Perspectives
Économiques
Juin 2018
À la une
• La dynamique économique des pays développés a continué à suivre une évolution divergente ces dernières semaines. Aux États-Unis, des signes évidents de reprise se sont manifestés au deuxième trimestre, après un premier trimestre morose. La confiance élevée des entreprises, la politique budgétaire expansionniste et les solides performances du marché du travail continuent de soutenir la croissance. Nous avons par conséquent augmenté nos prévisions de croissance pour 2018 de 2,6% à 2,8%.
• Les chiffres de la zone euro restent en revanche quelque peu décevants. Dans certains États membres, l'instabilité politique a suscité l'inquiétude et l'horizon s'est assombri sur le front du commerce international. Cela donne à penser que pour l'ensemble de 2018, la croissance économique de la zone euro restera un peu plus faible que prévu récemment et cela confirme en outre la révision à la baisse de nos prévisions de croissance déjà opérée le mois dernier.
• L'agitation des marchés consécutive à la mini-crise en Italie est quelque peu retombée, mais elle a fait des dégâts. En fin de compte, le taux italien est encore légèrement supérieur à son niveau antérieur à la crise, tandis que le taux allemand reste quelque peu sous pression baissière. Une crise a été évitée, mais le risque subsiste à long terme. Il est peu probable que le gouverne-ment actuel soit en mesure de s'atteler aux problèmes économiques fondamentaux de l'Italie. Une politique de souplesse budgétaire sans de profondes réformes économiques est l'option la plus probable. Alors que la BCE commence à normaliser sa politique monétaire, l'inquiétude entourant la viabilité de la dette publique dans la zone euro redeviendra un thème essentiel pour le marché.
• Le risque d'une véritable guerre commerciale s'est accru ces dernières semaines. Le différend commercial s'intensifie maintenant que Donald Trump met ses menaces à exécution. Ses princi-paux partenaires commerciaux ne bénéficient plus de l'exonération des droits d'importation plus élevés sur l'acier et l'aluminium. Les mesures de représailles détermineront l'impact du conflit sur la croissance économique. Nous saurons alors si elles déclenchent une spirale protectionniste négative. Pour l'Europe, des taxes éventuelles sur les importations américaines de voitures sont le risque majeur.
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 2
• Dans la zone euro, la pression inflationniste se renforce progressivement. L'inflation a grimpé à 1,9% en mai. Des facteurs temporaires, tels que la pression haussière des prix de l'énergie et des denrées alimentaires, y ont joué le rôle le plus important. La BCE a toutefois profité de l'accéléra-tion de l'inflation pour annoncer la fin de son programme d'achat d'actifs financiers.
• Après septembre 2018, la BCE réduira ses achats mensuels nets de titres de créance de 30 milliards EUR à 15 milliards EUR et en décembre 2018, elle devait clôturer son programme d'achat. Elle a cependant aussitôt ajouté qu'elle maintiendrait son taux directeur à son niveau actuel au moins jusqu'à la fin de l'été 2019. Sans doute souhaite-t-elle ainsi empêcher les marchés financiers de tabler sur une hausse des taux trop rapide ou trop marquée. La communication de la BCE est globalement conforme à notre scénario. La normalisation des taux ne sera amorcée que bien après la fin du programme d'achat, soit au second semestre 2019 au plus tôt.
• Encadré - Les devises en tant qu’armes économiques: pourquoi l’euro en tant que monnaie inter-nationale reste-t-il à la traîne par rapport au dollar américain?
Contexte international
Désarrimage de l'économie des États-Unis de celle de la zone euro
Les économies des pays développés ont suivi une évolution
divergente ces dernières semaines. Aux États-Unis, les
indicateurs du deuxième trimestre se sont bien redressés
après le creux du premier trimestre. En mai, la confiance des
producteurs dans l'industrie manufacturière et les secteurs
de services a rebondi. La confiance des consommateurs est
également restée très élevée. Elle continue de s'appuyer sur
les excellentes performances du marché du travail. Plus de
200.000 emplois ont de nouveau été créés et la Jobs Openings
and Labor Turnover Survey a également mis en évidence un
nouveau resserrement du marché du travail (figure 1). Pour la
première fois depuis la création de cette enquête en 2000, le
nombre de nouveaux emplois vacants a même dépassé celui
des chômeurs.
Une nouvelle pression haussière sur les salaires est par conséquent
très probable, ce qui attisera l'inflation. Conjointement avec
l'impulsion de croissance de la politique budgétaire, la vigueur
du marché du travail suggère une accélération de la croissance
économique américaine au deuxième trimestre. Le taux de
croissance pour l'ensemble de l'année 2018 sera par conséquent
substantiel. C'est pourquoi nous avons relevé nos prévisions de
croissance pour 2018 de 2,6% à 2,8%.
Dans la zone euro, les indicateurs ont quelque peu déçu. Ils
n'ont pas annoncé le prompt redressement espéré après la
faible croissance du premier trimestre. En mai, la confiance des
producteurs a encore chuté pour atteindre son plus bas niveau
en 18 mois. Les indicateurs de confiance restent cependant
nettement supérieurs au niveau correspondant à l'expansion
économique. Ce recul indique toutefois que la confiance des
entrepreneurs dans la zone euro ne se redresse pas comme
aux États-Unis. Dans un contexte d'inquiétude croissante face
à l'instabilité politique et à l'assombrissement des perspectives
commerciales, il suggère que la croissance du PIB de la zone
euro pour l'ensemble de 2018 sera un peu plus faible qu'on ne le
Source: KBC Economic Research sur la base du US Bureau of Labor Statistic
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Jan-01 Jan-05 Jan-09 Jan-13 Jan-17
Chômeurs
Nouveaux postes vacants
Figure 1 - Les signes d'exiguïté se multiplient sur le marché du travail
américain(en millions)
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 3
pensait il y a peu. Les indicateurs d'activité vont également dans
ce sens. Les chiffres de la production industrielle en Allemagne
n'ont pas répondu aux attentes. La baisse de la production
reflète probablement le recul des commandes au cours des
quatre mois précédents. Étant donné que celles-ci constituent
un indicateur avancé important, leur diminution laisse entrevoir
des risques baissiers importants pour les perspectives de
croissance de l'Allemagne et de la zone euro. Tous ces éléments
étayent la révision à la baisse de nos prévisions de croissance
pour la zone euro, que nous avons opérée le mois dernier.
Risque accru d'une véritable guerre commerciale
Le conflit commercial se durcit avec la mise à exécution des
menaces. Donald Trump a décidé d'appliquer les droits de
douane sur l'aluminium et l'acier à ses principaux alliés. Les
exceptions accordées précédemment au Canada, au Mexique et
à l'UE, entre autres, ont été annulées car, selon le gouvernement
Trump, les négociations n'auraient pas abouti au résultat
souhaité. Pour les économies européennes, l'impact direct des
droits d'importation sur l'acier et l'aluminium sera plutôt limité.
Le marché américain n'est en effet pas aussi important pour les
exportateurs européens d'acier et d'aluminium. Les producteurs
européens seront toutefois confrontés à la concurrence accrue
des importations de pays hors UE. Ainsi, les producteurs des
économies émergentes dans l'UE chercheront des alternatives
à leurs exportations vers les États-Unis. La suite du conflit sera
déterminée par les contre-mesures adoptées. L'UE a annoncé
qu'elle imposerait un tarif douanier de 25% sur les exportations
américaines vers l'UE pour un montant de 2,8 milliards EUR à
partir de juillet. Il reste à voir si les contre-mesures de l'UE et
d'autres partenaires commerciaux des États-Unis déclencheront
une spirale protectionniste.
Les taxes américaines sur les importations de voitures
constituent un risque majeur à cet égard. Le gouvernement
Trump étudie actuellement la question de savoir si l'importation
de voitures pourrait affecter la sécurité nationale américaine.
Il souhaiterait en effet utiliser cet argument pour imposer de
nouvelles restrictions commerciales. Les droits de douane sur
l'importation de voitures frapperaient durement l'économie
européenne. Celle-ci est en effet étroitement liée aux chaînes
mondiales de production automobile. Les États-Unis sont
en outre le principal marché d'exportation pour les voitures
européennes (figure 2).
Les négociations sur une réforme de l'accord commercial
entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (ALENA) sont en
outre toujours en cours. Les droits à l'importation sur l'acier
et l'aluminium ne facilitent pas ces négociations. Le refus du
président Trump en début de mois de signer le communiqué
final du sommet du G7 au Canada ne contribue pas non plus
à créer un cadre de négociation constructif. Il est donc peu
probable qu'un nouvel accord de l'ALENA soit conclu cette
année.
Les relations commerciales se détériorent également entre la
Chine et les États-Unis. Les États-Unis ont annoncé de nouvelles
taxes sur les importations en provenance de Chine pour un
montant de 50 milliards USD. Une première série de produits
pour un montant de 34 milliards USD sera soumise à un droit
d'importation de 25% à partir du 6 juillet. Le traitement
réservé à une deuxième série de produits pour un montant de
16 milliards USD fera l'objet d'une étude préalable. Les tarifs
seraient appliqués ultérieurement. La Chine a réagi presque
immédiatement à cette annonce par des mesures de représailles
d'un montant similaire. Les perspectives de négociations entre
les deux grandes puissances ont donc du plomb dans l'aile.
Globalement, le risque d'une véritable guerre commerciale s'est
donc fortement accru ces dernières semaines. Tout dépend
maintenant des prochaines actions du gouvernement Trump et
de la riposte des principaux partenaires commerciaux.
Sud de l'Europe : la crise a été évitée, mais les risques sous-jacents demeurent
En Italie, les négociations sur la formation d'un gouvernement
entre la Lega et le Mouvement 5 étoiles ont provoqué une
réaction très négative du marché. Le taux à long terme italien
Source: KBC Economic Research sur la base d'Eurostat
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30
40
États-Unis Chine Japon Suisse Turquie
* Voitures, définies selon le Code produit harmonisé 8703
Figure 2 - Les droits de douane américains à l'importation sur les
voitures pourraient nuire à l'économie de l'UE(importations de voitures UE selon le pays de destination, en milliards d'EUR, 2017)
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 4
s'est envolé et l'euro s'est déprécié. Les emprunts d'État
allemands ont une fois de plus servi de valeur refuge de sorte
que leur rendement a baissé. L'inquiétude quant à l'orientation
de la politique italienne a réveillé la crainte d'une nouvelle crise
de l'euro. Une fois que le gouvernement a été installé et qu'il
est devenu clair qu'il n'effectuerait pas immédiatement un
retournement politique draconien, le calme est revenu sur les
marchés. L'inquiétude subsiste toutefois. L'Italie reste en effet
dominée par l'incertitude politique, car il est peu probable
que le gouvernement aille jusqu'au bout de son mandat, les
programmes électoraux des deux partis au gouvernement étant
trop divergents pour cela. En outre, au vu des projets actuels, il
ne semble pas que le gouvernement soit en mesure de résoudre
les problèmes économiques fondamentaux de l'Italie. Un
ralentissement du rythme des réformes économiques est donc
le scénario le plus probable.
D'aucuns ont en outre redouté que la mini-crise italienne ne
contamine d'autres pays. Les événements italiens ont en effet
fait s'envoler les taux à long terme portugais et espagnol.
Cette hausse des taux est cependant restée beaucoup plus
limitée qu'en Italie. L'économie espagnole a donc surperformé
l'économie italienne ces dernières années. L'Espagne reste
toutefois confrontée à d'importants défis économiques, tels
que la poursuite des réformes du marché du travail. Par rapport
au PIB, la dette publique de l'Espagne est inférieure à celle de
l'Italie, mais sa dette extérieure est beaucoup plus élevée que
celle de l'Italie. Cela rend l'Espagne plus vulnérable que l'Italie
à une perte de confiance des investisseurs internationaux.
Plus généralement, les événements survenus en Italie nous
ont rappelé que la zone euro faisait elle aussi toujours face à
plusieurs défis fondamentaux. Ces préoccupations se feront
encore plus pressantes lorsque la BCE commencera à normaliser
sa politique et cessera d'être le principal acheteur de dette
souveraine sur le marché obligataire. Dans notre scénario de
base, il en résultera une hausse des taux d'intérêt. La viabilité
de la dette publique revêtira en outre plus d'importance pour
les marchés financiers.
L'avenir de la zone euro
Pendant la crise de l'euro, diverses décisions ont été prises
pour renforcer structurellement la zone euro. La création du
Mécanisme européen de stabilité (MES) et l'union bancaire en
sont deux exemples importants. Plusieurs lacunes subsistent
cependant. La coordination des politiques est extrêmement
complexe, les mécanismes de crise manquent d'automatisme
et leur capacité financière est limitée. Un renforcement s'avère
donc nécessaire. Tous les espoirs reposent sur la coopération
entre la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président
français, Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron a lancé son ambitieux programme de
réforme en septembre 2017. Il avait alors invité l'Allemagne à
le rejoindre pour initier avec lui la mise en œuvre de l'agenda.
Ce n'est que récemment qu'Angela Merkel a répondu à ces
propositions de poursuite de l'intégration de la zone euro.
Les deux dirigeants ont à l'esprit l'unification du continent et
partagent probablement un consensus sous-jacent, mais leur
approche comporte néanmoins des différences significatives.
Angela Merkel met davantage l'accent sur la responsabilité
des États membres et la réduction des risques résiduels dans la
zone euro, alors qu'Emmanuel Macron insiste sur la nécessité
de développer des outils communs pour résoudre ensemble les
problèmes.
Les propositions d'Angela Merkel relatives à un budget
d'investissement pour la zone euro sont moins audacieuses
que celles d'Emmanuel Macron. Pour Angela Merkel, le
budget d'investissement doit servir à éliminer les faiblesses
structurelles des pays, avec un accent particulier sur
l'innovation. La chancelière allemande évoque l'introduction
progressive d'un budget d'une importance plutôt limitée ("im
unteren zweistelligen Milliardenbereich"), celui-ci paraissant
beaucoup moins ambitieux que les moyens budgétaires visés
par Emmanuel Macron pour la zone euro. Outre le financement
des investissements, ceux-ci doivent également être suffisants
pour absorber les chocs économiques. Un budget à la hauteur
de ces ambitions atteint rapidement quelques pour cent du PIB.
Angela Merkel a également présenté sa conception du futur
Fonds monétaire européen (FME). Si l'ensemble de la zone
euro se trouve en danger, le FME doit pouvoir accorder des
prêts à long terme. Ceux-ci doivent cependant être liés à
l'obligation d'effectuer des réformes structurelles de grande
envergure. Le FME pourrait accorder des prêts à court terme
aux pays rencontrant des difficultés liées à des circonstances
extérieures. Selon Angela Merkel, le FME doit jouer un rôle
dans la surveillance des finances publiques des États membres.
Il devrait également avoir la compétence et les instruments
nécessaires pour restaurer la viabilité de la dette d'un pays, si
nécessaire. Cela suggère que le rééchelonnement de la dette
pourrait conditionner l'octroi d'un prêt du FME, ce qui va à
l'encontre de la conception du président français, Emmanuel
Macron. D'autres pays de la zone euro y sont également
opposés.
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 5
L'inflation s'accélère
Selon les estimations provisoires, l'inflation est passée dans la
zone euro de 1,2% en avril à 1,9% en mai. Les prix de l'énergie
en ont été le principal moteur, suivis par les prix des denrées
alimentaires, de l'alcool et du tabac. L'inflation de base s'est
également accélérée de 0,7% en avril à 1,1% en mai. Cette
envolée s'explique principalement par la hausse de l'inflation
des services. Des facteurs temporaires liés au timing des
vacances de Pâques ont probablement aussi joué un rôle
important. Même si dans un premier temps, les prix de l'énergie
vont maintenir une pression haussière sur l'inflation, une légère
baisse dans quelques mois est probable (figure 3).
Néanmoins, conformément à notre scénario, la BCE a annoncé
qu'elle commencerait à réduire son programme d'achat d'actifs
financiers à partir d'octobre 2018. Après septembre 2018, la
banque centrale réduira ses achats nets mensuels de titres de
créance de 30 milliards EUR à 15 milliards EUR et en décembre
2018, elle devait clôturer son programme d'achat. Elle a
toutefois immédiatement ajouté qu'elle maintiendrait son taux
directeur à son niveau actuel au moins jusqu'à la fin de l'été
2019. Sans doute souhaite-t-elle ainsi empêcher les marchés
financiers de tabler sur une hausse des taux trop rapide ou
trop marquée. Elle n'entamera pas la normalisation des taux
avant la fin du second semestre 2019. Dans ce contexte, nous
maintenons nos prévisions concernant le taux à long terme
allemand. Nous prévoyons encore qu'il atteindra 1,30% d'ici la
fin de 2018 et qu'il continuera d'augmenter en 2019. Le risque
que l'augmentation soit plus faible s'est néanmoins accru.
En ce qui concerne les États-Unis, la croissance escomptée
du PIB réel de 2,8%, les mesures de relance budgétaire et
le renforcement de la pression inflationniste suggèrent que
la Réserve fédérale (Fed) devra relever son taux directeur
davantage que nous ne l'avions supposé jusqu'à présent.
Pour 2018, nous maintenons notre scénario selon lequel deux
nouvelles hausses de taux suivront celle de juin, mais pour
2019, nous prévoyons maintenant deux hausses de taux, ce qui
est plus que ce qui était prévu récemment. Les deux hausses
de taux devraient avoir lieu au premier semestre 2019 car la
croissance économique commencera ensuite à se ralentir. Ce
sera alors le signe pour la Fed de mettre fin à son cycle de
hausse des taux. Nous avons ajusté nos prévisions pour le dollar
et les perspectives de taux à long terme en fonction de ce léger
changement de scénario en matière de politique monétaire.
La détérioration des finances publiques aux États-Unis y a
également joué un rôle. Les prévisions pour le taux obligataire à
10 ans ont été portées à 3,20% à la fin de 2018 et à 3,30% à la
mi-2019. Nous ne prévoyons plus une nouvelle appréciation du
dollar par rapport à l'euro, bien que la volatilité puisse entraîner
un renforcement temporaire de la monnaie. D'ici la fin de 2018,
nous nous attendons à ce que l'euro se renforce par rapport au
dollar pour atteindre 1,22 USD par EUR.
Les marchés émergents à nouveau en ligne de mire
Lorsqu'il est question de catastrophes économiques et de
turbulences sur les marchés financiers, l'Argentine n'est pas
épargnée. Au moment de l'arrivée au pouvoir du président
Mauricio Macri à la fin de 2015, les investisseurs étaient
optimistes. Mais Mauricio Macri a hérité de ses prédécesseurs
une économie accusant d'importants déséquilibres, tels qu'une
inflation élevée et de lourds déficits tant budgétaire que du
compte courant avec l'étranger. Par le passé, la dette argentine
a été rééchelonnée à plusieurs reprises. Le récent regain
de volatilité des marchés nous rappelle que la confiance des
investisseurs et la reprise économique argentine sont fragiles. Sur
les marchés des changes, le peso a été mis sous pression après
que la banque centrale (BCRA) a relevé son objectif d'inflation
à la fin de 2017 et abaissé son taux directeur en janvier 2018.
Fin avril, la monnaie s'est encore dépréciée, de même que les
monnaies d'autres économies émergentes. Cette dépréciation
reflète la prévision selon laquelle la hausse des taux aux
États-Unis va entraver l'afflux de capitaux dans les économies
émergentes. La BCRA a réagi en relevant - en plusieurs étapes
- son taux de 1 275 points de base pour le porter à 40% entre
le 27 avril et le 4 mai. Le gouvernement a annoncé la réduction
du déficit budgétaire (hors charges d'intérêts). Les autorités
Source: KBC Economic Research sur la base d'Eurostat et Thomson Reuters
-1.0%
-0.5%
0.0%
0.5%
1.0%
1.5%
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0%
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100%
2015 2016 2017 2018 2019 2020
prix du pétrole en EUR (axe de gauche) inflation zone euro (axe de droite)
Prévision
Figure 3 - Malgré le recul, le prix du pétrole continue de soutenir
l'inflation(zone euro, variation annuelle en %)
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 6
argentines ont convenu avec le FMI un accord de financement
de confirmation (’high-access Stand-By Arrangement’) d'un
montant de 50 milliards USD. Il s'agit d'une ligne de crédit que
l'Argentine n'utilisera pas immédiatement, mais sur laquelle elle
peut compter en cas de besoin. Elle est en quelque sorte une
réserve de liquidités supplémentaire, qui pourrait contribuer à
maintenir la confiance des investisseurs dans le pays, essentielle
à la poursuite des réformes économiques.
La Turquie a également été sous les projecteurs en raison de
la forte dépréciation de la livre turque par rapport au dollar
américain et à l'euro. Cet affaiblissement s'explique par la
crainte de voir le président Erdogan adopter une politique
économique plus hostile au marché. Bien que l'économie
turque frôle la surchauffe, la politique budgétaire reste
expansionniste en 2018. Recep Erdogan souhaite en outre
renforcer son emprise sur la banque centrale, ce qui risque de
déséquilibrer la politique. Par conséquent, il est très probable
que l'inflation demeure nettement supérieure à l'objectif de
la banque centrale, malgré un ralentissement important de la
croissance économique. Les investisseurs internationaux n'ont
plus de lignes directrices claires quant au niveau d'inflation
auquel ils peuvent s'attendre, ce qui ébranle leur confiance, et
la banque centrale ne peut pas réagir de manière appropriée.
Cette situation a provoqué une forte augmentation de la prime
de risque sur les emprunts d'État turcs et une dépréciation
de la monnaie. Aux risques politiques s'ajoutent les risques
économiques. Des élections présidentielles et parlementaires
anticipées auront lieu en Turquie à la fin du mois et il y a fort à
parier que Recep Erdogan les remportera. Les élections risquent
cependant de polariser davantage la société et de fragiliser
la légitimité du nouveau gouvernement, ce qui pourrait
renforcer les tendances autoritaires encouragées par le système
présidentiel. La situation en Turquie reste donc précaire.
Les turbulences récentes en Turquie, en Argentine ainsi que dans
d'autres économies émergentes font craindre une réédition
d'une crise calquée sur la crise asiatique de 1997-1998. Depuis
2008, la dette - des entreprises en particulier - s'emballe dans
les économies émergentes (figure 4). Cette accumulation a été
favorisée par la faiblesse des taux à l'échelle mondiale et la
quête de rendement des investisseurs. La dette des entreprises
se concentre sur une poignée de pays asiatiques (Hong Kong,
Chine, Singapour). Dans un certain nombre de pays en dehors
de l'Asie, la composition monétaire de la dette des entreprises
s'avère particulièrement préoccupante. Selon les données de
la Banque mondiale, un tiers de la dette des entreprises des
économies émergentes (à l'exclusion de la Chine) est financé par
l'étranger et est libellé en devises étrangères, comme le dollar
américain ou l'euro. Dans plusieurs économies émergentes, les
investisseurs étrangers détiennent en outre plus de 30% de la
dette publique en monnaie locale. Cela rend également ces
pays vulnérables à la spéculation, comme cela a récemment
été le cas de la Turquie et de l'Argentine. Les pays qui ont des
besoins de financement extérieur élevés et/ou des finances
publiques fragiles, comme l'Argentine et la Turquie, mais aussi
l'Égypte et l'Afrique du Sud, sont les plus vulnérables.
De nouvelles obligations sont toutefois encore émises
facilement pour l'instant. Les ratings de la dette des entreprises
restent également globalement stables, avec un nombre
limité d'exceptions (par exemple le Brésil). Dans l'ensemble, la
croissance économique demeure robuste. En outre, la plupart
des économies émergentes sont également mieux armées qu'à
la fin des années 1990 depuis qu'elles ont abandonné dans
leur politique l'arrimage permanent de leur monnaie au dollar
américain. Dans ce contexte, une nouvelle crise est donc loin
d'être certaine, malgré certains éléments préoccupants. Les
facteurs externes seront déterminants. Une Fed qui resserre sa
politique de manière plus agressive ou une guerre commerciale
agressive pourrait à nouveau poser problème dans les
économies émergentes.
L'économie belge
L'estimation provisoire de la croissance du PIB réel au premier
trimestre a été légèrement révisée à la baisse, de 0,4% à
0,3%. L'économie belge a donc démarré 2018 encore un peu
moins bien qu'on ne le pensait au départ. La croissance en
glissement trimestriel est ainsi restée, pour la quatrième fois
Source:: KBC Economic Research sur la base de l'IIF
0
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200
Households Non-fin corporates Financial Corporates Government
EM-27 : Argentine, Brésil, Chili, Chine, Colombie, République tchèque, Égypte, Ghana, Hong Kong, Hongrie, Inde, Indonésie, Israël, Kenya, Corée, Malaisie, Mexique, Nigeria, Pakistan, Pologne, Russie, Arabie saoudite, Singapour, Afrique du Sud, Thaïlande, Turquie et Ukraine
Figure 4 - Endettement des économies émergentes(dette EM-27 en % du PIB ; moyenne pondérée du PIB)
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 7
consécutive, inférieure à celle de l'ensemble de la zone euro
(0,4% au premier trimestre). La qualité de la croissance du PIB
belge du premier trimestre est toutefois meilleure que prévu
puisque toutes les composantes de la demande intérieure finale
ainsi que les exportations nettes y ont contribué. La baisse de
la croissance du PIB par rapport au quatrième trimestre 2017
(+0,5%) est entièrement imputable à la contribution négative à
la croissance de la variation des stocks.
Des données récentes confirment le scénario d'un essoufflement de la croissance
Tant le baromètre de conjoncture de la BNB que l'indicateur
de confiance des consommateurs ont reculé en mai. La
confiance des entrepreneurs dans le secteur manufacturier et
les services aux entreprises est en baisse depuis quelque temps.
L'indicateur de l'évaluation des commandes à l'exportation
s'affaiblit clairement, bien qu'il conserve un niveau élevé. Les
chiffres durs des exportations suggèrent que la croissance des
exportations belges vers d'autres pays de l'UE se ralentit, tandis
que les exportations en dehors de l'UE restent vigoureuses
jusqu'ici (figure 5). Conjointement avec la maigre croissance
du PIB au premier trimestre, les indicateurs récents confirment
notre scénario d'essoufflement de l'économie. Au cours des
prochains trimestres, la croissance en glissement trimestriel
devrait fluctuer autour de 0,3%-0,4%. Il en résulte un taux
de croissance du PIB réel attendu pour l'ensemble de 2018 de
1,6%, contre une croissance réalisée de 1,7% en 2017.
Nos perspectives de croissance pour la Belgique en 2018 sont
légèrement inférieures aux prévisions consensuelles (1,8%)
et aux projections récemment mises à jour de l'OCDE (1,7%).
Le Bureau fédéral du Plan et la BNB ont également abaissé
récemment leurs perspectives de croissance pour 2018 à 1,6%
et 1,5% respectivement. Une croissance plus faible en 2018
aura un impact négatif sur le solde budgétaire de l'État. Selon
la Commission européenne, l'élasticité budgétaire - qui mesure
l'impact du cycle économique sur le budget - s'élève à 0,61 en
Belgique. Cela signifie qu'une croissance plus faible de 1,6%
en 2018 creusera le déficit public de 0,12% du PIB en 2018 par
rapport au scénario de croissance de 1,8%.
Conformément au sentiment général, les perspectives d'emploi
(un sous-indicateur du baromètre de conjoncture de la BNB)
ont également fortement baissé récemment, en particulier
dans les secteurs manufacturiers et des services aux entreprises.
L'évolution de l'emploi intérieur effectif reste positive (+0,2%
au premier trimestre par rapport au trimestre précédent), mais
sa dynamique s'est sensiblement ralentie depuis la fin 2016.
L'inflation globale est passée de 1,6% en avril à 1,8% en mai,
principalement en raison d'une envolée des prix de l'énergie.
Dans la zone euro, l'inflation a surpris en mai en grimpant de
1,2% à 1,9%. En conséquence, pour la première fois depuis le
début de l'année 2015, l'inflation belge a été inférieure à celle
de la zone euro.
Source: KBC Economic Research sur la base des Stat. BNB
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2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Exportations vers les pays de l'UE Exportations vers l'extérieur de l'UE
Figure 5 - Les exportations belges vers les pays de l'UE s'essoufflent(en valeur, variation annuelle en %, moyenne mobile à 3 mois)
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 8
ENCADRÉ: Les devises en tant qu'armes économiques : pourquoi l'euro, en tant que monnaie internationale, reste-t-il à la traîne par rapport au dollar américain ?
Depuis l'introduction de l'euro en 1999, la monnaie unique européenne occupe la deuxième place dans le système financier international. Elle conserve toutefois un retard considérable sur le numéro un qu'est le dollar américain et ce, selon presque tous les critères pertinents. Selon certains critères, son importance relative a même légèrement diminué avec la crise de la dette souveraine euro-péenne. Même à plus long terme, il est peu probable que l'euro remplace le dollar américain comme première monnaie internationale. Deux des obstacles les plus évidents sont l'absence persistante de marchés financiers suffisamment profonds et liquides et l'inquiétude récurrente entourant la stabilité à long terme de la zone euro. En outre, la BCE n'entrave ni ne promeut l'utilisation internationale de la monnaie unique. Un rôle véritablement international de l'euro aurait en revanche des consé-quences pour la politique monétaire de la BCE.
Le dollar américain en tant qu’arme politique
Les relations internationales ont été assez agitées ces derniers
temps, surtout depuis l'élection du président américain, Donald
Trump. L'un des événements les plus récents est le retrait
unilatéral des États-Unis de l'accord nucléaire avec l'Iran le 8
mai. Ce retrait a rétabli de facto les sanctions économiques
américaines contre l'Iran, alors qu'elles avaient été suspendues
au moment de la conclusion de l'accord.
Cette décision américaine affecte non seulement les relations
économiques et financières entre les États-Unis et l'Iran, mais
aussi les entreprises non américaines faisant des affaires avec
l'Iran car celles-ci sont elles aussi confrontées à des sanctions
américaines si elles souhaitent faire des affaires sur le marché
américain. Les sanctions s'appliquent non seulement aux
activités purement économiques, telles que le commerce ou la
production, mais aussi aux transactions financières. La portée et
l'impact des mesures américaines s'en trouvent ainsi fortement
augmentés.
Qu'est-ce qui confère aux États-Unis le pouvoir économique
d'imposer de telles sanctions aux conséquences
Source: KBC Economic Research, d'après les données de la BCE, du FMI, de Swift et de la BRI, telles que citées par la BCE
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Figure A - L'euro occupe une deuxième position incontestée, mais il
accuse un retard considérable (part en %, fin 2016 ou plus récemment)
Source: KBC Economic Research, d'après les données de la BCE et du FMI telles que rapportées par la BCE
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Figure B - La part de l'euro dans les réserves de change mondiales a de
nouveau baissé(part par devise dans les réserves de change dont la composition monétaire est connue (aux taux de change courants), en %)
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 9
extraterritoriales? La réponse réside avant tout dans la position
unique du dollar américain en tant que première monnaie
internationale. L'évolution de l'économie mondiale et de
l'architecture politique et financière internationale depuis la
Seconde Guerre mondiale a engendré cette domination durable
du dollar américain. La deuxième monnaie la plus importante,
l'euro actuellement, ne le suit qu'à distance et ce, selon tous
les critères pertinents, tels que l'utilisation de la monnaie pour
l'émission de la dette internationale, le volume sur les marchés
des changes et l'utilisation en tant que monnaie de transaction
et de réserve internationale.
Les transactions sur de nombreux marchés, tels que les marchés
des matières premières, sont réglées en dollar américain.
Toute entreprise qui conclut une transaction pétrolière avec
l'Iran, par exemple, sera donc impliquée dans une transaction
financière en dollar américain. Étant donné que toutes ces
transactions financières en dollar américain doivent être réglées
tôt ou tard par le biais de comptes dans le système bancaire
américain, les sociétés concernées relèvent également de facto
de la juridiction américaine. Ce mécanisme ne se limite pas
au marché pétrolier. Tout agent économique qui effectue des
transactions financières ou accumule des réserves de devises
en dollar américain est directement ou indirectement exposé
au droit américain. Les relations économiques qui n'ont rien à
voir directement avec les États-Unis ou qui n'impliquent pas de
sociétés américaines sont donc soumises au droit américain dès
lors qu'elles utilisent le dollar américain.
Le rôle du dollar américain dans l'imposition de sanctions
américaines contre l'Iran nous donne l'occasion de revoir le
fonctionnement actuel du système financier international. À la
veille du 20e anniversaire de la monnaie unique européenne,
l'utilisation de l'euro comme monnaie internationale n'est
toujours pas comparable à celle du dollar américain. Depuis
la crise de la dette souveraine européenne au début de cette
décennie, le rôle modeste de l'euro dans les transactions
financières et la constitution de réserves a en outre
commencé à diminuer quelque peu. Cela s'explique sans
doute principalement par une baisse de confiance des acteurs
économiques internationaux dans la fiabilité, voire la survie, de
la monnaie européenne.
Le système financier international actuel présente des lacunes
Le système financier international (SFI) actuel est un système
informel sans règles explicites. Dans la pratique, il s'articule
autour du dollar américain et consiste en un ensemble
essentiellement non coordonné de taux de change fixes et
variables. L'absence d'un mécanisme formel de correction des
déséquilibres extérieurs non tenables constitue une faiblesse.
Contrairement au système actuel, le système précédent, le
système de Bretton Woods, suivait des règles formelles. Celles-
ci avaient été formalisées dans un traité, dans le cadre duquel
un taux de change fixe par rapport au dollar américain avait été
convenu pour chaque devise et la parité selon laquelle le dollar
pouvait être converti en or avait été fixée (la convertibilité).
Le système de Bretton Woods a pris fin en 1971, lorsque le
président américain de l'époque, Richard Nixon, a mis un terme
à la convertibilité de l'USD en or. Depuis 1971, presque toutes
les monnaies sont des monnaies dites "fiat", tirant leur valeur
uniquement de l'autorité et de la crédibilité du pays émetteur,
et plus particulièrement de la banque centrale émettrice. Dans
le cadre de ce système informel, tous les accords entre pays
concernés sont conclus sur une base ad hoc et volontaire ou,
dans certains cas, de manière totalement unilatérale.
"Le dollar est notre monnaie, mais votre problème"
L'étendue de ce pouvoir unilatéral a été illustrée à plusieurs
reprises par la politique économique du président américain
Donald Trump. Celle-ci souligne le problème fondamental qui se
pose presque inévitablement lorsqu'un SFI est construit autour
d'une monnaie unique dominante. En 1961, l'économiste belge
Robert Triffin décrivait déjà le dilemme engendré par le conflit
d'intérêts entre les différents objectifs de politique nationale
d'une part et la stabilité monétaire et financière du SFI commun
d'autre part. Dans une perspective économique, un problème de
coordination se pose étant donné que les décideurs nationaux
individuels ne tiennent pas compte de l'impact négatif de leur
politique nationale sur le reste du SFI.
Les implications d'une telle divergence des politiques sont
manifestes dans le commentaire du ministre des Finances
américain John Connally en 1971: "Le dollar est notre
monnaie, mais votre problème". L'une des principales raisons
de l'effondrement du système de Bretton Woods est donc
l'incohérence de la politique économique intérieure américaine
(augmentation des déficits tant budgétaire que du compte
courant combinée à une inflation croissante) avec les règles
du système de Bretton Woods. Les taux de change fixes des
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 10
monnaies participantes par rapport au dollar américain, et donc
indirectement la convertibilité en or également, se sont en fin
de compte avérés insoutenables.
Aujourd'hui encore, la politique économique américaine ne
semble pas tout à fait compatible avec la stabilité économique
et financière globale. La politique commerciale américaine
actuelle et les mesures de relance budgétaire de fin de cycle
qui augmentent le risque d'un scénario boom-bust aux États-
Unis ne contribuent pas à la stabilité économique et financière
globale dans le monde, pas plus que l'utilisation explicite du
dollar US pour faire appliquer unilatéralement un objectif de
politique national, qui, en l'occurrence, n'est même pas de
nature économique. Ce manque de coordination des politiques
internationales montre clairement que le SFI actuel est loin
d'être parfait et qu'il y a encore matière à amélioration.
D'où vient l'attrait du dollar américain ?
Si le SFI actuel présente des lacunes aussi importantes,
pourquoi le dollar américain continue-t-il d'y jouer un rôle
dominant, même sans accords formels ? La réponse réside dans
les caractéristiques qu'une monnaie doit avoir pour pouvoir
jouer un rôle international important. Or, le dollar américain est
actuellement la seule monnaie qui remplit ces conditions.
Tout d'abord, la monnaie doit pouvoir compter sur une
(très) grande économie, car l'argent est essentiellement une
créance sur les biens et services du pays qui le dépense. C'est
précisément ce besoin de crédibilité qui conduit souvent les
petites économies à arrimer leur monnaie à la monnaie d'une
plus grande économie (comme le Danemark) ou même à
mettre en place un conseil monétaire (comme la Bulgarie et
Hong Kong).
La taille de l'économie favorise également l'utilisation
internationale d'une monnaie puisqu'un plus grand nombre
d'utilisateurs (nationaux) dès le départ réduit les coûts de
transaction pour les nouveaux utilisateurs potentiels. La
littérature économique décrit ce phénomène comme des
économies d'échelle au niveau de la demande. Il explique la
solidité du statut d'une monnaie internationale une fois qu'il
a été acquis. Ce fut le cas, par exemple, de la livre sterling au
XIXe siècle et au début du XXe siècle et c'est le cas du dollar
américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Une deuxième condition essentielle est l'existence de marchés
financiers liquides et facilement accessibles. Les investisseurs
internationaux doivent pouvoir disposer d'un volume suffisant
d'actifs financiers sûrs émis dans la monnaie internationale de
leur choix. La disposition du pays de la monnaie internationale
à fournir des ressources financières suffisantes est le revers de la
médaille. En d'autres termes, ce pays doit être prêt à s'endetter
suffisamment pour répondre à la demande internationale
de ces dettes. Concrètement, ce pays doit également être
prêt à enregistrer des déficits systématiques de la balance
courante. En payant ces déficits dans sa propre monnaie, le
pays fournit suffisamment de liquidités financières pour le bon
fonctionnement du SFI et assume son rôle de "banquier central
de l'économie mondiale".
Troisièmement, outre la taille de l'économie et la présence
de marchés financiers bien développés, un cadre politique,
juridique et macroéconomique solide et stable joue un rôle
tout aussi crucial. Il est particulièrement important que la
loi soit appliquée par des tribunaux indépendants, ce qui
garantit aux investisseurs internationaux la protection de leurs
investissements.
Enfin, à long terme, la combinaison du statut géopolitique d'un
pays et de la stabilité politique joue un rôle décisif. Un pays
hégémonique à un moment donné de son histoire a intérêt à
promouvoir l'utilisation internationale de sa monnaie. Un tel
rôle de banquier central de l'économie mondiale présente en
effet des avantages économiques majeurs, tel que le "privilège
exorbitant" de pouvoir émettre des dettes et de régler les
comptes d'importation dans sa propre monnaie, cette monnaie
étant facilement acceptée au niveau international. Cela réduit
considérablement les coûts de financement et aide à protéger
l'économie nationale de la volatilité du taux de change.
En tant que monnaie internationale, l'euro peut-il combler son retard sur le dollar américain ?
L'introduction de l'euro en 1999 n'a pas encore débouché sur
un SFI plus diversifié. Il est vrai que, selon la plupart des critères,
l'euro occupe désormais une deuxième place incontestée.
L'euro n'est toutefois pas un adversaire de taille pour le dollar
américain (nous serions passés à un SFI bipolaire). Au contraire,
sur la base d'un certain nombre de critères, l'importance
internationale de l'euro a quelque peu diminué depuis la crise
de la dette souveraine européenne.
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 11
Trois facteurs principaux ont limité l'augmentation de l'utilisation
internationale de l'euro. Ainsi, il n'existe toujours pas de marché
obligataire paneuropéen et la tendance à la renationalisation
des marchés obligataires européens a encore réduit la liquidité
nécessaire sur ces marchés.
Il est possible que le développement de marchés financiers
importants et liquides dans la zone euro ne soit qu'une question
de temps. Une confiance totale dans l'irréversibilité de l'UEM
est cependant une condition absolue. L’actualité politique
italienne récente a également démontré que 20 ans après
l'introduction de l'euro, la survie de la zone euro sous sa forme
actuelle ne pouvait être considérée comme allant de soi. Cela se
reflète en partie dans le doublement soudain du différentiel de
taux des obligations d'État à long terme italiennes vis-à-vis de
l'Allemagne. Cette incertitude sous-jacente et persistante quant
à la pérennité de la zone euro est la deuxième raison pour
laquelle l'utilisation internationale de l'euro n'a guère évolué.
Enfin, il reste à voir si l'Europe souhaite réellement une monnaie
internationale comparable au dollar américain. L'utilisation
internationale à grande échelle de sa monnaie signifierait en
effet que la BCE perdrait une grande partie de son contrôle
sur la masse monétaire totale effective et, par conséquent, sur
l'inflation intérieure. Cela fut à l'époque une raison importante
expliquant les réticences de la Bundesbank à utiliser le mark
allemand à l'échelle internationale. La Banque centrale
européenne n'y est pas non plus favorable. La BCE maintient
sa position officielle selon laquelle le rôle international de
l'euro doit avant tout être dicté par les forces du marché. En
conséquence, elle n'entrave ni ne promeut le rôle international
de l'euro.
L'évolution la plus probable pour la prochaine décennie est
donc le maintien du système actuel, avec le dollar comme point
d'ancrage international et un rôle relativement modeste pour
l'euro. Dans un tel scénario unipolaire, il importe toutefois plus
que jamais de maintenir et même de renforcer la coordination
des politiques internationales.
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 12
Source: OCDE
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Figure 1: Activité économique dans l'OCDE
(variation trimestrielle en base annuelle, en %)
Source: Sources Nationales
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Figure 2: Confiance G4
(écart type de la moyenne à long terme)
Source: Eurostat, BLS et OCDE
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Figure 3: Inflation
(indice des prix à la consommation, variation annuelle en %)
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Source: Fed et Datastream
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Figure 5: Évolution des taux États-Unis
(en %)
Source: ICIS pricing et S&P
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Figure 4: Prix des matières premières
(janvier 2011 = 100)
Source: BCE et Datastream
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Figure 6: Évolution des taux zone euro
(en %)
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Taux obligataire (10 ans)
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Taux obligataire allemand (10 ans)
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CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 13
Croissance réelle du PIB Inflation
2018 2019 2018 2019
États-Unis 2,8 2,3 2,4 2,4
Zone euro 2,3 2,0 1,5 1,6
Belgique 1,6 1,5 1,7 1,4
Allemagne 2,3 1,9 1,6 1,8
Irlande 6,0 4,0 0,9 1,6
Royaume-Uni 1,4 1,3 2,5 2,1
Suède 2,6 2,1 1,8 2,0
Norvège 2,3 2,2 1,9 1,8
Suisse 2,1 1,8 0,7 1,0
Slovaquie 3,8 3,8 2,8 2,6
Pologne 4,5 3,9 1,8 2,4
Tchéquie 3,2 2,7 1,6 2,0
Hongrie 3,9 3,4 2,5 3,2
Bulgarie 3,5 3,4 1,5 1,7
Russie 1,8 1,6 3,7 3,8
Turquie 4,2 4,0 11,0 9,9
Japon 1,3 1,0 1,0 1,0
Chine 6,5 6,3 2,3 2,3
Australie 2,7 2,8 2,2 2,4Nouvelle-Zélande 2,9 3,0 1,8 2,0
Canada 2,1 1,9 2,3 2,1
Monde 3,9 3,9 - -
Taux d’intérêt à 10 ans 14/06/18 +3m +6m +12m
États-Unis 2,95 3,00 3,20 3,30
Allemagne 0,48 0,80 1,30 1,50
Belgique 0,86 1,10 1,60 1,85
Irlande 1,01 1,20 1,75 2,00
Royaume-Uni 1,36 1,75 2,30 2,65
Suède 0,64 0,95 1,45 1,65
Norvège 1,88 2,20 2,70 2,90
Suisse 0,06 0,35 0,85 1,05
Slovaquie 0,82 1,10 1,60 1,85
Pologne 3,28 3,30 3,50 3,60
Tchéquie 2,16 2,00 2,15 2,35
Hongrie 3,53 3,20 3,30 3,70
Bulgarie 1,20 1,65 2,18 2,40
Russie 7,55 7,50 7,50 7,50
Turquie 15,73 14,75 14,50 14,50
Japon 0,04 0,00 0,00 0,00
Chine 3,68 3,70 3,70 3,50
Australie 2,73 2,85 3,05 3,15
Nouvelle-Zélande 2,99 3,05 3,25 3,35
Canada 2,32 2,35 2,55 2,65
Taux directeur
14/06/18 +3m +6m +12m
États-Unis 2,00 2,00 2,50 3,00
Zone euro (taux de refi) 0,00 0,00 0,00 0,00
Zone euro (taux de dépôt) -0,40 -0,40 -0,40 -0,40
Royaume-Uni 0,50 0,50 0,75 0,75
Suède -0,50 -0,50 -0,50 -0,25
Norvège 0,50 0,50 0,75 0,75
Suisse* -0,75 -0,75 -0,75 -0,75
Pologne 1,50 1,50 1,50 1,75
Tchéquie 0,75 0,75 1,00 1,25
Hongrie 0,90 0,90 0,90 1,10
Roumanie 2,50 2,75 2,75 3,00
Russie 7,25 7,00 6,75 6,75
Turquie 17,75 17,75 17,75 17,75
Japon -0,10 -0,10 -0,10 -0,10
Chine 4,35 4,35 4,35 4,35
Australie 1,50 1,50 1,50 1,75
Nouvelle-Zélande 1,75 1,75 1,75 2,00
Canada 1,25 1,50 1,50 1,75
Cours de change
14/06/18 +3m +6m +12m
USD par EUR 1,18 1,18 1,22 1,25
GBP par EUR 0,88 0,88 0,89 0,91
SEK par EUR 10,16 10,00 9,75 9,50
NOK par EUR 9,45 9,40 9,35 9,25
CHF par EUR 1,16 1,18 1,20 1,22
PLN par EUR 4,28 4,33 4,25 4,20
CZK par EUR 25,68 25,80 25,00 24,80
HUF par EUR 320,62 316,00 315,00 313,00
BGN par EUR 1,96 1,96 1,96 1,96
RUB par EUR 73,67 72,57 75,03 76,88
TRY par EUR 5,48 5,43 5,67 5,88
JPY par EUR 129,87 129,80 134,20 137,50
RMB par USD 6,39 6,40 6,41 6,42
USD par AUD 0,76 0,76 0,77 0,78
USD par NZD 0,70 0,70 0,71 0,72
CAD par USD 1,30 1,28 1,26 1,25
Perspectives de l'économie mondiale
* Fourchette cible moyenne
CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 14
Comptes nationaux
(croissance réelle en %) 2017 2018 2019
Consommation privée 1,3 1,6 1,9
Consommation publique 1,3 1,2 1,0
Investissements en capital fixe 0,7 2,5 2,5
Investissements des entreprises 0,7 2,4 2,5
Investissements publics 2,0 8,4 5,4
Investissements en construction 0,3 0,5 1,3
La demande intérieure finale (hors variation des stocks) 1,2 1,7 1,9
Variation des stocks (contribution à la croissance) 0,1 0,0 0,0
Exportations de biens et de services 4,9 3,6 2,6
Importations de biens et de services 4,4 3,7 3,1
Produit intérieur brut (PIB) 1,7 1,6 1,5
Revenu disponible des ménages 1,3 1,8 2,1
Taux d'épargne brut des ménages (en % des revenus disponibles) 11,3 11,6 12,2
Indicateurs d'équilibre
2017 2018 2019
Inflation (hausse annuelle moyenne, en %)
Prix à la consommation 2,2 1,7 1,5
Indice santé 1,8 1,5 1,4
Marché du travail
Emploi intérieur (variation en cours d’année, en ‘000) 56,2 35,0 30,0
Taux de chômage (fin d’année, définition Eurostat) 6,2 6,2 6,2
Finances publiques (en % du PIB, avec les politiques actuelles)
Solde de financement -1,0 -1,2 -1,5
Dette publique 103,1 101,7 100,5
Compte courant (en % du PIB) -0,2 -0,3 -0,5
Prix des maisons (variation au cours de l’année, logements exis-tants et nouveaux, en %)
3,7 2,7 2,6
Perspectives de l'économie belge
Contact: Jan Van Hove, Chief Economist KBC Group NV, Havenlaan 2, B-1080 Brussels, Belgium
Éditeur responsable: KBC Groep NV, Havenlaan 2 – 1080 Brussel – België – BTW BE 0403.227.515 – RPR Brussel
E-mail: [email protected]
Cette publication a été réalisée par les économistes du groupe KBC. Ni la mesure dans laquelle les scénarios, les ris-ques et les pronostics présentés reflètent les prévisions du marché, ni la mesure dans laquelle ils seront corroborés par la réalité ne peuvent être garanties. Les prévisions sont fournies à titre purement indicatif. Les données de cette publication sont générales et purement informatives. Elles ne peuvent être considérées comme des recomman-dations en investissement. Cette publication relève de la 'recherche en investissements', telle que visée par la loi et la réglementation sur les marchés d'instruments financiers. Toute transmission, diffusion ou reproduction de ces informations, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, est interdite sans l'autorisation expresse, préalable et écrite de KBC Groupe SA. KBC et CBC Banque SA ne peut être tenu responsable de leur exactitude ou de leur exhaustivité. Tous les cours historiques, statistiques et graphiques sont d’actualité jusqu’au 11 juin 2018, sauf stipulation contraire. Les opinions et stratégies décrites sont telles qu'en vigueur le 11 juin 2018.
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CBC Perspectives Économiques I I Juin 2018 I 15
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Allison Mandra Dominik Rusinko
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Wouter Beeckman
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