WP Libre Echange Protectionnisme

Embed Size (px)

Citation preview

  • Libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    Septembre 2007

    www.fondapol.org

    d o c u m e n t d e t r a v a i l

    Raphal WintRebeRtDocteur en sociologie,

    enseignant luniversit Paris-Descartes, charg de recherche senior la

    Fondation pour linnovation politique

    Fondation pour linnovation politique | 137, rue de lUniversit | 75007 Paris France | Tl. : 33 (0)1 47 53 67 00 | [email protected]

  • sommaire

    introduction 3

    i mondialisation, libralisme, libre-change de quoi parle-t-on ? 3

    ii une (re)mise en cause croissante du libre-change ? 5

    Vers de nouveaux rapports de force politiques 5Des opinions publiques ambivalentes 6Lvolution des dbats conomiques 7

    iii politiques commerciales : un bilan impossible ? 10

    Autant dinterprtations que danalyses 10Des gagnants et des perdants 11

    iv les dlocalisations : un phnomne toujours mal connu 12

    Jusquo les pays bas salaires concurrenceront-ils lOccident ? 12Une phase de transition salutaire 15

    v les choix ambigus de lunion europenne 18

    Pass et avenir de la prfrence communautaire 18La dlicate articulation entre commerce et normes 20

    vi repenser les modalits dun protectionnisme europen 21

    Le protectionnisme est un moyen et non une fin 22Dterminer des prfrences et des normes collectives 25

    conclusion 27

    annexes 30

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    Raphal WintRebeRtDocteur en sociologie,

    enseignant luniversit Paris-Descartes, charg de recherche senior la

    Fondation pour linnovation politique

    introduction

    Dans un ditorial paru dans Les chos en janvier dernier, Jean-Marc Vittori met en garde contre la tentation du mur . Il ose une analogie entre les murs qui se construisent Padoue ou aux tats-Unis pour tablir une frontire claire avec, respec-tivement des ghettos sociaux et le Mexique, et la possibilit de protger des secteurs conomiques. La comparaison nest gure heureuse et ne vise qu accrditer lide dun rejet global du libralisme . Est-il pertinent dassimiler aussi grossirement libralisme politique et protection conomique ? Si lexpression la tentation du mur est commode, et sans doute politiquement efficace, elle obscurcit le dbat plus quelle ne lclaire.

    Tchons daborder sereinement une question aussi fondamentale que complexe et refusons ds lors les stratgies dintimidations et les accusations aussi absurdes que striles. Autant les libre-changistes ne sont ni rfractaires de faon dog-matique une forme non ractualise de la thorie ricardienne des avantages comparatifs, ni hostiles par dfinition toute ide de rgulation, autant les protectionnistes ne sont pas plus isolationnis-tes que nationalistes , comme le sous-entend Jean-Marie Colombani dans un ditorial rcent ; ils rflchissent des modes de rgulation et de protection variables suivant les pays et les pro-duits imports. Ceci pos, on peut aborder les vrais enjeux et amorcer une rflexion proprement politique et non simplement conomique : quels peuvent et doivent tre la place et le rle du poli-tique entendu la fois comme mode dinterven-tion et comme acteur dmocratiquement lu en matire de politiques commerciales ?

    1. J.-M. Vittori, La tentation du mur , Les chos, 5 janvier 2007.2. J.-M. Colombani, Changer , Le Monde, 7 mai 2007.

    Les politiques commerciales sont avant tout des politiques et ne sauraient donc tre rduites des enjeux techniques rservs aux experts. Ces questions tant aujourdhui trop dlaisses aux seules institutions internationales ou aux conomistes professionnels, il est nces-saire de les inscrire au cur de lagenda politique des gouvernants. Dire cela ne prsage en rien du contenu des politiques qui pourraient tre mises en uvre, mais exprime la ncessit dexposer clairement les enjeux en vue dune dlibration politique rationnelle.

    i mondialisation, libralisme, libre-change de quoi parle-t-on ?

    La mondialisation est un terme fourre-tout qui sest impos dans les annes 980. Il exprime en ralit une ide globale linterdpendance crois-sante des conomies et des cultures au niveau mondial et trois processus distincts : labaisse-ment progressif des barrires aux marchandises (biens et services), la drgulation des marchs financiers et les bouleversements technologiques (communication, transports).

    Il ny a donc pas une mais des mondialisations, qui nanmoins partagent toutes un mme facteur commun : le dveloppement de linterdpendance au niveau mondial. Nous pourrons ds lors, non pas sparer, mais distinguer les diffrents aspects de cette interdpendance :

    aspects conomiques : interdpendance crois-sante des conomies, spcialisation et/ou fragmenta-tion accrues dans la chane productive en fonction des avantages comparatifs, intensification et dmatriali-sation des changes, libre circulation des capitaux ;

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    aspects stratgiques : comptition croissante pour des ressources rares au premier rang desquel-les les ressources nergtiques, mais aussi concur-rence pour attirer les meilleurs spcialistes, monte en puissance de la Chine, dmographie ;

    aspects sociaux : impact sur lemploi et sur la segmentation des emplois, viabilit des modles de protection sociale et de lgislation du travail, densification des flux migratoires ;

    aspects politiques : redistribution des pou-voirs entre les acteurs locaux et mondiaux, mise en question du rle de ltat, mergence de nouveaux acteurs transnationaux (instances internationales, ONG), dmantlement des frontires, rsurgence de conflits locaux longtemps gels ;

    aspects culturels : libre circulation des person-nes, avnement de la culture mdiatique et info-tainment, Internet, diffusion mondiale de pratiques culturelles ;

    aspects structurels : modification des repr-sentations de lespace et du temps par le dman-tlement des frontires, le dveloppement des moyens de transport, le rapport la mobilit, lin-formation en temps rel [].

    La mondialisation est bien une notion multidi-mensionnelle. Les enjeux qui lui sont associs sont plus globaux que ceux de la sphre conomique, et rencontrent finalement le quotidien de chacun 3.

    Tandis que la mondialisation est un processus historique de dveloppement, le libralisme est une philosophie politique. Celle-ci se dcline en trois grandes dimensions : politique, conomi-que, culturelle. Le libralisme politique entendu comme la primaut de ltat de droit, la prser-vation des droits et liberts fondamentales et lacceptation du pluralisme dmocratique nest contest par personne au sein des socits dve-loppes. De la mme manire, le libralisme culturel renvoyant la libralisation des murs fait lobjet dun relatif consensus . Ce qui ques-tionne en revanche davantage aujourdhui cest le libralisme conomique. On peut ainsi tre un libral au sens politique ou culturel et nanmoins tre oppos au modle conomique libral tel quil se dveloppe actuellement. Le libre-change, quant lui, exprime une ide plus prcise encore : il sagit dune politique conomique

    . P. Morand, Mondialisation : changeons de posture , rap-port du groupe de travail international sur la mondialisation pour le ministre du Commerce extrieur, avril 2007, http://lesrap-ports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/07400017/0000.pdf.4. L. Bouvet, Antilibralisme(s) , Raisons politiques, n 16, novembre 2004, p. 5-6.

    consistant abaisser les barrires douanires (tarifaires et non tarifaires) et libraliser (cest--dire mettre en concurrence) un maximum de secteurs dactivit . Il est ainsi possible daccepter la mondialisation et le libralisme conomique et de cependant vouloir limiter le libre-change .

    Le libre-change prvaut comme politique conomique depuis plus dun demi-sicle. Celle-ci consiste, on la dit, en la libre circulation des produits et des services au sein dune mme zone gographique par la suppression progressive des barrires douanires (droits et taxes) et plus gnralement de tout ce qui peut entraver le com-merce. Adopte par un nombre grandissant de gouvernements, elle se manifeste par diffrents types daccords internationaux : accords bilat-raux de rciprocit commerciale entre deux pays, cration de zones de libre-change (Union euro-penne, ALEnA, MErCOSUr), accords multi-latraux ngocis au niveau de lOrganisation mondiale du commerce (OMC). Consquence : un accroissement spectaculaire des changes internationaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale aussi bien en termes de volumes chan-gs quen termes de degr douverture extrieure des conomies nationales. Lacclration et lin-tensification des flux transfrontaliers de biens, de services, dinvestissements, de capitaux, dinfor-mations et dides sont particulirement nettes depuis les annes 980. En 979, selon le Fonds montaire international (FMI), les exportations mondiales de biens et de services pesaient peine % du PIB mondial. lheure actuelle, elles en reprsentent 9 % 7.

    Cest tout le systme productif qui se trouve ainsi boulevers. Aprs une premire dissocia-tion entre production et consommation grce la baisse des cots de transport et des tarifs, nous assistons actuellement une deuxime dissocia-tion au sein mme du processus de production : la chane de valeurs ajoutes peut tre dcoupe en diffrentes tches. Certains estiment ds lors que le commerce international devient un com-merce de tches plutt que de biens 8. Se mettent

    5. On tend par ailleurs confondre la libralisation (mise en concurrence), la drglementation (rgles qui font quun service nest pas une marchandise) et la privatisation (passage total ou partiel du capital public au priv).6. H. el-Karoui, Rponse au patron de la CGPME, qui confond libre-change et mondialisation , 14 dcembre 2006, http://www.protectionnisme.eu/index.php?action=article&numero=2.7. V. Le Billon, Dficit commercial : les racines du mal , Les chos, 1 fvrier 2006.8. G. Grossman et E. Rossi-Hansberg, The rise of offshoring: its not wine for cloth anymore , juillet 2006, http://www.kan-sascityfed.org/PUBLICAT/SYMPOS/2006/PDF/Grossman-Rossi-Hansberg.paper.0728.pdf.

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    en place une rorganisation et une relocalisation de la production lchelle globale.

    Mais, selon Patrick Artus, le systme cono-mique mondial est en quilibre prcaire. Dun ct il est stable dans la mesure o il parat auto-entretenu (en raison de taux dintrt bas qui permettent une croissance rapide du crdit aux tats-Unis et en Europe, un maintien de lexcs de capacit de production et donc une inflation toujours rduite). De lautre, on sait quil nest pas possible que cet quilibre persiste dans le long terme en raison, en particulier, de laccu-mulation de dettes extrieures et domestiques quil implique 9 . Si on ne connat videmment pas prcisment le moment o la tendance va se retourner, beaucoup sen inquitent dj et mettent en cause lensemble des modalits des changes internationaux qui conduit, selon eux, un dveloppement conomique fondamentale-ment ingalitaire (entre pays et au sein de chacun dentre eux) et incapable de prendre en compte les dfis sociaux et cologiques venir.

    Convaincu que la mondialisation va se pour-suivre, Patrick Artus est par ailleurs persuad que ses effets dstructurants seront de plus en plus visibles : les mergents vont continuer gagner des parts de march ; les effets ngatifs de la globalisation sur lemploi et la croissance ne seront plus cachs par les politiques expansion-nistes de court terme ; les effets de la globalisation sur les ingalits de revenus et sur la hausse de la part des profits dans le PIB vont se poursui-vre ; les tentatives dacquisitions dentreprises amricaines et europennes par des entreprises des pays mergents vont se multiplier 0 . Cette nouvelle donne conomique, mais galement gostratgique, provoque des remous et appelle une discussion approfondie sur les diffrentes politiques commerciales possibles.

    ii une (re)mise en cause croissante du libre-change ?

    Vers de nouveaux rapports de force politiques

    On assiste depuis quelques annes une critique de plus en plus forte du modle de dveloppement fond sur le libre-change gn-ralis. Les remises en cause les plus pousses proviennent actuellement de lAmrique du Sud.

    . P. Artus, a finira mal ; mais quand et pourquoi ? , Natixis, Flash conomie, n 10, 10 janvier 2007, p. 1, http://gesd.free.fr/cdc710.pdf.10. P. Artus, 2007 : la monte des effets, vrais et perus, de la mondialisation , NatIxis, Flash conomie, n 48, 6 fvrier 2007.

    Le 30 avril 007, la Bolivie, le Venezuela et le nicaragua dcident de rompre avec le FMI et la Banque mondiale et annoncent la cration dune nouvelle architecture financire avec le Banco del Sur . Ils aspirent sortir de lemprise du dollar travers la cration dune monnaie unique qui soit lexpression financire de lUnion Sudamericana (UnASUr) rcemment cre . Les consquences sont galement commerciales puisque les pays adhrents lALBA (Alternative bolivarienne pour lAmrique latine et les Carabes) adoptent un modle de trait de commerce nouveau le Trait de commerce des peuples (TCP) dans lequel lchange commercial a pour fonction de rpondre la complmentarit des besoins et a pour finalit de contribuer lintgration des peuples au sein de lUnASUr. La Banque du Sud sera notamment charge de mettre en appli-cation les traits internationaux portant sur les droits humains, sociaux et culturels 3.

    Les rapports de force sont galement en train de se modifier aux tats-Unis. Le pays a subi, entre 00 et 003, une perte denviron 3 mil-lions demplois sur les 7 millions que comptait le secteur manufacturier. Le dficit commercial saggrave inexorablement, atteignant dsormais 70 milliards de dollars par an, dont 33 milliards uniquement avec la Chine. Le gouvernement et les familles amricaines narrivent maintenir leur train de vie quau prix dun endettement croissant. Ces diffrents facteurs (chmage dans certains secteurs , endettement) suscitent depuis 003 une forte raction des populations pour, notamment, lutter contre les dlocalisations et accorder la prfrence aux entreprises locales dans les appels doffres. Entre janvier 003 et juin 00, dans des 0 tats fdrs, les parlementaires locaux ont exa-min au moins un projet de loi antidlocalisation :

    11. Lide dune banque mondiale alternative avait dj t esquisse en Asie lors de la crise financire de 18.12. Il y a aussi une volont de crer un fonds montaire de stabilisation. Il existe dj un Fonds latino-amricain de rserve, qui pourrait tre adapt. Et si ce nest pas possible, un nouveau fonds sera cr, son but tant de pouvoir faire face des attaques spculatives, des chocs externes. Il sagit l aussi de pouvoir se passer du FMI, mais avec une ambition supplmentaire : mettre en place une unit de compte qui pourrait un jour aboutir une monnaie commune. Enfin, la nouvelle banque ne sendettera pas sur le march des capitaux. Son capital sera fourni par les pays membres qui y placeront une partie de leurs rserves internatio-nales, mais aussi par des taxes du type taxe Tobin .1. E. Toussaint et D. Millet, Banque du Sud contre Banque mondiale , Le Monde diplomatique, juin 2007, p. 4.14. Nombre dconomistes soulignent en revanche, comme nous le verrons plus loin, que ces pertes demplois ont t largement compenses par la cration demplois dans dautres secteurs. Il ne faut ds lors pas se contenter dun bilan sectoriel des politiques commerciales.

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    divulgation de lemplacement gographique des centres dappel, obligation dinformer ltat avant de dlocaliser, restrictions rglementaires lenvoi de donnes hors du territoire national, suppres-sion des aides publiques, etc. Pour ce qui est des marchs publics, de nombreux tats multi-plient les clauses prfrentielles concernant les firmes locales ou nationales. Certains (Maryland, Colorado) vont mme plus loin en exigeant de leurs gouverneurs quils soumettent la Chambre et au Snat locaux lapprobation des accords com-merciaux internationaux (ALEnA, OMC) signs par le gouvernement fdral . Les rpercussions sont galement lectorales : sur les siges de snateur renouveler en 00, ont t gagns par des dmocrates opposs au libre-change ; sur les nouveaux membres du Congrs, 8 sont dmocrates et la moiti de ceux-ci a critiqu lAccord de libre-change de lAmrique centrale (ALEAC) pendant leur campagne lectorale ; enfin, une vingtaine des nouveaux lus a fait campagne sur le thme de linclusion de clauses sociales et environnementales dans les accords commerciaux. La Chine est dsormais lobjet de toutes les ques-tions et de toutes les craintes, tel point que The Economist nhsite pas titrer : Americas fear of China (7 mai 007). Dans un tel contexte, le renouvellement du mandat de ngociation fast track 7 du prsident Bush pour clore les ngo-ciations lOMC parat bien compromis.

    Comme beaucoup dobservateurs lont not, lhumeur est plutt au protectionnisme 8 . Aux tats-Unis mais pas seulement. Aprs une quin-zaine dannes de libralisation de son conomie, ltat russe y intervient par exemple de nouveau de faon importante. la mi-003, on estimait que ltat russe ne contrlait que 0 % de la pro-prit dans le secteur industriel. Cette part est en constante augmentation. Dj, les actions dte-nues par ltat dpassent 3 % de la capitalisation boursire en russie et des entreprises reprsen-tant 3 % du chiffre daffaires et % de lemploi

    15. J. Duval, LAmrique, ses rgles, ses protections , La Lettre de BRN, n 16, 7 novembre 2005. Cit par B. Cassen, Marchandages sur la marchandisation , Le Monde diploma-tique, dcembre 2005.16. Z. Ladi, Its the trade stupid ! , Telos, 27 novembre 2006, http://www.telos-eu.com/2006/11/its_the_trade_stupid.php#more.17. En juillet expire en effet aux tats-Unis le fast track. Avec ce dispositif, le Congrs amricain confie au Prsident le pouvoir de ngocier un accord commercial qui doit ensuite tre ratifi en bloc ou rejet. Pass cette chance, le Congrs retrouve son droit damendement, qui condamne en pratique ladoption dun texte dune telle ampleur , in J.-M. Vittori, LOMC, la ligne droite et limpasse , Les chos, janvier 2007.18. LOMC joue sa crdibilit , Les chos, 8 janvier 2007.

    dans lindustrie []. lchance 00, ltat russe pourrait contrler directement ou indirecte-ment entre % et 0 % de lindustrie 9. Quant la Chine ou lInde, on sait quelles nhsitent pas maintenir de fortes barrires aux biens et services provenant de ltranger.

    Des opinions publiques ambivalentes

    Quen pensent les opinions publiques ? Des sondages effectus en 003 par Pew et en 00 par le German Marshall Fund indiquent que plus de 80 % des personnes interroges tablissent une nette distinction entre un commerce plus libre, concept positif leurs yeux, et la mondialisation, quelles redoutent parfois. Une tude plus rcente mesure le degr dacceptabilit de la globalisa-tion (entendue comme linterdpendance crois-sante des conomies mondiales) des populations de pays (dont la Chine, lInde, les tats-Unis, la France, la russie, le Mexique et lArgentine) 0. Les conclusions sont ambivalentes puisque les opinions publiques semblent apprcier le com-merce international mais souhaitent simulta-nment davantage de protection, aussi bien en matire de scurit de lemploi quen matire denvironnement. Les pays les plus mfiants lgard de la globalisation sont le Mexique ( % des personnes interroges considrent que cest plutt une bonne chose, contre % qui estiment le contraire), la russie ( % contre %) et la France ( % contre %). Les Franais sont au final, avec les Amricains, les plus sceptiques quant aux bnfices lis au commerce interna-tional . Plus de la moiti des Franais et prs dun tiers des Amricains ne souhaitent pas une plus grande libralisation du commerce, tandis que dans les autres pays transatlantiques prs de 7 % y sont favorables . Lorsque lon demande aux Franais si la mondialisation est une menace pour lemploi, ils sont 73 % rpondre oui 3.

    1. J. Sapir, Quel bilan conomique pour les annes Poutine en Russie ? , EHESS, document de travail, mars 2007.20. The Chicago Council on Global Affairs, World Public Opinion.org, World public favors globalization and trade but wants to protect environment and jobs , avril 2007, http://www.worldpu-blicopinion.org/pipa/pdf/apr07/CCGA+_GlobTrade_article.pdf.21. On remarque par ailleurs que les avis semblent trs tran-chs en France, trs peu de personnes (7 % seulement) ayant refus de rpondre.22. The German Marshall Fund, Perspectives on Trade and Poverty Reduction: A Survey of Public Opinion, avril 2007, http://www.gmfus.org/doc/GMF_TradeSurvey%202006.pdf.2. Sondage ralis par la SOFRES en fvrier 2005. Cit par P. Auer, G. Besse et D. Mda (dir.), Offshoring and the Internationalization of Employment: A Challenge for Fair Globalization?, Organisation internationale du travail, 2005, p. V, http://www.ilo.org/public/english/bureau/inst/download/annecy06.pdf. Pour une discussion approfondie du rapport

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    7

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    Le commerce international est-il :Bon

    (en %)Mauvais(en %)

    pour lconomie franaise ? 64 (54) 4

    pour les entreprises franaises ? 55 (52) 4

    pour le bien-tre individuel ?Les avis (positifs comme ngatifs) semblent trs tranchs sur la question,

    avec cependant une majorit de personnes estimant linfluence du commerce international positive.

    pour les consommateurs ? 61 (70) 8

    pour son propre niveau de vie ? 50 44

    pour le travail ?

    - en matire de scurit de lemploi 80 (67)

    - en matire de cration demploi 7 (60)

    pour lenvironnement ? 2 (45) 66 (4)

    Entre parenthses, le pourcentage quivalent pour les tats-Unis (The Chicago Council on Global Affairs & World Public Opinion.org, ibid.)

    Tout comme aux tats-Unis, la classe politique franaise commence prendre en compte ces messages. notre classe politique na jamais t adepte du libre-change. Toutefois, lengagement europen et les rgles multilatrales faisaient office de surmoi. gauche, mais aussi droite, la victoire du non au rfrendum a fait sauter le tabou europen et aviv la recherche de rpon-ses nationales. Quant aux digues multilatrales, elles viennent de cder avec la mise en sommeil des ngociations lOMC et lvolution amri-caine . Le 8 juin 00, dans un discours de poli-tique gnrale, Dominique de Villepin a employ lexpression de prfrence europenne , celle-ci tant le rsultat dune ngociation entre les dputs de la majorit. Patrick Ollier (UMP), alors prsident de la commission des affaires conomiques de lAssemble nationale, estimait ainsi que dans nos changes, il faut tablir des rgles qui permettent de privilgier lchelon europen plutt que les pays tiers. Les Europens doivent soutenir mutuellement leur croissance en exerant chaque fois que cela est possible une prfrence communautaire . Le Parti socialiste nest pas en reste, qui demandait, le er juillet 00, un renforcement du tarif extrieur commun . Danciens premiers ministres comme Jean-Pierre raffarin interrog le fvrier 007 au cours de lmission de i-Tl, France Inter et Le Monde ou Laurent Fabius se sont eux dclars favorables

    quentretiennent les Europens la mondialisation, voir E. Fabry (dir.), Les Europens face la mondialisation, Fondation pour linnovation politique, tude, mars 2007, http://www.fondapol.org/v2/pdf/Etude_Mondialisation.pdf.24. P. Artus, . Cohen, J. Pisani-Ferry, Lair du protectionnisme lectoral , Le Monde, 6 dcembre 2006.25. Cit par L. Caramel, La prfrence europenne en rem-part de la mondialisation , Le Monde, 14 juin 2005.

    une souverainet conomique europenne . Quant aux deux principaux candidats llection prsidentielle de 007 Sgolne royal et nicolas Sarkozy , ils ont voqu de nombreuses reprises lors de la campagne les ncessaires protections des industries et des salaris et le rle que devait jouer lUnion europenne en ce sens : Je crois aux vertus de la concurrence mais je ne crois pas que la concurrence soit une religion, ni quelle soit efficace en toutes circonstances. Je crois que trop de concurrence tue la concurrence comme trop dimpt tue limpt. Au minimum je veux une concurrence loyale. Je crois aux avantages du libre-change mais un libre-change matris, rgul, o ltat intervient pour compenser les dumpings montaires, sociaux ou cologiques 7.

    Lvolution des dbats conomiquesvoquant une tentation franaise, la journa-

    liste Laurence Caramel affirmait en juin 00 que la prfrence europenne de Dominique de Villepin, avant mme davoir t teste Bruxelles, provoque dj, en France, une ligne de partage entre les politiques et les conomistes 8 . Or cette dichotomie nest pas aussi nette quelle ny parat.

    rappelons que le dbat entre partisans et adver-saires du libre-change est rcurrent, et souvent vif, depuis le xixe sicle. Lhistoriographie cono-mique est elle-mme un champ de controverses 9 tant elle donne des arguments pour discrditer la

    26. L. Fabius, Pour une Europe des trois cercles , Les chos, 17 janvier 2007.27. Discours de Nicolas Sarkozy lors dun meeting Strasbourg, le 21 fvrier 2007.28. L. Caramel, op. cit.2. P. Bairoch, Mythes et paradoxes de lhistoire conomique, La Dcouverte, Paris, 1.

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    position adverse. Certains conomistes estiment ainsi que quand les pays actuellement dvelop-ps taient encore en dveloppement, ils nont men pratiquement aucune des politiques quils prconisent aujourdhui. Lconomiste coren de luniversit de Cambridge Ha-Joon Chang a par exemple montr que les puissances conomiques, tats-Unis en tte, se sont construites labri de barrires hautement protectionnistes 30.

    Du protectionnisme au libre-change : lvolution stratgique des tats-Unis

    Entre les annes 1830 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, les droits de douane moyens des tats-Unis sur les importations de produits indus-triels furent parmi les plus levs du monde. Si lon ajoute que ce pays bnficiait dj dun haut degr de protection naturelle en raison du cot des trans-ports jusquaux annes 1870, on peut dire que les industries amricaines furent littralement les plus protges du monde jusquen 1945. La loi Smoot-Hawley de 1930 sur les nouveaux tarifs douaniers naccrut qu la marge le niveau de protectionnisme de lconomie. Le tarif douanier moyen sur les pro-duits industriels en rsultant tait de 48 %, ce qui en faisait un taux lev, mais toujours dans la fourchette des tarifs douaniers moyens depuis la guerre de Scession. Cest seulement par rapport au bref inter-mde libral de 1913 1929 que le tarif de 1930 peut tre considr comme un renforcement du pro-tectionnisme, alors que le tarif moyen fut seulement augment de 11 %, passant de 37 % 48 %. []

    Si les protections tarifaires constiturent un ingrdient crucial des stratgies de dveloppement de nombreux pays, elles nen furent pas pour autant la seule composante, ni ncessairement la plus importante. De nombreux autres outils ont t utili-ss cet effet : subventions aux exportations, all-gement de droits de douane pour les importations ncessaires aux exportations, octroi de monopoles, cartels, crdits sur mesure, planification des inves-tissements et des flux de main-duvre, soutien

    0. H.-J. Chang, Kicking Away the Ladder, Anthem Press, Londres, 2002. Le titre de louvrage est une rfrence lcono-miste allemand du xixe sicle Friedrich List. Ce dernier dmontra dj lpoque que les injonctions britanniques en faveur du libre-change faisaient penser celui qui, parvenu au sommet dun difice, renvoie lchelle terre dun coup de pied afin dem-pcher les autres de le rejoindre ( kicking away the ladder ). La vritable justification thorique provient initialement dAlexander Hamilton, premier secrtaire au Trsor de lhistoire du pays (de 178 175), et de lconomiste Daniel Raymond (Thoughts on Political Economy, Fielding Lucas Jr., Baltimore, 1820).

    la recherche et dveloppement, promotion dinstitu-tions favorisant le partenariat public-priv, etc. []

    Ulysses Grant, hros de la guerre de Scession et prsident des tats-Unis de 1869 1877, avait anticip cette volution : Pendant des sicles, lAn-gleterre sest appuye sur la protection, la pratique jusqu ses plus extrmes limites, et en a obtenu des rsultats satisfaisants. Aprs deux sicles, elle a jug commode dadopter le libre-change, car elle pense que la protection na plus rien lui offrir. Eh bien, Messieurs, la connaissance que jai de notre pays me conduit penser que, dans moins de deux cents ans, lorsque lAmrique aura tir de la protection tout ce quelle a offrir, elle adoptera aussi le libre-change. (J. Garraty et M. Carnes, The American Nation. A History of the United States, 10e dition, Addison Wesley Longman, New York, 2000) 31

    Keynes lui-mme a, en son temps, discut des consquences du libre-change. Sil na pas remis en cause sa vertu conomique dun point de vue thorique, il sest inquit de ses effets sociaux pour finalement dfendre une forme dautosuffi-sance : Jai de la sympathie pour ceux qui veulent minimiser plutt que maximiser limbrication co-nomique entre les nations. Les ides, la connais-sance, lart, lhospitalit, les voyages : autant de choses qui sont, par nature, internationales. Mais que les marchandises soient de fabrication natio-nale chaque fois que cest possible et commode 3. Ses propos sont ainsi repris par les tenants dun protectionnisme europen qui cherchent lgi-timer leurs positions : Keynes y voit aussi un obstacle lmergence de la ncessaire diversifi-cation des trajectoires au sein du capitalisme. Car Keynes ne parle pas au nom dune rvolution anticapitaliste. Il se veut au contraire le dfenseur des valeurs dune socit ouverte et pluraliste. [] Il est clair quil ne voit pas dautres avenirs que le chaos, la dictature et la guerre dans la poursuite du libre-change. Celui-ci conduit naccepter comme valeurs que celles de la finance. Son refus du libre-change est aussi le refus dune tendance visant tout rduire au statut de marchandise, processus dans lequel il voit la destruction finale de la culture humaniste occidentale 33 .

    1. H.-J. Chang, Du protectionnisme au libre-changisme, une conversion opportuniste , Le Monde diplomatique, juin 200, http://www.monde-diplomatique.fr/200/06/CHANG/1018.2. Cit par H. E. Daly, The perils of free trade , Scientific American, novembre 1.. J. Sapir, Retour sur le futur. Le protectionnisme est-il notre avenir ? Actualit du texte de J.M. Keynes National Self-Sufficiency (1) , http://www.prospectives.info/Retour-

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    Plus rcemment, Maurice Allais, prix nobel dconomie en 988, estimait que la libra-lisation totale des changes lchelle mon-diale, objectif affirm de lOrganisation mondiale du commerce, doit tre considre la fois comme irralisable, comme nuisible, et comme non souhaitable. Elle nest possible, elle nest avantageuse, elle nest souhaitable que dans le cadre densembles rgionaux conomiquement et politiquement associs, groupant des pays de dveloppement conomique comparable, chaque association rgionale se protgeant raisonnable-ment vis--vis des autres 3 .

    Le dbat se dveloppe galement, quoique sous des formes diffrentes, aux tats-Unis. Le prix nobel dconomie (970) Paul Samuelson, pourtant partisan du libre-change, a rcemment avanc que dans ltude des changes sino-amricains les gains [pour les tats-Unis] lis au commerce international ne sont pas nces-sairement suprieurs aux pertes 3 . sa suite, Paul Krugman a stigmatis le prsident Bush coupable selon lui de ne pas percevoir les effets de la concurrence indienne 3 . Si ces der-niers ne prnent pas explicitement des mesures protectionnistes (dont rien ne garantit selon eux quelles permettraient de rduire la croissance des pays mergents), ils interrogent en revanche laxiome fondamental des politiques de libre-change : la thorie des avantages comparatifs thorise par ricardo au xviiie sicle. Il existerait trois raisons fortes pour lesquelles les modles thoriques usuels de spcialisation internationale pourraient ne pas sappliquer aujourdhui la Chine : La loi du prix unique ne tient pas ; les prix relatifs ne jouent pas leur rle normal ; il ny a pas plein-emploi. [] Il ny a pas raret globale de lemploi, ce qui implique que la dcision dal-location de lemploi lendroit (dans les secteurs) o il est le plus efficace, qui est la base du pro-cessus de spcialisation internationale, ne se pose pas 37. Sil est certain que les nouvelles thories

    vers-le-futur-le-protectionnisme-est-il-notre-avenir-_a108.html?PHPSESSID=c665c1bae27ccc5c6d414278b6b.4. http://www.observatoiredeleurope.com/La-preference-europeenne-relancee-par-le-Prix-nobel-d-eco-nomie-Maurice-Allais_a54.html. Voir galement M. Allais, Lclatante faillite du nouveau credo , Le Figaro, 27 dcembre 1.5. Why Ricardo and Mill rebut and confirm arguments of mainstream economists supporting globalization , Journal of Economic Perspectives, vol. 18, n , 2004.6. Cit par L. Fontagn, OMC : en cas dchec, y a-t-il un plan B ? , Le Figaro conomie, 21 mars 2006, http://www.telos-eu.com/fr/article/omc_en_cas_d_echec_y_a_t_il_un_plan_b.7. P. Artus, La Chine et la thorie du commerce interna-tional , Ixis Corporate & Investment Bank, Flash, n 1, 2005, p. 8.

    du commerce international ont intgr depuis longtemps les effets de taille des pays et les phnomnes de concurrence imparfaite 38, il nen reste pas moins que les pays dvelopps risquent dtre directement concurrencs, dans quasiment tous les secteurs conomiques, par une masse de travailleurs chinois de plus en plus qualifis et dont les salaires sont infiniment moindres.

    Un nombre croissant dconomistes exprime ce type de critiques ou de rserves au sein mme des diffrentes institutions internationales. Selon un rapport du BIT, la mondialisation choue crer de nouveaux emplois de qualit et rduire la pauvret 39. La CnUCED estime dans son rapport annuel que les politiques orthodoxes de la Banque mondiale et du FMI ont t contre-productives . Cette agence de lOnU prne ainsi une protection des entreprises en recourant avec circonspection aux subventions et aux droits de douanes 0 , une politique du taux de change bas, une politique des revenus dirigiste et un filtrage des investissements trangers . LOCDE, qui prne dhabitude la libre action des mar-chs, reconnat dans sa rcente livraison qu il revient aux politiques de maximiser les gains de la mondialisation et valorise les politiques budgtaires 3. Mme la Banque mondiale est en passe de revenir sur le consensus de Washington, qui guidait jusque-l ses recommandations, en valorisant la puissance de lagriculture pour le dveloppement et consacrant les tats comme des agents conomiques indispensables . Joseph Stiglitz, prix nobel dconomie et ancien vice-prsident de la Banque mondiale observe mme une remise en cause du consensus de Washington qui structurait les politiques conomiques des pays dvelopps depuis la fin des annes 980 .

    8. P. Martin, Le protectionnisme masque limpuissance du politique , Libration, 8 janvier 2007.. BIT, communiqu de presse, dcembre 2005, http://www.ilo.org/public/french/bureau/inf/pr/-2005/48.htm.40. CNUCED, rapport annuel, 1 aot 2005.41. M. Day, Dveloppement : la CNUCED vante les mrites du modle chinois , Le Monde, 2 septembre 2006.42. Cit par E. Le Boucher, M. Sarkozy et la mondialisation , Le Monde, 27 mai 2007.4. J.-P. Cotis, Avancer sur la voie du rquilibrage , OCDE, Perspectives conomiques, n 80, 24 mai 2007, http://www.oecd.org/dataoecd/1/28/20277.pdf.44. Version provisoire du World Development Report 2008, cit par M. Auzanneau, La Banque mondiale en passe de rhabiliter le rle de ltat , Le Monde, 20 avril 2007.45. Son rapport publi en 2005 ressemblait dj un mea culpa, symbolisant un vritable dsaveu de sa politique antri-eure : Banque mondiale, Economic Growth in the 1990s: Learning from a Decade of Reform, 2005.46. J. Stiglitz, The post Washington consensus consensus , The Initiative for Policy Dialogue, document de travail, novembre

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    10 Il ne faudrait pas pour autant croire que la pen-se conomique dominante aurait chang de para-digme. Une crasante majorit des conomistes au niveau mondial considrent que le libre-change est le facteur dterminant de la croissance et quil est ncessaire de limiter au maximum tous les obstacles aux changes de biens, de services et de capitaux. De fait des acteurs et des instances aussi diverses que Wall Street 7, le patronat europen (UnICE), lOMC ou lUnion europenne affirment que seule une ouverture au commerce mondial permettra de produire de la richesse, donc de crer des emplois, donc de contribuer au bien-tre des populations.

    iii politiques commerciales : un bilan impossible ?

    Autant dinterprtations que danalyses

    Peut-on faire un bilan exhaustif des politi-ques de libre-change depuis plus dun sicle ? 8 Peut-on valuer prcisment les effets de la monte en puissance des pays mergents dans les prochaines dcennies ? Pour ce faire, il fau-drait idalement pouvoir valuer limpact de la libralisation du commerce sur la croissance (en termes de PIB), puis limpact de la croissance sur le dveloppement, et enfin sur le bien-tre des populations. Or plus on sloigne des indicateurs strictement conomiques, plus il est difficile et prilleux de se prononcer sur les bienfaits et les mfaits du libre-change 9.

    Une tude du Bureau international du travail (BIT) de 00 indique par exemple quil y a de

    2004, http://www0.gsb.columbia.edu/ipd/pub/Stiglitz_PWCC_English1.pdf.47. Wall Street en pleine campagne lectorale , Les chos, 2 mars 2007.48. Pour un aperu des dbats actuels, voir L. Abdelmalki et R. Sandretto, Dbats autour de lconomie internationale. Les effets contrasts de la libralisation des changes , Les Cahiers franais, n 25, mars-avril 2005, p. 7-78.4. Le premier problme tient bien entendu la difficult de modliser les innombrables paramtres des changes interna-tionaux. Il existe trois modles danalyse rputs : le Global Trade Analysis Project (GTAP) labor par le dpartement dconomie agricole de luniversit de Purdue (tats-Unis), le Linkage Model est dvelopp par la Banque mondiale ; MIRAGE est un modle mis en place par le CEPII (http://www.cepii.fr/francgraph/modeles/mirage.htm). En fonction des hypothses retenues, ils obtiennent des rsultats parfois sen-siblement diffrents laissant ds lors possibles des interprta-tions contradictoires. Do une remise en cause des indicateurs mme de richesse. Voir J. Gadrey et F. Jany-Catrice, Les Nouveaux Indicateurs de richesse, La Dcouverte, Paris, coll. Repres , 2005 ; R. Wintrebert, Mesurer le bonheur : quels indicateurs pour la France ? , Fondation pour linnovation politique, docu-ment de travail, avril 2007.

    moins en moins de corrlation entre croissance de lconomie et emplois de bonne qualit 0. Patrick Messerlin estime lui que si lon peut considrer quil existe des gains globaux pour lensemble des pays , certains pays peuvent tre dficitaires certaines priodes. Il ajoute quil est par ailleurs presque impossible davoir une vision prcise sur les effets intrieurs aux pays dans la mesure o les diffrents modles de simulation nintgrent pas, ou peu, les structures sociales, trs varies, de ceux-ci. En 999, le Centre dtudes prospectives et dinformations internationales (CEPII) affirmait dj que louverture est aujourdhui perue comme la seule solution soutenable pour favori-ser le dveloppement. Or, en dpit du consensus officiel (dit de Washington) sur les vertus de louverture, les tudes empiriques ne permettent pas de dgager un impact positif indiscutable dune libralisation accrue des changes de biens et de services sur la croissance . Ces difficults redoublent ds lors quil sagit de modliser les rsultats escompts de telle ou telle politique : certains estiment par exemple que les ngociations de Doha en cours permettraient (si elles aboutis-saient) des gains globaux trs modestes du revenu mondial de lordre de 0 0 milliards de dollars, soit 0, % du PIB mondial 3, tandis que dautres valuent cet accroissement entre 90 et 0 mil-liards de dollars

    Dans de telles conditions, chacun tire dans la masse de donnes disponibles celles qui confor-tent ses intimes convictions. Pour les uns, les pays en dveloppement (notamment lInde et la Chine) sont les premiers bnficiaires de la lib-ralisation des changes : 30 millions de person-nes seraient ainsi sorties de la pauvret . Pour dautres, les pays dvelopps y gagnent gale-ment puisque les consommateurs ont vu leur pouvoir dachat augmenter grce une baisse des prix lie aux importations. Pour dautres enfin, la

    50. Une tude du BIT de 2005 montre mme que pour chaque point de pourcentage de croissance du PIB supplmentaire, lemploi global ne progresse que de 0, point de pourcentage entre 1 et 200, soit une baisse de 0,8 point de pourcentage par rapport la priode 15-1. Voir BIT, La mondialisation choue crer de nouveaux emplois de qualit et rduire la pauvret , communiqu de presse, dcembre 2005, http://www.ilo.org/public/french/bureau/inf/pr/2005/48.htm.51. Entretien avec Patrick Messerlin ralis le 18 mai 2007.52. Quel cadre pour louverture ? , La Lettre du CEPII, n 181, juillet-aot 1, http://www.cepii.fr/francgraph/publications/lettre/pdf/1/let181.pdf.5. S. Polaski (dir.), Winners et Losers: Impact of the Doha Round on Developing Countries, Carnegie Endowment for International Peace, 2006.54. Banque mondiale, Global Economic Prospects 2004:Realizing the Development Promise of the Doha Agenda, 2002.55. P Morand, op. cit.

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    11

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    libralisation impose et soudaine a dstructur aussi bien les conomies locales (en Afrique ou en Amrique du Sud notamment) que les emplois dans les pays dvelopps . Joseph Stiglitz est, lui, plus catgorique encore : Aujourdhui, la mondialisation, a ne marche pas. a ne marche pas pour les pauvres du monde. a ne marche pas pour lenvironnement. a ne marche pas pour la stabilit de lconomie mondiale 7.

    Un rapport rcent tabli conjointement par un membre du BIT et par un membre de lOMC tmoigne des prcautions ncessaires lorsque lon cherche faire un bilan honnte du com-merce international en matire demploi : Il ny a pas de gnralisations simples possibles sur les liens entre le commerce et lemploi []. Laperu gnral quon a tent de prsenter ici donne penser que la mondialisation peut tre une bonne chose pour la plupart des travailleurs, aussi bien dans les pays industrialiss que dans les pays en dveloppement, condition que des politiques conomiques appropries soient en place. Mais elle nest pas ncessairement une bonne chose pour tous les travailleurs, et son incidence sur la rpartition des revenus ne devrait pas tre igno-re 8. Il existe, disent les auteurs, un arbitrage invitable entre lefficience et la scurit, mais le choix ne doit pas ncessairement tre tranch ; il nexiste pas de politiques de redistribution type qui puissent valoir pour tous les pays Seule conclusion ferme, il y a bien un lien entre les poli-tiques commerciales, les politiques de lemploi et les politiques sociales, et une plus grande coh-rence entre celles-ci serait bnfique la fois pour la croissance et pour la qualit des emplois.

    Des gagnants et des perdants

    Un point semble toutefois faire consensus : les politiques de libralisation des changes font des gagnants et des perdants et contribuent accentuer les ingalits entre les premiers et les seconds, la fois entre pays lchelle

    56. The paper finds that, contrary to popular belief, the past 25 years (180-2005) have seen a sharply slower rate of economic growth and reduced progress on social indica-tors for the vast majority of low- and middle-income coun-tries , in M. Weisbrot, D. Baker, D. Rosnick, The Scorecard on Development: 25 Years of Diminished Progress, Center for Economic and Policy Research, septembre 2005, http://www.cepr.net/documents/publications/development_2005_0.pdf.57. J. Stiglitz, La Grande Dsillusion, Fayard, Paris, 2002, p. 41.58. E. Lee et M. Jansen, Commerce et emploi : un dfi pour la recherche en matire de politiques, BIT et OMC, 2007, p. 10 et 105, http://www.wto.org/french/res_f/booksp_f/ilo_f.pdf.

    internationale 9 et au sein mme des pays 0. Conclusion : la situation actuelle ne constitue pas un quilibre de Pareto. Do la ncessit de sin-terroger sur la pertinence de lquilibre actuel par rapport dautres possibles. Le dbat ne saurait alors tre strictement conomique .

    qui profite le systme conomique actuel ? Des conomistes amricains du Center for Economic and research Policy ont rparti 7 pays en cinq groupes selon leur revenu par tte dhabitant au dbut de chacune de deux priodes : 90-980 et 980-00. En mettant en parallle des pays comparables il est plus diffi-cile de crotre de 3 % quand on est un pays riche que quand on est un pays pauvre , ils constatent que les taux de croissance moyens ont chut de plus de la moiti. Ils taient de , 3 % entre 90 et 979, et ntaient plus que de 0,7 , % entre 980 et 000. Seul le groupe aux revenus par personne les plus bas a enregistr une fai-ble augmentation, de ,7 ,8 %, et pourtant ce groupe compte aussi des pays forte croissance comme la Chine et lInde . Pour les tenants dun protectionnisme europen, les chiffres du BIT aboutissent des conclusions similaires : Slevant 3, % en 9, le faible taux de crois-sance mondial a chut juste % en 003. Mais cest en Amrique latine que lvolution ngative est la plus dramatique. Entre 90 et 979, la croissance sest leve presque 80 %. Or, entre 980 et 000, cette croissance sest rduite % seulement. La seule observation srieuse que lon peut faire est donc que lOMC et la libralisation du commerce ont t bonnes pour les entreprises. Ce qui ne devrait pas signifier pour autant que ces mmes entreprises puissent mettre des all-gations absurdes quant aux soi-disant avantages de la libralisation du commerce 3.

    La libralisation des changes a, selon Patrick Artus, profit certains secteurs qui ont accru leurs dbouchs et leurs profits (finance, servi-ces aux entreprises, nergie), mais elle nuit dautres secteurs fortement concurrencs par les pays mergents (bien de consommation, biens intermdiaires, services dlocalisables).

    5. P.-N. Giraud, Comment la globalisation faonne le monde , Politique trangre, n 4, 2006, p. 0-1.60. J.-L. Gaffard, M. Qur, Relocation: what matters? Competition or/and a new policy mix , OFCE, Document de tra-vail, n 2005-0, juin 2005, p. 6-64.61. E. Le Boucher, La France et le grand monde , Le Monde, 1 mai 2007.62. M. Weisbrot, D. Baker, D. Rosnick, op. cit.6. Pour un protectionnisme europen : rponse Laurence Parisot , http://www.protectionnisme.eu/index.php?action=article&numero=26.

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    12 Les ingalits sont ainsi croissantes entre les sala-ris de ces deux types de secteur, comme entre les salaris des grands groupes internationaux et ceux des plus petites entreprises marchs domestiques. un niveau davantage micro-conomique, on peut considrer que le mouve-ment de libralisation a globalement profit aux emprunteurs (mnages, entreprises, tats qui accumulent des dettes), aux consommateurs des pays dvelopps, aux producteurs et salaris des pays mergents et ceux qui dtiennent beau-coup dactifs (matires premires, produits finan-ciers, immobiliers). Il laisse en revanche de ct les salaris de lindustrie des pays dvelopps en raison des pertes demplois dans lindustrie manufacturire, les mnages non propritaires de leurs logements (en raison de la hausse des prix des loyers) . On peut donc tre simultanment perdant (comme salari) et gagnant (comme consommateur). Les travailleurs ordinaires qui forment les gros bataillons de la classe moyenne et leurs employeurs quils vivent dans le Midwest des tats-Unis, dans la valle de la ruhr, en Amrique latine ou en Europe orientale sont laisss de ct. Aux tats-Unis, le salaire mdian des familles augmente moins vite que la produc-tivit. Au Mexique, le salaire moyen par foyer stagne depuis la signature de lAccord de libre-change nord-amricain (ALEnA) il y a treize ans. Les pays revenu intermdiaire dpourvus de ressources naturelles ont beaucoup de mal cerner un domaine dans lequel ils pourraient se prvaloir dun avantage comparatif .

    Tout lenjeu consiste ainsi savoir si le nom-bre de salaris menacs ne va pas grossir au point daboutir une socit profondment clive (minorit de privilgis et majorit de prcaires) o beaucoup seront des chmeurs-consomma-teurs. Car il est certain que la libralisation (des biens, des services et du capital) bouleverse pro-fondment les processus productifs, lallocation des ressources et lorganisation du travail mais galement les marchs du travail, de lemploi et les salaires . Les populations menaces ne sont plus, comme par le pass, les moins quali-fies mais plutt celles dont les tches peuvent tre dlocalises 7. De ce point de vue tous les secteurs conomiques (et non plus seulement

    64. P. Artus, a finira mal ; mais quand et pourquoi ? , op. cit.65. L. Summers, Les classes moyennes tentes par le rejet de la mondialisation , Les chos, 0 octobre 2006.66. J.-M. Cardebat, La Mondialisation et lemploi, La Dcouverte, Paris, 2002.67. P. Martin, Les dessous du made in France , Libration, 5 fvrier 2007.

    lindustrie) sont potentiellement concerns. Cest pourquoi le dbat autour des dlocalisations est aujourdhui aussi sensible.

    iv les (d)localisations : un phnomne toujours mal connu

    Jusquo les pays bas salaire concurrenceront-ils lOccident ?

    Les dlocalisations dentreprise ont connu trois grandes vagues. Dans les annes 970, elles concernaient des produits bas de gamme de grande consommation (textile, chaussure, gadgets, etc.). partir de la fin des annes 980, elles touchent galement llectronique grand public (tlviseurs, magntoscopes), les appareils lectromnagers (fours micro-ondes) et lauto-mobile. Une troisime vague qui prend de lam-pleur vers le milieu des annes 990 touche des produits de plus en plus sophistiqus (matriels informatiques, tlcommunications). Une qua-trime vague arrive actuellement qui concerne non plus les marchandises mais les services. Elle a dj commenc par le bas de gamme (centre dappels, facturation, saisies des critures comp-tables) et atteint des produits plus sophistiqus (produits financiers, conseil juridique, diagnostics mdicaux, centres de recherche et de dveloppe-ment dans linformatique, dans llectronique ou mme dans la pharmacie). On peut dsormais faire dans les services ce qui existait dj depuis longtemps dans lindustrie : sparer le lieu de production du lieu de consommation grce aux nouvelles technologies de linformation et de la communication. Les activits encore relativement pargnes sont les activits intensives en connais-sances (recherche et dveloppement, travail trs qualifi) o le mode de concurrence passe davan-tage par linnovation que par le prix. Mais le rattrapage de lInde ou de la Chine en matire de formation est tel quelles sont dj l aussi en mesure de concurrencer les pays dvelopps. Si la Chine fait actuellement figure dpouvantail cest prcisment en raison du niveau considra-ble de ressources en main-duvre et en capital dont elle dispose 8. Elle na gure de contrainte de raret relative des facteurs de production et peut ainsi dvelopper des capacits de produc-tion dans de trs nombreux secteurs, y compris dans la recherche et dans des secteurs industriels

    68. P. Cohen et L. Richard, La Chine sera-t-elle notre cauche-mar ? Les dgts du libral-communisme en Chine et dans le monde, Mille et Une Nuits, Paris, 2005.

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    1

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    haute valeur ajoute. Tous les salaris des socits dveloppes redoutent ainsi dtre les futurs perdants de cette nouvelle tape de la libralisation des changes. En avril 007, 9 % des Amricains et des Europens pensaient que lconomie chinoise constituait une menace 9.

    La menace est-elle toutefois si relle ? Le dis-cours conomique le plus courant consiste dire quil sagit finalement dun phnomne margi-nal largement amplifi par les mdias qui ne touche que certains territoires trs localiss alors mme quil cre par ailleurs de nombreux emplois. La dlocalisation de certains lments favorise lexpansion de lensemble. En pleine mondialisation, lEurope va probablement crer une dizaine de millions demplois en 00, 007 et 008 70 . Les statistiques de lOCDE indiquent que le taux de pntration des produits made in China ne serait que de % en France, accr-ditant lide selon laquelle le rle de la concur-rence des pays bas salaires sur lemploi (mme industriel) reste mineur (larrive du chmage de masse en France tant dailleurs bien ant-rieure lintgration de ces pays dans lconomie mondiale) 7. Des pays comme les tats-Unis et le Japon sont, eux, inonds de produits bas salai-res (3 % des importations industrielles pour les tats-Unis), ce qui ne les empche pas davoir un taux de chmage bas 7 . Il ny aurait donc aucun lien automatique entre chmage et importations depuis des pays bas salaires. robert Scott, co-nomiste lEconomic Policy Institute, estime que le commerce nest responsable que de 0 30 % de la croissance des ingalits aux tats-Unis. Les changements technologiques (automatisation de lindustrie) 73, la drglementation du march du travail, laffaiblissement des syndicats et les politiques montaires seraient ainsi des facteurs explicatifs bien plus importants 7. Herv Boulhol estimait galement en 00 que le recul de lemploi industriel rsulte essentiellement de mcanismes internes lis au dveloppement co-nomique naturel. Le commerce international contribue au maximum % de la dsindustria-lisation pour lensemble des pays. Ainsi, la perte

    6. The German Marshall Fund, op. cit.70. En Europe, on attend que M. Sarkozy engage les rformes , entretien avec E.-A. Seillire, Le Monde, 14 mai 2007.71. P. Martin, Le protectionnisme masque limpuissance du politique , Libration, 8 janvier 2007.72. Z. Ladi, op. cit.7. J. N. Bhagwati, Why your job isnt moving to Bangalore , The New York Times, 15 fvrier 2004.74. E. Desrosiers, Qui a peur du libre-change ? , Le Devoir, 21-22 avril 2007, http://www.ledevoir.com/2007/04/21/14080.html.

    demplois industriels due au commerce est de 0 000 (au maximum) dans le cas de la France, et de , millions pour les tats-Unis 7 .

    Sil est indniable que le commerce internatio-nal nexplique pas lui seul tous les problmes demploi, ces analyses sont malgr tout limites et statiques. La question pose nest en effet pas tant celle des dlocalisations que celle, plus globale, des localisations , cest--dire de toute dcision dinvestissement qui se fait au dtriment de tel ou tel pays. En dehors du transfert dquipement (dlocalisation), une entreprise peut ainsi crer une capacit de production en Chine puis impor-ter de Chine une part croissante des composants ncessaires llaboration de ses produits. Le commerce entre lEurope et la Chine devient ds lors dficitaire lchelle de lentreprise concerne mais il napparat pas dans les recensements statis-tiques. Une telle entreprise peut galement choisir, deuxime cas de figure de localisation invisible, de remplacer un sous-traitant du nord par un fournisseur dun pays mergent bas salaire pour ses achats intermdiaires. Autre cas de figure, elle renonce crer une nouvelle unit de production ou de recherche en Europe pour privilgier un site plus avantageux (cest--dire bon march). Il sagit l dun manque gagner plus quune perte sche mais il faudrait lintgrer lvaluation des consquences de la concurrence internationale. Enfin, une entreprise implante dans plusieurs continents peut, lors dun plan de restructura-tions, dcider de plutt licencier les salaris des pays dvelopps (qui leur cotent chers) et garder ceux des pays bas salaire 7. Impossible donc de fournir une valuation prcise des consquences de changements de localisation.

    On ne saurait par ailleurs se contenter dune approche statique consistant valuer aujourdhui limpact des pays bas salaire dans la mesure o la concurrence va se gnraliser des secteurs jusque-l pargns, et tout particulirement dans les services. Or ceux-ci ont de plus en plus de poids dans les socits dveloppes : sils ne reprsentent que 0 % du commerce mondial, ils assurent environ 70 % de la cration de richesse et de lemploi au sein de lOCDE 77 et reprsentent

    75. H. Boulhol, Quel impact du commerce international sur la dsindustrialisation dans les pays de lOCDE ? , CDC Ixis Capital Market, Flash, n 206, 1er juillet 2004, http://team.univ-paris1.fr/teamperso/boulhol/flashFR/desindus.pdf.76. J.-L. Grau, Reconstruire lEurope conomique , Le Dbat, n 141, septembre-octobre 2006, p. 11.77. S. Wunsch-Vincent, LOMC face la dlocalisation dans les services : prvenir le protectionnisme , La Vie conomique, septembre 2005. En France, la part des services marchands et non marchands dans la production totale a cr de 40 % un peu

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    1 deux tiers des emplois, soit plus de 0 millions demplois au sein de lUnion europenne. Les activits de services susceptibles dtre dloca-lises sont les services immatriels : dvelop-pement des logiciels, services aux entreprises (notamment les centres dappel), tout ce qui relve du traitement de donnes (saisie, activits de back-office des grandes entreprises), services de conseil (mdical, juridique, financier 78), ce quoi on peut ajouter les investissements de recherche et dveloppement.

    Or la Chine na aucune vocation se spcia-liser dans la production industrielle et laisser lOccident les segments de production haut de gamme : elle produit des tee-shirts bas de gamme mais, simultanment, ses hommes vont dans lespace et ses chercheurs planchent sur la fabrication de nano-vtements. La mise en concurrence est ds lors gnralise : Avec les progrs des tlcommunications et de la trans-mission massive de donnes par Internet, nombre dactivits de service sont finalement soumises la mme logique que lindustrie. Il en va ainsi des centrales dappel, des services de saisie informa-tique et de traitement administratif, et plus gn-ralement de tous les services industriels qui ont fait lobjet de vastes dlocalisations au cours des dernires annes []. Certains hpitaux amricains ont ainsi commenc sous-traiter linterprtation de leurs examens radiologiques en ligne et en temps rel : pendant que le patient est dans le new Jersey, ses radios sont examines par un mdecin en Inde. Des cabinets davocats situs en Europe de lEst peuvent galement proposer leurs services des clients dEurope de lOuest ou dAmrique du nord des tarifs imbattables, grce la disponibilit en ligne des codes juridiques et mme des textes jurispru-dentiels. Un nombre croissant dentreprises occi-dentales installe des centres de recherche dans les pays en dveloppement afin de tirer parti du bon niveau de formation et des faibles cots salariaux des chercheurs locaux 79. Le cas de llectronique grand public (tlphones mobiles, PC) est clairant : la productivit du travail de la

    plus de 60 % entre 15 et 2006 (contre une baisse de 10 2 % pour la production agricole et une baisse de 44 0 % pour la production industrielle, la part de la construction restant elle relativement stable, autour de 8 %). In J. Bournay, P.-A. Pionnier, Lconomie franaise : ruptures et continuits de 15 2006 , INSEE Premire, n 116, mai 2007.78. G. Pujals, Offshore outsourcing in the EU financial services industry , OFCE, Document de travail, n 2005-0, juin 2005, p. 47, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2005-0.pdf.7. M. Debonneuil, LEspoir conomique, Bourin diteur, Paris, 2007, p. 4.

    Chine a dpass celle du Mexique, pays o le PIB ajust par habitant est deux fois celui de la Chine. La Chine nest plus simplement un pays o on assemble des composants, elle peut dsormais assurer lensemble du processus de fabrication 80. Si lInde a, pour lheure, acquis un avantage com-paratif dans la dlocalisation de services forte composante linguistique, la Chine rattrape dj son retard, notamment dans la recherche et dve-loppement (r&D). Un rcent rapport de lOCDE note ainsi que la Chine affiche des conditions conomiques favorables et des caractristiques susceptibles de lui permettre de devenir un prestataire de services informatiques et lis aux TIC dlocaliss, savoir notamment : une large offre de main-duvre trs qualifie et en aug-mentation rapide, dimportantes infrastructures des TIC, des relations avec les multinationales en croissance rapide, une r&D qui stoffe elle aussi et des pouvoirs publics menant des actions daccompagnement 8 . Plus encore que pour le secteur industriel, il semble donc extrmement difficile de savoir prcisment les consquences dune libralisation de ces activits sur lemploi des pays dvelopps 8. Il ne fait cependant gure

    80. Le processus de monte en gamme et dintgration de lensemble du processus de production est d plusieurs phnomnes : investissements trangers (sous la forme de joint-ventures) et transfert des technologies prement ngoci par les autorits nationales ou locales, dveloppement des infrastruc-tures, cration des zones conomiques spciales, prsence de fournisseurs et de sous-traitants locaux, rgionaux et nationaux dans un maillage de PME, le tout accompagn dune vigoureuse politique industrielle autour de champions nationaux et dune protection leve des marchs nationaux. Sans le soutien de ltat, sans les efforts de R&D, Lenovo naurait pas achet la division PC dIBM, troisime producteur mondial aprs Dell et HP-Compaq.81. Groupe de travail sur lconomie de linformation, La Chine est-elle un nouveau centre de dlocalisation des services informatiques et des services lis aux TIC ? , OCDE, 17 avril 2007, http://www.oecd.org/dataoecd/2/26/842456.pdf.82. Mme limpact des dlocalisations sur la productivit des entreprises nest gure ais valuer. Karsten Bjerring Olsen (2006) recense une grande partie des travaux empiriques sur la question et montre quil est difficile de conclure un impact positif ou non sur la productivit globale des dlo-calisations dans la mesure o cet impact est trs dpendant des caractristiques de lentreprise et du secteur concern. Les gains de productivit issus des dlocalisations sont in fine gnralement assez faibles dans le secteur industriel, alors quils apparaissent tre plus importants dans le secteur des ser-vices. K. Bjerring Olsen, Productivity impacts of offshoring and outsourcing: a review , OCDE, STI Working Paper, n 1, 2006, http://www.oecd.org/dataoecd/16/-2/6217.pdf. Pour une discussion des problmes de dfinition et de mesurabilit, voir F. Besson et C. Durand, Les dlocalisations de services : quels enjeux pour les politiques publiques ? , Document de travail du CEPN, n 2006-11, octobre 2006, p. -12, http://www.univ-paris1.fr/CEPN/wp2006_11.pdf. Voir galement G. Daudin and S. Levasseur, Offshore relocations and emerging countries competition: measuring the effect on French employment ,

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    1

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    de doute quun nombre croissant dactivits est concern. Compte tenu de limportance des changes de services informatiques et de servi-ces lis aux TIC, de la progression de lIDE et de laugmentation du nombre de centres de r&D crs par les multinationales 83, on peut penser quil existe un fort potentiel de croissance de lof-fre de services dlocaliss, mme si la Chine nen est pas encore un prestataire majeur 8. La tho-rie des avantages comparatifs expliquant lintrt des pays se spcialiser est donc pour le moins mise mal. Comment y rpondre ?

    Une phase de transition salutaire ?

    Plusieurs points de vue sopposent. Le pre-mier, majoritaire, avance la thse de la priode de transition : des emplois sont certes perdus quand des concurrents moins chers mergent mais ce nest que temporaire. Le dveloppement de la Chine ou de lInde est une bonne nouvelle puis-quil signifie que des gens sortent de la pauvret. Or en senrichissant non seulement leur niveau de vie (et donc le cot de leur travail) se rappro-chera de celui des Occidentaux mais ils achteront galement davantage de biens venant de lext-rieur. Combien de temps cette transition va-t-elle prendre ? Patrick Messerlin affirme que dans six provinces chinoises le PnB par habitant est dores et dj de 0 000 dollars par an, soit plus que celui de la Lituanie 8. LAcadmie chinoise des scien-ces sociales a, de son ct, rcemment annonc que le rservoir de main-duvre bas cot en Chine pourrait commencer se rduire dici 00. Limpressionnante main-duvre rurale, fer de lance dune croissance deux chiffres, aurait t survalue : le nombre de travailleurs ruraux sans emploi gs de moins de 0 ans qui migrent en qute dun emploi nest que de millions, soit beaucoup moins que de prcdentes estimations qui lvaluaient 00 ou 0 millions, selon lAca-dmie. Or ce manque de personnel pourrait finir par entraner une hausse des prtentions salariales probablement dici trois ans 8.

    OFCE, Document de travail, n 2005-0, juin 2005, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2005-0.pdf.8. La dlocalisation de services, ajoute lOCDE, ne se fait toutefois pas sens unique : elle concerne par exemple aussi les entreprises chinoises qui commencent dlocaliser certaines de leurs activits (centres de R&D, services commerciaux) afin de pntrer des marchs trangers et de se rapprocher de leurs clients. Voir G. Daudin et S. Levasseur, op. cit.84. Groupe de travail sur lconomie de linformation, op. cit.85. Entretien ralis par lauteur en mai 2007.86. L. Fangchao, Nation may face labor shortage in 2010 , China Daily, 12 mai 2007, http://www.chinadaily.com.cn/china/2007-05/12/content_87071.htm.

    Les tenants de cette position affirment quil faut donc poursuivre dans la libralisation des changes. Celle-ci entrane de forts gains de pou-voir dachat grce la rduction des cots de pro-duction des biens manufacturs, un large accs des produits alimentaires, des biens culturels ou des destinations touristiques, une conomie plus efficace en raison dune demande intrieure forte et de volumes dexportations croissants. Elle cre une conomie plus efficace aussi bien pour les pays en voie de dveloppement 87 que pour les pays dvelopps, bref un jeu gagnant-gagnant. La libration des changes abaisse le cot de la vie, elle offre plus de choix aux consommateurs et largit la gamme des qualits proposes. Le com-merce accrot les revenus. Le commerce stimule la croissance conomique 88. Ces arguments conomiques sinscrivent le plus souvent dans un discours finaliste de lHistoire selon lequel la libralisation va dans le sens de lhistoire 89 ; il est donc la fois impossible et absurde de sy opposer. Do la ncessit dune ouverture maxi-male des frontires (par une baisse des barrires tarifaires et non tarifaires), non seulement pour les produits agricoles et manufacturiers mais surtout pour les investissements financiers et les services 90. Il faut laisser le march oprer, le ds-quilibre conomique li aux (d)localisations sera corrig par un ajustement des prix. Dans cette perspective le problme nest pas le commerce international mais la rigidit des salaires rels qui rendent les pays du nord peu comptitifs 9.

    Les partisans les plus convaincus de ce libre-change maximal se situent dans les entreprises multinationales 9, dans les institutions interna-tionales et au sein de la Commission europenne

    87. La Chine est par exemple passe dun revenu par tte de 125 dollars en 170 2 200 dollars aujourdhui. Il faudrait cepen-dant connatre les indices de dispersion, car on sait que la socit chinoise devient de plus en plus ingalitaire.88. Organisation mondiale du commerce, http://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/10ben_f/10b00_f.htm.8. T. Dromard, Le Conseil danalyse conomique prne une libralisation du march des crales , Le Figaro, 25 avril 2007.0. P. Aghion, . Cohen et J. Pisani-Ferry, Politique conomique et croissance en Europe , rapport pour le Conseil danalyse conomique, mars 2006.1. Le lien entre cot du travail et comptitivit est pourtant loin dtre vident, comme en tmoignent les cas du Japon et de lAllemagne, qui gagnent des parts de march lexportation vers les pays mergents alors mme que leurs cots salariaux sont levs.2. Plusieurs grandes entreprises comme Xerox Corporation, Goldman Sachs, Ford, Philips, Daimler Chrysler, Lafarge, Boeing, Unilever ou encore Suez font ainsi partie du Transatlantic Business Dialogue (TABD), lobby qui aide prparer les runions du Partenariat conomique transatlantique (PET) et vise rduire les barrires (non) tarifaires limitant le commerce, http://www.tabd.com/stories/storyReader$250.

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    1 (qui dispose dun mandat du Conseil europen pour ngocier des accords bi- et multilatraux). Ces derniers estiment par exemple quune co-nomie transatlantique pleinement intgre, dans laquelle toutes les barrires tarifaires subsistantes seraient limines, pourrait engendrer une crois-sance du PIB de 3 %, aux tats-Unis comme en Europe. Alors que le march mondial crot, les cots de ces dispositifs inefficaces [barrires non tarifaires et alignement par rgulation] croissent de la mme manire empchant la cration dun million de nouveaux emplois, daprs une esti-mation de lOCDE, et dun gain de croissance par tte aux tats-Unis et dans lUnion europenne de 3, % 93. Libralisation, croissance conomi-que, dveloppement conomique, dveloppe-ment social, tel est le schma idal des partisans de la libralisation maximale des changes 9.

    Il sagit ds lors de plaider, dans tous les sec-teurs (agriculture 9, nergie, tlcommunications, transports), pour une libert totale de la circu-lation des marchandises et des capitaux, et donc pour une intervention minimale des tats dans la marche de lconomie. La rcente runion du PET, le 30 avril dernier, a mme envisag de crer un systme dalerte dont le but serait didentifier les obstacles dloyaux aux exportations des entrepri-ses europennes, comme par exemple les rgle-ments nationaux, qui pnalisent les investisseurs trangers et, le cas chant, dexercer des pressions diplomatiques sur les pays fautifs 9. Lagenda de Lisbonne consiste de la mme manire rduire les contraintes, notamment administratives, pesant sur les entreprises et crer un environnement favora-ble aux affaires 97 . Les rgulations instaures dans le cadre de lOMC visent elles aussi dessaisir les tats de leur pouvoir daction et de rgulation. Au

    . OECD Economics Department, The benefits of liberalis-ing product markets and reducing barriers to international trade and investment: the case of the United States and the European Union , Working Paper, n 2, mai 2005, p. 1-5.4. Une Europe comptitive dans une conomie mondialise : une contribution la stratgie europenne pour la croissance et lemploi , communication de la Commission au Conseil, au Parlement europen, au Comit conomique et social europen et au Comit des rgions, 4 dcembre 2006, p. 5., http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/07/10&format-=PDF&aged=0&language=FR&guiLanguage=en5. P. Chalmain, Le temps est largement venu de supprimer toute forme de gestion communautaire des marchs, au moins en ce qui concerne les crales , cit par T. Dromard, op. cit.6. EU on alert for trade barriers , International Herald Tribune, 18 avril 2007.7. W. Kok, Facing the challenge: the Lisbon strategy for growth and employment , rapport du High Level Group, Europeans communities, novembre 2004, p. 6. Voir galement Commission europenne, Working together for growth and jobs: a new start for the Lisbon strategy , communication au Conseil europen, Bruxelles, 2 fvrier 2005, COM (2005), 24.

    nom des rgles du jeu international valables pour tous les pays et contrles par un arbitre digne de confiance et impartial (lOrgane de rglement des diffrends, OrD), les gouvernements nationaux ne sont plus gure en mesure dinterdire certaines importations ou dimposer telle ou telle norme. Les mcanismes de coopration internationale entrent presque invitablement en conflit avec la sou-verainet nationale. Lorsquils font confiance lOMC, les gouvernements se restituent eux-mmes une part de la souverainet quils avaient perdue dans le processus de la mondialisation []. Ils reprennent partiellement en mains leur desti-ne conomique au niveau multilatral , plaide Supachai Panitchpakdi 98. Dans cette perspective, les ventuelles rgulations doivent tre produites par le march lui-mme, cest--dire par les firmes et les consommateurs. La logique de ce discours est particulirement claire chez un conomiste comme Patrick Messerlin. Ce dernier prend lexemple de la relation entre commerce et normes sociales. Que peuvent faire les pays industrialiss ? Imposer des normes sociales aux pays en voie de dveloppe-ment reviendrait pratiquer du protectionnisme dguis 99, ce qui serait trs ngatif aussi bien pour les entreprises exportatrices que pour les consom-mateurs du pays importateur. Qui plus est, dans le domaine des normes sociales, un gouvernement dun pays industrialis ne peut rien faire car il sera vite captur par des groupes de pression et par une attitude protectionniste 00 . Ltat ne peut et ne doit donc pas agir par le commerce mais par des aides directes octroyes sous conditions (en fonction de la relle volont du pays aid de dvelopper tel ou tel dispositif fondamental : cole, sant). Seules les firmes peuvent en ralit faire quelque chose : crer des labels en disant que telle chaussure, telle chemise, tel caf a t fabriqu dans des conditions sociales et/ou environnementales juges accep-tables. Et elles expliquent que, pour cette raison, le prix de vente est suprieur de ou euros. Ce sont in fine les consommateurs qui acceptent ou nacceptent pas. La labellisation confre lindi-vidu consommateur la libert et la responsabilit de ses choix. responsabilit individuelle en ultime

    8. S. Panitchpakdi (dir.), LAvenir de lOMC : relever les dfis institutionnels du nouveau millnaire, OMC, 2004, http://www.wto.org/french/thewto_f/10anniv_f/future_wto_f.pdf.. Lorsque Bill Clinton a affirm, lors de la runion de lOMC Seattle en 1, quil y aurait des sanctions commerciales si les autres pays ne respectaient pas les normes sociales exiges par le syndicat AFL-CIO, plus de 120 pays en voie de dveloppement ont hurl en rpondant que ctait absolument inadmissible.100. P. Messerlin, Libert du commerce, libert indivi-duelle , confrence du 16 fvrier 2000 lInstitut dtudes politiques de Paris, http://www.euro2.com/new/article.php?id_article=616.

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    17

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    ressort, mais aussi responsabilit des entreprises qui devront fournir la meilleure information pos-sible sur leurs produits, ltat pouvant avoir l aussi un rle de contrle de la validit des informa-tions 0. Personne nest en droit dimposer aux uns ou aux autres une certaine structure de consomma-tion (pourquoi interdire des produits contenant des OGM dont on ne connat pas clairement les effets alors quon autorise les importations de tabac dont on sait quelles reprsentent un risque ?), ce nest donc pas ltat de dcider qui peut consommer quoi quel moment.

    La conception libraliste du commerce international

    Selon les libraux, la dsindustrialisation est un phnomne normal de lvolution des conomies europennes. Aprs lagriculture et lindustrie, les conomies modernes doivent tre bases, dun ct, sur des professions hautement qualifies, dans des activits de recherche, dinnovation, de dveloppe-ment et dorganisation, de lautre, sur des emplois de services. Cest une condition sine qua non pour laugmentation de la productivit. Aucune politique publique nest a priori ncessaire, sauf celle consistant laisser lvolution se faire, voire mme lacclrer, en ouvrant les frontires et en laissant la concurrence jouer. Par contre, lEurope souffre dun grand nombre de rigidits en matire de rglementation du march des biens, de droit du travail, du droit du licenciement, du niveau des salaires ; le poids des dpenses publi-ques, et en particulier celles de protection sociale, pse lourdement sur le secteur concurrentiel. Il faut donc rformer et allger le modle social europen pour tre comptitif. Les impts doivent tre rduits, la lgislation du travail allge, la protection sociale doit devenir compatible avec la mondialisation. Le march mondial fixera le prix des salaires des tra-vailleurs hautement qualifis, le march national celui des travailleurs protgs des services. Le niveau de salaire de ces derniers sera dautant plus fort que celui des travailleurs hautement qualifis sera lev, puisque le dveloppement des exportations de biens haut contenu en valeur ajoute induira une hausse des emplois et des salaires des travailleurs hautement qualifis, donc une hausse de leur demande de ser-vices. Il ny a bien sr aucune preuve que lquilibre ainsi obtenu soit socialement acceptable, que les dif-frences de revenus ne soient pas trop fortes 102

    101. E. Fabry (dir.), op. cit.102. C. Mathieu, H. Sterdyniak, Face aux dlocalisa-tions, quelle politique conomique en France, Revue

    Un second point de vue considre, contrai-rement aux libralistes , que les pays mer-gents constituent une relle menace. La politique chinoise pourra sappuyer pendant longtemps sur un secteur conomique traditionnel o la main-duvre est docile et disponible, et ce dautant plus quon observe quasiment aucun dcollage du systme salarial et que la mon-naie reste volontairement sous-value. Le mar-ch national chinois noffrira alors que peu de dbouchs ses partenaires commerciaux (et ce dautant plus quelle aura de moins en moins recours ceux-ci pour produire des biens comme les avions de ligne, les centrales nuclaires) 03. Plus fondamentalement, il se trouvera toujours de la main-duvre pas chre (mme qualifie) pour concurrencer les travailleurs du nord. Aujourdhui lInde 0, demain la Chine, aprs-demain pourquoi pas des pays africains. Et si lon peut rver que dans un sicle lensemble de ces pays aura acquis un niveau de dveloppement semblable aux pays Occidentaux, il demeure que pendant cette priode un chmage de masse et/ou des ingalits croissantes risquent de toucher les socits dveloppes. Pour Dani rodrik, il existe des risques de dsintgration sociale ds lors que les cots et les gains des ragence-ments productifs sont rpartis de manire trs htrogne entre les groupes sociaux 0. Lenjeu nest finalement pas tant la Chine ni mme les (d)localisations que lensemble du fonctionne-ment fond sur une concurrence peu loyale : La rfrence au modle chinois doit tre comprise de faon extensive : ce nest pas seulement la Chine qui est en cause mais un fonctionnement dans lequel la variable prix et singulirement le prix de la main-duvre devient le critre dominant de la concurrence, au dtriment de la protection sociale ou de lavenir de la plante 0.

    de lOFCE, n 4, juillet 2005, p. 172, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue-textes/r4/8-4.pdf.10. J.-L. Grau, op. cit.104. Notons qu la menace des dlocalisations vers des pays dAsie en dveloppement sajoute celle de dlocalisations vers les pays dEurope centrale et orientale (PECO) : Si les salaires y sont plus levs quen Asie en dveloppement, les PECO bnficient dun avantage en termes de proximit gographique auquel sajoute, avec lentre dans lUE, un avantage institution-nel en termes de scurit juridique, ainsi quune stabilit poli-tique et sociale , in C. Mathieu, H. Sterdyniak, op. cit., p. 16.105. D. Rodrik, Has Globalization Gone Too Far?, Institute For International economics, Washington, 17.106. P. Cohen, Encore un ultime effort pour un dbat rationnel ! , http://www.protectionnisme.eu/index.php?subaction=categorie&id_categorie=6778.

  • libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?Fo

    ndat

    ion

    pour

    lin

    nova

    tion

    polit

    ique

    | do

    cum

    ent

    de t

    rava

    il

    1 v les choix ambigus de lunion europenneSi toute dlocalisation nest pas ncessaire-

    ment ngative (par exemple lorsquelle prend la forme dinvestissements directs ltranger), certaines peuvent selon Francis Grignon, auteur dun rapport en 00 sur la question, conduire une logique de substitution des emplois et dajustement par le bas des grilles salariales et des systmes de protection sociale et envi-ronnementale 07. Jusquo pousser ds lors la logique de comptitivit ? Dans quelle mesure, et comment, les pouvoirs publics (nationaux et europens) pourraient-ils et devraient-ils rguler le commerce international ? LUnion europenne semble alterner entre les deux points de vue pr-cdemment voqus 08.

    Pass et avenir de la prfrence communautaire

    Le dveloppement de la Communaut euro-penne est directement li au choix dune politique conomique plus ou moins libre-changiste. Le sixime alina du prambule du trait de rome (97) stipule que les chefs des tats membres, dsireux de contribuer, grce une politique commerciale commune, la suppression progres-sive des restrictions aux changes internationaux [], ont dcid de crer une Communaut co-nomique europenne . En ralit, un profond diffrend sur la finalit mme du trait existait lpoque entre les six futurs tats membres : Le but du trait de rome, tait-ce bien de crer une Communaut europenne fonde sur une Union douanire ? Ou tait-ce seulement de relancer un mouvement mondial de libralisation des changes partir de lEurope, comme lavaient envisag certains initialement ? Soccuper de droits de douane, tait-ce seulement loccasion, le moyen, je dirais presque le prtexte, pour faire lEurope ? Ou tait-ce la vraie finalit ? 09 Dun ct une conception profondment politique, de lautre une conception davantage commerciale. Do un compromis fondamentalement ambigu quon retrouve dans le nom mme du trait de rome, selon quon lappelle Communaut co-nomique europenne ou March commun .

    107. F. Grignon, Dlocalisations : pour un nocolbertisme europen , rapport dinformation n 74 200-2004 fait au nom de la commission des affaires conomiques du Snat, dpos le 2 juin 2004, http://www.senat.fr/rap/r0-74/r0-74_mono.html.108. J.-L. Gaffard and M. Qur, op. cit.10. J.-F. Deniau, LEurope interdite, Seuil, Paris, 177.

    Les Franais demandaient que lagriculture communautaire jout dune prfrence tarifaire, ce quoi plusieurs de nos partenaires, notamment les Allemands, sopposaient pour des raisons doctrina-les. Cette rsistance tait dautant moins justifie que lagriculture allemande, comme celle de tous les pays membres, tait fortement protge. Il suffisait que les protections nationales fussent fon-dues en une protection communautaire, en mme temps que serait tablie une libre circulation des produits agricoles lintrieur de la Communaut, pour que la politique agricole commune vt le jour. Mais il fallait trouver le moyen de tourner lobstacle que reprsentait le mot de prfrence. Je pen-sai lavoir trouv avec lide que dans un march commun, o les produits industriels circuleraient librement, des prix videmment voisins, il tait inimaginable que les gouvernements, ou les orga-nismes agricoles qui en dpendaient, payent des prix diffrents aux producteurs de marchandises agricoles selon la nationalit de ceux-ci []. La notion de prfrence serait ainsi remplace par celle de non-discrimination 110.

    Larticle du trait exprime ainsi une notion proche de celle de la prfrence communau-taire : il prcise que les prix minima ne doivent pas tre appliqus de manire faire obstacle au dveloppement dune prfrence naturelle entre les tats membres . Deux instruments ont ds lors vritablement donn vie cette notion : le tarif extrieur commun et la politique agricole commune. Le principe de la prfrence commu-nautaire , bien que ne figurant pas explicitement dans les textes, dcoule donc de la mise en place du prlvement communautaire .

    Au fil des dcennies lEurope est devenu un exportateur mondial de premier plan. La pres-sion internationale, et notamment amricaine, sest faite ds lors plus forte et a abouti laccord sign le avril 99 Marrakech mettant fin lexception agricole qui prvalait jusque-l (cest--dire la non-application lagriculture des rgles du GATT, General Agreement on Tariffs and Trade). Au fil des largissements, les tendances favorables au libre-change nont cess de se renforcer. La succession des cycles

    110. R. Marjolin, Le Travail dune vie. Mmoires (1911-1986), Robert Laffont, Paris, 186.111. Le prlvement est en fait un droit de douane variable qui est calcul par diffrence entre le prix de seuil (de niveau lev et fixe) et le prix dentre dans la Communaut des mar-chandises provenant de pays tiers (de niveau trs infrieur et variable en fonction des cours mondiaux).

  • Fond

    atio

    n po

    ur l

    inno

    vatio

    n po

    litiq

    ue |

    docu

    men

    t de

    tra

    vail

    1

    libre-change, protectionnisme : comment sortir dun faux dilemme ?

    de ngociation a permis ces dernires de lem-porter et de dmanteler les outils dune prf-rence communautaire qui, aux yeux des autres parties prenantes aux ngociations du GATT, nest toujours apparue que comme lutilisation des outils traditionnels du protectionnisme . Le trait dAmsterdam de 997 va jusqu abro-ger le seul article (-) du trait de rome qui faisait rfrence la prfrence naturelle . Et dans un arrt du 0 mars 00, la Cour de justice des communauts europennes affirme clairement que la prfrence communautaire est un principe qui na pas de valeur juridique mais une valeur politique. La dfense dune prf-rence communautaire , entendue comme un relvement des droits de douane pour bloquer lentre de produits dans lUnion europenne, va dsormais lencontre des dispositions des traits mais aussi lencontre des engagements pris auprs de lOMC. LUnion europenne a en effet consolid ses droits de douane lOMC au niveau effectivement appliqu. LUnion ne peut donc, sans consquence, relever ses droits de douane au-dessus de ce niveau consolid. Si elle le voulait malgr tout pour certains produits, elle devrait offrir et ngocier avec ses partenaires des compensations commerciales dimportance identique la dconsolidation ainsi opre, par exemple sous la forme dune baisse du droit de douane sur un autre produit. Des tats ont dj tent de relever leurs droits de douane sur certains produits, mais sans succs. En mars 00, les tats-Unis avaient par exemple dcid dap-pliquer des droits supplmentaires de 8 % 30 % sur les aciers imports, pour une dure de trois ans, afin de protger leur industrie. Ils ont t condamns en novembre 003 par lOrD. Les ngociations au sein de lOMC entranent donc mcaniquement une rosion de la prfrence communautaire et une baisse des droits.

    Ayant pour mission