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REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO - PRINTEMPS 2014 - N°9!

ENTRETIEN AVEC ANTOINE GARAPON

Deals de justice

Antoine GARAPON Magistrat Docteur en Droit Secrétaire général de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ)

Antoine Garapon est magistrat, Docteur en droit, et Secrétaire général de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice. Membre du comité de rédaction de la revue Esprit, il a également publié de nombreux écrits, au rang desquels on trouve Le gardien des promesses, justice et démocratie, Bien juger : essai sur le rituel judiciaire ou encore La raison du moindre État : le néolibéralisme et la justice. Il nous parle ici de Deals de justice, le marché américain de l’obéissance mondialisée, ouvrage qu’il a codirigé avec Pierre Servan-Schreiber. Cet ouvrage décrypte un nouveau mode de régulation par lequel les autorités américaines utilisent la menace du procès pénal, long et à l’issue incertaine, pour contraindre des multinationales à se mettre en conformité avec leurs lois et à payer des amendes très importantes. Tout d’abord, pourriez-vous présenter votre parcours et les raisons pour lesquelles vous avez choisi de vous détacher de la magistrature pour l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ) et l’écriture ? J’ai suivi une formation de magistrat, mais j’ai également fait une thèse en sociologie du droit avec Jean Carbonnier sur le « rituel judiciaire ». J’ai été juge des enfants pendant un peu moins de douze ans, et en même temps, j’ai enseigné la sociologie du droit à Paris II. Ainsi, j’ai une double formation de sciences humaines et de droit. Quand le premier ministre de l’époque Michel Rocard a créé l’IHEJ, c’était l’occasion pour moi de rentrer dans cet institut qui cherche à combler le « trou » entre les universités, la recherche et la pratique judiciaire. L’objectif de l’IHEJ est de réfléchir sur toutes les questions nouvelles qui traversent le droit, et qui sont tellement nouvelles qu’elles ne sont pas encore pensées par l’université. Ce sont des questions qui portent sur l’éthique des juges, les médias, la corruption, l’économie bien sûr, la comparaison des cultures judiciaires, le droit financier, et surtout la mondialisation. Le champ des études juridiques est trop enclavé en France, dans un droit qui est trop positif et trop coupé des sciences humaines. Cela m’a amené à travailler sur des champs très divers, à publier et, de fil en aiguille, à faire des émissions de radio. Donc je suis un juge perdu pour la pratique du droit !

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Parmi tous les sujets qui pourraient faire l’objet de recherches approfondies, pourquoi Deal de justice ? D’où l’idée est-elle venue ? Il y a une unité dans la vie et une unité dans le droit que ne voient pas les juristes. Le mécanisme de transaction dont il est question dans Deals de justice, on le retrouve aussi bien dans des domaines comme la justice pénale ordinaire ou le divorce que le grand business. Il ne faut pas se laisser impressionner par la technicité du droit. La technique fonctionne beaucoup comme une illusion pour détourner les regards. Là ce qui est intéressant c’est qu’on voit des sommes considérables, mobilisant des moyens considérables, pour en réalité une négociation assez simple. Donc ne pas se laisser abuser par la technicité, et ne pas trop sectoriser les questions. La globalisation a deux sens. Elle a un sens matériel, c’est le fait qu’il y ait une mise en présence des hommes, des cultures, des systèmes économiques. Mais elle a aussi un sens épistémologique, c’est à dire que tous les domaines qui étaient autrefois séparés font masse : la géopolitique se croise avec l’économie, qui se croise avec le droit, la procédure civile, les questions d’influence. Tout fait masse. Et dans les deals de justice, ce qui est intéressant, c’est qu’on mélange des questions de corruption avec des questions de sanctions économiques contre l’Iran ou contre Cuba. Donc c’est de la géopolitique, cela n’a rien d’universel. La corruption, en revanche, est universelle et si on veut percer cette évolution, il faut donc à la fois faire de la géopolitique, de la procédure civile, etc. Pourquoi les autorités américaines ont-elles commencé à développer ces nouveaux types de règlements ? Les autorités américaines ont une supériorité sur les autres : elles se sont mises à l’échelle du monde, ce qui n’est pas le cas des autorités françaises. Aujourd’hui les entreprises sont mondialisées alors que les pouvoirs politiques sont locaux. Plus les entreprises sont globales, plus elles « ringardisent » les autorités étatiques, c’est-à-dire que les autorités étatiques ne sont plus à l’échelle. Dans une affaire de corruption internationale qui concerne une entreprise opérant dans de nombreux pays, que peut faire un juge français ? Va-t-il envoyer une commission rogatoire pour saisir des gouvernements étrangers? Il n’y arrivera jamais ! Premièrement, c’est très long. Ensuite, il va tomber sur une police très diligente, une autre très corrompue, ce n’est pas non plus le même droit partout, etc. Bref, cela ne marche pas. Il y a donc un décalage entre un marché global, sans frontière, et des États qui ne sont pas à la hauteur. Or les Américains le sont pour de nombreuses raisons : ils sont la première économie du monde, il existe une hégémonie américaine, etc. Ils y arrivent, et ils ont donc proposé des réponses très concrètes. On a pu dire que des entreprises qui utilisaient le dollar et qui étaient impliquées dans un scandale de corruption pouvaient être poursuivies par les autorités américaines pour la simple raison qu’elles utilisaient le dollar. Jusqu’où cela peut-il aller en matière d’extranéité des lois sur lesquelles se fondent ces transactions ? Ces actions de la part des autorités américaines sont impures dans la mesure où elles ne répondent pas exclusivement au souci de faire respecter le droit, ni exclusivement au désir de taxer les entreprises, ni même à des préoccupations simplement géopolitiques. C’est un peu

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tout cela, et c’est la raison pour laquelle elles sont à la fois passionnantes et très compliquées. Dans ces transactions, il y a une dimension d’impôt sauvage pris par les États-Unis sur les entreprises étrangères. Il existe des situations complètement ubuesques. On peut prendre l’exemple de la célèbre image de Che Guevara prise par un photographe cubain. Ce photographe est décédé, mais sa fille protège les droits de la photographie. Elle trace les usages par internet et quand une photo est prise, le preneur doit lui payer des droits. Un jour, un avocat français, devant lui notifier une assignation, passe par une entreprise de type UPS. Cela déclenche des poursuites des autorités américaines [du fait de l’embargo économique américain sur Cuba]. Dans ce cas, c’est quasiment du racket ! Toutes les occasions sont bonnes pour faire de l’argent et contrôler des affaires qui n’ont absolument rien à voir avec les États-Unis. Ces transactions sont donc une manière pour les États-Unis d’exercer leur domination, mais on ne peut pour autant réduire ces deals de justice à cela. Il n’y a donc pas d’entreprises qui seraient immunisées ? Toute multinationale qui ferait des affaires aux États-Unis pourrait être concernée. La clé de tout cela c’est de dire « si vous voulez faire du business aux États-Unis, vous devez respecter les lois américaines ». Mais comme aujourd’hui pratiquement toutes les entreprises font du business aux États-Unis c’est rarissime d’y échapper, surtout qu’on opère avec des critères matériels et pas économiques. En effet, le paiement en dollar est un critère matériel. On est ici face à un dispositif, c’est à dire un mécanisme cohérent qui a vocation à être transposé dans d’autres domaines. Celui qu’on a identifié dans Deals de justice était initialement appliqué en matière de corruption. Aujourd’hui, il s’étend aux droits de l’homme et à l’évasion fiscale. Où pourrait être ses limites ? Les entreprises multinationales ont-elles le choix d'accepter ou de coopérer avec les autorités américaines ? Quelle est leur marge de manœuvre ? La marge de manœuvre des entreprises est très faible, puisque celles qui refuseraient les deals de justice n’auraient alors plus accès au marché américain. Elles n’ont de fait plus d’autre choix que de négocier dans le but de limiter les dommages. Ces négociations peuvent porter sur de nombreuses données : quelles branches d’activité seront concernées par l’enquête ? Avec quelles autorités américaines et sur quelle durée ? Ce sont autant d’éléments que l’entreprise peut négocier. La multinationale ne peut-elle pas refuser le deal et assumer le risque d’un procès ? L’entreprise se suiciderait alors économiquement. C’est ce qui s’est passé dans un contentieux opposant le Congrès juif mondial à UBS et Crédit Suisse en 1998. En effet, les Américains ont ordonné aux banques suisses de restituer les avoirs qu’elles détenaient abusivement pendant la Seconde Guerre mondiale. Or les banques ayant refusé le deal au profit d’un procès, se sont alors vues refuser leurs licences bancaires aux États-Unis. Cela a donc forcé les banques à coopérer, puisqu’elles ne peuvent pas se passer de l’accès au marché américain. Les autorités américaines obligent de fait les entreprises voulant faire des affaires aux États-Unis à payer. Il existe ainsi une sorte de symétrie surprenante entre la corruption et le deal de justice.

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Cette pratique de la transaction contraste avec l'idée que l'on se fait généralement du procès pénal américain. Vous parlez d'ailleurs avec Pierre Servan-Schreiber d'un « changement de paradigme ». Est-ce dire que l’on se dirige vers une « justice sans justice » ? C’est de plus en plus le cas, si vous regardez l’anti-concurrence européenne ou française (avec l’AMF) par exemple. Même la réforme actuelle de Mme Taubira va dans ce sens. La justification en est simple : nous n’osons pas nous l’avouer mais les États n’ont plus la force de découvrir la vérité, ni les moyens humains pour y arriver. Schématiquement, lorsqu’une entreprise veut faire un montage (on appelle cela pudiquement « l’optimisation fiscale »), elle convoque ses avocats et ses comptables, et construit une opération complexe. Un juge formé à l’ENM et sa greffière auront du mal à démonter ce travail. Or le pragmatisme américain fait qu’ils ont trouvé une parade fondamentalement intéressante : un deal crédible. Dans un deal de justice, les entreprises concernées ne deviennent-elles pas de fait leur propre procureur ? Totalement ! Cela est un phénomène très ancré dans la pratique : la réponse devant la faiblesse des États est d’internaliser la fonction régalienne dans les entreprises. C’est bien là la logique du commissaire aux comptes, mis en place antérieurement aux deals de justice. Pour ces derniers, les « gendarmes » payés par l’entreprise exercent une fonction de contrôle, qui est aussi une fonction régalienne. C’est en réalité toute la culture de l’entreprise qui change par l’internalisation de l’enquête, et la tendance est à l’amplification du phénomène. Qu’en est-il des grands principes directeurs de la justice pénale, et notamment l’interdiction de l’auto-incrimination prévue au cinquième amendement de la Constitution américaine ? Les entreprises s’auto-incriminent, les droits de la défense sont de fait quasi-inexistants. Il faut aussi souligner un phénomène sous-jacent : une entreprise suspectée de corruption par le département de justice américain (United States Department of Justice « DoJ ») va vouloir être crédible. Elle va de fait prendre des avocats américains, qui eux-mêmes bénéficient souvent d’une certaine crédibilité auprès des autorités américaines – la moitié d’entre eux venant du DoJ ou de la Securities and Exchange Commission. Bien que nous soyons loin de payer nos propres tortionnaires, la question de l’allégeance de ces avocats aux autorités américaines se pose. Pourtant ces avocats, ainsi que les autres intervenants du deal, sont engagés et payés par l’entreprise. Peut-on donc supposer une partialité qui pencherait en faveur de l’entreprise ? Sauf qu’il s’agit ici d’avocats américains. Sont-ils plus proches de leurs anciens collègues du DoJ ou du polytechnicien français ? La réponse semble quelque peu évidente.

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Le développement des procédures de transactions entre les autorités américaines et les entreprises multinationales ne doit-il pas être appréhendé comme l'illustration d'une nouvelle forme de régulation économique et politique. Ne peut-on pas parler d’impérialisme juridique en la matière ? Ce n’est pas de l’impérialisme juridique mais une question de rapports de force. Il y a une hégémonie américaine évidente. Mais c’est un phénomène ambigu, car aux États-Unis il y a une authentique recherche de rendre le monde un peu meilleur. Ce n’est pas du racket pur et simple. Il y a beaucoup d’interrogations - sur les droits de la défense par exemple -, mais c’est fait avec sérieux, les sommes sont calculées sérieusement. Quid de la règle du non bis in idem ? Dans l’affaire Siemens, par exemple, quelle a été l’articulation avec le travail des procureurs allemands qui, les premiers, ont relevé les anormalités ? N’y a-t-il pas des contradictions entre les agissements des autorités américaines et les législations étrangères ? Ils ne se sont pas dessaisis. Les Américains ont argué que cela traînait trop, mais il y a bien eu une condamnation allemande. En définitive, Siemens a beaucoup payé et en plus avec une amende fixée par la personne qui transige aux États-Unis ! C’est cela qui pose problème. Si la transaction avait été fixée par une référence externe, il y aurait eu un barème, une véritable peine. Mais là, il n’y a jamais eu de peine du côté américain. A aucun moment, Siemens ne s’est-elle jamais prévalu de la règle de non bis in idem pour éviter l’amende ? Elle n’a pas pu car il ne s’agit pas d’un système organisé par un texte, comme la Convention de la Haye de 1970 ou comme la Convention européenne d’extradition. Là, il s’agit d’un rapport de force. Et officiellement, elle n’a pas été jugée par les États-Unis. S’agissant de l’adaptation des entreprises et leur « self defense » dont parle Astrid Mignon-Colombet dans le livre, quels ont été les changements dans leur comportement ? Nous avons été surpris de voir à quel point elles laissent faire car elles sont pragmatiques. Quand elles signent, par exemple, on leur interdit de parler de l’affaire. Elles paient une grosse amende et en plus, elles ont l’interdiction de contester cette amende. Cela va loin ! Etonnamment, les entreprises entre elles ne communiquent pas tellement. Avec la sortie du livre Deal de justice, beaucoup d’entreprises se sont dit « c’est exactement ce qu’on vit ». Ceci est intéressant car cela veut dire que cette réalité de la vie des affaires est une vérité naissante qui est en train de s’affirmer. Maintenant, je pense qu’il y aura plus de réactions de la part de l’Europe, peut-être de l’ONU. Un chapitre de votre ouvrage porte sur la vertu. Est-ce que la mise en conformité (compliance) exigée par les États-Unis a réellement des effets en termes de corruption ? Il y a plusieurs choses. D’abord, il y a le monitor qui va contrôler la mise en conformité pendant 3 à 5 ans. Au terme de cette période, de nombreuses choses se mettent en place (des circuits pour les factures, des personnes chargées de contrôler etc.). S’agissant de Siemens, c’est 600 employés pour la phase de compliance. Ce n’est pas rien ! En plus, selon Siemens, la

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corruption nuit à l’efficience économique des marchés ainsi qu’à l’innovation. Depuis les contrôles, ils se sont rendus compte que leur matériel n’était pas si performant que cela. Ils ont alors davantage investi dans l’innovation et cela n’a pas été négatif pour eux. Pour autant, je ne pense pas que cela ait fait cesser la corruption. J’ai rencontré beaucoup d’entreprises qui ont fait des deals de justice, et l’avis est vraiment partagé. Certaines disent que le milieu des affaires a changé, d’autres disent qu’en réalité, elles paient et continuent de faire la même chose. Pensez-vous que ce type de procédures transactionnelles gagnerait à être utilisé en Europe ? De telles pratiques seraient-elles compatibles avec notre conception des droits de l'homme, et surtout de nos droits processuels ? J’en suis sûr. La question est surtout de nature politique. L’Europe n’est pas une forme politique qui est arrivée à maturité, elle ne se pense pas vis-à-vis de l’extérieur. Je pense personnellement qu’il faudrait qu’elle le fasse et qu’elle se pose en disant « vous, vous faites le ménage pour les entreprises américaines, et nous le faisons pour les entreprises européennes ». Cela serait une manière de faire exister l’Europe comme une puissance de stabilisation, et de civiliser la globalisation économique qui est un peu sauvage. Comme les entreprises européennes sont en concurrence entre elles (il y a du dumping social, fiscal…), nous n’y sommes pas encore. Est-ce possible en France, compte tenu de l’importance de notre droit civil, d’évincer certaines procédures pénales ? Il n’y a pas de déterminisme culturel. Le droit civil est en train de se mettre à la transaction et à la négociation dans beaucoup de domaines. C’est étranger à notre culture mais ce n’est pas un obstacle dirimant. La preuve en est que les entreprises transigent de plus en plus, et c’est plutôt une bonne chose. En théorie, la justice est rendue de façon publique. Ici, il s’agit de procédures non publiques. Ce nouveau système de gouvernance ne serait-il donc pas une régression pour le citoyen, qui ne voit plus justice se faire ? Est-ce une nouvelle façon de penser la place du droit ? Je rectifierais le vocabulaire. La justice est un processus de nomination publique. Là il y a des faits, et un transfert d’argent qui tient lieu de peine. Entre les deux, tout est silencieux. Il n’y a pas de discours punitif, car dans le fond la perspective n’est pas punitive mais fonctionnelle. C’est à la fois la nouveauté et ce qui perturbe. On se rapproche d’une justice absolument économique. En France, la justice sanctionne un comportement passé parce qu’il n’est pas conforme à la loi. Là, la perspective est très différente. Il y a des pratiques qui rendent un marché moins efficient et qui, dans le fond, empêchent le marché de produire ses effets vertueux d’enrichissement collectif et d’égalité - si tant est qu’il soit égalitaire. On va donc vers une justice entièrement tournée vers l’avenir. Il n’y a plus vraiment de faute, c’est cela qui est étonnant. En plus, les personnes physiques s’en sortent bien parce qu’on ne recherche pas leur responsabilité.

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Serait-il alors possible d’avoir à la fois des deals de justice et une poursuite civile et pénale des personnes physiques ? Cela pourrait se passer. Dans l’affaire Siemens, c’est ce qui se passe. En l’occurrence, on envoie le middle management à « la boucherie ». C’est lui qui prend tout. Ce n’est pas complètement injustifié car dans la corruption (même s’il y a plusieurs formes de corruption), il y a une telle pression sur le middle management pour qu’il fasse du chiffre, qu’ils finissent par établir un cartel intermédiaire au niveau du middle management. Le risque c’est que ce soit toujours les puissants qui s’en sortent bien. Cette procédure ne gagnerait donc pas à être médiatisée ? C’est le dilemme des Anglais [qui se sont dotés du Bribery Act le 8 avril 2010]. Cela marche car il n’y a ni juge, ni publicité. L’entreprise en pâtit un peu, mais pas autant que si elle était exclue des marchés publics. En plus, on est dans un autre paradoxe : il y a les entreprises qui sont « too big to fail » et celles qui sont « too big to jail ». C’est le signe d’une transformation du champ économique et juridique liée à la mondialisation. A mon avis ces pratiques vont se reformuler et, j’espère, se civiliser un peu. Deals de justice : le marché américain de l'obéissance mondialisée (2013) est disponible aux Presses Universitaires de France. Codirigé par Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber, cet ouvrage regroupe des contributions d'Hubert de Vauplane, Olivier Boulon, Astrid Mignon-Colombet, Daniel Soulez-Larivière et Frédéric Gros.