BOOK REVIEW
Denis Baranger: Ecrire la constitution non-ecrite.Une introduction au droit politique britannique
Presses Universitaires de France, collection ‘‘Leviathan’’,Paris, 2008, 315 pp, Index, ISBN: 2130521142
Franck Lessay
Published online: 4 June 2010
� Springer Science+Business Media B.V. 2010
D’une heureuse formule comme il s’en trouve beaucoup dans son ouvrage, Denis
Baranger resume parfaitement la difficulte et l’interet de son sujet en affirmant que,
‘‘avant toute chose, la constitution britannique existe a l’etat de probleme’’ (p. 4).
C’est dire, aussi, pourquoi cet objet enigmatique fascine et, depuis si longtemps,
exerce tant d’intelligences. C’est le cas en Angleterre en tout premier lieu, ou il ne
se dissocie pas d’une interrogation admirative sur la nature du genie national, ses
fondements et ses effets. L’entreprise de Denis Baranger participe de cette volonte
d’elucidation. Elle est d’autant plus necessaire et legitime que, souligne-t-il a juste
titre, les Francais qui s’appliquent a la comprendre ont le plus souvent tendance a
soumettre cette constitution a ‘‘une ontologie qui ne lui convient pas’’ (p. 5). Auteur
d’un Parlementarisme des origines publie dans la meme collection (prix Francois
Furet 1999) et de nombreux travaux consacres a la Common Law et a la philosophie
anglaise du droit, il etait arme pour echapper a ce travers et aborder de maniere
fructueuse la lancinante question des conditions de production de cette realite sans
cesse changeante et toujours identique a elle-meme, dont l’evolution est regie par
des raisonnements qu’il definit judicieusement comme des ‘‘machines a fabriquer de
la nouveaute politique a partir de la continuite institutionnelle’’ (ibid.).L’enquete prend vite les proportions d’une fresque. Elle invite le lecteur a
parcourir l’histoire d’un pays ou le droit a preexiste a la constitution, sans doute
parce que ce droit a toujours ete—la est une clef de l’interpretation proposee—un
droit politique, ‘‘en ce sens qu’il se donnait pour tache de recouvrir l’action des
detenteurs du pouvoir politique’’ (p. 6). On n’a pas affaire a une branche d’un
systeme de droit positif, mais a une problematique visant a ‘‘mettre en rapport les
formes du droit avec celles de l’action politique’’ (ibid.). Cette problematique
a faconne une culture qui a ete le terreau a partir duquel ont germe ‘‘les formes
qui finiront par etre appelees ‘‘constitution’’ et par faire l’objet d’un ‘droit
F. Lessay (&)
Universite de la Sorbonne Nouvelle - Paris III, Paris, France
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Int J Semiot Law (2010) 23:361–363
DOI 10.1007/s11196-010-9145-1
constitutionnel’’’ (ibid.). L’etude de Denis Baranger opere ainsi la synthese
paradoxale d’une approche ‘‘historiciste’’ et d’une approche philosophique qu’on
pourrait dire hobbesienne: elle offre un decryptage qui, a la fois, assigne un role
essentiel (comme il convient) au developpement historique et qui est conduit a la
lumiere de concepts operatoires comme celui du pouvoir (plutot que des pouvoirs).
La demarche suivie souligne assez, par elle-meme, que les enjeux de l’analyse ne
sont pas strictement juridiques mais appellent, pour etre adequatement cernes, le
recours a d’autres ressources que celles du droit—a moins, precisement, qu’il faille
les ranger dans la categorie du ‘‘droit politique’’, ce qu’on fera volontiers en suivant
l’auteur. Il n’y a pas lieu, des lors, de s’etonner de voir celui-ci nourrir sa reflexion
de references qui ne se limitent pas aux classiques de la litterature juridique, de
Fortescue a Dicey en passant par Edward Coke et Blackstone, mais incluent les
philosophes qui se sont efforces de penser le droit—notamment Hobbes, Locke,
Bentham—et ces minores de la pensee politique dont les textes ont contribue a
mettre en lumiere certaines difficultes theoriques, tels Robert Filmer (sur la
souverainete) ou Thomas Paine, ‘‘l’un de ces hommes eclaires de la fin du XVIIIe
siecle qui surent retourner a leur profit les evidences, y compris morales’’ (p. 3), en
s’interrogeant sur la realite meme d’une constitution non ecrite et, a ce titre, orientee
vers le passe et fort peu, ou de maniere aleatoire, vers l’avenir. Dans la controverse
engagee par ce dernier, il n’est pas illegitime, pour reprendre le questionnement de
Denis Baranger, de se demander ‘‘a qui revint la victoire’’ du point de vue de la
‘‘modernite politique’’ (ibid.). Ce serait, cependant, trahir la ‘‘philosophie implicite
de l’Histoire’’ (p. 12) qui sous-tend, par un effet de miroir significatif, le
developpement de la constitution anglaise et l’exploration qui en est faite, que de
repondre a la question dans les termes ou elle est formulee. Cette constitution a un
statut historique qui l’apparente au droit naturel: ‘‘Ni l’un ni l’autre ne se voient
autorises a exister, mais, de l’un comme de l’autre, on n’a pas reussi a se dispenser’’,
tant il est vrai que, a la premiere, on doit des ‘‘institutions-types’’ (expression
empruntee a Esmein) et une culture toujours actuelle axee sur le gouvernement
representatif, la separation des pouvoirs et les libertes individuelles (p. 3).
Accordant a ces differents plans l’importance que chacun merite, l’etude de
Denis Baranger procede en cinq etapes successives: les notions fondamentales liees
a la theorie de l’Ancienne Constitution (coutume, lois du roi, gouvernement mixte);
les sources philosophiques du constitutionnalisme (Locke en particulier, avec
l’usage qu’il legue a la posterite de la metonymie associant, a propos du legislatif,
l’institution et la fonction); l’approche specifiquement anglaise du droit constitu-
tionnel (fondee sur une distinction ambigue entre loi du Parlement et loi des juges et
prenant plutot la forme, au fil du siecle dernier, d’un droit public embrassant
l’ensemble des structures de l’Etat); la substitution de la Couronne impersonnelle a
la volonte individuelle du monarque (et ses effets concrets); la realite moderne du
corps politique britannique (demultipliant le lien d’allegeance entre les echelons
institutionnels et les territoires et faisant de la souverainete non pas un etat mais un
processus).
Concu avec rigueur, le tableau ainsi compose temoigne d’une connaissance
intime et profonde de l’histoire politico-juridique de l’Angleterre et identifie avec
perspicacite les points nevralgiques de la culture qui a produit la constitution telle
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qu’elle se presente aujourd’hui et telle que, peut-etre, elle restera quelque temps
encore. C’est peu de dire que, loin de les fuir, l’auteur va au-devant des difficultes
de son sujet et s’emploie a en rendre compte avec la plus grande probite, sans jamais
ceder a la moindre forme d’unilateralisme. Aussi incline-t-on a le suivre dans la
plupart de ses analyses et de ses conclusions, quand meme on eprouve parfois une
hesitation ou un doute. Simple detail, l’affirmation selon laquelle la Glorieuse
Revolution de 1688 constitue ‘‘l’evenement qui consacre definitivement la mutation
d’un principe de suprematie du droit en principe de ‘‘souverainete organique’’ de
l’institution parlementaire’’ (p. 102) n’est-elle pas dementie par la permanence du
primat reconnu a la rule of law, atteste encore recemment par le texte du
Constitutional Reform Act de 2005? Et n’est-ce pas revenir—horresco referens—a
un cliche de l’historiographie whig que d’ecrire que, ‘‘avec l’arrangement politique
de la Glorieuse Revolution, on passe d’un droit politique feodal a une ‘‘constitu-
tion’’’’(p. 203)? Il est vrai, cependant, que les guillemets qui entourent ce dernier
mot laissent entendre qu’il en est fait un emploi presque metaphorique.
Question dont on mesure l’injustice eu egard au nombre de commentateurs et
d’historiens cites, pourquoi Kantorowicz occupe-t-il une place si discrete dans le
chapitre intitule ‘‘Ce qu’il est advenu de la Couronne’’, alors que l’utilisation de ses
travaux semblerait devoir renforcer la demonstration qui y est fournie? Est-ce par
souci de reduire la dimension ‘‘mystique’’ de la conception qui serait a l’origine de
l’identification du monarque a une corporation? Est-ce parce que Kantorowicz
‘‘romaniserait’’ a l’exces les institutions medievales? On peut egalement s’interr-
oger sur les raisons qui conduisent a privilegier le point de vue de tel ou tel
philosophe. Locke nous eclaire-t-il vraiment sur les enjeux politiques des theories
constitutionnelles, sinon par des ambiguıtes de langage que leur caractere
metonymique ne rend pas moins ideologiques? Pourquoi, d’autre part, le silence
observe a propos des reformes constitutionnelles (la devolution exceptee) mises en
œuvre par l’administration Blair (on pense tout particulierement a la transformation
engagee de la Chambre des Lords et a l’adoption du Human Rights Act)? L’auteur
les croit-il sans grande portee? Estime-t-il qu’il est trop tot pour en proposer un
bilan? Son jugement informe, en la matiere, importerait d’autant plus que de bons
observateurs percoivent dans ces developpements les signes d’une evolution vers
un modele classique d’Etat constitutionnel (voir le dernier ouvrage de Vernon
Bogdanor, The New Constitution).
A dire vrai, on est tente de se demander si, d’une maniere generale, Denis
Baranger ne surestime pas legerement la singularite de son objet. Les differences
separant le regime anglais du regime francais d’avant les constitutions ecrites
etaient-elles aussi quintessentielles qu’il ressort implicitement de son etude? Et la
specificite du premier ne tend-elle pas, desormais, a s’estomper? Peut-etre la
propension de l’historien francais manifeste-t-elle, paradoxalement, un effet
d’optique du a l’anglo-centrisme sous-jacent a une grande partie de la litterature
juridique britannique dont il est impregne. Reste un ouvrage dont les qualites
d’erudition, de profondeur et de clarte se conjuguent pour en faire un substantiel
hommage a une culture politico-juridique dont la richesse et la fecondite recoivent
ici une eclatante demonstration.
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