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Philippe Duverger nous propose un ouvrage ambitieux, très complet, fruit d’une expérience clinique déjà longue, celle d’un groupe de jeunes cliniciens qu’il a su réunir autour de lui. Ils se sont avec enthousiasme attelés à cette tâche toujours difficile d’extraire d’une pratique clinique une réflexion et une élabo-ration théorique s’appuyant sur un modèle de compréhension qui, tout en pri-vilégiant l’axe psychodynamique, sait aussi prendre en compte d’autres modèles, tel le modèle bio-psycho-social.L’ouvrage proposé réussit fort bien cet équilibre entre des apports très concrets et une théorisation toujours délicate à formaliser compte tenu du champ com-plexe sur lequel elle porte.Au rang des aspects pratiques on retiendra les multiples vignettes nous per-mettant de cheminer dans des problématiques essentielles et très sensibles ren-contrées en pédopsychiatrie de liaison telles que les urgences pédiatriques, la chirurgie, la périnatalité, etc. Mention spéciale doit être faite pour l’éducation thérapeutique, domaine en développement où le pédopsychiatre de liaison trouve pleinement son rôle et sa justification ! On appréciera également la des-cription précise de l’organisation de l’unité de soin qui a servi de base au pré-sent travail et qui s’avère assurément d’un grand intérêt pour tous les cliniciens s’impliquant dans ce type d’activité.Mais au-delà de ces considérations pratiques, l’ouvrage vaut aussi, vaut sur-tout, pour ses apports réf lexifs et conceptuels. En effet, dans plusieurs cha-pitres transversaux qui font la richesse et l’originalité du présent ouvrage, Philippe Duverger et ses collaborateurs se proposent d’approfondir les aspects spécifiques d’une pratique située au confluent de logiques différen-tes. Certes le temps est presque ( ?) révolu où l’on opposait de façon carica-turale une biomédecine de l’efficacité où le symptôme s’inscrit d’abord et avant tout dans une causalité organique qu’il faut repérer pour mieux la combattre à défaut de l’éliminer d’un côté, et de l’autre une médecine psy-chique où le symptôme tente d’exprimer une part énigmatique du patient dont il s’agit de comprendre le sens pour en obtenir la dissolution plus que la disparition.La réalité du jeune patient comme de son entourage est souvent, pour ne pas dire toujours, plus complexe. La prise en charge des enfants en pédiatrie nous laisse voir, nous oblige à voir de nombreuses situations qui remettent en cause des frontières trop linéaires et tranchées entre soma et psyché, en introduisant ainsi une médecine du troisième type, celle qui nous est ici pro-posée. « Aux rencontres ponctuelles entre pédiatres et pédopsychiatres ou psychanalystes, succède une formalisation de l’activité des pédopsychiatres en pédiatrie, et c’est sous le vocable de psychiatrie de liaison que cette acti-vité prend forme » précisent les auteurs. Bien évidemment ils se réfèrent à D. W. Winnicott, précurseur génial, qui lui-même sans jamais renoncer à sa consultation pédiatrique a su découvrir ce champ nouveau et stimulant.

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Mais ils poursuivent la réflexion, en particulier sur les différences essentiel-les de temporalité entre un trop fréquent empressement pédiatrique à l’ac-tion et une trop habituelle suspension réflexive du « psy ». Si la pédopsychiatrie de liaison doit certes « s’adapter au cadre du service hospitalier », elle se doit aussi, pour ne pas y perdre son âme, de tout faire pour introduire cette qua-trième dimension qui est celle du temps, le temps d’une élaboration psychi-que, du respect de la temporalité propre au jeune patient comme à ses parents, le temps du développement d’une alliance de soin. Convenons que si parfois l’urgence vitale l’emporte à juste titre sur toute autre considération, il s’agit-là de relatives exceptions, lesquelles trop souvent servent de caution à un empressement pas toujours justifié qui voit le traitement être imposé aux dépends du soin accordé au jeune patient et à ses parents. Car la pédopsy-chiatrie de liaison interroge tout particulièrement cet écart entre le soin et le traitement : prendre soin n’a pas le même sens que « traiter ». Les deux ne doivent jamais s’opposer ni être perçus comme incompatibles. Cette tempo-ralité du soin apparaît assez rapidement incontournable dès qu’on entre dans le champ de pathologies complexes qu’elles soient graves et potentiellement létales telles que certaines hémopathies malignes, qu’elles soient durables et chroniques comme les maladies au long cours ou qu’elles s’inscrivent dans des conditions affectives, économiques ou culturelles plus ou moins dégra-dées. Ces tensions autour de la temporalité confrontent pédiatre et pédopsy-chiatre à un réel travail d’équilibriste sûrement déstabilisant pour l’un et l’autre, loin de l’isolement dans une réflexion uniquement théorique ou dans une agitation uniquement pragmatique. Cela est particulièrement le cas pour les unités de pédiatrie générale, qui avec le temps sont parfois devenues les parents pauvres d’un système hospitalier toujours à la recherche de plus de technique. Elles y voient souvent leur travail véritablement sublimé par l’ap-port de la pédopsychiatrie de liaison laquelle restitue à chaque patient et à chaque famille, même la plus ordinaire en apparence, sa singularité et sa sub-tile complexité.Ainsi, cet ouvrage s’adresse à un large public, pédiatres, psychiatres, psycho-logues certes, cadres infirmiers, puéricultrices également, mais aussi diététi-ciens, kinésithérapeutes, psychomotriciens, etc., à tous ceux qui rencontrent un enfant malade, hospitalisé (à l’hôpital ou dans des structures d’accueil au long cours) ou non afin de prendre en considération la globalité de son être. Des obstacles persistent. Certains craignent qu’un tel rapprochement conduise à une perte d’identité, le pédopsychiatre devenant un « sous-traitant » du pédiatre ou inversement le service de pédiatrie se faisant peu à peu envahir par le « psy » et étant en quelque sorte « psychiatrisé ». Mais cet ouvrage mon-tre l’enrichissement incontestable apporté aux uns et aux autres par cette pédopsychiatrie de liaison qui devrait être un principe dans l’organisation de la santé de l’enfant.De ce point de vue, la « Médecine de l’adolescent » a montré la voie et la créa-tion il y a 20 ans d’un D.I.U. dans lequel pédopsychiatrie et pédiatrie se sont largement impliquées, a servi de « creuset » et de formation à de nombreuses équipes travaillant dans la liaison. Et ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si cet ouvrage a été conçu et dirigé par Philippe Duverger qui pendant plu-sieurs années a assuré la direction pédagogique de ce D.I.U. et si cette préface est elle aussi rédigée par le pédopsychiatre à l’origine de ce D.I.U. et un pédiatre qui en fut un des tout premiers « élèves ».

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Cette triple assise, une pratique clinique faite d’une longue expérience, un enseignement poursuivi depuis de nombreuses années précisément centré sur le travail de liaison et de coordination, une élaboration théorique toujours approfondie rend compte de la grande richesse du présent ouvrage qui, nous n’en doutons pas, fera date dans ce domaine.

Daniel MarcelliPédopsychiatre, Professeur

de Pédopsychiatrie, C.H.U. de Poitiers

Georges PicHerOTPédiatre, Chef du

Service des Urgences, C.H.U. de Nantes


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