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LE MANIFESTE La pédagogie humaniste

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Alexandre ADAMSKI, directeur de recherche à Evrika, Institut de la Politique éducative

Alexandre ASMOLOV, académicien (Académie russe de l’Enseignement), chef de la chaire de la Psychologie de la personnalité à l’Université Lomonossov de Moscou, directeur de l’Institut fédéral du Développement de l’enseignement (FIRO)

Alexandre ARKHANGELSKI, écrivain, critique littéraire, professeur ordinaire à l’Université de recherche internationale, École supérieure d’Économie

Isaac FROUMINE, directeur de recherche à l’Institut de l’Enseignement de l’Université nationale de Recherche, École supérieure d’Économie, enseignant émérite de la Fédération de Russie

Dima ZITSER, directeur de l’Institut de l’Enseignement informel (INO)

Anatoli SPERCH, professeur de mathématiques, expert de la Ligue scolaire

Vladimir SOBKINE, académicien (Académie russe de l’Enseignement), directeur de l’Institut de la Sociologie de l’enseignement près l’Académie russe de l’Enseignement

Igor REMORENKO, recteur (président) de l’Université pédagogique d’État de Moscou

Elena HILTUNEN, expert de l’Association des pédagogues Montessori de Russie

Tatiana KOVALEVA, président de l’Association interrégionale de Tutorat, chef de la chaire de l’Individu et du Tutorat à l’Université pédagogique d’État de Moscou

Mikhaïl EPSTEIN, directeur général de la Ligue scolaire

Elena OUCHAKOVA, professeur de l’École du Dialogue des cultures

Pavel LOUKCHA, professeur de pratique à l’École de gestion de Moscou SKOLKOVO, membre du Conseil d’expertise de l’Agence des initiatives stratégiques

Sergueï VOLKOV, professeur de lettres, école n° 57 de Moscou, rédacteur en chef de la revue Literatoura (1er Septembre), membre du Conseil social du ministère de l’Enseignement et des Sciences

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En octobre 1986, des enseignants qu’il était alors convenu d’appeler des «novateurs» se réunirent à Pérédielkino, dans la région de Moscou.

Il s’agissait de pédagogues qui, à la fin des années 1950, s’étaient engagés dans une pratique scolaire inhabituelle: Victor Chatalov (le concept des signaux de référence), Sofia Lyssenkova (le concept de l’apprentissage par devancement), Chalva Amonachvili (l’étude sans contrainte), d’autres encore.

Leurs idées, expériences et résultats se reflétèrent dans un texte que Simon Soloveïtchik appela la Pédagogie de la coopération en formulant le principe majeur de la nouvelle école: la coopération de l’enfant et de l’adulte comme base du succès et de la réussite scolaire.

La Pédagogie de la coopération s’appuyait sur les écrits de psychologues soviétiques L. Vygotski, D. Elkonine, V. Davydov, ainsi que des pédagogues V. Soukhomlinski et I. Ivanov.

Dans les années 1990, de nombreux pédagogues inspirés par la Pédagogie de la coopération se mirent à élaborer leurs propres projets d’enseignement, écoles, réseaux d’innovation, et se lancèrent dans la politique éducative avec de nouvelles idées, de nouveaux plans.

Nombre d’entre eux participèrent activement aux changements du champ scolaire, en tant qu’enseignants, chercheurs, gestionnaires, experts; presque trente ans après l’apparition de la Pédagogie de la coopération, nous, auteurs du Manifeste, nous sommes associés dans un Réseau pour réfléchir à la façon dont l’école avait changé pendant ce temps, et aux idées motrices de l’enseignement actuel.

Le monde change vite.

Technologiquement, socialement, économiquement, psychologiquement, culturellement. Changent même les modèles de changement. Fini, les trajectoires et les schémas conventionnels, tout est désormais imprévisible et dynamique.

L’école change lentement.

Elle est en retard sur notre temps. Et les conséquences touchent tout le monde. Ou bien l’école prépare l’individu aux changements, l’initie à la dimension pluridirectionnelle des transformations en cours, ou bien elle laisse le jeune diplômé seul devant le nouveau et l’inattendu. Souvent, les conséquences de ce blocage sont déplorables: la nostalgie du passé, l’allergie au neuf, le refus du développement, la divination de l’idée de sécurité (non comme condition de vie normale, mais comme finalité unique!). Nous assistons à un rejet de la liberté, à un reflux de l’élément archaïque, à une consolidation par la peur, à une quête d’ennemis et de coupables. Les problèmes s’accumulent. Les politiques, les gestionnaires, certains enseignants tentent de les résoudre mécaniquement: en ajoutant de nouvelles disciplines à l’emploi du temps, en entérinant les connaissances

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à l’emploi du temps, en entérinant les connaissances obligatoires sous forme de standards, en promouvant l’idée de manuels uniques (de base), en renforçant les contrôles, en éliminant la diversité, en créant des monopoles pour fournir à l’école des manuels, des uniformes, n’importe quoi d’autre. Résultat: le désintéressement des enfants; les gestionnaires tremblent dans l’attente des prochaines commissions; les enseignants sont écrasés par leur obligation de rendre compte, ils n’ont tout simplement plus le temps de s’occuper des enfants.

Les fonctionnaires ou les politiques ne sont pas les seuls coupables. L’opinion elle-même est dans un état d’esprit conservateur. Beaucoup s’imaginent que si l’on revient à l’expérience soviétique, tout s’arrangera. C’est un leurre.

Nous avons décidé de proposer — aux enseignants, aux parents, à tous les citoyens intéressés dans le développement de l’enseignement — un modèle alternatif d’école de demain pour élargir l’idée que l’on se fait du chemin qu’elle peut prendre.

Nous, enseignants, gestionnaires, chercheurs et experts qui partageons les vues de la Pédagogie humaniste, la pédagogie de la dignité, nous exprimons la certitude que la société est capable d’aller de l’avant en s’appuyant uniquement sur sa foi dans l’homme, dans la culture de la dignité. L’instruction est une grande force. Elle est capable de former une nouvelle génération qui n’aura pas peur du temps présent et qui saura répondre aux défis de l’avenir. Fondé sur l’humanisme, sur «la réalisation de l’individu par lui-même» dont parlait Pouchkine, l’enseignement permettra à l’enfant de se réaliser. Pédagogie de la coopération, c’est la pédagogie de l’espérance. Notre manifeste humaniste vise à consolider le pays d’une manière créative.

Le nouvel objectif de l’école est d’apprendre à apprendre toute la vie

En ces temps de changements accélérés, beaucoup recherchent des îlots de stabilité. Les uns, dans l’expérience soviétique du contrôle total: à l’époque, disent-ils, le niveau de l’enseignement était supérieur. Les autres, dans le diktat actuel de la gestion: dans notre pays, disent-ils, pas d’autre solution. Souvent, ils opposent la conservation d’un espace éducatif unique à la pluralité des options.

C’est pire qu’une erreur. Le diktat de la gestion ne fait que provoquer une inflation de paperasse. Quant à la tentative de mettre l’école dans un même moule, elle est grosse de dangers.

Le monolithe est instable; quand le temps s’accélère, seul un modèle souple est capable de résister.

Aussi, la réponse au défi de notre époque dynamique s’impose à l’évidence: la diversité en tant que norme. Seule celle-ci peut garantir l’individualisation de l’enseignement, l’approche personnelle sans laquelle l’école se transformera en une institution de violence morte et totalement inutile. Il serait pour le moins naïf de fonder ses espoirs sur des documents standardisés, des méthodologies de type unique, un «régime langagier» commun, des manuels, des emplois du temps et des programmes valables pour les quarante mille écoles de Russie. Et dans le pire des cas, ce serait dangereux. Seule la diversité des programmes, des écoles, des manuels, des méthodologies, des pratiques enseignantes donnera des chances égales à des enfants différents aux capacités, inclinaisons et possibilités différentes dans les différents villages, villes et régions.

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Les objectifs de l’école changent. Si hier l’école avait l’obligation de préparer à la vie, aujourd’hui il n’est plus possible d’étudier durant les vingt-cinq premières années de sa vie pour appliquer ensuite des connaissances toutes faites. La nouvelle réalité consiste dans un apprentissage qui dure toute la vie d’objectif en objectif, d’expérience en expérience.

Nous exprimons la conviction que l’école est capable d’apprendre à apprendre en toute autonomie, de s’assigner à elle-même des objectifs d’apprentissage, de développer la compétence principale, à savoir le renouvellement permanent des compétences!

Dans cette école, la figure centrale est… l’enfant lui-même, sa motivation, ses choix. La tâche de l’enseignant est d’aider l’élève à mettre en valeur ses besoins, à choisir son chemin; c’est d’œuvrer à sa progression sur ce chemin.

La voix de l’élève est indispensable pour définir les objectifs et les moyens d’enseignement. Cela implique non seulement des droits égaux, mais aussi des obligations contractées conjointement. Petit à petit, pas à pas, l’élève répond de plus en plus de ce qui se passe, de son développement personnel et de l’espace qu’il habite: sa ville ou son village, sa région, son pays et la planète dans son ensemble. L’école forme ainsi une représentation du monde, un système de valeurs qui l’y incite. Mais elle propose à l’élève certains outils tout prêts, bien que l’essentiel soit d’apprendre à en créer de nouveaux pour résoudre la tâche assignée.

Néanmoins, le processus est freiné par une gestion hypercentralisée des écoles, bureaucratisée à outrance, construite sur un contrôle drastique et l’obligation sans fin de devoir rendre compte. Quarante mille d’écoles attendent tristement l’ordre — le même pour toutes — de transformer la façon de faire et la méthodologie: «L’expérimentation est servie!» Mais qui réagit de la façon la plus rapide et adéquate aux changements? Le personnel de l’école ou l’administration à Moscou? La réponse est évidente.

Le vieux principe soviétique «Si tu veux vivre, sache te soumettre» et la formule triviale «Si tu veux vivre, sache te débrouiller» sont supplantés par la formule «Si tu veux vivre, sache apprendre».

Le passage à l’écosystème de l’enseignement personnel de masse

En vérité, le domaine de l’enseignement scolaire ne se soumet plus à des décisions centralisées prises par une seule personne ou même un groupe de personnes. Non qu’il y ait un sabotage, mais parce que ce modèle archaïque est impuissant. Plus dur est le système vertical de gestion, moins les processus sont gouvernables. Les investissements dans l’école s’accroissent alors que la satisfaction de l’enseignement chute!

Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas, qu’il n’y aura pas d’approche commune ni d’espace éducatif unique. Il doit exister des stratégies évidentes pour tous; l’une d’elles consiste en un lien direct entre les compétences acquises à l’école et les marchés du travail. Mais ce qui est inadmissible, c’est la standardisation trompeuse en vertu de laquelle l’élève doit se plier à un schéma éducatif plutôt que d’adapter le schéma à l’élève.

Nous sommes à un doigt de l’époque où l’enseignement de masse et personnel sera construit selon des trajectoires individuelles, des programmes personnels qui seront mis en œuvre dans le respect des motivations, des capacités personnelles et des besoins de l’individu à chaque étape de son développement.

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Nous sommes à un doigt de l’époque où «l’apprentissage à vie» (lifelong learning) deviendra une réalité, où l’apprentissage accompagnera l’individu à tout instant, de la naissance à la fin de ses jours.

Nous sommes au seuil d’un essor explosif de serveurs «hors système» qui fonctionnent sur la base de nouvelles technologies, à distance, en usant d’une réalité enrichie, en créant des univers ludiques… L’apprentissage en ligne, ce ne sont pas des clips sur YouTube. Imaginez votre propre univers féérique tel qu’un Cirque du Soleil ou un ballet au Bolchoï, un cinéma 7D entièrement orienté sur vos goûts individuels. Tel sera l’enseignement en ligne dans seulement quelques dix ou quinze ans.

Grâce à l’époque inéluctable du pluralisme, de la diversité, de la multiplicité des options, les approches communes se feront jour d’elles-mêmes, comme cela se produit sur des marchés financiers où agissent des centaines de milliers de courtiers, chacun dans le cadre de sa propre stratégie, mais selon des règles communes. L’économie est un exemple de système auto-organisé.

Autre exemple d’auto-organisation naturelle, les écosystèmes tels que les forêts de la Russie moyenne. Elles ne connaissent aucun type de centralisation, mais chaque élément s’y trouve corrélé à un autre. Dans le système social, la concertation mutuelle des priorités, l’harmonisation des stratégies, des buts et des volontés relèvent non pas de la gestion verticale, mais de tous ses acteurs. En s’engageant dans la voie des stratégies concertées, ceux-ci pourront agir dans l’intérêt commun sans se détruire les uns les autres, mais au contraire en se soutenant.

À cela nous incite la pédagogie humaniste qui est née voici plus de cent ans. Le grand mouvement pour la coopération des adultes et des enfants se manifestera encore plus d’une fois. Ce n’est pas un hasard si la nouvelle loi sur l’enseignement soutient l’activité développante et conjointe des enfants et des adultes, activité scellée par leur compréhension mutuelle. Mais, pour incarner ces principes humains, l’école doit respecter certaines conditions qui sont loin d’être toujours évidentes.

L’enfant dans le monde de l’incertitude

Les enfants d’aujourd’hui se montrent capables de résoudre cent problèmes et tâches de nature différente, souvent incompatibles, qui mobilisent simultanément l’attention sur plusieurs choses: ils manifestent une capacité stupéfiante d’accomplissement des tâches multiples. Et ce pendant que l’école, à l’ancienne, exige de l’élève la résolution scrupuleuse de problèmes cloisonnés.

L’enfant d’aujourd’hui ne cesse de cultiver une communication multifréquence. Il appréhende le monde comme un système complexe ouvert. Il dialogue en permanence avec ce monde, de même qu’avec autrui et lui-même. L’école, cependant, continue de proposer une seule fréquence de perception, un monologue autoritaire.

Les enfants appréhendent moins l’information qu’ils ne vivent dans son flux. Il est impossible de se soustraire à ce flux-là. Les gens du XXIe siècle ont besoin de filtres pour trier l’inutile, le douteux, le dangereux. Ils ont besoin de navigateurs et de cartes d’orientation pour choisir la meilleure stratégie de progression. Or l’école propose une vision du monde bien arrêtée, une conception toute faite et immobile. Et ce dans un contexte où pratiquement chaque connaissance est sujette à vérification. Vérifier ce qu’on entend pendant la leçon, ce qui est dit, c’est non seulement possible, non seulement important, mais aussi très intéressant.

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intéressant. Cela seul permet de créer une motivation éducative, l’enfant d’aujourd’hui en se posant de plus en plus de questions: dans quel but? au nom de quoi? et pourquoi?

L’enfant nouveau, aujourd’hui comme hier reste vulnérable. Il croit au monde adulte et souffre de constater le mensonge.

L’école de l’apprentissage passionné

Nous avons le devoir de trouver un modèle d’école qui inspire les enfants, les enseignants, les parents, les tuteurs, les partenaires, et pour la création d’une réalité nouvelle.

Sur quels principes la nouvelle école reposera-t-elle? – Globalité et identité; – L’apprentissage toute la vie; – Diversité, multiplicité des options, apprentissage développant; – L’école comme centre d’enseignement ouvert et centre de communauté local;

– Culture de la coopération et de la dignité; – L’enseignant, tuteur, navigateur dans un océan d’information, créateur de motivation pour l’apprentissage; – Priorité de la motivation sur la contrainte; – Autonomie de l’école et liberté de l’enseignant; – Ouverture de l’école et association des parents en tant que partenaires; – Politique éducative institutionnelle au lieu d’un système de commande administrative verticale de l’école.

Le principal objectif de la nouvelle école est d’initier à une interaction ramifiée avec le monde, avec la connaissance, avec soi-même, par suite de quoi se fait jour le tableau sémantique du monde.

Condition principale: que l’on se fonde sur l’intérêt personnel de l’élève et de l’enseignant, sur leurs motivations en appliquant la formule: l’intérêt, c’est le tremplin de la cognition.

Du modèle des relations concurrentielles (entre les élèves, les classes, les tranches d’âge), nous proposons de passer à un modèle de coopération, de collaboration. C’est-à-dire d’édifier une pédagogie humaniste autour d’actions conjointes visant à un résultat commun, mais accompli sur une base volontaire individuelle. Ce qui compte, ce n’est pas l’adéquation de l’élève au système et aux critères, mais la précision et la teneur de ces derniers. Sur quel modèle contemporain l’école peut-elle et doit-elle se fonder? Ils sont nombreux et diversifiés.

L’école, laboratoire d’étude de la vie

Dans cette «école», l’enseignant ne se présente ni comme un transmetteur de connaissances ni comme un contrôleur-noteur, mais comme un pédagoguechercheur, un créateur de motivations pour un apprentissage indépendant, un grand conseiller, un aîné de l’élève. Autrement dit, dans une langue savante, organisateur d’une activité d’apprentissage libre, dont la fonction principale

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un organisateur d’une activité d’apprentissage libre, dont la fonction principaleest de développer des mécanismes d’assimilation universels.

L’école, espace d’autodétermination des enfants et des adultes

Cette école est appelée à créer les conditions d’une croissance éducative de l’élève, d’une autodétermination personnelle. En gravissant les degrés de l’âge, il choisit individuellement à chaque fois la trajectoire de sa formation. Le maître l’aide à assimiler en toute autonomie les rudiments de la science et de la culture.

L’école, espace de dignité, plateforme de coopération des adultes et desenfants

La pédagogie humaniste prend l’individu pour valeur suprême. Pour une telle école, l’essentiel est d’affirmer et de développer la dignité de la personne, de protéger ses droits et libertés, de révéler le potentiel de son unique individualité, des capacités et dons de chacun, et d’orienter cette richesse unique vers le bien d’autrui et de la société dans son ensemble.

L’école, l’espace de respect et de confiance

Aujourd’hui, la mission de l’enseignant n’est pas seulement la transmission directe de l’expérience de la vie et des connaissances à un enfant ingénu, dans une forme pour ainsi dire «tout emballée», comme si l’enfant lui-même n’était pas capable de les atteindre faute d’expérience. L’individu apparaît sur terre pour chercher, étudier, assimiler son environnement et améliorer le monde sur la base de l’expérience acquise. Nous devons respecter les enfants et leur faire pleinement confiance. Et soutenir les initiatives réelles d’humanisation de l’espace de l’école.

L’école comme Technoparc

L’un des modèles possibles de la nouvelle école fait appel aux idées et principes de STEAM (intégration des sciences autour des technologies, de l’ingénierie, de la pensée artistique, de la création et de l’entreprise collective). Dans la nouvelle école, tout comme dans un Technoparc bien réel, les enfants doivent éprouver de l’intérêt et de l’aisance à l’étude, pour découvrir de nouvelles choses et rendre ces nouvelles choses accessibles à autrui.

Ce ne sont là que quelques directions possibles. Si nous les présentons artificiellement comme distinctes, les unes des autres, tous ces modèles, dans une école réelle, doivent se compléter les uns les autres quand bien même ils se manifesteraient différemment dans chaque école. Ils ont ceci de commun qu’ils visent non seulement à donner des connaissances concrètes, mais aussi à développer des mécanismes universels de choix, d’interaction, de réflexion; ils apprennent à comprendre les besoins de l’élève, lesquels, quand et pourquoi, à comprendre où et comment acquérir la bonne information, comment mettre ses propres dons au service de la société.

L’enseignant libre

Aujourd’hui de nombreux enseignants vivent un drame: ils aspirent à la création pédagogique alors qu’en réalité ils sont réduits à la fonction d’entraîneur dans leurs disciplines.

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leurs disciplines. Il importe de redéfinir la place de l’enseignant dans l’école et dans la vie, de lui proposer un rôle raisonné.

Quels peuvent être ces rôles?

L’enseignant-modérateur. Les élèves doivent apprendre la coopération, ils doivent savoir exprimer leur position, écouter attentivement l’autre. Donc, un modérateur de plateforme de discussion s’impose comme étant d’une utilité vitale. La capacité de modérer relève d’un art spécial. Le modérateur écoute chacun, il attise le débat par des questions, mais n’impose pas sa propre interprétation d’une manière trop directive.

Sans en avoir l’air, il pousse les intervenants à des conclusions communes. Ce rôle est incompatible avec l’autoritarisme du pédagogue qui énonce des jugements définitifs sur le juste et l’erroné.

L’enseignant-tuteur. Il s’appuie d’abord sur les inclinations, le potentiel, les capacités de l’enfant; il sait trouver l’élément le plus porteur de succès pour l’élève, et c’est là-dessus que repose son programme éducatif. En s’appuyant sur le succès, ce pédagogue développe l’enfant jusques et y compris dans les domaines où il est encore faible, obtenant des résultats non par des contraintes, mais par la passion et la réussite.

Organisateur de projets. L’enseignant cherche un objectif intéressant à remplir dans le monde environnant, il planifie le travail de projet et développe une recherche créatrice avec les élèves. Il n’apporte pas de réponses, mais pose des questions et suscite une quête vivante de réponses par le biais du projet d’apprentissage; il rapproche l’école de la communauté locale.

Pédagogue-joueur. Le jeu n’est pas seulement un moyen de bien passer son temps ni même un moyen de distraire les élèves, c’est la possibilité d’expérimenter en profondeur n’importe quel sujet, de cultiver en soi-même la connaissance. Le jeu suscite tout un éventail de rôles: il faut le travailler, l’animer, remplir les fonctions des personnages. En ce sens, les technologies ludiques actuelles ne présentent pas de menace pour la pédagogie, mais plutôt une possibilité supplémentaire de développement de l’enfant.

L’enseignant-expert en sa discipline. C’est un professionnel de haut niveau qui comprend les particularités du développement de l’enfant en fonction de son âge et qui se montre remarquablement compétent dans son domaine de spécialité.

Dans la réalité, l’enseignant utilise tous ces rôles dans différentes situations et dans une mesure inégale.

Il ne faut pas avoir peur de l’espace virtuel. Dans l’approche humaniste, la machine se doit de rester machine, et l’homme se doit de rester tel. Dans le processus d’apprentissage, tout ce qui relève du standard (de la routine, du répétitif) peut être exécuté par un ordinateur, alors que le maître doit se concentrer sur l’interaction créative et interpersonnelle. Rien n’est plus valeureux que la joie de la communication humaine et la possibilité de créer, de connaître ensemble: le voilà, le contenu majeur du travail pédagogique vivant. Au XXIe siècle, la pédagogie de la coopération ne peut être réalisée et multipliée qu’avec l’appui des outils technologiques de pointe. Loin d’écraser, ceci renforce le facteur personnalité dans le travail de l’enseignant, un intérêt vivant pour la matière, pour l’élève, pour le dialogue. C’est là une condition sans alternative. Et c’est contraire au «système-usine» d’enseignement, à commencer par la formation des enseignants eux-mêmes.

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Nous exprimons la certitude que, dans la nouvelle école, chaque enseignant considéré séparément et l’équipe enseignante considérée dans son ensemble sauront trouver le moyen de communiquer directement avec les élèves qui le trouveront intéressant et qu’il trouvera intéressants.

Dans le système éducatif écologique, le rôle des chercheurs en méthodologie et des auteurs de manuels est conservé et même renforcé. Ils assurent une fonction de soutien, exactement comme l’apprentissage en ligne.

Aujourd’hui, l’enseignant n’explique pas tant la matière, il n’apporte pas tant aux élèves une nouvelle information (chose que Google fait très bien pour lui) qu’il applique sa capacité de motiver les élèves, de construire des relations entre eux, d’organiser un environnement éducatif dans lequel la recherche créative et l’assimilation des contenus d’enseignement deviennent possibles.

La possibilité de choisir en toute autonomie le contenu d’enseignement est une chose importante pour le nouvel enseignant.

Comment apprendre à l’enseignant

Il est plus efficace de former de tels enseignants — de même que les représentants de tout autre métier créateur — dans des ateliers où la création a sa part. C’est de cette façon qu’ils apprendront à identifier leur propre intérêt et celui d’autrui, à créer des programmes d’auteur, à comprendre les enfants avec lesquels ils travaillent et à soutenir chaque enfant dans son groupe.

La méthode classique de formation de l’enseignant selon le principe «de la théorie à la pratique», avec l’obligation d’assimiler un nombre fini de méthodes d’enseignement entérinées par les établissements du supérieur — cette méthode est révolue. La scolastique des manuels de pédagogie du supérieur, le bachotage et l’ergotage ne permettent plus aux enseignants de demain de trouver la bonne approche à l’égard des enfants.

D’un autre côté, un large diapason de compétences pédagogiques est désormais utile bien au-delà du champ de l’enseignement. Les mécanismes de communication, la capacité de formuler correctement un problème, d’assigner une tâche, de se faire comprendre, tout cela revêt de l’importance dans les sphères les plus variées d’activité: le choix du personnel, l’organisation de sa remise à niveau professionnel, les prestations du consulting, la gestion et la direction, les relations publiques. Résultat, les pédagogues formés professionnellement peuvent travailler bien en dehors de l’école. En même temps, dans la formation proprement dite de l’enseignant, on peut utiliser autre chose que le potentiel de l’institut de formation pédagogique. Les trajectoires alternatives de formation des enseignants sont de plus en plus prisées: diplômes pédagogiques supérieurs et masters spécialisés; diplômes spécialisés supérieurs et masters pédagogiques, différents cours de remise à niveau des compétences permettant aux enseignants d’assimiler des méthodes de travail avec les enfants doués, les enfants handicapés, les enfants des familles d’immigrés; le recours aux technologies d’information sans cesse changeantes. On gagne en efficacité dans le cas de figure de trajectoires professionnelles panachés qui diversifient par exemple le travail à l’école, dans une autre pratique relevant des humanités, puis de nouveau à l’école, dans la gestion, dans la recherche, puis de nouveau à l’école, le reste à l’avenant. Voilà qui ouvre l’enseignement à d’autres sphères d’activité modernes, permettant d’emprunter et d’assimiler de nouvelles technologies éducatives issues de différentes pratiques humanitaires,

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humanitaires, permettant aussi continuellement de perfectionner les méthodes de travail, d’exploiter les tout derniers équipements.

L’enseignement pédagogique est sorti des cadres de l’école. Musées, bibliothèques, clubs, projets internet et autres pratiques humanitaires font désormais partie intégrante de l’école.

L’école sort de ses propres cadres

Dans la politique éducative, dans les rapports entre les gens et les institutions, on constate des changements notables.

La jeunesse aspire à travailler dans l’enseignement, mais elle évite l’école.

De plus en plus, les jeunes gens organisent différents projets pédagogiques (auxquels ils participent) en dehors des cadres de l’école d’enseignement général traditionnel. Ils acquièrent de nouvelles compétences d’enseignement fondamentales à l’extérieur du cadre de l’enseignement pédagogique traditionnel.

C’est un symptôme positif pour la société dans son ensemble. Cela signifie qu’il y a des noms sur lesquels s’appuyer dans les réformes imminentes. Mais cela signifie aussi qu’il faut chercher des réponses à des questions de la plus haute importance:

– Comment soutenir les projets nés d’une initiative pour qu’ils se développent, qu’ils soient suffisamment solides, qu’ils deviennent un espace d’apprentissage et de pratique pour une jeunesse de plus en plus nombreuse, intéressée à cela?

– Comment obtenir la reconnaissance de nouveaux modes de formation de futurs pédagogues en dehors des cadres du système d’enseignement supérieur traditionnel?

Plusieurs voies sont possibles. Sur le modèle des incubateurs de business: élaboration d’un système d’incubateurs pédagogiques. Lancement d’ateliers éducatifs dans lesquels un maître renommé en matière de pédagogie constitue un groupe de jeunes pour un projet éducatif.

De plus en plus de parents ne confient plus leurs enfants à l’école.

Il est de plus en plus fréquent que l’école d’aujourd’hui ne satisfasse pas les adultes et les enfants. Or, derrière tout rejet, il y a de la recherche! On voit se renforcer notablement le mouvement du «homeschooling»: les parents retirent les enfants de l’école et tentent de tracer des parcours autonomes pour leur éducation. Il leur faut une école où chacun progresse à son propre rythme. Une école dans laquelle l’étude s’unisse à la pratique et corresponde à l’âge psychologique de l’enfant, où les processus d’apprentissage s’appuient sur les intérêts d’un élève donné, où les écoliers sachent s’entendre, poser des normes et se respecter. Quand de telles écoles existent, les parents se montrent volontiers coopérants.

Ainsi le futur entre-t-il dans notre vie en assignant ses tâches:

– l’édification d’un nouveau système d’initiation pédagogique des parents;– le soutien infrastructurel de l’enseignement à la maison.

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Nous exprimons la certitude que la standardisation totale de l’enseignement et le «tout contrôle» n’ont pas fait leurs preuves. L’établissement d’un standard dans les différentes disciplines ne garantit pas la formation d’un tableau cohérent du monde. La dissociation des matières scolaires, d’une part, et des unités de connaissances, d’autre part, est effectuée avec brio. Mais, à l’inverse, aucun programme par matière, aucune école ne peut effectuer le remontage dans l’autre sens d’un tableau consistant du monde.

Résultat, les ressources de l’enseignement personnel complémentaire se révèlent souvent plus efficaces que celles de l’enseignement principal. La demande personnelle d’apprentissage devient plus notable que la demande officielle. On a vu s’accroître considérablement le nombre de gens n’ayant aucun besoin du standard éducatif garanti par l’état. Ce qu’il faut, c’est un standard spécifique, supérieur ou différent.

Ce n’est pas un hasard si les ressources éducatives extrascolaires, en termes d’efficacité, surpassent substantiellement les ressources proprement scolaires. Libérées d’un contrôle total et drastique, les ressources de l’Internet se développent. Les explications y sont souvent meilleures et plus accessibles que dans la majorité des écoles. Parce que les enseignants ont secoué le joug des moroses contrôleurs.

Ces écoles à distance peuvent s’autoriser des principes didactiques modernes (par exemple, l’organisation de matières par modules). Quant à la percée technologique de ces dernières années, elle permet de garantir un apprentissage individuel à chacun. Elle assure aussi la mise en place d’une trajectoire éducative individuelle et une progression sur celle-ci.

Dans le monde entier, on voit se transformer le concept même d’école. De plus en plus d’écoles (même au niveau de l’État dans différents pays) déverrouillent vers l’extérieur le programme d’apprentissage en y incluant des cours proposés par les organisations d’enseignement complémentaire et d’enseignement à distance, et en les officialisant comme des acquis associés à l’élève.

On assiste à l’apparition du concept de «quartier éducatif» (quand une ville, un quartier, une cité deviennent une structure éducative). L’attention se focalise désormais non pas sur des acquis prescrits par le standard, mais sur des acquis propres à l’enfant. L’élève et la famille s’érigent en institution éducative. Ils sont les «demandeurs» d’une trajectoire éducative individuelle.

La nouvelle politique éducative: soutien et non contrôle.

Le contrôle total qui pénètre de nos jours l’ensemble du système scolaire s’explique assez simplement. Les instances de direction ne font pas confiance aux pédagogues et aux parents pour dispenser un enseignement en toute autonomie. Mais, depuis vingt-cinq ans, l’expérience des écoles privées montre que l’on peut faire confiance aux pédagogues et parents tant dans le choix des programmes éducatifs que dans leur mis en œuvre et dans la satisfaction des indicateurs des standards d’État.

Elles savent travailler aussi avec les enfants particulièrement doués et des enfants présentant des singularités de développement.Cela signifie que dans l’application de la politique de l’État, il convient de mettre l’accent non plus sur le contrôle total, mais sur l’autonomie et l’encouragement des initiatives.

Nous sommes convaincus qu’en renonçant à la gestion de l’école en mode vertical et manuel, nous remplissons une condition clé de son développement. C’est la vraie vie de l’école et non les circulaires et les consignes orales qui sont à même de définir les normes institutionnelles.

La pédagogiehumaniste:

XXI sièclee

Page 13: LE MANIFESTE La pédagogie humaniste

de définir les normes institutionnelles. Celles-ci ont pour source l’école et non l’appareil administratif. Les changements doivent reposer sur l’expérience novatrice et la pratique expérimentale des communautés pédagogiques, sur la possibilité choisir son école en fonction de ses besoins.

La politique éducative et la pédagogie ne peuvent pas s’inscrire en opposition l’une à l’autre, l’une doit se soumettre à l’autre. Lorsque la politique éducative autoritaire prend le contrepied de la pédagogie humaniste, l’école ne peut tourner le dos au passé ni répondre aux exigences de notre temps. Mais si la pédagogie humaniste préside à la politique éducative, alors l’enseignement sera vraiment moderne et capable de relever les défis du futur. Telle est la chance de la nouvelle génération.

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