8/12/2019 Proclus La Liberte
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La libert dans la philosophie de
Proclus
Thse prsente la Facult des lettres et sciences humaines
Institut de philosophie
Universit de Neuchtel
Pour lobtention du grade de docteur s lettres
Par
Jean-Pierre Schneider
Accepte sur proposition du Jury :Dominic OMeara, professeur mrite de lUniversit de Fribourg, co-
directeur de la thse
Daniel Schulthess, professeur lUniversit de Neuchtel, co-directeur
de la thse
Philippe Hoffmann, professeur lEcole Pratique des Hautes Etudes,
Paris
Michael Erler, professeur lUniversit de WrzburgCarlos Steel, professeur la Katholieke Universiteit Leuven
Soutenue le vendredi 2 juillet 2010
Universit de Neuchtel
2010
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Rsum
La question, philosophique et historique qui est lorigine de ce travail est la
suivante : comment peut-on concilier l'acte prtendument libre que semble exiger
toute doctrine morale fonde sur la notion de rtribution avec un ordre des choses
dtermin par une causalit universelle. Or, dans la philosophie platonicienne
d'poque tardive que nous appelons noplatonisme , la question de la libert
humaine s'inscrit dans un systmephilosophique qui se prsente comme un monisme
radical, o tout ce qui participe d'une quelconque faon l'tre dpend d'un principe
premier unique.
Le prsent travail est essentiellement consacr la philosophie de Proclus,
philosophe grec platonicien du Ve s. ap. J.-C., paen dans un monde officiellement
chrtien ; et cela pour deux raisons, l'une dogmatique ou systmatique, l'autre plutt
contingente ; la premire, parce que le Diadoque construit, dans la tradition
platonicienne, le type de monisme radical que nous cherchions, et qu'il le fait sur un
mode principalement rationnel. La seconde raison est lie la conservation des
oeuvres, en particulier d'un opuscule traitant spcifiquement de la question de la
libert, dont le titre peut se traduire ainsi: Sur la providence, la fatalit et ce qui
dpend de nous (!"#$ %#&'&()* +)$ ",)#-'.* +)$ /&0 123 45', en abrg, Deprovidentia). Le hasard de la transmission des textes a voulu que cet ouvrage nous
parvienne dans une traduction latine mdivale due au dominicain flamand Guillaumede Moerbeke au XIIIe sicle. La littralit de cette traduction en rend la lecture
difficile, souvent incertaine ; en effet, un mot grec est gnralement traduit par un mot
latin, dune faon qui peut paratre assez mcanique. Nous avons entrepris la
rtroversion partielle du texte latin en grec pour tous les passages que nous discutons,
avec leur contexte. Ce travail figure dans un dossier philologique comprenant les
rtroversions accompagnes de justifications.
La partie historique et philosophique se dveloppe selon un plan qui part dequestions plutt logiques : il convenait en effet d'aborder des problmes relatifs aux
modalits, en particulier le ncessaire et le contingent, et montrer que le contingent
nest pas un vain mot ; il fallait s'arrter ensuite la physique o ces modalits
trouvent leur expression dans le monde objectif ; examiner la notion dheimarmn
ou fatalit, dont lorigine stocienne risque dimposer une lecture dterministe du
sensible ; or, la distinction hirarchique quopre le noplatonisme entre la fatalit et
la providence divine assure la tlologie sa dtermination par le bien. Ensuite, il
s'agissait de passer la psychologie o les questions relatives la libert ont leur lieu
propre et partir de quoi elles trouvent leur sens ; le statut ontologique de lme,
substance intermdiaire entre lintelligible et le sensible, fait de celle-ci une ralit
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mobile, amphibie. Il fallait enfin replacer chacune des thses partielles logique,
physique, psychologique au sein du Tout et les intgrer dans le systme
mtaphysique.
Notre recherche a montr que le problme de la libert se posait, chez Proclus,
sur deux plans hirarchiss: dune part, celui de la responsabilit morale de lhomme
dans ses choix concrets sans cesse renouvels, qui guident son agir non seulement
dans cette vie terrestre, mais aussi en-de de celle-ci et au-del ; dautre part, celui
du salut mtaphysique de lme, sous la dtermination du bien, auquel nous rservons
le nom de librationplutt que celui de libert, dont la possibilit mme sinscrit dans
lexistence d'une facult propre de choix dlibr ou rationnel, la %#&)(#"67*.
La structure de la thse se prsente donc comme suit :
Introduction gnrale
Chapitre 1: Le De providentia
Chapitre 2: Le contingent
Chapitre 3: L heimarmn
Chapitre 4: Lme
Chapitre 5 : La libert
Conclusion gnrale
Dossier philologique (rtroversions)
Bibliographie
Mots cls franais / english
Philosophie ancienne / ancient philosophy
Antiquit tardive / late antiquity
Noplatonisme / neoplatonism
Proclus / Proclus
Libert / freedom, liberty
Contingence / contingence
Dterminisme / determinism
Fatalit oudestin / fate
Ame / soul
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Sommaire
N O T E L I M I N A I R E
. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . .4
I N T R O D U C T I O N G E N E R A L E
. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. 7 La mthode suivie ..................................................................................................................................13Platonisme et noplatonisme ................................................................................................................15Philosophie et thologie : mthode et sources de Proclus .................................................................15Le corpus des textes examins..............................................................................................................17Pourquoi la libert chez Proclus ?....................................................................................................21Division de la prsente tude ................................................................................................................24Abrviations et sigles utiliss................................................................................................................26Explication des signes utiliss dans les traductions............................................................................28Explication des signes diacritiques utiliss dans le texte grec des Tria opuscula............................29Explication des rfrences abrges utilises dans les notes sur le texte grec des Tria opuscula..29
C H A P I T R E 1 . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . 31
LE DE PROVIDENTIA DE PROCLUS ..............................................................................................................31 A. Analyse gnrale et structure du De providentia...........................................................................31
1. Les trois questions pralables ....................................................................................................................... 332. Les sept apories proposes par Thodore lattention de Proclus............................................................ 35
B. La polmique : rtroversion et traduction .......................................................................................39...........................44
(a) Prsentation gnrale de la thse ................................................................................................................ 44
(b) ....................................................................................................................... 48(c) ...................................................................................................................50(d) Conclusion ( 66,1-8)................................................................................................................................... 55
C H A P I T R E 2
. . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . 58
LE CONTINGENT ...........................................................................................................................................58 Les interprtations..................................................................................................................................58
1. Alexandre dAphrodise ................................................................................................................................. 712. ps.-Plutarque ................................................................................................................................................... 843. Alcinoos ou Alcinous (Albinus) ...................................................................................................................854. Ammonius.......................................................................................................................................................875. Proclus...........................................................................................................................................................100
a. Existence du contingent .........................................................................................................................100b. Nature du contingent ..............................................................................................................................101 c. Lieu du contingent .................................................................................................................................. 104d. La connaissance divine des contingents ...............................................................................................106 e. La connaissance humaine des indtermins ........................................................................................114 f. Contingence et cause formelle intelligible ............................................................................................117g. Laspect logique de la question du contingent ....................................................................................119h. Le contingent et le ncessaire ............................................................................................................... 120
Conclusion ........................................................................................................................................................126
C H A P I T R E 3
. . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . 131 LHEIMARMENE .........................................................................................................................................131
A. La doxographie critique du Commentaire sur le Time..............................................................132
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Sommaire2
1. La fatalit comme nature particulire : Alexandre dAphrodise et certains pripatticiens................. 1342. La fatalit comme lordre dpendant des cycles cosmiques : Aristote ................................................... 1353. La fatalit comme me en relation : Thodore dAsin (env. 275-360) .............................................1424. La fatalit comme pure nature : Porphyre ................................................................................................. 142Le cadre gnral du problme .........................................................................................................................145
La notion de nature........................................................................................................................................... 165La fatalit comme nature pntre de divin................................................................................................... 168Lunit de la fatalit ......................................................................................................................................... 172Providence et fatalit ........................................................................................................................................ 174Remarques complmentaires sur la ncessit ...............................................................................................181 Remarques sur la causalit ..............................................................................................................................183
Conclusion ............................................................................................................................................193
C H A P I T R E 4
. . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . 199
LAME .........................................................................................................................................................199 PREMIERE PARTIE ......................................................................................................................................199
Le statut ontologique de la !"#$........................................................................................................199 L%&'() de lme particulire.............................................................................................................201
Limmutabilit .................................................................................................................................................. 201Lme humaine affecte dans son essence.....................................................................................................206
Le statut ontologique de lme rationnelle humaine selon Proclus ................................................219Lautoconstitution de lme ................................................................................................................224Ncessit logico-ontologique de lexistence de lme .....................................................................227Essence psychique et activit pratique...............................................................................................235
DEUXIEME PARTIE .....................................................................................................................................237 Les deux mes..................................................................................................................................237
1. La doctrine des deux mes...................................................................................................................... 2382. Ame sparable et me insparable ............................................................................................................. 2413. Lme sparable ........................................................................................................................................... 2464. La solution proclienne ................................................................................................................................. 2505. Perspectives morales .................................................................................................................................... 253
Conclusion ............................................................................................................................................255
C H A P I T R E 5
. . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . 257
LA LIBERTE.................................................................................................................................................257 Introduction...........................................................................................................................................257
1. Libert et responsabilit ..................................................................................................................261/8 123 45'......................................................................................................................................................... 263/8 )9/":&;67&'................................................................................................................................................. 2654 %#&)(#"67* ..................................................................................................................................................... 265
2. Le choixdes types de vies et ..........................................................................................................274la descente de lme dans le sensible .................................................................................................2743. Solution de Proclus..........................................................................................................................2784. Providence, heimarmn et prohairesis .........................................................................................283La triple causalit .................................................................................................................................283
(a) Lheimarmn (rappel) ..............................................................................................................................284(b) Les trois causes ........................................................................................................................................... 287
Conclusion ............................................................................................................................................298
C O N C L U S I O N G E N E R A L E
. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . 302
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Sommaire 3
D O S S I E R P H I L O L O G I Q U E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .314
Introduction......................................................................................................315
De decem dubitationibus circa providentiam..................................................319
De providentia..................................................................................................331
De malorum subsistentia.................................................................................394
B I B L I O G R A P H I E . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . ..
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N o t e l i m i n a i r e
Le travail que nous prsentons sur La libert dans la philosophie de Proclusest
laboutissement dune recherche entreprise il y a vingt-cinq ans sous la direction de
feu Fernand Brunner, professeur dhistoire de la philosophie lUniversit de
Neuchtel1. Nous collaborions alors rgulirement aux travaux du CEPAM (Centre
dEtude de la Philosophie Antique et Mdivale), dirigs par F. Brunner. Lquipe du
CEPAM travaillait une traduction commente du De decem dubitationibus circa
providentiamde Proclus, lorsquelle apprit quun volume de la collection Bud allait
paratre aux Belles Lettres. Il sagissait de D. Isaac, Proclus, Trois tudes sur la
Providence, texte tabli et traduit par D. I., t. I : Dix problmes concernant la
Providence, Paris, 1977. Finalement, aprs encore quelques annes de travail sur cet
opuscule, le CEPAM dcida de consacrer ses efforts un autre texte non encore
traduit. Par intrt pour les questions touchant la notion de contingence, nous avonsalors suggr de consacrer dornavant nos efforts communs ltude du
CommentairedAmmonius sur le chapitre 9 du De interpretatione. Aprs le dcs de
F. Brunner le 1er novembre 1991, ces travaux prparatoires sur Ammonius ont t
repris et prolongs plus particulirement par G. Seel et nous-mme, et, enrichis de
diverses contributions, ont abouti une publication en anglais, dite chez W. de
Gruyter : G. Seel (ed.), Ammonius and the Seabattle. Texts, Commentary and Essays,
edited by G. S. in collaboration with J.-P. Schneider and D. Schulthess, philosophical
commentary by G. S., essays by M. Mignucci and G. S., Berlin / New York, 2001.
Dans le travail que nous prsentons ici, nous avons parfois utilis certaines
1 Sur Fernand Brunner, on consultera les deux volumes dhommages suivants :Dialectica 47, fasc. 2-3 (1993) et Le dpassement de soi dans la pensephilosophique, Neuchtel, 1994 ( Bibliographie de Fernand Brunner , p. 137-162, quoi il faut ajouter F. Brunner, Introduction la philosophie, Zurich, 1995 et
Mtaphysique dIbn Gabirol et de la tradition platonicienne, Aldershot / Brookfield,1997 [cf., en particulier, la notice de A. de Libera, Fernand Brunner, historien de laphilosophie , p. XI-XIV]). Voir aussi D. Schulthess, Revue de Thologie et dePhilosophie124 (1992), p. 1-3.
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traductions en particulier du Commentaire dAmmonius sur le De interpretatione
, qui avaient t discutes lpoque en commun ; nous les avons toujours revues et
souvent profondment modifies.
Pour notre recherche, nous avons souvent d travailler sporadiquement,
pendant le temps libre que nous laissaient une charge denseignement au Lyce et
lUniversit ainsi que de multiples autres engagements. En vingt ans, ltat de la
recherche sur le noplatonisme et sur Proclus a beaucoup volu. Les ditions, les
traductions et les monographies se sont multiplies, particulirement ces dernires
annes. Une partie des traductions que nous proposons dans cet ouvrage tait
nouvelle lpoque ; nous avions senti alors le besoin non seulement de donner les
textes originaux, mais aussi de les traduire, en respectant leur caractre technique.
Dans la mesure du possible, nous avons tenu compte des travaux rcents qui utilisent
certains documents textuels sur lesquels repose le prsent travail2. Il a fallu souvent
actualiser les rfrences aux ditions nouvelles3 et intgrer les matriaux des
publications reposant sur des recherches parallles aux ntres. Ces remarques ne sont
videmment pas destines justifier les particularits du prsent travail, mais
seulement en expliquer, partiellement, lorigine.
2 Nous pensons en particulier la traduction commente du De providentia paruedans la srie des Ancient Commentators on Aristotledirige par R. Sorabji : C. Steel,Proclus, On Providence, translated by C. S., ACA, London, 2007.3En particulier, ldition scientifique du Commentaire sur le Parmnide, parue dansla srie des Oxford Classical Texts : C. Steel (ed.), Procli In Platonis Parmenidem
Commentaria, t. I libros I-III continens, rec. C. Steel, C. Mac, p. dHoine, Oxford,2007 ; t. II libros IV-V continens, rec. C. Steel, A. Gribomont, p. dHoine, Oxford,2009 ; t. III libros VI-VII et indices continens, rec. L. Van Campe et C. Steel, ultimampartem ex latino in graecum vertit C. Steel, Oxford, 2009.
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R e m e r c i e m e n t s
Un travail de cette nature, labor sur une priode si longue, ne se fait pas sans
le concours et le soutien de nombreuses personnes. Nous devons nous limiter ici
mentionner celles qui ont jou un rle dterminant lorigine de cette recherche et
celles qui en ont permis finalement la ralisation. Fernand Brunner, professeur
d'histoire de la philosophie lUniversit de Neuchtel, spcialiste du platonisme
sous ses formes antiques et mdivales, nous a initi au noplatonisme, celui de
Plotin d'abord, puis celui de Proclus. C'est sous sa direction que nous avons entrepris
la prsente recherche. Malheureusement, il devait dcder quelques jours avant que
nous prsentions nos premiers rsultats devant la Section neuchteloise de la Socit
romande de philosophie4. Notre reconnaisance sadresse aussi Walter Spoerri,
professeur ordinaire de langue et civilisation grecques dans la mme Universit. Il
nous a toujours soutenu dans notre parcours acadmique. A lautre bout, nos deux co-
directeurs de thse, les professeurs Daniel Schulthess et Dominic OMeara ont jou
tous deux un rle dcisif dans le processus qui a conduit la soutenance de la thse.
Une reconnaissance toute particulire sadresse D. Schulthess qui a, en outre, pris
en main toute lorganisation du travail sur le plan administratif en russissant
imposer une planification qui pouvait sembler impossible. Finalement, nous restons
en dessous de la vrit en disant que sans les remarques, les suggestions, les
questions et les critiques constructives de tous les membres du jury, le prsent travail
serait encore plus imparfait.
4 La confrence sintitulait Le destin de l'homme entre la libert et la servitude:considrations sur la philosophie de Proclus (13 novembre 1991).
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I n t r o d u c t i o n g n r a l e
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Introduction8
que ces difficults ne sont pas seulement celles qui se posent au lecteur moderne de
luvre proclienne, mais quelles se trouvent dj thmatises, comme telles, par
Proclus lui-mme dans son effort pour les surmonter.
Cependant, comme nous avons affaire chez Proclus un systme qui se veutradicalement moniste et continuiste5, linterprtation de la relation de lme au
sensible, comme la considration du sensible lui-mme, exige de lexgte quil
prenne aussi en compte la relation de chacun de ces niveaux dtre avec les niveaux
suprieurs et quil inscrive chacun dans ses relations avec le Tout.
En termes modernes, notre problme peut se poser sous la forme gnrale
(non encore dfinie) du rapport entre dterminisme (physique) et libert humaine.
Cependant, la mthode utilise ici sera la mthode historique et celle-ci nous interdit
de projeter demble sur la doctrine tudie des catgories qui pourraient bien, par
anachronisme, se rvler inadquates.
Ainsi donc se pose, pour nous, la question pralable des termes ou des
concepts utiliss dans cette discussion, mme si on constate que nombre de travaux
modernes utilisent de faon non critique les termes de dterminisme et de libert dans
ltude des philosophies antiques. Or, le grec na de terme spcifique ni pour
dterminisme ni pour libert (au sens gnral)6. De plus, dans ce genre de dbat,
nous rencontrons aussi constamment le terme de libre arbitre, frquent aussi bien
dans les discussions contemporaines que dans les traductions en langues modernes
dauteurs grecs, o il rend en gnral lexpression /8 123 45' ou /8 )9/":&;67&'7.Nous lutiliserons notre tour en soulignant toutefois quil ne sagit pas proprement
parler dune traduction, mais dun choix de commodit. En effet, le terme de libre
5 A la lecture de louvrage aujourdhui classique de A. O. Lovejoy, The GreatChain of Being (Cambridge, Mass., 1936), on a souvent le sentiment que ses thses
fondamentales sont directement empruntes au systme proclien, en particulier lestrois principes, de plnitude (p. 52 ; 340), de continuit (p. 55 ; 58 ; 59 ; 61) et degradation (p. 59 ; 61) ; il faut dire que lauteur a lu et mdit attentivement Plotin(p. 61 sqq.).6 Le terme classique dsignant la libert, 4 1C"@B"#() (et les mots de la mmefamille), appartient essentiellement au domaine socio-politique o il entre enopposition 4 F&@C"() (et les mots de la mme famille). Par mtaphore, il peutvidemment prendre un sens figur et sappliquer au domaine de lthique ou de lamtaphysique, mais son emploi reste limit. Cf. infra, chapitre 5.7Le terme /8 )9/":&;67&'est moins frquent et apparat dans les discussions sur lalibert ds lpoque impriale. On le rencontre aussi bien chez les philosophes grecsque chez les auteurs chrtiens. Notons que, dans les Tria opuscula, Guillaume de
Moerbeke traduit gnralement le substantif /8 )9/":&;67&' par libertas arbitrii (cf.Boese, Index, s.v. arbitrium et autexusios) ; cf. aussi M. Spanneut, Commentaire surla Paraphrase chrtienne duManuel dEpictte, SC, Paris, 2007, p. 61 ()9/":&;67&* :dou de libre arbitre ; cf. encore, p. 183).
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Introduction 9
arbitre8 et a fortiori ses correspondants anglais ( free will) et allemand (der freie
Wille) , vhicule une notion de volont, considre gnralement comme distincte
de lentendement dans la philosophie moderne, qui ne semble pas convenir
proprement la philosophie ancienne9
. Ces remarques, videmment, ne veulent paslaisser entendre que les Grecs ne possdaient pas les notions qui correspondent aux
termes dterminisme et libert (une fois dfinis). Par ailleurs, la difficult saccrot
encore du fait que, pour nous, le terme dterminisme nest pas univoque et que la
libert ne rpond pas une dfinition indpendante de toute thorie. Nous
commencerons donc par donner une dfinition gnrale et volontairement vague de
ce que nous entendons par dterminisme. La notion de libert se construira et se
dfinira, elle, au fil de notre enqute, dans son opposition mme la notion de
dterminisme.
La question se posera alors sil vaut mieux dfinir le dterminisme par la
notion de ncessit voire dinvitabilit, dindcidabilit ou par celle de cause.
Pour viter lobjection danachronisme, nous nous garderons de dfinir cette notion
par rapport aux dbats issus de la science moderne, quil sagisse de physique
classique (dterminisme de type laplacien) ou de physique quantique (dterminisme
probabiliste). Nous prendrons le dterminisme, dans un sens encore prciser,
comme la thorie qui affirme gnralement que tous les vnements (nous ne
distinguons pas ici les vnements des actions) se produisent ncessairement ou
invitablement : un vnement e est dtermin si, et seulement si, il ntait pas
possible quelle que soit la raison de cette impossibilit, quil ne se produise pas,
quel que soit le type de causalit qui rende compte de sa production10. Cette
8Le terme arbitriumnest sans doute pas en lui-mme un synonyme de volont, maisdans lhistoire, il tend le devenir ; cf. le Nouveau Petit Robert (1993), s.v. ARBITRE 2 , qui explique le terme darbitre, dans lexpression libre arbitre, parvolont.9 La littrature sur cette question est abondante. Cf., par exemple, A. Dihle, TheTheory of Will in Classical Antiquity, Berkeley / Los Angeles / London, 1982, p. 144,
o lauteur conclut que cest Augustin qui est linventeur de notre concept modernede volont which he conceived for the needs and purposes of his specific theology ;A. Solignac (s. j.), Vouloir et volont chez les philosophes grecs , dans : L.Jerphagnon, J. Lagre, D. Delattre (ds), Ainsi parlaient les Anciens, Mlanges inhonoremJ.-P. Dumont, Lille, 1994, p. 101-112 : lauteur insiste sur la formation de lanotion de volont chez Platon, Aristote et les stociens, avant sa constitution commepuissance distincte de lme chez Augustin ; cf., dans une perspective plus large, Ch.H. Kahn, Discovering the Will. From Aristotle to Augustine , dans : J. M. Dillonand A. A. Long (eds), The Question of Eclecticism. Studies in Later GreekPhilosophy, Berkeley / Los Angeles / London, 1988, p. 234-259 (on trouvera une utiletypologie des conceptions modernes de la volont aux pages 235-236).10Cf. la dfinition opratoire que donne R. Sorabji (1980), p. IX : Par dterminisme,
jentendrai la conception selon laquelle tout ce qui arrive a t tout au long ncessaire,cest--dire fix ou invitable (By determinismI shall mean the view that whateverhappens has all along been necessary, that is, fixed or inevitable) ; cette dfinition estreprise sans modifications significatives dans : D. Blank and N. Kretzmann (eds.), On
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Introduction10
dfinition est encore suffisamment vague elle ne dit rien du type de ncessit mis en
jeu ni du type de causalit oprant , pour permettre dembrasser les distinctions
souvent faites par les modernes, propos de laction humaine, entre dterminisme,
ncessitarisme et fatalit11
.A partir de cette conception trs gnrale se posera le problme du statut de
laction humaine : laction se distingue-t-elle de lvnement ou nest-elle quun
vnement particulier dont lorigine, au moins immdiate, est lhomme ?
Pour clarifier le dbat, il ne nous apparat pas inutile de commencer par
dessiner grands traits ce quon peut qualifier comme des solutions globales la
problmatique esquisse, telles quon peut les trouver dans la philosophie antique.
Dans lhistoire de la philosophie grecque on pourrait distinguer trs
schmatiquement les positions comme suit. Platon pose que lhomme est responsable
()J/7&*) de ses actes, de ses choix : cest du moins ce que le philosophe exprime parle truchement dun mythe, le mythe dEr le Pamphylien, expos dans le dixime livre
de la Rpublique ( Resp. X 614b sqq.). Mais on ne trouve pas chez lui de discussion
thorique dveloppe sur la question du dterminisme dans la nature sensible. Le
terme, qui dans les philosophies postrieures sera au centre de ce dbat, celui
d",)#-'. (traduit par fatalit ou destin, rendu quelques fois par son quivalentlatin fatum), na pas encore chez lui de valeur technique ; il semble bien en effet
dsigner en gnral, comme dj chez Homre, le moment fixde la mort 12.
De son ct, le disciple de Platon, Aristote, laborera dans ses recherches
thiques un concept de responsabilit prcis et complexe, mais on ne trouvera pas
non plus chez lui de doctrine de l",)#-'.. Pourtant, dans le chapitre 9 du De
Determinism. Ammonius, On Aristotle On Interpretation 9, translated by D. B., withBoethius, On Aristotle On Interpretation 9 first and second commentaries, translatedby N. K., with essays by R. Sorabji, N. Kretzmann and M. Mignucci, ACA, London,1998, p. 3 ; voir aussi Seel (2001), p. 16 (cf. p. 19) : Determinism is the position thatevery event or occurrent in the real world is predetermined from eternity in such away that there is no moment in the history of the world at which it is undecided
whether or not the event will occur.11Cf. par exemple Sharples (1983), p. 10, n. 50 et p. 150-151 :
Fatalisme: (df.) the belief that the fortune cannot be affected by any of ouractions ;
Dterminisme : (df.) affirme only that it is already predetermined whichactions we will choose to perform. Donc, le dterminisme nimplique pas que nosactions ne peuvent affecter le cours des vnements (confusion frquente dans lacritique du stocisme). Cf. R. Taylor (article Determinism dans The Encyclopediaof Philosophy, ed. by P. Edwards, 1967), p. 368, et D. J. OConnor, Free Will, p. 13sqq.12Cf., e. g.E. R. Dodds (ed.), Plato, Gorgias, Oxford, 1959, p. 350 (The term neverstands in Plato, as it did in stoicism, for ageneralprovidence). Cf. aussi H. Doerrie
und M. Baltes, Der Platonismus in der Antike, Bd. III : Der Platonismus im 2. und 3.Jahrhundert nach Christus, Bausteine 73100 : Text, Uebersetzung, Kommentar,StuttgartBad Cannstatt, 1993, p. 320 (la section 94 est intitule : Ueber Schicksalund Vorsehung).
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Introduction 11
interpretatione, la notion de dterminisme, telle que nous lavons esquisse, est
discute et la thse dterministe dans son sens ncessitariste rfute. Il faut
attendre les philosophies hellnistiques pour rencontrer notre problmatique, expose
et analyse pour elle-mme. Ce sont elles qui vont dessiner le cadre dans lequellevont sinscrire les discussions menes au sein des philosophies ultrieures,
principalement aristotlicienne et noplatonicienne. Les stociens surtout, mais aussi
les picuriens13, les cyniques14 et les sceptiques 15, joueront un rle de premier plan
dans llaboration des arguments relatifs cette discussion. Les concepts essentiels de
cette problmatique sont ceux d ",)#-'.et d 123 45'. Mais ces concepts ne sontpas invents de toutes pices par les stociens qui semblent tre les premiers les
utiliser massivement dans ce dbat. Comme on la vu, dj Platon utilise
sporadiquement le terme d",)#-'., et Aristote fait de lexpression 123 45' unterme technique dans la discussion sur la notion de responsabilit dans sesEthiques16.
Il reste que linitiative du dbat revient sans doute aux stociens. Dailleurs, les
platoniciens plus rcents se sentiront tenus de ragir aux thses stociennes ; ce sera
surtout la tche de Carnade17. Mais il faut attendre le moyen-platonisme pour
trouver des textes appartenant au courant platonicien, et qui engagent le dbat sur le
terrain dfini par le stocisme. Le trait du pseudo-Plutarque intitul justement !"#$ ",)#-'.*forme, pour nous, un maillon essentiel dans la chane des dbats sur cetteproblmatique dans lcole platonicienne (fin du IIe s.) 18. Et il semble bien que
largumentation soit fixe dans ses grandes lignes au IIes. ap. J.-C. En effet, Alcinoos,
Numnius (dpendant peut-tre du platonicien Gaios) prsentent dj un ensemble de
13 Cf. par exemple Diognien [picurien du II e s. ?], ap. Eus. P.E. IV 3 et VI 8 :(contre la doctrine du fatumde Chrysippe) ; rappelons que cet auteur est prsent parEusbe comme pripatticien. Sur ce philosophe, cf. T. Dorandi, dans : DPhA t. II(1994), art. Diognianos , D 152 ; H. O. Schrder, art. Fatum (heimarmene) ,RAC VII (1969), col. 524-636, col. 550-551 sur Diognien ; voir aussi, M. IsnardiParente, Diogeniano, gli epicurei e la /;S., dans : ANRWII 36.4 (1990), p. 2424-2445.14Cf. par exemple Oinomaos [cynique du II eou III es. ap. J.-C.], dans sa critique des
oracles [X&T/L' 2E#) Les charlatans dmasqus], ap. Eus. P.E. V 19-37 et VI 7.Sur ce philosophe, cf. M.-O. Goulet-Caz, dans : DPhAt. IV (2005), art. Oinomaosde Gadara , O 9.15Par exemple, lacadmicien sceptique Carnade (cf. D. Amand, Fatalisme et libertdans lAntiquit grecque, Louvain, 1945 [rimpr. Amsterdam, 1973]).16 Cf. E. Eliasson, The Notion of That Which Depends On Us in Plotinus and ItsBackground, Leiden / Boston, 2008, p. 47-61.17 Le sous-titre de la thse de Don David Amand mentionne ci-dessus estprcisment : Recherches sur la survivance de largumentation morale antifatalistede Carnade chez les philosophes grecs et les thologiens chrtiens des quatrepremiers sicles .18Cf. J. den Boeft, Calcidius On Fate, p. 10, qui reprend la thse de Valgiglio (19932),
p. 41 : lauteur appartient au moyen platonisme et le trait date de la seconde moitidu IIe sicle ap. J.-C. Cf. H. Doerrie und M. Baltes, Der Platonismus in der Antike,Bd III : Der Platonismus im 2. und 3. Jahrhundert nach Christus, Bausteine 73100 :Text, Uebersetzung, Kommentar, Stuttgart / Bad Cannstatt, 1993, p. 324-325.
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Introduction12
solutions au problme du rapport entre la fatalit et la libert qui formera le noyau des
discussions plus tardives sur la question19. Un cas particulier est celui de Calcidius,
platonicien et chrtien du IVe s. On a pu montrer que le fond de son trait sur la
fatalit contenu dans son commentaire sur le Time de Platon, malgr sa datetardive, remonte au moyen-platonisme, sans doute travers le commentaire de
Porphyre sur le mme texte platonicien20.
Avec lavnement du noplatonisme, la problmatique va se dvelopper et se
prciser au sein dun systme mtaphysique de plus en plus complexe. Dj Plotin et
son disciple immdiat, Porphyre, consacreront plusieurs textes cette question21. Un
autre maillon important dans la chane de ces discussions est fourni par le philosophe
pripatticien Alexandre dAphrodise dans une monographie consacre ces
questions : le !"#$ ",)#-'.* ( De fato). Les noplatoniciens tardifs hriteront doncde tout un corpus darguments et de contre-arguments ; de son ct, Proclus en
assurera la reprise en lintgrant dans lensemble de son systme philosophique.
En ce qui concerne le vocabulaire utilis par Proclus dans le cadre de cette
problmatique, il faut souligner quil est pour lessentiel emprunt la Stoa. Il ny a
point l doriginalit de sa part ; le lexique auquel ont recours les philosophes grecs
de la priode impriale dans leur discussion sur la libert est fix et peu prs
constant. Mais cela ne signifie videmment ni que les concepts soient identiques ni
que les solutions proposes soient les mmes. Nous montrerons en effet que, bien que
le vocabulaire technique li notre problmatique soit essentiellement stocien, la
solution proclienne au problme est pleinement (no)platonicienne.
A premire vue, on pourrait estimer que le thme de cette enqute relve
dune approche quelque peu marginale de la pense de Proclus. Pour dire vrai,
cependant, il nen est rien. En effet, lme, par le rang quelle occupe dans le systme
ontologique, comme mdit ou mdiation ("6=/.*) entre lintelligible et le sensible,et par laccs oblig au rel quelle offre pour nous, se trouve aussi ncessairement,
thmatiquement ou non, au centre de toute recherche. Toute thorie trouve ainsi son
19 J. Dillon, Alcinous, The Handbook of Platonism, translated with an introductionand commentary by J. D., Oxford, 1993, p. 160-164.20Cf. J. den Boeft, Calcidius on Fate. His Doctrine and Sources, Leiden, 1970, p. 128-137.21Cf. surtout Enn. III 1 [3] (!"#$ ",)#-'.*selon Porphyre) ; sur cette Ennade, onconsultera M. Chappuis, Plotin, Trait 3 (III 1), Introduction, traduction,commentaires et notes par M. C., Paris, 2006 ; pour Porphyre, il faut consulter les
fragments de son commentaire sur le Timedans : A. R. Sodano, (d.) Porphyrii inPlatonis Timaeum Commentariorum fragmenta, Napoli, 1964 ; voir aussi lesfragments conservs de son trait !"#$ /&0 123 45' (Smith, Fragmenta [1993],n268-271).
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Introduction 13
point de dpart ncessaire dans lacte humain de philosopher22, suppos libre. La
question de la libert occupe alors une place que lon peut qualifier de centrale
dans le systme de Proclus. En effet, non seulement la libert est prsuppose par le
travail philosophique en gnral23
, mais elle est aussi, plus particulirement, lacondition de possibilit de la mise en uvre de linjonction socratique reposant sur
le prcepte delphique du connais-toi toi-mme (P'YB7 6)@/=')24 et laconsquence spirituelle de cette ascse.
L a m t h o d e s u i v i e
Dans cette tude, nous nous proposons de (re)construire la rponse
proprement proclienne la question du rapport entre dterminisme et libert. Notre
dmarche sera plutt synchronique, mme si nous avons souvent recours lhistoire
des notions discutes. Nous chercherons donc dfinir la position de Proclus sur la
problmatique esquisse, sans nous interdire dexaminer telle ou telle solution
antrieure ou mme postrieure, si cette rfrence permet de jeter une lumire
nouvelle sur le sujet. Dautre part, nous traiterons les textes de Proclus sans nous
proccuper de chronologie. Comme la plupart des commentateurs modernes, nous
considrons que, de faon gnrale, la pense de Proclus nest pas soumise une
volution transformante, tout au plus, peut-tre, un approfondissement et une
complexification croissante25. Les diffrences quon peut relever dun texte lautrese comprennent en gnral comme leffet dun changement de perspective. Il faut
tenir aussi compte de la place quoccupe un texte dans le cursus des tudes. Les
noplatoniciens, en dignes successeurs de Platon, ont en gnral t trs sensibles aux
questions pdagogiques, et ils taient tous des professeurs de philosophie
22Cf. J. Trouillard, Lun et lme selon Proclos, Paris, 1972, p. 28 : Cest dans lmequil faut chercher le centre de la philosophie de Proclus.23 De Prov.66,6-9. Que la libert soit requise par lexercice de la philosophie, marquedj que cette dernire nest pas seulement une recherche pure de la vrit, mais aussiun exercice spirituel.24Cf. Procl. In Alc. 11,1-5 Segonds : 1'/"0B"' W#+/-&' /Z* M)@/Y' /"C"7E6"L*, W%8/Z* M)@/Y' +)B)#[* P'E6"L*. \#SQ F- 16/7' &H/&* A F7KC&P&* ]%K6.* 27C&6&2()*,^6%"# FQ +)$ 4 M)@/Y' P'Y67*: il faut commencer son propre perfectionnement partir de la connaissance pure de soi. Et le prsent dialogue est le commencement detoute philosophie, comme lest prcisment aussi la connaissance de soi . Pour laconnaissance de soi comme dbut de la philosophie pour Socrate (et pour Platon),cf. ibid. 5,15-16 Segonds: _`/. /&('@' ?6/L +)$ 27C&6&2()* W#SQ +)$ /Z* !CK/L'&*F7F)6+)C()*, 4 M)@/Y' P'Y67*; voir aussi Olymp. In Alc. 4,6-7 Westerink : C-P"/)7 FG %#8* 27C&6&2()' 1CB"5' 1+ /&0 !@B7+&0 P#K)/&* /&0 P'YB7 6)@/='; 11,2-3 :
C-P"/)7 FG A aL+#K/.* 1+ /&0 P'YB7 6)@/8' 1%$ 27C&6&2()' 1CB"5'.25 Notons cependant que cette hypothse est difficilement dmontrable. Uneprsentation plus complexe du systme peut sexpliquer par les circonstances depublication, par la nature du destinataire, etc.
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Introduction14
(27C=6&2&7)26; or les ouvrages destins aux dbutants, comme l Alcibiade27, neprsentent videmment pas toute la complexit du systme dans ses ultimes dtails.
Afin de bien saisir limportance de ces proccupations mthodologiques pour
lhistoriographie philosophique, on se reportera louvrage dsormais classique deI. Hadot sur Hirocls et Simplicius28.
Cest dire quon ne trouvera pas dans ce travail un expos systmatique de la
philosophie de Proclus il en existe dexcellents29, mais seulement lexamen dun
problme particulier au sein dun systme dont la structure englobante en rend la
solution dlicate, et pourtant urgente. En effet, comme on la dit, le systme de
Proclus se veut radicalement moniste30. Or la question se pose de savoir comment une
exigence thique et sotriologique, constamment raffirme, peut trouver sinsrer
26Sur ce sens tardif du terme 27C=6&2&*, cf. M. Richard, \%8 2L'Z*, Byzantion,20 (1950), p. 191-222 (reproduit dans : M. Richard, Opera minora, t. III, Turnhout /Leuven, 1977, n 60).27Pour le connais-toi toi-mme comme principe non seulement de lenseignementde Platon, mais aussi de la philosophie, cf. Procl. In Alc. 5,15-16 (Segonds) : _`/./&('@' ?6/L +)$ 27C&6&2()* W#SQ +)$ /Z* !CK/L'&* F7F)6+)C()*, 4 M)@/Y'P'Y67* : Admettons donc que la connaissance de soisoit non seulement le principede la philosophie, mais aussi de lenseignement de Platon ! ; et ibid. 11,3-5(Segonds) : \#SQ F- 16/7' &H/&* A F7KC&P&* ]%K6.* 27C&6&2()*, ^6%"# FQ +)$ 4M)@/Y' P'Y67* : Ce dialogue, comme aussi la connaissance de soi est le principe
[= le commencement] de toute philosophie ; Anon. Proleg. 26, 23-26 (Westerink-Trouillard-Segonds). Cf. aussi A. Ph. Segonds (d.), Proclus, Sur le Premier Alcibiadede Platon, t. I, Paris, 1985, p. XII-XIII. Voir aussi ce que dit sur cette questionI. Hadot propos du commentaire plus tardif (VIe s.) de Simplicius sur le ManueldEpictte : I. Hadot, Simplicius, Commentaire sur le ManueldEpictte, Introductionet dition critique du texte grec par I. H., Leiden, New York, Kln, (Brill) 1996, p. 51-60, et I. Hadot, Simplicius, Commentaire sur le Manuel dEpictte, texte tabli ettraduit par I. H., t. I, chapitres I-XXIX, Paris (Les Belles Lettres), 2001, p. XLIII-XLIV.28Hadot, I., Le problme du noplatonisme alexandrin. Hirocls et Simplicius, Paris,1978.29Pour un expos global du systme de Proclus, on se rfrera aux ouvrages suivants :L. J. Rosn, The Philosophy of Proclus. The Final Phase of Ancient Thought, New
York, 1949 ; R. Beutler, art. Proklos 4, RE23 (1957), col. 186-247 ; G. Martano,dans : E. Zeller-R. Mondolfo, La filosofia dei Greci nel suo sviluppo storico, ParteIII : La filosofia post-aristotelica, vol. VI : Giamblico e la Scuola di Atene a cura diG. M., Firenze, 1961, p. 118-196 ; J. Trouillard, Le noplatonisme , dans : Histoirede la philosophie, sous la direction de B. Parain, t. I : Orient-Antiquit-Moyen Age,Paris, 1969, p. 912-928 ; G. Martano, Proclo di Atene. Lultima voce speculativa delgenio ellenico, Napoli, 1974 [nouvelle dition, corrige et augmente, de Luomo eDio in Proclo, Napoli / Roma, 1952] ; W. Beierwaltes, Proklos. Grundzge seinerMetaphysik, Frankfurt, 1965 (19792) (cf. en traduction italienne : W. Beierwaltes,Proclo. I fondamenti della sua metafisica, Traduzione di N. Scotti, introduzione di G.Reale, Milano, 1988) ; G. Reale, Introduzione a Proclo, Roma / Bari, 1989 ; L.Siorvanes, Proclus. Neo-Platonic Philosophy and Science, New Haven / London,
1996.30 On trouvera une synthse magistrale sur la question de lunit des systmesmonistes dans larticle de J. Trouillard, Un (Philosophies de l) , dans :Encyclopaedia universalis, 1968, p. 461-463.
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Introduction 15
dans la totalit parfaite du Tout, en revendiquant en mme temps un espace pour la
libert. La rponse que nous dgagerons pourrait se prsenter comme une des
solutions possibles, quoique toujours problmatique, aux systmes fonds sur des
principes et des structures analogues.
P l a t o n i sm e e t n o p l a t o n i s m e
Comme on le sait, lappellation de noplatonisme est moderne31 et Proclus,
comme tous les autres noplatoniciens anciens, ne se pense pas comme un
innovateur au sein du mouvement platonicien. Proclus est platonicien, parce que cest
Platon qui, principalement sur le mode philosophique, a transmis aux hommes la
vrit sur la ralit dans sa totalit 32. Or les problmes qui seront discuts dans le
prsent ouvrage ne sont pas des problmes examins en tant que tels par Platon.
Comme nous lavons vu, la question du rapport entre le dterminisme et la libert
napparat comme telle qu partir des philosophies hellnistiques, dans lpicurisme
et surtout dans le stocisme. La majeure partie des termes voire des concepts ,
centraux de ce dbat sont emprunts au stocisme. Cependant, llaboration de la
problmatique et des solutions qui y sont apportes au sein du noplatonisme en
gnral et chez Proclus en particulier se font explicitement contre la philosophie du
Portique et, en partie, contre celle du Pripatos. Nous verrons toutefois que nombre
de thses stociennes sont reprises par Proclus ; mais, intgres dans un systme depense tranger leur origine, elles se revtent dun sens radicalement nouveau.
P h i l o s o p h i e e t t h o l o g i e : m t h o d e e t s o u r c e s d e P r o c l u s
Il est habituel de parler de la philosophie de Proclus. On aurait aussi de
bonnes raisons duser du terme de thologie, voire de thosophie. Mais certaines
distinctions savrent ncessaires. Du point de vue de la mthodeutilise par Proclus,
le mode dexposition dmonstratif de sa pense rclame lappellation de philosophie ;Nous suivrons dailleurs en cela lhabitude de Proclus lui-mme. Du point de vue du
31Elle remonte lhistoriographie philosophique allemande du XVII es ; cf. A. Magris(1986), p. 187.32 Proclus aime souligner laccord entre la pense de Platon ( 4 /&0 !CK/L'&*F7K'&7)) et la ralit objective (4 /Y' %#)PK/L' [CTB"7)) ; cf. e. g. TPII, p. 31,13-14 ; p. 59,5-6 ; IV, p. 21,11-12 ; p. 78,2-3 ; TP VI, p. 36,20-21. La vrit a encoresuivi des voies diverses pour parvenir aux hommes : elle sest exprim en particulierpar le truchement dHomre, dHsiode, dOrphe (= A /Y' bCCT'L' B"&C=P&*,TPV, p. 33,22-23), de Pythagore, des deux Julien (le Thurge et le Chalden = &,
cK#c)#&7, cf. TPVI, p. 51,25 et n. 7, p. 151-152 ; 4 cK#c)#&* B"&6&2() In Remp. II225,4 ; 255,21; &, B"=6&2&7, TPVI, p. 64,3); les trois premier sont souvent dsignscomme &, B"&C=P&7, &, %)#3 dCC.67 B"&C=P&7 et reprsentants de 4 bCC.'7+Q B"&C&P().
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Introduction16
contenude cette pense et dune partie des sourcesdont elle se nourrit, lappellation
de thologie ou de thosophie semble mieux convenir. En effet, pour le
Diadoque, avant mme Platon, les potes Homre, Hsiode, Orphe33 ceux quil
nomme les Thologiens grecs ont exprim la vrit dune bouche inspire ;Pythagore34, influenc par l Orphisme, est considr comme une des sources de
Platon ; et, bien postrieures Platon (pour nous), les rvlations des Oracles
chaldaques reprsentent elles aussi une manifestation divine de la vrit. Or, si on
met part le Pythagorisme dont le mode dexposition de la vrit est spcifique35,
nous voyons quune part importante des rfrences procliennes est dordre clairement
thologique, la fois par leur contenu et par leur mode dexposition. Dans lexamen
des questions qui forment lobjet de la prsente enqute, nous ne nous arrterons
quoccasionnellement cet aspect particulier des sources de la pense proclienne.
Quoi quil en soit, Proclus, en tant que philosophe, nutilise gnralement les textes
orphiques ou chaldaques que pour confirmer, par linterprtation quil en donne,
linterprtation de Platon qui reste la base de llaboration rationnelle de sa
doctrine36.
Le problme est quelque peu diffrent quand il sagit de linterprtation des
mythes platoniciens. Par rapport notre enqute, il nest gure possible de ngliger
linterprtation rationalisante que Proclus nous donne du mythe dEr au dixime livre
de la Rpublique. Nous en tirerons en effet tous les lments utiles une meilleure
comprhension de la position philosophique de Proclus relative notre sujet.
On pourrait raisonnablement se demander si, en marginalisant laspect
proprement thologique au sens o Proclus est dit vouloir embrasser toute la
thologie grecque , on ne nglige pas un aspect essentiel de sa pense ou, pire
encore, si on ne fausse pas la comprhension de celle-ci. Quen suivant uniquement
cette mthode on ne respecte pas entirement lintention profonde du Diadoque, pour
qui la vrit est une, cest indniable. Il reste que sa pense veut dabord sexprimer
par des arguments rationnels ou scientifiques, quelle se veut dmonstrative au sens
o la philosophie grecque a toujours cherch ltre.
33 Les guillemets simposent videmment. LOrphisme auquel Proclus se rfrecomprend des textes de date rcente, mme si ces derniers se dveloppent sur un fondplus ancien. Cf. L. Brisson (1987).34 Comme pour lOrphisme, le Pythagorisme de Proclus est de date rcente etcomprend des textes de nature trs varie. Cf. OMeara (1989), p. 145-152.35 Proclus distingue soigneusement les diffrents modes de discours sur le divin enparticulier ; pour les pythagoriciens, cf. In Parm. 646, 20-21 Steel : /&5* FG F7
"e+='L' )9/N %#&B"-'&7* 1:)PP-CC"7', F7 D'&K/L' )B.)/7+Y'. Cf. Luna-Segonds (2007), In Parm. t. I 2, p. 221-222.36Nous ne voulons pas dire par l que la tradition thologique nest pas son tour lorigine de certaines interprtations de Platon.
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Introduction 17
Dailleurs, en tant que la pense de Proclus se prsente nous comme une
thologie rationnelle, cet aspect de saphilosophiedoit entrer de plein droit dans notre
recherche. Et comme on le verra, des notions aussi importantes pour notre enqute
que celles dheimarmn, de nature, dordre, de fin, ne se comprennent plus si on lesprive de leur contenu thologique. Et si on peut dire que lessentiel de notre
recherche concerne les parties traditionnelles de la philosophie que sont la
physique y compris pour une part la psychologie , et lthique, il faut prciser
que pour un noplatonicien celles-ci comportent toujours une rfrence au
thologique. Il ny a l rien dtonnant, puisque nous savons que le systme est
radicalement moniste et que son principe qui est principe absolu du rel , est le
Bien identique lUn, quoi toute ralit se ramne sous quelque mode que ce soit.
Cest dire quon ne trouvera pas chez Proclus une physique au sens o lont pratique
les prsocratiques ou mme Aristote. Il suffit de lire quelques pages seulement du
commentaire sur le Time pour sen rendre immdiatement compte 37. La mme
remarque vaut galement pour lthique. Si Proclus emprunte par ailleurs beaucoup
lthique aristotlicienne, on chercherait vainement chez lui un expos de mme
nature. En effet, son thique, que lon doit reconstruire partir de diffrents textes, se
caractrise essentiellement comme sagesseet sotriologie. Il serait donc fallacieux et
illusoire de sparer radicalement dans notre analyse un aspect purement
philosophique dun aspect plutt thologique. Tout est plein de dieux %K'/)
%CT#. B"Y'38: cet apophtegme, volontiers rpt par Proclus, doit tre pris la lettre,comme signifiant que lunivers proclien est rellement comme satur de dieux. La
conscience de ce fait conduira donc linterprte moderne prendre avec la prudence
qui simpose des notions aussi communes que celles de nature (2;67*) ou de loi('=&*) par exemple.
L e c o r p u s d e s t e x t e s e x a m i n s
Pour lexamen de la question que nous allons traiter, les textes pertinents sontpour une part disperss dans les grands commentaires principalement celui sur le
Time et celui sur la Rpublique, pour une autre part, plus importante encore,
37 Ces deux aspects indissociables sont bien mis en lumire dans A. Lernould,Physique et thologie. Lecture du Time de Platon par Proclus, Villeneuve dAscq(Presses Universitaires du Septentrion), 2001.38Cf. TPIII, p. 98,23 ; El. th. prop. 145, p. 128,20 : "6/N FG %K'/) B"Y'(cf. la notede Dodds, p. 276) ;De dec. dub. 16,9-10 : %K'/) FG "f')7 "6/N gB"Y'h( /&0 B"&0 Is.Seb. ; %CT#.Boese) ; cf. Plat. Leg. X 899b9 : ?6B' i6/7* /)0/) A&C&PY' j%&"'"5
Q B"Y' "f')7 %CT#. %K'/); cf. encore Plat. Epin. 991d4 : /8 B"Y' "f')7 %K'/) %C-).Dans cet apophtegme, attribu souvent Thals (Arist. De an. I 5, 411a8), Procluscomprend B"&( au sens large, comme embrassant tous les genres suprieurs nous,voire mme les vivants mortels (TPIII, loc. cit.).
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Introduction18
contenus dans deux petits opuscules traitant de questions particulires, le De decem
dubitationibus circa providentiam ( Dix questions concernant la providence) et,
davantage encore, leDe providentia et fato et eo quod in nobis (Sur la providence, la
fatalit et ce qui dpend de nous)39
. De ces deux opuscules, dont le texte original estperdu, nous possdons une traduction latine mdivale due Guillaume de Moerbeke
et date de 1280 ainsi quun dmarquage byzantin40 de la fin du XI e s. d Isaac
Sbastocrator41. La traduction latine est trs littrale, le plus souvent ad verbum, et
souvent pour cette raison de comprhension difficile ; toutefois, nous connaissons par
ailleurs assez prcisment la technique de traduction de Guillaume grce aux trs
nombreux travaux que nous avons conservs de lui42. De ce fait, nous avons jug
utile, et ncessaire, de proposer une rtroversion en grec43 pour tous les textes sur
lesquels se fonde notre analyse. Le but idal de cet exercice serait videmment de
retrouver le texte grec perdu de Proclus. Mais il faut tre conscient quune entreprise
de ce genre ne peut aboutir des certitudes absolues et que le travail philologique
ralis laisse une certaine place au probable. Nous sommes cependant convaincu
quen suivant cette voie nous pouvons esprer atteindre une connaissance plus
prcise du texte. Pour allger quelque peu le texte principal de notre tude, nous
avons choisi de faire figurer dans un dossier philologique spar les passages
discuts avec leur contexte. Nous y ajoutons, en notes, tous les commentaires
proprement philologiques, les justifications et les alternatives possibles. Les textes
intgrs dans le corps mme de ltude peuvent tre ainsi dbarrasss de leur appareil
philologique, et nous invitons le lecteur se rfrer constamment au dossier en
question. En gnral, nous avons tenu traduire les textes que nous citons, parce que
nous pensons que le sens nest souvent quillusoirement obvie et que tout traduction
39On se rfre aussi cet opuscule sous le titre Providence, fatalit et libre arbitre.40Sur les caractristiques de ce dmarquage, cf. W. Spoerri (1977), p. 134-136. Pourun dmarquage analogue antrieur, on pourra voir, par exemple, un opuscule deMichel Psellus (XIe s.), dans lequel le Byzantin utilise, souvent littralement, un
passage du Commentaire sur le De interpretatione dAmmonius (Michaelis Pselli,Philosophica minora, t. II : Opuscula psychologica, theologica, daemonologica, ed.D. J. OMeara, Leipzig, 1989, opusc. 44).41Sur lidentit de ce personnage, le frre an de lempereur Alexis I erComnne ouson troisime fils, cf. D. Isaac, Proclus, Trois tudes sur la Providence, texte tabli ettraduit par D. Isaac, t. I : Dix problmes concernant la Providence, Paris, 1977, p. 23-28 ; W. Spoerri (1977), p. 128 et n. 3 ; M. Erler, Proklos Diadochos, Ueber dieVorsehung, das Schicksal und den freien Willen an Theodoros, den Ingenieur(Mechaniker), nach Vorarbeiten von Theo Borger bersetzt und erlutert von M.Erler, (Beitrge zur klass. Philologie, Heft 121), Meisenheim am Glan, 1980, p. VII,n. 1.42 Cf. la bibliographie donne dans : C. Luna et A.-Ph. Segonds, Proclus,
Commentaire sur le Parmnidede Platon, t. I, 1re
partie : Introduction gnrale, Paris,2007, p. CCLXXVI, n. 2.43Cette exigence a dailleurs souvent t souligne, cf., par exemple, L. G. Westerink(1962), p. 190 ; W. Spoerri (1989/1992), p. 735.
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Introduction 19
est dj une interprtation. Autrement dit, les citations, quelles soient brves ou
longues, ne devraient jamais tre une simple illustration du propos, mais faire partie
intgrante des demonstranda.
Nous avons en gnral suivi, en guise de fil conducteur, la voie argumentative
trace par Proclus dans le De providentia. Comme Proclus, dans cet opuscule
essentiel notre enqute, rpond une srie dobjections de nature dterministe, et
comme nous nous y rfrerons souvent, nous avons jug bon de commencer par une
prsentation succincte de la structure de louvrage (chapitre 1). Dans la suite, on
pourra se rfrer dans chaque cas ce plan de lopuscule pour situer dans leur
contexte les rponses apportes par Proclus.
Nous avons aussi utilis et l les textes dautres philosophes
noplatoniciens, afin de prciser un point ou de mettre en vidence le caractre
particulier de telle solution proclienne. Ces recours sont circonstanciels et ne relvent
pas dune tentative desquisser lhistoire systmatique des concepts tudis ici au sein
du noplatonisme. Il ne sagit pas non plus de rechercher par cette voie une
originalit, dailleurs problmatique, de la pense de Proclus. En effet, outre que cette
notion doriginalit nest gure applicable telle quelle lAntiquit en gnral, elle
contredit lintention fondamentale du Diadoque dans sa recherche de la vrit. Proclus
veut en effet sinscrire dans une tradition qui remonte Platon et qui comporte,
surtout partir de Plotin, une srie continue de coryphes dont les uvres et les
thses sont certes discutes, voire critiques, mais qui forment une sorte de bien
commun tout le noplatonisme. Le Lycien reconnat dailleurs sa dette lgard de
ses prdcesseurs ; en effet, il affirme propos des distinctions prjudicielles quil
juge ncessaire de dvelopper dans le De providentia44, avant daborder les apories :
kl&;/L'45 FQ /Y' /#7Y' %#&cC.K/L' W')P+)(L' m'/L' +)$ j%8 /Y'%)C)7Y' +)CY* 1:./)6-'L', /8 G' PN# nKcC7S&* 1' /&5* !"#7 %#&'&()* +)$
",)#-'.* @#(&7* i6&7* W%"7#PK6)/&, /8 FG %K'/"* &, /&0 !CK/L'&* 1#)6/)$F7//Q' B#@C(C)&0'/"* /Z' R@ST', /8 FG 1' %&CC&5* G' /=%&7* A !CL/5'&*, 1'%&CC&5* FG +)$ A !#7&*, /Q' B"L#()' +)$ /Q' B"L#./7+Q' F;')7'F7L#(6)'/"*, %K'/) FG A !CK/L' /&5* o%"6B)7 F@')-'&7*.h46
44
Cf. infra, chapitre 1.45 Pour la signification des signes diacritiques utiliss, cf. plus bas, la fin de cetteintroduction, la liste des Abrviations et sigles utiliss.46 De prov. 5,1-7 Boese.
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Introduction20
Ces trois questions pralables47 sont ncessaires [ notre dmonstration] et
ont t dj bien examines par les Anciens, la premire par Jamblique qui en a trait
longuement dans ses livres Sur la providence et la fatalit48, la seconde par tous les
amis de Platon qui ont affirm que lme tait double, la troisime par Plotin et parPorphyre qui, en de nombreux passages, font la distinction entre la contemplation
[scil. en acte] et la puissance contemplative, toutes [les trois] enfin par Platon, pour
ceux qui sont capable de le suivre.
Cela ne veut pas dire que la tradition noplatonicienne soit unanime. La
conscience dappartenir une mme tradition nempche pas les noplatoniciens de
soumettre critique ou rvision telle ou telle thse dfendue par un prdcesseur.
On connat bien le cas, par exemple, de la critique proclienne, reprise de Jamblique,
de la thse plotinienne selon laquelle lme particulire demeure toujours, dune
certaine faon, dans lintellect49. On verra encore, plus loin, que la thse de
limmutabilit essentielle de lme na pas t partage par tous les noplatoniciens
de la fin de lAntiquit50. Et peut-tre voyons-nous le plus distinctement le caractre
vivant, port par une critique toujours en veil, de cette tradition noplatonicienne, en
parcourant les diffrentes tapes de lvolution des exgses des hypothses du
Parmnidedepuis Plotin, dans lintroduction gnrale de la Thologie platonicienne,
publie par H. D. Saffrey et L. G. Westerink.51
47 Il nest peut-tre pas ncessaire dinsister sur la valeur du prfixe ( %#&-) ; cf.lusage de ce terme pour dsigner les quatre questions quil faut poser propos desIdes (In Parm. 784,12-13 Steel).48Sur ce trait De la providence et de la fatalit, cf. J. Dillon, DPhAt. III (2000), art. Iamblichos de Chalcis (I n 3), p. 834 (uvres, n 12) ; il semble bien que cepassage de Proclus soit le seul tmoignage sur ce titre. Cf. aussi J. M. Dillon,Iamblichi Chalcidensis in Platonis dialogos commentariorum fragmenta, Leiden,1973, p. 24. Cf. dj W. Gundel, Beitrge zur Entwickelungsgeschichte der BegriffeAnanke und Heimarmene, Gieen, 1914, p. 60, n. 1 ; cf. Stob. Anth. I 5, 17 et II 8,43-48 (O+ /Z* n)cC(S&@ 1%76/&CZ* %#8*
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Introduction 21
Par ailleurs, une grande part des textes de cette tradition est perdue pour nous,
et Proclus, avec Plotin, forment une exception qui nous semble justifier quon ltudie
pour lui-mme. Mais, quon ne sy trompe pas, la doctrine de la libert laquelle
nous parviendrons la fin de cette tude est celle de Proclus ; seule une tudecomparative exhaustive serait mme de montrer les singularits de cette doctrine
par rapport celle de Plotin, Porphyre, Jamblique, avant lui, ou Hirocls, Damascius,
Simplicius, aprs lui.
P o u r q u o i l a l i b e r t c h e z P r o c l u s ?
Les raisons que lon peut invoquer pour rpondre cette question sont de deux
ordres, internes et externes. Dune part, les alas de la transmission des textes anciens
ont permis quune part importante de la production philosophique et exgtique de
Proclus nous soit parvenue. En particulier, nous possdons un trait entirement
consacr la discussion des questions qui sont les ntres et qui na pas encore retenu
toute lattention quil mrite : le De providentia; il faut compter aussi les deux autres
opuscules, dont les thmes sont lis aux questions relatives la libert : le De decem
dubitationibus circa providentiamet le De malorum subsistentia.
A ct de ces raisons quon peut dire externes luvre, les motifs lorigine
de la prsente recherche rsident dans luvre mme. On peut admettre que toute
philosophie qui se prsente comme un systme assume au minimum une certaineconception de la libert. Llaboration de cette conception est plus ou moins
prcise et occupe une place plus ou moins centrale dans le systme. Elle apparat au
moins comme un prsuppos ncessaire dans la partie du systme traitant de la
morale et de lagir humain. Mais assez tt dans lhistoire de la philosophie
occidentale, la libert sest prsente sous la forme dun problme. La philosophie
stocienne illustre bien ce phnomne : ds lancien stocisme, en particulier chez
Chrysippe, on assiste un effort vigoureux pour mnager, lintrieur dun systme
dterministe cohrent, un espace pour notre libert. Mais, aux yeux desplatoniciens, la tentative stocienne de concilier le dterminisme universel et la libert
humaine a clairement chou. Cet chec ne se mesure videmment pas laune dune
vrit intemporelle et absolue ce nest pas notre propos de discuter ici de ce
problme classique de la philosophie antique sous cet angle52, mais seulement par
rapport sa place dans lhistoire de la philosophie antique et principalement du point
Dessein et nouveaut de la Thologie platonicienne, t. VI (1997), p. LXXV-
LXXXII.52Pour lvaluation de la solution stocienne du problme, envisage en elle-mme,louvrage essentiel est celui de S. Bobzien, Determinism and Freedom in StoicPhilosophy, Oxford, 1998.
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Introduction22
de vue des philosophes noplatoniciens. En effet, les philosophes grecs de la fin de
lAntiquit, et cela au moins depuis Plotin pour les noplatoniciens et depuis
Alexandre dAphrodise pour les pripatticiens, considreront la philosophie
stocienne, malgr ses protestations anticipes, comme le modle ou le type mme detoute doctrine fataliste-dterministe. Il conviendrait cependant de rserver une place
particulire au commentaire de Simplicius sur le Manuel dEpictte 53. Comme le
commentaire sadresse des dbutants54, puisque luvre commente fait
lducation de lhomme en tant quil a son essence dans lme rationnelle qui se sert
du corps comme dun instrument55, Simplicius va proposer lauditeur ou au lecteur
des distinctions fondamentales gnrales concernant laction morale. Par consquent,
le commentateur noplatonicien retient essentiellement des thses du Manuel les
affirmations centrales sur ce qui est en notre pouvoir et son contraire, ainsi que sur
le caractre dautodtermination de la prohairesis (facult de choix) 56 ; mais il ne
replace jamais ces questions thiques dans le contexte de la physique stocienne o la
notion dheimarmn risquerait den transformer le sens au point de rendre la
doctrine inacceptable pour un noplatonicien. Et, quand il aborde la question du
dterminisme sous la forme de la ngation de lexistence de ce qui dpend de nous, le
commentateur prsente les arguments comme des objections venant dailleurs57.
La philosophie proclienne admet par contre explicitement que la libert est au
principe de la philosophie. Elle est en effet la condition mme de possibilit de toute
philosophie. Dans la conclusion de son opuscule consacr prcisment au problme
du rapport entre la providence, la fatalit et la libert, Proclus expose cette exigence,
dont il rapporte la formulation son matre Syrianus :
kt> PN# &f6B) +)$ /8' 18' +)B.P"=') C-P&'/) %&CCK+7* i/7u /8 12 45' W')7#"BG' %"#7//Q' W%&2)('"7 /Q' 27C&6&2()' /( PN# %)7F";6"7, .F"'8* m'/&*
53 Compos peut-tre Harran ( Carrhae, la frontire de lempire byzantin et delempire sassanide) aprs 532 (cf. I. Hadot [2001], p. XXXIV) ; sur lhypothse deHarran et les critiques quelle a suscites, cf. Ph. Hoffmann, dans DPhAt. II (1994),art. Damascius , p. 562-563.54 Cf. Simpl. In Ench. Prooem. 72-104 (I. Hadot [2001]) ; cf. en particulierlexpression : &, %#8* C=P&@* W6@'.B-6/"#&7 (76 ceux qui sont peu habitus auxtextes) et la notice de I. Hadot, ibid. p. XCII-XCVII.55 Simpl. In Ench. Prooem. 35-36 (I. Hadot [2001]) : !)7F";"7 FG /8' U'B#L%&' v*+)/N R@SQ' C&P7+Q' &967L-'&' /Q' /p 6E)/7 S#L-'.' v* D#PK'q.56Nous proposons, en attendant mieux, cette traduction. Dans le premier tome de satraduction, I. Hadot retient choix dlibr et facult de choix dlibr (I. Hadot[2001],passim).57
Simpl. In Ench. I 222-310 (I. Hadot [2001]). Largument fataliste ou mmencessitariste qui sappuie sur laction de lheimarmn agissant comme une cause()e/()) sur nos dsirs, nos jugements et nos choix, vise directement une formeradicale dastrologie (ibid. 293-308).
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Introduction 23
/&0 %)7F"@&-'&@; !Y* FG ?6/)7 /7 %)7F"@="'&', Q m'/&* 12 45' /&0 P"'-6B)7+)CC(&67;58
En effet, tu59
le sais bien, mon matre60
aussi disait souvent que lasuppression de ce qui dpend de nous rendait superflue la philosophie.
Quenseignera-t-elle, sil nexiste rien qui puisse tre enseign ? Et comment y aura-
t-il quelque chose qui soit enseign, sil ne dpend pas de nous de devenir
meilleurs61?
Ainsi donc, la question de la libert se prsente comme fondamentale, au sens
propre, pour la philosophie et lacte mme de philosopher. Cependant, dans luvre
conserve de Proclus, pourtant volumineuse, les textes traitant directement de notre
problme ne sont pas trs nombreux. Une seule uvre comporte dans son titre mme
un terme qui renvoie la notion de libert. Il sagit du texte qui vient dtre cit, dont
lintitul complet, conserv dans la traduction latine de Guillaume de Moerbeke se
prsente ainsi : De providentia et fato et eo quod in nobis ad Theodorum mechanicum
(!"#$ %#&'&()* +)$ k",)#-'.* +)$ /&0 123 45' %#8* w"=FL#&' /8' .S)'7+='u).Pour mener bien la recherche qui fait lobjet de ce travail, lanalyse et
linterprtation de certains chapitres de cet opuscule seront indispensables. Mais, la
structure mme de cet ouvrage, dpendant troitement des circonstances particulires
de sa rdaction, fait que les passages traitant de la fatalit et de la libert se trouvent
dissmins dans les soixante-six paragraphes qui le composent. Devant rpondre aux
apories relatives laffirmation de lexistence dun libre arbitre, Proclus est amen
aborder la question de la libert dans son rapport avec la vie mondaine, ce qui
conduit naturellement le Lycien traiter aussi de la fatalit. Mais comme la fatalit
nest pas un principe ultime ou indpendant, lexamen de la question devra porter
aussi sur la providence divine. Ainsi, lopuscule contient dans son titre mme les trois
termes et concepts centraux de la discussion : 4 %#='&7), 4 ",)#-'., /&x 123 45'.
58 De prov. 66,6-9 Boese.59 Il sagit dun certain Thodore, ingnieur, le ddicataire de lopuscule, dont onreparlera dans le chapitre 2.60 A 18* +)B.P"E'/ A 4-/"#&* +)B.P"E'/ A +)B.P"y' 4Y'sont les formuleshabituelles, chez Proclus, pour dsigner son matre Athnes, Syrianus, dont le nompropre napparat jamais; cf. e. g. In Parm. 944,14 Steel ; TPI 49,19 ; 2,14.61 On pense ici au souci pdagogique constant de Socrate de rendre moralement
meilleur au sens de conduire la vertu (c"C/(&@* %&7"5' ou W%"#PKz"6B)7 /c"C/(&@* P(P'"6B)7) ses disciples, ses concitoyens, etc. Cf. e. g. Gorg. 501e11(c"C/(&@* P(P'&7'/&) ; ibid. 515d5 ; Resp. X 599d5 (c"C/(&@* ... W'B#E%&@* %&7"5) ;600c3-4 (%)7F";"7' W'B#E%&@* +)$ c"C/(&@* W%"#PKz"6B)7), etc.
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Introduction24
D i v i s i o n d e l a p r s e n t e t u d e
Le travail qui suit se divisera en cinq parties principales. Aprs une
prsentation de lopuscule de Proclus intitul De providentia et fato et eo quod est in
nobis, et lexpos de la thse dterministe de linterlocuteur du Lycien (chapitrepremier), le chapitre deuximeprsentera une srie de textes dfinissant les positions
principales concernant les notions de contingence et de ncessit dans la tradition
platonicienne et chez Alexandre dAphrodise. Le chapitre troisimetraitera du monde
sensible, dans lequel lme individuelle descend rgulirement pour sy perdre ou au
contraire pour en illuminer lobscurit matrielle62. Il ne traitera pas du monde pour
lui-mme et sous tous ses aspects. Cest plutt la prsence en son sein de lme
humaine qui sera prise en compte dans cette tude. Or, le sensible est rgi par
certaines lois qui lui sont propres, de nature physique et thologique, et que lesanciens, surtout partir du stocisme, runissent sous lappellation d",)#-'.. Lestraductions habituelles, destin, fatalit, fatum (avec ou sans majuscule), par les
connotations quelles entranent, risquent den fausser lexamen. En consquence,
nous nous rsignerons souvent employer dans ce travail la simple transcription du
terme grec (heimarmn) ; et si nous parlons de fatalit, nous invitons le lecteur
ny voir quun terme commode, dont la valeur smantique se prcisera au fil de
lenqute. Dans la mesure o le monde changeant du devenir occupe un rang
ontologique propre, qui le distingue prcisment de limmutabilit du monde
intelligible, nous nous rfrerons lexamen conduit pralablement sur le caractre de
variabilit du monde de lagnsis63sous le concept de contingent ( 1'F"S="'&').Les chapitres quatre etcinq sattacheront prciser la place et la fonction de
lme humaine dans le systme, par lanalyse de son double rapport amphibie64,
avec le monde intelligible et avec le sensible. Dans le sixime et dernier chapitre,
nous discuterons, en fonction des rsultats acquis, de la porte et du sens de ce quon
peut dj appeler, au moins intuitivement, la libert de lhomme. Dans llaboration
de ce chapitre, nous utilisons plusieurs textes de Proclus, mais en particulier la partie
du Commentaire sur la Rpublique traitant du mythe dEr. Proclus y rencontre en
62 Pour la mtaphore traditionnelle de lobscurit ou des tnbres de la matire, cf.Procl. In Remp. II 76,16 (4 6+&/EF.* `C.) ; 157,4 (/8 jCYF"* +)$ 6+&/"7'=') ;183,18 (6+&/"7'Q `C.) ; In Alc. 34,3 (/8 6+&/"7'8' /Z* `C.*) ; 53,17 (/8 6+=/&* /Z*`C.*; In Parm. 862,9 Steel (/8 /Z* `C.* 6+&/YF"*), etc.63 A la suite de Festugire, nous adoptons ce calque du grec pour dsigner ou lacration sublunaire par opposition aux astres, ou tout le cr sensible par opposition lintelligible (A. J. Festugire, Proclus, Commentaire sur le Time, t. I [1966], p. 44,n. 3) ; soulignons que la notion de devenirest essentielle la gnsis.64
Pour le qualificatif d W2(c7&* appliqu lme humaine, cf. e. g. Plot. Enn. IV 8.4,32; Hierocl. In Carm. aur. XXIII 2,6 (Khler) ; Dam. In Phaed. I, 340,6 et II, 143,4(vol. II Westerink). Cf. le volume collectif Etudes Platoniciennes III, Lmeamphibie. Etudes sur lme selon Plotin , Paris, 2006.
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Introduction 25
effet le problme platonicien du choix des types de vies (c(&7) opr par les mesavant leur descente dans le corps. Ce problme spcifique sinscrit dans une
perspective eschatologique typiquement platonicienne. Nous verrons que les
questions qui se posent ici Proclus recoupent en partie celles dj discutes dans lesdeux chapitres prcdents, mais avec un point de vue diffrent. Enfin, dans la
conclusion, nous montrerons en quoi les questions discutes dans les chapitres
prcdents se compltent et sunifient, mais aussi en quoi elles portent la marque de
leur origine diffrente.
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Introduction26
A b r v i a t i o n s e t s i g l e s u t i l i s s
En gnral, pour renvoyer aux textes des auteurs anciens, nous utiliserons les
abrviations latines figurant dans le Greek-English Lexiconde Liddell-Scott-Jones ;
dans quelques cas, nous avons adopt dautres formes, dans le seul but de rendre
labrviation plus immdiatement transparente.
(a) Pour les ouvrages de Proclus, nous adoptons les abrviations suivantes :
De dec. dub.= De decem dubitationibus circa providentiam
De prov. = De providentia et fato et eo quod in nobis
De mal. = De malorum subsistentia
In Tim. = In Platonis Timaeum commentarii
In Remp. = In Platonis Rempublicam commentarii
In Parm. = In Platonis Parmenidem commentarii
El. th. = Elementatio theologica (= Institutio theologica)
In Eucl. = In primum Euclidis Elementorum librum commentariiIn Alc. = In Platonis Alcibiadem commentarius
TP= Theologia Platonica
In Crat. = In Platonis Cratylum commentaria
De mag. = De sacrificio et magia( !"#$ /Z* ,"#)/7+Z* /-S'.*)
(b) Autres abrviations courantes :
ACA= Ancient Commentators on Aristotle, London (Duckworth), General editor : R.
Sorabji (en cours de publication).
ANRW= Aufstieg und Niedergang der rmischen Welt, hrsg. von H. Temporini und
W. Haase, Berlin.
Aristoteles-Lexikon= O. Hffe (Hrsg.), Aristoteles-Lexikon, Stuttgart, 2005.
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Introduction 27
Barnes (ed.), Complete Works of Aristoteles= J. Barnes (ed.), The Complete Works
of Aristoteles, The revised Oxford translation, ed. by J. B., Princeton, 2 vol.,
1984.
Blass-Debrunner, Grammatik = Fr. Blass, A. Debrunner, Grammatik des
neutestamentlichen Griechisch, bearbeitet von Fr. Rehkopf, Gttingen,
199017.
Bonitz, Index Aristotelicus = H. Bonitz, Index Aristotelicus, (Aristotelis Opera, ex
recensione I. Bekkeri, edidit Academia regia Borussicae, ed. altera quam
curavit O. Gigon, Vol. V), Berolini, 19612[1870 1].
CAG= Commentaria in Aristotelem Graeca. Berlin, 1882-1909.
CUF = Collection des Universits de France, publie sous le patronage de
lAssociation Guillaume Bud, Paris, Les Belles Lettres.
Denniston = J. D. Denniston, The Greek Particles, Oxford, 19542.
des Places, Platon, Lexique (1964) = E. des Places, Lexique de la langue
philosophique et religieuse de Platon, [= Platon. Oeuvres compltes, CUF, t.XIV 1 et 2], 2 vol., Paris, 1964.
DPhA= Dictionnaire des philosophes antiques, publi sous la direction de R. Goulet,
Paris, t. I Abam(m)on Axiotha (1989) ; t. II Bablyca dArgos Dyscolius
(1994) ; t. III dEcclos Juvenal (2000) ; t. IV de Labeo Ovidius (2005).
DPhASuppl. = Dictionnaire des philosophes antiques, publi sous la direction de R.
Goulet, Supplment prpar par R. Goulet avec la collaboration de J.-M.Flamand et M. Aouad, Paris, 2003.
Festugire, RHT = Festugire, A. J., (1944-1954) La Rvlation dHerms
Trismgiste, 4 vol., Paris, 1944-1954. [I : 1944 (19502) ; II : Le Dieu
Cosmique , 1949 ; III : 1953 ; IV : Le Dieu Inconnu et la Gnose , 1954.]
(Rimprim en 3 vol., Paris, 1981).
Khner-Blass = R. Khner, Ausfrliche Grammatik der griechischen Sprache,
Hannover / Leipzig, Teil I (Elementar- und Formenlehre, in neuer
Bearbeitung besorgt von F. Blass) 18923.
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Introduction28
Khner-Gerth = R. Khner und B. Gerth, Ausfrliche Grammatik der griechischen
Sprache, Hannover / Leipzig, Teil II (Satzlehre) 1898-19043. [Rimpr.
Darmstadt, 1963.]
Lampe = A Patristic Greek Lexicon, ed. by G. W. H. Lampe, Oxford, 1969.
Lexicon Plotinianum= J. H. Sleeman () and G. Pollet, Lexicon Plotinianum, Leiden
/ Louvain, 1980.
LSJ = Liddell-Scott-Jones, A Greek-English Lexicon, Oxford, 19409, with a
Supplement (1968). [Nouveau supplment, Oxford, 1996]).
RAC= Reallexikon fr Antike und Christentum.
RE = Pauly-Wissowa-Kroll, Paulys Realencyclopdie der classischen
Altertumswissenschaft, Stuttgart, 1893-.
SC= Collection des Sources chrtiennes , dite aux Editions du Cerf, Paris.
SVF = Stoicorum veterum fragmenta, d. H. von Arnim, 4 vol., Leipzig, 1905 (t. I),
1903 (t. II-III ), 1924 (t. IV indices par M. Adler). [Rimpr. Stuttgart, 1978-1979.]
E x p l i c a t i o n d e s s i g n e s u t i l i s s d a n s l e s t r a d u c t i o n s
[ ] : indique que le mot ou lexpression sont ajouts dans la traduction pour la clart et
ne correspondent aucun mot ou expression du texte grec (ou du texte latin).
( ) : introduit ou une explication du traducteur (prcd alors de scil.), ou une
parenthse du texte lui-mme.
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Introduction 29
E x p l i c a t i o n d e s s i g n e s d i a c r i t i q u e s u t i l i s s d a n s l e t e x t e g r e c d e s T r i a
o p u s c u l a
p a r r a p p o r t a u t e x t e d I s a a c S b a s t o c r a t o r )
k u : dlimite les passages retraduits en grec (rtroversion), pour lesquels nous ne
possdons que le latin de Guillaume.
< > : marque lintroduction dun mot ou dune expression sans quivalent chez
Guillaume, en gnral emprunt Isaac Sbastocrator (le dtail est alors expliqu
dans les notes).
( ) : quand la parenthse ne porte que sur un mot ou un prfixe, elle indique, dans lesparties restitues, que le mot ou le prfixe napparat pas comme ncessaire, mais est
seulement possible.
(?) : indique que le mot restitu qui prcde est hypothtique (en gnral une note
prcise le degr dincertitude et donne les variantes possibles).
Rem. Lorsque le grec dIsaac Sbastocrator prsente une structure de phrase
diffrente de celle que le latin de Guillaume prsuppose, nous lavons indiqu en
notes seulement si le sens de la phrase pouvait en tre affect ou sil y avait un doute
raisonnable sur la conformit (hypothtique) de la restitution que nous proposons
avec le texte grec de Proclus.
E x p l i c a t i o n d e s r f r e n c e s a b r g e s u t i l i s e s d a n s l e s n o t e s s u r l e t e x t e
g r e c d e s
Tria opuscula
Is. (ou Is. Seb.) = Isaac Sebastocrator. Ldition utilise pour le texte grec dIsaac
Sebastocrator correspondant aux trois opuscules de Proclus est, sauf indication
contraire, celle de D. Isaac, dite aux Belles Lettres (cf. ci-dessous).
G. = Guillaume de Moerbeke. Ldition du texte latin utilise est en gnral celle de
Boese (ci-dessous) ; plus rarement nous nous rfrons ldition des Tria opusculade
D. Isaac (ci-dessous).
8/12/2019 Proclus La Lib