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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert par Bertrand GUÉLY ©FFANG-DREAMSTIME.COM 26 vegetable.fr • n o 336 / septembre 2016  Le fournisseur international a 5 grands problèmes à résoudre : se faire représenter, se faire référencer, se faire payer, limiter les réclamations qualité, accéder à la partie orientale du pays. B ien qu’allègrement contourné (cer- tains pays non européens sont même devenus expéditeurs de plusieurs fois leur potentiel de production...), le boycott des F&L européens rend moins visibles certaines espèces d’une offre ren- due plus courte et peu profonde dans les zones à faible pouvoir d’achat (hors des grandes villes). La crise monétaire a fait basculer une autre par- tie de la gamme dans les « financièrement inac- cessibles ». Les Russes ne gèrent pas la notion de prix psychologique comme nous : quand nos supermarchés acceptent de réduire les marges à la planche pour maintenir l’offre, les Russes, his- toriquement habitués aux étals fluctuants, sortent le produit de la gamme s’ils le jugent trop cher. Le volume de certaines espèces importées d’Eu- rope ayant diminué, bon nombre d’entreprises éphémères ont disparu. De fait, la poignée d’im- portateurs sérieux a repris du pouvoir MAIS n’en abandonne pas pour autant les bonnes vielles techniques russes. Les parts de marché de la GMS continuent d’évoluer : X5, miné par l’absence de stratégie et par la culture du court terme (ils ont même, contre toute logique de massification à l’achat, rééclaté par format !), perd du terrain. Auchan, toujours très pragma- tique et s’appuyant sur de bons professionnels expérimentés français, assume discrètement son statut de joyau de la couronne Mulliez, Magnit reste pionnier pour beaucoup de choses et probablement le meilleur acheteur... Problématiques spécifiques aux acteurs • Le distributeur : si les notions de corruption, de bureaucratie, d’incompétence (achat tournant au seul prix sans planification) et de distance (Moscou propose, les régions disposent et le taux de service décroît en allant vers la Russie orientale) demeurent, deux autres problèmes majeurs sont encore exacerbés aujourd’hui : La peur panique de la casse qui au vu des prix élevés reste le critère majeur de la rémunéra- tion variable. D’où une prise de risque mini- male où l’on privilégie des produits immortels genre poire Conférence ou tomate 47+ type Hollande. En plus, la croissance à marche forcée continue pour ouvrir un maximum de points de vente, même mal conçus : pas de clim, pas de réserve, pas de quai... Ça n’aide pas. Le travail en silo : l’acheteur jugé sur le prix le plus bas, achète sans se soucier de la qualité ; l’agréeur jugé sur le taux de casse magasin met des réserves sur tout ; le logisti- cien jugé sur le prix au kilo transporté livre les F&L avec les surgelés ou en camion bâché... On est à des années lumière des objectifs communs et du travail en équipe. Le fournisseur local : souvent producteur de légumes à Bortch, peu valorisés, il doit accep- ter des prix d’achat très bas qui, une fois les avances en production déduites, ne suffisent pas pour investir. Il a rarement la taille critique qui justifierait de s’équiper en machines de conditionnement et en frigos. Il n’a générale- ment aucune connaissance client BtoC. N’EN DÉPLAISE À « VLAD L’EMBARGUEUR », DES CHOSES ONT ÉVOLUÉ EN RUSSIE DEPUIS L’ÉTÉ 2014 : EN BREF, MOINS D’OFFRE ET MOINS D’INTERLOCUTEURS. Quoi de neuf en Poutinie ?

Quoi de neuf en Poutinie? - Commerce Russie

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

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QUAND VOUS VOYEZ CE NOUVEAU LOGO, VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN EMBALLAGE EN CARTON ONDULÉ CERTIFIÉ, DE GRANDE QUALITÉ.

VOUS POUVEZ AVOIR TOUTE CONFIANCE.26 • vegetable.fr • no 336 / septembre 2016

Refaire du business avec la Russie

 Le fournisseur international a

5 grands problèmes à résoudre : se faire

représenter, se faire référencer,

se faire payer, limiter les

réclamations qualité, accéder

à la partie orientale du pays.”

Bien qu’allègrement contourné (cer-tains pays non européens sont même devenus expéditeurs de plusieurs fois leur potentiel de production...), le boycott des F&L européens rend

moins visibles certaines espèces d’une offre ren-due plus courte et peu profonde dans les zones à faible pouvoir d’achat (hors des grandes villes). La crise monétaire a fait basculer une autre par-tie de la gamme dans les « financièrement inac-cessibles ». Les Russes ne gèrent pas la notion de prix psychologique comme nous : quand nos supermarchés acceptent de réduire les marges à la planche pour maintenir l’offre, les Russes, his-toriquement habitués aux étals fluctuants, sortent le produit de la gamme s’ils le jugent trop cher.Le volume de certaines espèces importées d’Eu-rope ayant diminué, bon nombre d’entreprises éphémères ont disparu. De fait, la poignée d’im-portateurs sérieux a repris du pouvoir MAIS n’en abandonne pas pour autant les bonnes vielles techniques russes. Les parts de marché de la GMS continuent d’évoluer : X5, miné par l’absence de stratégie et par la culture du court terme (ils ont même, contre toute logique de massification à l’achat, rééclaté par format !), perd du terrain. Auchan, toujours très pragma-tique et s’appuyant sur de bons professionnels expérimentés français, assume discrètement

son statut de joyau de la couronne Mulliez, Magnit reste pionnier pour beaucoup de choses et probablement le meilleur acheteur...

Problématiques spécifiques aux acteurs

•  Le distributeur : si les notions de corruption, de bureaucratie, d’incompétence (achat tournant au seul prix sans planification) et de distance (Moscou propose, les régions disposent et le taux de service décroît en allant vers la Russie orientale) demeurent, deux autres problèmes majeurs sont encore exacerbés aujourd’hui : La peur panique de la casse qui au vu des prix élevés reste le critère majeur de la rémunéra-tion variable. D’où une prise de risque mini-male où l’on privilégie des produits immortels genre poire Conférence ou tomate 47+ type Hollande. En plus, la croissance à marche forcée continue pour ouvrir un maximum de points de vente, même mal conçus : pas de clim, pas de réserve, pas de quai... Ça n’aide pas. Le travail en silo : l’acheteur jugé sur le prix le plus bas, achète sans se soucier de la qualité ; l’agréeur jugé sur le taux de casse magasin met des réserves sur tout ; le logisti-cien jugé sur le prix au kilo transporté livre les F&L avec les surgelés ou en camion bâché... On est à des années lumière des objectifs communs et du travail en équipe.

• Le fournisseur local  : souvent producteur de légumes à Bortch, peu valorisés, il doit accep-ter des prix d’achat très bas qui, une fois les avances en production déduites, ne suffisent pas pour investir. Il a rarement la taille critique qui justifierait de s’équiper en machines de conditionnement et en frigos. Il n’a générale-ment aucune connaissance client BtoC.

N’EN DÉPLAISE À « VLAD L’EMBARGUEUR », DES CHOSES ONT ÉVOLUÉ EN RUSSIE DEPUIS L’ÉTÉ 2014 : EN BREF, MOINS D’OFFRE ET MOINS D’INTERLOCUTEURS.

Quoi de neuf en Poutinie ?

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

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DREA

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IME.

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QUAND VOUS VOYEZ CE NOUVEAU LOGO, VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN EMBALLAGE EN CARTON ONDULÉ CERTIFIÉ, DE GRANDE QUALITÉ.

VOUS POUVEZ AVOIR TOUTE CONFIANCE.

MURIR DE LA BANANE

Des lacunes pour le 1er fruit du rayonLa banane reste le 1er fruit du rayon et grossit encore à chaque pénurie d’une espèce concurrente, c’est un produit volumétrique et lourd, dont l’approvisionnement est relativement sécurisé avec des bassins de production multiples et peu/pas d’intervenants mûrisseurs pros (outils vétustes et maintenance défaillante pour faire de fausses économies) compte tenu de la situation de JFC (le plus grand opérateur de la banane sur le marché russe). L’origine Equateur jouit d’un quasi-monopole et on devrait pouvoir mûrir ce fruit issu de mega-exploitations de façon quasi-homogène. Et pourtant, le problème récurrent de frisure n’est pas traité (solutions : houssage, camions bi-température, inclusion de références préemballées protégées contre le froid et le dégrappage, mais surtout un maillage de mûrisseries permettant des transports en jaune plus courts) et la banane reste de fait le 1er taux de casse en magasin.

en bref

Refaire du business avec la Russie

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Retrouvez l’humeur de Bertrand Guely sur son végéblog :

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Le mois prochain : Back to the future, réinventer le passé en mode gagnant

• Le fournisseur international a 5 grands pro-blèmes à résoudre : se faire représenter (les locaux sont corruptibles, les expats coûtent cher), se faire référencer, se faire payer, limi-ter les réclamations qualité, accéder à la par-tie orientale du pays (l’aventure ne doit pas s’arrêter à Saint-Pétersbourg sous peine d’en-graisser les intermédiaires locaux).

Contourner les anciennes et nouvelles contraintes

1 Jouer la massification des produits locaux : sur la base d’un mapping précis par espèce, monter des plateformes de massification avec avances en production, assistance technique, ramasse, conditionnement... Attention toute-fois, si vous tenez à vos phalanges ou n’aimez pas les coutumes ouzbèques, à ne pas trop vous mettre les grossistes à dos...

2 Sécuriser un vrai contrôle qualité avec accompagnement à l’arrivée du conteneur au port/à l’entrepôt pour « négocier » la réclama-tion, proposer une expertise réellement indé-pendante, une gestion des retours fournis-seurs/magasins, un étiquetage/ré-étiquetage si besoin, un agréage 2e réception avec mesure de Brix, indice meq, taux de matière sèche...

3 Mûrir de la banane (cf encadré).

4 Déployer la segmentation pomme de terre. 1er légume du rayon, produit symbole et image prix tout à fait adapté pour construire une MDD, la pomme de terre mérite sans aucun doute mieux que le pallox vrac tous calibres non lavée avec un sachet retourné pour se servir.

5 Se spécialiser sur la proximité. Les petits points de vente russes, toutes enseignes confondues, sont aujourd’hui les premières victimes des tournées approximatives (« avec les transports Sacha, le camion passe... ou pas ! »). Très logiquement, celui qui proposera des livraisons régulières (en camions porteurs ?), quotidiennes, avec des chariots plus faciles à travailler que les palettes, des petits colis ou colis mixtes panachés, intéressera.

6 Oser le merchandising. Pour aller jusqu’à la fourchette du client russe, on doit ajouter un 1er niveau basique aux étapes classiques.Niveau 1 : accompagnement terrain avec les gestes simples indispensables en magasin. Par exemple, à réception, défilmer la banane jaune, éclater les palettes mixtes par température (ou au moins froid/hors froid). Niveau 2 : mise

en rayon, règles de manutention par espèce, retravailler un produit défraîchi, remballe le soir, traitement de la casse... Niveau 3 : l’École des F&L, sédentaire et itinérante (moniteurs), formation des animatrices, banque réfrigérée pour les fruits rouges, fraîch’decoupe en CSP+.

7 Les fleurs. De si jolies femmes méritent assurément autre chose que des roses hollan-daises petits boutons sans âme ni parfum pour les rendez-vous majeurs (rentrée des classes, journée de la femme...) et les quelques saisonniers.

Ces nouveaux services/métiers (mûrisseur, conditionneur, merchandiseur...) ne sont envi-sageables qu’en recrutant de la compétence internationale qui formera les locaux. Ils n’ont d’intérêt que s’ils permettent à un fournisseur de vendre l’ensemble de ses prestations plutôt que de passer à la moulinette prix et de se présenter ainsi un peu comme un capitaine de catégorie en distribution anglaise. Il sera au début certai-nement compliqué de valoriser et il faudra négo-cier par le haut (donner à quelqu’un les moyens de briller) et pas avec les acheteurs russes (machines à dire « non sauf si j’y ai intérêt »).Sur le plan tactique, plutôt que de se hasarder à un remake de l’opération Barbarossa, je cible-rais un ou deux distributeurs dans la tourmente pour leur proposer d’abord du sur-mesure via un magasin pilote par format. Certains trans-porteurs/logisticiens ont aujourd’hui bien com-pris où sont les gisements de profits et com-mencent à proposer des catalogues de services complémentaires avec le transport comme socle. Il y a fort à parier qu’ils présentent un stand au prochain Whole Food faisant la part belle aux nouveaux métiers du service...

Vladimir BrachettiUne partie de baby food ?

Comment assouplir l’embargo russe sur les F&L européens sans perdre la face quand on a, à grandes rasades de mises en scène testostéronées, expliqué qu’on le prolongeait ? L’artifice d’ouvrir la datcha à tout ce qui rentre dans la composition des repas pour enfants est habile. Après « Vladimir et ses Ray-Ban », « Vladimir joue au hockey » et « Vladimir montreur d’ours », on nous sert « Vladimir pouponne ». Préparons-nous, dans quelques mois, nous aurons « Vladimir l’ami des journalistes » ou « Vladimir l’écologiste », militant pour un monde sans Polonium...