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Atelier de Recherche et d’Observation La médiation numérique Université Lumière Lyon 2 Master 2 Développement de Projets Artistiques et Culturels Internationaux Promo 2014-2015 Catherine FILIPPONE Inès MAAMCHA Ying-Qian JIANG Emma MELLADO Maria Paula PENAGOS Philippine VALLETTE Tutrice: Camille JUTANT

Atelier de recherche et d'observation : La Médiation Numérique

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Atelier de Recherche et d’ObservationLa médiation numérique

Université Lumière Lyon 2Master 2 Développement de Projets Artistiques et Culturels InternationauxPromo 2014-2015

Catherine FILIPPONEInès MAAMCHAYing-Qian JIANGEmma MELLADOMaria Paula PENAGOSPhilippine VALLETTE

Tutrice: Camille JUTANT

REMERCIEMENTS

Ce travail entend faire honneur à l’ensemble des personnalités qui y ont contribué.

Tout d’abord, nous souhaitons remercier Camille JUTANT, responsable de notre formation et maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Lyon II, qui a encadré ce travail avec enthousiasme et bienveillance. Selma LARIBI également, responsable administrative et assistante pédagogique du Master 2 DPACI à l’Université Lyon II, pour son soutien et sa disponibilité.

Toute notre reconnaissance va aussi bien sûr aux intervenants qui ont gracieusement accepté de répondre à nos questions et de se plier à nos horaires ainsi qu’à la forme d’un entretien téléphonique pour certains. Grâce à eux, cet exercice a pu mêler à la fois théorie et pratique, ce qui a contribué à inscrire cette étude dans la réalité du terrain et du contexte que connaissent aujourd’hui les musées français.

Que se sentent chaleureusement remerciés : Charlotte MOREL, chargée du service des publics à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, qui nous a reçues le 21/11, Jean-Christophe THEOBALT, chargé de mission numérique au Ministère de la culture et de la Communication - Secrétariat général, Service de la coordination des politiques culturelles et de l'innovation, Département de l'éducation et du développement artistiques et culturels -, avec qui nous avons échangé au téléphone le vendredi 28/11, Adeline LEPINE, chargée de programmation culturelle et Karel CIOFFI, webmestre au Musée d’Art Contemporain de Lyon, rencontrées le 01/12, François BOUTARD, auteur du blog Art Design Tendance, rencontré le 02/12, Laurent CHOPARD, médiateur culturel et chargé de projet au Musée Gallo-Romain de Lyon, en charge des outils numériques et des nouveaux publics, rencontré le 02/12, Florence VIELFAURE, chargée de mission médiation numérique au Ministère de la Culture et de la Communication - Département de la politique des publics, Direction générale des patrimoines -, interrogée au téléphone le 02/12, et enfin Marie-Christine BORDEAUX, chercheur au GRESEC et maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Stendhal de Grenoble, interrogée le 07/12 sur Skype à la dernière minute, mais dont la lucidité nous a été très profitable.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION......................................................................................................................3

1. La médiation culturelle, un renouveau en cours… ........................................................4

1.1 Une notion problématique...............................................................................................4

1.2 Le public au centre de la préoccupation des musées.....................................................7

1.3 La révolution numérique vécue par les musées .............................................................8

2. ...auquel le numérique contribue grandement… ............................................................9

2.1 L’outil numérique en question dans les musées.............................................................9

2.2 Quelles stratégies pour quels musées et quels publics ?.............................................11

2.3 Quelles évaluations et quelles évolutions ?..................................................................15

3. … mais auquel elle ne se réduit pas ..............................................................................17

3.1 La fracture numérique et le besoin pressent de formation ...........................................17

3.2 Culture et tradition, culture et vivre ensemble ..............................................................19

CONCLUSION .......................................................................................................................23

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INTRODUCTION

L’évolution d’internet et de ses usages se décline en générations. D’abord un média permettant l’accès à l’information via des pages reliées entre elles par des hyperliens, il voit par la suite se développer les blogs, les forums, les réseaux sociaux et l’interconnexion, et avec eux les notions de « web social » et de « web 2.0 ». Ainsi, au début des années 2000, Internet devient plateforme participative et passe de la culture du « read only » à celle du « read and write ». Avec par exemple Twitter, Youtube et Wikipédia, l’utilisateur devient producteur de contenu et dépasse son attitude passive de réception de l’information. La mobilité rendue possible par la possession de smartphones et de tablettes prolonge ces usages en tant qu’elle permet de réagir en direct à son environnement et d’interagir en permanence avec lui.

Cette génération connectée dans une société du tout-numérique a des habitudes et des attentes nouvelles. Le numérique bouleverse la société sur tous les plans. Qu’ils soient plutôt enthousiastes ou réfractaires à ces changements majeurs, les acteurs culturels ne peuvent pas ignorer cette nouvelle donne. Les établissements culturels doivent-ils intégrer ces nouveaux outils, et comment? Par une démarche d’adaptation aux nouvelles pratiques de leurs publics, ou en cherchant à s’approprier les nouveaux outils et leurs atouts? Se sentent-ils forcés d’intégrer les outils numériques à leurs projets de médiation ou en font-ils un choix stratégique?

Nous avons décidé de concentrer notre observation sur les musées et les enjeux posés par le numérique en lien avec leurs pratiques de médiation, en se demandant si les promesses du numérique dans les musées vont dans le sens des ambitions que s’est donnée la médiation culturelle.

Pour cela, nous nous appuyons sur deux sources d’informations: d’une part les écrits sur la médiation culturelle - bien que nos recherches bibliographiques aient révélé un manque de prise en compte de la notion du numérique dans le sujet -, et d’autre part une série d’entretiens semi-directifs menés avec huit différents acteurs culturels aux fonctions très différentes.

Dans un premier temps nous aborderons donc le renouveau de la médiation culturelle, pour ensuite commenter la contribution du numérique dans ses évolutions, et évoquer enfin les limites de cette révolution.

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1. La médiation culturelle, un renouveau en cours…

1.1 Une notion problématique

Cette partie se consacre à un rapide tour d’horizon de la notion de médiation dans ses diverses acceptations et dimensions. Pour cela, nous aborderons tour à tour les points suivants qui doivent nous aider à mieux nous saisir de cette notion aux contours fuyants: - Etymologie et héritage philosophique - Approche théorique : la médiation comme façon de penser la communication - Approche politique et socio économique : la médiation comme façon de penser le rapport à la culture et la médiation comme secteur professionnel. Etymologie - Le terme de médiation est issu des mots latins mediare (verbe) : « être au milieu » et de medius (nom) : « au milieu ». Ce terme, dans son sens restreint, renvoie à l’entremise, dont l’objectif est la conciliation; et par extension à ce qui peut servir d’intermédiaire. - Médiateur : utilisé la première fois en 1314 pour stipuler une chose intermédiaire. Il a pris au XVIe siècle sa valeur moderne d'entremise destinée à concilier des personnes, des partis, d'abord en religion dans une relation entre l'homme et Dieu (1541) puis surtout en droit et en diplomatie (1878). Par extension il s'applique au fait de servir d'intermédiaire, dans des emplois didactiques et particulièrement en philosophie. Nous retenons l’idée d’une interface et d’un médium, c’est-à-dire d’un support. Ils constituent deux aspects importants de la médiation sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. Héritage philosophique La notion de médiation s’origine chez Platon pour qui nos rapports avec le monde physique, social ou imaginaire ne sont pas immédiats mais passent par des constructions intellectuelles, des récits, des mythes, des représentations symboliques, des langages. L’âme réalise une médiation qui, au delà du monde sensible, conduit à la connaissance de l’intelligible. Elle puise ses sources également en sémiologie (science des signes, philosophie pragmatique). Pour Charles Sanders Peirce, sémiologue et philosophe américain, les signes (éléments du langage, émotions, normes, lois, etc.) sont éléments de médiation et nous permettent de penser le monde. Tout serait alors médiation !

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Approche théorique en sciences de l’information et de la communication Il s’agit d’aborder la médiation comme façon de penser le processus de communication et de construction du sens d’un message culturel. Si l’on peut regretter le manque d’ancrage de la recherche en sciences de l’info-com dans la pratique réelle de la médiation, celles-ci ont au moins théorisé un des aspects les plus importants du métier de médiateur : l’existence d’un « tiers », inévitable dans toute situation d’énonciation. Ce tiers, c’est le moment où il y a médiation, qu’il s’agisse du support dans lequel l’œuvre se donne à voir ou du contexte spatio-temporel dans lequel elle s’inscrit. Autrement dit, il n’y a pas, comme on avait tendance à le penser d’après le paradigme mécaniste de l’émetteur et du récepteur, rapport direct à l’objet culturel. Ce modèle du tiers est arrivé dans les années 80 comme un troisième modèle après la théorie linéaire et diffusionniste de Claude Shannon et la théorie interactionniste d’Erving Goffman.1 L’intérêt du détour par la théorie, c’est qu’il laisse déjà entendre que la déclinaison des intentions, des formes et des usages de la médiation varie selon les établissements et le discours qu’ils défendent. Enfin, on relève deux façons courante d’appréhender la notion de médiation culturelle : soit en tant que fonction ou technique (le médiateur se fait l’intercesseur entre un public et des œuvres), soit en tant que processus plus global impactant l’individu dans son rapport à lui-même et au monde : 1) « Elle vise à faire accéder un public à des œuvres (ou des savoirs) et son action consiste à construire une interface entre ces deux univers étrangers l’un à l’autre (public et objet culturel) dans le but de permettre une appropriation du second par le premier. » (Jean Davallon)2 2) Avec Elisabeth Caillet nous pouvons aller au-delà de cette définition et aborder la médiation en tant que processus plus global qui aurait le pouvoir de transformer: « il ne s’agit pas de mettre en relation un visiteur et l’œuvre, de jouer l’intermédiaire entre deux pôles, mais le passage d’un niveau à un niveau supérieur supposant à la fois un déplacement et une création de quelque chose de nouveau impliquant la production d’une situation nouvelle (positions des acteurs, objets, discours, etc.) »3.

                                                                                                                         

1 Goffman propose un autre modèle de la communication sociale avec la prise en compte de nouveaux éléments de l’interaction dans la communication (paroles, gestes, silence, etc.). 2 Jean Davallon, « La médiation : la communication en procès ? », MEI, Médiation et information, n° 19, 2003. 3 Elisabeth Caillet, « L’ambiguïté de la médiation culturelle : entre savoir et présence, Publics et musées, n°6, 1995.

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Enfin, pour Marie-Christine Bordeaux (2008), ce terme désigne à la fois des méthodes de travail, d’intervention et des dispositifs qui s’inscrivent dans une chaîne où de nombreux agents (humains et matériels) concourent à des modes particuliers de diffusion et de facilitation de la réception de la culture. Pour revenir à Davallon (2003), la médiation repose également sur une interrogation sans cesse renouvelée sur la place, le rôle et la légitimité de l’institution culturelle car elle remet à chaque fois au devant de la scène la place des publics au sein des institutions ainsi que la construction de la relation à l’art et aux œuvres. Approche politique et socio-économique Cette approche nous permet de considérer la médiation culturelle comme un ensemble de pratiques professionnelles dont la reconnaissance par les politiques et les institutions s’est faite relativement tard, au moment où les tentatives de démocratisation culturelle mises en place jusqu’alors se sont épuisées. Elle est venue réinterroger la manière d’aborder les publics dans les institutions, ainsi que la relation qu’ils entretiennent avec les œuvres. « La présence du médiateur dans les institutions culturelles me semblait évidente », affirme Charlotte Morel, responsable du service des publics à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne lorsque nous lui demandons de nous parler de l’évolution de la médiation au sein de l’IAC. Cependant, elle nous confirme que ce sont plutôt ses prédécesseurs en médiation qui ont vécu les vicissitudes de l’évolution du métier : « Elles ont vu émerger dans leur vie professionnelle la qualité de médiateur qui n’existait pas avant les années 80 et 90. Elles ont été pionnières dans la mise en forme et en pratique de certaines actions de médiation. Moi non, j’ai vraiment été bercée par ces idées-là ». Pourtant, le métier de médiateur culturel n’est pas toujours « allé de soi ». Problème de reconnaissance, résistance de la part du secteur culturel voire rejet de la figure du médiateur dans certaines disciplines, font partie des obstacles auxquels la profession a été confrontée et continue de l’être. C’est que le terme de médiateur culturel, inventé à la Cité des Sciences et de l’Industrie, n’apparaît qu’au milieu des années 80 dans un contexte d’essor des grandes institutions culturelles dont les musées font partie. Ces institutions mettent en évidence une nécessité de former un personnel spécialisé dans la relation entre les “expots” et les publics, les politiques demandant qu’ils soient différentiés et mieux accueillis. Cependant ce n’est qu’en 1997 qu’est lancé le programme « nouveaux services - emplois jeunes », et que la médiation culturelle commence à être reconnue comme une fonction et un métier spécifique. Malgré cette avancée, le programme n’atteint pas vraiment ses objectifs : pas de véritable pérennisation pour ces nouveaux emplois ni de définition claire des fonctions de médiateur culturel à cheval sur des fonctions d’administration, d’accueil ou encore de communication, sauf dans le cas du patrimoine où les médiateurs exercent des activités en contact direct avec les publics.

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Dans les années 2000, les musées bénéficient d’une reconnaissance du métier par la loi n°2002-5 du 4 janvier 2002. Cette loi précise que chaque musée de France doit disposer d’un service ayant en charge les actions d’accueil des publics, de diffusion, d’animation et de médiation culturelle. Ces actions doivent être assurées par des personnels qualifiés. Cette loi permet à des dizaines de musées de formaliser le statut du métier qui se voyait confondu avec les métiers de diffusion ou d’animation. Outre les aléas de cette reconnaissance, une étude du DEPS révèle le caractère fragmenté du métier. Après plus de 30 ans d’essor continu de la médiation culturelle et du métier de médiateur culturel, les activités de médiation, les emplois et les compétences ne constituent pas un ensemble homogène. Et ceci même si aujourd’hui la médiation s’impose comme une évidence partagée par l’ensemble des institutions culturelles, car l’intérêt d’offrir aux publics les moyens d’accéder aux œuvres, de développer des capacités critiques et artistiques est considéré comme essentiel. Même si le médiateur se positionne au cœur de cette ambition, la médiation culturelle ne se développe pas de la même manière en fonction de la structure dans laquelle elle s’exerce, des types de publics auxquels elle s’adresse, et de ces facteurs dépend la place du médiateur au sein du musée. Cette médiation est parfois réalisée par le département des publics ou de la communication, ce qui témoigne bien d’un manque de reconnaissance et de légitimité du métier.

1.2 Le public au centre de la préoccupation des musées Malgré ces obstacles qui continuent de faire partie du quotidien des médiateurs, le secteur muséal a été historiquement l’un des plus réactifs au besoin de médiation, conscient de l’importance de la prise en compte des publics. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix d’étudier cette notion de médiation culturelle numérique au travers du secteur muséal, partant du principe que les musées ont été à la fois pionniers sur la mise en place d’outils de médiation et de médiateurs dans leurs locaux et sur le souci de prise en compte des publics. Dès les années 70, une nouvelle conception de la médiation culturelle émerge dans les musées avec l’introduction de nouveaux métiers, aux côtés des conservateurs et des gardiens avec pour mission de créer des situations dans lesquelles des populations (et non pas des visiteurs) peuvent participer à des débats qui ne se limitent pas aux seuls experts mais dans lesquels la voix des citoyens est requise. A partir des années 80 et 90, le public, puis « les publics » deviennent la référence majeure des politiques culturelles (Bordeaux, 2008) ; de nombreux programmes dédiés à des publics « éloignés » ou « empêchés » se mettent en place pour répondre au besoin de socialisation des équipements culturels. Comme nous l’avons vu plus haut, la question de la médiation est remise en avant par le grand mouvement de mutation des musées depuis les années 80 dont l’identité a évolué, en grande partie autour de la question des publics dans le cadre d’une véritable « révolution démographique » qui a favorisé la création de services éducatifs et où les fonctions

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classiques d’accueil et de visite guidée ont connu de nombreuses extensions, le public étant devenu le principe organisateur de l’activité culturelle des musées. Cette reconnaissance de la fonction de médiation - même précaire et fragile - est moins perceptible dans d’autres secteurs culturels, particulièrement dans le théâtre (qui se pense comme un art intrinsèquement médiateur), la musique et à un moindre degré dans la danse, qui regroupe de nombreux collectifs artistiques de taille réduite, où les institutions ne disposent que rarement de services culturels distincts des services de relations publiques, et où l’artiste est considéré comme le seul médiateur possible de son œuvre. Malgré l’attention que les musées portent à leurs publics, la question de leur renouvellement est récurrente et la médiation culturelle vient questionner à chaque fois la problématique de la démocratisation culturelle dans le sens où la fréquentation dans les musées augmente sans capter de nouveaux publics.

1.3 La révolution numérique vécue par les musées Par rapport à cette question récurrente des publics que les musées n’arrivent pas à toucher, la médiation culturelle dans le contexte du numérique arrive d’une certaine manière comme une nouvelle donne ou une nouvelle façon de penser un public dont les pratiques ont été bouleversées avec l’arrivée du numérique. Il s’agit pour les musées d’adapter leurs pratiques de médiation, renouvelées par les outils numériques, aux pratiques des usagers. De la même façon que le numérique est entré dans le quotidien des gens, il est entré dans le quotidien des musées. Ces outils permettent à une exposition de ne plus exister dans sa seule durée, ni dans son lieu spécifique ; par exemple, par le jeu instauré entre exposition matérielle et exposition immatérielle, entre temps limité de l’expérience de l’exposition matérielle et temps illimité de l’usage de ses ressources numériques. Cette reconfiguration entre œuvres de la culture et numérique sert-elle pour autant au mieux le dessein de la démocratisation culturelle par le biais d’une médiation « augmentée » ? Les musées ont été en quelque sorte « pionniers » dans le pouvoir qu’ils ont eu de capter les nouvelles technologies au service de leurs pratiques de médiation, mais un certain nombre de problématiques sont récurrentes comme on le verra plus loin. En outre, l’effort d’adaptation à cette vague du numérique ne touche pas de la même manière les petits, moyens et grands établissements, avec des effets par rapport à l’accès aux œuvres qui restent encore à évaluer. Même si près de 75% des musées français ont une identité virtuelle (site Internet et présence sur les réseaux sociaux), seulement 5 à 10 % de ces institutions proposent une médiation utilisant un support numérique. Ce paradoxe provient de la rupture croissante entre les grands musées nationaux et les institutions plus modestes (La Tribune N°97, juillet 2014). Les établissements s’y adaptent progressivement avec l’aide de divers programmes et/ou partenariats (Erasme du Département du Rhône par exemple) ou rencontres (Rencontres Culture et numérique mises en place par le Ministère de la Culture et de la Communication).

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A la question de savoir quelles sont les motivations des musées à mettre en place des outils numériques (accessibilité, pédagogie, aspect ludique), Jean-Christophe Théobalt répond sans hésitation que l’enjeu réside dans l’accompagnement et la formation des publics : « C'est tout simplement de mieux accompagner les publics, […] Le numérique permet d’enrichir ou d’amplifier des fonctions d'action pédagogique, d’action culturelle, d'accompagnement des publics ou de communication, que les équipements font déjà.» Deux points sont à souligner dans son témoignage : à la fois la question de la formation des publics à l’usage des outils et celle de savoir si le numérique amplifie effectivement la médiation culturelle, aspects que les deux prochaines parties s’attachent à développer.

Voir annexe nº 1 : Evolution de la médiation

2. ...auquel le numérique contribue grandement…

2.1 L’outil numérique en question dans les musées. Des grands musées nationaux comme l’emblématique Musée du Louvre à Paris aux petits musées de province, une dynamique semble s’être créée dans le secteur muséal qu’il est plus rare d’observer dans d’autres secteurs culturels. Des dispositifs numériques sont mis en place non seulement dans l'espace réel mais aussi dans l'espace virtuel. Dans cette partie, nous nous attachons à faire l’analyse des dispositifs les plus plébiscités dans les musées. De prime abord, on voit que les dispositifs les plus présents sont les réseaux sociaux et les applications mobiles, sans qu’il y ait forcément corrélation entre la taille de la structure et sa présence en ligne. Créer une page Facebook ou un compte Twitter est devenu une dimension incontournable sinon très fréquente de la médiation et de la communication muséale. A entendre les établissements les plus enthousiastes, les musées ont tout intérêt à développer et construire leurs propres réseaux de partage avec les publics hors les murs car d'une part, ces réseaux sociaux génèrent la curiosité des publics et créent le buzz dans la communauté des internautes, et d'autre part, les publics peuvent interagir et poster directement leur réactions vis-à-vis de l'exposition qu'ils fréquentent. C'est donc une nouvelle façon de créer un lien entre les établissements et les publics. Depuis la numérisation des contenus amorcée par les professionnels eux-mêmes, les sites internet des établissements semblent aller vers toujours plus d’interactivité : nombreux sont les instituts qui proposent des visites en ligne, et l’on voit certains musées proposer même des outils de navigation ludiques, tels que le Musée des Beaux-Arts de Lyon qui propose à son public la possibilité de commenter certaines œuvres en ligne. Le système de partage et d'appropriation est aussi renforcé par le fait qu'un simple clic puisse distribuer les œuvres choisies sur réseaux sociaux. Il y a donc à la fois renforcement du système de médiation en

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ligne et duplication de celle-ci, avec un contenu qui bien sûr doit (ou devrait d’avantage ?) s’adapter à la forme et à la pratique des internautes. Autre outil très courant : l'application mobile. Par exemple, le musée de Picasso qui a rouvert ses portes en octobre dernier propose désormais une application mobile à télécharger à son public. Celui-ci peut non seulement s'en servir sur place en suivant les propositions de parcours et thématiques intégrés mais aussi découvrir les collections du musée chez lui. C'est un outil numérique facile à manipuler et qui permet une consultation agréable avant, après, voire en parallèle des visites. Des jeux interactifs sont aussi conçus sous forme d’application, par exemple, l'application du Palais des Beaux-Arts de Lille qui aide les enfants à positionner les œuvres du musée dans le temps au travers d’une série de jeux d'entraînement sur mobile. Cela facilite non seulement l'accès à l’information proposée autour des œuvres mais aussi toujours à créer un lien entre les œuvres et le public connecté. Il existe naturellement d'autres types d'outils in situ tels que les traditionnels audioguides mais aussi des tablettes et des maquettes 3D. Le Louvre a également mis en place des audioguides conçus sur Nintendo DS, dotés de double-écran avec commentaires et reconstitutions d’œuvres en 3D, afin de pouvoir les voir sous tous les angles et de zoomer. En ce qui concerne les tablettes tactiles, les établissements s'en servent de plus en plus comme objet de consultation mais aussi afin de diversifier la scénographie d’exposition. Le musée d'Aquitaine à Bordeaux a ainsi intégré des tablettes au mobilier d’exposition qui se présentent comme des bornes de consultation, permettant aux visiteurs de « feuilleter » un large éventail de documents iconographiques. Certains établissements bénéficient même d’une expertise personnalisée, comme le Musée Gallo-Romain de Lyon qui a beaucoup gagné en popularité depuis le passage remarqué du Muséomix, collectif inclassable et hétéroclite qui s’est donné pour défi de donner un « coup de neuf » aux musées en développant de nouveaux outils de médiation en 3 jours et deux nuits. A la clef ? Un système interactif qui permet d’entendre les conversations des habitants de l’époque, évoquant leur vie quotidienne comme les grands événements historiques.

On voit que le numérique peut donc être un atout majeur dans la compréhension d’un site culturel ou historique et dans sa présentation au grand public. Il inspire, stimule la curiosité autant qu’il divertit et diversifie l’expérience culturelle des publics. Même si certains outils restent à optimiser, ils assurent quand même un rôle de démocratisation des contenus en réécrivant et en déclinant le discours institutionnel sous différentes formes.

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2.2 Quelles stratégies pour quels musées et quels publics ?

Comme nous l’évoquions précédemment, la médiation est un « concept » relativement récent et qui fait toujours polémique, bien qu’il se soit banalisé dans le secteur muséal, où visiteurs comme professionnels s’attendent toujours à ce qu’il y ait un service de médiation présent sur les lieux. A ce concept déjà flou s’ajoute aujourd’hui un autre « concept » en pleine expansion, et qui de ce fait s’avère difficile à maitriser : le numérique. On voit apparaître de nouveaux outils tous les six mois, avec des usages pas aussi simples qu’on le croit. A l’ensemble des données à traiter (requêtes des artistes, exigence du commissaire d’exposition, revendication des médiateurs, diversité des publics et problème des non-publics) vient donc s’ajouter l’usage du numérique. S’il n’y a pas de réponse uniforme à la question de la médiation numérique dans les musées, on peut toutefois dégager les tendances qui s’affirment dans le domaine en 2014.

« Le numérique était déjà dans les musées avant qu’on l’y fasse entrer. On ne pouvait pas s’y opposer, il a fallu le prendre en compte. »4 Le numérique s’installant dans nos vies quotidiennes, smartphones, tablettes, réseaux sociaux etc., les musées n’ont eu d’autre choix que de s’adapter. Aux prises depuis déjà quelques décennies avec les problématiques de la démocratisation culturelle et des publics empêchés, les musées semblent voir dans le numérique une façon d’attirer ce qu’on appelle les « non-publics ». Le piège ? Faire du numérique, vite, et essentiellement à l’usage des jeunes.

Les éléments à prendre en compte lors de la construction d’un projet de médiation numérique sont : les moyens (budgétaires, humains, techniques), les publics et la place des outils numériques dans les stratégies de médiations préexistantes.

- Moyens financiers :

Si les structures à « gros » budget peuvent se permettre de financer des outils numériques sur leurs fonds propres, les occasions pour les musées à budgets moindres ne manquent pas pour autant. Les principaux financeurs restent les collectivités locales, d’où « l’importance de sensibiliser les élus à la question du numérique »5.

Le numérique prend toute son importance lors de rénovations ou de réhabilitations de musées, avec la rédaction de Programmes Scientifiques et Culturels. Il existe également de                                                                                                                          

4 Entretien au MAC, en réponse à la question « La présence sur les réseaux sociaux et le développement d’outils numériques sont-ils indispensables à vos yeux? Pourquoi? » 5 Entretien Florence Vielfaure en réponse à la question « Quelles sont les différences entre un montage de projet de médiation traditionnelle versus un montage de projet de médiation numérique ?

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nombreux appels à projets comme les Services numériques culturels innovants ou de bourses dispensées par le Ministère de la Culture, dans le cadre d’Aide aux projets de développement des musées de France ou de Plans de numérisation. Si le Ministère ne finance pas l’intégralité des projets, le fait qu’il investisse a souvent permis de débloquer des financements complémentaires au niveau local.

- Moyens humains :

L’une des problématiques récurrentes à l’adoption des outils numériques est la question de la logistique : qui doit s’en occuper ? Entre le service des publics, le service de la communication ou le service informatique, voire la création de nouveaux postes spécialisés ou le recours à des prestataires extérieurs, les possibilités sont multiples et varient d’un établissement à l’autre. Certains semblent ne pas réussir à trancher et il n’est pas rare de voir deux services concurrents en termes de responsabilité; le plus fréquent étant le service de communication en charge des réseaux sociaux et sites web ainsi que celui des publics, en charge des outils in situ. Ces situations, dues au développement progressif et hétérogène des établissements, peuvent entrainer des dysfonctionnements en interne, voire des rivalités et des tensions, avérées ou refoulées. Les community managers, fraîchement arrivés dans le secteur muséal, sont en effet susceptibles d’être mal vus par les médiateurs, à qui ils renvoient une image d’eux-mêmes qu’ils ne veulent pas voir : accusés d’être trop élitistes et pas assez à la page, ceux-ci sentent qu’ils ne font pas le poids face à ces spécialistes de la communication et de l’outil 2.0.

« Mais ce genre de problèmes, à la limite, c’est des problèmes de riches »6 Effectivement, si la question de la délégation aux équipements numériques se pose dans les grandes structures, dans les musées à l’organigramme plus réduit, la question ne se pose pas.

« En général, c’est le service regroupant le plus de compétences qui sera responsable des outils numériques »7

- Moyens techniques et outils :

Le manque de formation au numérique handicape souvent les établissements : pour Florence Vielfaure toujours, c’est même le principal frein au développement du numérique. Le développement constant de nouvelles technologies et la demande, l’attente des publics ressentie (ou fantasmée?) par les établissements engendre parfois une sorte de compétition entre les musées, qui se précipitent sur le dernier outil sorti ou sur le plus « tendance ».

                                                                                                                         

6 Entretien avec Jean-Christophe Théobalt, en réponse à la question « Avez-vous observé des changements par rapport aux participants? Par rapport aux métiers, au niveau des Rencontres? Y a-t-il de nouveaux profils? 7 Florence Vielfaure, chargée de mission sur la médiation numérique au Ministère de la Culture. C’est donc des moyens humains mis en œuvre que dépendent les moyens techniques.    

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« Les établissements ont aussi la nécessité d’inventer chacun des choses différentes des autres, il y a peut-être même parfois une sorte de concurrence, mais c’est au bénéfice du public. »8

Or, les médiateurs ne sont pas forcément formés à l’utilisation du numérique, tout comme un responsable des publics n’est pas toujours formé à la direction de projets numériques. Un besoin important d’information, d’accompagnement et d’inventivité se fait sentir dans le milieu professionnel. C’est en partie dans cette idée de discussion et d’échange de bonnes pratiques entre établissements qu’ont été créées les Rencontres Culture et Numérique. Fondées en 2008 à la suite du Programme Espace Culture, les Rencontres Culture et Numérique sont en effet l’occasion pour les musées, largement représentés dans ces assemblées, de prendre la mesure de la place accordée au numérique dans les autres établissements, en même temps qu’ils peuvent témoigner de leur expérience. Si chacun aimerait innover, deux outils se détachent nettement de l’ensemble : les devices (du type tablettes) et les outils de développement (du type applications), soit des dispositifs mobiles, peu coûteux et faciles à mettre en place. En plus d’être faciles à fournir ou à créer ainsi qu’à gérer (même en interne, pour les réseaux sociaux), ces outils ont le net avantage d’être déjà connus et « domestiqués » par le public.

- Les publics:

Sans surprise, ce sont les publics jeunes qui sont les premiers ciblés par la médiation numérique. En effet, c’est ce type de public que la médiation numérique muséale a d’abord cherché à capter, bien qu’entre-temps sa cible se soit élargie. Grand absent des musées et premier utilisateur de ces nouvelles technologies, «l’occasion était trop bonne » pour s’en priver. On voit pourtant les stratégies s’ouvrir à d’autres publics, passant du simple outil de communication à des dispositifs permettant d’améliorer l’accès aux publics empêchés physiquement. Le musée des Beaux-Arts de Toulouse, par exemple, a travaillé en collaboration avec des associations vouées à l’amélioration des conditions de vie des malentendants. Ensemble, ils ont développé une application autour de vingt-et-une œuvres majeures commentées en LSF. Le Château d’Oiron, dans les Deux-Sèvres, a travaillé avec la « Droïd Company » pour développer un robot haut d’1m60 capable de se déplacer dans les pièces du château inaccessibles aux handicapés moteurs, leur permettant de faire la visite à travers ses « yeux ». Au musée Gallo-Romain, à Lyon, le service des publics s’est également équipé de trois robots mobiles pour le public à distance. Si donc le numérique est un argument de taille pour attirer de nouveaux publics, plus familiers avec les technologies qu’avec le monde des musées, il est également un avantage de taille à exploiter pour un certain nombre de publics demandeurs mais dans l’incapacité physique de visiter ou de

                                                                                                                         

8 Entretien avec Florence Vielfaure, en réponse à la question « On a constaté qu’il y avait consultation entre les établissements, mais en parallèle chacun veut un équipement propre à soi et innovant. »

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bénéficier d’un type de médiation traditionnelle. Enfin, le numérique contribue aussi largement à fidéliser un public déjà conquis.

- La place du numérique dans la stratégie de médiation préexistante :

La nécessité ressentie par les établissements à proposer au plus vite des outils numériques mène parfois à leur « sur ajout » dans les dispositifs de médiation existants, sans que leur place n’ait réellement été pensée. Ceci se fait alors au détriment de la cohérence, pourtant au cœur de la notion de « stratégie de médiation ». Si la majorité des musées ont aujourd’hui un site web (et très souvent une page sur les réseaux sociaux, du moins Facebook et Twitter), la majorité d’entre eux ne sont pas encore équipés d’applications, de tables tactiles ou de système d’immersion en 3D. Il semble que la façon la plus probante soit encore de travailler par projets. C’est ce que fait très bien le MAC de Lyon, qui a créé une application pour la plupart de ses expositions temporaires ou propose des QR codes donnant accès à des informations supplémentaires sur un événement, etc.

Néanmoins, ces dispositifs ont une durée de vie très courte, étant impossibles à réutiliser d’une exposition sur l’autre. A ce problème, Florence Vielfaure mentionne un souci d’inadaptabilité (applications non connectées à la base de données du musée par exemple) ou dans la négociation des contrats (ce n’est pas le musée qui est propriétaire de l’appli, mais son concepteur. Le musée ne peut pas s’approprier l’application en dehors de la durée du contrat sans avoir à rémunérer le concepteur).

Ce phénomène traduit à l’évidence le manque de recul des établissements sur le numérique, auquel nous sommes par ailleurs tous confrontés.

Si les structures les plus importantes peuvent développer des stratégies médiatiques pointues (budget important pour la médiation/communication, service dédié) les établissements se tournent le plus souvent vers les sites web (base de données, informations sur certains événements) touchant donc plutôt les publics déjà conquis, ou vers les réseaux sociaux ou applications mobiles (peu chères, volume peu important, facile à développer et auxquelles le public est censé être déjà familier). Certains établissements font également le choix de travailler avec des prestataires extérieurs dans le cadre d’événements ponctuels, au risque de voir se développer des applications à usage unique, pour « faire le buzz ». D’autres établissements disent vouloir développer une stratégie de médiation numérique à long terme mais ne pas savoir à quoi se référer car les premières études commencent tout juste à être publiées, d’où la montée en puissance de rassemblement, à l’image des Rencontres Culture Numérique. On notera par exemple à Lyon la tenue d’un colloque intitulé Les métamorphoses de la culture contemporaine les 2, 3 et 4 Décembre derniers au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, dont la programmation faisait la part belle aux problématiques que soulèvent le numérique dans la recherche, l’action et la décision publique dans les arts et la culture.

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2.3 Quelles évaluations et quelles évolutions ?

La médiation numérique dans les musées étant encore en phase de développement, il nous est difficile, voire impossible, de prendre le recul nécessaire à l’analyse de ses retombées. Ce qui ressort néanmoins, c’est que la majorité des établissements confirment avoir « senti le vent tourner en faveur du numérique » et ressentent un besoin d’innovation sinon de modernisation dans leur secteur, toujours dans le but de s’adapter à la diversité des citoyens. Cependant, le manque d’outils d’évaluation fait cruellement défaut : on ne peut pas encore distinguer ce qui est « efficace » de ce qui ne l’est pas, ce qui subsistera ou ce qui se révèlera, avec le temps, n’avoir été qu’un gadget passager. On remarque que les établissements ont pour la plupart réellement le souci de l’incorporer à leur stratégie de médiation préexistante ou dite « traditionnelle ».

« Ça ne doit pas être fait tout seul, ça doit faire partie d’une grande chaine, c’est une chose qui est possible et appliquée dans de très grands établissements par une longue pratique du sujet, dans d’autres, il va falloir faire attention justement à ne pas inventer une petite appli qui ne va servir que pour une expo […] La médiation numérique n’est pas qu’un concept, c’est aussi la mise en œuvre d’un certain nombre de règles pour en faire un outil qui soit, un, reproductible, et deux, qui s’inscrive dans une stratégie générale. »9

C’est dans cette optique de lutte contre la « gadgétisation » du happening digital que Geoffrey Dorne, spécialiste en « design et en hacking », a lancé la Responsive Museum Week10. Le concept ? Travailler en partenariat avec des musées français dont le site web est inadapté à la version mobile, récupérer leurs codes CSS (le code de mise en forme du site internet mobile) et le mettre à disposition d’internautes débrouillards. Chacun modifie le code de manière à rendre le site mobile plus fluide d’utilisation, enregistre son travail et le met en ligne : ainsi, les établissements « hackés » mais également les utilisateurs de ces sites mobiles peuvent utiliser les différentes versions et en constater les points forts et les points faibles. Le but affiché : faire réfléchir ces établissements qui se « numérisent » trop vite et sans penser l’outil. Via cette action, Geoffrey Dorne a voulu sensibiliser à l’utilisation correcte des outils numériques : ici, le « responsive web design » est une manière de créer un site web capable de s’adapter à tous les smartphones.

Pour ce qui est des publics, là encore, les premières études viennent corriger les a priori.

                                                                                                                         

9 Entretien avec Florence Vielfaure, en réponse à la question «Quelle est la spécificité du montage d’un programme de médiation numérique ? » 10 Article trouvé sur CultureClic : http://www.club-innovation-culture.fr/geoffrey-dorne-presque-aucun-site-de-musee-francais-nest-veritablement-adapte-pour-les-tablettes-et-pour-les-telephones-mobiles/  

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« Les jeunes sont technophiles, pas techniciens »11 Si le public visé en premier lieu était les jeunes, les premières études démontrent que ce ne sont pas eux qui viennent les premiers tester ces nouveaux outils numériques. En effet, les chiffres montrent que ce sont les publics conquis, déjà habitués des musées, qui utilisent les dispositifs numériques mis à disposition. Nous avons également pu constater que beaucoup d’entre eux ne se servent pas des outils numériques comme les établissements l’attendaient. Charlotte Morel, chargée des publics à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne nous a notamment parlé de la frustration ressentie lorsque les visiteurs du musée ont commencé à utiliser le « hashtag » mis en place par l’établissement (#IAC) : les premiers partages n’étaient rien de plus que des selfies de gens « qui faisaient des grimaces ». Ce n’est que lorsque l’IAC a « suggéré » aux utilisateurs d’interagir avec les œuvres exposées que les premiers « posts » intéressantes ont fait leur apparition. Dans le même schéma, le MAC de Lyon nous avait fait part de l’utilisation « incomplète » que les visiteurs faisaient de la table tactile installée à l’entrée : en effet, la plupart se contentaient de « s’amuser » avec l’outil sans aller jusqu’à la création de réels « collages » numériques à partager sur leurs réseaux sociaux (utilisation pensée par l’établissement). Il faut également éviter le piège de l’attrait pour l’outil lui-même, et non plus pour l’œuvre sensée être présentée. Le but de la plupart des musées est d’utiliser des outils déjà maitrisés par le public car présents dans leur vie quotidienne ; toutefois, lorsque les publics utilisent ces outils comme ils en ont l’habitude, on perçoit une forme de déception. Il semble aujourd’hui nécessaire que les chargés de stratégies et des publics servent également de médiateurs entre l’outil et le public. Les avis sur le numérique sont que ces outils sont une nécessité et une opportunité comme le multimédia l’a été à une autre époque (audioguide, base de données) mais que de manière générale, l’attrait pour ces outils diminuera avec le temps (effet de mode passé). La médiation humaine resterait « l’outil » le plus adaptable car il peut interagir totalement avec les publics, le numérique viendra seulement enrichir une médiation humaine toujours en phase de développement.

Si la médiation numérique poursuit donc les mêmes buts que la médiation traditionnelle, il est nécessaire de travailler sur ces outils de façon à ce qu’ils s’adaptent aux besoins précis de l’utilisateur. C’est dans cette optique que les études en cours viendront enrichir le développement du numérique : distinction des publics et adaptation des interfaces, ainsi que la prise en compte des contextes de consultations ; ce qui permettra aux établissements de développer leurs stratégies de médiations numériques au plus près des besoins du public.

                                                                                                                         

11 Entretien avec Jean-Christophe Théobalt, en réponse à la question «Mais le numérique dans les opérations de médiation n’est pas anodin. Qu’est-ce qu’il apporte? Quels changements avez-vous remarqués? J’imagine que sa présence apporte une nouveauté? »

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3. … mais auquel elle ne se réduit pas

3.1 La fracture numérique et le besoin pressent de formation Les musées sont-ils, comme on l’entend parfois, réservés à une minorité? Beaucoup d’études, à l’image des analyses sociologiques de Pierre Bourdieu développées dans son ouvrage de 1966 L’Amour de l’Art, montrent une segmentation importante des pratiques culturelles. Une étude du CREDOC datée de juin 2012 sur la visite des musées, des expositions et des monuments révèle qu’il y a une distinction à prendre en compte entre visites de musées, expositions de beaux-arts et visites de monuments patrimoniaux, ces derniers attirant une population plutôt diversifiée. Dans les établissements relevant de la première catégorie en revanche, le taux de visiteurs est six fois plus élevé chez les titulaires d’un diplôme de licence au moins que chez les non-diplômés. 67% des cadres et professions intellectuelles supérieurs et 54% des hauts revenus se sont rendus dans un musée en 2011 contre 28% dans les foyers aux revenus faibles et 20% chez les ouvriers. La catégorie socio-professionnelle à laquelle appartient le visiteur apparaît donc comme un facteur très déterminant. Le critère de l’âge joue également un rôle très important. C’est la catégorie des sexagénaires qui a le plus de chances de se rendre à un musée ou une exposition, ce qui correspond effectivement à une période de vie où la disponibilité est la plus grande.

Qu’en est-il des usages du numérique dans la population française? Jean-Christophe Théobalt, au cours de l’entretien qu’il nous a accordé, a rappelé l’importance des chiffres de diffusion du numérique dans la société française: « Maintenant on est dans le top cinq européen de possession d’ordinateur chez soi, accès à internet, smartphones, etc. Devant nous il n’y a plus que les Pays-Bas et les pays nordiques. Le CREDOC donne des chiffres pour les foyers et à côté pour les tranches d’âge; sur les tranches jeunes on est à 98 ou 100% sur plusieurs catégories. Mais ça on le sait depuis longtemps, il y a dans les familles avec enfants un suréquipement. Donc maintenant la diffusion est massive dans la société française, il n’y a plus de fracture numérique comme c’était le cas il y a quinze ans où il y avait vraiment une fracture d’accès. »

L’Observatoire du Numérique publie régulièrement des chiffres clés sur ce sujet, les derniers datant de mai 2014. On y découvre que 82% des ménages français disposent d’une connexion internet, et que près de 8% du trafic internet se fait aujourd’hui depuis des téléphones portables ou des tablettes. Mais ces chiffres révèlent également que presque 20% des Français sont considérés comme « déconnectés »: ils n’ont pas d’ordinateur chez eux et pas d’accès à internet. La fracture d’accès est donc bien tangible et persistante. Elle dépend de différents critères: principalement l’âge, mais aussi les revenus, le niveau d’études, et l’isolement. A partir de 70 ans, seule 1 personne sur 3 peut être qualifiée d’internaute. Pour ce qui est de l’équipement en smartphones, l’âge est toujours à la source des plus grands écarts : au-delà de 70 ans, moins d’1 personne équipée en téléphone

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mobile sur 10 a un smartphone, contre 76 % des 18-24 ans. Jean-Christophe Théobalt mentionne également les débits de connexion parfois limités dans les zones rurales.

Au point d’articulation de ces informations, on retrouve donc dans l’utilisation d’internet et d’outils numériques la même fracture que celle que l’on reconnaît chez les visiteurs des musées: dans les deux cas la catégorie socio-professionnelle à laquelle on appartient joue un rôle déterminant. L’un des discours institutionnels récurrents concernant l’intégration d’outils numériques dans une stratégie de médiation consiste à présenter cette démarche comme un souci de démocratisation de la culture et de l’art par l’appropriation des pratiques des visiteurs. Les musées cherchent à adopter les habitudes domestiques de leurs publics et leur familiarité avec les outils numériques. En reflétant ainsi les pratiques de leurs visiteurs, ils espèrent s’adapter à une réalité sociétale et toucher de nouveaux publics peu représentés dans leurs entrées. Cependant, une telle démarche doit prendre en compte cette fracture qui force à relativiser l’image d’une société du tout-numérique.

Au-delà des problématiques liées aux équipements, il faut également se poser la question des usages des outils numériques. On peut avoir l’habitude d’utiliser son smartphone ou sa tablette, et transférer ces pratiques au sein d’un musée, sans pour autant en faire un usage qui soit réellement constructif dans le cadre de sa visite. Lorsque nous avons interrogé Charlotte Morel sur ses impressions concernant les pratiques numériques des visiteurs de l’Institut d’Art Contemporain, elle a regretté leur manque de créativité: « Les gens se servaient de [Twitter] pour poster des selfies, des petites vidéos, quelque chose d’assez narcissique en fait, sans en voir le potentiel d’usage ».

La volonté de faire appel aux outils numériques pour enrichir l’expérience de visite se heurte donc à des limites qui forcent à relativiser l’aspect révolutionnaire que l’on peut leur prêter. Les entretiens que nous avons menés avec différents acteurs culturels nous amènent à penser le numérique comme un outil utile, mais pas systématique. Dans leurs propos revient souvent l’idée de compléter la médiation « humaine », faute de pouvoir la remplacer en parvenant à combler tous ses manques tels que la réduction des fractures qui caractérisent les publics.

L’enjeu principal de la médiation numérique aujourd’hui est donc bien la formation. Comme une médiation de la médiation, cette notion concerne à la fois les publics et les établissements qui les accueillent. En parlant des objectifs de ses Rencontres Numériques, Jean-Christophe Théobalt mentionne des « besoins d’accompagnement et d’éducation des publics » qu’il explique en ces termes: « Effectivement les publics jeunes ont un très gros usage de ces outils mais ce sont des usages généralement assez consuméristes, communicationnels et superficiels sans vraiment de conscience de tous les enjeux sur les données personnelles, etc. ». Un emploi à la fois constructif et conscient des outils numériques, qui apporterait un réel bénéfice dans la médiation sans ignorer les risques liés au partage de données personnelles passe donc nécessairement par un accompagnement. Une étude de mars 2014 menée par l’INRIA avec TNS Sofres intitulée Les Français et le numérique en 2014 révèle d’ailleurs que 42% des personnes interrogées sont prêtes à être accompagnées dans leur découverte du numérique, dans des lieux spécifiques tels que les

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EPN, les Fablab, etc. 43% seulement se disent à l’aise pour accompagner leurs enfants dans leurs usages des technologies numériques. Pour compléter ces chiffres, 72% des Français pensent que le numérique a des effets négatifs sur la vie privée et 69% réclament plus d’informations sur la protection de la vie privée et des données sur internet. Au delà de ce souci de protection de la vie privée, les personnes que nous avons interrogées nous ont exposé la nécessité de donner à leurs visiteurs des exemples d’utilisation d’outils numériques pour les inciter à avoir des pratiques plus créatives, qui entrent réellement en résonance avec l’exposition. Les institutions elles-mêmes ressentent elles aussi le besoin de se former aux problématiques que pose le numérique. Jean-Christophe Théobalt identifie cette demande et remarque que les participants des Rencontres Numériques viennent beaucoup avec un désir d’échange d’expériences et de formation, parce qu’ils constatent l’importance du numérique dans la société mais ne savent pas comment se l’approprier.

3.2 Culture et tradition, culture et vivre ensemble

Reprenant son expression « Le numérique n’est pas la panacée », le dernier mouvement de ce travail entend défendre l’idée que la médiation numérique ne saurait remplacer la médiation dite traditionnelle ou humaine. En fait, on voit bien que l’une et l’autre ne sont jamais mises en antagonisme, et que toute médiation culturelle qui utilise le numérique fait en même temps appel au savoir-faire de la médiation. Aussi, si le titre de notre ARO était bien « la médiation numérique », il s’agissait pour nous de déconstruire les termes du sujet pour montrer l’étroite imbrication des avancées technologiques et informatiques et de la médiation culturelle. En effet, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, dans le contexte économique et social actuel, les musées essaient d’ « avancer » avec leur public ; de faire du musée un espace culturel qui intègre les pratiques de son public voire innove avec ce que la technologie permet. La numérisation des contenus et la création aujourd’hui incontournable de site internet des musées correspondent au niveau 1.0 ou au niveau du « read only » de cette évolution de la médiation, et dix ans plus tard, il ne viendrait à l’idée de personne de contester ces usages. Pour autant, il semble qu’une question plus ancienne demeure toujours au centre de ces discussions sur le numérique, comme si ce dernier était finalement ce qu’on appelle « l’arbre qui cache la forêt », ou « un pansement mis sur une jambe de bois ». C’est celle du statut du médiateur et de ce qu’on met derrière l’expression « d’expérience culturelle ».

Qu’est-ce finalement que l’expérience culturelle, qu’est-ce que le métier de médiateur culturel et comment le numérique pourrait-il faire positivement bouger les lignes de ces réalités ? L’évaluation de ces outils numériques par les professionnels eux-mêmes et par notre analyse a montré grossièrement deux types de profils : les dubitatifs, qui pourtant font régulièrement des essais avec des outils numériques, et les enthousiastes, qui sans jurer entièrement par le numérique, voit en lui un avenir très prometteur pour la médiation. Parmi ces intervenants, nous relèverons en particulier le mot de Florence Vielfaure, après qu’elle ait cité le musée imaginaire de Marlaux:

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« Pour moi, que le musée s’expose à travers des applis et sur les réseaux sociaux, ça correspond parfaitement aux missions du musée. En tout cas, on est dans les missions de la culture, qui sont la démocratisation, l’éducation artistique et culturelle, notre mission est d’aller vers les publics, par tous les moyens, et le moyen du numérique est un moyen, comment dire, très domestique et familier. Moi j’y crois. J’y crois dans la mesure où ils ne sont qu’un outil ».

Une déclaration à la fois positive et riche, puisqu’elle met en lien sa position sur le numérique dans la médiation culturelle et sa conception de la « mission culturelle ». Ici finalement médiation et mission culturelle se confondent et se caractérisent par un certain militantisme, dont Charlotte Morel avait préféré se garder : la mission de la culture est d’aller vers les publics « par tous les moyens ». Il en va du ressort de l’Etat depuis André Malraux, premier ministre de la culture mais aussi de celui de tout établissement culturel qui ne doit pas se contenter de proposer une offre culturelle mais chercher aussi à en favoriser la demande par l’éducation culturelle et la recherche d’une plus grande accessibilité et d’attrait pour les publics. Par l’idée donc d’aller vers les publics en récupérant des outils auxquels ils sont familiers, il y a aussi l’idée d’une réciprocité, d’un point de contact qui se crée entre la culture et son auditoire, réel ou potentiel, sans discrimination. Florence Vielfaure, dans son rôle de chargée de mission médiations numériques au Ministère de la Culture, partage donc une vision républicaine et démocratique de la culture.

Néanmoins, comme nous l’avons vu précédemment, et comme Florence Vielfaure le reconnaît12, les enquêtes montrent que le numérique n’a pas révolutionné l’accès à la culture en terme à la fois de fréquentation et de diversité. Aussi, si l’idée que le numérique est un outil de plus dans le panel du médiateur, comme elle l’affirme elle aussi, le plus gros travail semble toujours demeurer dans le métier-même du médiateur culturel. Aussi vrai que l’artiste ne se limite pas à sa technique, beaucoup sont d’avis que c’est l’usage qui est fait de la technologie qui fait la différence. C’est l’humain qui donne sens à la machine, si bien que si l’usage du numérique était également réparti dans tous les musées, on peut imaginer qu’il ne soit pas partout le même, selon le type de musées mais aussi selon les publics visés et son implantation sur le territoire. Encore faudrait-il que soit accordée une plus grande autonomie au médiateur qui occupe souvent une position délicate. En effet, si le statut du médiateur s’est « banalisé »13, il n’en reste pas moins que sa situation professionnelle demeure précaire, faiblement rémunérée, alors même que cette fonction requiert un niveau d’étude élevé et que presque tous pratiquent ou ont pratiqué une activité artistique ou créative qui n’est jamais valorisée dans leurs discours. Dans la plupart des cas, le médiateur exerce dans l’ombre du commissaire d’exposition et de l’artiste et refuse de se concevoir sur le modèle du pédagogue ou du communicant. Aussi, le champ de possibilité du médiateur se

                                                                                                                         

12 A notre question « pensez-vous que le numérique a révolutionné les pratiques culturelles du public ? » elle répond : « non pas encore… mais ça y participe ». 13 Pour reprendre une expression de Marie Christine Bordeaux et Elisabeth Caillet, ibid.)  

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réduit très souvent à une peau de chagrin, située « en sandwich » entre les publics et sa hiérarchie.

D’ici donc à ce que le numérique devienne un langage commun pour les professionnels comme pour les publics, il faudrait s’entendre sur les conditions optimales d’accès à la culture et de démocratie culturelle, ainsi que sur ce que l’on met derrière l’idée « d’expérience culturelle ».

A en croire Jean Caune dans son article dans lequel il cite Hannah Arendt, « Le pouvoir originellement spécifique de toute chose culturelle étant d’arrêter notre attention et de nous émouvoir, l’expérience esthétique, le jugement de goût, comme le montre Hannah Arendt, est une activité « en laquelle le partager-le-monde-avec-autrui » se produit. ». Autrement dit, la spécificité de l’œuvre artistique ou de la culture réside dans l’instant de sa découverte, qui produit (plus ou moins soudainement) à la fois émotion, cadre esthétique et jugement de goût, tout cela en confrontation avec l’altérité de l’œuvre et/ou avec les autres. Cette définition de l’expérience culturelle soulève donc trois aspects, qui vraisemblablement sont aussi à l’esprit du médiateur et du chargé d’exposition quand ils développent un projet in situ ou en ligne : l’espace, la temporalité et la convivialité, au sens du « vivre ensemble ».

Or la grande spécificité d’internet et de ses avatars est de rendre possible un déplacement spatio-temporel. Le numérique nous rend doués d’ « ubiquité » : nous sommes ici et ailleurs, ailleurs renvoyant à l’espace virtuel. Qu’en est-il alors de l’expérience culturelle, quand celle-ci se trouve délocalisée, déplacée de son cadre initial ? Comment la médiation s’adapte-t-elle aux différents média, autrement dit à ce qu’on a appelé au début des années 2000 le « multimédia », et auquel vient s’ajouter aujourd’hui le numérique? La réponse est simple, bien qu’elle soit plus facile à dire qu’à faire : à chaque média sa médiation, et le rôle du médiateur est aussi de faire le lien entre les outils numériques et le public. Il n’y a pas de recettes clés, l’important étant de « donner au visiteur les outils pour son émotion et son plaisir ». Si la fonctionnalité de visite en ligne existe, elle peut donner envie au visiteur de s’y rendre tout comme il peut décider de s’en contenter. Il faut le noter : l’ère numérique que nous semblons vivre n’a pas pour autant « éradiqué » le besoin de rencontres physiques. Aux musées donc d’axer leur communication sur les besoins que le numérique ne satisfait pas pleinement. Aussi vrai que le montage d’une exposition doit créer un cadre propice à l’appréciation des œuvres, les outils numériques, qu’ils interviennent in situ ou en ligne, doivent rentrer dans cette même logique. C’est en tous cas ce que nous avons constaté au cours de notre enquête. Le numérique est toujours un « plus », pensé pour « augmenter » l’expérience du public, en durée et en intensité (avant, pendant, après ou en parallèle des œuvres). Qu’en est-il alors de la notion de convivialité ou de « vivre ensemble » ?

Comme nous le rappelle Florence Vielfaure, ces outils numériques sont tous dotés de fonctions de partage, donc il y a ce qu’elle appelle « un leitmotiv [à] partager ». Au-delà des dérives (narcissisme, mise en scène de soi, désinhibition, superficialité) dénoncées par l’ensemble des intervenants, ne peut-on pas y voir quelque chose d’enthousiasmant ? A l’image du public de l’IAC, dont les pratiques de partage ont progressivement évolué du simple partage de photos ou de courtes vidéos sur les réseaux sociaux à un dialogue critique

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et créatif avec les œuvres, ou bien encore des forums14, ne peut-on pas voir ces pratiques sociales comme contribuant à l’aspect convivial de la culture ? A ce sujet, un rapide détour vers la définition du terme de convivialité nous a semblé étonnant et pertinent :

• Du latin convivium, repas en commun et convivialis, convives, c’est aussi un hispanisme utilisé par Ivan Illitch dans La Convivialité en 1973 « pour qualifier à la fois des outils dont la fonction est déterminée par celui qui les manie plutôt que par celui qui les conçoit, et un type de société post-industrielle caractérisé par ces outils, l'autonomie et l'interdépendance ».

• En informatique c'est la qualité d'un logiciel dont l'usage est intuitif ou qui dirige suffisamment son utilisateur pour ne nécessiter ni formation ni mode d'emploi (ce dernier sens est radicalement opposé au sens Illichien).

Alors certes, on a vu que ces outils demandaient un effort d’appropriation, mais le fait est qu’ils présupposent toujours l’idée d’une communauté et d’un lien social. D’autant que ces réseaux sociaux restent sous l’entier contrôle de l’établissement. Or, tant que cela permet au public de rebondir sur une œuvre, que cela se fasse « de visu » ou en ligne, de la manière attendue ou de façon détournée n’est pas le plus important. L’important, c’est d’avoir le choix.

                                                                                                                         

14 « Une fois ce stade-là passé (cf. le stade narcissique), on s’est rendu compte qu’en postant 2, 3 choses un peu décalées les gens suivaient. Ils commencent au fur et à mesure à voir le potentiel pour témoigner de l’expo, pour parler d’eux-mêmes, et je pense à usage privé aussi. Donc c’est intéressant de voir l’évolution de l’outil dans les pratiques. Il y a des gens qui ont fait des actions en réponse à des choses qui les ont marqués dans l’expo. C’est des réponses un peu créatives plutôt qu’un commentaire textuel par exemple. Ils entrent en résonance avec l’expo. C’était tout à fait ce qu’on recherchait. »

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CONCLUSION

Au terme de cette réflexion, nous avons donc montré que le numérique était un outil de plus dans le panel du médiateur culturel qui exerce dans les musées. Le numérique offre de nouvelles opportunités mais il ne remplace pas la médiation humaine, pas plus que ne l’ont fait avant lui l’instauration de bases de données ou d’audioguides. Le numérique est donc avant tout un outil, qui, comme tous les autres, demande à être appréhendé, maîtrisé, à la fois par celui-qui le manie que par celui qui le conçoit. De là à parler de « démocratisation culturelle », quand les publics les plus avisés sur le numérique demeurent toujours les mêmes, il y a un pas à faire. Et justement, quel est-il ? Qu’est-ce que la démocratie culturelle sinon la collaboration de chacun à l’élaboration du patrimoine culturel qui par définition nous appartient tous ? Et comment travailler ensemble à laisser une voix à l’ensemble des publics tout en n’entravant pas les compétences des établissements ? D’ici à ce que les publics les plus « éloignés » ou « empêchés » se voient soulagés des obstacles psychologiques ou physiques qui les empêchent de franchir la porte des musées, la figure du médiateur demeure le plus grand espoir à l’avancée de la démocratie culturelle dans ce secteur, à condition qu’il parvienne à tirer parti de l’ambivalence de son métier. Car qu’est-ce donc qu’un médiateur, sinon un éducateur culturel informel, et ce bien qu’il s’accommode mal de cette définition ? Qu’est-ce donc qu’un community manager et qu’un chargé de la communication, sinon deux alliés précieux pour la tâche noble et pourtant injustement considérée de la médiation ? Le numérique a renforcé l’accès et la participation des publics mais a aussi contribué au décloisonnement du secteur culturel, plus que jamais obligé de s’entourer d’un réseau d’acteurs large : chercheurs, associations, internautes…

Autre aspect qui peut sembler à la marge de notre sujet mais qui rentre néanmoins tout à fait dans les questions de démocratie culturelle : le numérique a largement élargi la voie aux pratiques culturelles amateurs. Or, on ne peut pas nier que l’amateurisme a toujours soutenu la demande culturelle, et ce bien que les établissements culturels mettent un point d’honneur à s’en distinguer. Penser le musée de demain, ce musée idéal ou imaginaire dont rêvait Malraux ne se limite donc pas à faire innover les outils mais aussi à réinventer les techniques de médiation et soutenir les techniciens (médiateurs et autres) qui les accompagnent. Car c’est avant tout de la volonté des humains derrière les équipements culturels que dépend en grande partie - non pas le pouvoir d’achat - mais bien le pouvoir culturel des publics.

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Du muséum au musée des Confluences. Médiation et activités culturelles, 2008

LAMIZET Bernard, La médiation culturelle, Paris, L’Harmattan, 1999

PEYRIN Aurélie, Etre médiateur au musée. Sociologie d’un métier en trompe-l’œil, La Documentation française, 2010

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Le numérique au théâtre, l’exemple du théâtre Rond-point http://cliophile.wordpress.com/2013/05/30/episode-8-le-numerique-au-theatre-lexemple-du-theatre-du-rond-point/

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Power point de l’auteur présenté à une rencontre (la rencontre n’est pas précisée)

Liste non exhaustive de liens Internet consultés

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http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Les-publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2014/Mediation-culturelle-l-enjeu-de-la-gestion-des-ressources-humaines-CE-2010-1

http://montreal.mediationculturelle.org/quest-ce-que-la-mediation-culturelle

http://www.club-innovation-culture.fr/didier-happe-agp/ http://www.crossmedias.fr/fr/2013/12/la-mediation-culturelle-numerique-quels-nouveaux-supports/ http://www.culturemobile.net/cultures-numerique/nouveaux-territoires-louvre

TABLE D’ANNEXES

Annexe  1 ................................................................................................................................................... 2  Infographie  sur  l’évolution  de  la  médiation................................................................................. 2  Annexe  2 ................................................................................................................................................... 3  Entretien  avec  Charlotte  Morel  (le  21/11/2014),  Responsable  du  service  des  publics  à  l’Institut  d’Art  Contemporain  de  Villeurbanne ........................................................................ 3  Annexe  3 ................................................................................................................................................ 11  Entretien  avec  Jean-­Christophe  Théobalt  (le  28/11/14),  Chargé  de  Mission  Numérique  au  Ministère  de  la  culture  et  de  la  Communication  -­  Secrétariat  général,  Service  de  la  coordination  des  politiques  culturelles  et  de  l'innovation,  Département  de  l'éducation  et  du  développement  artistiques  et  culturels.............................................. 11  Annexe  4 ................................................................................................................................................ 20  Entretien  avec  Adeline  Lépine  et  Karel  Cioffi  (le  29/11/2014)  ;  Adeline  Lépine  (AL),  chargée  de  programmation  culturelle  et  Karel  Cioffi  (KC),  webmaster  du  Musée  d’Art  Contemporain  de  Lyon  (MAC). ....................................................................................................... 20  Annexe  5 ................................................................................................................................................ 25  Entretien  avec  François  Boutard  (le  02/12/14),  Auteur  du  blog  ArtDesignTendance.................................................................................................................................................................. 25  Annexe  6 ................................................................................................................................................ 28  Entretien  avec  Laurent  Chopard  (le  02/12/2014),  Médiateur  culturel  et  chargé  de  projet  au  Musée  Gallo-­Romain  de  Lyon,  en  charge  des  outils  numériques  et  du  développement  des  nouveaux  publics ........................................................................................ 28  

Annexe  1  :  Infographie  sur  l'evolution  de  la  médiation  

 

Annexe 2

Entretien avec Charlotte Morel (le 21/11/2014), Responsable du service des publics à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne Pourriez-vous vous présenter? Et présenter l’Institut d’Art Contemporain? J’ai été embauchée à l’IAC en février 2013. En qualité de médiatrice culturelle d’abord, et depuis quelques mois j’ai pris la responsabilité du service des publics. Une bonne partie de mes activités relève de la médiation, que ce soit de la conduite de visites guidées ou la rédaction de projets pédagogiques ou de supports de médiation écrite, des rencontres avec les enseignants, et la programmation d’événements culturels comme des rencontres avec des acteurs du champ artistique, des auteurs, des commissaires. Je forme également des étudiants en médiation. L’IAC est un centre d’art qui trouve son origine dans la fusion de deux structures. En 1978 le nouveau musée est le premier centre d’art français à s’implanter, et qui plus est à Villeurbanne donc pas à Lyon. Il y avait uniquement une politique d’expositions temporaires, et un fort soutien à la création internationale et contemporaine. A 1982 le FRAC est fondé avec une constitution de collection. En 1998 les deux entités deviennent l’IAC. On a l’héritage du FRAC c’est-à-dire la collection de 1700 œuvres qui s’alimente chaque année et l’activité d’expositions temporaires qui se fusionnent. Donc l’IAC a la spécificité d’être porteur d’une grosse collection qui normalement est propre aux musées et pas aux centres d’art. Nos expositions temporaires servent souvent à faire l’acquisition de nouvelles pièces qui entrent dans la collection. On est une équipe de 13 permanents dans les bureaux. D’où viennent les fonds pour acquérir les œuvres? L’IAC bénéficie de subventions de l’Etat et de la région, et on a également le soutien de la ville de Villeurbanne. Le budget d’acquisition peut fluctuer, et il est pris sur le budget de fonctionnement normal qui provient des subventions des trois parties. Donc c’est de l’argent public, et la collection est publique. Pouvez-vous me raconter le dernier projet d’exposition, et comment vous y avez pris part en tant que chargée des publics? Ça s’appelle « Collection à l’étude. Expériences de l’œuvre ». C’est un projet qui agit ici dans les locaux de l’IAC et dans différents lieux de Villeurbanne. Ce projet montre des œuvres qui appartiennent à la collection. L’IAC montre tous les deux ans une partie de sa collection. C’est un éclairage qui peut être des dernières acquisitions ou une thématique. En 2012 c’était l’art vidéo donc on a sorti une certaine quantité d’œuvres vidéo qu’on avait dans la collection. Cette fois-ci on a décidé qu’il n’y aurait pas vraiment de thématique et pas vraiment de nouvelles acquisitions mises en focus, mais par contre on s’est dit qu’il serait intéressant de réinterroger les relations que peuvent avoir les visiteurs aux œuvres. D’où le titre. Ça supposait que dans la sélection des œuvres, qui s’est faite de manière relativement collective et pas seulement un choix de direction, on réfléchisse vraiment à quel type d’œuvres a été susceptible de créer des comportements, des réactions différentes. On a été le plus éclectique et le plus large possible dans notre sélection en cherchant à ce que ce soit représentatif des médiums très divers qui existent dans l’art contemporain, pour donner à voir une multiplicité, potentiellement déclencher une multiplicité d’attitudes, de réactions, d’émotions, de sensations et de commentaires.

Et puis le second point c’est que pour appuyer cette sélection-là du point de vue de la médiation, on a essayé de remettre en cause ce qu’on faisait jusqu’à présent. C’est-à-dire qu’à l’IAC vous avez la possibilité de faire des visites commentées avec des médiateurs, de venir seul mais vous avez aussi le guide du visiteur qui est un support de médiation écrit assez complet, plus les cartels évidemment. Et on s’est dit que ça pourrait être intéressant puisqu’on essaye de déclencher une prise de conscience des gens quand ils viennent - quelle est mon attitude quand je vais au musée, qu’est-ce que j’attends face aux œuvres, est-ce que parce que j’ai les informations je comprends mieux l’œuvre et ça me fait d’avantage d’effet, on s’est basés aussi sur beaucoup de réactions assez archétypales de visiteurs « de toutes façons l’art contemporain j’y comprends rien, si vous n’étiez pas là je ne comprendrais rien, c’est joli mais ça me parle pas, je ressens rien, l’art c’est fait pour être beau », enfin ce genre de poncifs là, plutôt que de les rejeter on a essayé d’en tenir compte, et de proposer un accompagnement différent de d’habitude. On n’avait pas la prétention de révolutionner la pratique de la médiation mais on s’est dit qu’on allait essayer de décaler un petit peu les habitudes pour voir ce que ça produit. Donc ça passe par cette proposition que vous avez vue: un accueil du visiteur oral, une sorte de mise en confiance vis-à-vis du projet, etc., une mise à disposition d’un petit strapontin pliant, un petit carnet avec un crayon, non pas source d’informations mais qui est vide et à remplir potentiellement, et une liberté du timing que vous avez face à chacune des œuvres puisque vous pouvez vous asseoir, vous ne suivez pas un groupe. On a enlevé les cartels donc pas de référence immédiate à l’information, pas de notice dans les salles et donc a priori un parcours qui produit un aller et un retour. Donc avec un point de rencontre, avec à ce moment-là, salle par salle, les notices d’œuvres assez complètes et une possibilité de rencontre avec un médiateur qui ensuite est assez volant, vous accompagne sur une partie, répond à vos questions, fait le retour complètement avec vous en répondant à vos questions. Mais les consignes qu’ils ont eues c’est surtout de déplacer votre propos. Non pas d’esquiver les réponses et de ne pas connaître les œuvres, au contraire, mais de faire aussi prendre conscience qu’on peut avoir un tout autre intérêt à venir voir des œuvres que de bien les comprendre. On peut aussi s’interroger sur - c’est vrai que face à un tableau je m’approche à 15cm, et face à une sculpture je tourne autour. Surtout, l’idée qu’on avait surtout en tête, c’est un aller « autonome », et un retour accompagné par une lecture ou une conversation, et est-ce que ça change quelque chose. On a vu deux fois les œuvres, est-ce qu’on a mieux compris avec de l’info, est-ce que c’est simplement le fait de l’avoir vu deux fois qui permet de mieux comprendre, etc. Et donc un dernier élément de ce dispositif-là, c’est celui qui est dans le jardin, vous avez un container industriel qui d’ordinaire est attribué au « laboratoire espace cerveau » qui est un dispositif à part entière et qui est concepteur, donc il y a un groupe de recherche qui est concepteur de cette exposition et de ce projet collection à l’étude là, et donc à l’intérieur vous avez ipads, ordis, paperboards, pour noter des choses, restituer - on appelle ça un retour de mémoire - des sensations que vous auriez eues, des commentaires, des remarques, des critiques, simplement une photo que vous avez envie de poster pour la partager, et tous les visiteurs peuvent voir ce qui a été posté auparavant. C’est sur twitter, sur le compte de l’institut, et vous pouvez poster à tout moment dans la salle. Si vous-mêmes vous avez un compte twitter vous le postez avec le hashtag de l’IAC. Et vous avez aussi dans la verrière d’accueil un petit ipad pour consulter les notices qui sont aussi en ligne. Depuis que vous êtes en poste, avez-vous observé des changements dans la médiation? Moi j’ai repris le service à la suite de deux autres personnes, qui avaient elles beaucoup défriché le terrain puisqu’elles étaient en poste depuis longtemps. Elles ont vu émerger dans leur vie professionnelle la qualité de médiateur qui n’existait pas avant les années 80, ou 90 pour vraiment l’installer. Elles ont été pionnières dans la mise en forme et en pratique de certaines actions de médiation. Moi non, j’ai vraiment été bercée par ces idées-là, la place du médiateur dans les institutions me semblait évidente.

Mais par contre c’est vrai que ce qu’on observe c’est les comportements. Dans cette institution la nécessité d’avoir de la médiation est peu remise en question. Ce qui est sûr c’est que les outils évoluent. La nécessité d’avoir des outils est parfois remise en question, mais quand elle est soulevée elle nécessite d’être adaptée aux âges. Cela va sans dire, puisque moi je l’observe, je reçois très souvent de jeunes enfant de deux ans et demi, cinq ans, sept ans dans les espaces, et on voit (mais ça c’est une banalité que de dire ça maintenant), leur immédiateté à se servir des outils, en l’occurrence numériques. L’Ipad c’est quelque chose qui est très évident pour eux, dans les fonctionnalités, dans les interfaces, dans la manipulation de l’objet, qui l’est évidemment beaucoup moins pour des adultes, voire des personnes d’un certain âge. Donc il y a une nécessité qui commence vraiment à s’imposer à nous qui est d’utiliser ce genre d’outils-là, maintenant pourquoi, ça c’est une autre question. De plus en plus souvent les gens comparent les outils de médiation d’une institution à l’autre. Donc ça donne des idées, mais on constate qu’il n’y a pas encore un systématisme dans l’utilisation. Il y a des franges de la population qui s’en servent, et ce n’est même pas générationnel parce qu’il y a par exemple des lycéens qui s’en servent beaucoup et des collégiens qui pourtant sont encore plus à même d’être là dedans qui ne s’en servent pas du tout. Donc ce n’est pas encore très clair dans mon esprit d’arriver à viser le bon public pour quel outil. Il y a des franges, on va dire les personnes de plus de 45 ans, le numérique c’est pas encore tout à fait ça et encore je parle de manière très générale, il y en a qui sont très au fait, mais il y a quand même assez peu de ces acteurs-là qui sont sur les réseaux sociaux activement, ou alors si ils le sont c’est pour un but très privé et ce n’est pas pour ce type d’activités-là qui seraient culturelles, on va dire. Ou alors qui ne voient pas l’intérêt quand ils sont au sein d’un cadre parce qu’ils considèrent que c’est nous qui allons les guider vers ça. Donc c’est plutôt à la maison quand ils se renseignent sur ce qu’il y a à voir, etc. Des applications dont ils se servent pour eux en gros pour décider de leur vie culturelle, mais pas une fois qu’ils sont dans l’institution. Donc ça évolue très vite, il y a des gens qui travaillent là-dessus donc on a régulièrement de la part des sociologues, de chercheurs des réponses ou des ajustements. Pour ce qui est vraiment de la pratique de médiation pour l’instant ici on n’a pas en place d’outils réellement novateurs. On reste sur des choses assez attendues, comme le papier, comme des guides du visiteur, pour les jeunes visiteurs des cahiers de jeu, etc. La parole, moi c’est vrai que pour l’instant je suis assez neuve dans ce métier et je ne suis pas du tout lassée, c’est très important encore d’avoir le contact. Parce qu’on est un petit lieu, c’est spécifique à notre lieu aussi, ce n’est sans doute pas la même problématique pour le MAC par exemple, mais on est un petit lieu et on cherche à être au contact des gens, à fidéliser les gens qui viennent, à être dans un rapport de facilité d’accueil, de discours parce qu’il n’y a pas 36 intermédiaires, il y a deux personnes à l’accueil, c’est toujours les mêmes. Que les gens nous connaissent bien, ça fait partie de nos missions, parce qu’on doit rester un lieu abordable. Vous pensez qu’un outil numérique peut constituer un frein à la sociabilité? Pas nécessairement. Mais c’est vrai que ce que je remarque c’est que ces questions sont tout le temps en ce moment au cœur de nos recherches, et entre homologues on se pose souvent des questions « qu’est-ce que tu mets en place, ah tiens il y a une nouveauté, on fait tel colloque, viens », on a fait un colloque sur la médiation il n’y a même pas un mois, et on a beaucoup de demandes sur ce qu’il y a de nouveau, ce qu’on peut faire, ce qu’on peut inventer, etc. Et moi je ne suis pas du tout réticente à utiliser la technologie, le numérique, etc., mais je n’ai pas encore fait le tour des questions des basiques. Donc passer à autre chose pour moi ce n’est encore pas à propos, je n’arrive pas à être pertinente dans mes propositions de nouveaux outils, en tous cas numériques, parce que d’une part je ne suis pas extrêmement utilisatrice moi-même à titre personnel (mais ça on peut le dépasser à titre professionnel), et d’autre part parce que je n’ai pas encore ciblé des choses, des croisements où le numérique pourrait intervenir non pas pour se substituer par exemple à une personne, à un discours mais serait un outil qui vraiment se

rende indispensable ou qui soit vraiment un plus à quelque chose qui s’imposerait de manière sociétale, avec des besoins auxquels vraiment on ne peut pas répondre actuellement. Ce n’est pas encore le cas, je ne le ressens pas comme ça, et du coup j’ai du mal à être prospective pour l’outil numérique. Pour d’autres choses oui mais pour l’outil numérique j’ai besoin de murir l’approche que j’ai en médiation, et que je connaisse mieux aussi les publics, savoir quelle est la demande exactement, parce que si c’est pour mettre un ipad on met un ipad, mais finalement si c’est pour consulter une notice ça ne sert à rien. La notice est en papier, moi je peux répondre aux questions. Il y a plein de choses qui existent déjà mais qui se prêtent aussi quand le lieu est très grand, quand il y a une collection permanente. Nous on a encore un fonctionnement qui est à murir de ce côté là. A adapter. Quand je visitais votre site internet, j’essayais de voir si vous utilisiez des outils numériques et je n’ai pas trouvé vraiment d’information, j’ai vu que vous aviez une page Facebook, une page de retours, et un compte twitter mais on y reviendra. Mais je me suis dit, dans le cadre du laboratoire espace cerveau, vous avez dit qu’il y avait des tablettes, et dans ce cadre-là ça a l’air de faire sens justement. Oui, tout à fait. C’était vraiment pour recueillir quelque chose, il nous fallait quelque chose qui garde une trace. Parce qu’on a des conversations éphémères entre les médiateurs et les visiteurs - des fois les gens nous rendent leur petit carnet mais ce n’est pas une obligation. On voulait vraiment tirer profit de cette expérience sur la durée des quatre mois du projet pour savoir adapter des propositions, c’était un thermomètre aussi pour savoir quelle était la demande. Puisque ce projet-là découle de nombreuses remarques au fil des années des visiteurs, des partenaires. On fait des choix curatoriaux pour les œuvres, les artistes mais on accueille du public donc on devrait remettre en question la façon dont on accueille les gens. Et mettre ça au cœur du projet ça nous permettait après d’en tirer profit pour un autre projet qui n’aurait peut-être pas les mêmes modalités d’accueil mais peut-être qu’on gardera des éléments parce qu’on aura senti une réelle accroche, une réelle pertinence à ces outils là. Et effectivement vous ne trouverez rien sur le site qui témoigne de possibilités numériques d’accompagnement parce qu’il n’y a rien qui est en place pour l’instant. Par rapport aux outils numériques, vous avez dit qu’il n’y en avait pas dans cette exposition-là. Mais ça a pu vous arriver d’en utiliser? vous disiez des tablettes, ipad? C’est déjà arrivé. Mais pour l’instant principalement à but de consultation. Toute notre collection d’œuvres est en ligne par exemple. On a fait déjà plusieurs fois des expositions, notamment je pense à Rendez-Vous qui est une plateforme jeune création à l’IAC, et à l’occasion de laquelle on avait fait intervenir une commande d’artistes, c’était des artistes de Séoul je crois, qui étaient quatre - un collectif -, et qui avaient fait en fait une sorte d’œuvre d’art / virus informatique et pour que les gens la voient c’était consultable sur une tablette. Parce que c’était de l’art numérique. Voilà. C’était de l’art numérique. Donc forcément l’outil était adéquat. Mais c’est souvent pour consulter quelque chose. Consulter en ligne, être une extension de nos bureaux plus qu’un réel projet de médiation, bien que ce soit un accompagnement de médiation. Est-ce que vous diriez, par rapport au labo espace cerveau, comme c’est des sciences cognitives, que ça les intéressait de travailler avec des outils numériques pour avoir une mise en abîme dans la cognition ou c’était simplement parce que pour collecter c’est plus pratique? Je pense qu’il y avait un peu des deux à vrai dire. C’était un outil pratique pour nous parce que c’est beaucoup plus léger à mettre en œuvre, ou beaucoup plus viable qu’un livre d’or pour l’exploiter ensuite donc ça paraissait assez évident, mais en revanche c’est vrai que ça permet

aussi d’interroger ce médium-là. La mémoire digitale, la mémoire numérique, c’était quelque chose qui intéressait aussi. Et quand vous avez utilisé des ipads est-ce que c’était vous qui étiez sur la direction, le budget était celui de la médiation? Non. ça c’était le budget de l’exposition. Tout ce qui est rédaction de notices des œuvres, c’est le budget de la collection, de même que la conservation, la restauration des œuvres, le transport, etc., tout ce qui est de l’ordre de la construction de cloisons pour installer une œuvre, l’éclairage c’est le service de la régie et de l’exposition, et tout ce qui est dispositifs comme les petites chaises pliantes, la production des carnets, l’achat d’ipads, la mise à disposition d’ordinateurs, c’est sur le budget des expositions. Quand vous travaillez avec la chargée des expositions c’est sur la question des publics? Comment travaillez-vous en collaboration? On est treize donc quand un projet comme ça place au cœur de l’artistique des questions de médiation je suis en relation directe avec quasiment la totalité de mes collègues. La chargée des expositions et la direction, la communication pour réfléchir à comment communiquer sur le projet, les intervenants des autres lieux, la régie qui doit savoir où on implante l’espace de restitution et les notices, la collection puisqu’on a fait par exemple l’activation d’une performance, l’administration… Avec quels objectifs les outils numériques avaient-ils été utilisés? C’était de la consultation? C’est ce que je perçois, après on réfléchit à beaucoup d’autres choses. Comme je vous disais pour l’instant les ipads effectivement c’est de la consultation, c’est du plus on va dire, pour approfondir. Pour les visiteurs ou pour nous, pour recueillir des témoignages. ça ne se substitue pas au travail ordinaire de médiation, ça s’ajoute. En revanche on s’est questionnés et d’ailleurs à d’autres occasions que ce projet-là. L’exposition précédente c’était Thomas Bayrle, un artiste qui a pratiquement 80 ans et dont le travail est sur des formes très archaïques de production d’art et des formes extrêmement anticipatrices de production d’art. On trouvait ça intéressant et on avait envisagé à un moment de mettre quelques flash codes parce qu’il y avait des références au monde musical, etc., et puis finalement ça a parasité presque le propos de cet artiste puisqu’il faisait des choses très archaïques en 2014 mais des choses extrêmement novatrices et pointues, technologiques même pour l’époque, dans les années 60. Donc on ne voulait pas interférer avec ça. On s’est dit que ça allait créer une confusion puisque l’artiste essaye de défaire ces conceptions de « plus on avance plus il y a du progrès, et plus les outils technologiques s’imposent ». Donc mettre un flash code en dessous d’une œuvre ça prenait une signification, la codification devenait presque symbolique, ça contournait le propos de l’artiste donc c’était problématique. En revanche peut-être que pour l’expo qui arrive ou celle d’après ça va nous sembler complètement en corrélation parce qu’on se dit que c’est une nouvelle approche et on tente d’être au plus juste par rapport à ce qui se fait dans d’autres institutions. Est-ce que vous pourriez avoir des subventions de la région ou de l’Etat pour vous équiper en médiation numérique? Oui, je ne sais pas sous quelles conditions mais au cours de l’été - qui n’était pas un moment opportun pour nous parce qu’on a eu beaucoup de travail à ce moment-là, on a vu une offre de la région ou du ministère qui était un appel à participation de projet en vue d’une attribution de

bourse pour le projet retenu. C’était un crédit pour l’innovation numérique. C’est très dans l’ère du temps d’avoir des crédits pour ça. Là on vient d’avoir une subvention supplémentaire d’un groupe de travail pour remodeler notre site internet. Notre site actuel date de 2012 et on se rend compte de certaines lacunes, d’une mutation, ça répond au besoin qui se fait sentir des évolutions technologiques. Moi je suis arrivée il y a maintenant presque deux ans et il y a des choses qui m’ont semblé évidentes. A mon sens ça manquait d’images, j’avais le regard de quelqu’un qui arrive et on a un problème d’arborescence, d’interface avec ce site qui n’est pas assez visuel. Et qui pourrait être dissuasif, ou pas assez clair, donc on travaille à ça. C’est notre premier interface de médiation. Vous disiez plus tôt que dans le cadre de ces outils numériques qui ont pu être utilisés ou seront utilisés plus tard, les personnes qui s’en occupent sont aussi les chargés d’exposition. Oui. On modère ensemble des propos si il y a lieu de le faire ou au contraire on valorise, en disant: « c’est super qu’ils aient relevé ça dans l’expo, ça nous sert pour la prochaine fois et puis pour le gros bilan à la fin de l’exposition, pour le service des expositions - et pour nous bien sûr. Le service des expositions va pouvoir se rendre compte de la pertinence de mettre ou non des cartels, le manque que ça crée chez les visiteurs, l’habitude que ça crée, etc. Vous verriez une situation dans laquelle l’outil numérique pourrait être judicieux? En réflexion avec mes collègues, je me suis souvent dit qu’on a cette double identité d’être lieu de collection et d’exposition temporaire donc éphémère et pérenne à la fois, et à de nombreuses reprises on avait discuté de la possibilité de valoriser la présence physique de cette collection quand elle n’est pas montrée, puisqu’elle n’est montrée ici qu’une fois tous les deux ans. Donc on se demandait comment la rendre visible de manière plus permanente ici. Là l’outil numérique me parait intéressant parce qu’il y a des pratiques très intéressantes, qu’on a soulevées quand on a fait un comparatif dans d’autres musées qui montrent en permanence certaines œuvres, comme par exemple des flash codes, pour des œuvres sonores notamment. Une base virtuelle d’œuvres qui reste dans les espaces. Ça pourrait aussi être des teasers, comme ça se fait au MAMCO, sur les espaces qui sont inaccessibles au public. Les espaces de travail, les réserves… Donc avoir une extension pas seulement documentaire mais de possibilité de découverte simultanée d’œuvres qui ne sont pas tout le temps présentées. ça resterait léger spatialement parce que ça n’impliquerait pas que les œuvres soient physiquement installées. Par contre ça donnerait beaucoup de visibilité et donc ça serait cohérent puisque ça renforcerait notre mission de mise à disposition de notre collection. Si vous aviez à définir votre mission de chargée des publics en un mot? Je dirais « articuler ». Ma mission principale je pense que ça doit être l’articulation entre les intentions artistiques de la structure ou des artistes et la façon dont les visiteurs viennent s’approprier ces œuvres. C’est un peu pareil qu’un médiateur qui est un intermédiaire, qui ne doit pas suppléer ni l’un ni l’autre ni se substituer, mais articuler les deux. Que quelque chose se passe entre les deux. Comment vous est venue l’idée d’une présence sur les réseaux sociaux? Pour rendre visibles et valoriser nos actions, être dynamiques, présents. Je ne saurais pas vous dire quelle était l’intention au départ mais ça parait logique aujourd’hui d’y figurer, toutes les institutions ont des comptes parce que ça permet de relayer des infos plus largement et de

toucher une cible qui ne va pas chercher le site de la structure quand elle vient à une visite. Ça crée aussi un autre niveau de relation, avec un côté moins institutionnel. Vous diriez que c’est représentatif de la fréquentation que vous avez ici au musée? Pour les pages de l’institut on a beaucoup plus de gens qui sont « amis » aussi par intérêt, parce que dès qu’on est jeune artiste on devient ami avec toutes les structures qui nous intéressent pour montrer qu’on est actif, faire connaître son nom, etc. Donc il y a des gens qui ne viennent jamais mais qui suivent nos infos et nos actus. Mais en terme de diversité oui c’est représentatif. On a aussi beaucoup de visiteurs qui suite à une venue ici suivent et alimentent. On a dépassé depuis longtemps le quota d’amis sur une page, d’où la deuxième page, et ça c’est représentatif parce qu’on a une population qui s’accroit d’année en année, c’est très bon signe. Vous envisagez de proposer de nouvelles activités en ligne? Oui, de toutes façons ça s’imposera de plus en plus. Et puis on est tirés vers le haut parce qu’on a des structures qui sont similaires partout en Europe et mettre en France, et quand on voit qu’il y en a qui mettent en place des choses on s’y intéresse. On leur demande si ça fonctionne, on essaye de voir ce qu’on pourrait faire qui ne soit pas pareil mais qui aille dans la même dynamique. Donc on se tire vers le haut pour ces évolutions-là parce qu’on a des problématiques qui sont très similaires donc forcément des besoins qui sont concomitants. Vous pensez que c’est important que l’outil numérique diffère d’un musée à l’autre? C’est surtout parce que quand on met en place quelque chose on est content d’avoir trouvé quelque chose qui soit en adéquation avec son lieu. Donc si toutes les structures qui ont les mêmes types d’activités et un peu les mêmes publics font les mêmes outils on stagne un peu. Qu’est-ce que vous remarquez quand vous voyez les publics se servir de ces tablettes? Twitter au début ça a eu du mal à démarrer, déjà parce que les gens n’étaient pas habitués à se servir de ça chez nous. Malgré tout assez peu de gens je crois se servent de Twitter à titre personnel et non professionnel. Les gens se servaient de ça un peu pour des selfies, des petites vidéos, quelque chose d’assez narcissique en fait, sans en voir le potentiel d’usage. Au fur et à mesure on a mis des notices en proposant de prendre des photos dans l’expo puis de les poster plus tard pour murir un peu. On s’est rendu compte aussi que Twitter ne proposait des vidéos que de 3 ou 4 secondes donc on a montré aux gens qu’ils pouvaient poster un lien Viméo par Twitter et avoir accès à une vidéo plus longue. On apprend avec eux et c’est intéressant. Une fois ce stade-là passé, on s’est rendu compte qu’en postant 2, 3 choses un peu décalées les gens suivaient. Ils commencent au fur et à mesure à voir le potentiel pour témoigner de l’expo, pour parler d’eux-mêmes. Donc c’est intéressant de voir l’évolution de l’outil dans les pratiques. Il y a des gens qui ont fait des actions en réponse à des choses qui les ont marqués dans l’expo. C’est des réponses un peu créatives plutôt qu’un commentaire textuel par exemple. Ils entrent en résonance avec l’expo. C’était tout à fait ce qu’on recherchait. Selon vous, quel rôle pourrait jouer le numérique dans la médiation, dans votre travail? J’espère ne pas y devenir suffisamment familière pour que ça me remplace! J’aime être au contact des gens. Le médiateur n’a plus de raison d’être s’il n’y a plus de demande d’accompagnement. C’est un peu le but, on va vers notre propre perte, mais si on arrivait à faire en sorte que l’art contemporain devienne beaucoup moins problématique dans l’esprit des gens - parce qu’il y aurait un accompagnement suffisant à l’école, parce que les gens auraient confiance en eux et en leur capacité à comprendre sans se bloquer quand ils sont surpris -, il n’y aurait plus besoin de médiateurs.

Je pense qu’on a de vraies contraintes à l’IAC par rapport au numérique qui sont la générosité du type d’actions, on a fait énormément de choses et on est très peu nombreux. On ne roule pas non plus sur l’or parce que nos subventions baissent chaque année. Le numérique, s’il était très utile, pourrait permettre de garder un rythme intéressant dans l’activité en ne demandant pas plus aux « personnes humaines » en temps. On ne peut pas se démultiplier et il y a peut-être des choses pour lesquelles le numérique pourrait servir de palliatif - des demandes. Le numérique pourrait apporter une solution.

Annexe 3

Entretien avec Jean-Christophe Théobalt (le 28/11/14), Chargé de Mission Numérique au Ministère de la culture et de la Communication - Secrétariat général, Service de la coordination des politiques culturelles et de l'innovation, Département de l'éducation et du développement artistiques et culturels. Pour démarrer, pourriez-vous nous parler de votre métier et de votre rôle dans les Rencontres Numériques? Je suis dans un service qui s’occupe du développement culturel dans la direction transversale du ministère. On n’est pas sur un champ spécifique. Mon entrée sur le numérique est très large puisqu’elle comprend à la fois le numérique comme outil d’accès à la culture et comme outil d’expression et de création, puisque je suis aussi bien les pratiques amateurs que professionnelles. Pouvez-vous nous raconter la genèse des Rencontres Numériques ? Les Rencontres sont un héritage assez direct du «Programme Espace Culture Multimédia» que j’avais monté à la fin des années 90, qui s’est déployé entre 1998 et 2008. Le label n’existe plus depuis 2008. Il visait à soutenir la création et le développement de lieux d’accès au numérique dans les équipements culturels, pour qu’il y ait une appropriation par ces équipements des outils numériques. Sachant qu’on était au départ beaucoup dans la lutte contre la fracture numérique. Avec ces espaces culture multimédia on était plutôt dans une problématique grand public, d’accès à internet au début, d’appropriation des outils. On en a eu beaucoup dans des MJC, des équipements culturels pluridisciplinaires et des bibliothèques. On n’a eu aucun musée, parce qu’à l’époque, ils avaient soit des outils d’aide à la visite type bornes, etc., soit ils avaient des espaces multimédia mais ce n’était pas des lieux d’accès à internet. C’était pour consulter des ressources liées à la collection du musée, donc ça ne rentrait pas dans ce cadre d’accès public à internet. Le label Espace Culture Multimédia n’a pas été remplacé par un nouveau label pour des raisons budgétaires. Les Rencontres Culture Numérique ont succédé aux vingt-cinq rencontres Espace Culture Multimédia que j’avais organisées entre 99 et 2007. L’idée du premier label n’était pas uniquement de financer des lieux mais aussi de les mettre en réseau, de faciliter l’échange d’expériences entre les équipements. Donc on a repris ces rencontres à partir de 2008, qu’on a faites en interministériel. Dans les problématiques qui ont émergé il y a eu clairement celle de l’appropriation des outils numériques par les équipements culturels. C’est comme ça qu’on a lancé en 2011 la première rencontre sur ce thème, qui est devenue la plus importante. Sachant que maintenant les rencontres culture numérique sont redéployées sur uniquement deux axes: la médiation et l’éducation. Nous avons constaté une présence des musées aux Rencontres Numériques à partir de 2011. Comment les musées sont-ils arrivés dans ces rencontres à ce moment précis? Quels types de structures et genres de musées? Ils sont arrivés assez naturellement. Au ministère il y avait par ailleurs depuis plusieurs années un dispositif qui était le plan de numérisation, qui a contribué à financer la numérisation de fonds patrimoniaux, notamment dans des musées. Il y a quatre ans il y a eu aussi le lancement de l’appel à projet “service culturel numérique innovant”, qui a lieu à peu près tous les deux ans, et qui vise à aider au financement de dispositifs de médiation culturelle relativement en aval. Tout

ça est concomitant. Il est clair que les très gros équipements, notamment parisiens, très connus ont investi le champ des outils numériques depuis pas mal de temps, avec la montée en puissance des sites web, et puis des réseaux sociaux. Donc la première édition des services culturels innovants en 2010 a contribué à financer notamment des dispositifs dans des musées de médiation culturelle. C’est pour cela qu’il y a cette montée en puissance des musées. Sachant que notre direction est transversale, le positionnement depuis le départ a été de décloisonner. De mélanger des exemples entre les différents secteurs culturels. C’est ça aussi qui intéresse les participants. Depuis le début, le principe était de présenter des exemples d’établissements divers. Effectivement on a quand même pas mal programmé lors des premières éditions des exemples venant d’assez gros équipements, de musées nationaux puisque c'est eux qui ont les moyens pour produire ces dispositifs. Mais on a aussi essayé de programmer moins de gros équipements même s'il y en avait encore et d’essayer aussi de programmer des équipements plus petits. Cette année il y a eu aussi le choix de confier la programmation de parties de la rencontre à des regroupements professionnels, en l’occurrence sur les musées à Muséonum. Quand on avait échangé avec eux, l’idée était de programmer plus d'équipements en région, plus petits. Il y avait parfois des sentiments d'infériorité chez les petits établissements qui n'ont pas les moyens financiers ni les équipes pour développer ça. Sur des secteurs comme les bibliothèques et les musées, il y a une présence numérique assez ancienne et on n’a pas trop de difficulté à trouver des exemples à programmer. On a plus de difficultés à trouver des exemples dans le spectacle vivant, et à faire venir les gens. Mais cette année, on a trouvé pas mal d'exemples dans le spectacle vivant. On a confié une demi-journée au TMNlab. C'est aussi notre objectif de présenter des exemples transversaux. On a remarqué une réticence des acteurs du spectacle vivant à aller vers la médiation, sans parler de la médiation numérique. Non, de la médiation, ils en font aussi. Il y a pas mal d’équipements qui font de l’action pédagogique. Mais c'est clair qu'ils s'approprient les outils numériques plutôt dans une optique de communication que justement de médiation, en se disant qu’ils ont une matière qui n'est pas aussi facilement numérisable que dans le champ patrimonial. Ce qui nous surprenait c’est qu’au-delà de ça, il n'y ait pas eu plus d'expériences, notamment vers les publics jeunes, d’utilisation des outils numériques et des réseaux sociaux dans les processus de médiation. Quelles sont les demandes des musées, dans quelles perspectives viennent-ils aux Rencontres Numériques ? C'est difficile de répondre car on a des publics très hétérogènes et des équipements qui le sont aussi. On a dans le public des établissements qui sont assez avancés dans la prise en compte du numérique et des établissements plus petits qui ne le sont pas du tout. Ils en sont plutôt encore au stade de la sensibilisation, de la découverte. Mais globalement c'est un besoin de partage d'expériences, de repérage de choses qui se font. L'objectif est aussi la dimension de réseautage et de rencontres. Quelles sont les motivations des musées pour mettre en place des outils ? Qu’est-ce qu’ils cherchent? Plus d’accès à la culture, plus de pédagogie, de divertissement…? C'est tout simplement de mieux accompagner les publics, enrichir les visites. Leur donner des outils qui leur permettent de compléter leur visite et d'avoir accès à d'autres informations, etc. Il y a des outils pour faciliter les visites, les conditions d'accueil, d’achats de billets et de choses comme ça. C'est à la fois pour les publics existants, pour les fournir des services ou des informations supplémentaires via le développement de nouvelles versions d’audioguides, de sites web, etc., mais aussi par la communication en ligne et les réseaux sociaux, essayer de

toucher des publics nouveaux. Le numérique permet d’enrichir ou d’amplifier des fonctions d'action pédagogique, d’action culturelle, d'accompagnement des publics ou de communication, que les équipements font déjà. Il n’y a pas de révolution, en tous cas en ce qui concerne les musées. Dans d’autres équipements qui, eux, peuvent accueillir des ateliers de création, il peut y avoir la mise en place de nouvelles pratiques. Dans les musées c’est plutôt un enrichissement de l’offre des pratiques existantes, mais il n’y a pas réellement de mise en place de nouvelles pratiques. Mais le numérique dans les opérations de médiation n’est pas anodin. Qu’est-ce qu’il apporte? J’imagine que sa présence apporte une nouveauté? Oui et non. Le problème c’est qu’il n’y a pas encore beaucoup d’études. Tout le monde a envie de développer des outils numériques mais l’enjeu est aussi d’en mesurer l’impact. C’est un peu les gros équipements qui ont les moyens de le faire. Mais il n’y a pas vraiment de nouveauté, le résultat c’est que c’est aussi les publics socio-culturels les plus avancés qui ont des usages riches, et ce n’est pas le cas des autres. ça ne réduit pas les fractures socio-culturelles. C’est les gens qui sont les plus gros consommateurs de culture qui ont les usages les plus pointus et les plus intéressants en terme de numérique. Le numérique n’est pas la panacée par rapport à ça, parce que ce n’est pas le numérique qui va réduire ces fractures là. Ce que montrent les études vis-à-vis des publics jeunes, c’est que les digital natives ne sont en fait pas bons en numérique, contrairement à ce que les gens disent et peuvent penser. Il y a une dextérité, mais en fait ce sont des technophiles mais pas des techniciens. Il y a un usage très superficiel, très consumériste et communicationnel de ces outils. Il y a un vrai travail d’éducation et d’accompagnement à faire. [Cf. Sylvie Octobre, Deux pouces et des neurones: les cultures juvéniles de l’ère médiatique à l’ère numérique] Par rapport à cette prise de conscience, y a-t-il des actions qui pourraient être menées, imaginées pour réduire cet écart? Ca ne concerne pas que les établissements culturels, ça interpelle une faiblesse de l’éducation nationale, de l’école. Les musées ne peuvent pas former les publics avant de leur proposer des outils. Avez-vous une idée du nombre de musées français équipés en outils numériques? Non, on n’a pas de chiffres. Y a-t-il une tendance qui se dessine par rapport à l’outil numérique pour la médiation? Est-ce que c’est plus la communication sociale, l’accès à la connaissance…? Non, je n’ai pas suffisamment d’éléments pour percevoir une tendance. Avez-vous observé des changements par rapport aux participants? Par rapport aux métiers, au niveau des Rencontres? Y a-t-il de nouveaux profils? Le nouveau métier émergent est le profil du community manager, mais il n’y en a que dans les plus grands équipements. Quand il y a de petits moyens il n’y a pas de poste dédié qu’à ça. Les réseaux sociaux tout le monde s’y est mis car ce n’est pas lourd à gérer et à mettre en place, c’est peut-être l’outil de médiation numérique le plus simple à mettre en place. En revanche mettre en place des bornes ou des audio-guides numériques, c’est clair que tous les équipements culturels ne peuvent pas le faire. Là il y a une barrière, même si des appels à projets comme celui du ministère ont permis à des petits établissements de développer des

outils. Mais il y a quand même un problème de moyens financiers et de compétences internes pour le faire. De même qu’il y a une question qui revient assez souvent, qu’on a un peu traitée mais c’est compliqué, c’est la question de l’organisation des équipements, de ce que le numérique peut induire en bouleversement dans les organigrammes, etc. Mais ce qu’on constate dans les très gros équipements parisiens, c’est qu’il n’y en a pas deux qui sont structurés de la même manière sur ce sujet. On voit assez souvent des dysfonctionnements en interne parce que les réseaux sociaux sont d’un côté, le numérique (bornes, applications, etc.) de l’autre, que des fois c’est les services des publics qui ont ça à l’intérieur et dans d’autres cas ça relève des publications, de la communication. C’est clair que quand ce n’est pas unifié ce n’est pas simple du tout. Mais ce genre de problème, à la limite c’est des problèmes de riches, c’est-à-dire qu’ils apparaissent dans les gros équipements où il y a plusieurs personnes sur le sujet, mais dans un petit équipement de province où il y une ou deux personnes qui font tout, le problème se pose nettement moins. Et ces petits équipements, qui n’ont pas beaucoup de moyens, qu’est-ce qu’ils vont privilégier ? Je n’ai pas de réponse précise là-dessus, les gens vont spontanément vers les réseaux sociaux, un compte facebook, n’importe qui peut le faire du jour au lendemain. Après il faut le temps de l’animer, de monter des opérations autour, etc. A part les réseaux sociaux, quels outils les établissements plébiscitent-ils le plus? Les musées rêveraient tous d’avoir de supers audio-guides, des bornes interactives partout. Il faudrait sonder les musées pour savoir ce qu’ils rêveraient de faire, mais je pense que la plupart sont bloqués par des problèmes de moyens et de personnels. Il y a aussi le souci de la vitesse de développement de ces technologies. Oui, mais ça tout le monde y est confronté. Vous dites que les jeunes sont des technophiles mais qu’ils ne sont pas techniciens. Non, je ne parlais pas nécessairement des jeunes, il y a deux choses: ce constat général, auquel se rajoute la couche de l’environnement socio-culturel, mais là je ne parle pas spécialement des jeunes, mais surtout des adultes: on constate que plus les gens sont éduqués plus ils ont des pratiques riches liées aux outils numériques. Cette problématique sur les pratiques numériques des jeunes c’est aussi un concours de circonstances, en l’occurrence à cette époque là le ministère de la jeunesse avait lancé un mini plan d’éducation multimédia dont on était partenaire. On voulait relancer les Rencontres avec un partenariat interministériel, et la thématique qui nous unissait c’était les pratiques numériques des jeunes. La définition des rencontres est aussi liée à des paramètres de ce type là, qui ne sont pas uniquement dictés par l’évolution des pratiques numériques. L’année d’après on a fait deux rencontres, une sur l’éducation artistique et le numérique, et ne autre sur cohésion sociale et culture numérique parce qu’il s’avère que dans notre département on suit les politiques transversales donc on suit aussi toutes les politiques liées à la politique de la ville, liées à la cohésion sociale, on a des partenariats avec le ministère de la Justice, etc. C’était une manière aussi d’interroger comment le numérique croisait ces autres problématiques qu’on suit aussi. Ce que je veux dire c’est que ce sont des choses qui émergent en terme de problématiques sociétales mais il s’avère que les thématiques des Rencontres croisent aussi notre structuration administrative et les partenariats qu’on a en interministériel. On se demandait d’où venaient ces tournants que prenaient les Rencontres Numériques, est-ce que c’est la société qui les dicte ou est-ce que c’est plus comme vous le dites.

C’est un mélange des deux, car en fait la Rencontre médiation et numérique est partie de discussions en interne ici, puisqu’il y avait un portail sur l’histoire des arts qui était en train d’être mis en place à cette époque là et les deux personnes qui le suivaient tournaient pas mal sur le terrain pour aller rencontrer des équipements susceptibles d’alimenter le portail en ressources pédagogiques, etc. Effectivement ils constataient qu’il y avait encore beaucoup d’équipements qui étaient largués sur ces problématiques et qui avaient un vrai besoin d’échange d’expériences, voire de formation, etc. Nous c’était un peu le constat qu’on faisait aussi à travers les espaces culture multimédia, donc en fait le fait de lancer en 2011 cette thématique c’est venu de là. Et puis comme on est transversal on l’a fait avec les trois autres directions du ministère. Et puis il s’avère qu’on a nous-mêmes été très surpris par le nombre de demandes. On a eu 250 inscriptions en 4 jours, ce qu’on avait jamais eu pour les Rencontres Numériques, donc quelque part ça a montré qu’il y avait une véritable attente du terrain et sur les deux rencontres médiation et numérique on a refusé du monde à chaque fois. C’est pour ça après qu’on a changé d’équipement pour aller vers des équipements plus gros, et qu’en fonction des remontées des questionnaires on a aussi essayé de les faire évoluer. On avance aussi en essayant d’améliorer les choses, de voir d’où ça vient. Mais vous voyez, les thématiques des rencontres ont un peu émergé comme ça, à la fois il y avait du factuel, il y avait effectivement des choses qu’on avait constatées sur le terrain, il y avait aussi une dimension dans nos partenariats interministériels, mais par exemple la rencontre Médiation et numérique, c’est seulement le Ministère qui l’a faite, là on n’est pas en partenariat interministériel. Mais par contre l’an dernier on a fait aussi une rencontre sur l’éducation à l’image, l’éducation à la technologie et au numérique avec la délégation aux usages d’internet, et ça c’était aussi la volonté de refaire des choses en interministériel, et puis par rapport à des constats justement qu’on faisait de ce besoin d’éducation aux nouvelles technologies pour notamment les publics jeunes, etc. Donc c’est un mix des deux, et c’est assez pragmatique, ce n’est pas dicté par un programme d’études qui nous fait des super remontées même si il y a des choses qui viennent alimenter puisque l’étude sur les pratiques culturelles numériques des français vient alimenter ces discussions, etc. Avez-vous constaté, depuis l’arrivée du numérique dans les musées, un changement dans les pratiques du public? Je pense que la réponse ne peut pas être homogène, ça dépend des équipements puisqu’effectivement entre le Louvre et ses 9 millions de visiteurs et des petits musées de régions évidemment c’est très différent. Quels sont les outils présentés dans les Rencontres Numériques ? Est-ce qu’il y avait un certain type d’outils qui étaient plus présentés que d’autres? Est-ce que ces Rencontres Numériques sont aussi une sorte de d’interface ou de lieu de rencontres où apparaissent ce type de profils : des prestataires, des fournisseurs? Est-ce qu’il y a des marques qui apparaissent? Non, pas spécialement. Les publics prioritaires étaient d’abord les personnes des équipements culturels, puisqu’au départ c’est ça, c’est vraiment de l’échange entre eux; ensuite les financeurs des équipements culturels et puis les chercheurs, les universitaires qui travaillent sur les problèmes d’évaluation et d’usages. C’est par ordre de décroissance, ce sont les trois publics prioritaires. Quand j’avais une forte demande, les autres je les mettais en liste d’attente ou je les refusais. Et après viennent les prestataires, qu’il y a toujours eu effectivement, mais pour moi ils viennent en quatrième position. Notre idée n’est pas de présenter telle technologie de tel prestataire, l’idée c’est de présenter le projet, l’expérience, le retour public, etc. Donc effectivement quand on avait de la place on les a évidemment acceptés mais mon constat c’est que c’est assez minoritaire. Ce n’est pas l’entrée principale.

Non, ce n’est pas l’entrée mais on peut imaginer que peut-être il y ait une sorte de pression, parce qu’il y a une histoire d’économie derrière donc on peut imaginer qu’ils soient présents à ces manifestations là parce que pour eux c’est un espace où ils peuvent présenter. Oui mais non la rencontre médiation c’est vraiment une entrée « équipements culturels », donc par exemple on ne programme aucun exemple d'association, les artistes ne sont pas un public prioritaire. On a choisi cet axe là parce que pour nous il y avait vraiment un enjeu de travailler sur ça. Donc en l’occurrence on ne programmera jamais une présentation d’une société. Ce n’est pas l’entrée du tout. Alors effectivement les sociétés peuvent y accéder, après, la liaison entre société et équipements il y a d’autres structures qui la font comme le club CLIC France. Dans ses adhérents il y a plein d’équipements culturels mais aussi des sociétés et dans les ateliers qu’organise le club CLIC il y a des rencontres entre des offres de prestataires et des équipements. Donc c’est une initiative privée, on considère que c’est plutôt à eux de faire ce type de choses. Ou alors il y a le SITEM (NDLR: Salon de l’équipement des lieux de culture), le salon en début d’année à Paris où il y a des prestataires. Donc on considère que c’est plutôt à des opérateurs privés de faire ce genre de choses. De même qu’on a eu dans les remontées des questionnaires des gens qui auraient pratiquement voulu qu’on organise un showroom, qu’on montre des dispositifs et que les gens puissent les tester. Au départ c’est très lourd à organiser physiquement et puis on ne considère pas nécessairement que c’est notre rôle. De toutes façons on ne prétend pas répondre à toutes les attentes. C’est clair qu’il y a beaucoup d’équipements qui seraient en attente de ça mais nous on ne considère pas que c’est nécessairement notre rôle. Donc nous c’est vraiment une entrée par équipements culturels et effectivement par les projets et les usages. Après, le type d’outil utilisé, c’est présenté via l’équipement, pas par la société. Mais dans les Rencontres quand on n’a pas de problème de capacité, ce qui a été le cas à la BnF et au Centre Pompidou, là effectivement les demandes de prestataires privés je les ai complètement validées. On a aussi des gens qui s’inscrivent qui font du conseil par exemple. On a presque plus de gens qui sont dans l’ingéniérie culturelle, dans le conseil, que des prestataires qui font des applications numériques. Finalement, qu’est-ce que vous pouvez dire par rapport à ces équipements culturels qui viennent à ces Rencontres, le bilan que vous pouvez tirer de ces trois dernières années? Quels sont leurs questionnements, leurs attitudes, leurs besoins? Il y a une vraie demande de découverte, d’échanges, etc. Souvent ils sont parfaitement conscients des enjeux, des difficultés, de la diffusion du numérique dans la société, et ils sont complètement en attente de découvrir l’expérience d’autres équipements culturels, de pouvoir partager les problématiques. C’est vrai que par exemple on ne l’a pas vraiment fait, il faudrait qu’on le fasse vraiment, mais plusieurs fois les gens nous disaient qu’il serait intéressant qu’on ait pratiquement des études de cas, où nous soit présentée et décortiquée la mise en œuvre d’un projet, d’un dispositif numérique, mais vraiment du début jusqu’à la fin, en passant en revue les aspects techniques mais aussi les aspects de production, de financement, d’organisation, etc. Vous voyez qu’il y a une demande assez pratique. Il y a à la fois une demande là-dessus, et puis c’est vrai que nous on essaie aussi de faire intervenir dans les Rencontres des chercheurs et des universitaires donc il y a une dimension de réflexion sur les enjeux, dans certains cas sur des problématiques très globales. L’an dernier par exemple il y avait deux choses, il y avait une intervention de Jacques-François Marchandise de la FING (NDLR: Fondation Internet Nouvelle Génération), sur les problématiques du numérique mais pas spécialement culturel dans la société, et puis il y avait Anne Krebs qui est vraiment intervenue sur le Louvre, donc sur un équipement culturel. Par contre ce qu’on essaye de chercher c’est des jeunes doctorants qui seraient en train de travailler

sur des évaluations de dispositifs. On est persuadés qu’il y a des choses qui sont en train de se mettre en place dont on n’est pas forcément au courant. On ne prétend pas être au courant de tout ce qui se passe, y compris dans les projets. On aimerait bien arriver à systématiser un peu plus ce travail de veille parce que justement les participants sont intéressés aussi par des retours d’évaluations très complets. Après, l’intérêt aussi de ces rencontres c’est que les gens discutent sur place, prennent des contacts. Je ne peux pas mesurer l’impact de ce que ça a pu donner de manière générale. On diffuse un questionnaire juste après mais maximum 20% des gens y répondent. Pourtant c’est un questionnaire très simple par mail, on pose seulement cinq questions. Généralement on a des retours assez dithyrambiques, les gens sont très contents, mais on reçoit aussi bien sûr des critiques. Sur quoi portent ces critiques? Il y a des attentes déçues? Par exemple les gens étaient demandeurs de beaucoup plus d’espaces de rencontres informelles. Il y a parfois aussi des critiques de personnes qui n’ont suivi qu’une partie des Rencontres et qui critiquent des choses qui ont été faites. En revanche ce qu’on va essayer de faire l’année prochaine, c’est qu’il y a parfois des interventions qui sont un peu trop larges, et il y a une demande qui ressort qui est d’identifier des problématiques très précises et essayer d’y répondre avec là aussi des équipements culturels assez différents. Cette année on avait jeunesse et numérique où on a présenté différentes interventions, différents types d’outils numériques qui avaient été développés par des équipements, etc., mais il faudrait qu’on arrive à affiner un peu plus. Il y a une difficulté de format qui ne facilite pas vraiment l’échange, la participation. Le problème auquel on est confronté c’est qu’au Centre Pompidou on a eu 685 participants sur les deux jours et ça devient compliqué à gérer. On a des attentes extrêmement hétérogènes, avec des personnes très avancées et d’autres beaucoup moins. On a une partie du public qui est encore en phase de découverte par rapport à ces enjeux là. Et puis en plus comme on mélange les secteurs culturels il faut que les gens adoptent une ouverture d’esprit suffisante pour s’intéresser à des expériences dans des équipements autres que les leurs. C’est clair qu’il y a quand même des spécificités liées aux secteurs. Et puis on n’a pas non plus d’informations sur les nombres de musées équipés et quels types d’équipements. Mais finalement ceux qui sont vraiment équipés ce sont les gros musées. Il y a un effet d’échelle qui joue. Les gros musées ou des musées où il y a un vrai soutien de la collectivité locale, puisque le principal financeur reste les collectivités locales. Il y a quand même un financement qui vient de la culture au départ? Comment ça se répartit? Vous avez tous les cas de figures, mais la plupart des musées ne sont pas financés par le ministère. Mais il y a des aides pour les équipements numériques, pour l’incitation… Il y a des aides liées aux appels à projets que j’ai mentionnés: l’appel à projet numérisation pour numériser les fonds, ou services culturels numériques innovants pour développer les dispositifs de médiation numérique. Dans un certain nombre de cas ils ont été déterminants. Ils ne paient pas tout, mais le fait que le ministère mette de l’argent a permis parfois de déclencher des financements complémentaires des collectivités. Mais le fonctionnement de base des équipements et de la plupart des applications numériques c’est financé par les collectivités locales.

Et là tout dépend des élus et de leur intérêt. Oui, et des moyens de la commune, et des priorités qu’ils donnent. C’est extrêmement hétérogène sur le territoire. Effectivement dans les Rencontres sont représentées des communautés dynamiques. Au niveau des outils, vous disiez qu’ils sont extrêmement hétérogènes, mais est-ce qu’il n’y a pas une préférence qui revient? Des équipements, des outils numériques qui vont être fortement plébiscités par les institutions? Les tablettes, ça correspond à un buzz depuis trois ans, sinon je ne sais pas. Une fois de plus ça dépend de la taille de l’équipement, de ses moyens, tout le monde n’a pas les moyens de développer des bornes interactives comme au Louvre. Je ne suis même pas sûr que la tablette dans les musées soit aussi développée que ça. Les tablettes sont peut-être un équipement favorisé mais plus développées dans un souci de consultation, pour consulter les bases de données? Oui, c’est ça. L’avantage des tablettes c’est que c’est mobile, ce n’est pas des grosses bornes compliquées à développer, donc pour accéder à des contenus numérisés notamment en ligne c’est clair que c’est un peu l’outil idéal. Vous disiez que ces Rencontres étaient l’occasion de débattre des enjeux du numérique, et qu’en même temps c’est un espace de discussion par rapport à la mise en œuvre des outils. Qu’est-ce que vous pourriez dire par rapport aux enjeux du numérique, qu’est-ce qui se dessine? Le débat sur les enjeux n’est pas central pour nous, c’est des choses qu’on amène pour nourrir la réflexion. Le numérique dans le secteur culturel s’intègre dans le numérique dans la société, donc c’est pour ça qu’on peut parfois le programmer, mais ce n’est pas central. On l’a fait l’an dernier mais cette année il n’y avait rien là-dessus. C’est plutôt autour des choses qu’on a repérées, des lieux, des disponibilités des intervenants, du souci de ne pas se répéter, des publications récentes qu’on construit notre programme, plutôt qu’autour d’une problématique. La problématique globale c’est que les chiffres de diffusion du numérique dans la société française sont vraiment très importants. Maintenant on est dans le top 5 européen de possession d’ordinateur chez soi, accès à internet, smartphones, etc. Devant nous il n’y a plus que les Pays-Bas et les pays nordiques. Le CREDOC donne des chiffres pour les foyers et à côté pour les tranches d’âge; sur les tranches jeunes on est à 98 ou 100% sur plusieurs catégories. Mais ça on le sait depuis longtemps, il y a dans les familles avec enfants un suréquipement. Donc maintenant la diffusion est massive dans la société française, il n’y a plus de fracture numérique comme c’était le cas il y a quinze ans où il y avait vraiment une fracture d’accès. Il y a encore des fractures d’accès liées aux âges et au débit notamment dans les zones rurales, mais maintenant les fractures se sont déplacées sur les usages. Effectivement ce sont les catégories socio-professionnelles les plus élevées qui ont les usages les plus intéressants ou les plus riches de ces outils. On se rend compte que ces outils ne réduisent pas si simplement ces fractures. Les besoins d’accompagnement et d’éducation des publics restent très forts. Effectivement les publics jeunes ont un très gros usage de ces outils mais ce sont des usages généralement assez consuméristes, communicationnels et superficiels sans vraiment de conscience de tous les enjeux sur les données personnelles, etc. Donc pour moi l’enjeu tourne autour de ces questions là: comment on développe l’accompagnement des publics, l’éducation

autour de ces outils. Et puis l’enjeu c’est aussi de voir comment se servir de ces outils pour essayer de toucher des publics nouveaux et enrichir l’expérience de visite. Pour vous, la médiation numérique, en terme de relation avec les publics, est-ce que c’est plutôt une réussite ? J’aurais tendance à dire oui mais il y a des cas de figures très différents. Mais les nouveaux outils permettent quand même des avancées assez stupéfiantes : la mobilité, la géolocalisation, les rendus en 3D… Il y a plein de choses qui permettent d’appréhender plus facilement des contenus culturels et d’aller plus loin. Mais tout dépend aussi de l’accompagnement et de la médiation humaine. La médiation humaine n’est pas évacuée et les lieux de convivialité et d’échange restent importants même si les outils numériques conduisent plutôt a priori à des usages individualisés.

Annexe 4

Entretien avec Adeline Lépine et Karel Cioffi (le 29/11/2014) ; Adeline Lépine (AL), chargée de programmation culturelle et Karel Cioffi (KC), webmaster du Musée d’Art Contemporain de Lyon (MAC).

Pouvez-vous commencer par nous présenter le Musée d’Art Contemporain? Il existe depuis 1984, il était installé dans une aile du Musée des Beaux-Arts qui se trouve Place des Terreaux avant d’être déplacé à la cité internationale en 1995. Ici il y a 3000m2 de surface d’exposition. On fait tous les deux ans une exposition monographique, donc dédiée à un seul artiste, qui occupe l’ensemble des trois étages. Le reste du temps il y a entre deux et trois expositions sur les 3000m2. On n’a que des expositions temporaires, comme Erro en ce moment, on n’a pas d’espace consacré à la collection. Notre collection est plutôt visible dans ses déplacements, on prête régulièrement des œuvres. Les artistes dont nous acquérons des œuvres sont principalement des artistes qui ont réalisé des œuvres pour une exposition temporaire au musée, et souvent d’ailleurs on fait l’acquisition de la production, donc d’une œuvre qui a été pensée pour le musée. Pouvez-vous chacune nous expliquer en quoi consistent vos métiers? Depuis combien de temps travaillez-vous au MAC? KC : Je suis webmestre. Je suis au musée depuis un peu plus de dix ans. Il y a dix ans je ne travaillais que sur le site internet, mais mon poste évolue. Aujourd’hui je m’occupe plus de communication en ligne. Je suis rattachée au service de communication. AL : Moi je travaille dans le service des publics. Je suis arrivée il y a moins d’un an, et je suis en charge de la programmation culturelle. On pense souvent événements, conférences, rencontres, soirées mais en fait il y a un important volet de médiation dans mes missions qui s’adresse à un public individuel qui vient aussi en visite. Des actions comme des ateliers pour les enfants sont aussi rattachées à mon poste. Moi je considère qu’organiser une conférence ou une projection c’est de l’événementiel mais c’est aussi de la médiation. Pour moi la place au sein du service des publics est très légitime. Il s’agit de trouver comment donner envie au public de venir et lui apporter les clés d’une découverte de l’exposition, que ce soit par le biais d’une visite classique ou par d’une rencontre plus événementielle. Karel Cioffi, que souhaitez-vous mettre en avant sur le site internet, et montrer à travers lui? En fait on repense en fonction du propos de chaque exposition la communication sur internet et sur les réseaux. On a aussi une communication institutionnelle, où on va essayer de faire parler du musée, mais on décline plutôt un plan de communication différent en fonction de l’exposition. Sur Erro par exemple, on cherche à faire découvrir sa pratique, donc on est partis sur des outils comme des vidéos pour montrer comment il travaille et la table tactile dans le hall avec un système très simple de découpage et montage photos. Sur d’autres expositions ça peut être tout à fait différent. Est-ce que le site internet joue aussi un rôle de médiation ?

AL : Il y a effectivement une dimension de valorisation d’actions spécifiques qui sont menées, et je dirais d’archivage aussi. C’est aussi un espace ressource puisqu’on archive par exemple les enregistrements des conférences. Donc là on n’est plus dans la communication directe d’un événement à venir mais dans de la documentation, de la ressource, de l’archive et aussi de la valorisation de ce qui s’est passé. Dans l’exposition que vous présentez actuellement, on trouve deux outils numériques qui accompagnent la visite: une table tactile et une web application. Pouvez-vous nous parler de ces outils? Qui a pris l’initiative de les mettre en place? Avec quels objectifs? Comment cela s’est-il passé? Lorsque nous présentons une exposition monographique tous les deux ans, c’est l’occasion pour nous d’avoir accès à un budget un peu supérieur au temps ordinaire. C’est à cette occasion qu’on peut se permettre de créer des outils supplémentaires, ce qui est impossible le reste du temps. A chaque fois on se pose la question de ce qu’on pourrait faire comme outils nouveaux qui accompagneraient bien l’exposition. Et en fonction du projet d’exposition, on fait des choix. Pour cette exposition les outils ont été montés sous forme de partenariats avec une société lyonnaise qui s’appelle Biin. C’était du parrainage, avec des contreparties en nature. On n’aurait pas pu le faire sur fonds propres. La web app était pensée comme un site ressource autour de l’exposition, pas forcément un guide d’accompagnement. C’est plutôt complémentaire, sachant que dans l’espace d’exposition il y a des textes explicatifs. Plus que pendant, elle se positionne soit avant soit après la visite. On a quand même mis du wifi partout pour permettre l’accès à l’appli, mais sur place il n’y a pas forcément plus d’intérêt de l’utiliser que chez soi avant de venir ou en rentrant de l’exposition. On voit Erro qui peint dans son atelier, il y a des informations complémentaires, des liens vers des vidéos, etc. L’espace du musée n’est pas vraiment adapté pour la consultation de ce genre de contenu, on imagine que les gens sont mieux chez eux. On présente du contenu qui ne fait pas partie du projet d’exposition, qui est plus périphérique, pour aller plus loin dans la découverte de l’artiste. La table tactile, c’est des petits jeux dans l’exposition. Là c’est plus ludique, ça n’a pas une dimension pédagogique comme la web app. On accède à une banque d’images et on peut faire son petit montage. C’est plus ludique, on s’amuse à faire à la manière d’Erro. Après il y a la fonction de partage sur les réseaux sociaux, on partage sa création. Quand vous avez mis ça en place, est-ce que vous aviez en tête un public cible particulier ? Je ne crois pas. Ça faisait partie d’une réflexion au service des publics, on avait envie d’un outil un peu familial, qui permette une collaboration entre parents et enfants. Mais finalement on se rend compte que la table plait à tout le monde. Il y avait effectivement un public cible mais on n’a pas forcé le trait, on n’a pas communiqué en disant que c’était pour les familles. Tous les profils et tous les âges s’amusent avec cette table et nous ça nous va très bien, on a trouvé un outil quasiment universel, en termes en tous cas de publics. Est-ce que vous avez des retours, des moyens d’observer les comportements des gens face à ces outils ? Est-ce qu’ils correspondent à ce que vous espériez ? AL : Dans l’ensemble oui, mais j’ai un petit regret, c’est que les gens ne vont pas jusqu’au bout. Ils ne sauvegardent pas forcément leurs créations et ne les partagent pas. Je me dis donc qu’il y a peut-être quelque chose à retravailler sur l’ergonomie de la table, si on est amenés à

retravailler sur ce genre de projet. Les gens sont plus dans l’idée d’expérimenter le processus que d’arriver à une proposition finale. KC : On a demandé à une école de communication qui travaille sur le design utilisateur, via un prof qui nous avait sollicités, de faire une expérience de terrain avec ses étudiants. Ils ont interrogé des personnes et doivent nous faire un retour de leurs travaux. Du coup on aura un premier retour, mais c’est vrai que sinon à part les statistiques auxquelles on a accès comme n’importe quel site internet avec google analytics, on n’a pas d’informations qualitatives. Pour revenir sur la conception des dispositifs de médiation que vous instaurez, c’est toujours réfléchi par rapport à une cible spécifique, ou c’est plutôt par rapport au contexte de l’exposition? AL : C’est un peu les deux, avant de concevoir un outil qui soit pertinent il nous faut des informations sur la manière dont l’expo va se dérouler et même sur les autres dispositifs de médiation qui sont disponibles dans l’exposition. S’il y a des cartels, des panneaux avec des explications, on a aussi une petite fiche qui accompagne à chaque fois les expositions, donc c’est un ensemble. Quand on réfléchit sur un outil (qu’il soit numérique ou pas), un outil de médiation s’inscrit dans un contexte donc quand il y a plusieurs types d’outils de médiation il faut arriver à voir ce qu’il peut y avoir de pertinent pour chacun, pourquoi on en crée autant. Si c’est pour raconter la même chose dans tous, autant n’en choisir qu’un. Vous proposez également des types de médiation plus traditionnels. Visent-ils des objectifs différents ? Ils sont complémentaires. La question principale que nous nous sommes posé a été celle de l’emplacement de la table tactile par rapport au parcours. Quelles sont les priorités du MAC en termes de médiation? La dernière fois que la question a été posée à Thierry Raspail, directeur du musée, il a répondu qu’en tant que musée municipal le but est que le plus grand nombre vienne et revienne. Dans des structures comme les nôtres qui fonctionnent sur des fonds publics et qui sont importantes à l’échelle nationale, on a l’obligation de réfléchir à une fidélisation des publics (renouveler l’intérêt, conserver l’enthousiasme) et d’aller chercher des publics qui ne viennent pas. Ça ça passe effectivement par une réflexion sur les outils de médiation, sur des actions spécifiques, et puis par la communication. Disposez-vous de sources de financement spécifiques pour les outils numériques que vous mettez en place? Dans quel budget s’inscrivent-ils? Il n’y a pas de financement dédié spécifiquement aux outils numériques. On a fait une répartition entre les services de communication et des publics. La convention de parrainage qu’on a eu avec Biin a été très généreuse. C’est grâce à ça qu’on a pu faire les deux outils. Comment ce parrainage s’est-il déroulé ? Eux travaillent principalement sur les tables tactiles, et c’est eux qui nous ont abordés pour nous proposer cet outil. C’était une coquille vide, on pouvait en faire ce qu’on voulait. Mais ils se disaient que ça pouvait intéresser notre public. On a ensuite réfléchi à ce qu’on allait mettre dedans. Ça a été une étroite collaboration. Eux sont spécialistes du secteur culturel, avec en plus un autre secteur d’activités qui est la géolocalisation pour l’usager urbain, etc. Sur la partie web app en revanche, c’était plutôt notre demande. Pour d’autres expositions on avait déjà fait des applications iphone ou android mais cette fois-ci on ne voulait plus être tributaires d’un système d’exploitation.

Vous êtes très présents sur les réseaux sociaux. Pensez-vous que les gens qui vous suivent sur ces différentes plateformes constituent une seule et même communauté? Postez-vous des contenus différents pour chaque plateforme? Oui, c’est des publics très différents. On ne s’adresse pas aux utilisateurs de la même façon. Ce sont clairement des gens différents. Sur twitter par exemple on s’adresse à des leaders d’opinion. Ce sont majoritairement des professionnels soit de l’éducation soit de la culture. Facebook est plus un outil pour tous types d’usages et tous types de publics. La présence sur les réseaux sociaux et le développement d’outils numériques sont-ils indispensables à vos yeux? Pourquoi? KC : Le multimédia, l’informatique, le numérique, c’est dans nos vies aujourd’hui. Si on s’en prive en tant que musée c’est qu’en même temps on se coupe d’un usage de la population. On ne peut pas le faire, ou alors c’est une stratégie de contrepied de la société. Tous les changements de société qui arrivent, le musée les accompagne. AL : Dans le musée, les visiteurs ont tous leurs Smartphones ou leurs tablettes dans la main. Ce sont des outils qui sont déjà présents dans le musée. Ils y sont entrés avant même qu’on leur dise qu’ils pouvaient entrer. C’est à nous de réfléchir à la façon de les investir intelligemment à des fins d’accompagnement, de médiation ou de loisir même puisqu’on va aussi au musée pour se changer les idées, pour passer un moment agréable, voire pour sociabiliser. Ces outils permettent probablement d’être moins didactiques qu’avec des formats traditionnels de médiation. En revanche je pense qu’on est loin d’avoir trouvé les manières les plus pertinentes d’utiliser ces outils. Pour l’instant, dans toutes les expériences que j’ai faites d’outils numériques dans l’exposition, je n’ai jamais trouvé ça complètement satisfaisant. Pour moi ça reste quand même un écran qu’on ajoute sur les œuvres. Il faut expérimenter pour arriver à trouver un réel apport sans ajouter une gêne qui détourne le regard. Pour le moment je n’ai pas d’idée précise sur l’outil idéal mais je crois qu’il faut expérimenter. KC : Nous on est toujours dans des questions de valorisation de la collection qui n’est pas montrée. Là, si on n’avait pas de contraintes budgétaires, on pourrait faire des murs d’images dans le hall, des dispositifs tactiles qui permettraient de sortir les fiches des œuvres, de créer sa propre expo en déplaçant les choses… AL : La difficulté aussi c’est qu’on est sur du contenu temporaire, donc on expérimente mais pas sur quelque chose de pérenne. Avez-vous une base de données en ligne de la collection ? Oui, notre base c’est videomuseum, qui est pour les collections publiques d’art contemporain en France. On a pour projet d’ici 2015 de participer à la base Joconde. Pour l’instant on n’a que des photos classiques des œuvres, on est loin de pouvoir numériser les œuvres qui en plus sont souvent des installations, donc des supports plus compliqués que des tableaux. Quels sont selon vous les apports de vos outils numériques de médiation par rapport à vos propositions plus traditionnelles ? La web application dans le cadre de l’exposition Erro permet de consulter les contenus quand on le souhaite. Contrairement au médiateur, on peut l’emporter chez soi ! On peut faire les liens et regarder les choses à son rythme, en revanche on ne peut pas poser de questions à l’application. Il y a une vraie complémentarité et des usages différents. C’est bien que les gens puissent avoir accès à des contenus sans avoir recours à une médiation physique. Il faut multiplier les types de médiation pour répondre aux attentes multiples de publics multiples.

Le numérique est-il un vrai enjeu pour vous dans la mission de médiation du musée? AL : Oui, la majorité de notre public est jeune, technophile, et intéressé par les outils de médiation numérique. Il vient au musée avec une attente de quelque chose d’innovant, de créatif, d’un peu high-tech, peut-être plus chez nous que dans d’autres lieux, patrimoniaux par exemple. KC : C’est important de dire qu’on tient beaucoup aussi aux supports traditionnels. La réflexion qu’on mène sur les outils de médiation numérique est menée en parallèle sur les outils papier, les catalogues, etc. Ce n’est pas non plus figé, ces supports classiques évoluent aussi. On ne veut pas non plus forcer le visiteur à être obligé de s’approprier les outils numériques pour avoir accès à une médiation. Tout le monde n’a pas de Smartphone, et tout le monde n’a pas envie. Quelles perspectives imaginez-vous pour le numérique? AL : La médiation en présentiel a encore de beaux jours devant elle. La demande ne fait qu’augmenter, en tous cas dans l’art contemporain. On a toujours besoin d’un échange humain. Mais je pense que la place du numérique va aller en grandissant, logiquement, par rapport au fait qu’on s’adapte à une société. KC : Elle peut aussi stagner, je ne sais pas si les gens continueront de télécharger les applis. Je ne pense pas non plus qu’on ira plus loin. Peut-être que ce sera remplacé par autre chose. Ça peut, comme les audioguides, être en vogue pendant dix ans puis souffrir d’un désintérêt. Est-ce que vous constatez une course à l’innovation ? KC : Il y a un enjeu de proposer avant les autres, mais c’est plus une dynamique. Il y a un échange d’expériences qui n’est pas vraiment concurrentiel. AL : Je pense qu’on a intérêt à mutualiser nos expériences. Ça permet de compenser le manque de budget pour expérimenter. On ne se sent pas obligés de proposer quoi que ce soit. On ne ressent pas cette pression.

Annexe 5

Entretien avec François Boutard (le 02/12/14), Auteur du blog ArtDesignTendance Pouvez-vous commencer par vous présenter et nous parler de votre blog artdesigntendance.com? Quand l’avez vous créé et avec quels objectifs? J’ai démarré mon blog en février 2012, avec l’idée de partager ma passion pour l’art contemporain et le design, de façon à démystifier l’art contemporain. Aujourd’hui je ne suis pas loin de 3000 visiteurs uniques par mois et j’ai une centaine de lecteurs abonnés à ma newsletter. Le blog a été partenaire officiel de la dernière Young International Artists Art Fair. J’ai commencé à m’intéresser au numérique parce que je pense qu’il se passe beaucoup de choses dans les musées en ce moment et qu’il est intéressant d’en parler. C’est pour ça que j’ai commencé une série d’interviews auprès des responsables de communication des musées pour voir comment ils utilisent ces outils. Je mène aussi une veille sur les pratiques numériques des musées. Est-ce que vous diriez que c’est une activité de médiation ? Oui, pour moi ça en est une. C’est un blog de contenu, j’essaye d’apporter des éléments, de mon point de vue d’amateur. Comment décririez-vous la médiation culturelle? Je trouve qu’il y a un manque d’explications dans les musées d’art contemporain. Pour moi les propositions existantes ne suffisent pas pour un visiteur qui n’est pas familier avec l’art contemporain. Je cherche à donner des pistes et à montrer aux gens que les pratiques artistiques ne sont pas très éloignées de leur quotidien. C’est important de montrer que l’art contemporain n’est pas quelque chose de complètement déconnecté de la société, c’est ça qui m’intéresse. Pour vous, quelles sont les priorités de la médiation ? Ce que mes interviews m’ont apprises c’est qu’il ne faut pas oublier que la première mission de la médiation pour un musée c’est de donner de l’information scientifique. Une information qualifiée, correcte, remise à jour, avec un cadre et un contexte. Et je trouve qu’il manque souvent dans les expositions un contexte historique. Souvent l’œuvre d’un artiste s’inscrit dans un temps historique. Ensuite, ce que les musées pourraient faire que moi j’aimerais bien, c’est « si vous avez aimé (…), vous aimerez (…)». Si vous aimez tel artiste et vous comprenez son langage, vous devriez aimer quelqu’un qui est dans une démarche un peu similaire. Ça permet de creuser un peu plus quand on rentre chez soi. Après il y a tout le volet sur le partage, le plaisir par rapport à une œuvre, l’étonnement, etc. Il y a de plus en plus de musées aujourd’hui qui autorisent les gens à prendre des photos et à les partager, ou qui les incitent à mettre en ligne sur leur page facebook leur œuvre préférée de l’exposition. On s’approprie l’œuvre, avec le plaisir de partager quelque chose qu’on a vu et aimé. Pour y mettre quand même un bémol, je dirais qu’il y a un risque de perdre en spontanéité quand on visite une expo avec l’idée en tête du partage de photos par exemple. Il ne faut pas que le Smartphone soit trop envahissant non plus parce que j’ai remarqué que ça a tendance à se faire au détriment de l’attention qu’on peut porter.

Dans les nouveaux dispositifs, moi ce que je trouve intéressant, c’est tout ce qui est réalité augmentée, qui permet de zoomer sur les œuvres. Aussi bien avant une visite pour prêter plus d’attention à l’œuvre quand on la voit, que pendant la visite via une application, pour voir ce qu’on ne peut pas voir à l’œil nu. Avez-vous en tête une idée d’un dispositif ou d’un type d’outil de médiation que vous auriez rencontré et qui vous aurait particulièrement plu ? Je vais vous décevoir, mais avec les veilles quotidiennes que j’effectue sur le sujet, il m’arrive assez souvent d’aller voir une expo et de ne pas télécharger l’application. Parce que je pense avoir suffisamment d’informations en amont et je n’ai pas envie de polluer ma visite avec ça mais de garder une certaine liberté par rapport à ça. Mais je peux vous parler d’un musée qui pour moi fait vraiment un boulot génial et qui est à mon avis un peu la référence en Europe, c’est le Musée National des Pays Bas, le Rijksmuseum. Ils ont tout compris sur le principe de faire vivre le musée à l’extérieur des murs. Leur application, le rijksstudio, permet de visiter les collections, de faire de la réalité augmentée sur les œuvres et surtout ils donnent l’autorisation de télécharger les photos en haute définition et après ils organisent un concours annuel de la personne qui aura fait la meilleure application design en utilisant une de ces images. Je trouve que c’est une idée de génie. En plus le site internet est très bien fait et simple, par opposition par exemple à celui du Centre Pompidou. Je pense que ça doit correspondre à un certain type d’appropriation mais j’avoue que j’ai vraiment du mal. Celui du Rijksmuseum pour moi c’est le top aujourd’hui. On peut imaginer que le modèle du Rijksstudio soit reproduit dans la plupart des grands musées ? A mon avis ça va se faire, mais il faut savoir qu’eux n’ont pas de problème d’appropriation puisque ce sont des œuvres tombées dans le domaine public. Ce volet juridique est un frein important pour les œuvres contemporaines. C’est un point dont il faut tenir compte. Mais je pense que les musées font de plus en plus d’efforts parce qu’ils ont compris que c’était bien que les publics puissent s’approprier les œuvres. Par exemple, le Google Cultural Institute est un intervenant qui va changer la donne en proposant de diffuser les collections des musées et des galeries, de montrer des visites à 360°, etc. Pensez-vous que les outils numériques puissent à terme remplacer la médiation traditionnelle et humaine ? Jamais, ils sont complémentaires. Rien ne vaut une médiation en direct, humaine, parce que souvent les personnes qui font ça sont des gens passionnés. Il faut laisser le choix aux gens, ne pas leur imposer un type de médiation. Il ne faut pas se sentir inférieur ou dépossédé quand on n’utilise pas un Smartphone dans une expo. Il faut s’adapter à tous ses publics. Les musées subissent-ils une compétitivité à propos de l’intégration du numérique, une pression à suivre ce que les autres mettent en place? Non, il n’y a aucun type de pression. Il faut tenir compte du type de collections du musée et de ses publics. Par exemple, le Musée des Arts Décoratifs de Paris m’a clairement expliqué qu’ils commencent à bien connaître leur public, que celui-ci aime déambuler, prendre son temps dans les collections et que pour l’instant ils ont décidé de ne pas proposer une application pour accompagner une exposition. La collection est très historique, le public ne vient pas voir une œuvre spécifiquement. A chaque musée sa médiation puisque chaque musée a sa collection.

Un bon communiquant dans un musée doit se poser ces questions-là, et ces choix ne doivent pas être systématique. En revanche, bien sûr qu’on s’inspire, qu’on regarde ce que font les autres. Inspiration oui, copie non. Ça n’a pas de sens. En tant que visiteur, est-ce que vous voyez souvent des dispositifs numériques ? Quels sont-ils ? Le plus courant que je vois c’est des applications à télécharger gratuitement, qu’on vous propose à l’entrée. Curieusement les QR codes pas tant que ça. Et ce que je vois aussi pas mal, mais ça c’est en amont et après la visite, c’est une invitation sur le site internet à partager ce qu’on a aimé. Pour moi la photo aujourd’hui c’est un élément incontournable de la médiation. Vous avez mené une série d’interviews d’acteurs du développement des outils numériques dans les musées. Avez-vous eu l’impression que ces évolutions résultaient d’une vraie réflexion qu’ils auraient menée sur leur médiation ou leur communication, ou qu’ils en parlaient un peu comme des “gadgets”? Vraiment pas du tout. Non, c’est réfléchi stratégiquement. Le développement de ces outils part d’une vraie réflexion et on n’est plus de l’ordre du gadget parce que ça engage la crédibilité de l’institution. Ça se reflète sur les organigrammes des musées qui changent, en tous cas dans les institutions qui ont des moyens. Un mot de la fin ? Je pense que dans le domaine du numérique, quelque chose qu’on ne voit pas encore en France mais qui va arriver, c’est l’impression 3D. A mon avis ça va révolutionner beaucoup de pratiques, et les musées ont quelque chose à faire avec cette technologie-là. C’est d’ailleurs déjà à l’étude.

Annexe 6

Entretien avec Laurent Chopard (le 02/12/2014), Médiateur culturel et chargé de projet au Musée Gallo-Romain de Lyon, en charge des outils numériques et du développement des nouveaux publics Pouvez-vous nous présenter le service au sein duquel vous travaillez ? Au service culturel, nous avons tous des casquettes différentes. Je travaille depuis dix ans au musée mais on s’est donnés de nouveaux grands domaines de référence à l’occasion d’une réorganisation en octobre. On est tous chargés de projet et on intervenait tous sur des actions culturelles, sur des publics particuliers, scolaires ou autres, et on perdait pas mal de temps. On a essayé de rationaliser tout ça en se répartissant ces publics différents : une personne pour les primaires, une pour les collèges, une pour la programmation culturelle (spectacles, conférences, visites, ateliers, etc.), un poste pour le public en situation de handicap, et enfin pour le public socialement empêché (d’une part champ social et d’autre part prisons, hôpitaux, etc.). Le service culturel est assez peu impliqué dans tout ce qui est muséographie – actuellement c’est le service des expositions qui s’en occupe -, et pas du tout dans le site internet. Le service communication, lui, est en charge du site et de la conception graphique. Mais c’est un service qui tend à disparaître parce qu’avec le passage à la métropole au 1er janvier la communication va être prise en charge en central par la métropole. Il y a également une personne chargée de mission nouvelles technologies, rattachée directement au secrétariat général. On n’a pas tout à fait les mêmes missions, moi c’est plus à destination des publics tandis qu’elle c’est les nouvelles technologies de manière générale, aussi bien l’infrastructure réseau que des dispositifs de visite. [L.Chopard parle de l’élaboration d’un dispositif spécifique dans l’exposition, une maquette de Lyon qui revient sur l’évolution de la ville antique, avec un système de projection sur la maquette et autour.] Ce dispositif-là a été mis en place par cette personne en charge des nouvelles technologies au musée. Le conservateur a eu son mot à dire aussi. Ils ont conçu le dispositif après être allés voir ce qu’on pouvait faire ailleurs. Je trouve son principe intéressant, le problème c’est que ça n’a pas été fait en concertation avec nous donc on n’a pas eu l’occasion de dire que son fonctionnement est beaucoup trop long, donc quand on arrivera avec un groupe on sera obligés d’attendre à nouveau le début car il tourne en boucle. On a eu pas mal de soucis avec parce qu’il ne fonctionne pas, alors qu’il devrait être en place déjà depuis un mois. A prioiri c’est un problème logiciel. Avant qu’il y ait ce dispositif, il y avait la maquette toute seule. Cette ancienne version n’était pas adaptée aux visiteurs non accompagnés, parce qu’il n’y avait pas d’explications dessus. Il fallait un médiateur ou même simplement un agent d’accueil pour l’expliquer. Quel a été le déclencheur pour décider de mettre en place cet outil ? On a accueilli il y a deux ans Muséomix, et à cette occasion avec le conservateur on s’est penchés sur les objets, les thématiques qui étaient difficiles à aborder en médiation et qui méritaient sans doute un travail supplémentaire - numérique ou pas, ce n’était pas la question. A ce moment-là la maquette avait été proposée, un groupe de muséomix avait choisi de travailler dessus. Ils avaient pris l’existante et projetaient juste des éclairages dessus. On cliquait sur le

temple et on avait juste un éclairage sur le temple. C’était relativement limité mais ça permettait quand même un regroupement thématique : on pouvait sélectionner tous les aqueducs, les citernes, etc. Quels étaient ces aspects difficiles de la médiation dont vous parlez ? Par exemple, il y avait la question d’un musée où il y a beaucoup de lapidaires, beaucoup d’inscriptions, ça nous semblait difficile à travailler, donc on l’avait proposée aux muséomixeurs. On a fait développer le système par la suite. On avait proposé la table claudienne parce que c’est un document qui est assez fondateur pour nous, de la collection de la Ville de Lyon. C’est l’inscription d’un discours prononcé par un empereur romain né à Lyon, Claude. Il y avait d’autres objets phares. L’idée était de les rendre plus accessibles directement par un visiteur individuel. On avait aussi proposé de travailler sur l’articulation entre le site archéologique et le musée. Suite à cette visite, combien d’autres dispositifs ont été pensés ? Il y a la table claudienne, la maquette de la rue des Farges et une inscription funéraire qui est assez longue et qu’ils ont complètement transformée en créant une animation avec les lettres, vous verrez ça rend super bien. Donc sur les dix groupes qui avaient travaillé (parfois sur les mêmes objets), trois ont été pérennisés. Ce que j’ai trouvé formidable avec Muséomix, c’est qu’on est dans l’immédiateté complète. On a besoin d’un graphiste, on en a un à côté, d’un développeur logiciel, on a les codeurs qui sont là et qui font les codes pendant trois jours, il y a une découpe laser, un système d’imprimante 3D, on avait tout à disposition pendant trois jours et on a travaillé sur des rythmes fous, de 6h du matin à 23h/minuit pendant trois jours. Et en trois jours on a réussi à monter des dispositifs opérationnels. C’était des prototypes, après il a fallu un peu plus de temps pour les construire en vrai mais ça a été relativement rapide. Par rapport à vos publics, est-ce que vous pouvez dire que ça a apporté une plus-value ? Oui, en tous cas au moins deux. La table claudienne j’ai plus de mal. L’idée qu’avait eu l’équipe était de remettre le texte inscrit dans la lignée des grands discours politiques sur la liberté. Quand on s’approche, on a une Kinect qui détecte à quel endroit vous êtes et qui déclenche un défilement de textes contemporains (Martin Luther King, Zola, Voltaire, Montesquieu), puis à la fin, on entend un enregistrement du discours de l’empereur récité. Au temps de Muséomix, ils avaient complété ce dispositif avec une dropbox qui permettait de récupérer les fichiers des discours. Je trouve que la démarche n’est pas forcément très facile à comprendre. S’il faut tout lire c’est trop long, et le fonctionnement du dispositif numérique n’est pas très clair. Est-ce qu’on peut dire que c’est un dispositif de médiation numérique ? Ça devrait être de la médiation numérique, puisque ça devrait être un moyen de mieux comprendre qu’on a à faire à un discours, et que c’est un discours politique, etc. Mais est-ce que ça fonctionne, ça… il faudrait faire une étude de public. Comment est-ce que ça a été financé ? L’avantage est que le concept était gratuit puisque le système de Muséomix c’est de l’open data, le musée n’a eu à financer entre guillemets que la réalisation concrète. Après, il y a eu quand même des ajustements, et Muséomix ne propose pas ça pour rien, en termes de codage, etc.,

on a fait travailler les gens qui étaient capables de faire le lien entre les deux. C’est le musée qui a payé, je ne saurais pas vous dire quel montant ça représente. Est-ce que vous recevez des subventions pour mettre en place ce type d’outils ? Pas tellement, en fait on ne reçoit pas beaucoup de subventions. C’est le département qui nous finance, et qui du coup finance ce genre de choses. Mais c’est vrai que le département a une cellule de dispositifs innovants qui s’appelle ERASME, donc on a travaillé avec eux, c’est pour ça qu’on a accueilli Muséomix ici. Ils sont plutôt dans l’expertise que dans la fabrication. Ils savent ce qui existe, ils nous ont accompagnés, par exemple pour monter les cahiers des charges pour certains achats. Est-ce que vous êtes amenés à rechercher des financements privés ? Au musée le mécénat qu’on a est anecdotique. Mais on recherche de plus en plus le mécénat de compétence, et tout le monde s’y retrouve. Par exemple pour la dernière Nuit des Musées on avait des robots de la société Awabot qui simulent le présentiel, avec un écran, sur roulettes, qu’on peut piloter à distance, et donc on travaillait avec le service de pédiatrie d’un hôpital de cancérologie, avec la bibliothèque de Givors et puis à Paris à la Cité des Sciences et au Grand Palais. Donc un public empêché pour des raisons géographiques, sociales ou de santé avait accès à l’événement. Pendant quatre heures j’ai fait des visites à des robots ! C’est intéressant parce que ça provoque de nouvelles interactions dans le public. Les gens, étonnés par la présence des robots, engageaient le dialogue. C’est intéressant parce que c’est rare. Quel est le profil de votre public ? Un peu comme les autres musées, quoiqu’on a quand même pas mal de public familial. Sinon c’est CSP+, et 50 ans et plus. Sauf lors d’événements comme la Nuit des Musées où on est ouverts jusqu’à 1h du matin. De 19h à 21h30, on a les familles, et après arrivent les jeunes adultes. C’est un public qu’on a très peu autrement. On a fait un défilé de mode dans le musée en février dernier, là on a eu un public jeune. Mais c’est vraiment ponctuel. [L.Chopard présente la maquette « Quartier de la rue des Farges ».] Cette maquette présente un site qui a été fouillé près du musée. Ils l’ont appelée « bruits de quartier ». On y voit les thermes et puis des boutiques, des habitations. Pour pallier à l’aspect froid, vide, ils ont imaginé un système : il y a une tablette dedans qui repère certains points, et quand on est au-dessus de l’un d’eux ça déclenche une animation sonore. Ça attire l’œil, les gens viennent assez vite. Mais on n’a pas vraiment de retours du public. Depuis que vous êtes chargé des outils numériques, quelles orientations pensez-vous prendre? Le personnel du service culturel se réduit, on est médiateurs et chargés de projets, on fait aussi des visites et des ateliers. Donc on a besoin de plus en plus de développer des visites en autonomie. On est en train de travailler sur un scénario sur tablette, on pourrait fournir des tablettes aux enseignants à l’entrée pour qu'ils puissent avoir un minimum de données pour mener leur groupe, savoir où se diriger et sur quoi mettre l’accent. A la réservation, on leur proposerait un document voire un accès à une page web qui leur permettrait de visualiser l'ensemble et ce qu'il va falloir faire, qu’il y ait une partie téléchargeable pourquoi pas ou qu’ils prennent des notes à la main, et à l’arrivée au musée, on leur laisse la tablette.

Vous avez des audioguides depuis quatre ans. Envisagez-vous de les faire évoluer ? On l’envisageait, mais d'abord plutôt pour des “publics spécifiques” : des publics en situation de handicap en particulier. D'abord essayer de développer un visioguide. On avait pensé aussi à des géolocalisations mais ça ne marche pas dans le musée. On n’a pas plus de développement que ça. On a développé les langues petit à petit, maintenant on en a une dizaine. On sait qu’on a encore des possibilités, rien qu’avec ce qu’on a, de faire autre chose. On y réfléchit au niveau du contenu. On pourrait rajouter de la musique, des interviews, etc. Mais l'amélioration reste limitée à l'audio. Il y a cinq ou six ans, on avait eu une exposition du futur Musée des Confluences dans nos murs, et à cette occasion ils prêtaient des tablettes aux visiteurs. Ils avaient des objets à retrouver dans les vitrines, à la fin ils avaient les pièces d’un puzzle, etc. Mais on s'apercevait que le public ne regardait plus du tout ni les textes, ni les objets, ils cherchaient uniquement les objets qu’ils avaient à trouver. Du coup on a perdu complètement le discours de l’exposition puisque on n’avait pas la diversité des collections du Musées des Confluences, on était juste passé d'un objet à l'autre sans avoir forcément le lien entre les deux, si ce n’est parfois une interview d’un spécialiste. La démarche de l’exposition était gommée au profit du jeu. [L.Chopard présente une inscription funéraire.] C’est une pièce qui n’est pas très facile à appréhender. La vidéoprojection permet d’avoir en français le texte qui au départ est en latin, et puis de développer une animation sur ce texte. Ils l’avaient appelée « Story Steling ». On s'approche, le dispositif capte votre présence et la vidéo démarre. Au début, le texte en français était écrit sur un cartel à côté mais les gens ne le lisaient pas. Là ça interpelle. C’est pour tous publics. Le problème ici, c’est sa visibilité, c’est-à-dire que les gens ne comprennent pas forcément qu’il y a quelque chose à voir, la visite de l’exposition est relativement longue et on arrive ici au bout. Mais vous n’avez pas encore de retours sur la pertinence des dispositifs ? On a une personne qui est chargée de l'évaluation mais je ne sais pas du tout où elle en est. (…) J’ai l’impression que le numérique est une priorité pour vous. Oui, tout à fait. Il ne faut pas que ça reste une vitrine. La question est dans l’articulation entre le discours, les objectifs qu’on s’est fixés… Ça demande une évaluation que pour le moment on n’a pas.