Dfier le rcit des puissants Ken Loach avec la collaboration de
Frank Barat Nous voici au cur de la rsistance et de la cration tout
la fois. Dfier le rcit des puissants, cest dfier ces films parfaits
formats par Hollywood, faisant de nous des citoyens passifs,
dociles, sans esprit critique. Car ily a bel et bien une esthtique
de la soumission.
En revanche, y a-t-il une esthtique de la rsistance ? Ken Loach
rpond oui . Mais soyons clairs. Sil est un des rares aujourdhui
assurer que la lutte des classes est toujours aussi vivante, il ne
cde jamais pour autant la propagande. Il dit : Je ne filme jamais
un visage en gros plan ; car cest une image hostile, elle rduit
lacteur, le personnage un objet. Or on peut faire ce quon veut dun
objet, lexclure, lexpulser... Mais si la camra est comme un il
humain, alors elle capte toutes les prsences, les motions, les
lumires, les fragilits. Et nous devenons tous des film makers .
Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou Lauteur : Ken Loach, Palme
dor
Cannes en 2006 pour Le vent se lve, est sans conteste lun des
plus grands cinastes engags de notre temps. Il partage sa vie entre
ses films, sa maison de production Sixteen Films Londres, et son
jardin de Bath o il vit avec sa famille. Jimmys Hall est son
dernier film (mai 2014).
Ken Loach Dfier le rcit des puissants avec la collaboration de
Frank Barat (Traduit de langlais par Florent Barat)
REMERCIEMENTS Ce livre est n dun travail dquipe. Il aurait t
trs difficile de le raliser sans les personnes suivantes. Merci
infiniment Ken Loach, un ami et un exemple, pour mavoir fait
confiance et avoir accept de se livrer comme il la fait. Je lui en
suis extrmement reconnaissant. Merci Sylvie Crossman et Jean-
Pierre Barou, pour avoir eu lide dun tel projet aprs avoir lu
lentretien que javais ralis avec Ken Loach pour lmission Le mur a
des oreilles ; Conversations pour la Palestine .
Merci Ann Cattrall, Rebecca OBrien, Paul Laverty, Tania El
Khoury, Ewa Jasiewicz, Maria Matheas, Fay De Pourcq, Herve
Landecker et Rafeef Ziadah pour leur aide, y compris les
commentaires sur les questions et les retours sur le texte lui-mme.
Merci Joss Barratt pour la superbe photo de couverture. Merci ma
famille extraordinaire. Maman, papa, Mae, Christopher, Laury et
Romane. Merci Florent Barat, qui en plus dtre une personne
incroyablement talentueuse, dont les crits me font
rire, pleurer et rflchir, est mon frre et mon plus proche
compagnon depuis trente-trois ans maintenant. Enfin merci Jeanne et
Leo. Pour tre mon tout et sans qui rien ne serait possible. Frank
Barat
INTRODUCTION Les joies de la cration dun film tiennent
limprvisibilit des relations interpersonnelles. tout ce qui fait
que nous sommes humains. Nos fragilits, nos contradictions, nos
checs, nos inadquations. Cest a qui rend le processus
merveilleusement exaltant. Ken Loach
Crer du dsordre Ce livre nest pas uniquement un livre sur les
films de Ken Loach, cest aussi loccasion dexplorer la vie dun
cinaste qui se bat depuis des annes pour construire une socit
quitable et plus juste. Jai pass deux jours discuter avec Ken Loach
dans une petite pice chaleureuse, niche au dernier tage des bureaux
de Sixteen Films, plutt bruyante et claire la lumire naturelle.
Sylvie Crossman et Jean- Pierre Barou, les fondateurs dIndigne
ditions et Florent Barat, qui a assur la traduction franaise de cet
ouvrage, taient galement prsents. Une pice limage du cinaste. Sans
artifices, sans
maquillage, sans fioritures. Une pice o lon sassoit, discute,
rit, dbat, cre, rflchit et coute. Une pice qui en dit long sur cet
homme considr aujourdhui comme lun des plus importants ralisateurs
europens et parmi les plus influents. En effet, peu de cinastes ont
ce point, et avec une telle constance, mis leurs convictions au
service de leurs films, sans pour autant tomber dans la propagande.
Mais en cherchant plutt patiemment, film aprs film, construire une
esthtique de lengagement capable de convaincre un large public,
sensible lefficacit sans appel de lart mme si ce mot, galvaud dans
nos socits utilitaristes, bute parfois sur les lvres
de Ken, minutieux ouvrier de la pellicule, de limage, de la
lumire et du son. Modeste, comme son habitude, Ken ntait pas sr que
quiconque voudrait lentendre ou le lire. Il nous livre pourtant un
rcit fort o la voix dominante nest plus celle des puissants. Au
cours dune carrire de plus de quarante ans, Ken Loach a reu les
prix les plus prestigieux dont la Palme dor p o ur Le vent se lve,
le Csar du meilleur film tranger pour Land and Freedom et Just a
Kiss, ainsi quun Ours dor dhonneur pour lensemble de son uvre au
Festival international du film de Berlin, en 2014. Pour Ken Loach,
il est essentiel de penser le cinma comme un moyen de
briser le rcit des lites, des puissants, un moyen de
contrecarrer la vision dichotomique du nous contre eux , denrayer
la stratgie du diviser pour mieux rgner . Pour moi, activiste
luttant pour la justice sociale, il fut exaltant de discuter
politique avec Ken Loach. Ce fils dlectricien n en 1936 Nuneaton,
quelque cent soixante kilomtres au nord-ouest de Londres, ne conoit
pas le cinma et la politique comme des pratiques spares, les deux
sujets se mlant au cours de la conversation sans transition et Ken
soulignant sans cesse la diffrence primordiale entre faire des
films politiques et faire de la politique grce au cinma , ce quil
fait depuis
ses dbuts. Jai rencontr Ken Loach pour la premire fois au cinma
en 1995. Je reus Land and Freedom comme un coup de massue. Ce film
me marqua jamais et mouvrit les yeux sur cet autre cinma. Le ntre.
Des annes plus tard, en 2009, Ken Loach fut lun des premiers
rpondre lappel du tribunal Russell sur la Palestine, tribunal des
peuples cr sur le modle de celui fond en 1966 par les philosophes
Bertrand Russell et Jean- Paul Sartre pour sopposer la guerre du
Vietnam. Je travaillais comme coordinateur de cette initiative, et
loccasion me fut donne de rencontrer Ken et son scnariste et plus
proche
collaborateur Paul Laverty, lors dune confrence de presse
Bruxelles. Il mimpressionna alors par sa simplicit, sa gentillesse,
son humour, son intelligence et son envie dapprendre et de
comprendre. partir de ce jour, Ken est rest un fidle soutien du
tribunal jusqu sa fin en 2013. Quand Sylvie Crossman et Jean-
Pierre Barou me contactrent et me proposrent de travailler sur un
livre avec lui, je fus ravi et impatient de commencer. Nous avions
dj un grand homme en commun : Stphane Hessel, auteur dIndignez-vous
! et prsident dhonneur du tribunal Russell. Admiratif de lhomme et
de luvre collective quil construit depuis tant
dannes, ce fut extraordinaire pour moi de passer quelques
heures couter Ken Loach me parler de sa vision de la fabrication
dun film, o tout le monde, de lingnieur du son au rgisseur plateau,
est un artisan, un maillon essentiel de la chane. Pour Ken, nous
sommes dabord des citoyens, nous faisons partie dune communaut
dtres humains et notre rle est dagir contre linjustice, quelle nous
touche personnellement ou quelle frappe nos frres. La lutte est une
ralit quotidienne, sans trve ni repos. Et le cinma un bon moyen de
rappeler quelle est aussi universelle. Que lhistoire dune famille
perdue dans la banlieue londonienne peut rsonner dans
le cur de milliers de personnes des milliers de kilomtres de l.
Que celle de lIrlande peut trouver cho dans un village palestinien.
Un film peut tre ltincelle qui dclenche le feu de la colre, mais
celui-ci stouffera si on ne lalimente pas. Il est donc grand temps,
comme le dit Ken, de crer du dsordre . Le moment est venu dagiter,
dduquer, dorganiser ! Frank Barat
N DFIER LE RCIT DES PUISSANTS ous faisons des films pour tenter
de subvertir, crer du dsordre et soulever des doutes. Agiter,
duquer, organiser. Il faut donc agiter, et cest ce que nous
essayons de faire : enrayer la mcanique, bousculer le statu quo,
dfier le rcit des puissants. Lart est produit par ceux qui
ressentent un besoin compulsif de peindre, dcrire, de filmer. Les
tentatives artistiques naissent invitablement de nos expriences et
de nos perceptions, car elles sont notre unique matriau de travail,
cest tout ce
que nous avons pour crer. Les problmes commencent quand le
commerce sen mle, quand lunique objectif devient la fabrication
dune marchandise pour faire du profit. partir de ce moment-l, la
qute du profit impose le contenu et seul ce qui est commercialement
exploitable peut tre produit. Comme le disait William Blake :
Partout o largent simmisce, il nest plus possible de faire de lart,
mais la guerre seulement1. Ceux qui veulent vraiment communiquer,
quel que soit le mdia quils utilisent, le feront parce quils sont
proccups par ltat du monde, par la condition humaine. Cest cela le
moteur. Peu importent lhistoire que nous
racontons ou les images que nous montrons, nos choix sont le
reflet de nos proccupations. Faire quelque chose de compltement
libre dans un monde o rgne loppression montre clairement nos
priorits, lesquelles induisent un positionnement politique. La
plupart des crations artistiques sinscrivent dans un contexte
politique et ont une incidence politique. Pour quun film soit
rellement politique, dans le sens o il peut tre un outil, un moyen
politique, il doit y avoir une cohrence entre sa sensibilit et son
contenu. Cest ce qui me drange dans les grosses productions
amricaines qui traitent de bons sujets. Ce sont des films
hollywoodiens, avec une star
hollywoodienne, de vrais films revendicatifs, avec un bon
message, clair, mais compltement perverti par la mthode employe
pour faire le film. On entend frquemment dire quil faut une grande
star pour quun film soit vu par le plus grand nombre, mais alors ce
nest plus le mme film. En discours sous- jacent de ce type de film,
on trouve lacceptation de la hirarchie, de lextrme richesse, du
pouvoir des grandes entreprises et de tout ce qui va avec. En mme
temps, il ne sagit pas de dire : Je crois en la proprit commune des
moyens de production, de distribution et dchange, et donc je vais
faire de cette conviction le thme de
mon film. Cette vision et nos convictions politiques ne dictent
pas directement nos films : elles les colorent, guident le choix
des sujets, permettent de distinguer une histoire qui vaut la peine
dtre raconte de celle qui manque dintrt. Elles influencent galement
nos partis pris esthtiques parce quelles dterminent la manire dont
nous allons filmer les personnages. Les histoires doivent tre
vcues, les personnages sont contradictoires et le plaisir de faire
un film tient la dcouverte de la manire tout fait imprvisible dont
les gens interagissent. Cest de l que naissent la comdie et la
tragdie, de l que surgit tout ce qui fait de nous des tres humains.
Les
personnages que nous mettons lcran sont pleins de
contradictions, de failles et de dfauts. Cest la fragilit de
lhumain qui est dramatique, pas la perfection strotype. Nous
trouvons des personnages, une histoire, et cest limplication de ces
personnages dans cette histoire qui tmoigne de notre vision du
monde.
Lobjectif comme il humain Si lobjectif de la camra est comme un
il humain et que nous abordons les personnages du film comme si
nous les observions de nos yeux, alors nous pouvons avoir le
sentiment dentrer en relation avec eux. Dans la vie, on nentre pas
en contact avec les gens en gros plan mais, au grand maximum, dans
un cadre qui va de la tte aux paules. Langle de lobjectif utilis
doit donc tre sensiblement similaire afin de filmer les personnages
de manire respectueuse et mettre le spectateur dans la position
dune autre personne. Si la camra se substitue lil, nous obtenons
une rponse humaine. Tandis que si lon utilise un objectif grand
angle
et que lon installe la camra tout prs de la personne filme,
comme certains photographes et ralisateurs le font, on obtient une
image lgrement dforme, plutt dsagrable, quon ne voit jamais dans la
vraie vie, et on transforme les personnes en objets. En tant que
spectateur, cest rebutant, on a envie de sloigner. On a limpression
denvahir leur espace. De plus, on doit essayer de se mettre la
place de tous les personnages, mme ceux dont on ne partage pas
forcment les points de vue. On doit voir le monde travers leurs
yeux. Diffrents procds permettent de parvenir cet effet, mais mon
avis le meilleur moyen est de montrer tous les
personnages de manire ce que les spectateurs puissent les
comprendre, entrer en relation avec eux, se sentir solidaires et
comprendre les enjeux de chacun. Traiter les autres avec respect
implique un certain positionnement politique. Une organisation
sociale et conomique juste se fonde sur le respect mutuel, le sens
de lgalit et la dignit avec laquelle chacun est trait.
Le cinma comme rvlateur Dune certaine manire, le cinma peut
permettre aux gens dtre qui ils sont, de se rvler. Ce qui, mon
sens, diffrencie le travail de lacteur de thtre de celui du cinma.
Dans les films, on veut que les personnes se rvlent, et peut-tre
dune manire dont elles nont pas toujours conscience parce quon peut
voir lincertitude dans le regard, lindcision, lesprit au travail
derrire les yeux. Au thtre, il faut construire une interprtation
consciemment, on la rpte, on la joue tous les soirs ; on doit
connatre les balises du jeu et les motivations qui vont nous mener
dune
scne une autre. Au cinma, on veut vivre un moment prcis avec
toutes ses incertitudes et ses difficults. Pour y parvenir, nous
devons tre honnte dans notre faon de filmer. Comme nous
encourageons les acteurs tre vulnrables, puis que nous exploitons
cette vulnrabilit, ce qui nest pas juste en soi, il faut faire les
choses avec intgrit et finesse. Nous tournons dans lordre de
lhistoire, scne aprs scne, pour que les comdiens puissent rellement
vivre leurs personnages. Pour cela, il faut choisir des acteurs qui
vont se rvler et, ce faisant, rvler leurs personnages. Par exemple,
je ne dis jamais un comdien : Le personnage ferait a ,
mais je lui demande plutt : Quest-ce que tu ferais, toi, dans
cette situation ? Comment ragirais-tu ? En travaillant de cette
faon, on permet lacteur dtre aux commandes, de se sentir totalement
responsable, et on na plus qu le guider. Les comdiens font souvent
des lectures du scnario avant le dbut du tournage. Personnellement,
je ne ferai plus jamais a. Je lai fait pour mon premier film, parce
que je venais du thtre. Tout le monde a livr un excellent jeu
pendant la lecture et, aprs deux semaines de tournage sous ma
direction, ils taient tous trs mauvais ! Je ne sais pas ce que
javais fait, quelles indications javais donnes, mais a
avait t dsastreux. Jaurais mieux fait de ne rien dire du tout.
Pendant la lecture, les acteurs ont tendance mettre toutes sortes
de jugements prmaturs sur ce quils sont en train de jouer. Par
contre, la premire fois quon vous dit une chose, vous lcoutez avec
une attention quil est difficile de reproduire. Il est extrmement
compliqu de jouer la surprise, par exemple, mme pour lacteur le
plus brillant. Il faut arriver capter et garder cette qualit dcoute
originelle, mais cette spontanit se perd et ne se retrouve jamais
si on fait des lectures et de longues rptitions. Il y a tout un tas
de faons, comme celles que je viens de dcrire, daider
les comdiens rvler des choses et livrer la meilleure
interprtation possible. a passe gnralement par une infinie
succession de dtails. videmment, les acteurs ont besoin de se
prparer avant que nous commencions tourner. Il est important pour
eux de comprendre lorigine et le pass de leurs personnages. Sils
ont une famille, nous travaillons la dynamique familiale, nous
imaginons des scnes de vie de famille. Le mtier que le personnage
exerce est galement important. Le comdien devra pouvoir en connatre
les bases, le quotidien et sy exercer. Nous improvisons aussi des
scnes qui auraient pu se passer, les comdiens ont ainsi une mmoire
viscrale,
motionnelle et pas uniquement intellectuelle de certains
vnements et de certaines relations. De cette manire, quand nous
commenons le film, chacun sait qui il est et ce qua t son
pass.
La crdibilit de lacteur La crdibilit est notre seule exigence.
Nous voulons que le film soit crdible. Voil pourquoi le casting est
primordial. Je cherche la personne en laquelle les spectateurs vont
croire. Or ils seront moins enclins croire en quelquun de clbre
parce quils voient la clbrit avant de voir le personnage. Faire
passer des auditions est une tape puisante du processus de
fabrication du film, que je mne dans un premier temps avec Kathleen
Crawford, avant que Paul Laverty et Rebecca OBrien nous rejoignent
pour le choix final. En tout, a prend peu prs trois mois. Il nous
faut trouver des acteurs
avec une certaine fragilit, ouverts, disponibles et gnreux. On
coute sils ont un certain accent et on essaie de comprendre de
quelle classe sociale ils sont issus. Il est trs difficile
dinterprter un personnage qui nest pas de votre classe sociale ou
dimiter un accent rgional, parce que a ne tient pas seulement la
phontique, mais lutilisation du langage, lattitude et le sens de
lhumour ont aussi leur part. Si, par exemple, nous faisons un film
sur des ouvriers, le dialecte va tre essentiel. Il faut trouver des
personnes originaires du lieu et issus de la bonne classe sociale,
et cest une recherche qui prend beaucoup de temps. Quand nous
pensons avoir trouv les bonnes
personnes, nous faisons des essais sur des scnes qui ne sont
pas extraites du film, mais qui mettent en jeu les mmes motions. Il
nous arrive de voir certaines personnes sept ou huit fois.
videmment, nous faisons toujours en sorte de les dfrayer. On ne
peut pas attendre de quelquun quil se dplace tant de fois sans
ddommagement. Il faut faire attention, les comdiens sont tellement
vulnrables quils sont facilement exploitables. La manire dont est
mene la recherche des comdiens est rvlatrice de la faon dont le
tournage va se drouler. Cette tape fait intgralement partie de la
cration du film, parce quelle permet aux
comdiens de se faire une ide de la mthode de travail. Ainsi, au
premier jour de tournage, ils savent dj quoi sattendre.
Lhistoire comme microcosme Le processus de cration de tous mes
films commence avec le scnariste. Jai dbut au thtre o lauteur est
roi (ou reine) : on respecte le texte et on linterprte. Je suis
ensuite pass par la tlvision, et l aussi, lauteur tait la personne
la plus importante. Le travail du ralisateur consistait interprter
le scnario, lui donner corps et en respecter les ides essentielles.
Quand on arrive au cinma, soudain, cest le ralisateur qui est roi.
Mme si, en thorie, nombreux sont ceux qui disent respecter lide de
collaboration, au bout du compte, ils mettent toujours le
ralisateur en avant et lui octroient tout le mrite. Ce qui
nest
pas fidle la ralit. Quand on travaille avec un scnariste, on
doit collaborer avec quelquun dont on partage les ides
fondamentales, cest-- dire les convictions politiques, le sens de
lhumour, de la dramaturgie, de la relation aux autres. Il faut
partager un point de vue la fois esthtique et politique. Ces choses
peuvent se discuter, mais ce nest quen travaillant ensemble que
nous voyons si nous sommes vraiment sur la mme longueur donde. Jai
eu beaucoup de chance avec les auteurs avec lesquels jai travaill.
Jim Allen dabord, puis Barry Hines, Neville Smith et, depuis vingt
ans, Paul Laverty. Quand on trouve cette compatibilit, on
peut tout faire. Parce que plus nous nous sentons en scurit
dans une relation, plus nous pouvons tre audacieux. Ceci est
dailleurs vrai avec tous les membres de lquipe et, je suppose, dans
la vie en gnral. Si lon doit tout le temps revenir sur les
principes de base, on prend moins de risques. Par contre, si on est
en confiance et certain de partager un objectif commun, alors on
peut tout tenter. Parce que nous savons que notre partenaire protge
aussi nos valeurs fondamentales. Ainsi, avec Paul, nous sommes en
constante conversation. De toutes nos discussions qui peuvent aller
de nos familles ltat du monde, en passant par le football et les
informations mergera une histoire ou
un vnement particulier, et de l surgira une ide de film. Je
pense que les histoires qui fonctionnent le mieux sont celles qui
semblent relativement anodines, mais qui ont de grandes
consquences. Un petit caillou qui fait beaucoup de vagues.
Lhistoire est un microcosme qui illustre ltat du monde, met en
lumire la faon dont la socit fonctionne, en montre les drives et
les ingalits. Cest inquitant de se dire que les choses nont pas
beaucoup chang avec le temps, mais cest pourtant la ralit. La socit
est toujours base sur le conflit, une classe contre une autre. Ceux
qui ont le pouvoir ne veulent pas que le peuple combatte son vrai
ennemi, la
classe capitaliste, ceux qui possdent et contrlent les grandes
entreprises, ceux qui dominent la finance ou la politique. Leur
socit est base sur les conflits, la division et lexploitation. Ils
pensent : Ta personne mimporte peu, je veux juste savoir combien tu
peux me rapporter. Ils doivent alors trouver des boucs missaires et
ciblent toujours les plus faibles : les pauvres, les immigrs, les
demandeurs dasile, les minorits. Cela nest pas nouveau, ils
utilisent les mmes procds depuis des dcennies. La droite accuse
toujours les plus vulnrables dtre responsables de la crise de son
propre systme conomique. Ceux qui nont pas de travail sont tenus
pour responsables et
sanctionns pour leur inactivit alors que, bien sr, il ny a pas
demplois.
Construire une quipe Je prfre le terme de ralisateur celui de
film maker , parce que tous les membres de lquipe sont des film
makers , lassistant la prise de son fait aussi le film. Il est
primordial de construire une quipe solide parce quun bon film doit
tre port par une bonne quipe. Lobjectif nest pas pour autant de
sentourer des techniciens les plus talentueux qui sont nombreux,
trs professionnels et font du trs bon travail , mais de trouver les
personnes capables de travailler lunisson, de porter le film dune
mme voix. Les grands films commerciaux recrutent gnralement les
meilleurs techniciens dans tous les domaines. Tous font un
travail remarquable, le rsultat est spectaculaire, mais on
sent, derrire, le corporatisme, on a limpression que le film nest
pas port par une seule et mme voix : tout le monde a trs bien fait
son travail, mais chacun de son ct. Alors que ce que nous
recherchons est limage de ce que recherche le chef dorchestre, qui
harmonise lensemble des instruments en une unit cohrente. Pour
cela, il faut trouver des personnes qui ont un talent particulier.
Pour la prise de son, jai la chance de travailler avec Ray Beckett
depuis des annes. videmment, la prise de son doit tre bonne, mais,
comme nous essayons de recrer une ralit, il faut que le son soit
cohrent avec le lieu dans lequel
nous filmons. Dans les films, le son est souvent trop parfait,
les voix cristallines, trop propres, on ne peroit pas lambiance de
la pice, la circulation lextrieur, ce lger cho naturel. Il en va de
mme pour les mouvements de camra. Il ne faut pas que la camra
anticipe ce qui va se passer, car elle ne le sait pas. Parfois, un
acteur sapprte parler, mais on ne le filme que lorsquon entend sa
voix, et alors seulement on peut donner limpression dtre dans une
vraie pice, de suivre une vraie conversation. Si on filme un
personnage avant quil prenne la parole, on sait quil va parler
avant quil le fasse et on perd la
sensation de ralit. Cest galement comme a que nous travaillons
la lumire. Certaines personnes disent quil est prfrable, en termes
de ralisation et dimage, dclairer une personne de face pour quon la
voie mieux, mais cest moins raliste, parce que dans la ralit on est
clair par la lumire naturelle de la pice dans laquelle on se
trouve. Le son, les mouvements de camra, lclairage ou encore le
maquillage peuvent donc faire perdre tout ralisme, toute impression
de ralit linterprtation des comdiens. Il faut que tout le monde
comprenne bien la manire dont le film se fait, cette voix qui le
porte. Que tout le monde soit lunisson. Plus on travaille avec
une
personne, plus cela devient naturel et moins on a besoin den
dire ; et moins on en dit, plus on peut se concentrer sur
lessentiel dans une scne. On disait du chef dorchestre Otto
Klemperer quil navait qu sinstaller sur le podium pour que
lorchestre joue exactement comme il le souhaitait. Parce que les
musiciens savaient ce quil attendait.
Non, non, non Le producteur aussi doit comprendre le film, la
manire dont il sera fait, et y croire. Intellectuellement, mais
aussi viscralement. Quand on sait que le producteur partage la mme
vision que soi, alors on prend en compte son avis, ses
propositions. Il faut tre dans le mme tat desprit et se respecter
mutuellement. Cest pour cela que je tiens galement tre impliqu dans
llaboration du budget pour massurer de la cohrence entre les moyens
mis en uvre et le sujet du film. Ainsi, je sais de combien nous
disposons au dpart et ce que je peux demander sans dpasser le
budget de base. Il nest pas bon quun ralisateur demande toujours
plus
dargent un producteur qui lui rpond : Non, non, non chaque
fois, cest mme destructeur. Je mengage donc toujours travailler
avec les moyens dont nous disposons, car je sais que ce nest pas
largent qui rend un film intressant. Le budget moyen de nos
productions slve 3 ou 4 millions de livres, ce qui est deux fois
moins que la moyenne des films britanniques. Et il va sans dire que
nous payons plus que le minimum syndical. Le budget de Jimmys Hall
tait un peu plus lev, environ 5,5 millions, car nous avions une
priode de tournage plus longue, sept semaines, avec beaucoup de
comdiens. Une grande partie de cet argent part dans des
dpenses que nous ne pouvons viter : la pellicule, les frais de
laboratoire Mais gnralement, nous tournons assez vite, entre cinq
et sept semaines, cinq jours par semaine, ce qui permet de garder
une bonne nergie et parce que certains pensent que je suis trop
vieux pour travailler six jours par semaine ! Une des tches
essentielles qui incombe galement au producteur est de constituer
une quipe. Rebecca et moi le faisons ensemble, mais cest elle qui
prend les devants et gre les oprations. Il y a tout un aspect
commercial, des accords trouver avec diffrents partenaires et elle
doit ngocier des salaires justes pour chaque membre de lquipe. Le
producteur de mon premier
film tait trs traditionnel et son charg de production
considrait quune partie de son travail consistait russir payer les
gens au plus bas prix. Cest une industrie, cest ce quun employeur
fait gnralement. Du coup, le premier jour du tournage, tout le
monde arrive en tranant les pieds. Voil ce qui se passe quand un
employeur rduit les salaires pour dpenser le moins possible. Alors
que tout le monde, techniciens et comdiens, devrait arriver sur le
plateau satisfait de son contrat. Pour un autre de mes premiers
films, nous avions besoin dun quipement spcifique pour une camra,
un objectif particulier. Le producteur nous a dit que nous ne
pouvions pas lavoir, que ctait trop
cher, alors quen mme temps la voiture de la production cense
transporter lquipe pour nous faire gagner du temps servait emmener
sa femme faire des courses ! Ce genre de choses est assez courant.
Mais en faisant a, on ne peut pas esprer que lquipe soit contente.
Un producteur doit montrer lexemple.
Le montage : avec les yeux Avant darriver au montage, il faut
bien sr passer par les diffrentes tapes de la fabrication du film.
La premire est trs agrable. On est autour de la table, on discute
de lide et tout est parfait, rien ne vient perturber vos plans.
Cest trs plaisant. Le tournage est encore loin et on ne sen soucie
pas encore mme si, videmment, la pression monte au fur et mesure
quil approche. Cest un peu comme quand vous devez aller chez le
dentiste, la peur augmente chaque jour qui vous rapproche du
rendez-vous ! Le tournage est toujours un moment fascinant,
quoiquassez anxiogne parce que les jours passent et quil faut
avoir
toutes les scnes malgr les conditions ou vnements imprvus qui
peuvent parfois se dresser sur la route la pluie, un comdien
malade, etc. , et on ne peut malheureusement pas rallonger le
temps. a peut tre passionnant, mais cest puisant. Quand arrive le
moment du montage, tout a est derrire et mme si le matriau que nous
avons est trs mauvais, nous ne pouvons plus rien y faire. Il faut
faire avec. Cest aussi une priode pendant laquelle on commence
travailler plus tard. Nous arrivons 9 heures, buvons un bon caf 10
heures et rentrons chez nous 17 heures 30. Et surtout, on sait quon
a encore un salaire assur pour quelques mois, quon nest pas
immdiatement au
chmage ! Nous montons toujours sur pellicule. Quand un monteur
travaille en digital, il est trs difficile pour le ralisateur assis
ct de comprendre ce quil fait. Il pianote sur son clavier et je ne
sais pas ce quil fabrique. Je ne comprends rien aux ordinateurs, de
toute faon. Alors que quand on coupe une pellicule, il est trs
simple de voir ce qui se passe. Une bande dimages passe dans la
machine, une bande-son, nous choisissons o nous voulons couper, je
vois le monteur choisir le plan, le couper et je comprends tout.
Comme cest un processus plus lent, on a plus de temps pour rflchir
et puis on peut regarder par la fentre, couter le match de
cricket la radio Cest une cadence beaucoup plus humaine. En
plus, comme on coupe vraiment la bande, on le fait avec plus de
prcautions. Et on est beaucoup plus disciplins parce quon ne peut
voir quune scne et quun choix la fois. Je prfre largement cette
mthode. Je travaille avec Jonathan Morris depuis 1979, on se connat
assez bien maintenant nous avons vieilli ensemble ! Ici encore,
cest une question de partage. On partage un sens du rythme, de la
progression. Le montage, cest en quelque sorte comme faire de la
musique, mais avec les yeux. Il faut couper quand votre il vous dit
de couper. Si lon coupe mcaniquement,
on le fera chaque fois que quelquun parle, pour que cette
personne soit toujours limage au moment o elle prend la parole.
Mais si un personnage parle et quun autre intervient, nous prfrons
rester focaliss sur celui qui dit la chose la plus importante.
Toujours pour donner du ralisme la scne. La manire dont les films
sont produits actuellement nest pas acceptable, parce que tout est
fait pour convenir en premier lieu aux producteurs et aux
investisseurs. On demande au monteur, pendant le tournage, de
raliser un premier montage qui sera prsent aux financeurs du film.
Pour moi, il nest pas possible que le monteur choisisse une scne
pendant le
tournage. Pour mieux comprendre pourquoi, il faut revenir un
peu en arrire. Quand on tourne, si on veut que la performance soit
vraie, quelle soit juste, on ne va pas dcouper la scne et la filmer
rplique par rplique. Au contraire, on veut crer une dynamique, que
les comdiens jouent la scne dans son intgralit et oublient la camra
pour quils sinvestissent totalement dans le jeu. Le monteur ne peut
pas extraire de lui-mme une scne sans consulter le ralisateur,
puisquon ne peut pas connatre lordre des plans avant davoir vu tout
ce qui a t film. Il y a tellement de choses qui se jouent sur de
petites nuances, sur des dtails quil est mes yeux impossible de
couper
pendant le tournage. Il faut dabord voir toutes les prises et
choisir seulement aprs. Personnellement, nous ne commenons jamais
couper avant davoir fini de tourner et Jonathan ne voit quune
petite partie de ce que nous filmons. Ce nest gnralement pas comme
cela que a se passe dans lindustrie du cinma.
La musique : porte vers luniversalit La musique est
probablement llment le plus difficile apprhender. Cest un choix qui
se fait en toute fin de processus. Vous connaissez votre film
parfaitement et il est pourtant trs probable que la musique va le
modifier, car elle peut donner un sens diffrent aux images. Sans
musique, linterprtation reste ouverte parce quelle ne dit pas au
spectateur ce quil doit penser. La musique permet, et en cela
travailler avec mon ami Georges Fenton maide normment, de donner un
sens universel un petit film avec deux ou trois personnages dans un
milieu ouvrier. Elle peut donner une tout autre dimension une
situation. Sans musique, a resterait
une petite histoire, dans un logement social de Glasgow ou une
pice sombre de Londres. Mais la musique peut donner de luniversalit
une petite scne locale, elle peut louvrir vers lailleurs, lui
donner de lamplitude. La musique peut tre une porte ouverte sur
luniversel. Elle peut aussi vous rappeler quelque chose, faire cho
avec un vnement pass. Dans tous les cas, elle doit avoir une
fonction, un rle, elle ne peut se limiter tre un habillage. Comme
elle a une grande puissance, il faut lutiliser avec prudence et
parcimonie. Cest comme mettre de la sauce sur un plat, si vous ne
faites pas attention et en mettez trop, vous perdez le got des
aliments.
Cest pour cela que le choix de la musique est des plus
difficiles et que, personnellement, jen utilise trs peu.
La tlvision fait partie de lappareil dtat Jai eu la chance de
travailler la BBC dans les annes 1960. La tlvision tait alors un
jeune mdia et ltat desprit de lpoque permettait, dans une certaine
limite, douvrir la culture et lantenne aux classes populaires. Avec
le temps, a a t de plus en plus contrl. Plus les annes ont pass,
plus le format de ce qui marchait, en termes daudience, sest
dvelopp et rigidifi. Tout sest bureaucratis, hirarchis et, comme
dans toute industrie, la pression sur la production sest fortement
intensifie. La tendance est la rduction des quipes et la
multiplication des
managers qui, pour justifier leur position, se doivent
dintervenir dans tous les domaines, du scnario au casting. Dans les
annes 1960, ils ne vous disaient pas quel acteur vous deviez
engager. Aujourdhui, lquipe de comdiens doit tre approuve par les
reprsentants des maisons de production, par ceux de la BBC ou dITV,
par le responsable du dpartement, par le responsable de la chane
Toutes ces personnes que vous navez jamais rencontres doivent
donner leur accord. Ainsi, le ralisateur, qui lon impose des
comdiens et qui ne peut plus travailler sur le scnario sans
supervision, na plus que trs peu de pouvoir. Alors, bien sr, il ne
peut
pas tre original. Cette pression et cette dpossession dtruisent
loriginalit. Cest cela que les syndicats doivent dnoncer et
combattre avec force. Autrement, cest presque impossible pour les
ralisateurs. Lutilisation qui est faite de la tlvision nest pas
acceptable. Ce mdium a un potentiel norme, mais ce quon voit sur
les crans est terriblement limit. Les mmes clbrits, les mmes films
diffuss en boucle, la mme vision politique restreinte, les missions
de cuisine, de dcoration de maisons, de tl-ralit Comme cest
ennuyeux ! Aujourdhui, faire de la tl, cest fabriquer un produit,
nimporte lequel. Cest le management, prtendant
interprter le march, qui dcide. Tout doit satisfaire le march
et cest lconomie qui faonne le produit. Il est difficile de rsister
individuellement. En Europe, nous avons la chance davoir encore une
niche qui nous permet, si nous sommes raisonnables, de faire les
films que nous voulons. Cela dit, le montant dont nous pouvons
disposer est limit. Laudience gnre un revenu qui dfinit combien
vous pouvez dpenser pour un film. On dpend donc du public, il faut
tre rentable . Parvenir changer, cela sinscrit dans la perspective
dun changement politique beaucoup plus vaste. Les grands groupes de
tlvision
font partie de lappareil tatique, cest un fait. Ils sont
administrs par des personnes nommes par ltat selon un systme
hirarchique trs vertical. Cest le gouvernement qui octroie les
concessions aux socits commerciales et nomme les dirigeants de la
BBC, laquelle est, avec la presse de droite, le principal
fournisseur didologie et dinformation de notre poque. Linfluence de
la tlvision sur la population est norme. Cest une institution
tatique dont la mission premire est de relayer lidologie du pouvoir
en place. Les nominations sont donc cruciales, car il serait
dsastreux pour ltat que cet outil tombe entre ce quil considre
comme de mauvaises
mains. Cest encore plus vrai pour la presse. Il faudrait quelle
soit gre par des coopratives et quaucune socit ne puisse possder
plus dun journal. Ce sont des revendications rvolutionnaires que
ltat, tel quil est organis actuellement, nacceptera jamais.
Capitalisme brut Les annes 1980 ont t une priode trs difficile
pour une grande majorit de la population. En ce qui me concerne,
tout ce que jai entrepris dans ces annes-l a t interdit ou retard.
Ctait la priode Thatcher. Les choses changeaient si vite sur le
plan politique que lide mme de faire un film, dont la concrtisation
peut prendre deux trois ans, paraissait inapproprie. Alors je me
suis tourn vers la ralisation de documentaires qui peuvent se faire
plus vite , mais bien sr les tlvisions nen voulaient pas. Le seul
moyen que nous avions davoir un impact politique tait de tourner
des documentaires. Tout coup,
on avait du chmage de masse, partout les usines fermaient parce
que ltat ne les subventionnait plus et lindustrie devait survivre
sans aucun support ni infrastructure de ltat. Thatcher a fait a trs
consciemment, car elle pensait que pour rendre lindustrie efficace
il fallait revenir au XIXe sicle : le capitalisme brut. a sest fait
trs rapidement, semaine aprs semaine. On sentait grandir un
sentiment de conflit de classes et dinjustice terrible et les
dirigeants syndicaux se sont compltement dsengags de ce combat.
Raliser des documentaires semblait le seul moyen de se dfendre,
mais personne ne voulait les diffuser. En fait, ils taient carrment
interdits, on me les
confisquait mme. Je ne les avais plus et je ne pouvais plus les
montrer nulle part. Trois ans de travail gchs, perdus ! Non
seulement ils ont saisi les films, mais en plus ils mont enferm
dans des procdures lgales pour pouvoir les rcuprer et les diffuser.
Ce nest pas comme si jtais censur un jour et que je recommenais
travailler le lendemain, non, je devais me battre pendant une anne
entire. Et pendant ce temps-l, je ne faisais pas autre chose, je
navanais plus. Ctait une priode trs sombre. Thatcher tait lance
dans sa guerre contre la classe ouvrire. Elle provoquait des grves,
quelle gagnait, elle passait des lois contre les syndicats
et permettait au chmage de masse de crotre : une grande
offensive contre les organisations de la classe ouvrire. Nous avons
ralis plusieurs documentaires pour Channel 4 dans lesquels des
syndicalistes nous disaient quil y avait dans leurs rangs un
militantisme important que les leaders refusaient dorganiser.
Combien de fois avons-nous vu des travailleurs prts agir et des
dirigeants syndicaux qui retardaient leurs actions ou ngociaient
dans leur dos ! Nous avions quatre films sur ce sujet, commands par
Channel 4 et dont la diffusion tait prvue en septembre 1983, avant
la grve des mineurs. Ctait lpoque o la lutte
tait son apoge, quand les mineurs taient encore forts. Si on
regarde en arrire aujourdhui, on se dit quil tait certain que
Thatcher allait gagner, mais sur le moment ce ntait pas si vident.
La guerre battait son plein et ce ntait pas jou davance. Les
dirigeants syndicaux que nous critiquions ont pris contact avec
Channel 4 et ITA, lautorit indpendante de la tlvision2, en leur
demandant dannuler la diffusion de nos films. Ils lont fait. Ils
les ont retirs de la programmation. Il est intressant de noter que
ces dirigeants syndicaux taient plutt des sociaux-dmocrates de
droite et que les personnes la tte dITA taient des
sociaux-dmocrates, sympathisants dun
parti qui sappelait le SDP3 et avait rompu avec le parti
travailliste. Ctait donc des travaillistes de droite, ce quon
appellerait aujourdhui le centre gauche, qui na pas grand-chose
voir avec la gauche. Les gens que nous critiquions et ceux qui
contrlaient les chanes de tlvision avaient donc tout intrt censurer
le message et le point de vue que nos documentaires vhiculaient. Et
ils y sont parvenus. Pendant un an, ils nont cess de repousser la
diffusion, a ma cot une anne de combat, avant de finir par
comprendre quils ne diffuseraient pas les films qui ont t perdus et
jamais vus. Ils montraient juste des travailleurs et travailleuses
ordinaires, quon ne voyait jamais la
tlvision et dont la parole ne serait jamais entendue. Il est
difficile de trouver un exemple plus clair de censure politique. De
la pure censure. la suite de a, il y a eu lincident avec la
principale mission culturelle dITV, propos de la grve des mineurs
en 1984. Ctait une priode extraordinaire parce que cette grve a t
lvnement charnire de la politique britannique. Jusqualors, nous
vivions toujours dans le consensus daprs- guerre, mais les attaques
de Thatcher durant la grve des mineurs lont fait voler en clats et
nous ont prcipits dans le nolibralisme. Ctait la bataille de
Waterloo, le point de basculement. Jai essay partout
dobtenir un financement pour faire un film sur la grve des
mineurs et lmission culturelle South Bank Show a accept que je
ralise un documentaire sur les chansons et pomes crits par les
mineurs et ceux qui les soutenaient une extraordinaire explosion de
crativit. La plupart de ce qui tait crit traitait de la brutalit
policire. Nous disposions dimages illustrant les violences
policires contre les mineurs, et nous les avons bien videmment
utilises dans le film pour accompagner les pomes et les chansons.
Cen tait trop pour les producteurs de lmission : ils nont pas
diffus le documentaire. Il la t sur Channel 4, quelques mois trop
tard, quand le mouvement de grve tait trs
affaibli.
Le langage de la rue Sweet Sixteen a touch une autre corde
sensible, cette espce dindignation puritaine de la petite-
bourgeoisie pour laquelle ce ne sont pas les ides qui sont
inacceptables, mais le langage. Comme le langage de la rue employ
dans le film, celui dadolescents de quinze, seize ans issus dun
milieu populaire de louest de lcosse, tait considr comme choquant,
dautres jeunes du mme ge ne devaient pas tre autoriss lentendre.
Vous voyez, lpoque, et cest toujours le cas aujourdhui, ce quon
appelle le march du travail noffrait ces jeunes aucun emploi,
aucune
chance de gagner un revenu digne. Quand nous tions l-bas pour
le film, les filles taient embauches dans des centres dappels
tlphoniques parce que leur voix et leur accent taient moins marqus.
Ce ntait pas le cas pour les garons, dont le dialecte fait partie
intgrante de lidentit. Alors, videmment, il ntait pas envisageable
de travailler dans des centres tlphoniques ! Par contre, dans le
film, nous respections cette langue, parseme de jurons et de
grossirets, mais drle, tranchante et ptillante. Une campagne a t
mene contre le langage utilis dans Sweet Sixteen et le comit de
censure a jug que seuls les plus de dix-huit ans pourraient le
voir.
Heureusement, les municipalits pouvaient passer outre cette
censure et dcider de montrer quand mme le film. Certaines lont
fait, notamment la ville o nous avions tourn. Cet exemple met en
lumire toute lhypocrisie de la situation : le fait que, dans un mme
pays, des jeunes de seize ans ne puissent pas tre entendus par des
adolescents du mme ge, alors quil sagit uniquement du langage de la
rue, des terrains de jeux. Quand vous faites un film sur des
jeunes, vous esprez que des jeunes le verront. Quil soit interdit
aux moins de dix-huit ans a videmment eu une incidence sur le
box-office. Comble de lironie, il a souvent t montr dans les
prisons pour mineurs. Par la suite, de
nombreux jeunes ont pu le voir quand il est sorti en DVD, sur
lequel linterdiction ne sapplique videmment pas.
Le rcit britannico-irlandais Nous avons galement connu la
censure avec nos films sur lIrlande. La presse de droite et les
politiques ont men des campagnes contre Secret dfense et Le vent se
lve. Secret dfense traitait de la stratgie tirer pour tuer employe
en Irlande larme et la police britanniques travaillaient avec la
complicit des loyalistes et des syndicalistes identifier et piger
les rpublicains pour les assassiner. Cette stratgie a perdur
longtemps et a t trs bien documente, tout le monde tait au courant,
mme la BBC en a parl. Le film a t montr Cannes et un parlementaire
conservateur a dit que
lIRA4 faisait son entre dans le festival, que le film
justifiait le terrorisme. Cest pour cette raison que de nombreux
cinmas du Royaume-Uni nont pas voulu le diffuser. Et puis il a
disparu. On ne sait pas trs bien comment, mais il a disparu dans de
nombreux pays. Il tait pourtant prsent dans tous les grands
festivals, ce qui laissait penser que de nombreux cinmas allaient
le programmer, mais non, il a juste disparu de la circulation. Jai
tlphon quelques cinmas en Angleterre, ceux avec lesquels nous
avions lhabitude de travailler, plutt des salles indpendantes.
Parmi les personnes qui mont rpondu, une femme ma dit que ce film
tait contre larme britannique
et quils ne diffuseraient pas un film contre notre arme, contre
nos troupes. On pourrait sattendre ce quun film prim Cannes soit
projet dans de nombreux pays, mais a na pas t le cas cette fois-ci.
Ces attaques ont eu un impact trs important. Quelquun a crit dans
The Times que comme propagandiste jtais pire que Leni Riefenstahl,
la femme qui a ralis le film sur les Jeux olympiques de 1936 pour
Hitler. Jtais pire quelle ! Et nous parlons du Times, pas dun
tablod ! Dans The Telegraph, Simon Heffer, un chroniqueur de droite
bien connu, a crit quil navait pas vu le film et quil nirait pas le
voir parce quil navait pas besoin de lire Mein
Kampf pour savoir quHitler tait un salaud Dans The Daily Mail,
un des articles tait intitul : Pourquoi cet homme dteste-t-il son
pays ? La brutalit de ces attaques est extraordinaire. Ce que ces
gens ne supportent pas, cest que quelquun remette en question la
version officielle de lhistoire britannico-irlandaise : savoir que
les Irlandais sont violents, que les catholiques et les protestants
se font la guerre, quils se battent propos du pape et que les
Britanniques, avec tout leur bon cur, vont les aider restaurer la
paix. Cest cette histoire quils veulent entendre, pas le fait que
les Britanniques ont colonis lIrlande pendant huit cents ans et
impos de
terribles violences la population irlandaise : a, ils ne
peuvent pas lentendre ! Cest une ngation de leur histoire.
Ici et maintenant Regardez ce qui arrive aujourdhui ceux qui
disent la vrit sur la politique britannique en Irlande. Un ancien
soldat et un ancien agent de scurit ont tent dalerter lopinion sur
la politique du tirer pour tuer . Tous deux ont t victimes de coups
monts : lun a t accus tort dassassinat ; lautre dclar mentalement
instable. Il est intressant de noter que les gouvernements ne vous
dfient jamais directement sur le terrain des ides. Ils ne dbattent
pas avec vous publiquement, mais ils essaient de vous compromettre,
de vous discrditer. Comme ils lont fait avec Arthur Scargill,
lhomme qui a men la grve
des mineurs. Ils ont mont de toutes pices une histoire
laccusant dtre corrompu et de dtourner des fonds destins au
mouvement de grve pour payer le crdit de sa maison. Il navait mme
pas de crdit ! Mais a navait pas dimportance. Lhistoire avait t
rendue publique et la propagande avait commenc. Ils lont tran dans
la boue, et la boue colle. Les Britanniques sont des experts en la
matire. Nous vivons dans lhypocrisie dune socit ouverte et libre.
Tony Benn5 avait trouv une belle expression : il disait quici nous
navions pas besoin du KGB puisque nous avions la BBC ! Ceux qui
dbitent des gnralits sont tolrs, par contre
les puissants ne supportent pas ceux qui peuvent intervenir sur
des problmatiques spcifiques du moment, sur lici et maintenant.
Parce que a, cest dangereux. Lart qui dure, qui reste, parle dides
et de conflits universels, mais il ne faut pas dnigrer celui qui
traite dvnements un moment prcis, spcifique de lhistoire, car cela
ne lempche pas de faire rfrence des problmatiques plus larges et
dtre lui aussi universel. On peut tre trs pertinent en se penchant
sur un cas spcifique, sans mme en rfrer ouvertement son
universalit.
Le rle politique de la culture Un film peut avoir un impact
bien plus important quon ne laurait imagin au dpart mais cest de
moins en moins probable. Dans le film Cathy Come Home, nous
racontions comment une famille pouvait perdre son logement et, une
fois sans abri, tre disloque parce que la municipalit ntait pas
oblige de reloger toute la famille. Les pouvoirs publics avaient
lobligation de reloger les mres et les enfants dans des foyers
auxquels les pres navaient pas accs. De nombreuses familles se sont
dsintgres comme cela. Aprs la diffusion du film, la loi a chang et
les autorits locales ont eu lobligation de reloger les familles
entires. Mais cest
une toute petite volution au regard de ce qui pourrait tre
fait. Dune certaine manire, ctait un film social- dmocrate, parce
quil ne sattaquait pas aux problmes de base qui font quune famille
peut se retrouver sans abri. Il ne remettait pas en cause la
proprit foncire, ni la proprit et le contrle de lindustrie du
btiment, il ninsistait pas non plus sur la ncessit daccompagner le
logement par de lemploi. On a voulu faire un film vrai et il a
sensibilis les gens, mais il ne posait pas les questions
essentielles. Il est trs important de rappeler qu lpoque la
tlvision ne comptait que deux chanes et demie. Presque tout le
monde avait la tlvision, mais on navait le choix
quentre deux ou trois programmes. Alors, le film a t vu par
quinze millions de tlspectateurs. a permet davoir un impact. Cest
bien plus difficile aujourdhui, car il y a des centaines de chanes.
Il nous parat galement ncessaire dlargir le dbat, en parlant
dautres combats, qui font partie de la lutte historique globale :
la guerre dEspagne, les tats-Unis en Amrique centrale, les
syndicats aux tats-Unis, etc. Cest important de montrer a aussi.
Nous lavons fait avec Land and Freedom, qui traitait de la guerre
dEspagne. Malgr Hommage la Catalogne, de George Orwell, persistait
le mythe dune gauche unie contre le fascisme, alors que
les ruptures qui divisaient cette gauche faisaient partie
intgrante du problme. Le livre dOrwell et notre film nont pas plu
aux sociaux-dmocrates, car ils attaquaient la gauche
rvolutionnaire. Ils nont certainement pas plu aux stalinistes, qui
attaquaient galement la gauche rvolutionnaire et en assassinaient
mme les leaders. Dterrer les attaques des stalinistes contre le
POUM et les anarchistes, ctait aussi dterrer les procs de Moscou,
pendant lesquels les anciens bolcheviks ont t vincs par Staline.
Les quelques communistes qui restent ont donc dtest le film. Les
films pourraient jouer un rle beaucoup plus important en
comblant
lcart entre ce que les gens vivent au quotidien, ce quils
voient sur leurs crans de tlvision et ce quils entendent de leurs
dirigeants politiques. Mais il est difficile pour les films qui
tendent cela datteindre un trs large public. Ils ny parviennent
certainement pas par la tlvision, et ne le peuvent pas par le biais
des cinmas non plus. La culture ne peut avoir un impact politique
que si les gens peuvent la recevoir. Vous pouvez faire un film qui
sera vu par un million de personnes, sil a la chance dtre diffus la
tlvision, mais un film peut navoir aucun impact sil nest pas vu.
Peut-tre que le changement aura lieu grce aux mdias digitaux je ne
sais pas, je ne my
connais pas assez en nouvelles technologies. Mais on dit que
cest possible, que a peut fonctionner dune manire souterraine et
subversive. Alors se pose le problme de la fabrication du film.
Parce que si les moyens de transmission sont trs diffrents, la
manire de faire le film devra ltre galement. On ne pourra plus
compter sur des budgets comme ceux du cinma ou de la tlvision. Il
faudra travailler plus rapidement et dans des conditions moins
confortables. La manire dont on regarde les films volue galement
avec la technologie. Notre travail est plus facilement accessible
grce Internet. La
protection du copyright est devenue un gros problme. Il est
clair que si vous crez quelque chose, vous devez tre rmunr pour
votre travail. Le copyright, cest le problme des grandes
corporations, cest principalement elles qui se battent pour rendre
le tlchargement illgal. Cest une question de profits quelles ne
rcuprent pas. Les personnes qui ont fait le film, elles, ont dj t
payes, et ne vont pas recevoir un centime des profits
rsiduels.
Lennemi est gigantesque Nous sommes des citoyens, avant tout.
Nous devons reprendre le contrle de nos vies. Nous sommes pris dans
un systme conomique inexorable. Cest comme tre embarqu dans une
voiture dont on a perdu le contrle. Un jour, Thatcher a dclar : Il
ny a pas dalternative6 , qui est devenu un acronyme : TINA. Ici, en
Angleterre, les gens disent que lidologie est morte. Cest pourtant
bien une idologie qui nous tient entre ses griffes : le capitalisme
dbrid et absolu. Cest un chec sur tous les points, mais ceux qui
nous gouvernent nautorisent aucune alternative. Voil pourquoi un
mouvement rvolutionnaire est
absolument ncessaire, tout de suite. Aujourdhui plus que
jamais, cause du changement climatique. Nous savons que la plante
change une vitesse alarmante et quil ne nous reste plus beaucoup de
temps. Il y a urgence. La plus grande question qui se pose nous est
de trouver le moyen de maintenir la lutte, de lalimenter. Voil
notre plus grand dfi. Comment sy prendre ? Nous devons faire une
srie de choix au quotidien. Il nous faut trouver la bonne tactique,
mais aussi la bonne stratgie sur le long terme. Nous avons fait une
grosse erreur aprs les manifestations contre la guerre en Irak, qui
ont fait descendre un deux millions de personnes dans les rues. Si,
ce
moment-l, nous avions demand aux gens de signer des ptitions
contre la privatisation, contre les guerres, pour la dfense de
lenvironnement, nous aurions eu un million de signatures, a aurait
t la naissance dun mouvement politique. Si nous lavions dvelopp
correctement, avec des antennes locales, une comptabilit
dmocratique et un programme bas sur des idaux politiques, nous
aurions eu une relle opportunit de crer le changement. Il y avait
un sentiment de dgot gnralis contre Blair, la guerre mais nous
avons mal valu notre force et a na pas pris. Les gens sont devenus
cyniques et mfiants. On se retrouve toujours face aux
mmes questionnements politiques. Comment, par exemple, trouver
lquilibre entre la poursuite de la lutte au nom dun idal et la
dfense de ce qui a dj t acquis ? Si vous allez trop loin, vous
pouvez porter prjudice au projet tout entier. Dfendre le socialisme
dans un pays comme lUnion sovitique, ctait trahir toutes les autres
rvolutions qui auraient pu russir. En Irlande, en 1916, ceux qui
ont incarn linsurrection de Pques savaient quils allaient la mort,
mais ils devaient saisir ce moment pour se soulever et dclarer
lindpendance. En faisant cela, ils ont rendu la guerre dindpendance
possible. Cette question de savoir si on doit
aller plus loin ou consolider nos acquis est une sorte de
tension permanente dans les mouvements politiques et
rvolutionnaires. Nous devons prendre des dcisions tous les jours.
Cest comme un numro de funambule, extrmement difficile. Bien sr, il
y a contre nous les forces de ltat : les services de
renseignements, la police, les mdias, toutes les composantes de
ltat et du grand capital qui donnent le ton. Lennemi est
gigantesque. Nous avons de la chance : il va sa propre perte. Il
lui faut continuer mener des combats parce que le systme ne peut
pas survivre par lui-mme. Ces gens-l foncent droit vers le
prcipice. Le problme, cest quils
nous emmnent avec eux. Nous devons nous battre contre a, voil
ce qui est important.
Cinq camras brises Jai vu Cinq camras brises, un trs bon film
pour lequel jai beaucoup de respect et que jai recommand autour de
moi. Je lai vu lors dune projection dans un petit cinma de Bristol
o il y avait une centaine de personnes. Tout le monde a quitt la
salle en pensant que ctait un trs bon film. Cest l quil aurait
fallu quelquun la porte pour prendre les coordonnes des gens, leur
demander de se mobiliser, de mettre en place des actions, dinviter
des Palestiniens, daller en Palestine. Il faudrait dailleurs faire
a toutes les projections. Il est vident quil est ncessaire de faire
dautres films sur la Palestine et
cest aux Palestiniens de les faire. De nombreux peuples sont
opprims travers le monde, mais certains aspects rendent le conflit
isralo-palestinien particulier. Tout dabord, Isral se prsente comme
une dmocratie, un pays comme tous les autres pays occidentaux,
alors quil commet des crimes contre lhumanit et quil a mis en place
un rgime dapartheid, similaire celui de lAfrique du Sud lpoque,
avec le soutien militaire et financier de lEurope et des tats-Unis.
Cest dune hypocrisie sans bornes. Nous soutenons un pays qui prtend
tre une dmocratie, nous le soutenons tous les niveaux en dpit des
crimes quil commet. Nous sommes des citoyens et nous devons dabord
ragir
en tant qutres humains, quel que soit notre statut, ou notre
profession. Nous devons, en premier lieu, mettre tout en uvre pour
informer la population de ce qui se passe en Palestine. travers sa
campagne Brand Isral qui a mobilis de nombreux artistes, Isral a
voulu prsenter au monde une meilleure image. Cette opration venait
en rponse la campagne BDS (Boycott- Dsinvestissement-Sanctions),
prconisant le boycott culturel dIsral, que jai soutenu ds le dbut.
Cest bien la preuve que le boycott culturel gnait normment cet tat
qui se prsente comme le pilier culturel du monde occidental. Nous
devrions refuser dtre impliqus dans un quelconque projet
soutenu par Isral. Les individus ne sont videmment pas
concerns. Ce sont les actions de ltat isralien quil nous faut
cibler.
Le rcit du futur Aujourdhui, une jeune gnration avec une
conscience politique forte merge du mouvement Occupy. Entre eux et
moi, il y a ceux qui ont grandi dans les annes 1980, quand il tait
de bon ton dtre de droite. Pour ma gnration, il tait de bon ton
dtre de gauche. Nous avons perdu une gnration. Mais, aujourdhui,
des jeunes font des films politiques et il importe peu quils ne les
fassent pas exactement comme nous, ce qui compte, cest quils soient
engags. Les artistes reprsentent un danger pour les lites, car ce
sont des esprits libres qui sadressent au peuple, le touchent. Cest
pourquoi les classes
dirigeantes livrent des guerres contre des artistes un peu
partout dans le monde. En Chine, par exemple, le studio dAi Weiwei
a t dtruit par les autorits parce que ctait un espace de libert. Il
est primordial de dire aujourdhui quil ne devrait y avoir aucune
exception culturelle. LAccord de libre-change transatlantique entre
lEurope et les tats-Unis ne devrait pas tre sign du tout, car il
est dvastateur. Cest un pas de plus dans le nolibralisme. Cest la
drgulation de tout, obligeant la main- duvre se battre pour du
travail et cest un pouvoir supplmentaire donn aux multinationales
qui dominent tout dans ce monde. Nous ne devrions pas
avoir besoin de faire du cinma une exception, nous devons nous
opposer ce trait dans sa totalit. Le cinma fonctionne comme
nimporte quelle industrie dans le march global. Le rouleau
compresseur des grandes entreprises multinationales crase tout sur
son passage. Les gros finiront par dominer et dtruire les autres et
il arrivera aux films ce qui est arriv aux petits magasins qui ont
disparu cause des grandes surfaces. Si les pays ne sont pas
capables de soutenir leur propre culture par des subventions et des
accords spcifiques, leurs cultures cesseront dexister. Si nous ne
sommes pas vigilants, si nous ne rsistons pas, nous finirons dans
un
monde totalement uniformis dont la langue officielle sera
langlais amricanis. Comment ragir ? Il faut analyser la situation
et organiser la rsistance. Comment lorganiser reste toujours la
grande question. Il faut se dfendre contre chaque attaque et tre
solidaires de ceux qui sont le plus menacs. Reste la question des
partis politiques. Le problme est que les partis actuels font une
mauvaise analyse de la situation. Les partis stalinistes de gauche
mnent les gens dans un cul-de-sac depuis des annes. Quant aux
sociaux-dmocrates, ils veulent nous faire croire que pour rformer
le systme il faut le travailler de lintrieur, que nous pouvons
y
arriver, ce qui, mon avis, est illusoire. Cela ne suffira pas
satisfaire les besoins de la grande majorit. Mais lart peut servir
de dtonateur, tre ltincelle qui met le feu aux poudres. Ensuite,
cest nous de tout faire pour entretenir ce feu, cette colre, et la
transformer en un mouvement global qui mnera un changement radical,
en profondeur, de notre socit tout entire. 1. Cette phrase est tire
des commentaires que le grand pote anglais William Blake (1757-
1827) a fournis propos de luvre dite Le Groupe du Laocoon, ralise
vers 40 av. J.-C. par trois sculpteurs rhodiens et conserve au muse
du Vatican.
2. Independent Television Authority (ITA), quivalent du CSAen
France. (Toutes les notes sont du traducteur.) 3. Social Democratic
Party, parti social- dmocrate. 4. Irish Republican Army, Arme
rpublicaine irlandaise. 5. Une des principales figures de laile
gauche du parti travailliste, mort en mars 2014. 6. There is no
alternative , cest--dire : Il ny a pas dalternative au
no-libralisme.
FILMOGRAPHIE KEN LOACH Ken Loach a reu lOurs dor dhonneur du
Festival du film de Berlin (Berlinale) en 2014, le prix Lumire au
Festival du film de Lyon en 2012, le prix de lEuropean FilmAcademy
en 2009 et le Lion dor dhonneur la Mostra de Venise en 1994. 2014
Jimmys Hall 2013 LEsprit de 45 2012 La Part des anges Prix du Jury,
Festival de Cannes, 2012 2010 Route Irish
2009 Looking for Eric Prix du Jury cumnique, Festival de
Cannes, 2009 2007 Chacun son cinma 2007 Its a Free World 2006 Le
vent se lve Palme dor, Festival de Cannes, 2006 2005 Tickets 2003
Just a Kiss Csar du meilleur film de lUnion europenne, 2005 2002
110901 - September 11 2002 Sweet Sixteen 2001 The Navigators 2000
Bread and Roses 1998 Another City (court mtrage) 1998 My Name is
Joe 1996 The Flickering Flame (moyen
mtrage) 1995 A Contemporary Case for Common Ownership (court
mtrage) 1995 Carlas Song 1995 Land and Freedom Csar du meilleur
film tranger, 1996 1994 Ladybird 1993 Raining Stones Prix du Jury,
Festival de Cannes, 1993 1991 Riff-Raff 1990 Secret dfense Prix du
Jury, Festival de Cannes, 1990 1989 The View from the Woodpile (TV)
1986 Fatherland 1984 Which Side Are You On ? (moyen mtrage)
1983 Questions of Leadership (TV) (moyen mtrage) 1983 The Red
and the Blue : Impressions of Two Political Conferences - Autumn
1982 (TV) 1981 Regards et sourires 1980 Auditions (TV) 1980 The
Gamekeeper 1978 Black Jack 1973 A Misfortune (TV) 1971 Family Life
1971 The Save the Children Fund Film (moyen mtrage) 1969 Kes 1967
Pas de larmes pour Joy 1966 Cathy Come Home
Table des matires REMERCIEMENTS INTRODUCTION Crer du dsordre
DFIER LE RCIT DES PUISSANTS Lobjectif comme il humain Le cinma
comme rvlateur La crdibilit de lacteur Lhistoire comme microcosme
Construire une quipe
Non, non, non Le montage : avec les yeux La musique : porte
vers luniversalit La tlvision fait partie de lappareil dtat
Capitalisme brut Le langage de la rue Le rcit britannico-irlandais
Ici et maintenant Le rle politique de la culture
Lennemi est gigantesque Cinq camras brises Le rcit du futur
FILMOGRAPHIE KEN LOACH
DANS LA MME COLLECTION Dans ce petit livre baguenaudeur,
lanarchiste Marianne Enckell constate que, dans les espaces
autogrs daujourdhui, les squats militants, les centres de
rencontres libertaires, les jeunes gnrations ont rinvent cette
culture solidaire qui fut celle du mouvement anar. Jean-Luc
Porquet, Le Canard enchan 12 mars 2014 Dune lecture facile, ce
livre est limage de son auteur. nergique et joyeux. Une Marianne
Enckell qui souligne combien le pouvoir na jamais aim ni les anars
ni les mouvements fministes . Camille-Solveig Fol, Midi Libre, 19
mars 2014
Pour changer de vie, pour changer nos vies, il y a mille
mthodes qui sinventent en permanence, un peu partout, dans
lindiffrence du monde mdiatique ou politique. Ce petit bouquin est
un relais indispensable vers ces mille mthodes. Jean-Michel
Lacroute, Mediapart, 9 avril 2014
Et stait imprgn de leur pense ? Jean-Luc Porquet, Le Canard
enchan, 12 juin 2013 Cest peut-tre l lun des intrts majeurs de ces
textes rassembls et prsents par Lou Marin remettre au got du jour
cet aspect libertaire de Camus, au moment o les tats dbattent pour
tenter de conserver des traditions, des usages, des pouvoirs qui ne
fonctionnent plus, ou gure plus. Daniel Cohn-Bendit, Le Nouvel
Observateur, juillet 2013 Il sera difficile dsormais dcrire sur la
pense dAlbert Camus sans se rfrer aussi ces crits. Hubert
Prolongeau,
Marianne, 15 juin 2013 Lhonneur des libertaires, toutes nuances
confondues, fut de ladmettre pour un des leurs, sans jamais tenter
de lattacher un quelconque dogme. Ce livre, prcieux, en atteste.
Arlette Grumo, Le Monde libertaire, 19 dcembre 2013
1re dition : juin 2014 Indigne ditions, juin 2014 Maquette :
Vronique Bianchi Photo de couverture : Joss Barratt Corrections :
Marie-Christine Raguin, www.adlitteram-corrections.fr
Cette dition lectronique du livre Dfier le rcit des puissants
de Ken Loach a t ralise le 16 juin 2014 par les ditions Indigne.
Elle repose sur ldition papier du mme ouvrage (ISBN :
9791090354531). Dpt lgal : 2e trimestre 2014. ISBN ePub :
9791090354661. Le format ePub a t prpar par ePagine www.epagine.fr
partir de ldition papier du mme ouvrage.