Revue generale
AVC graves : pronostic, criteres d’admission en reanimationet decisions de limitations et arret de traitements§
Severe stroke: Prognosis, intensive care admission and withhold andwithdrawal treatment decisions§
S. Crozier a,*, F. Santoli b, H. Outin c, P. Aegerter d, X. Ducrocq e, P.-E. Bollaert f
aService urgences cerebrovasculaires, CHU Pitie-Salpetriere, 47–83, boulevard de l’Hopital, 75651 Paris cedex 13, Franceb Service de reanimation, hopital Robert-Ballanger, boulevard R.-Ballanger, 93602 Aulnay-sous-bois, FrancecService de reanimation medicochirurgicale, centre hospitalier de Poissy Saint-Germain-en-Laye, rue du Champ-Gaillard,
78303 Poissy cedex, FrancedService de sante publique, hopital A.-Pare, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, FranceeService de neurologie, hopital central, CHU de Nancy, 29, avenue du Marechal-de-Lattre-de-Tassigny, 54035 Nancy cedex, FrancefService de reanimation medicale, hopital Central, CHU de Nancy, 29, avenue du Marechal-de-Lattre-de-Tassigny, 54035 Nancy cedex, France
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i n f o a r t i c l e
Historique de l’article :
Recu le 20 aout 2010
Recu sous la forme revisee le
26 novembre 2010
Accepte le 17 janvier 2011
Disponible sur Internet le
11 mai 2011
Mots cles :
Accident vasculaire cerebral
Reanimation
Ventilation mecanique
Limitations des therapeutiques
Pronostic neurologique
r e s u m e
Introduction. – La prise en charge en reanimation des malades victimes d’un accident
vasculaire cerebral (AVC) et surtout la mise en œuvre d’une ventilation mecanique sont
souvent considerees avec fatalisme. Les donnees de la litterature, variables et inhomogenes,
meritent d’etre discutees notamment lors de decisions de limitations ou d’arret de traite-
ments (LAT).
Etat des connaissances. – Le pronostic souvent defavorable en cas de ventilation mecanique
avec une lourde morbi-mortalite, continue de nourrir d’importantes controverses sur le
benefice des techniques de reanimation a la phase aigue des AVC. Dans ce contexte, des LAT
sont parfois discutees quand la survie peut ne pas etre souhaitee ou souhaitable. Les
decisions de LAT ou les consignes de « non reanimation » (« DNR orders ») sont actuellement
peu connues, mais seraient relativement frequentes puisque les « DNR orders » concerne-
raient environ 30 % des patients admis pour un AVC.
Perspectives et conclusion. – Les decisions de LAT sont complexes car elles s’appuient sur une
prediction de handicap et de qualite de vie par essence incertaine. Elles necessitent une
reflexion ethique qui prend en compte l’incertitude pronostique, les souhaits et valeurs du
patient et certaines contraintes organisationnelles. Les recommandations proposees par la
SRLF s’inscrivent dans cette perspective.
# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.
§ Texte argumentaire des recommandations formalisees d’experts de la Societe de reanimation de langue francaise concernant la priseen charge de l’AVC par le reanimateur.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Crozier).0035-3787/$ – see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.doi:10.1016/j.neurol.2011.01.012
a b s t r a c t
Introduction. – Stroke can produce irreversible brain damage of massive proportion leading
to severe disability and poor quality of life. Resuscitation and mechanical ventilation of these
patients remain controversial because of the high mortality and severe disability involved.
State of art. – When prognosis is very poor, do-not-resuscitate orders (DNR orders) and
withhold or withdrawal of treatment may be discussed. Studies have shown that DNR
orders are relatively frequent in acute stroke: up to 30% of all patients, and 50% of which are
given upon admission. DNR orders are closely associated with severity of the neurological
deficit and age. Precise estimates of withhold and withdrawal of treatment are not available,
but terminal extubations in severe stroke could contribute to 40,000 to 60,000 acute stage
deaths per year. Little is known about the decision making process and palliative care in
these situations. The neurological prognosis is the main explicit criterion. However, evalua-
tion of neurological outcome is highly uncertain and difficult, and does not always reflect
quality of life. Several studies have raised the issue of this disability paradox. Thus, physician
estimation of prognosis has a profound impact on decisions for life sustaining therapies, and
may lead to self-fulfilling prophecies in case of false appreciation of published evidence.
Other criteria could influence the withhold and withdrawal of treatment decision, such as
social conditions and patient values.
Perspectives and conclusion. – Decisions for life-sustaining therapies in severe stroke are
always difficult and often based on subjective and uncertain criteria. We have to improve
prognosis estimation and our understanding of patient preferences to promote patient-
centered care. An ethical approach may guide these complex decisions.
# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords:StrokeResuscitationMechanical ventilationTherapeutic limitsNeurological prognosis
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Le pronostic des accidents vasculaires cerebraux (AVC) est
tres variable et principalement lie a la severite du deficit
neurologique initial, a l’age et a l’existence de comorbidites
lourdes associees. La prise en charge en reanimation et
notamment le recours a une ventilation mecanique (VM) au
cours de l’evolution d’un AVC sont egalement souvent
associes a un pronostic defavorable (deces ou handicap
severe), amenant a considerer ces situations avec un certain
fatalisme. Par ailleurs, la mise en route d’une ventilation
artificielle dans ces situations reste aussi tres controversee du
fait de donnees pronostiques dans la litterature variables et
inhomogenes. Ainsi, dans ce contexte, des decisions de
limitations et/ou d’arret de traitements (LAT) sont parfois
discutees quand la survie peut ne pas etre souhaitee ou
souhaitable. Ces decisions medicales sont complexes car elles
s’appuient sur une prediction de handicap et de qualite de vie
par essence incertaine et suscitent de nombreuses questions
ethiques. Cet article accompagne et tient lieu d’argumentaire
aux recommandations proposees par la Societe de reanima-
tion de langue francaise (SRLF) concernant les criteres
d’admission en reanimation et les decisions de LAT a la
phase aigue des AVC.
1. Prise en charge des AVC en reanimation,indications, modalites et benefices attendus(hemorragies sous-arachnoıdiennes exclues)
1.1. Pronostic des AVC
Le pronostic des AVC depend principalement de la gravite
neurologique initiale, de l’age et du volume de la lesion
cerebrale. D’une facon generale, les hemorragies cerebrales
(HC) ont une evolution plus defavorable que les infarctus
cerebraux (IC) : leur mortalite a un mois est de 27,5 % versus
11,5 % dans les IC, et moins de 30 % des patients sont
independants a un an versus 50 % pour les IC (Bardet, 2007). La
plupart des deces survenant au cours des premiers jours sont
la consequence de l’atteinte neurologique ou de complications
neurologiques dont l’œdeme et l’augmentation de la pression
intracranienne. Les deces ulterieurs sont essentiellement dus
a des complications generales (infections, infarctus du
myocarde, embolie pulmonaire, etc.).
Si le score de Glasgow est un critere predictif de mortalite
des AVC, il reste tres insuffisant pour predire le handicap.
L’evaluation initiale de la gravite de l’AVC passe principale-
ment par une echelle clinique, le score National Institute
Health Stroke Scale (NIHSS) et par des facteurs pronostiques
surtout etudies dans la situation des AVC graves.
L’echelle NIHSS est l’une des plus utilisees dans l’AVC aigu
notamment depuis l’essai randomise americain du tPA dans
l’IC aigu (NINDS, 1995). L’echelle NIHSS est cotee de 0 (normal)
a 42 (score maximum). Elle est composee de 11 items explorant
la conscience, l’oculomotricite, le champ visuel, la motricite, la
sensibilite, l’ataxie, le langage et la negligence. Un AVC est
defini comme mineur si le score est entre 0 et 5, modere pour
un score entre 6 et 10, severe pour un score entre 11 et 15, tres
severe si le score est entre 16 et 20 et gravissime pour un score
superieur a 20. Sa valeur predictive du pronostic fonctionnel,
de la duree d’hospitalisation, du devenir du patient a la sortie
de l’unite aigue est de plus en plus reconnue. Certaines etudes
ont ainsi montre que le deficit neurologique initial evalue avec
le score NIHSS etait predictif de l’evolution (handicap) a trois
mois (Frankel et al., 2000) et de la duree d’hospitalisation.
(Chang et al., 2002) Ainsi, environ trois quarts des patients avec
un score NIHSS superieur a 17 sont morts ou grabataires a trois
mois, c’est-a-dire avec un score de handicap modifie de
Rankin entre 4 et 6, alors que pour un score NIHSS inferieur ou
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egal a 17 ils ne sont plus qu’un tiers. Ce score actuellement tres
utilise a la phase aigue des AVC dans les unites neurovascu-
laires (UNV), reste peu ou pas utilise en reanimation. Son
interet dans la prise en charge des AVC graves pourrait
cependant s’averer utile en particulier pour l’evaluation
pronostique du handicap neurologique.
1.1.1. Les facteurs pronostiques des ICLes principaux facteurs pronostiques de mortalite identifies
dans les etudes sont : le niveau de vigilance (Henon et al.,
1995), l’age, l’hyperglycemie a l’admission (Williams et al.,
2002) et l’hyperthermie (Kammersgaard et al., 2002). Par
ailleurs, certains criteres radiologiques peuvent etre predictifs
d’une evolution defavorable. Ainsi un volume de l’AIC
superieur a 145 cm3 dans les 24 premieres heures du deficit
en IRM de diffusion, est tres predictif d’un risque d’œdeme
malin (Oppenheim et al., 2000). De meme le volume de
l’infarctus et/ou de la penombre en IRM peut predire le
handicap residuel a trois mois (Barber et al., 1998). D’autres
etudes ont egalement montre l’interet d’un critere composite
associant le score NIHSS au volume initial de l’IC en IRM pour
l’evaluation pronostique (Baird et al., 2001). Enfin, l’occlusion
de l’artere cerebrale moyenne est un facteur de mauvais
pronostic a trois mois (mortalite et handicap), de meme la
detection precoce d’occlusions ou de stenoses serrees arte-
rielles, en particulier dans le territoire vertebrobasilaire, est
fortement correlee a la mortalite a trois mois (Ois et al., 2007).
1.1.2. Les facteurs pronostiques des hemorragiescerebrales (HC)Les HC ont en general un pronostic plus severe avec une
mortalite de 60 % a un an versus 25 % pour les IC. Elles sont
aussi a l’origine de lourdes sequelles neurologiques avec
seulement 20 % de patients independants a six mois (Broderick
et al., 1999). Cette morbi-mortalite est largement influencee
par les complications survenant a la phase aigue : complica-
tions generales dues a la gravite neurologique de l’HC et
complications neurologiques, principalement la recidive
hemorragique, l’hypertension intracranienne et les crises
d’epilepsie. Le volume de l’hematome est un facteur pronostic
majeur ; en effet en cas de volume superieur a 60 mL, la
mortalite a 30 jours est de 71 % pour les HC lobaires et de 93 %
pour les HC profonds. Si on ajoute a ce critere de volume, un
score de Glasgow inferieur a 8, le risque de deces est alors de
91 % a 30 jours (Broderick et al., 1993).
Par ailleurs, certains facteurs peuvent majorer la gravite
des AVC comme l’hypoxie, l’hypercapnie ou l’hypocapnie
excessive, une hypotension ou une hypertension majeure, un
trouble hydroelectrolytique (glycemie et natremie), la pre-
sence de toxiques, une prescription eventuelle actuelle ou
recente de sedatifs, un sepsis sous-jacent, une crise d’epilepsie
ou un etat de mal ou encore une hydrocephalie. Il est donc
important d’en tenir compte lors de l’evaluation du pronostic
neurologique. Enfin, l’autonomie anterieure et les comorbi-
dites associees modifient aussi le pronostic et sont a evoquer
dans la prediction du handicap et la qualite de vie future.
1.1.3. Pronostic des AVC en reanimationUne VM serait discutee dans 20 a 30 % des AVC mais ne serait
entreprise que dans 5 a 8 % des cas (Leker et Ben-Hur, 2000). Le
pronostic des patients « ventiles » est sombre mais tres
variable dans les etudes. En effet, dans ces situations environ
60 % des patients sont decedes a un mois, 70 % a un an et 25 a
100 % des survivants gardent un handicap tres severe a un an
(Holloway et al., 2005). Ces estimations issues d’etudes pour la
majorite retrospectives et inhomogenes du fait d’indications
variees de la VM et d’outils differents de mesure du pronostic
fonctionnel, entretiennent une controverse importante sur le
benefice d’une reanimation pour les AVC graves (Berrouschot
et al., 2000 ; Burtin et al., 1994 ; Bushnell et al., 1999 ; El-Ad et al.,
1996 ; Grotta et al., 1995 ; Gujjar et al., 1998 ; Santoli et al., 2001 ;
Steiner et al., 1997).
Par ailleurs, les etudes conduites en reanimation ont
identifie un certain nombre de criteres pronostiques. Les
principaux facteurs de mortalite identifies dans une revue de
la litterature reprenant 83 etudes publiees, sont pour les IC ; les
IC sylviens malins, les IC cerebelleux avec troubles de la
vigilance et/ou hydrocephalie et les IC par occlusion du tronc
basilaire avec coma et pour les HC : un score de Glasgow
inferieur a 8, un age superieur a 80 ans, la localisation
pontique ou mesencephalique et l’absence de reflexe corneen,
et l’hydrocephalie dans les HC cerebelleuses (Wijdicks et
Rabinstein, 2004). Il faut neanmoins noter que la chirurgie doit
etre discutee dans les situations d’IC cerebelleux avec
hydrocephalie (drainage ventriculaire externe) ou d’IC syl-
viens malins (craniectomie decompressive) car elle peut
parfois ameliorer le pronostic de facon importante. Le benefice
de la chirurgie dans ces indications est principalement lie a la
precocite du geste qui, la decision prise, ne doit pas etre
retarde (Vahedi et al., 2007).
Dans une autre revue portant sur le pronostic des AVC
sous VM, les facteurs associes a une augmentation de la
mortalite etaient les suivants : l’engagement cerebral,
l’hemorragie pontique avec hyperthermie, l’occlusion du
tronc basilaire avec coma et apnee, la persistance d’un coma
et l’absence de reflexe pupillaire ou corneen a j2 ou j3
(Holloway et al., 2005). Par ailleurs, les facteurs associes a
une plus lourde morbidite etaient : les IC sylviens etendus,
les AVC pontiques responsables de « locked-in syndrom », la
presence de comorbidites (comme une cardiomyopathie ou
une demence), d’une fievre et d’une deviation de la ligne
mediane au scanner cerebral. Enfin, d’autres facteurs etaient
plutot associes a un meilleur pronostic, comme une intuba-
tion pour crises d’epilepsie ou pour detresse respiratoire
plutot que neurologique, le jeune age, la presence d’un
conjoint, une recuperation initiale rapide et une temperature
basse.
Une synthese de toutes ces etudes est difficile car les
criteres de jugements sont differents, le mauvais pronostic
pouvant etre defini par la mort ou par des criteres combines
avec un handicap de severite variable. Ainsi, si certains
criteres de gravite permettent une estimation du pronostic
vital avec plus ou moins de fiabilite, la prediction du
handicap, et plus encore celle de la qualite de vie, reste
particulierement complexe a la phase aigue des AVC
graves.
Enfin, l’evaluation du pronostic neurologique d’un
AVC necessite toujours du temps, ce qui necessite une
certaine prudence dans l’evaluation faite les premiers
jours.
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1.2. Indications de reanimation (ventilation mecanique)
Il n’existe pas a ce jour de criteres precis d’admission en
reanimation des AVC. En general, la decision de reanimation
depend des indicateurs neurologiques du pronostic prece-
demment cites, des defaillances d’organes associees, de l’etat
anterieur mais aussi des souhaits du patient ou de sa personne
de confiance et a defaut de l’avis de l’entourage – susceptibles
d’evoluer et du mode de vie (entourage familial et social).
L’indication de la reanimation depend egalement du motif de
la detresse vitale : gravite de l’atteinte neurologique en elle-
meme ; consequences de l’atteinte neurologique (par exemple
pneumonie d’inhalation induite par des troubles de la
deglutition, ne temoignant pas toujours d’un AVC etendu) ;
evenement intercurrent independant de la pathologie cere-
brale (choc septique par exemple), decompensation de
pathologies sous-jacente (œdeme pulmonaire aigu [OAP] sur
cardiopathie ischemique par exemple, etc.).
Par ailleurs, on peut distinguer les decisions de reanimation
a prendre dans des situations d’urgence des decisions pouvant
etre anticipees (en cas d’aggravation) : dans le cadre de
l’urgence, l’incertitude du diagnostic et du pronostic neurolo-
gique a la phase aigue peut justifier une reanimation dite
« d’attente » dans l’interet du patient, lorsque tous les elements
necessaires a la prise de decision ne sont pas documentes. Pour
les patients deja hospitalises pour un AVC, l’eventualite d’une
reanimation en cas d’aggravation doit faire l’objet d’une
anticipation de decision, concertee, entre reanimateurs et
neurologues. Les differents motifs d’aggravation eventuelle
seront discutes afin de decider s’ils justifient ou non une
reanimation.Ces decisions,argumentees,sontensuite inscrites
dans le dossier medical, avec parfois des items conditionnels
(par exemple reanimation en cas de decompensation respira-
toire mais pas en cas d’aggravation neurologique).
Les autres indications potentielles d’hospitalisation en
reanimation peuvent etre la maıtrise difficile des facteurs
d’agression cerebrale, ou le recours a des techniques de
suppleance delicates a gerer comme les epurations extrare-
nales ou la ventilation non invasive (soit pour une affection
anterieure ou pour un OAP par exemple). Enfin, l’admission en
reanimation peut etre discutee pour la prise en charge d’un
patient presentant un AVC massif dont l’evolution probable
est la mort encephalique, dans l’eventualite d’un prelevement
d’organe.
2. Limitations et arret de traitement a la phaseaigue des AVC graves
Le pronostic parfois tres sombre des AVC graves amene a
discuter l’absence d’initiation, la limitation ou l’arret de
certains traitements, consideres comme « futiles ». Le concept
de futilite, ou « futility » anglo-saxon, est ainsi evoque lorsque
la synthese des elements anamnestiques, cliniques et para-
cliniques ne permet pas d’esperer de benefice « global » pour le
patient (Schneiderman et al., 1990). On distingue le plus
souvent dans la litterature, les decisions de « non
reanimation » ou « do-not-resuscitate orders » (« DNR
orders ») prises a la phase aigue des AVC, des decisions de
LAT (principalement les extubations en reanimation).
2.1. Decisions de « non reanimation » a la phase aiguedes AVC
Les consignes de « DNR orders » concernent principalement
l’absence de reanimation en cas de defaillance cardiorespira-
toire, et sont le plus souvent l’expression de la volonte du
patient ou le fruit d’une decision partagee. Elles sont prises
dans les situations ou la mise en route d’une technique
invasive semble disproportionnee au regard d’un pronostic
vital ou fonctionnel particulierement severe, et ce parfois des
les premieres heures de la prise en charge. Ces decisions ne
sont pas rares. Selon les etudes, on retrouve en effet 12 a 34 %
de « DNR orders » parmi les patients admis pour un AVC aux
urgences. (Alexandrov et al., 1995 ; Hemphill et al., 2004). Il est
interessant de noter que 53 % de ces decisions sont prises dans
les 24 premieres heures, suggerant une evaluation pronos-
tique tres precoce et une absence d’admission en reanimation
(Alexandrov et al., 1995).
Les facteurs associes aux « DNR orders » sont principale-
ment la gravite neurologique, en particulier le coma initial,
mais aussi l’age, les comorbidites associees graves et l’auto-
nomie anterieure (Shepardson et al., 1997). Une autre etude
multicentrique a montre que la mortalite des patients
victimes d’une HC etait principalement liee aux pratiques et
habitudes medicales de certains hopitaux, comme la fre-
quence des « DNR orders », frequence inversement propor-
tionnelle a celle des gestes « invasifs » comme l’hemi-
craniectomie ou la derivation ventriculaire (Hemphill et al.,
2004). Ainsi cette etude, qui concernait plus de 8000 patients,
souligne que la mortalite des hemorragies cerebrales n’est pas
seulement liee a la gravite des patients et la decision de non
reanimation, mais qu’elle depend aussi de contraintes
organisationnelles hospitalieres (comme la possibilite d’avoir
acces a de la chirurgie ou a la radiologie interventionnelle). Par
ailleurs, dans une autre etude, la mortalite a un mois des
patients victimes d’une HC etait multipliee par deux en cas de
« DNR », independamment des facteurs classiquement
associes a la mortalite en cas d’HC (Zahuranec et al., 2007).
Ainsi, la plupart des etudes evaluant les facteurs pronostiques
des HC est biaisee par l’existence frequente de ces « DNR
orders », facteur confondant extremement difficile voire
impossible a controler (Becker et al., 2001 ; Rabinstein et
Diringer, 2007 ; Zahuranec et al., 2007). Le pronostic tres
sombre des HC (notamment la mortalite elevee) est donc a la
fois la cause et la consequence de decisions de non
reanimation.
2.2. Decisions de limitation et arret des therapeutiques(LAT) a la phase aigue des AVC graves
Dans la litterature, les donnees sur les LAT des AVC graves
sont rares et concernent principalement les patients en
reanimation. Des « extubations terminales » seraient prati-
quees chez 5 a 10 % des AVC ischemiques ventiles et 25 a 30 %
des HC, conduisant a 40 000 a 60 000 morts par AVC aigus par
an aux Etats-Unis. Il semblerait qu’aux Etats-Unis ces
decisions resultent le plus souvent d’une « prise de decision
partagee », c’est-a-dire basee sur l’evaluation pronostique, les
benefices et risques des traitements en cours, et sur les
preferences du patient (Holloway et al., 2005).
1 Loi no 2005-370 du 22 avril 2005. Journal Officiel du 23 avril 2005.
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La frequence et les facteurs associes a ces decisions de LAT,
ou d’extubation « terminale » a la phase aigue des AVC graves,
ne sont pas connus a ce jour. Il existe en revanche quelques
donnees concernant l’ensemble de patients admis en neuro-
reanimation aux Etats-Unis. Ainsi, une etude a montre qu’une
decision d’arret de VM fut prise chez 13 % des patients admis
en neuroreanimation. Les facteurs associes a ce retrait etaient
la gravite neurologique, l’age et un score APACHE II plus eleve
(score de gravite en reanimation et compose de 12 items, et
predictif de mortalite) (Knaus et al., 1985). A l’inverse, l’arret de
VM etait moins frequent chez les Afro-americains et chez les
patients ayant beneficie d’une chirurgie. Cette difference par
rapport a la population blanche reste difficile a expliquer. Les
deux hypotheses avancees par les auteurs sont celles d’une
moins grande confiance dans le systeme medical (conduisant
plutot a poursuivre les traitements meme si les medecins ne
les jugent pas utiles) et d’une croyance religieuse plus
fondamentaliste chez les citoyens afro-americains. Enfin, le
statut marital, l’autonomie anterieure, l’origine « clinique » du
patient (service de neurologie ou de neurochirurgie), le statut
prive ou public de l’assistant et le type d’assurance medicale
maladie n’etaient pas associes aux decisions de retrait de la
VM (Diringer et al., 2001).
2.3. Enjeux ethiques des decisions des LAT a la phaseaigue des AVC « graves »
Si les criteres sur lesquels reposent les decisions de LAT a la
phase aigue des AVC graves sont aujourd’hui peu ou pas
connus, il semble que l’argument, plus ou moins explicite-
ment retrouve dans la litterature pour decider d’une LAT ou
d’une « non reanimation », est celui de la « futilite », c’est-a-
dire de l’absence de benefice a attendre de certains traite-
ments au regard d’un pronostic neurologique juge
« catastrophique » ou sans espoir (Schneiderman et al.,
1990). Derriere cette notion de pronostic catastrophique se
profile souvent celle d’un handicap qui pourrait etre inac-
ceptable ou d’une « vie qui ne vaudrait pas la peine d’etre
vecue ».
Or la prediction du handicap et plus encore celle de la
qualite de vie restent difficile a etablir, en particulier du fait de
l’incertitude du pronostic neurologique, mais aussi de notre
representation du handicap et des contraintes organisation-
nelles liees en particulier au manque de moyens disponibles.
Comme nous l’avons discute plus haut, la prediction du
handicap neurologique reste difficile principalement du fait
du manque de fiabilite et de reproductibilite de ces criteres
pronostiques (Wijdicks et Rabinstein, 2004). De plus, a cette
incertitude du handicap « sequellaire » s’ajoute celle, encore
plus grande, de la qualite de vie future. En effet, le lien entre
handicap et qualite de vie est complexe : d’une part a handicap
« egal », la qualite de vie peut etre tres differente selon les
patients et, d’autre part, la qualite de vie percue (ou imaginee)
par des observateurs exterieurs d’un handicap severe est le
plus souvent bien moins bonne que celle que le patient
rapporte. Cette difference entre handicap percu et handicap
vecu, ou « Disability paradox », est utile a connaıtre quand il
s’agit d’imaginer la qualite de vie future du patient (Albrecht et
Devlieger, 1999). Elle souligne aussi et surtout les capacites
d’adaptation des patients a des handicaps meme tres severes
(les premieres etudes concernaient les tetraplegiques), et les
difficultes pour des personnes exterieures de se representer la
qualite de vie d’autrui. De plus, comme certaines etudes l’ont
montre, ces representations dependent en particulier de l’age,
de la religion, de l’experience, de l’eventuel surmenage et de la
personnalite pessimiste ou optimiste du medecin (Holloway
et al., 2005).
Il convient donc de se mefier des croyances et projections
qui peuvent determiner les decisions medicales et aboutir a
des propheties autorealisatrices. Ces dernieres sont des
croyances (notamment pronostiques) qui modifient des
comportements (limitation de l’engagement therapeutique)
de telle sorte qu’ils font advenir ce que la prophetie annonce.
Elles sont deja demontrees en reanimation (Cook et al., 2003),
mais aussi, comme nous l’avons vu, averees en cas d’HC. La
collegialite des discussions de LAT, inscrite dans la loi du
22 avril 2005, peut etre un moyen d’eviter certaines propheties
autorealisatrices1. Ce dispositif legislatif permet en effet de
susciter une discussion autour des difficultes liees a l’incerti-
tude pronostique et aux croyances qui en decoulent, et d’eviter
des decisions qui pourraient etre arbitraires et dangereuses.
Dans la situation particuliere des AVC, le pronostic neurolo-
gique etant le plus souvent difficile a preciser, la concertation
entre neurologues et reanimateurs peut etre particulierement
utile pour ces decisions delicates de LAT.
Par ailleurs, la representation du handicap dans la societe
et les moyens mis en œuvre pour la prise en charge et la
reinsertion des personnes handicapees jouent un role impor-
tant dans les discussions de LAT, ou la qualite de vie future et
le caractere « supportable » du handicap sont interroges. Or les
resultats d’enquetes realisees aupres de la population ame-
ricaine ont montre que 50 % des personnes interrogees
consideraient les consequences d’un AVC grave comme « pires
que la mort » (Holloway et al., 2005). Cette representation tres
negative de l’AVC grave peut expliquer certains freins a la mise
en œuvre et/ou a la poursuite de certains traitements et le
pessimisme dans la prise en charge de ces patients qui amene
souvent a considerer la reanimation et la VM avec fatalisme
(El-Ad et al., 1996).
3. Conclusion
Les decisions d’admission en reanimation, de mise en œuvre
d’une VM ou d’un arret de traitement a la phase aigue d’un
AVC grave sont particulierement difficiles car elles reposent
sur une estimation pronostique incertaine et font parfois
appel a des concepts delicats comme celui de « vie valant la
peine d’etre vecue ». Elles necessitent une grande prudence et
une evaluation au cas par cas qui engage la responsabilite
medicale. Une reflexion ethique dans cette prise en charge est
indispensable car il ne s’agit ni de poursuivre des traitements
devenus futiles et de s’engager alors dans l’acharnement
therapeutique, ni de limiter des traitements sur des
« croyances pronostiques » pouvant conduire alors a des
propheties autorealisatrices. Une meilleure connaissance du
pronostic des AVC graves, la recherche des valeurs et souhaits
des patients, une prise de conscience des differents biais
r e v u e n e u r o l o g i q u e 1 6 7 ( 2 0 1 1 ) 4 6 8 – 4 7 3 473
intervenant dans ces decisions de LAT, ainsi qu’une discus-
sion et reflexion sur ces decisions devraient permettre de
guider la prise en charge complexe de ces patients.
Declaration d’interets
Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets en
relation avec cet article.
r e f e r e n c e s
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