avère que les raisons invoquées par l’autorité compétente de l’Union s’opposent effectivement à la communication à la personne concernée d’informations ou d’éléments de preuve produits devant le juge de l’Union, il est nécessaire de mettre en balance de manière appropriée les exigences liées au droit à une protection juridictionnelle effective, en particulier au respect du principe du contradictoire, et celles découlant de la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou de la conduite de leurs relations internationales (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, point 64).

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129 Aux fins d’une telle mise en balance, il est loisible de recourir à des possibilités telles que la communication d’un résumé du contenu des informations ou des éléments de preuve en cause. Indépendamment du recours à de telles possibilités, il appartient au juge de l’Union d’apprécier si et dans quelle mesure l’absence de divulgation d’informations ou d’éléments de preuve confidentiels à la personne concernée et l’impossibilité corrélative pour celle-ci de faire valoir ses observations à leur égard sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, point 67).

130 Eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision attaquée, tel que défini aux points 117 à 129 du présent arrêt, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans l’exposé fourni par le comité des sanctions est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision. Dans l’hypothèse inverse, il procédera à l’annulation de la décision attaquée.

131 Un tel contrôle juridictionnel s’avère indispensable pour garantir un juste équilibre entre la préservation de la paix et de la sécurité internationales et la protection des libertés et des droits fondamentaux de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêt E et F, précité, point 57), lesquelles constituent des valeurs communes à l’ONU et à l’Union.

132 En effet, en dépit de leur nature préventive, les mesures restrictives en cause ont, sur ces libertés et droits, une incidence négative importante liée, d’une part, au bouleversement considérable de la vie tant professionnelle que familiale de la personne concernée du fait des restrictions à l’usage de son droit de propriété qui découlent de leur portée générale et, comme en l’espèce, de la durée effective de leur application ainsi que, d’autre part, à l’opprobre et à la méfiance publiques qu’elles suscitent envers cette personne (voir, en ce sens, arrêts Kadi, points 358, 369 et 375; France/People’s Mojahedin Organization of Iran, précité, point 64; Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, précité, point 120, ainsi que du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C-239/12 P, point 70 et jurisprudence citée).

133 Un tel contrôle s’avère d’autant plus indispensable que, en dépit des améliorations qui leur ont été apportées, notamment, après l’adoption du règlement litigieux, les procédures de radiation et de révision d’office instituées au niveau de l’ONU n’offrent pas à la personne dont le nom est inscrit sur la liste récapitulative du comité des sanctions et, subséquemment, sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002, les garanties d’une protection juridictionnelle effective, ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme, souscrivant à l’appréciation du Tribunal fédéral suisse, l’a récemment souligné au point

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211 de son arrêt du 12 septembre 2012, Nada c. Suisse (non encore publié au Recueil des arrêts et décisions).

134 En effet, le propre d’une protection juridictionnelle effective doit être de permettre à la personne concernée de faire constater par le juge, par un arrêt d’annulation en vertu duquel l’acte attaqué est éliminé rétroactivement de l’ordre juridique et est censé n’avoir jamais existé, que l’inscription ou le maintien de son nom sur la liste en cause a été entachée d’une illégalité, dont la reconnaissance est susceptible de réhabiliter cette personne ou de constituer pour elle une forme de réparation du préjudice moral subi (voir, en ce sens, arrêt Abdulrahim/Conseil et Commission, précité, points 67 à 84).

– Sur les erreurs de droit affectant l’arrêt attaqué

135 Il résulte des éléments d’analyse qui précèdent que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige, d’une part, de l’autorité compétente de l’Union qu’elle communique à la personne concernée l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions sur lequel est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de ladite personne sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002, qu’elle lui permette de faire connaître utilement ses observations à ce sujet et qu’elle examine, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués à la lumière des observations formulées et des éventuels éléments de preuve à décharge produits par cette personne.

136 Le respect desdits droits implique, d’autre part, que, en cas de contestation juridictionnelle, le juge de l’Union contrôle, notamment, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués dans l’exposé fourni par le comité des sanctions ainsi que, le cas échéant, le caractère établi de la matérialité des faits correspondant au motif concerné à la lumière des éléments qui ont été communiqués.

137 En revanche, le fait, pour l’autorité compétente de l’Union, de ne pas rendre accessibles à la personne concernée et, ultérieurement, au juge de l’Union des informations ou des éléments de preuve, en la seule possession du comité des sanctions ou du membre de l’ONU concerné, afférents à l’exposé des motifs qui sous-tend la décision en cause, ne saurait, en tant que tel, fonder un constat de violation de ces mêmes droits. Toutefois, dans une telle situation, le juge de l’Union, qui est appelé à contrôler le bien-fondé factuel des motifs contenus dans l’exposé fourni par le comité des sanctions en tenant compte des observations et des éléments à décharge éventuellement produits par la personne concernée ainsi que de la réponse de l’autorité compétente de l’Union à ces observations, ne disposera pas d’informations supplémentaires ou d’éléments de preuve. Par conséquent, s’il lui est impossible de constater le bien-fondé de ces motifs, ces derniers ne sauraient servir de fondement à la décision d’inscription attaquée.

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138 Partant, aux points 173, 181 à 184, 188 et 192 à 194 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en fondant son constat d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective ainsi que, par conséquent, du principe de proportionnalité sur l’absence de communication par la Commission à M. Kadi et à lui-même des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs du maintien de l’inscription du nom de l’intéressé sur la liste figurant à l’annexe I du règlement nº 881/2002, et ce alors que, ainsi qu’il ressort des points 81 et 95 de l’arrêt attaqué, il avait pris acte, tant aux fins du rejet de la demande de mesure d’organisation de la procédure exprimée par M. Kadi pour obtenir cette communication qu’au cours de l’audience, du fait que la Commission ne disposait pas de ces informations et éléments de preuve.

139 Contrairement à ce qu’indiquent les points 181, 183 et 184 de l’arrêt attaqué, il ne ressort pas des passages de l’arrêt Kadi auxquels il est renvoyé à ces points que l’absence d’accès de l’intéressé et du juge de l’Union à des informations ou à des éléments de preuve dont l’autorité compétente de l’Union ne dispose pas est, en tant que telle, constitutive d’une violation des droits de la défense ou du droit à une protection juridictionnelle effective.

140 Par ailleurs, et étant rappelé que l’appréciation, par le Tribunal, du caractère suffisant, ou non, de la motivation est passible d’un contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt Conseil/Bamba, précité, point 41 et jurisprudence citée), le Tribunal a commis une erreur de droit en fondant, ainsi qu’il ressort des points 174, 177, 188 et 192 à 194 de l’arrêt attaqué, son constat d’une telle violation sur le caractère, à ses yeux, vague et imprécis des allégations figurant dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions, alors qu’un examen séparé de chacun de ces motifs n’autorise pas à tirer une telle conclusion générale.

141 En effet, certes, ainsi que l’a correctement jugé le Tribunal en faisant sien, au point 177 de l’arrêt attaqué, l’argument de M. Kadi exposé au point 157, quatrième tiret, dudit arrêt, le dernier des motifs invoqués dans l’exposé fourni par le comité des sanctions, qui est tiré du fait que M. Kadi aurait été propriétaire en Albanie de plusieurs sociétés qui auraient transmis des fonds à des extrémistes ou leur auraient confié des fonctions de contrôle sur les fonds de ces sociétés, et dont jusqu’à cinq auraient reçu des fonds de roulement versés par Oussama ben Laden, est insuffisamment précis et concret étant donné qu’il ne comporte aucune indication sur l’identité des sociétés concernées, sur l’époque des agissements dénoncés et sur l’identité des «extrémistes» prétendument bénéficiaires de ces agissements.

142 En revanche, il n’en va pas de même pour les autres motifs invoqués dans l’exposé fourni par le comité des sanctions.

143 En effet, le premier motif, tiré du fait que M. Kadi a reconnu être un membre fondateur et le dirigeant des activités de la Fondation

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Muwafaq, qui aurait toujours fonctionné sous l’égide du Bureau afghan (Makhtab al-Khidamat), fondé, notamment, par Oussama ben Laden et précurseur du réseau Al-Qaida, et qui, à la dissolution dudit Bureau au mois de juin 2001, se serait ralliée à ce réseau, est suffisamment précis et concret, en ce qu’il identifie l’entité concernée et le rôle de M. Kadi en rapport avec celle-ci, ainsi que les éléments d’un prétendu lien entre cette entité, d’une part, et Oussama ben Laden et le réseau Al-Qaida, d’autre part.

144 Le deuxième motif est tiré du fait que, pour assurer la direction des bureaux européens de la Fondation Muwafaq, M. Kadi aurait, en 1992, recruté M. Al-Ayadi sur la recommandation de M. Julaidan, un homme financier ayant combattu aux côtés d’Oussama ben Laden en Afghanistan dans les années 80. Au moment de ce recrutement, M. Al-Ayadi aurait été l’un des principaux leaders du Front Islamique Tunisien et aurait agi dans le cadre d’accords avec Oussama ben Laden. Il se serait rendu, au début des années 90, en Afghanistan pour y suivre un entraînement paramilitaire, puis, avec d’autres personnes, au Soudan pour y conclure avec Oussama ben Laden un accord portant sur l’accueil et la formation de Tunisiens et, ultérieurement, un accord portant sur l’accueil de combattants tunisiens venus d’Italie par des collaborateurs d’Oussama ben Laden en Bosnie-Herzégovine.

145 Ce deuxième motif est suffisamment précis et concret, en ce qu’il comporte les précisions nécessaires relatives à l’époque et au contexte du recrutement en cause ainsi qu’aux éléments personnels d’un prétendu rattachement de ce recrutement à Oussama ben Laden.

146 Le troisième motif, qui prend appui sur une déclaration qui aurait été faite en 1995 par M. Talad Fuad Kassem, dirigeant d’Al-Gama’at al Islamiyya, et selon laquelle la Fondation Muwafaq a fourni un appui logistique et financier à un bataillon de combattants en Bosnie-Herzégovine, est tiré du fait que, au milieu des années 90, ladite Fondation aurait participé, aux côtés d’Oussama ben Laden, au financement des activités terroristes de ces combattants et qu’elle aurait contribué au trafic d’armes en provenance d’Albanie et à destination de la Bosnie-Herzégovine.

147 Ce troisième motif est suffisamment précis et concret, dès lors qu’il identifie l’auteur de la déclaration en cause, les types d’actes dénoncés, l’époque de leur prétendu accomplissement ainsi que leur prétendu lien avec des activités d’Oussama ben Laden.

148 Le quatrième motif est tiré du fait que M. Kadi était l’un des principaux actionnaires de la banque bosniaque Depozitna Banka, aujourd’hui fermée, au sein de laquelle M. Al-Ayadi aurait exercé des fonctions et représenté les intérêts de M. Kadi, et dans laquelle des réunions consacrées à la préparation d’un attentat contre un établissement des États-Unis en Arabie Saoudite auraient peut-être eu lieu.

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149 Contrairement à ce qui est indiqué au point 175 de l’arrêt attaqué, ce quatrième motif est suffisamment précis et concret, en ce qu’il identifie l’établissement financier par l’intermédiaire duquel M. Kadi aurait prétendument contribué à des activités terroristes ainsi que la nature du prétendu projet terroriste concerné. Le ton conditionnel de l’indication relative à la tenue, dans cet établissement, de réunions préparatoires à ce prétendu projet ne heurte pas les exigences inhérentes au devoir de motivation, les motifs d’une inscription sur la liste de l’Union pouvant, en effet, reposer sur des soupçons d’implication dans des activités terroristes, sans préjudice de la vérification du bien-fondé de ces soupçons.

150 Bien qu’il ressorte des points 138 à 140 et 142 à 149 du présent arrêt que le Tribunal a commis des erreurs de droit, il convient de vérifier si, en dépit de ces erreurs, le dispositif de l’arrêt attaqué apparaît fondé pour des motifs de droit autres que ceux retenus par le Tribunal, auquel cas le pourvoi doit être rejeté (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C-221/10 P, point 94 et jurisprudence citée).

– Sur l’illégalité du règlement litigieux

151 Il y a lieu de relever, s’agissant du premier motif invoqué dans l’exposé fourni par le comité des sanctions et mentionné au point 143 du présent arrêt, que, dans ses observations du 10 novembre 2008 produites au soutien de son recours devant le Tribunal, M. Kadi, tout en admettant avoir été un membre fondateur de la Fondation Muwafaq, a nié tout soutien de cette dernière au terrorisme et tout lien entre celle-ci et le Bureau afghan. Joignant à ses observations l’acte constitutif de la Fondation Muwafaq, il a fait valoir que celle-ci avait une vocation exclusivement caritative et humanitaire, principalement tournée vers l’assistance aux personnes souffrant de la famine dans le monde, en particulier au Soudan. Tout en admettant avoir pris part aux décisions stratégiques internationales de la Fondation Muwafaq, il a nié toute implication dans la gestion quotidienne des activités de celle-ci à travers le monde, notamment dans le recrutement du personnel local. Il a également contesté que la Fondation Muwafaq ait rejoint le réseau Al-Qaida au mois de juin 2001, en soulignant notamment, pièces à l’appui, que celle-ci avait cessé toute activité au plus tard en 1998.

152 Dans sa réponse du 8 décembre 2008 aux observations de M. Kadi, également produites devant le Tribunal, la Commission a fait valoir que la cessation de tout ou partie des activités de l’entité concernée n’était pas de nature à exclure que celle-ci, qui disposait d’une personnalité juridique autonome, ait rejoint le réseau Al-Qaida.

153 Force est toutefois de constater qu’aucun élément d’information ou de preuve n’a été avancé pour étayer les allégations relatives à une implication de la Fondation Muwafaq dans le terrorisme international dans le cadre de liens avec le Bureau afghan et le réseau Al-Qaida. Dans

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ces circonstances, les indications relatives au rôle et aux fonctions de M. Kadi en rapport avec cette Fondation ne sont pas de nature à fonder l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’égard de celui-ci.

154 S’agissant du deuxième motif invoqué dans l’exposé fourni par le comité des sanctions et mentionné au point 144 du présent arrêt, dans ses observations du 10 novembre 2008, M. Kadi, tout en reconnaissant avoir recruté, en 1992, sur la recommandation de M. Julaidan, M. Al-Ayadi pour assurer la direction des bureaux européens de la Fondation Muwafaq, a cependant affirmé que l’unique but de cette Fondation en Europe était le soutien aux réfugiés bosniaques et croates durant la guerre des Balkans dans les années 90. Il a exposé que M. Julaidan, qui, à cette époque, collaborait avec lui dans un projet d’aide à la formation professionnelle de réfugiées croates, lui avait recommandé M. Al-Ayadi en raison de son expérience professionnelle dans la gestion du travail humanitaire et de son intégrité. Il a également fait valoir que, en 1992, il n’avait aucune raison de suspecter MM. Al-Ayadi et Julaidan de soutien à des activités terroristes, en soulignant que, dans les années 80, Oussama ben Laden était considéré comme un allié des forces occidentales dans leurs rapports avec l’Union soviétique, que ce n’est qu’à partir de 1996 que ce dernier fut décrit comme une menace pour la sécurité internationale et que ce n’est qu’au mois d’octobre 2001 et au mois de septembre 2002 que MM. Al-Ayadi et Julaidan furent, respectivement, inscrits sur la liste récapitulative du comité des sanctions. Enfin, il a affirmé tout ignorer de l’existence du Front Islamique Tunisien et des prétendus liens entre M. Al-Ayadi et cette organisation.

155 Dans sa réponse du 8 décembre 2008 aux observations de M. Kadi, la Commission a affirmé que le recrutement de M. Al-Ayadi par M. Kadi sur recommandation de M. Julaidan, combiné aux contacts de MM. Al-Ayadi et Julaidan avec Oussama ben Laden, permettait de conclure que ces différentes personnes avaient agi de concert ou appartenaient à un même réseau. Elle a ajouté que, dans ces circonstances, il importait peu que M. Kadi ait prétendument ignoré les liens allégués entre M. Al-Ayadi et le Front Islamique Tunisien.

156 À cet égard, sans qu’il soit exclu que les éléments invoqués dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions en ce qui concerne le recrutement par M. Kadi, en 1992, de M. Al-Ayadi sur la recommandation de M. Julaidan et la prétendue implication de MM. Al-Ayadi et Julaidan dans des activités terroristes en association avec Oussama ben Laden auraient pu être considérés comme suffisants pour justifier l’inscription initiale, en 2002, du nom de M. Kadi sur la liste des personnes figurant à l’annexe du règlement nº 881/2002, il est à noter que ces mêmes éléments, non autrement étayés, ne peuvent pas justifier le maintien, après 2008, de l’inscription du nom de celui-ci sur la liste dudit règlement, tel que modifié par le règlement litigieux. En effet, eu égard à la distance temporelle qui sépare les deux actes, ces éléments, qui se réfèrent à l’année 1992, ne suffisent plus à eux seuls pour justifier,

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en 2008, le maintien, au niveau de l’Union, du nom de M. Kadi sur la liste des personnes et des entités visées par les mesures restrictives en cause.

157 S’agissant du troisième motif invoqué dans l’exposé fourni par le comité des sanctions et mentionné au point 146 du présent arrêt, dans ses observations du 10 novembre 2008, M. Kadi a affirmé ignorer l’existence de M. Talad Fuad Kassem. Il a nié avoir jamais apporté le moindre soutien financier, logistique ou autre à cette personne, à l’entité qu’il dirigeait ou à des combattants de Bosnie-Herzégovine. Il a également soutenu que, à sa connaissance, ni la Fondation Muwafaq ni aucun de ses employés n’avait jamais fourni un tel soutien de cette nature.

158 Dans sa réponse du 8 décembre 2008 aux observations de M. Kadi, la Commission a affirmé que la déclaration de M. Talad Fuad Kassem contribuait à confirmer que M. Kadi avait usé de sa position à des fins étrangères à des activités ordinaires. Elle a ajouté que, dans ces circonstances, il était indifférent que M. Kadi connaisse ou non M. Talad Fuad Kassem.

159 Toutefois, aucun élément d’information ou de preuve n’a été présenté pour permettre de vérifier l’exactitude matérielle de la déclaration prêtée à M. Talad Fuad Kassem dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions ainsi que d’apprécier, eu égard, en particulier, à l’allégation de M. Kadi selon laquelle il ignorait l’existence de M. Talad Fuad Kassem, la force probante de cette déclaration quant aux allégations de soutien de la Fondation Muwafaq à des activités terroristes en Bosnie-Herzégovine en association avec Oussama ben Laden. Dans ces circonstances, l’indication relative à la déclaration de M. Talad Fuad Kassem ne constitue pas un fondement susceptible de justifier l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’encontre de M. Kadi.

160 S’agissant du quatrième motif invoqué dans l’exposé fourni par le comité des sanctions et mentionné au point 148 du présent arrêt, dans ses observations du 10 novembre 2008, M. Kadi a nié avoir jamais prêté un soutien financier au terrorisme international à travers la Depozitna Banka ou à travers un quelconque autre établissement. Il a expliqué avoir acquis une participation dans cette banque à des fins exclusivement commerciales eu égard aux perspectives de reconstruction sociale et économique de la Bosnie après les accords de paix de Dayton de 1995, et avoir, en raison d’une exigence du droit local, confié la représentation de ses intérêts dans ladite banque à M. Al-Ayadi, de nationalité bosniaque. S’appuyant sur des rapports de sociétés internationales d’audit relatifs à la période allant de 1999 à 2002 ainsi que sur le rapport d’un analyste financier désigné par un magistrat suisse couvrant la période allant de 1997 à 2001, il a fait valoir qu’aucun de ces rapports ne suggère que la Depozitna Banka ait été impliquée d’une quelconque façon dans le financement ou le soutien du terrorisme. Il a contesté que cette banque ait été fermée, expliquant, documents à l’appui, qu’elle avait fusionné

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avec une autre banque en 2002. Il a par ailleurs produit des documents relatifs à des contacts entretenus, au mois de mars 1999, entre les autorités des États-Unis, le directeur de la Depozitna Banka et les autorités politiques bosniaques sur des thématiques juridiques touchant au secteur bancaire en Bosnie-Herzégovine. Enfin, il a fait valoir que, si les autorités saoudiennes avaient eu des raisons de soupçonner la préparation, au sein de la Depozitna Banka, d’un attentat contre des intérêts des États-Unis sur leur territoire, elles n’auraient pas manqué de l’interroger, en sa qualité de propriétaire saoudien de cet établissement. Or, lesdites autorités ne l’auraient jamais fait.

161 Dans sa réponse du 8 décembre 2008 aux observations de M. Kadi, la Commission a affirmé que les indications selon lesquelles la Depozitna Banka aurait servi à la préparation d’un attentat en Arabie Saoudite contribuaient à confirmer que M. Kadi avait usé de sa position à des fins étrangères à des activités ordinaires.

162 Toutefois, aucun élément d’information ou de preuve n’ayant été mis en avant pour étayer l’allégation selon laquelle des réunions ont pu se tenir dans les locaux de la Depozitna Banka afin de préparer des actes terroristes en association avec le réseau Al-Qaida ou Oussama ben Laden, les indications relatives au lien entretenu par M. Kadi avec cette banque ne permettent pas de soutenir l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à son encontre.

163 De l’analyse contenue aux points 141 et 151 à 162 du présent arrêt, il ressort qu’aucune des allégations formulées à l’encontre de M. Kadi dans l’exposé fourni par le comité des sanctions n’est de nature à justifier l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’encontre de celui-ci, et ce en raison soit d’une insuffisance de motivation, soit de l’absence d’éléments d’information ou de preuve qui viennent étayer le motif concerné face aux dénégations circonstanciées de l’intéressé.

164 Dans ces conditions, les erreurs de droit, identifiées aux points 138 à 140 et 142 à 149 du présent arrêt, dont est entaché l’arrêt attaqué ne sont pas de nature à invalider ce dernier, étant donné que son dispositif annulant le règlement litigieux pour autant que celui-ci concerne M. Kadi est fondé pour les motifs de droit énoncés au point précédent.

165 Partant, les pourvois doivent être rejetés.

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Affaire Al Adsani et autres (CEDH)

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Communiqué - 21.11.2001 La Cour européenne des Droits de l’Homme a rendu ce matin à Strasbourg en audience publique les trois arrêts de Grande Chambre suivants. (…)

Communiqué du Greffier ARRÊTS DE GRANDE CHAMBRE DANS LES AFFAIRES : McELHINNEY c. IRLANDE,AL-ADSANI c. ROYAUME-UNI etFOGARTY c. ROYAUME-UNI McElhinney c. Irlande – John McElhinney, ressortissant irlandais né en 1944 et résidant à Greencastle, comté de Donegal, est un Garda (agent de police). A la suite d’un incident survenu en mars 1991 à la frontière nord-irlandaise, incident au cours duquel un militaire britannique fut emmené de l’autre côté de la frontière sur le câble de la remorque du véhicule piloté par le requérant, le militaire aurait infligé des voies de fait à celui-ci en République d’Irlande. Les circonstances précises de l’incident prêtent à controverse entre les parties. Des poursuites furent engagées contre le requérant qui fut condamné pour avoir refusé de se prêter à un examen de sang et d’urine après avoir été arrêté parce qu’on le soupçonnait de conduite sous l’empire de l’alcool. En juin 1993, le requérant intenta une action en dommages-intérêts contre le militaire et l’Etat britannique. La High Court irlandaise fit droit à la demande du gouvernement britannique tendant à l’annulation de la citation à comparaître ; elle appliqua la théorie de l’immunité souveraine au motif que le requérant ne pouvait intenter devant les tribunaux irlandais une action contre un agent d’un Etat souverain étranger. Décision que confirma la Cour suprême. Al-Adsani c. Royaume-Uni – Sulaiman Al-Adsani, qui a la double nationalité britannique et koweïtienne, est né en 1961 et réside à Londres. Il est pilote de profession.

Les faits tels qu’ils ont été exposés par le requérant peuvent se résumer comme suit. Pendant la Guerre du Golfe, le requérant servit dans l’armée de l’air koweïtienne et, après l’invasion irakienne, demeura au Koweït dans le mouvement de résistance. Il vint à avoir en sa possession des cassettes vidéo à caractère sexuel qui impliquaient le cheikh Jaber Al-Sabah Al-Saud Al-Sabah (« le cheikh »), apparenté à l’émir du Koweït. D’une manière ou d’une autre, ces cassettes furent mises largement en circulation, ce dont le cheikh tint le requérant pour responsable. Vers le 2 mai 1991, le cheikh et deux autres personnes s’introduisirent au domicile du requérant, frappèrent l’intéressé et le conduisirent sous la menace d’un revolver dans une jeep officielle à la maison d’arrêt de la sécurité koweïtienne. Le requérant y fut abusivement emprisonné plusieurs jours au cours desquels des gardiens le rouèrent de coups à maintes reprises. Il

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fut relâché le 5 mai 1991, après avoir été contraint de signer de faux aveux. Vers le 7 mai 1991, le cheikh conduisit le requérant, sous la menace d’un revolver, au palais du frère de l’émir du Koweït. On plongea la tête du requérant plusieurs fois dans l’eau d’une piscine où flottaient des corps, puis on le traîna dans une petite pièce où le cheikh mit le feu à des matelas imbibés d’essence. Le requérant séjourna six semaines à l’hôpital en Angleterre pour des brûlures sur 25 % du corps. Il accusa un choc psychologique et on diagnostiqua une forme sévère de tension post- traumatique. En août 1992, le requérant assigna en Angleterre le cheikh et l’Etat du Koweït en dommages- intérêts et, en décembre 1992, un jugement par défaut fut rendu contre le cheikh. En janvier 1994, la Cour d’appel fit droit à une nouvelle demande tendant à ce que l’acte d’assignation fût notifié à l’Etat du Koweït. En mai 1995, la High Court décida de rayer l’affaire du rôle, estimant que l’immunité des Etats s’appliquait en vertu de la loi de 1978 sur l’immunité des Etats (« la loi de 1978 »), qui accordait l’immunité aux Etats souverains pour les actes commis en dehors de leur juridiction, sans exception implicite pour les actes de torture. La Cour d’appel confirma cette décision et le requérant se vit refuser l’autorisation de saisir la Chambre des lords. Il tenta en vain d’obtenir une réparation des autorités koweïtiennes par la voie diplomatique. Fogarty c. Royaume-Uni – Mary Fogarty, ressortissante irlandaise née en 1959, réside à Londres. Le 8 novembre 1993, elle commença à travailler en qualité d’assistante administrative à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, au Foreign Broadcasting Information Service, antenne de la CIA (Central Intelligence Service). Après son licenciement en février 1995, elle engagea une action contre l’Etat américain devant le tribunal du travail. Elle affirmait qu’une discrimination fondée sur le sexe était à l’origine de son licenciement, au mépris de loi de 1975 sur la discrimination sexuelle (« la loi de 1975 »). Elle alléguait avoir été l’objet d’un harcèlement sexuel persistant de la part de son supérieur, ce qui avait dégradé les relations de travail. Le 13 mai 1996, le tribunal lui donna gain de cause et lui accorda 12 000 livres sterling à titre de réparation. En juin et août 1996, la requérante se porta en vain candidate à deux postes à l’ambassade des Etats-Unis. Le 15 septembre 1996, elle saisit le tribunal du travail d’une seconde requête. Selon elle, l’ambassade refusait de la réengager à cause de l’action pour discrimination sexuelle qu’elle avait précédemment intentée avec succès. L’intéressée voyait dans ce refus une victimisation et une discrimination au sens de la loi de 1975. Le 6 février 1997, elle fut informée que l’Etat américain pouvait invoquer l’immunité de poursuite en vertu de la loi de 1978, qui accorde cette immunité notamment lorsqu’un membre du personnel administratif et technique d’une mission diplomatique cherche à intenter une action à propos de son contrat de travail. 2. Procédure (…)

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4. Résumé des arrêts

Griefs M. McElhinney alléguait principalement que, en appliquant le principe de l’immunité souveraine, les juridictions irlandaises l’avaient privé du droit d’obtenir d’un tribunal une décision sur sa demande de réparation, ce au mépris de l’article 6 § 1. M. Al-Adsani affirmait que le Royaume-Uni avait failli à son obligation de lui reconnaître le droit de ne pas être soumis à la torture, au mépris de l’article 3 combiné avec les articles 1 (obligation de respecter les droits de l’homme) et 13 (droit à un recours effectif). Il dénonçait aussi, sur le terrain de l’article 6 § 1, une violation de son droit d’accès à un tribunal. Mme Fogarty se plaignait, sous l’angle des articles 6 §§ 1 et 14, du manque d’accès à un tribunal et d’une discrimination.

Décision de la Cour

Article 6 § 1 Dans les trois affaires, la Cour note que l’immunité souveraine est un concept de droit international en vertu duquel un Etat ne peut être soumis à la juridiction d’un autre Etat. Elle estime que l’octroi de l’immunité souveraine à un Etat dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d’un autre Etat. Elle observe en outre que la Convention européenne des Droits de l’Homme doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats. On ne peut dès lors de façon générale considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 § 1 des mesures qui reflètent des règles de droit international généralement admises. Dans McElhinney c. Irlande, la Cour observe qu’il semble exister en droit international et comparé une tendance à limiter l’immunité des Etats en cas de dommages corporels dus à un acte ou une omission survenus dans l’Etat du for, mais que cette pratique n’est nullement universelle. Cette tendance paraît en outre concerner essentiellement les dommages corporels « assurables », c’est-à-dire ceux causés par des accidents de la circulation ordinaires, et non des problèmes relevant de la sphère centrale de souveraineté des Etats, tels que les actes d’un soldat sur le territoire d’un Etat étranger ; ceux-ci peuvent, par nature, soulever des questions sensibles touchant aux relations diplomatiques entre Etats et à la sécurité nationale. La Cour, partageant la position de la Cour suprême irlandaise, n’estime pas possible, dans l’état actuel du droit international, de conclure que le droit irlandais se heurte aux principes généraux de celui-ci.

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La Cour note d’ailleurs qu’il eût été loisible au requérant d’intenter en Irlande du Nord une action contre le ministre britannique de la Défense. Elle rappelle qu’elle a déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes le grief du requérant selon lequel celui-ci n’aurait pu intenter en Irlande du Nord une action contre le Royaume-Uni. Dans ces conditions, on ne saurait considérer que les décisions des juridictions irlandaises accueillant la demande d’immunité formée par le Royaume-Uni ont outrepassé la marge d’appréciation reconnue aux Etats quand il s’agit de limiter le droit d’accès d’un individu à un tribunal. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1. Dans Al-Adsani c. Royaume-Uni, même si elle note que l’importance primordiale de la prohibition de la torture est de plus en plus reconnue, la Cour ne juge pas établi qu’il soit déjà admis en droit international que les Etats ne peuvent prétendre à l’immunité en cas d’actions civiles en dommages-intérêts pour des actes de torture qui auraient été perpétrés en-dehors de l’Etat du for. La loi de 1970, qui accorde l’immunité aux Etats en cas d’actions pour atteinte à l’intégrité de la personne sauf si le préjudice a été causé au Royaume-Uni, n’est pas en contradiction avec les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant du principe de l’immunité des Etats. Dès lors, l’application que les cours et tribunaux anglais ont faite de la loi de 1978 pour accueillir la demande d’immunité formulée par le Koweït ne saurait passer pour une restriction injustifiée au droit d’accès du requérant à un tribunal. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1. Dans Fogarty c. Royaume-Uni, la Cour observe qu’en droit international et comparé apparaît une tendance à limiter l’immunité des Etats dans les litiges portant sur des questions liées à l’emploi. Toutefois, lorsqu’une procédure concerne un emploi dans une mission ou une ambassade étrangère, la pratique internationale se partage sur la question de savoir si l’immunité de l’Etat continue de s’appliquer et, dans l’affirmative, si elle vaut pour les différends relatifs aux contrats de l’ensemble du personnel ou seulement à ceux des membres de la mission qui occupent des postes élevés. On ne peut assurément pas dire que le Royaume-Uni soit seul à prétendre que l’immunité s’applique aux actions intentées par les agents des missions diplomatiques ou que, en accordant cette immunité, le Royaume-Uni s’écarte de normes internationales actuellement admises. Par ailleurs, la procédure que la requérante voulait engager portait non pas sur les droits contractuels d’un agent d’ambassade en poste, mais sur une discrimination prétendue dans les modalités de recrutement. Compte tenu de la nature même des missions et ambassades, l’engagement de leur personnel peut présenter des aspects sensibles et confidentiels touchant notamment à la politique diplomatique et organisationnelle d’un Etat étranger. A la connaissance de la Cour, aucune tendance ne se manifeste en droit international vers un assouplissement du principe de l’immunité des Etats en ce qui concerne les questions de recrutement dans les missions étrangères. Dans ces conditions, la Cour considère qu’en conférant en l’espèce l’immunité aux Etats- Unis en vertu de la loi de 1978, le Royaume-Uni n’a pas outrepassé la marge d’appréciation reconnue aux Etats quand il

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s’agit de limiter le droit d’accès d’un individu à un tribunal. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1.

Article 3 Dans Al-Adsani c. Royaume-Uni, le requérant ne prétendait pas que les actes de torture qu’il aurait subis aient été perpétrés dans la juridiction du Royaume-Uni ou que les autorités britanniques aient un lien de causalité avec eux. Dans ces conditions, on ne saurait dire que le Royaume-Uni était tenu de lui offrir une voie de recours civile pour les tortures que les autorités koweïtiennes lui auraient infligées. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3.

Article 14 Dans Fogarty c. Royaume-Uni, la Cour rappelle que la requérante n’a pu saisir le tribunal du travail de son action par l’effet des articles 1 et 16 § 1 a) de la loi de 1978 qui confèrent l’immunité en cas de procédure ayant trait à un emploi au sein du personnel d’une ambassade. Cette immunité s’applique pour tous les différends en matière d’emploi, quel qu’en soit l’objet et indépendamment du sexe, de la nationalité, du lieu de résidence ou d’autres particularités du plaignant. On ne peut dès lors dire que la requérante ait été traitée différemment de toute autre personne souhaitant intenter contre une ambassade une action se rapportant à un emploi, ou que la restriction qui a frappé son droit d’accès à un tribunal fût discriminatoire. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.

(…)

Affaire Al-Jedda (CEDH)

Cour EDH [GC], arrêt du 7 juillet 2011, Al-Jedda c. Royaume-Uni, n°27021/08

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27021/08) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont M. Hilal Abdul-Razzaq Ali Al-Jedda (« le requérant »), qui possède les nationalités irakienne et irlandaise, a saisi la Cour le 3 juin 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Dans sa requête, M. Al-Jedda se plaignait d’avoir été détenu en Irak par des soldats britanniques en violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

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EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE8. Les faits de l’espèce peuvent se résumer comme suit.A. Le requérant, son arrestation et son internement(…)11. L’internement du requérant avait été motivé par des raisons impérieuses de sécurité en Irak. Les autorités britanniques pensaient qu’il avait personnellement recruté des terroristes hors d’Irak en vue de commettre des atrocités dans ce pays ; facilité le voyage jusqu’en Irak d’un terroriste identifié comme expert en explosifs ; conspiré avec lui des attentats à la bombe artisanale contre les forces de la coalition dans les secteurs autour de Falloujah et de Bagdad ; et projeté avec le même expert en explosifs et des membres d’une cellule terroriste islamiste dans le Golfe persique le passage en contrebande en Irak de matériel de détonation de pointe pour l’utiliser dans des attentats contre les forces de la coalition. Aucune poursuite pénale ne fut ouverte contre le requérant.(…)14. Par un arrêté du 14 décembre 2007, le ministre britannique de l’Intérieur déclara le requérant déchu de sa citoyenneté britannique pour des motifs d’intérêt général. Il y indiquait notamment que l’intéressé entretenait des liens avec des groupes islamistes violents, en Irak et ailleurs, et qu’il avait recruté des terroristes hors d’Irak, facilité le voyage de ceux-ci et fait passer en contrebande dans ce pays des pièces d’explosifs.(…)

D. Contexte : l’occupation de l’Irak du 1er mai 2003 au 28 juin 2004

1. La Résolution 1441 du Conseil de sécurité (2002)25. Le 8 novembre 2002, le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, adopta sa Résolution 1441. Il y décidait notamment que l’Irak avait été et demeurait en violation patente des obligations de désarmer et de coopérer avec les inspecteurs des armements des Nations unies et de l’Agence internationale de l’énergie atomique que des résolutions antérieures faisaient peser sur lui. Il décidait en outre d’accorder à l’Irak une dernière possibilité de s’acquitter de ses obligations en matière de désarmement et d’instituer un régime d’inspection renforcé. Il priait le Secrétaire général des Nations unies (« le Secrétaire général ») de porter aussitôt la résolution à la connaissance de l’Irak et exigeait que celui-ci coopérât immédiatement, inconditionnellement et activement avec les inspecteurs. Il concluait en rappelant qu’il avait « averti à plusieurs reprises l’Irak des graves conséquences auxquelles celui-ci aurait à faire face s’il continuait à manquer à ses obligations ». Il décidait de demeurer saisi de la question.(…)

2. Principales opérations de combat : 20 mars – 1er mai 2003(…)

3. Evolution de la situation juridique et politique en mai 2003

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27. Les représentants permanents du Royaume-Uni et des Etats-Unis auprès des Nations unies adressèrent au président du Conseil de sécurité une lettre conjointe datée du 8 mai 2003 et libellée en ces termes :

« Les Etats-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les membres de la coalition continuent d’agir de concert pour assurer l’élimination complète des armes de destruction massive et de leurs vecteurs en Irak, en application des résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies. Les Etats qui font partie de la coalition respecteront scrupuleusement les obligations qui sont les leurs en vertu du droit international, notamment celles qui ont trait à la satisfaction des besoins humanitaires essentiels de la population irakienne. (...)Afin d’atteindre ces objectifs et de s’acquitter de leurs obligations dans la période suivant le conflit en Irak, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les membres de la coalition, agissant dans le cadre des arrangements de commande et de contrôle existants par l’intermédiaire du commandant des forces alliées, ont créé l’Autorité provisoire de la coalition, laquelle comprend le Bureau de la reconstruction et de l’assistance humanitaire ; l’Autorité provisoire exerce les pouvoirs du gouvernement à titre temporaire et dans la mesure nécessaire, en particulier pour assurer la sécurité, permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et éliminer les armes de destruction massive.Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les membres de la coalition, agissant par l’intermédiaire de l’Autorité provisoire de la coalition, seront chargés, entre autres tâches, d’assurer la sécurité en Irak et d’administrer ce pays à titre temporaire, notamment par les moyens suivants : en prévenant les hostilités ; (...) en maintenant l’ordre public, notamment en encourageant les efforts internationaux visant à rétablir la capacité des forces de police civile irakiennes ; en éliminant toutes les infrastructures et ressources terroristes à l’intérieur de l’Irak et en prenant les mesures voulues pour que l’asile soit refusé aux terroristes et groupes terroristes ; (...) en prenant immédiatement le contrôle des institutions irakiennes responsables des questions militaires et de sécurité et en agissant, le cas échéant, pour démilitariser, démobiliser, contrôler, diriger, réformer, dissoudre ou réorganiser ces institutions de façon qu’elles ne constituent plus une menace pour le peuple irakien ou la paix et la sécurité internationales mais soient capables de défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Irak. (...)

28. Ainsi que la lettre ci-dessus l’indiquait, les Etats occupants, par l’intermédiaire du commandant des forces alliées, avaient créé l’Autorité provisoire de la coalition pour « exerce[r] les pouvoirs du gouvernement à titre temporaire » jusqu’à ce qu’un gouvernement irakien pût être mis en place. Cet organe avait notamment le pouvoir de légiférer. (…)L’administration de l’Autorité provisoire de la coalition était divisée en zones régionales. La zone sud demeurait sous la responsabilité et le contrôle du Royaume-Uni, qui y disposait d’un coordinateur régional. Elle comprenait les quatre provinces les plus méridionales du pays (qui compte dix-huit provinces), chacune dotées d’un coordinateur préfectoral. Les troupes britanniques étaient déployées dans cette même zone.29. La Résolution 1483 du Conseil de sécurité, invoquée par M. Bremer dans le règlement no 1 de l’Autorité provisoire de la coalition, fut en réalité adoptée six jours plus tard, le 22 mai 2003. En voici les parties pertinentes :

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Prenant note de la lettre que les Représentants permanents des Etats-Unis d’Amérique et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont adressée à son Président le 8 mai 2003 (S/2003/538) et reconnaissant les pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques de ces Etats en tant que puissances occupantes agissant sous un commandement unifié (l’« Autorité »), en vertu du droit international applicable,(…)4. Demande à l’Autorité, conformément à la Charte des Nations unies et aux dispositions pertinentes du droit international, de promouvoir le bien-être de la population irakienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir la sécurité et la stabilité et à créer les conditions permettant au peuple irakien de déterminer librement son avenir politique ;5. Demande à toutes les parties concernées de s’acquitter pleinement de leurs obligations au regard du droit international, en particulier les Conventions de Genève de 1949 et le Règlement de La Haye de 1907 ;

4. Evolution entre juillet 2003 et juin 200430. En juillet 2003 fut créé le Conseil de gouvernement de l’Irak, que l’Autorité provisoire de la coalition était tenue de consulter pour toute question se rapportant à l’administration temporaire de l’Irak.31. Le 16 octobre 2003, le Conseil de sécurité adopta une nouvelle résolution, la Résolution 1511, dont voici les extraits pertinents :

« Le Conseil de sécurité,(...)25. Prie les Etats-Unis d’Amérique, au nom de la force multinationale visée au paragraphe 13 ci-dessus, de lui rendre compte, selon qu’il conviendra et tous les six mois au moins, des efforts et des progrès accomplis par cette force ;

35. Les dispositions relatives au nouveau régime figurent dans la Résolution 1546 du Conseil de sécurité, adoptée le 8 juin 2004 et à laquelle les lettres de MM. Allawi et Powell étaient jointes en annexe. En voici les extraits pertinents :

« Le Conseil de sécurité,Constatant avec satisfaction qu’une nouvelle phase de la transition de l’Irak vers un gouvernement élu démocratiquement a débuté, et attendant avec impatience la fin de l’occupation et qu’un gouvernement intérimaire entièrement souverain et indépendant assume la pleine responsabilité et la pleine autorité dans le pays d’ici au 30 juin 2004,Rappelant toutes ses résolutions pertinentes (« relevant ») antérieures sur l’Irak, (…)Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies,1. Approuve la formation d’un gouvernement intérimaire souverain de l’Irak (...) qui assumera pleinement d’ici au 30 juin 2004 la responsabilité et l’autorité de gouverner l’Irak (...) ; (…)10. Décide que la force multinationale est habilitée à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak conformément aux lettres qui figurent en annexe à la présente résolution et où on trouve notamment la demande de l’Irak tendant au maintien de la présence de la force multinationale et la définition des tâches de celle-ci, notamment en ce

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qui concerne la prévention du terrorisme et la dissuasion des terroristes afin que, entre autres, l’Organisation des Nations unies puisse remplir son rôle d’assistance au peuple irakien tel que défini au paragraphe 7 ci-dessus et que le peuple irakien puisse appliquer librement et à l’abri de toute intimidation le calendrier et le programme fixés pour le processus politique et tirer parti des activités de reconstruction et de redressement ;(...)

5.  La fin de l’occupation et les développements ultérieurs37.  Le 28 juin 2004, l’Autorité provisoire de la coalition fut dissoute et ses pleins pouvoirs furent transférés au gouvernement intérimaire. La force multinationale, y compris les soldats britanniques en faisant partie, resta en Irak à la demande du gouvernement irakien et en vertu d’autorisations données par le Conseil de sécurité.38.  Le 19 mai 2006 fut adoptée la nouvelle Constitution irakienne. Elle prévoyait la nullité de toute loi contraire à ses dispositions. (…)

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION59. Le requérant se plaint d’avoir été interné par les forces armées britanniques en Irak du 10 octobre 2004 au 30 décembre 2007, en violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Il n’a pas maintenu devant la Cour le grief de méconnaissance de l’article 5 § 4 de la Convention initialement tiré par lui de ce que la légalité de sa détention n’eût pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel, les juridictions internes étant toujours saisies de la procédure relative à cette question à la date de l’introduction de sa requête (paragraphes 23-24 ci-dessus).60. Le Gouvernement soutient que l’internement en cause est imputable non pas au Royaume-Uni mais aux Nations unies et que, dès lors, le requérant ne relevait pas de la juridiction de ce pays au sens de l’article 1 de la Convention. Par ailleurs, et à titre subsidiaire, il plaide que cette mesure avait été prise sur la base de la Résolution 1546 du Conseil de sécurité, que celle-ci imposait au Royaume-Uni d’incarcérer l’intéressé, et que, en vertu de l’article 103 de la Charte des Nations unies, cette obligation primait les obligations découlant de la Convention.

(…)

B. Sur le fond

1. Quant à la juridiction63. Le requérant soutient qu’il relevait de la juridiction du Royaume-Uni au sens de l’article 1 de la Convention, ainsi libellé :

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« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »Le Gouvernement récuse cette thèse.(…)

b) Appréciation de la Cour74. L’article 1 de la Convention est ainsi libellé :« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »Aux termes de cette disposition, l’engagement des Etats contractants se borne à « reconnaître » (en anglais « to secure ») aux personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés énumérés (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, série A no 161, et Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], no 52207/99, § 66, CEDH 2001 XII). La « juridiction », au sens de l’article 1, est une condition sine qua non. Elle doit avoir été exercée pour qu’un Etat contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 311, CEDH 2004-VII).75. La Cour relève que, devant la Divisional Court et la Cour d’appel, saisies dans le cadre de la première instance introduite par le requérant devant le juge britannique, le Gouvernement a reconnu que l’internement de l’intéressé dans une prison militaire administrée par les Britanniques à Bassorah, dans le sud-est de l’Irak, l’avait fait passer sous la juridiction du Royaume-Uni au sens de l’article 1 de la Convention. Ce n’est que devant la Chambre des lords que le Gouvernement a soutenu pour la première fois que cette mesure était imputable non pas au Royaume-Uni mais aux Nations unies et que, dès lors, le requérant ne relevait pas de la juridiction de ce pays. Rejetant cette thèse, la majorité de la Chambre des lords a jugé que l’internement était imputable aux forces britanniques (paragraphes 16 à 18 ci-dessus).76. Pour déterminer si l’internement du requérant est imputable au Royaume-Uni ou, comme le Gouvernement le soutient, aux Nations unies, il est nécessaire d’analyser les faits particuliers de l’espèce, et notamment le libellé des résolutions du Conseil de sécurité qui définissaient le régime applicable en matière de sécurité en Irak pendant la période considérée. Ce faisant, la Cour gardera à l’esprit qu’il ne lui appartient pas d’interpréter, par voie d’autorité, le sens et la portée des dispositions de la Charte des Nations unies et d’autres instruments internationaux. Elle doit néanmoins examiner si ces textes fournissent une base plausible pour les questions soulevées devant elle (décision Behrami et Saramati précitée, § 122). Les principes sur lesquels repose la Convention ne pouvant s’interpréter et s’appliquer dans le vide, elle doit aussi prendre en compte toute règle pertinente du droit international (ibidem) Elle s’inspirera dans cette démarche de ce qu’a dit la Cour internationale de justice au paragraphe 114 de son avis consultatif sur les Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (paragraphe 49 ci-dessus), à savoir qu’une

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résolution du Conseil de sécurité doit être interprétée à la lumière non seulement de son libellé mais aussi du contexte dans lequel elle a été adoptée.77. La Cour prend pour point de départ le fait que, le 20 mars 2003, le Royaume-Uni, avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la coalition, pénétra en sol irakien, par le biais de ses forces armées, dans le but de chasser le régime baasiste alors au pouvoir. A la date de l’invasion, aucune résolution du Conseil de sécurité ne prévoyait la manière dont il y aurait lieu de répartir les rôles en Irak en cas de renversement dudit régime. La fin des principales opérations de combat fut prononcée le 1er mai 2003, les Etats Unis et le Royaume-Uni devenant des puissances occupantes au sens de l’article 42 du règlement de La Haye (paragraphe 42 ci-dessus). Comme l’indiquait la lettre du 8 mai 2003 adressée conjointement par les représentants permanents du Royaume-Uni et des Etats-Unis au président du Conseil de sécurité (paragraphe 27 ci-dessus), ces deux pays, après avoir chassé l’ancien régime, avaient créé l’Autorité provisoire de la coalition pour « exerce[r] les pouvoirs du gouvernement à titre temporaire ». L’un des pouvoirs expressément mentionnés dans cette lettre, que les Etats-Unis et le Royaume-Uni étaient censés assumer par l’intermédiaire de l’Autorité provisoire de la coalition, était d’assurer la sécurité en Irak. La lettre indiquait en outre : « [l]es Etats-Unis, le Royaume-Uni et les membres de la coalition, agissant par l’intermédiaire de l’Autorité provisoire de la coalition, seront chargés, entre autres tâches, d’assurer la sécurité en Irak et d’administrer ce pays à titre temporaire, notamment par les moyens suivants : (...) en prenant immédiatement le contrôle des institutions irakiennes responsables des questions militaires et de sécurité ». La lettre reconnaissait que les Nations unies avaient « un rôle crucial à jouer dans les domaines de l’aide humanitaire, de l’appui à la reconstruction de l’Irak et de l’aide à la constitution d’une autorité provisoire irakienne » et ajoutait que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les membres de la coalition étaient disposés à travailler en étroite collaboration avec les représentants des Nations unies et de ses institutions spécialisées et accepteraient volontiers l’appui et les contributions d’Etats membres, d’organisations internationales et régionales et d’autres entités « dans le cadre d’accords de coordination appropriés avec l’Autorité provisoire de la coalition ». Cette dernière déclara dans son règlement no 1 du 16 mai 2003, son premier texte normatif, qu’elle « exerce[rait] temporairement les prérogatives de la puissance publique afin d’assurer l’administration effective de l’Irak au cours de la période d’administration transitoire, d’y rétablir la stabilité et la sécurité (...) » (paragraphe 28 ci-dessus).78. La première résolution du Conseil de sécurité consécutive à l’invasion fut la Résolution 1483, adoptée le 22 mai 2003 (paragraphe 29 ci dessus). Le Conseil de sécurité y prenait note de la lettre des représentants permanents des Etats-Unis et du Royaume-Uni en date du 8 mai 2003 et reconnaissait que ces Etats étaient en Irak des puissances occupantes agissant sous un commandement unifié (l’Autorité provisoire de la coalition) et que des pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques leur étaient dévolus en vertu du droit humanitaire international. Il notait en outre que d’autres Etats, qui n’étaient pas des

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puissances occupantes, travaillaient alors ou seraient appelés à travailler sous l’égide de l’Autorité provisoire de la coalition, et il se félicitait de la volonté des Etats membres de contribuer à la stabilité et à la sécurité en Irak en fournissant personnel, équipement et autres ressources « sous l’égide de l’Autorité ». Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte, il demandait aux puissances occupantes, par le biais de l’Autorité provisoire de la coalition, de « promouvoir le bien être de la population irakienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir la sécurité et la stabilité ». Le Royaume-Uni et les Etats-Unis étaient encouragés à « informer le Conseil à intervalles réguliers des efforts qu’ils déplo[ya]ient dans le cadre de la présente résolution ». Le préambule de la Résolution 1483 reconnaissait que les Nations unies devaient jouer « un rôle crucial dans le domaine humanitaire, dans la reconstruction de l’Irak et dans la création et le rétablissement d’institutions nationales et locales permettant l’établissement d’un gouvernement représentatif ». Le Secrétaire général était prié de désigner un représentant spécial pour l’Irak qui aurait, de façon indépendante, la responsabilité, notamment, de faire régulièrement rapport au Conseil de sécurité sur les activités menées par lui au titre de cette résolution, de coordonner l’action des Nations unies au lendemain du conflit en Irak et d’assurer la coordination des efforts déployés par les organismes des Nations unies et par les organisations internationales fournissant une aide humanitaire et facilitant les activités de reconstruction en Irak. La Résolution 1483 ne confiait aux Nations unies aucun rôle en matière de sécurité. Le Gouvernement ne soutient pas que, à ce stade de l’invasion et de l’occupation, les actes de ses forces armées fussent d’une quelconque manière imputables aux Nations unies.79. Dans sa Résolution 1511, adoptée le 16 octobre 2003, le Conseil de sécurité, agissant là encore en vertu du Chapitre VII, soulignait le caractère temporaire de l’exercice par l’Autorité provisoire de la coalition des pouvoirs et responsabilités énoncés dans la Résolution 1483, qui étaient censés prendre fin dès la mise en place d’un gouvernement irakien représentatif reconnu sur le plan international. Au paragraphe 13, il autorisait « une force multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak », et, au paragraphe 14, il priait instamment les Etats membres de « fournir une assistance au titre de ce mandat des Nations unies, y compris des forces militaires, à la force multinationale visée au paragraphe 13 » (paragraphe 31 ci-dessus). Les Etats-Unis, pour le compte de la force multinationale, étaient priés de rendre compte périodiquement des efforts et progrès accomplis par ladite force. Le Conseil de sécurité se déclarait également résolu à ce que les Nations unies, agissant par l’intermédiaire du Secrétaire général, du représentant spécial de ce dernier et de la MANUI, renforcent leur rôle crucial en Irak, notamment en apportant des secours humanitaires, en favorisant des conditions propices à la reconstruction économique et au développement de l’Irak à long terme, et en concourant aux efforts visant à créer et à rétablir les institutions nationales et locales nécessaires à un gouvernement représentatif.

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80. La Cour considère que l’autorisation donnée dans la Résolution 1511 n’a pas eu pour effet de rendre imputables aux Nations unies les actes des soldats de la force multinationale ni – aspect plus important aux fins de la présente affaire – de mettre fin à leur imputabilité aux Etats fournisseurs de contingents. Présente en Irak depuis l’invasion, la force multinationale avait déjà été reconnue dans la Résolution 1483, dans laquelle le Conseil de sécurité se félicitait de la volonté des Etats membres de fournir du personnel. La Résolution 1511 ne changea rien à sa structure de commandement unifiée, mise en place dès le commencement de l’invasion par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. En outre, ces deux pays, par le biais de l’Autorité provisoire de la coalition qu’ils avaient créée au début de l’occupation, continuèrent d’exercer les prérogatives de la puissance publique en Irak. Les Etats-Unis étaient certes priés de rendre compte périodiquement au Conseil de sécurité des activités de la force multinationale, mais les Nations unies n’en avaient pas assumé pour autant un quelconque contrôle sur la force elle-même ni sur l’une quelconque des autres fonctions exécutives de l’Autorité provisoire de la coalition.81. La dernière résolution qui intéresse le cas d’espèce est la Résolution 1546 (paragraphe 35 ci-dessus), adoptée le 8 juin 2004, soit vingt jours avant le transfert des pouvoirs de l’Autorité provisoire de la coalition au gouvernement intérimaire et environ quatre mois avant l’internement du requérant. Y étaient annexées, d’une part, une lettre du premier ministre du gouvernement intérimaire dans laquelle l’intéressé demandait au Conseil de sécurité d’adopter une nouvelle résolution sur le mandat de la force multinationale, et, d’autre part, une lettre adressée au président du Conseil de sécurité par le secrétaire d’Etat américain et confirmant que la « force multinationale [sous commandement unifié était] disposée à continuer à contribuer au maintien de la sécurité en Irak » et avisant son destinataire des missions dévolues à cette force et des moyens que son commandant entendait employer pour les accomplir. Il n’apparaît pas à la lecture de cette lettre que, aux yeux du secrétaire d’Etat, les Nations unies contrôlaient le déploiement ou les activités de la force multinationale. Dans sa Résolution 1546, le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII, renouvela l’autorisation donnée à la force multinationale par la Résolution 1511. Rien dans la nouvelle résolution n’indique qu’il entendît renforcer le contrôle ou le commandement qu’il avait pu exercer auparavant sur la force multinationale.82. Dans sa Résolution 1546, le Conseil de sécurité décida également que, en s’acquittant de leurs mandats en Irak, le représentant spécial du Secrétaire général et la MANUI assumeraient un rôle moteur concernant l’aide à la mise en place d’institutions démocratiques, au développement économique et aux opérations humanitaires. La Cour relève que, dans leurs rapports trimestriels et bimestriels adressés au Conseil de sécurité pendant la période où le requérant était interné, le Secrétaire général et la MANUI, qui sont tous deux manifestement des organes des Nations unies, se sont plaints à plusieurs reprises de l’ampleur du recours par la force multinationale à l’internement pour raisons de sécurité (paragraphes 40-41 ci-dessus). Il ne serait guère concevable d’imputer la détention du requérant aux Nations unies et non au Royaume-Uni alors

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que des organes des Nations unies, agissant en vertu du mandat conféré par la Résolution 1546, ont montré qu’ils n’approuvaient pas la pratique des internements sans limitation de durée ni procès et ont, dans le cas de la MANUI, échangé une correspondance avec l’ambassade des Etats-Unis afin de convaincre la force multinationale sous commandement américain de modifier la procédure d’internement.83. Au vu de ce qui précède, la Cour estime, à l’instar de la majorité de la Chambre des lords, que le rôle joué par les Nations unies en matière de sécurité en Irak en 2004 était très différent de celui que l’Organisation avait assumé dans ce même domaine au Kosovo en 1999. La mise en comparaison revêt d’autant plus d’intérêt que, dans la décision Behrami et Saramati précitée, la Cour a notamment conclu que la détention de M. Saramati était imputable aux Nations unies et non à l’un quelconque des Etats défendeurs. Il convient de rappeler que la présence internationale de sécurité au Kosovo avait été établie par la Résolution 1244, adoptée le 10 juin 1999, dans laquelle le Conseil de sécurité, « [r]ésolu à remédier à la situation humanitaire grave qui exist[ait] au Kosovo, (...) [avait] décid[é] du déploiement au Kosovo, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, de présences internationales civile et de sécurité ». Il avait dès lors autorisé « les Etats membres et les organisations internationales compétentes à établir la présence internationale de sécurité au Kosovo » et indiqué qu’il devait y avoir « une participation substantielle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord » au sein de la force, qui devait « être déployée sous commandement et contrôle unifiés ». En outre, la Résolution 1244 avait autorisé le Secrétaire général à établir une présence internationale civile au Kosovo afin d’y assurer une administration intérimaire. Les Nations unies, par le biais du représentant spécial désigné par le Secrétaire général en consultation avec le Conseil de sécurité, devaient diriger la mise en place de la présence internationale civile et agir en étroite coordination avec la présence internationale de sécurité (décision Behrami et Saramati précitée, §§ 3, 4 et 41). Le 12 juin 1999, soit deux jours après l’adoption de la Résolution 1244, les premiers éléments de la KFOR, conduite par l’OTAN, pénétraient dans cette région.84. Il semble ressortir de l’exposé de l’opinion de Lord Bingham que, dans le cadre de la première procédure engagée par le requérant, les parties devant la Chambre des lords s’accordaient à dire que le critère d’attribution à retenir était celui énoncé par la CDI à l’article 5 de son projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales et précisé dans son commentaire à ce sujet, à savoir que le comportement d’un organe d’un Etat qui est mis à la disposition d’une organisation internationale est d’après le droit international imputable à cette organisation pour autant qu’elle exerce un contrôle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus). Pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour considère que le Conseil de sécurité n’exerçait ni un contrôle effectif ni l’autorité et le contrôle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que, dès lors, l’internement du requérant n’est pas imputable aux Nations unies.85. Interné dans un centre de détention de la ville de Bassorah contrôlé exclusivement par les forces britanniques, le requérant s’est trouvé

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pendant toute la durée de sa détention sous l’autorité et le contrôle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus, voir également Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 136, CEDH 2011 et Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni (déc.), no 61498/08, § 88, 30 juin 2009, voir également l’arrêt rendu par la Cour suprême des Etats-Unis en l’affaire Munaf v. Geren, paragraphe 54 ci-dessus). L’internement avait été décidé par l’officier britannique qui commandait le centre de détention. Si la décision de maintenir le requérant en détention a été réexaminée à différents stades par des organes ayant en leur sein des fonctionnaires irakiens et des représentants non britanniques de la force multinationale, la Cour estime que ces procédures de contrôle n’ont pas eu pour effet d’empêcher l’imputation au Royaume-Uni de la détention en question.86. En conclusion, la Cour considère, avec la majorité de la Chambre des lords, que l’internement du requérant est imputable au Royaume-Uni et que, pendant la durée de sa détention, l’intéressé s’est retrouvé sous la juridiction de ce pays au sens de l’article 1 de la Convention.

2. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention(…)b) Appréciation de la Cour97. L’article 5 § 1 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

98. Le requérant fut détenu dans un bâtiment militaire britannique entre le 10 octobre 2004 et le 30 décembre 2007, soit pendant plus de trois ans. Son maintien en détention fut autorisé et contrôlé, tout d’abord par de hauts gradés militaires britanniques, puis également par des représentants des gouvernements irakien et britannique et par des militaires non britanniques, sur la base de renseignements qui ne lui furent jamais révélés. L’intéressé put présenter des observations écrites

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aux autorités de contrôle mais aucune disposition ne prévoyait la possibilité d’une audience. L’internement avait été autorisé « pour d’impérieuses raisons de sécurité ». A aucun stade de la procédure des poursuites pénales ne furent envisagées contre le requérant (paragraphes 11 à 13 ci-dessus).99. La Cour souligne d’emblée que l’article 5 consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à son droit à la liberté. Le libellé de cette disposition précise bien que la garantie qu’elle renferme s’applique à « toute personne ». Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 énumèrent limitativement les motifs autorisant la privation de liberté. Pareille mesure n’est pas conforme à l’article 5 § 1 si elle ne relève pas de l’un de ces motifs ou si elle n’est pas prévue par une dérogation faite conformément à l’article 15 de la Convention, qui permet à un Etat contractant « [e]n cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation » de prendre des mesures dérogatoires à ses obligations découlant de l’article 5 « dans la stricte mesure où la situation l’exige » (voir, parmi d’autres précédents, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 194, série A no 25, et A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, §§ 162-163, CEDH 2009).100. Il est établi de longue date que l’internement ou la détention préventive lorsqu’aucune poursuite pénale n’est envisagée dans un délai raisonnable ne figurent pas parmi les motifs exhaustivement énumérés à l’article 5 § 1 (Lawless c. Irlande (no 3), 1er juillet 1961, pp. 51-53, §§ 13 14, série A no 3, Irlande c. Royaume-Uni, précité, § 196, Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 102, série A no 39, et Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, §§ 47-52, CEDH 2000-IX). Le Gouvernement ne soutient pas que la détention en question était justifiée par l’une quelconque des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1. Il n’a pas non plus cherché à demander une dérogation au titre de l’article 15. Sa thèse de non-violation de l’article 5 § 1 consiste plutôt à dire que les obligations résultant pour lui de cette disposition avaient été écartées par celles créées par la Résolution 1546 du Conseil de sécurité. Il considère que, par l’effet de l’article 103 de la Charte (paragraphe 46 ci-dessus), les obligations énoncées dans cette résolution primaient celles découlant de la Convention.101. L’article 103 de la Charte dispose que les obligations des membres des Nations unies en vertu de la Charte prévaudront en cas de conflit avec leurs obligations en vertu de tout autre accord international. Avant de rechercher si l’article 103 trouvait une quelconque application en l’espèce, la Cour doit déterminer s’il existait un conflit entre les obligations que la Résolution 1546 du Conseil de sécurité faisait peser sur le Royaume-Uni et les obligations découlant pour lui de l’article 5 § 1. Autrement dit, la question essentielle est de savoir si la Résolution 1546 obligeait le Royaume-Uni à interner le requérant.102. La Cour interprétera la Résolution 1546 en se référant aux considérations exposées au paragraphe 76 ci-dessus. Elle tiendra également compte des buts qui ont présidé à la création des Nations unies. Au-delà du but consistant à maintenir la paix et la sécurité

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internationales qu’énonce son premier alinéa, l’article 1 de la Charte dispose en son troisième alinéa que les Nations unies ont été créées pour « [r]éaliser la coopération internationale (...) en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». L’article 24 § 2 de la Charte impose au Conseil de sécurité, dans l’accomplissement de ses devoirs tenant à sa responsabilité principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales, d’agir « conformément aux buts et principes des Nations unies ». La Cour en conclut que, lorsque doit être interprétée une résolution du Conseil de sécurité, il faut présumer que celui-ci n’entend pas imposer aux Etats membres une quelconque obligation qui contreviendrait aux principes fondamentaux en matière de sauvegarde des droits de l’homme. En cas d’ambiguïté dans le libellé d’une résolution, la Cour doit dès lors retenir l’interprétation qui cadre le mieux avec les exigences de la Convention et qui permette d’éviter tout conflit d’obligations. Vu l’importance du rôle joué par les Nations unies dans le développement et la défense du respect des droits de l’homme, le Conseil de sécurité est censé employer un langage clair et explicite s’il veut que les Etats prennent des mesures particulières susceptibles d’entrer en conflit avec leurs obligations découlant des règles internationales de protection des droits de l’homme.103. Sur ce point, la Cour relève que la Résolution 1546 était précédée de lettres adressées au président du Conseil de sécurité par le premier ministre du gouvernement intérimaire et par le secrétaire d’Etat américain (paragraphe 34 ci-dessus). Dans sa lettre, le premier ministre se félicitait du retour à la pleine souveraineté des autorités irakiennes. Il priait toutefois le Conseil de sécurité d’adopter une nouvelle résolution autorisant la force multinationale à rester en territoire irakien pour y contribuer à assurer la sécurité, notamment par les tâches et selon les dispositions énoncées dans l’autre lettre, celle du secrétaire d’Etat américain. Dans sa lettre, ce dernier constatait que le gouvernement irakien avait demandé à la force multinationale de maintenir sa présence dans le pays et confirmait que cette force, sous commandement unifié, était disposée à continuer à contribuer au maintien de la sécurité en Irak, notamment par la prévention et la dissuasion du terrorisme. Il ajoutait ceci :

« Selon les dispositions convenues, la force multinationale est prête à continuer à se charger d’un large ensemble de tâches afin de contribuer au maintien de la sécurité et d’assurer la protection des forces. Parmi ces activités figurent celles qui sont nécessaires pour contrecarrer les menaces que font peser, sur la sécurité, des forces qui cherchent à infléchir par la violence l’avenir politique de l’Irak. Cela inclut des opérations de combat contre des membres de ces groupes, leur internement si nécessaire pour des raisons impératives de sécurité, et la poursuite de la recherche et du contrôle d’armes qui menaceraient la sécurité de l’Irak (...) »

104. Ces lettres étaient annexées à la Résolution 1546 (paragraphe 35 ci dessus). Dans le préambule de cette résolution, le Conseil de sécurité disait attendre avec impatience la fin de l’occupation et le transfert de la pleine responsabilité et de la pleine autorité à un gouvernement irakien entièrement souverain, prenait acte de la demande de maintien de la présence de la force multinationale formulée par le premier ministre

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irakien dans sa lettre jointe en annexe, se félicitait que la force multinationale fût disposée à continuer de concourir au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak et notait que « toutes les forces (...) [s’étaient] engagées à se conformer au droit international, y compris aux obligations qui découl[ai]ent du droit international humanitaire ». Au paragraphe 9 de sa résolution, il notait en outre que c’était à la demande du nouveau gouvernement intérimaire que la force multinationale resterait en Irak et renouvelait l’autorisation donnée à cette même force sous commandement unifié initialement établie par la Résolution 1511, « compte tenu des lettres qui figur[ai]ent en annexe à la (...) Résolution [1546] ». Au paragraphe 10, il précisait que la force multinationale était

« habilitée à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak conformément aux lettres qui figur[ai]ent en annexe à la (...) résolution [1546] et où on trouv[ait] notamment la demande de l’Irak tendant au maintien de la présence de la force multinationale et la définition des tâches de celle-ci, notamment en ce qui concerne la prévention du terrorisme et la dissuasion des terroristes (...) »

105. La Cour considère que le libellé de cette résolution n’indique pas sans ambiguïté que le Conseil de sécurité entendait donner aux Etats membres, dans le cadre de la force multinationale, l’obligation de procéder à des internements d’une durée indéfinie, sans inculpation ni garanties judiciaires, en violation de leurs engagements découlant d’instruments internationaux de protection des droits de l’homme, dont la Convention. La question de l’internement n’est pas expressément visée dans la résolution. Au paragraphe 10, le Conseil de sécurité indiquait que la force multinationale pouvait prendre « toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak conformément aux lettres (...) en annexe », lesquelles précisaient notamment les missions de la force multinationale. Dans la lettre de M. Powell, le secrétaire d’Etat américain, l’internement était cité comme exemple du « large ensemble de tâches » que la force multinationale était disposée à assumer. Il apparaît ainsi à la Cour que les termes employés dans la résolution donnaient aux Etats membres de la force multinationale le choix des moyens à utiliser pour atteindre le but fixé. En outre, il était noté dans le préambule de la résolution que toutes les forces s’étaient engagées à se conformer au droit international. Or il est patent que la Convention fait partie intégrante du droit international, comme la Cour l’a souvent fait observer (voir, par exemple, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001 XI). En l’absence d’une disposition claire en sens contraire, il faut présumer que le Conseil de sécurité entendait que les Etats membres de la force multinationale contribuent au maintien de la sécurité en Irak en respectant leurs obligations découlant du droit international relatif aux droits de l’homme.106. En outre, la thèse selon laquelle la Résolution 1546 faisait obligation aux Etats membres de recourir à l’internement n’est guère conciliable avec les objections formulées à maintes reprises par le Secrétaire général des Nations unies et la MANUI quant à l’utilisation de cette mesure par la force multinationale. En effet, au paragraphe 7 de sa Résolution 1546, le Conseil de sécurité chargeait expressément aussi bien le Secrétaire général, par le biais de son représentant spécial, que la

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MANUI de « [p]romouvoir la protection des droits de l’homme (...) en Irak ». Dans ses rapports trimestriels produits tout au long de la durée de l’internement du requérant, le Secrétaire général qualifia plusieurs fois de préoccupation urgente en matière de droits de l’homme l’ampleur du recours aux internements pour des raisons de sécurité. Dans ses rapports bimestriels soumis pendant la même période sur la situation en matière de droits de l’homme, la MANUI se dit plusieurs fois préoccupée par le nombre élevé d’individus internés pour une durée indéfinie sans contrôle juridictionnel (paragraphes 40 et 41 ci-dessus).107. La Cour a déjà examiné si, en l’absence de disposition expresse dans la Résolution 1546, la détention du requérant pouvait reposer sur une quelconque autre base légale propre à faire échec aux exigences de l’article 5 § 1. Le Gouvernement soutient que, par l’effet des autorisations données aux paragraphes 9 et 10 de la Résolution 1546, la force multinationale avait continué d’exercer les « pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques » qu’en leur qualité de puissances occupantes les Etats-Unis et le Royaume-Uni avaient précédemment assumés en vertu du droit humanitaire international et que ces obligations comprenaient celle de recourir à l’internement si nécessaire pour protéger les habitants du territoire occupé des actes de violence. Cette thèse peut trouver appui dans les constats du juge interne (voir par exemple l’opinion de Lord Bingham au paragraphe 32 de l’arrêt de la Chambre des lords, citée au paragraphe 20 ci dessus). La Cour relève à cet égard que le paragraphe 2 de la résolution indiquait clairement que l’occupation devait cesser au plus tard le 30 juin 2004. Cependant, quand bien même la résolution aurait eu pour effet de maintenir, après le transfert des pouvoirs de l’Autorité provisoire de la coalition au gouvernement intérimaire, le régime découlant du droit humanitaire international qui s’appliquait auparavant, il n’est pas établi, aux yeux de la Cour, que le droit humanitaire international fasse peser sur les puissances occupantes une obligation de recourir à l’internement sans limitation de durée ni procès. L’article 43 du règlement de La Haye impose à l’occupant de prendre « toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays » (paragraphe 42 ci-dessus). Certes, dans son arrêt rendu en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, la Cour internationale de justice a vu dans cette disposition une obligation de protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de violence, y compris par une tierce partie, mais elle n’en a pas conclu pour autant que la puissance occupante était tenue de recourir à l’internement. Elle a d’ailleurs jugé aussi dans cette affaire que, en sa qualité de puissance occupante, l’Ouganda avait l’obligation de veiller au respect des règles applicables du droit international relatif aux droits de l’homme, y compris celles découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont il était signataire (paragraphe 50 ci-dessus). Il semble par ailleurs ressortir des dispositions de la quatrième Convention de Genève telles qu’analysées par la Cour que, d’après le droit humanitaire international, l’internement doit être considéré non pas comme une mesure que la puissance occupante serait

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tenue de prendre mais comme une action de dernier ressort (paragraphe 43 ci dessus).108. On pourrait trouver une autre base juridique à la mesure incriminée dans l’accord, consigné dans les lettres jointes à la Résolution 1546, conclu entre le gouvernement irakien et le gouvernement américain, ce dernier agissant au nom des autres Etats, dont le Royaume-Uni, ayant fourni des soldats à la force multinationale. Cet accord prévoyait que la force multinationale continuerait de procéder à des internements en Irak dès lors qu’elle le jugerait nécessaire pour d’impérieuses raisons de sécurité (paragraphe 34 ci-dessus). Un accord de ce type ne saurait toutefois primer les obligations contraignantes découlant de la Convention. A cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un Etat contractant demeure responsable au regard de la Convention à raison des engagements pris par lui en vertu de traités et autres accords postérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention (voir, par exemple, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, §§ 126-128, CEDH 2010).109. En définitive, la Cour considère donc que la Résolution 1546 du Conseil de sécurité, en son paragraphe 10, autorisait le Royaume-Uni à prendre des mesures pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak, mais que ni cette résolution ni aucune autre résolution adoptée ultérieurement par le Conseil de sécurité n’imposait expressément ou implicitement au Royaume-Uni d’incarcérer, sans limitation de durée ni inculpation, un individu qui, selon les autorités, constituait un risque pour la sécurité en Irak. En l’absence d’obligation contraignante de recourir à l’internement, il n’y avait aucun conflit entre les obligations imposées au Royaume-Uni par la Charte des Nations unies et celles découlant de l’article 5 § 1 de la Convention.110. Dans ces conditions, les dispositions de l’article 5 § 1 n’ayant pas été écartées et aucun des motifs de détention énoncés aux alinéas a) à f) ne trouvant à s’appliquer, la Cour conclut que la détention du requérant a emporté violation de l’article 5 § 1.(…)

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Affaire Nada (CEDH)

Cour EDH [GC], arrêt du 12 septembre 2012, Nada c. Suisse, n° 10593/08

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A. Sur la compatibilité des griefs avec la Convention et ses Protocoles

1. Les thèses des partiesa) Le Gouvernement

102. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention. Il arguë que les mesures litigieuses ont été prises sur le fondement des Résolutions 1267 (1999) et suivantes du Conseil de sécurité, lesquelles, en vertu des articles 25 et 103 de la Charte des Nations unies, auraient force obligatoire et primeraient sur les obligations découlant de tout autre accord international. A cet égard, il renvoie notamment à une ordonnance portant mesures conservatoires rendue par la Cour internationale de Justice dans le cadre de l’affaire relative aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, CIJ Recueil 1992, p. 15, § 39 :

« Considérant que la Libye et le Royaume-Uni, en tant que membres de l’Organisation des Nations unies, sont dans l’obligation d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à l’article 25 de la Charte ; que la Cour, qui, à ce stade de la procédure, en est à l’examen d’une demande en indication de mesures conservatoires, estime que prima facie cette obligation s’étend à la décision contenue dans la Résolution 748 (1992) ; et que, conformément à l’article 103 de la Charte, les obligations des Parties à cet égard prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autre accord international, y compris la convention de Montréal ; »

Le Gouvernement soutient que, dans ces circonstances, la Suisse ne saurait être tenue responsable au niveau international de la mise en œuvre des mesures en question.103. Le Gouvernement ajoute que ces mesures, émanant du Conseil de sécurité des Nations unies, échappent au contrôle de la Cour. Ainsi, la requête faisant l’objet de la présente affaire serait également irrecevable ratione materiae.(…)3. L’appréciation de la Cour

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116. A la lumière des arguments exposés par les parties et les tiers intervenants, la Cour doit déterminer si elle est compétente pour connaître des griefs soulevés par le requérant. Pour cela, il lui faut examiner si la requête tombe dans le champ d’application de l’article 1 de la Convention et engage dès lors la responsabilité de l’Etat défendeur.a) Compatibilité ratione personae

117. L’article 1 de la Convention est ainsi libellé :« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »

118. Aux termes de cette disposition, l’engagement des Etats contractants se borne à « reconnaître » (en anglais « to secure ») aux personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés énoncés dans la Convention (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 130, CEDH 2011, Al-Jedda, précité, § 74, Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], no 52207/99, § 66, CEDH 2001-XII, et Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, série A no 161). La « juridiction », au sens de l’article 1, est une condition sine qua non pour qu’un Etat contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (Al-Skeini et autres, précité, § 130, Al-Jedda, précité, § 74, et Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 311, CEDH 2004-VII).119. La notion de juridiction reflète la conception de ce terme en droit international public (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 137, CEDH 2004-II, Gentilhomme et autres c. France, nos 48205/99, 48207/99 et 48209/99, § 20, 14 mai 2002, et Banković et autres, précité, §§ 59-61), de sorte que la compétence juridictionnelle d’un Etat est principalement territoriale (Al-Skeini et autres, précité, § 131, et Banković et autres, décision précitée, § 59) et qu’elle est présumée s’exercer sur l’ensemble de son territoire (Ilaşcu et autres, précité, § 312).120. Se prévalant de la décision Behrami et Saramati, précitée, le gouvernement français notamment, tiers intervenant, soutient que les mesures prises par les Etats membres des Nations unies mettant en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte sont imputables à l’ONU et donc incompatibles ratione personae. La Cour ne saurait souscrire à cet argument. En effet, elle rappelle qu’elle a conclu, dans la décision Behrami et Saramati, que les actions et omissions litigieuses de la Kosovo Force (KFOR), dont les pouvoirs avaient été valablement délégués par le Conseil de sécurité en application du Chapitre VII de la Charte, et de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK), un organe subsidiaire des Nations unies instauré en vertu du même chapitre, étaient imputables à l’ONU en tant qu’organisation à vocation universelle remplissant un objectif impératif de sécurité collective (ibidem, § 151). En revanche, s’agissant de la présente affaire, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, notamment les Résolutions 1267 (1999), 1333 (2000), 1373

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(2001) et 1390 (2002), chargent les Etats d’agir en leur propre nom et de les mettre en œuvre au niveau national.121. En l’espèce, les mesures imposées par les résolutions du Conseil de sécurité ont été mises en œuvre au niveau interne par une ordonnance du Conseil fédéral et les demandes formées par le requérant aux fins de bénéficier d’une dérogation à l’interdiction d’entrer sur le territoire suisse ont été rejetées par des autorités suisses (l’Office fédéral suisse de l’immigration, de l’intégration et de l’émigration (« IMES »), puis l’Office des migrations (« ODM »)). On se trouve donc en présence d’actes nationaux d’application d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (voir, mutatis mutandis, Bosphorus, précité, § 137, et, a contrario, Behrami et Samarati, décision précitée, § 151). Les violations alléguées de la Convention sont ainsi imputables à la Suisse.122. Il en découle que les mesures litigieuses ont été prises par l’Etat suisse dans l’exercice de sa « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention. Les actes ou omissions litigieuses sont donc susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat défendeur en vertu de la Convention. Il s’ensuit également que la Cour est compétente ratione personae pour connaître de la présente requête.123. Partant, la Cour rejette l’exception tirée de l’incompatibilité ratione personae de la requête.

b) Compatibilité ratione materiae124. Le gouvernement défendeur soutient que la présente requête est également incompatible ratione materiae avec la Convention. Il insiste à cet égard sur la nature obligatoire des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies et sur la primauté de celle-ci sur tout autre traité international, conformément à son article 103.125. La Cour estime que ces arguments concernent davantage le fond des griefs que leur compatibilité avec la Convention. Par conséquent, il convient de joindre au fond l’exception du gouvernement défendeur tirée de l’incompatibilité ratione materiae de la requête.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION149.  Le requérant estime que l’interdiction qui lui a été faite d’entrer en Suisse et de transiter par ce pays a porté atteinte au respect de sa vie privée, y compris sa vie professionnelle, et de sa vie familiale. Il fait valoir que cette interdiction l’a empêché de voir ses médecins en Italie ou en Suisse ou de rendre visite à ses proches. Il prétend également que l’inscription de son nom sur la liste annexée à l’ordonnance sur les Taliban a porté atteinte à son honneur et à sa réputation. A l’appui de ces griefs, il invoque l’article 8 de la Convention, qui est libellé comme suit :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de

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l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

(…)2.  L’appréciation de la Cour

a)  Sur l’existence d’une ingérence163.  La Cour considère comme opportun d’examiner d’abord l’allégation du requérant selon laquelle il aurait subi une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale au motif de l’interdiction d’entrer en Suisse et de transiter par ce pays.164.  Elle rappelle que, selon un principe de droit international bien établi, les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités, de contrôler l’entrée des étrangers sur leur sol. (…)165.  En l’espèce, la Cour observe que le Tribunal fédéral a estimé que la mesure litigieuse constituait une restriction importante à la liberté du requérant (paragraphe 52 ci-dessus), celui-ci se trouvant dans une situation très particulière du fait de la position de Campione d’Italia, qui est entièrement enclavée dans le canton suisse du Tessin. La Cour souscrit à cette opinion. Elle estime que l’interdiction de quitter le territoire très limité de Campione d’Italia imposée au requérant pendant au moins six années était de nature à rendre plus difficile l’exercice par l’intéressé de son droit d’entretenir des contacts avec d’autres personnes – en particulier avec ses proches – résidant en dehors de l’enclave (voir, mutatis mutandis, les arrêts Agraw c. Suisse, no 3295/06, § 51, et Mengesha Kimfe c. Suisse, no 24404/05, §§ 69-72, tous les deux du 29 juillet 2010).166.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a subi une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 § 1.

b.  Sur la justification de l’ingérence167.  L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale du requérant constatée ci-dessus enfreint l’article 8 sauf si elle satisfait aux exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Il reste donc à déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre. La Cour estime opportun de rappeler d’emblée certains principes qui doivent la guider dans son examen subséquent.

i.  Principes généraux168.  Selon une jurisprudence constante, les Parties contractantes sont responsables en vertu de l’article 1 de la Convention de toutes les actions et omissions de leurs organes, que celles-ci découlent du droit interne ou d’obligations juridiques internationales. L’article 1 ne fait aucune distinction à cet égard entre les différents types de normes ou de mesures et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l’empire de la Convention (Bosphorus, précité, § 153, et Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 29, Recueil 1998-I). Les engagements conventionnels contractés par

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l’Etat après l’entrée en vigueur de la Convention à son égard peuvent donc engager sa responsabilité au regard de cet instrument (Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, CEDH 2010, et Bosphorus, précité, § 154, avec les références citées).169.  Par ailleurs, la Cour rappelle que la Convention ne doit pas être interprétée isolément mais de manière à se concilier avec les principes généraux du droit international. En vertu de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’interprétation d’un traité doit se faire en tenant compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties », en particulier de celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme (voir, par exemple, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 131, CEDH 2010, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI, et Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18).170.  En assumant de nouvelles obligations internationales, les Etats ne sont pas supposés vouloir se soustraire à celles qu’ils ont précédemment souscrites. Quand plusieurs instruments apparemment contradictoires sont simultanément applicables, la jurisprudence et la doctrine internationales s’efforcent de les interpréter de manière à coordonner leurs effets, tout en évitant de les opposer entre eux. Il en découle que deux engagements divergents doivent être autant que possible harmonisés de manière à leur conférer des effets en tous points conformes au droit en vigueur (voir, dans ce sens, Al-Saadoon et Mufdhi, précité, § 126, Al-Adsani, précité, § 55, ainsi que Banković, décision précitée, §§ 55-57 ; voir également les références citées dans le rapport du groupe d’étude de la Commission du droit international intitulé « Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international », paragraphe 81 ci-dessus).171.  En ce qui concerne plus particulièrement la question du rapport entre la Convention et les résolutions du Conseil de sécurité, dans l’affaire Al-Jedda (précitée), la Cour s’est prononcée comme suit :(…)172.  La Grande Chambre confirme ces principes. Toutefois, en l’espèce, elle observe que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Al-Jedda précitée, où les termes de la résolution en cause ne mentionnaient pas l’internement sans procès, la Résolution 1390 (2002) demande expressément aux Etats d’interdire l’entrée et le transit sur leur territoire des personnes figurant sur la liste des Nations unies. Il en découle que la présomption en question est renversée en l’espèce, eu égard aux termes clairs et explicites, imposant une obligation d’introduire des mesures susceptibles de violer les droits de l’homme, qui ont été employés dans le libellé de cette résolution (voir également le paragraphe 7 de la Résolution 1267 (1999), paragraphe 70 ci-dessus, dans lequel le Conseil de sécurité a écarté encore plus clairement toutes les autres obligations internationales incompatibles avec ladite résolution).ii.  Base légale

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173.  La Cour note que la question de l’existence d’une base légale ne fait pas controverse entre les parties. Elle observe que les mesures litigieuses ont été prises en vertu de l’ordonnance sur les Taliban adoptée pour donner suite aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Plus particulièrement, l’interdiction d’entrer en Suisse et de transiter par ce pays reposait sur l’article 4a de cette ordonnance (paragraphe 66 ci-dessus). Ces mesures reposent donc sur une base légale suffisante.iii.  But légitime174.  Le requérant ne semble pas contester que les restrictions litigieuses aient visé des buts légitimes. La Cour estime établi que ces restrictions poursuivaient un ou plusieurs des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2 : d’une part, elles visaient la prévention des infractions pénales, d’autre part, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité s’inscrivant dans la lutte contre le terrorisme international et ayant été adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies (« Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression »), elles étaient également susceptibles de contribuer à la sécurité nationale et à la sûreté publique de la Suisse.iv.  Nécessité dans une société démocratiqueα)  La mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité175.  Le gouvernement défendeur ainsi que les gouvernements français et britannique, tiers intervenants, affirment que les autorités suisses n’avaient aucune latitude dans la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité pertinentes en l’espèce. La Cour doit donc examiner au préalable ces résolutions pour déterminer si elles laissent aux Etats une certaine liberté dans leur mise en œuvre et, en particulier, si elles permettaient en l’espèce aux autorités de prendre en compte le caractère très spécial de la situation du requérant et, dès lors, de se conformer aux exigences de l’article 8 de la Convention. Pour ce faire, elle tiendra compte notamment du libellé de ces résolutions et du contexte dans lequel elles ont été adoptées (Al-Jedda, précité, § 76, avec la référence citée à la jurisprudence pertinente de la Cour internationale de Justice). Il s’agira par ailleurs d’avoir égard aux objectifs poursuivis par ces résolutions (voir, dans ce sens, l’arrêt Kadi de la CJCE, précité, § 296 – paragraphe 86 ci-dessus), lesquels ressortent notamment de leurs préambules, lus à la lumière des buts et principes des Nations unies.176.  La Cour rappelle que la Suisse n’est devenue membre des Nations unies que le 10 septembre 2002 : elle a donc adopté l’ordonnance sur les Taliban du 2 octobre 2000 avant même d’être membre de cette organisation, alors qu’elle était déjà liée par la Convention. De même, elle a transposé au niveau interne l’interdiction d’entrée et de transit concernant le requérant, telle que prévue par la Résolution 1390 (2002) du 16 janvier 2002 (paragraphe 74 ci-dessus), le 1er mai de la même année, par la modification de l’article 4a de l’ordonnance sur les Taliban. La Cour n’ignore pas que cette résolution, notamment en son paragraphe 2, vise « tous les Etats » et non pas seulement les membres de l’Organisation. Toutefois, elle estime que la Charte des Nations unies n’impose pas aux Etats un modèle déterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre

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du Chapitre VII de cette charte. Sans préjudice de la nature contraignante de ces résolutions, la Charte laisse en principe aux membres des Nations unies le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions. Ainsi, elle impose aux Etats une obligation de résultat, leur laissant le libre choix des moyens pour se conformer aux résolutions (voir dans ce sens, mutatis mutandis, l’arrêt Kadi de la CJCE, précité, § 298 (paragraphe 86 ci-dessus)).177.  En l’espèce, le requérant conteste avant tout l’interdiction d’entrée en Suisse et de transit par ce pays qui lui a été imposée notamment en application de la Résolution 1390 (2002). Or le paragraphe 2 b) de cette résolution impose certes aux Etats de prendre pareilles mesures, mais il « ne s’applique pas lorsque l’entrée ou le transit est nécessaire pour l’aboutissement d’une procédure judiciaire (...) » (paragraphe 74 ci-dessus). De l’avis de la Cour, le terme « nécessaire » se prête à une interprétation au cas par cas.178.  De plus, au paragraphe 8 de la Résolution 1390 (2002), le Conseil de sécurité « exhorte tous les Etats à prendre des mesures immédiates pour appliquer ou renforcer, par des mesures législatives ou administratives, selon qu’il conviendra, les dispositions applicables en vertu de leur législation ou de leur réglementation à l’encontre de leurs nationaux et d’autres personnes ou entités agissant sur leur territoire (...) » (paragraphe 74 ci-dessus). La formulation « selon qu’il conviendra », elle aussi, laisse aux autorités nationales une certaine souplesse en ce qui concerne les modalités de la mise en œuvre de cette résolution.179.  Enfin, la Cour renvoie à la motion par laquelle la Commission de politique extérieure du Conseil national a chargé le Conseil fédéral d’indiquer au Conseil de sécurité qu’il n’appliquerait plus inconditionnellement les sanctions prononcées à l’encontre de personnes physiques en vertu des résolutions adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (paragraphe 63 ci-dessus). Même si le texte de cette motion est libellé en termes assez généraux, il en ressort néanmoins que la cause du requérant est l’une des principales raisons qui ont motivé son adoption. En tout état de cause, de l’avis de la Cour, le Parlement suisse a exprimé par l’adoption de cette motion sa volonté de réserver un certain pouvoir de discrétion dans l’application des résolutions du Conseil de sécurité relatives à la lutte contre le terrorisme.180.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la Suisse jouissait d’une latitude, certes restreinte, mais néanmoins réelle, dans la mise en œuvre des résolutions contraignantes pertinentes du Conseil de sécurité.β)  La proportionnalité de l’ingérence en l’espèce181.  Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard, il faut que les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir,

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par exemple, S. et Marper, précité, § 101, et Coster c. Royaume-Uni [GC], no 24876/94, § 104, 18 janvier 2001, avec les références citées).182.  L’objet et le but de la Convention, instrument de protection des droits de l’homme protégeant les individus de manière objective (Neulinger et Shuruk, précité, § 145), appellent à interpréter et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir, notamment, l’arrêt Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Ainsi, aux fins du « respect » de la vie privée et familiale au sens de l’article 8, il faut prendre en compte les particularités de chaque cas pour éviter une application mécanique des dispositions du droit interne à une situation particulière (voir, mutatis mutandis, Emonet et autres c. Suisse, no 39051/03, § 86, 13 décembre 2007).183.  La Cour a déjà jugé que, pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, la possibilité de recourir à une autre mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but doit être exclue (Glor, précité, § 94).184.  En tout état de cause, il appartient à la Cour de trancher en dernier lieu la question de la nécessité de l’ingérence au regard des exigences de la Convention (voir, par exemple, S. et Marper, précité, § 101, et Coster, précité, § 104). Il faut à cet égard reconnaître une certaine marge d’appréciation aux autorités nationales compétentes. L’étendue de cette marge est variable et dépend d’un certain nombre de facteurs, dont la nature et l’importance du droit en cause pour la personne concernée ainsi que le caractère et la finalité de l’ingérence (S. et Marper, précité, § 102).185.  Afin de répondre à la question de savoir si les mesures prises à l’encontre du requérant étaient proportionnées au but légitime qu’elles étaient censées viser et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour les justifier apparaissent « pertinents et suffisants », la Cour doit examiner si les autorités suisses ont suffisamment tenu compte de la nature particulière de son cas et si elles ont pris, dans le cadre de leur marge d’appréciation, les mesures qui s’imposaient pour adapter le régime des sanctions à la situation individuelle du requérant.186.  Ce faisant, la Cour est prête à tenir compte du fait que la menace constituée par le terrorisme était particulièrement sérieuse au moment de l’adoption, entre 1999 et 2002, des résolutions prévoyant ces sanctions. Ce constat découle sans équivoque tant du libellé des résolutions que du contexte dans lequel elles ont été adoptées. En revanche, le maintien, voire le renforcement de ces mesures au fil des années doit être expliqué et justifié de manière convaincante.187.  La Cour relève à cet égard que les investigations menées par les autorités suisses et italiennes ont démontré que les soupçons de participation à des activités liées au terrorisme international qui pesaient sur le requérant se sont révélés clairement infondés. Le 31 mai 2005, le ministère public de la Confédération a mis fin à l’enquête ouverte en octobre 2001 contre l’intéressé et, le 5 juillet 2008, le gouvernement italien a soumis au comité des sanctions une demande de radiation de son nom motivée par le classement sans suite de la procédure dirigée contre lui en Italie (paragraphe 56 ci-dessus). Le Tribunal fédéral, pour sa part,

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a estimé qu’un Etat qui avait mené les investigations et la procédure pénale ne pouvait pas procéder lui-même à la radiation, mais qu’il pouvait au moins communiquer le résultat de ses investigations au comité des sanctions et demander ou soutenir la radiation de l’intéressé de la liste (paragraphe 51 ci-dessus).188.  A cet égard, la Cour juge surprenante l’allégation selon laquelle les autorités suisses n’auraient communiqué au comité des sanctions que le 2 septembre 2009 les conclusions des investigations closes le 31 mai 2005, (paragraphe 61 ci-dessus). Constatant cependant que la véracité de cette allégation n’a pas été contestée par le Gouvernement et en l’absence d’une explication pour ce retard de la part de celui-ci, la Cour observe qu’une communication plus prompte des conclusions des autorités d’enquête aurait pu permettre d’obtenir plus tôt la radiation du nom du requérant des listes des Nations unies et de la Suisse et, dès lors, de raccourcir considérablement la durée pendant laquelle l’intéressé a subi des restrictions de ses droits protégés par l’article 8 (voir, à cet égard, Sayadi et Vinck (Comité des droits de l’homme), précité, § 12 (paragraphes 88-92 ci-dessus)).189.  S’agissant de l’ampleur de l’interdiction en question, la Cour souligne qu’elle n’empêchait pas seulement le requérant de se rendre en Suisse mais qu’elle lui interdisait également, du fait de la situation enclavée de Campione, de quitter celle-ci pour toute autre destination, même pour se rendre dans d’autres parties de l’Italie, pays dont il était ressortissant, sans violer le régime des sanctions.190.  De plus, la Cour estime que l’on ne pouvait pas raisonnablement exiger du requérant qu’il déménageât de Campione d’Italia, où il réside depuis 1970, vers une autre région d’Italie, et cela d’autant moins qu’il n’est pas exclu que, du fait du gel prévu au paragraphe 1 c) de la Résolution 1373 (2001) (paragraphe 73 ci-dessus), une partie de ses biens et de ses avoirs lui aient été inaccessibles. Indépendamment de la question des chances de succès d’une demande d’autorisation de déménager, il y a lieu de rappeler que le droit au respect du domicile est protégé par l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 37, CEDH 2004-XI, et Gillow, précité, § 46).191.  La Cour estime également que la présente affaire comporte un aspect médical qui n’est pas à sous-estimer. En effet, il convient de rappeler que le requérant est né en 1931 et souffre de problèmes de santé (paragraphe 14 ci-dessus). Le Tribunal fédéral lui-même a jugé que, malgré son libellé apparemment peu contraignant, l’article 4a § 2 de l’ordonnance sur les Taliban obligeait les autorités à octroyer des dérogations chaque fois que le régime des sanctions le permettait, car une restriction plus importante de la liberté de circulation individuelle n’aurait été justifiée ni par les résolutions du Conseil de sécurité ni par l’intérêt public, et aurait été disproportionnée au regard de la situation particulière de l’intéressé (paragraphe 52 ci-dessus).192.  En l’espèce, l’IMES et l’ODM ont refusé plusieurs demandes de dérogations à l’interdiction d’entrée et de transit, qui avaient été soumises par le requérant pour des raisons médicales ou judiciaires. Celui-ci n’a pas intenté de recours contre ces refus. Par ailleurs, dans les deux cas où ses demandes ont été admises, il a renoncé à utiliser les

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dérogations obtenues (d’un et de deux jours, respectivement), estimant que leur durée n’était pas suffisante pour effectuer les voyages prévus, compte tenu de son âge et de la distance considérable qu’il avait à parcourir. La Cour peut comprendre qu’il ait effectivement pu trouver insuffisantes la durée de ces dérogations, compte tenu des éléments énoncés ci-dessus (en particulier au paragraphe 191).193.  Il convient de rappeler à cet égard que, en vertu du paragraphe 2 b) de la Résolution 1390 (2002), le comité des sanctions pouvait accorder des dérogations dans des cas précis, notamment pour des raisons médicales, humanitaires ou religieuses. Lors de l’entrevue du 22 février 2008 (paragraphe 54 ci-dessus), une représentante du Département fédéral des affaires étrangères a indiqué que le requérant pouvait demander au comité des sanctions une dérogation plus étendue en raison de sa situation particulière. Le requérant n’a pas formé de demande en ce sens, mais il n’apparaît pas, et il ne ressort notamment pas du procès-verbal de cette entrevue, que les autorités suisses lui aient offert leur assistance aux fins d’une telle démarche.194.  Il est établi que le nom du requérant a été inscrit sur la liste des Nations unies à l’initiative non de la Suisse, mais des Etats-Unis. Il n’est pas contesté non plus que, au moins jusqu’à l’adoption de la Résolution 1730 (2006), il appartenait à l’Etat de nationalité ou de résidence de la personne concernée d’engager une éventuelle procédure de radiation devant le comité des sanctions. Il est vrai que la Suisse n’était ni l’Etat de nationalité ni l’Etat de résidence du requérant et que les autorités suisses n’étaient donc pas compétentes pour entreprendre une telle démarche. Cependant, il n’apparaît pas non plus que la Suisse ait tenté d’inciter l’Italie à entreprendre une telle démarche ni ne lui ait offert son assistance à cette fin (voir, mutatis mutandis, Sayadi et Vinck (Comité des droits de l’homme), précité, § 12 (paragraphes 88-92 ci-dessus)). En effet, il ressort du procès-verbal de l’entrevue du 22 février 2008 (paragraphe 54 ci-dessus) que les autorités se sont contentées de suggérer au requérant de prendre contact avec la Mission de l’Italie auprès des Nations unies, indiquant que cet Etat siégeait alors au Conseil de sécurité.195.  La Cour reconnaît que, avec d’autres Etats, la Suisse a déployé des efforts considérables qui ont abouti, après quelques années, à une amélioration du régime des sanctions (paragraphes 64 et 78 ci-dessus). Elle estime cependant, compte tenu du principe selon lequel la Convention protège des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (Artico, précité, § 33), que ce qui importe dans le cas présent, ce sont les mesures que les autorités nationales ont prises concrètement, ou ont tenté de prendre, face à la situation très particulière du requérant. A cet égard, la Cour considère en particulier que les autorités suisses n’ont pas suffisamment pris en compte les spécificités de l’affaire, notamment la situation géographiquement unique de Campione d’Italia, la durée considérable des mesures infligées ainsi que la nationalité, l’âge et l’état de santé du requérant. Elle estime par ailleurs que la

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possibilité de décider de la manière dont les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité sont mises en œuvre dans l’ordre juridique interne aurait permis d’assouplir le régime des sanctions applicable au requérant, eu égard à ces spécificités, de façon à ne pas empiéter sur sa vie privée et familiale, sans pour autant porter atteinte au caractère obligatoire des résolutions pertinentes ni au respect des sanctions qu’elles prévoient.196.  A la lumière de la nature spécifique de la Convention en tant que traité de garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voir, par exemple, Soering, précité, § 87, et Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 239, série A no 25), la Cour estime que l’Etat défendeur ne pouvait pas valablement se contenter d’avancer la nature contraignante des résolutions du Conseil de sécurité, mais aurait dû la convaincre qu’il avait pris – ou au moins tenté de prendre – toutes les mesures envisageables en vue d’adapter le régime des sanctions à la situation individuelle du requérant.197.  Cette conclusion dispense la Cour de trancher la question, soulevée par l’Etat défendeur et les gouvernements tiers intervenants, de la hiérarchie entre les obligations des Etats parties à la Convention en vertu de cet instrument, d’une part, et celles découlant de la Charte des Nations unies, d’autre part. Ce qui importe, selon la Cour, est de constater que le Gouvernement n’est pas parvenu à démontrer qu’il avait tenté d’harmoniser autant que possible les obligations qu’il a jugées divergentes (paragraphes 81 et 170 ci-dessus).198.  Eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour juge que les restrictions imposées à la liberté de circulation du requérant pendant une durée considérable n’ont pas ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit de l’intéressé à la protection de sa vie privée et familiale et, d’autre part, les buts légitimes que constituent la prévention des infractions pénales, la protection de la sécurité nationale et de la sécurité publique de la Suisse. Il s’ensuit que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale de ce dernier n’était pas proportionnée et, dès lors, pas nécessaire dans une société démocratique.γ)  Conclusion199.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement pour incompatibilité ratione materiae de la requête avec la Convention et, statuant au fond, estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. Eu égard à cette conclusion, et nonobstant le fait que le grief selon lequel l’inscription du nom du requérant sur la liste annexée à l’ordonnance sur les Taliban aurait également porté atteinte à son honneur et à sa réputation constitue un grief distinct, elle estime qu’il n’y a pas lieu de l’examiner séparément.

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III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION200.  Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif lui permettant de faire examiner ses griefs au regard de la Convention. Il s’estime donc victime d’une violation de l’article 13, qui est libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

(…)2.  L’appréciation de la Coura)  Les principes applicables207.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit l’existence en droit interne de recours permettant de dénoncer les atteintes aux droits et libertés protégés par la Convention. Ainsi, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition, il faut qu’existe au niveau interne un recours dans le cadre duquel l’instance nationale compétente peut examiner les griefs fondés sur la Convention et ordonner le redressement approprié. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief tiré de la Convention, mais le recours doit en tout cas être « effectif » en pratique comme en droit, c’est-à-dire notamment que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat (Büyükdağ c. Turquie, no 28340/95, § 64, 21 décembre 2000, avec les renvois notamment à l’arrêt Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 95, Recueil 1996-VI). Dans certaines conditions, les recours offerts par le droit interne considérés dans leur ensemble peuvent répondre aux exigences de l’article 13 (voir notamment Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 77, série A no 116).208.  Cela étant, l’article 13 exige seulement qu’existe un recours en droit interne à l’égard des griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, par exemple, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 54, série A no 131). Il n’impose pas aux Etats de permettre aux individus de dénoncer devant une autorité interne la compatibilité avec la Convention des lois nationales (Costello-Roberts, précité, § 40), mais vise seulement à offrir à ceux qui expriment un grief défendable de violation d’un droit protégé par la Convention un recours effectif dans l’ordre juridique interne (ibidem, § 39).b)  L’application de ces principes au cas d’espèce209.  La Cour note que, compte tenu du constat de violation de l’article 8 énoncé ci-dessus, le grief est défendable. Il reste dès lors à rechercher si le requérant a disposé en droit suisse d’un recours effectif lui permettant de dénoncer les atteintes à ses droits protégés par la Convention.210.  La Cour observe que le requérant a pu saisir les juridictions internes aux fins d’obtenir la radiation de son nom de la liste annexée à l’ordonnance sur les Taliban, ce qui aurait pu permettre de remédier à ses griefs tirés de la Convention. Cependant, ces juridictions n’ont pas

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examiné quant au fond ses griefs concernant les violations alléguées de la Convention. En particulier, le Tribunal fédéral a estimé qu’il pouvait certes vérifier si la Suisse était liée par les résolutions du Conseil de sécurité, mais non lever pour non-respect des droits de l’homme les sanctions prises contre le requérant (paragraphe 50 ci-dessus).211.  Le Tribunal fédéral a par ailleurs admis expressément que la procédure de radiation devant les Nations unies, même dans sa version améliorée par les résolutions les plus récentes, ne pouvait pas être considérée comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention (paragraphe 50 ci-dessus).212.  La Cour rappelle également que la CJCE a jugé que « les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliqu[ai]ent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies » (arrêt Kadi de la CJCE, précité, § 299 (paragraphe 86 ci-dessus)). La Cour considère que ce raisonnement doit s’appliquer, mutatis mutandis, à la présente affaire, plus précisément pour ce qui est du contrôle de la conformité de l’ordonnance sur les Taliban avec la Convention par les instances suisses. Elle estime de surcroît qu’aucun élément dans les résolutions du Conseil de sécurité n’empêchait les autorités suisses de mettre en place des mécanismes de vérification des mesures prises au niveau national en application de ces résolutions.213.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a eu à sa disposition aucun moyen effectif de demander la radiation de son nom de la liste annexée à l’ordonnance sur les Taliban et, dès lors, de remédier aux violations de la Convention qu’il dénonçait (voir, mutatis mutandis, Lord Hope, dans la partie principale de l’arrêt Ahmed and others, précité, §§ 81 et 82, paragraphe 96 ci-dessus).214.  Partant, la Cour rejette l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement pour non-épuisement des voies de recours internes et, statuant au fond, estime qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 8.(…)

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* Concurrence contentieuse devant la Cour de justice

L’affaire de l’usine MOX

Documents de référence :

1. Articles 281, 282, 287, 288 et 290 § 5 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 1982.

Article 281Procédure à suivre lorsque les parties ne sont pas parvenues à un règlement1. Lorsque les Etats Parties qui sont parties à un différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la Convention sont convenues de chercher à le régler par un moyen pacifique de leur choix, les procédures prévues dans la présente partie ne s'appliquent que si l'on n'est pas parvenu à un règlement par ce moyen et si l'accord entre les parties n'exclut pas la possibilité d'engager une autre procédure. 2. Si les parties sont également convenues d'un délai, le paragraphe 1 ne s'applique qu'à compter de l'expiration de ce délai.

Article 282Obligations résultant d'accords généraux, régionaux ou bilatérauxLorsque les Etats Parties qui sont parties à un différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la Convention sont convenus, dans le cadre d'un accord général, régional ou bilatéral ou de toute autre manière, qu'un tel différend sera soumis, à la demande d'une des parties, à une procédure aboutissant à une décision obligatoire, cette procédure s'applique au lieu de celles prévues dans la présente partie, à moins que les parties en litige n'en conviennent autrement.

Article 287Choix de la procédure1. Lorsqu'il signe ou ratifie la Convention ou y adhère, ou à n'importe quel moment par la suite, un Etat est libre de choisir, par voie de déclaration écrite, un ou plusieurs des moyens suivants pour le règlement des différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la Convention :a) le Tribunal international du droit de la mer constitué conformément à l'annexe VI,b) la Cour internationale de Justice;c) un tribunal arbitral constitué conformément à l'annexe VII;d) un tribunal arbitral spécial, constitué conformément à l'annexe VIII, pour une ou plusieurs des catégories de différends qui y sont spécifiés.2. Une déclaration faite en vertu du paragraphe 1 n'affecte pas l'obligation d'un Etat Partie d'accepter, dans la mesure et selon les modalités prévues à la section 5 de la partie XI, la compétence de la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du

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Tribunal international du droit de la mer, et n'est pas affectée par cette obligation.3. Un Etat Partie qui est partie à un différend non couvert par une déclaration en vigueur est réputé avoir accepté la procédure d'arbitrage prévue à l'annexe VII.4. Si les parties en litige ont accepté la même procédure pour le règlement du différend, celui-ci ne peut-être soumis qu'à cette procédure, à moins que les parties n'en conviennent autrement.5. Si les parties en litige n'ont pas accepté la même procédure pour le règlement du différend, celui-ci ne peut-être soumis qu'à la procédure d'arbitrage prévue à l'annexe VII, à moins que les parties n'en conviennent autrement.6. Une déclaration faite conformément au paragraphe 1 reste en vigueur pendant trois mois après le dépôt d'une notification de révocation auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.7. Une nouvelle déclaration, une notification de révocation ou l'expiration d'une déclaration n'affecte en rien la procédure en cours devant une cour ou un tribunal ayant compétence en vertu du présent article, à moins que les parties n'en conviennent autrement.8. Les déclarations et notifications visées au présent article sont déposées auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, qui en transmet copie aux Etats Parties.

Article 288Compétence1. Une cour ou un tribunal visé à l'article 287 à compétence pour connaître de tout différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la Convention qui lui est soumis conformément à la présente partie.2. Une cour ou un tribunal visé à l'article 287 a aussi compétence pour connaître de tout différend qui est relatif à l'interprétation ou à l'application d'un accord international se rapportant aux buts de la Convention et qui lui est soumis conformément à cet accord.3. La Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins constitué conformément à l'annexe VI et toute autre chambre ou tout autre tribunal arbitral visé à la section 5 de la partie XI ont compétence pour connaître de toute question qui leur est soumise conformément à celle-ci.4. En cas de contestation sur le point de savoir si une cour ou un tribunal est compétent, la cour ou le tribunal décide.

Article 290Mesures conservatoires5. En attendant la constitution d'un tribunal arbitral saisi d'un différend en vertu de la présente section, toute cour ou tout tribunal désigné d'un commun accord par les parties ou, à défaut d'accord dans un délai de deux semaines à compter de la date de la demande de mesures conservatoire, le Tribunal international du droit de la mer ou, dans le cas d'activités menées dans la Zone, la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins, peut prescrire, modifier ou rapporter des mesures conservatoires conformément au présent article s'il

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considère, prima facie, que le tribunal devant être constitué aurait compétence et s'il estime que l'urgence de la situation l'exige. Une fois constitué, le tribunal saisi du différend, agissant conformément aux paragraphes 1 à 4, peut modifier, rapporter ou confirmer ces mesures conservatoires.

2. Article 32 de la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, Convention « OSPAR »

REGLEMENT DES DIFFERENDS1. Tout différend entre des Parties contractantes relatif à l'interprétation ou l'application de la Convention, et qui n'aura pu être réglé par les Parties au différend par un autre moyen tel que l'enquête ou une conciliation au sein de la Commission, est, à la requête de l'une de ces Parties contractantes, soumis à arbitrage dans les conditions fixées au présent article. 2. A moins que les parties au différend n'en disposent autrement, la procédure d'arbitrage visée au paragraphe 1 du présent article est conduite conformément aux paragraphes 3 à 10 du présent article. 3. (a) Sur requête adressée par une Partie contractante à une autre Partie contractante en application du paragraphe 1 du présent article, il est constitué un tribunal arbitral. La requête d'arbitrage indique l'objet de la requête, y compris notamment les articles de la Convention, dont l'interprétation ou l'application sont objets du différend. (b) La partie requérante informe la Commission du fait qu'elle a demandé la constitution d'un tribunal arbitral, du nom de l'autre partie au différend ainsi que des articles de la Convention dont l'interprétation ou l'application sont à son avis l'objet du différend. La Commission communique les informations ainsi reçues à toutes les Parties contractantes à la Convention. 4. Le tribunal arbitral est composé de trois membres : chacune des parties au différend nomme un arbitre ; les deux arbitres ainsi nommés désignent d'un commun accord le troisième arbitre, qui assume la présidence du tribunal. Ce dernier ne doit pas être le ressortissant de l'une des parties au différend ni avoir sa résidence habituelle sur le territoire de l'une de ces parties, ni se trouver au service de l'une d'elles, ni s'être déjà occupé de l'affaire à aucun titre. 5. (a) Si, dans un délai de deux mois après la nomination du deuxième arbitre le président du tribunal arbitral n'est pas désigné, le président de la Cour Internationale de Justice procède, à la requête de la Partie la plus diligente, à sa désignation dans un nouveau délai de deux mois. (b) Si, dans un délai de deux mois après la réception de la requête, l'une des parties au différend ne procède pas à la nomination d'un arbitre, l'autre partie peut saisir le président de la Cour Internationale de Justice, qui désigne le président du tribunal arbitral dans un nouveau délai de deux mois. Dès sa désignation, le président du tribunal arbitral demande à la partie qui n'a pas nommé d'arbitre de le faire dans un délai de deux mois.

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Passé ce délai, il saisit le président de la Cour Internationale de Justice, qui procède à cette nomination dans un nouveau délai de deux mois. 6. (a) Le tribunal arbitral décide selon les règles du droit international, et, en particulier, de la Convention. (b) Tout tribunal arbitral constitué aux termes du présent article établit ses propres règles de procédure. (c) Dans l'éventualité d'un différend sur la compétence du tribunal arbitral, la question est tranchée par une décision du tribunal arbitral. 7. (a) Les décisions du tribunal arbitral, tant sur la procédure que sur le fond, sont prises à la majorité des voix de ses membres. (b) Le tribunal arbitral peut prendre toutes mesures appropriées afin d'établir les faits. Il peut, à la demande d'une des parties, recommander les mesures conservatoires indispensables. (c) Si deux ou plusieurs tribunaux arbitraux constitués aux termes du présent article se trouvent saisis de requêtes ayant des objets identiques ou analogues, ils peuvent s'informer des procédures relatives à l'établissement des faits et en tenir compte dans la mesure du possible. (d) Les parties au différend fournissent toutes les facilités nécessaires pour la conduite efficace de la procédure. (e) L'absence ou le défaut d'une partie au différend ne fait pas obstacle à la procédure. 8. Sauf si le tribunal arbitral en décide autrement en raison des circonstances appropriées à l'affaire, les frais de justice, notamment la rémunération des membres du tribunal, sont assumés à parts égales par les parties au différend. Le tribunal tient un registre de toutes ses dépenses, et remet un état final de celles-ci aux parties. 9. Toute Partie contractante ayant un intérêt juridique à l'objet du différend susceptible d'être affecté par la décision prise dans l'affaire, peut, avec le consentement du tribunal, intervenir dans la procédure. 10. (a) La sentence du tribunal arbitral est motivée. Elle est définitive et obligatoire pour les parties au différend. (b) Tout différend qui pourrait surgir entre les parties concernant l'interprétation ou l'exécution de la sentence peut être soumis par la partie la plus diligente au tribunal arbitral qui l'a rendue ou, si ce dernier ne peut en être saisi, à un autre tribunal arbitral constitué à cet effet de la même manière que le premier.

3. Art. 344 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, ex art. 292 TCE

Les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci.

4. Déclarations de la CEE/UE jointes à la Convention sur le droit de la mer, Montego Bay

Lors de la signature :(…)

Compétence des Communautés européennes au regard des matières dont traite la Convention sur le droit de la mer (déclaration faite en vertu de l'article 2 de l'annexe IX à la Convention) qui stipule que la participation

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des organisations internationales est assortie d'une déclaration spécifiant les sujets dont traite la Convention pour lesquels compétence leur a été transférée par leurs États membres.       

Les Communautés Européennes ont été instituées par les Traités de Paris et de Rome signés respectivement le 18 avril 1951 et le 25 mars 1957. Après ratification par les États signataires ces traités sont entrés en vigueur le 25 juillet 1952 et le ler janvier 1958 (**).       

Conformément aux dispositions rappelées ci-dessus la présente déclaration indique les compétences des Communautés dans les matières dont traite la Convention.       

La Communauté indique que ses États membres lui ont transféré des compétences en ce qui concerne la conservation et la gestion des ressources de la pêche maritime.  Il lui appartient à ce titre dans le domaine de la pêche en mer d'arrêter les dispositions de réglementation pertinentes (le pouvoir de police étant exercé par les États membres) et de contracter des engagements extérieurs avec les États tiers ou les organisations compétentes.       

Les États membres lui ont par ailleurs transféré en ce qui concerne les réglementations relatives à la protection et à la préservation du milieu marin des compétences telles que formulées dans des dispositions adoptées par la Communauté, ainsi que telles que reflétées par sa participation à certains accords (voir annexe).       

En ce qui concerne les dispositions de la partie X, la Communauté exerce certaines compétences du fait qu'elle tend à la réalisation d'une union économique fondée sur une union douanière.       En ce qui concerne les dispositions de la partie XI, la Communauté dispose de compétences en matière de politique commerciale y compris le contrôle des pratiques économiques inéquitables.       L'exercice des compétences que les États membres ont transférées à la Communauté en vertu des traités est, par nature, appelé à ultérieurement de nouvelles déclarations.       

(En annexe ensuite : Textes communautaires applicables dans le secteur de la protection et de la préservation du milieu marin et se rapportant directement à des sujets dont traite la Convention, et Conventions conclues par la CEE)

Lors de la confirmation formelle :       

En procédant au dépôt de cet instrument, la Communauté a l'honneur de déclarer qu'elle accepte, en ce qui concerne les matières pour lesquelles compétence lui a été transférée par ses États membres parties à la Convention, les droits et obligations prévus par la Convention et par l'Accord pour les États. (…)L'étendue et l'exercice des compétences communautaires sont, par nature, appelés à un développement continu et la Communauté complétera ou modifiera la présente déclaration, si besoin est,

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conformément à l'article 5, paragraphe 4 de l'Annexe IX de la Convention.       La Communauté a dans certaines manières une compétence exclusive tandis que dans d'autres sa compétence est partagée avec ses États membres.1. Domaines pour lesquels la Communauté a une compétence exclusive :       En ce qui concerne la conservation et la gestion des ressources de la pêche maritime, la Communauté indique que ses États membres lui ont transféré la compétence. Il lui appartient à ce titre, dans ce domaine, d'arrêter les règles et réglementations pertinentes (qui sont appliquées par les États membres) et de contracter, dans les limites de sa compétence, des engagements extérieurs avec les États tiers ou les organisations internationale compétentes. Cette compétence s'applique aux eaux relevant de la juridiction nationale en matière de pêche et à la haute mer. Toutefois, les mesures relatives à l'exercice de la juridiction sur les navires, l'octroi du pavillon, l'enregistrement des navires et l'application des sanctions pénales et administratives relèvent de la compétence des États membres dans le respect du droit communautaire. Le droit communautaire prévoit également des sanctions administratives.       En vertu de sa politique commerciale et douanière, la Communauté dispose de la compétence au regard des dispositions des parties X et XI de la Convention ainsi que [dudit Accord].2 . Domaines pour lesquels la Communauté a une compétence partagée avec ses États membres :       En ce qui concerne la pêche, un certain nombre de domaines ne relevant pas directement deritime sont de compétence partagée, comme par exemple la recherche, le développement technologique et la coopération au développement.       En ce qui concerne les dispositions relatives au transport maritime et à la sécurité du trafic maritime et à la prévention de la pollution marine figurant  inter alia dans les parties II, III, V et VIII et XII de la Convention, la Communauté détient une compétence exclusive seulement dans la mesure où ces dispositions de la Convention ou les instruments juridiques adoptés en execution de celle-ci affectent des règles communautaires existantes. Lorsque des règles communautaires existent, mais ne sont pas affectées, notamment en cas de dispositions communautaires ne fisant que des normes minimales, les États membres ont compétences sans préjudice decelle de la Communauté à agir dans ce domaine. Dans les autres cas, la compétence relève de ces derniers.       Une liste des actes communautaires pertinents figure en appendice. L'étendue de la compétence communautaire découlant desdits textes doit être appréciée par rapport aux dispositions précises de chaque texte et, en particulier, dans la mesure où ces dispositions établissent des règles communes.       En ce qui concerne les dispositions des parties XIII et XIV de la Convention, la compétence de la Communauté vise surtout la promotion de la coopération en matière de recherche et de développement technologique avec les pays tiers et les organisations internationales. Les activités de la Communauté dans ce domaine complètent celles des États membres. En l'espèce, cette compétence est mise en oeuvre par l'adoption des programmes mentionnés à l'appendice.3. Incidences possibles des autres politiques communautaires :       Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la Communauté met en oeuvre des

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politiques et activités en matière de contrôle des pratiques économiques inéquitables, de marchés publics et de compétitivité indument. Ces politiques peuvent présenter, notamment par référence à certaines dispositions des parties VI et XI de la Convention, un intérêt au regard de la Convention de l'accord.

Ordonnances et décisions :

1. TA, arbitrage « OSPAR », Irlande c. Royaume Uni, 2 juillet 2003, § 141-143

141. The Tribunal first notes that the adoption of a similar or identical definition or term in international texts should be distinguished from the intention to bestow the same normative status upon both instruments. The complex of instruments whose wording was used by the drafters may include unilateral statements, position papers, declarations, recommendations, and the like. While the language of such sources might be instrumental to the extent that it allows one to trace and understand the origins of specific treaty terms, their normative value should not be attributed to similarly worded legal obligations imposed by that treaty. As the ITLOS has helpfully observed in its Order of 3 December 2001: “Even if the OSPAR Convention, the EC Treaty and the Euratom Treaty contain rights or obligations similar to or identical with the rights and obligations set out in UNCLOS, the rights and obligations under those agreements have a separate existence from those under UNCLOS”. […]142. Each of the OSPAR Convention and Directive 90/313 is an independent legal source that establishes a distinct legal regime and provides for different legal remedies. The UK recognizes Ireland’s right as an EU Member State to challenge the implementation of the Directive in the UK’s legal system before the ECJ. Similarly a Contracting Party to the OSPAR Convention, with its elaborate dispute settlement mechanism, should be able to question the implementation of a distinct legal obligation imposed by the OSPAR Convention in the arbitral forum, namely by this designated Tribunal. 143. Pursuant to article 4 of Directive 90/313, legal action against a State in breach is to be pursued domestically. However, and in contrast, the OSPAR Convention contains a particular and self-contained dispute resolution mechanism in Article 32, in accordance with which this Tribunal acts. Article 9(1) does not provide for an exception to the OSPR disputes clause by referring, for instance, to an exclusive municipal remedy, and is therefore as subject to review by an arbitral tribunal as any other provision of the OSPAR Convention. The similar language of the two legal instruments, as well as the fact that the 1992 Regulations are an implementing instrument for both Directive 90/313 and the OSPAR Convention, does not limit a Contracting Party’s choice of a legal forum to only one of the two available, i.e. either the ECJ or an OSPAR tribunal. Nor, contrary to the UK’s contention, does it suggest that the only cause of action available to Ireland is confined exclusively to those provided for by Directive 90/313 and implementing legislation. The primary purpose of

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employing the similar language is to create uniform and consistent legal standards in the field of protection of the marine environment, and not to create precedence of one set of legal remedies over the other.

2. TIDM, Affaire de l’Usine Mox, Irlande c. Royaume-Uni, mesures conservatoires, ordonnance du 3 décembre 2001, §§ 36-53 et opinion individuelle du juge Treves

36. Considérant que l’Irlande affirme que le différend qui l’oppose au Royaume-Uni est relatif à l’interprétation et à l’application de certaines dispositions de la Convention, y compris en particulier celles des articles 123, 192 à 194, 197, 206, 207, 211, 212 et 213; 37. Considérant que l’Irlande a invoqué comme fondement de la compétence du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII l’article 288, paragraphe 1, de la Convention, qui est conçu comme suit […]; 38. Considérant que le Royaume-Uni soutient que l’Irlande n’est pas en droit de s’adresser au tribunal arbitral prévu à l’annexe VII, au regard de l’article 282 de la Convention, qui est libellé comme suit […] ;39. Considérant que le Royaume-Uni fait valoir que les matières qui sont l’objet de la plainte de l’Irlande sont réglées par des accords régionaux qui fournissent d’autres moyens obligatoires de règlement des différends et que les matières en question ont, de fait, été soumises à de tels autres tribunaux, ou sont sur le point de l’être; 40. Considérant que le Royaume-Uni s'est référé au fait que, au titre de l’article 32 de la Convention de 1992 sur la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (dénommée ci-après « la Convention OSPAR »), l’Irlande a soumis le différend entre l’Irlande et le Royaume-Uni « relatif à l’accès à l’information, au titre de l'article 9 de la Convention OSPAR, au sujet de la “justification” économique de l’usine MOX proposée » à un tribunal arbitral (dénommé ci-après « le tribunal arbitral OSPAR »); 41. Considérant que le Royaume-Uni a par ailleurs déclaré que certains aspects des griefs formulés par l’Irlande sont réglés par le Traité instituant la Communauté européenne (dénommé ci-après « le Traité CE ») ou par le Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (dénommé ci-après « le Traité Euratom ») et par les directives prises en application desdits traités, et que les Etats Parties à ces traités sont convenus de conférer à la Cour de justice des Communautés européennes une compétence exclusive pour le règlement des différends qui les opposent au sujet de manquements allégués à l'obligation de se conformer aux traités et directives en question; 42. Considérant que le Royaume-Uni a de plus déclaré que l’Irlande a fait publiquement connaître son intention d’introduire des procédures séparées au sujet de l’allégation de violation par le Royaume-Uni des obligations qu’imposent à celui-ci le Traité CE et le TraitéEuratom; 43. Considérant que le Royaume-Uni affirme que les principaux éléments qui constituent l’objet de la demande soumise au tribunal arbitral prévu à l’annexe VII sont régis par les procédures obligatoires de règlement des

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différends prévues dans la Convention OSPAR, ou dans le Traité CE, ou encore dans le Traité Euratom; 44. Considérant que le Royaume-Uni se prévaut des motifs qui précèdent pour soutenir que le tribunal arbitral prévu à l’annexe VII n’aurait pas compétence et que, dès lors, le Tribunal n’est pas compétent pour prescrire des mesures conservatoires au titre de l’article 290, paragraphe 5, de la Convention; 45. Considérant que l’Irlande soutient que le différend est relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention et ne concerne pas l’interprétation ou l’application de la Convention OSPAR, du Traité CE, ou du Traité Euratom; 46. Considérant que l’Irlande déclare en outre que ni le tribunal arbitral OSPAR ni la Cour de justice des Communautés européennes n’auraient une compétence qui s’étendrait à toutes les matières qui constituent l'objet du différend dont est saisi le tribunal arbitral prévu à l’annexe VII; 47. Considérant que l’Irlande déclare en outre que les droits et obligations énoncés dans la Convention, la Convention OSPAR, le Traité CE et le Traité Euratom sont cumulatifs et que, en tant qu’Etat Partie à tous ces instruments, l’Irlande peut invoquer l’un quelconque de ces instruments ou les invoquer tous, à son choix; 48. Considérant que, de l’avis du Tribunal, l’article 282 de la Convention traite des accords généraux, régionaux ou bilatéraux qui contiennent des dispositions portant sur le règlement des différends relatifs à ce que la Convention mentionne comme « l’interprétation ou l’application de la Convention »; 49. Considérant que les procédures de règlement des différends prévues dans la Convention OSPAR, le Traité CE et le Traité Euratom traitent de différends relatifs à l’interprétation ou à l’application des accords en question, et non des différends relevant de la Convention; 50. Considérant que, même si la Convention OSPAR, le Traité CE et le Traité Euratom contiennent des droits et obligations similaires ou identiques aux droits et obligations énoncés dans la Convention, les droits et obligations contenus dans lesdits accords ont une existence propre, différente de celle des droits et obligations énoncés dans la Convention; 51. Considérant de plus que l'application des règles du droit international en matière d'interprétation des traités à des dispositions identiques ou similaires de différents traités peut ne pas aboutir à des résultats identiques, compte tenu, notamment, des différences entre leurs contextes, objets et buts respectifs, de la pratique ultérieure des parties et des travaux préparatoires; 52. Considérant que le Tribunal est d’avis que, étant donné que le différend soumis au tribunal arbitral prévu à l'annexe VII est relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention et non à celles d’un autre accord, seules les procédures de règlement des différends prévues dans la Convention sont pertinentes pour ce différend; 53. Considérant que, pour les motifs qui précèdent, le Tribunal estime que, pour déterminer le point de savoir si le tribunal arbitral prévu à l’annexe VII aurait, prima facie, compétence, l’article 282 de la Convention n’est pas applicable au différend soumis au tribunal arbitral prévu à l’annexe VII;

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Opinion individuelle du juge Treves, §§ 1-6

1. Si j’approuve la décision et les raisons qui la motivent, je souhaite en clarifier certains aspects qui, à mon avis, doivent être situés dans une perspective plus large. 2. En rejetant l’argument selon lequel l’article 282 est applicable pour exclure prima facie la compétence du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII, le Tribunal a exclu que les accords généraux, régionaux ou bilatéraux visés dans cet article puissent être des accords prévoyant la soumission au règlement judiciaire obligatoire, à la demande d’une partie, d’un différend concernant l’interprétation ou l’application de leurs dispositions, même si ces dispositions énoncent des droits et des obligations identiques ou similaires à ceux que prévoit la Convention. Je souscris aux raisons données, qui découlent de la lettre de l’article 282 et de la considération selon laquelle des dispositions même identiques de différents traités ont une « existence séparée » et peuvent être interprétées différemment (paragraphes 50 et 51). Cette interprétation semblerait confirmée par les travaux préparatoires de l’article 282.33. En conséquence, un accord prévoyant le règlement des différends à la demande d’une partie par une cour ou un tribunal dont la décision est obligatoire ne fait pas partie des « accords » visés à l’article 282, lorsque les différends qu’il envisage sont ceux concernant l’interprétation ou l’application de ses dispositions de fond et non de celles de la Convention, même si ces dispositions énoncent des obligations qui recoupent celles que prévoit la Convention. Les accords visés à l’article 282 sont les accords généraux, régionaux ou bilatéraux concernant des différends dans la définition desquels peuvent être compris les différends relatifs à l’interprétation ou l’application de la Convention, qu’il s’agisse d’accords pour le règlement des différends expressément mentionnés comme relatifs à l’interprétation ou l’application de la Convention, d’accords pour le règlement des différends en général (y compris l’acceptation, par les deux parties, sans réserves pertinentes, de la clause facultative du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice), ou d’accords pour le règlement de catégories de différends définies de telle manière qu’elles peuvent englober des différends relatifs à l’interprétation ou l’application de la Convention (comme, par exemple, les différends concernant la navigation maritime). 4. L’interprétation de l’article 282 adoptée par le Tribunal semble en outre justifiée à la lumière de la fonction de cette disposition dans le contexte de la partie XV de la Convention. Si d’autres dispositions de la section 1 (comme, en particulier, les articles 281 et 283) font obstacle à la possibilité de recourir au règlement judiciaire obligatoire en général, l’article 282 exprime une préférence entre les différents moyens de règlement judiciaire obligatoire qui seraient autrement applicables. En interprétant l’article 282, cette préférence doit être mise en balance non avec l’idée générale que les limites à la souveraineté ne se présument pas ou qu’on ne peut présumer que les Etats acceptent de se soumettre au règlement judiciaire sans leur consentement, idée qui peut être

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pertinente pour interpréter les articles 281 et 283, mais avec la liberté générale des Etats de recourir à tous moyens de règlement judiciaire obligatoire qui sont à leur disposition en vertu des traités qui les lient. Une large interprétation comme celle qu’a rejetée le Tribunal ne prendrait pas suffisamment en considération cette liberté. On peut ajouter que, dans les Affaires du thon à nageoire bleue, le Tribunal s’est déjà, bien qu’implicitement, orienté en faveur d’une certaine retenue dans l’application de l’article 282. Dans ces affaires (même si peut-être, certaines des réserves faites auraient pu être pertinentes), les trois Etats parties au différend avaient fait une déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice en application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de celle-ci. Le Tribunal n’a pas considéré qu’il était pour cette raison nécessaire de soulever d’office la question de l’applicabilité éventuelle de l’article 282 ou de la mentionner dans son ordonnance. 5. Il semble aussi utile de souligner que si l’article 282 peut être considéré comme un mécanisme visant à éviter les situations de litispendance, il ne s’agit pas d’une règle régissant les conséquences de la litispendance. Il laisse complètement ouverte la question de savoir si, au cas où un différend concernant l’interprétation de dispositions d’un traité autre que la Convention mais équivalentes ou similaires à des dispositions de la Convention aurait été soumis à une cour ou un tribunal compétent en vertu des dispositions de ce traité, les organes de règlement des différends compétents en vertu de la Convention jugeraient approprié de connaître d’un différend concernant les dispositions équivalentes ou similaires de la convention. L’existence et le contenu d’une règle de droit coutumier ou d’un principe général concernant les conséquences de la litispendance ainsi que des considérations touchant l’économie de l’activité judiciaire et la courtoisie entre les cours et tribunaux pourraient être examinés dans une telle situation. 6. Eu égard aux circonstances de la présente espèce, on peut en outre faire observer que l’application de l’article 282, pour conclure que prima facie le tribunal arbitral prévu à ’annexe VII n’est pas compétent, aurait pour conséquence qu’un différend concernant l’application ou l’interprétation de la Convention devrait être examiné dans ses différents aspects par des cours ou des tribunaux différents, et retiré à la seule juridiction compétente pour en connaître dans sa totalité. On peut soutenir qu’une telle conséquence aurait été incompatible avec l’objet même de l’article 282, envisagé dans le contexte de la partie XV de la Convention.

3. TADM, Affaire de l’Usine de Mox, Irlande c. Royaume Uni, ordonnance n° 3, 24 juin 2003, §§ 16-29

16. The United Kingdom raises objections to the jurisdiction of the Tribunal, which fall into two categories. First, the United Kingdom raises a number of questions of jurisdiction and admissibility in respect of the Convention itself and other international agreements and instruments

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invoked by Ireland. The Tribunal will refer to these as the international law issues. Second, certain objections are raised relating to the position of the Parties under the law of the European Communities. The Tribunal will refer to these as the European Community law issues.17. The Tribunal considers that none of the issues raised casts doubt on its prima facie jurisdiction.18. With regard to the international law issues raised by the United Kingdom, there has clearly been an exchange of views between the Parties, as required under article 283 of the Convention, and the United Kingdom does not now contest this. It is true that the 1992 Convention for the Protection of the Marine Environment of the North-East Atlantic (“the OSPAR Convention”) is relevant to some at least of the questions in issue between the Parties, but the Tribunal does not consider that this alters the character of the dispute as one essentially involving the interpretation and application of the Convention. Furthermore, the Tribunal is not persuaded that the OSPAR Convention substantially covers the field of the present dispute so as to trigger the application of articles 281 or 282 of the Convention.19. The Parties discussed at some length the question of the scope of Ireland’s claims, in particular its claims arising under other treaties (e.g. the OSPAR Convention) or instruments (e.g. the Sintra Ministerial Statement, adopted at a meeting of the OSPAR Commission on 23 July 1998), having regard to articles 288 and 293 of the Convention. The Tribunal agrees with the United Kingdom that there is a cardinal distinction between the scope of its jurisdiction under article 288, paragraph 1, of the Convention, on the one hand, and the law to be applied by the Tribunal under article 293 of the Convention, on the other hand. It also agrees that, to the extent that any aspects of Ireland’s claims arise directly under legal instruments other than the Convention, such claims may be inadmissible. However, the Tribunal does not agree that Ireland has failed to state and plead a case arising substantially under the Convention.20. With regard to the European Community law issues, however, certain problems have become apparent to the Tribunal in respect of some important and interrelated areas of European Community law as they appear to affect the dispute between the Parties before this Tribunal. These areas concern in particular: (i) the standing of Ireland to institute proceedings before this Tribunal in reliance upon the Convention rights which it invokes; (ii) the standing of the United Kingdom to respond to such proceedings; (iii) the division of competences between the European Community (of which both Ireland and the United Kingdom are Member States) and its Member States in respect of the Convention, particularly in the light of the declarations made by the Parties and the European Community pursuant to article 5 of Annex IX to the Convention; (iv) the extent to which provisions and instruments invoked by the Parties may properly be relied upon before this Tribunal; and (v) the matters which, by agreement of the Parties, are subject to the exclusive jurisdiction of the European Court of Justice under European Community law21. These problems have become more acute following a Written Answer given by the Commission of the European Communities (“the European

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Commission”) in the European Parliament on 15 May 2003, after the closure of the written pleadings in the present case.2 This Written Answer was brought to the Tribunal’s attention on 5 June 2003, only five days before the commencement of the hearings. The Tribunal notes that the European Commission has indicated in its Written Answer that it is examining the question whether to institute proceedings under article 226 of the European Community Treaty. In these circumstances, there is a real possibility that the European Court of Justice may be seized of the question whether the provisions of the Convention on which Ireland relies are matters in relation to which competence has been transferred to the European Community and, indeed, whether the exclusive jurisdiction of the European Court of Justice, with regard to Ireland and the United Kingdom as Member States of the European Community, extends to the interpretation and application of the Convention as such and in its entirety.22. While neither the United Kingdom nor Ireland sought to sustain the view that the interpretation of the Convention in its entirely fell within the exclusive competence of the European Court of Justice as between Member States of the European Union, it cannot be said with certainty that this view would be rejected by the European Court of Justice. The Parties agreed in argument that, if this view were to be sustained, it would preclude the jurisdiction of the present Tribunal entirely, by virtue of article 282 of the Convention.23. In these circumstances, the determination of the Tribunal’s jurisdiction, particularly in the light of articles 281 and 282 of the Convention, and the identification of the treaty provisions and other rules of international law which the Tribunal could apply to the dispute brought before it by Ireland, is crucially dependent upon the resolution of the problems referred to above.24. The Tribunal recognizes that the problems referred to above relate to matters which essentially concern the internal operation of a separate legal order (namely the legal order of the European Communities) to which both of the Parties to the present proceedings are subject and which, in the circumstances referred to in paragraph 21 above, are to be determined within the institutional framework of the European Communities. The European Community law issues are still to be resolved, and there is a risk of considerable further delay.25. Despite this risk, the fact remains that, until these issues are definitively resolved, there remain substantial doubts whether the jurisdiction of the Tribunal can be firmly established in respect of all or any of the claims in the dispute.26. Although it is possible that the Tribunal might conclude from the arguments of the Parties that at least certain provisions of the Convention do not fall within the exclusive jurisdiction and competence of the European Communities in the present case, it would still not be appropriate for the Tribunal to proceed with hearings on the merits in respect of any such provisions. For one thing, it is not at all clear at this stage that the Parties are able to identify with any certainty what such provisions might be; and the Tribunal is in no better position. For another, there is no certainty that any such provisions would in fact give

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rise to a self-contained and distinct dispute capable of being resolved by the Tribunal. Finally, the Tribunal notes that, whatever the Parties may agree in these proceedings as to the scope and effects of European Community law applicable in the present dispute, the question is ultimately not for them to decide but is rather to be decided within the institutions of the European Communities, and particularly by the European Court of Justice.27. The Tribunal observes that the resolution of the essentially internal problems within the European Community legal order may involve decisions that are final and binding. The Tribunal further observes that its decision, including a decision on jurisdiction, will be final and binding on the Parties by virtue of article 296 of the Convention and article 11 of Annex VII to the Convention.28. In the circumstances, and bearing in mind considerations of mutual respect and comity which should prevail between judicial institutions both of which may be called upon to determine rights and obligations as between two States, the Tribunal considers that it would be inappropriate for it to proceed further with hearing the Parties on the merits of the dispute in the absence of a resolution of the problems referred to. Moreover, a procedure that might result in two conflicting decisions on the same issue would not be helpful to the resolution of the dispute between the Parties.29. For these reasons, the Tribunal has decided, in exercise of its powers under article 8 of the Rules of Procedure, that further proceedings on jurisdiction and the merits in this arbitration will be suspended.

4. CJCE, 30 mai 2006, Commission c. Irlande, aff. C-459/03, §§ 110-127 ; 136-139

110. Or, il apparaît que les matières couvertes par les dispositions de la Convention invoquées par l'Irlande devant le Tribunal arbitral sont très largement réglementées par des actes communautaires, dont plusieurs sont expressément mentionnés audit appendice.111 Ainsi, s'agissant du grief relatif à la violation de l'obligation de procéder à une évaluation adéquate des incidences environnementales de l'ensemble des activités liées à l'usine MOX sur le milieu marin de la mer d'Irlande, tiré de l'article 206 de la Convention, il y a lieu de constater que cette matière fait l'objet de la directive 85/337, laquelle est mentionnée à l'appendice de la déclaration de compétences de la Communauté.112 L'Irlande ne saurait d'ailleurs contester la pertinence de cette directive dès lors que, dans sa demande introductive d'instance devant le Tribunal arbitral, elle en a fait elle-même état en tant qu'acte pouvant servir de référence pour l'interprétation des dispositions de la Convention concernées. 113 En outre, l'Irlande a déduit certains arguments de cette directive à l'appui dudit grief dans ses plaidoiries devant ledit tribunal.114 La même observation vaut également pour le grief que fonde l'Irlande sur les articles 192, 193, 194, 207, 211 et 213 de la Convention,

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en tant qu'il porte sur l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution de la mer de l'Irlande.115 En effet, dans ses plaidoiries devant le Tribunal arbitral, l'Irlande a tiré de nombreux arguments de la directive 85/337 pour étayer ce grief en ce qui concerne l'obligation de prévention de la pollution. La pertinence de cette directive en cette matière est donc évidente.116 D'autre part, le même grief, en tant qu'il porte sur les transferts internationaux de substances radioactives liés à l'activité de l'usine MOX, présente un lien étroit avec la directive 93/75, également mentionnée à l'appendice de la déclaration de compétences de la Communauté, qui réglemente les conditions minimales exigées pour les navires à destination des ports maritimes de la Communauté ou en sortant et transportant des marchandises dangereuses ou polluantes. 117 En outre, s'agissant du grief tiré des articles 123 et 197 de la Convention, relatif au manque de coopération du Royaume-Uni et, en particulier, au refus de partager certaines informations avec l'Irlande, telle la version complète du rapport PA, il y a lieu de constater que la mise à disposition d'informations de cette nature relève de la directive 90/313/CEE du Conseil, du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement (JO L 158, p. 56). 118 Par ailleurs, ainsi que cela a été exposé au point 31 du présent arrêt, l'Irlande a formulé ce même grief devant le tribunal arbitral constitué en vertu de la convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est sur le fondement de l'article 9 de cette convention, convention qu'elle a de nouveau invoquée dans sa demande introductive d'instance devant le Tribunal arbitral en tant que base de référence pour l'interprétation des dispositions de la Convention concernées. Or, la convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est a été conclue par la Communauté et a, d'ailleurs, remplacé les accords de Paris en matière de prévention de la pollution marine d'origine tellurique, ces accords étant eux-mêmes mentionnés à l'appendice de la déclaration de compétences de la Communauté.119 Il est en outre constant que, dans ses plaidoiries devant le Tribunal arbitral, l'Irlande a fondé son argumentation à l'appui du grief dont il s'agit à la fois sur la directive 85/337, sur la directive 90/313 et sur la convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est. 120 Ces éléments suffisent à établir que les dispositions de la Convention relatives à la prévention de la pollution marine invoquées par l'Irlande, qui couvrent manifestement une partie significative du différend relatif à l'usine MOX, relèvent d'une compétence de la Communauté que celle-ci a choisi d'exercer en devenant partie à la Convention.121 Il résulte de ce qui précède que les dispositions de la Convention invoquées par l'Irlande dans le cadre du différend relatif à l'usine MOX soumis au Tribunal arbitral constituent des règles faisant partie de l'ordre juridique communautaire. Partant, la Cour est compétente pour connaître des différends relatifs à l'interprétation et à l'application desdites dispositions ainsi que pour en apprécier le respect par un État membre (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Irlande, point 20, et Commission/France, point 31).

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122 Il convient toutefois de déterminer si cette compétence de la Cour est exclusive, de sorte qu'elle s'opposerait à ce qu'un différend tel celui relatif à l'usine MOX soit porté par un État membre devant un tribunal arbitral constitué conformément à l'annexe VII de la Convention.3 La Cour a déjà rappelé qu'un accord international ne saurait porter atteinte à l'ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l'autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de l'article 220 CE. Cette compétence exclusive de la Cour est confirmée par l'article 292 CE selon lequel les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application du traité CE à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci (voir, en ce sens, avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I-6079, point 35, et 1/00, du 18 avril 2002, Rec. p. I-3493, points 11 et 12).124 Il convient d'emblée de constater que la Convention permet précisément d'éviter qu'une telle atteinte soit portée à la compétence exclusive de la Cour de façon à préserver l'autonomie du système juridique communautaire. 125 En effet, il découle de l'article 282 de la Convention que le régime de règlement des différends que comporte le traité CE, dès lors qu'il prévoit des procédures aboutissant à des décisions obligatoires pour le règlement de différends entre États membres, prime, en principe, celui que comporte la partie XV de la Convention. 126 Il a été établi que les dispositions de la Convention qui interviennent dans le différend relatif à l'usine MOX relèvent d'une compétence de la Communauté que celle-ci a exercée en adhérant à la Convention, de sorte que lesdites dispositions font partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.127 Partant, il s'agit bien, en l'espèce, d'un différend relatif à l'interprétation ou à l'application du traité CE, au sens de l'article 292 CE.[…]136 La compétence de la Cour étant exclusive et obligatoire pour les États membres, les arguments de l'Irlande quant aux avantages que présenterait une procédure d'arbitrage au titre de l'annexe VII de la Convention par rapport à un recours devant la Cour au titre de l'article 227 CE ne sauraient prospérer. 137 En effet, de tels avantages, à les supposer démontrés, ne sauraient en aucun cas justifier qu'un État membre s'affranchisse des obligations prévues par le traité CE en ce qui concerne les recours juridictionnels destinés à obvier à une méconnaissance prétendue, par un autre État membre, du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 1979, Commission/France, 232/78, Rec. p. 2729, point 9).138 Enfin, s'agissant des arguments de l'Irlande concernant l'urgence et la possibilité d'obtenir des mesures conservatoires en vertu de l'article 290 de la Convention, il suffit de relever que, en vertu de l'article 243 CE, la Cour peut prescrire les mesures provisoires nécessaires dans les affaires dont elle est saisie. De telles mesures peuvent donc, à l'évidence, être ordonnées dans le cadre d'une procédure introduite au titre de l'article 227 CE.

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139 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d'accueillir le premier grief.

5. TADM, Affaire de l’Usine de Mox, Irlande c. Royaume Uni, ord. n° 6, 6 juin 2008

Having regard to the previous Orders of the Tribunal and in particular Order N° 3 of 24 June 2003 by which the Tribunal decided, inter alia, to suspend further proceedings in the case until the European Court of Justice had given judgment or the Tribunal otherwise determined;Having regard to the Judgment of the European Court of Justice (ECJ) delivered on 30 May 2006 (Case C-459/03) and communicated to the Tribunal by the Agent for Ireland in his letter dated 31 May 2006;Having regard to the letter dated 15 February 2007 by which the Agent for Ireland formally notified the Registry of the withdrawal by Ireland of the claim made by it against the United Kingdom regarding the MOX Plant in the proceedings before the Tribunal;[…]NOW THEREFORE the Arbitral Tribunal unanimously:1. Decides to place on record the withdrawal by Ireland of the claim made by it against the United Kingdom in the MOX Plant case;2. Decides, pursuant to Article 16(1) of the Tribunal’s Rules of Procedure, that the expenses of the Tribunal shall be borne by the Parties in equal shares;3. Decides, pursuant to Article 17 of the Tribunal’s Rules of Procedure, that each Party shall bear the costs incurred by it in presenting its case;4. Decides that these proceedings are terminated.

Affaire de la ligne du Rhin de fer

Tribunal arbitral, 24 mai 2005, Arbitrage relatif à la ligne du Rhin de fer, Belgique c. Pays Bas, spéc. pp. 44-47, §§ 97-106, § 120, § 141

97. Le Compromis d’arbitrage entre les Parties demande au Tribunal « de se prononcer sur le fondement du droit international, y compris du droit communautaire le cas échéant, en tenant compte des obligations des Parties en vertu de l’Article 292 du Traité CE ».98. Le Tribunal a déjà évoqué (voir paragraphe 15 ci-dessus) la lettre envoyée par les Parties à la Commission européenne le 26 août 2003, dans laquelle elles mentionnaient leur position commune, à savoir que, bien que les questions au cœur du présent différend relèvent davantage du droit international que du droit communautaire, elles prendraient, si nécessaire, toutes les mesures leur permettant de satisfaire à leurs obligations dans le cadre du droit communautaire, et notamment de l’Article 292 du Traité CE.99. Conformément à l’Article 292 du Traité CE, « [L]es États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du présent traité à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci » (voir paragraphe 13 ci-dessus).

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100. Cette disposition doit être considérée au regard des articles 227 et 239 du Traité CE. Conformément à l’Article 227, chacun des États membres peut saisir la CJCE s’il estime qu’un autre État membre a manqué à l’une quelconque des obligations lui incombant en vertu du Traité CE, tandis que l’Article 239 prévoit que les États membres peuvent soumettre tout différend en connexité avec l’objet du Traité CE à la CJCE si ce différend lui est soumis en vertu d’un compromis.101. L’effet combiné des articles susmentionnés du Traité CE (ainsi que de l’Article 234 sur les décisions prises à titre préjudiciel, voir paragraphe 102 ci-après) vise à établir que la CJCE est seule compétente « pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du présent Traité » (Article 220 du Traité CE). En conséquence, au sein du système juridique communautaire, suite à une répartition des compétences entre les tribunaux des États membres et la CJCE, seule cette dernière a le pouvoir de statuer en dernier recours sur les questions d’interprétation ou d’application du droit communautaire. Si les États membres saisissent un tribunal autre qu’un « tribunal communautaire » d’un différend juridique pour lui demander d’interpréter ou d’appliquer des dispositions du droit communautaire, la Commission peut les poursuivre pour violation de l’Article 292 du Traité CE.102. Concernant l’obligation de soumettre les questions relatives au droit communautaire à la décision autoritaire de la CJCE, le Traité CE évoque expressément les juridictions des États membres à l’Article 234. Aux termes de cet article, une juridiction nationale confrontée à l’interprétation du droit communautaire peut, et dans certains cas, doit, saisir la Cour à titre préjudiciel « si [elle] estime qu’une décision sur ce point [interprétation du droit communautaire] est nécessaire pour rendre son jugement ». Conformément à la jurisprudence constante de la CJCE (voir, par exemple, Maso, Gazzetta et al. c. Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS), C-373/95, arrêt du 10 juillet 1997, para. 26), « il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies d’un litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. » La Cour a également considéré qu’« une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire … demandée par cette juridiction, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal » (Durighello c. Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS), C-186/90, arrêt du 28 novembre 1991, para. 9).103. Pour rendre sa sentence, le Tribunal a soigneusement pris en compte ces éléments. Le Tribunal estime qu’il se trouve dans une situation analogue à celle d’une juridiction nationale d’un État membre, décrite aux paragraphes précédents, en ce qui concerne les limites fixées à sa compétence dans le Compromis d’arbitrage, par renvoi à l’Article 292 du Traité CE. En d’autres termes, si le Tribunal parvenait à la conclusion qu’il lui est impossible de statuer sur l’affaire qui lui est soumise sans devoir interpréter les règles du droit communautaire qui ne constituent ni des actes clairs ni des actes éclairés, cela déclencherait les obligations des Parties au titre de l’Article 292 dans le sens où elles seraient tenues de saisir la CJCE des questions pertinentes relevant du droit communautaire (en l’espèce, non

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au sens de l’Article 234 mais probablement au sens de l’Article 239 du Traité CE).104. Quant à la nécessité ou non pour le Tribunal de statuer sur des questions de droit communautaire pour pouvoir rendre sa sentence, les critères élaborés en application de l’Article 234 du Traité CE par les tribunaux étatiques et la CJCE s’appliquent également par analogie. À cet égard, toute référence au droit communautaire n’implique pas une obligation de renvoi préjudiciel. La CJCE a clarifié ce point dans l’affaire Srl CILFIT et Lanificio di Gavardo SpA c. Ministero della Sanità, C-283/81, Rec. 1982, p. 3415 (« Affaire CILFIT ») en déclarant que les juridictions nationales confrontées à l’interprétation du droit communautaire et tenues de soumettre cette question à la CJCE conformément à l’Article 234 du Traité CE, « jouissent du même pouvoir d’appréciation que toutes autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit communautaire est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d’interprétation de droit communautaire soulevée devant elles si la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige. Par contre, si elles constatent que le recours au droit communautaire est nécessaire en vue d’aboutir à la solution d’un litige dont elles se trouvent saisies, l’Article 177 [qui est devenu l’Article 234] leur impose l’obligation de saisir la Cour de justice de toute question d’interprétation qui se pose. [Affaire CILFIT, 3429, paragraphes 10–11]. »105. En ce qui concerne la juridiction nationale, le même point a été expliqué avec la lucidité qui le caractérise par Lord Denning dans l’affaire opposant H.P. Bulmer Ltd. à J. Bollinger SA, [1974] 2 C.M.L.R. 91, [1974] 2 All E.R. 1226. Comme il l’a souligné, « Le point doit être déterminant. La juridiction [nationale] doit apprécier si une « décision sur ce point est nécessaire pour lui permettre de rendre un jugement ». Ce jugement s’appliquant à l’affaire même soumise au tribunal. Le juge doit être parvenu au stade où il se pose la question suivante : « cette clause du Traité est susceptible d’être interprétée de plusieurs manières. Si elle signifie ceci, je me prononce en faveur du demandeur. Si elle signifie cela, je me prononce en faveur du défendeur ». En bref, quelle que soit la manière de le trancher, le point doit être décisif pour l’affaire. Ne reste alors plus qu’à prononcer le jugement...106. C’est en se fondant sur ce qui précède que le Tribunal examinera les points de droit communautaire avancés par les Parties. Dans leurs mémoires, les Parties renvoient de manière répétée aux dispositions de droit communautaire dérivé applicables à deux secteurs, à savoir celui des réseaux ferrés transeuropéens et celui de la protection de l’environnent (voir paragraphes 121 à 137 ci-après). La Belgique fait également état de l’Article 10 du Traité CE, tout en déclarant qu’il n’est pas déterminant. Le Tribunal va maintenant décider si ces références sont suffisamment concluantes, ou pertinentes, au sens du paragraphe précédent pour impliquer que le différend entre les Parties requière une « interprétation » du droit communautaire.[…]120. Même si le droit communautaire applicable au Réseau ferroviaire transeuropéen avait offert à la Belgique un droit à une ligne de chemin de

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fer du Rhin de fer réhabilitée et modernisée, cela n’aurait aucun effet déterminant sur la décision du Tribunal. Dans le cadre de la mission qui a été confiée au Tribunal, il suffit en effet que ce droit découle de l’Article XII du Traité de Séparation de 1839, point sur lequel les Parties sont d’accord. En conséquence, pour utiliser les termes de l’Article 234 du Traité CE, dans le contexte du Réseau ferroviaire transeuropéen, il n’est pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur une question d’interprétation du droit communautaire. Par conséquent, l’obligation découlant de l’Article 292 du Traité CE ne s’applique pas.[…]141. En conséquence, le Tribunal estime qu’il n’a pas à statuer sur la question des obligations découlant de l’Article 10 dans le contexte du différend concernant la ligne du Rhin de fer car cette question n’est ni concluante, ni déterminante pour que l’Article 292 du Traité CE trouve à s’appliquer.

Affaire des immunités juridictionnelles, mémoire de l’Allemagne

Mémoire déposé par l’Allemagne à la CIJ, dans le cadre de l’affaire des immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), 12 juin 2009, § 6, p. 6

Défaut de compétence de la Cour de justice des Communautés européennes6. Le présent différend n’entre dans les prévisions d’aucune des clauses juridictionnelles du traité de Nice (Traité instituant la Communauté européenne, article 227 du traité CE). Bien qu’elle risque d’entraver le bon fonctionnement du marché intérieur visé par le traité de Nice — puis par le traité de Lisbonne —, la pratique contestée des tribunaux italiens ne touche pas directement au fonctionnement du régime gouvernant le marché européen. Les relations courantes entre les différentes nations européennes demeurent régies par le droit international général. Chaque Etat membre de la Communauté européenne ou de l’Union européenne est tenu, sauf dérogation expresse, de respecter les règles générales du droit international envers les autres membres. Or, en ce qui concerne le présent différend, aucune dérogation n’a été ainsi convenue. L’immunité de juridiction fait partie des éléments qui sont au cœur de la relation entre Etats souverains. En dehors du cadre spécifique défini par les traités relatifs à l’intégration européenne, le régime du droit international général continue de s’appliquer aux relations entre les 27 Etats européens concernés.