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Virginie va à l’école avec les garçons Elizabeth Fitzgerald Howard E. B. Lewis

Virginie va à l´école avec les garçons

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Virginie va à l’école

avec les garçons

Elizabeth Fitzgerald Howard E. B. Lewis

Virginie nous demandait tout le temps de partir à l’école avec nous.

Pendant l’été, elle n’avait qu’une chose en tête : l’école.

— C’est très loin, l’école, disait Nelson.

— On prend beaucoup de temps pour y arriver, ajoutait Will.

— Et c’est bien difficile, l’école ! soulignait George.

— Et tu es encore bien petite, affirmait Val.

— Dis-leur C. C., je suis déjà bien grande !

Et Virginie se tournait vers moi.

— Virginie, tu es à peine plus grande qu’un rat des champs ! continuait Val. Et il faut marcher 11 km... C’est assez fatigant !

— Et encore, insistait Nelson, il faut rester à l’école toute la semaine. Tu finirais par pleurer et appeler maman…

— C’est pas vrai, Nelson.

Et le pied de Virginie tapait le sol...

— En tout cas, continuait Nelson, il n’y a pas beaucoup de filles qui y vont. Les filles n’ont pas besoin d’aller à l’école.

— Tu te trompes, Nelson, répondait Virginie. De même que les garçons, les filles ont besoin de savoir lire, écrire, faire des additions…

Mais, tout d’abord, il faut que je vous parle de notre école.

Pendant deux ans, nous, les garçons — c’est-à-dire George, Will, Nelson, Val et moi-même, C. C. — nous avons fréquenté une école des Quakers, construite pour les gens de couleur lorsque que notre président Lincoln a déclaré qu’on était tous égaux, noirs et blancs.

Ce fut alors que je me suis questionné : « Et Virginie ? Elle aussi, elle est libre. Elle peut très bien venir avec nous, les garçons ! »

Pendant tout l’été, Virginie répétait sans cesse : « Je veux aller à l’école ! » Chaque fois qu’elle ramassait les haricots ou pesait le grain pour notre père… Quand elle faisait de la couture ou préparait la soupe avec notre mère… Elle n’arrêtait jamais !

— Je peux y aller aussi ? Papa ? Maman ?

— Virginie, avec tous les kilomètres que l’on fait, tu y arriverais bien fatiguée, disait Will.

— Des monstres peuvent bien t’attraper dans la forêt, avertissait Nelson. Et ils se feraient un plaisir de te manger !

Mais Virginie restait ferme. Elle se tenait bien droite, sans bouger, et répétait sans cesse son refrain…

Un beau jour, lorsqu’on était avec notre père aux champs, il nous appela tous, Virginie et nous.

— Votre mère et moi-même, nous avons bien réfléchi… Et nous sommes d’accord : les gens libres ont besoin d’apprendre — qu’ils soient vieux ou jeunes — et les filles aussi. Donc, Virginie, tu peux aller à l’école. Tu peux y aller avec les garçons.

C’était la fin de l’été. Le temps des récoltes...

Et le temps de l’école est enfin arrivé !

Dimanche soir tout était prêt. Des sous-vêtements propres pour chacun, une chemise en plus, et de la nourriture pour toute la semaine. Tout était prêt, mais Nelson se faisait du souci.

— Virginie est encore très petite, disait-il.

Lundi matin, notre mère a fait cuire des céréales. Et des œufs aussi. Notre père pria avec nous : il demanda pour chacun un voyage sans périls et un esprit sage et lucide. Et nous avons remercié le bon Dieu pour notre école.

— Prenez soin de Virginie, dit-il, et prenez soin de vous tous !

George a pris le devant. Et nous interpella tout de suite :

— Pas si vite ! Gardez votre place dans la queue !

Nous avons côtoyé le cellier et le moulin, et on a filé à travers le champ de notre voisin, M. McKinney.

— Attention, Virginie ! exclama Will. Du lierre vénéneux !

— Vas-y, Virginie ! Continue ! incita Val.

On a traversé la ferme du vieux M. Smith et on a fait le tour du lac de Dickson.

Colline après colline, jusqu’à la petite rivière. Là, on enleva les sandales, on roula le bas des pantalons, tout en faisant très attention où l’on posait nos pieds, déjà bien fatigués et chauds. L’eau froide les réveilla. Virginie tenait le jupon dans une de ses mains et dans l’autre elle avait ses sandales et le seau. C’est alors que, tout d’un coup, elle glissa...

— Attention, Virginie ! ai-je crié, tout en essayant de la tenir… mais… splash ! Elle tomba dans la rivière.

— Et maintenant elle va pleurer, murmura Nelson.

Pas du tout. Virginie s’amusait !

— Qu’il fait chaud ! dit-elle. Ma jupe va bientôt sécher.

Et, en plus, elle avait raison !

— Allons-y, exclama George.

— Dépêchez-vous ! dit Will. On dirait qu’il va pleuvoir.

Et la pluie commença justement… quand on est entré dans la forêt.

Une forêt assez serrée et sombre, même quand le soleil brillait… Et bien silencieuse… En plus, il y avait des monstres…

— N’aies pas peur, Virginie, lui ai-je dit.

— J’ai pas peur, a-t-elle répondu, tout en gardant sa main bien serrée dans la mienne…

Pas un seul mot.

On marchait, tout simplement.

Le silence était total.

Rien que le bruit des brindilles qui se cassaient à notre passage.

Les arbres se penchaient vers nous. Les ombres devenaient énormes…

Une branche affleura ma chemise et j’ai senti le cœur battre la chamade.

C’est alors que Virginie murmura :

— On va chanter !

— Il ne manquait que ça ! exclama Nelson.

Mais, peu de temps après, lui-même fredonnait, avec nous tous, les chansonnettes que l’on connaissait…

Et le chemin devint beaucoup plus court... et beaucoup plus lumineux…

Subitement, on quitta la forêt. Fini les ombres et les fantômes !

Nous avons traversé un champ… et un autre encore.

— On est presque arrivés, Virginie. C’est bientôt la ville.

Nous avons passé par la Rue Principale, côtoyé l’auberge et le tribunal, puis les églises et les magasins, et on a filé jusqu’au sommet de la colline.

— Tu la voies, Virginie ? C’est vrai ?

On était tellement excités…

La voilà !

Énorme. Aux briques rouges.

Hautes fenêtres et une porte grande ouverte.

L’école. Notre école !

Le directeur, M. Warner, est venu nous saluer.

— Bienvenus, les garçons ! Quel plaisir de vous revoir tous – George, William, Valentine, Nelson, Cornelius (c’est moi, C. C.). Et c’est qui, cette jolie fille ? Votre sœur ?

— Oui, c’est Virginie, a répondu George. Virginie, dit bonjour à M. Warner.

— Bonjour ! salua Virginie.

— Virginie est une fille très intelligente, M. Warner, dit Nelson.

Et c’était Nelson lui-même qui l’avouait !

— Viens voir, Virginie.

Je l’ai poussée vers l’intérieur.

— Regarde les pupitres… Tu vois les livres ?

Virginie regardait tout. Surtout l’étagère

remplie de bouquins…

— Que de livres ! exclama-t-elle, ravie.

Et elle osa à peine toucher un de sa main… en toute

douceur…

— Un jour, je pourrai les lire… TOUS !

On dirait que Virginie avait grandi…

— C. C., vendredi prochain, lorsqu’on arrivera

chez nous, on racontera à nos parents tout ce qu’on

a appris, dit Virginie. C’est comme s’ils étaient, eux

aussi, venus à l’école ! Pour apprendre à être libres.

Comme nous.