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BREF ORALITE De Gaëlle Pingault Texte inédit de la série « Bref, ils ont besoin d’un orthophoniste ! » http://besoindunortho.blogspot.fr Bref. Elle en a marre. Et elle est inquiète. Des années que ça dure. Ça use à force. Elle a pensé que ça passerait avec le temps. Ça ne passe pas. Son fils a eu 4 ans le mois dernier. Et ce soir encore, ça a été un bazar monstre à table. Elle s’est fâchée. Elle s’en veut. Bref. Son petit garçon ne mange pas. Ou peu. Uniquement ce qu’il veut, et il ne veut pas grand- chose. Ce n’est même plus qu’il est difficile, c’est au delà. Il n’aime pas toutes les textures, ni tous les goûts. Il chipote, il boude, il pleure. Manger équilibré, pour lui, c’est une inaccessible étoile. Elle ne se rappelle plus très bien quand a eu lieu le dernier repas harmonieux. Elle ne sait même plus très bien s’il y en a déjà vraiment eu. Elle est fatiguée. La nounou le trouvait capricieux. Elle était bien, cette nounou, mais elle n’acceptait pas les particularités de son fils, à table. Régulièrement, elle s’entendait dire « il n’a encore rien mangé à midi ». Il y avait du reproche dans sa voix. Chaque fois, elle sentait son estomac de maman se serrer. Comme s’il avait honte d’avoir mangé, lui. Depuis l’entrée à l’école, son mari s’est débrouillé pour se libérer le midi. Sans oser s’en parler vraiment, ils n’ont pas voulu tenter la cantine. L’intuition que ça serait trop risqué pour leur loulou. Trop violent pour lui. Alors ils déjeunent entre mecs à la maison. Elle aime cette idée. Son mari est plutôt cool. Elle aussi, elle pense. Et leur fille aînée mange sans soucis. Pourquoi donc le petit second cristallise sur les repas autant de difficultés ? Elle l’ignore. Ce qu’elle sait, c’est que c’est dur. Un enfant qui ne mange pas, c’est violent pour les parents. Surtout quand on n’arrive pas à l’aider. Il y a quelque chose d’originel dans le fait de nourrir ses enfants. Et d’évident, aussi. Alors comment on fait quand les évidences sont défiées ? Bien évidemment, il s’est trouvé quantité de bonnes âmes pour leur expliquer la vie. Plein de gens avec des réponses toutes faites. Autant pour leur dire qu’ils étaient trop sévères, que pour leur dire qu’ils ne l’étaient pas assez. Autant pour leur dire de serrer la vis, que de lâcher du lest. Autant pour leur dire de le laisser choisir ce qu’il aimait, que pour leur suggérer de continuer à lui proposer de tout.

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BREF ORALITE De Gaëlle Pingault Texte inédit de la série « Bref, ils ont besoin d’un orthophoniste ! » http://besoindunortho.blogspot.fr Bref. Elle en a marre. Et elle est inquiète. Des années que ça dure. Ça use à force. Elle a pensé que ça passerait avec le temps. Ça ne passe pas. Son fils a eu 4 ans le mois dernier. Et ce soir encore, ça a été un bazar monstre à table. Elle s’est fâchée. Elle s’en veut. Bref. Son petit garçon ne mange pas. Ou peu. Uniquement ce qu’il veut, et il ne veut pas grand-chose. Ce n’est même plus qu’il est difficile, c’est au delà. Il n’aime pas toutes les textures, ni tous les goûts. Il chipote, il boude, il pleure. Manger équilibré, pour lui, c’est une inaccessible étoile. Elle ne se rappelle plus très bien quand a eu lieu le dernier repas harmonieux. Elle ne sait même plus très bien s’il y en a déjà vraiment eu. Elle est fatiguée. La nounou le trouvait capricieux. Elle était bien, cette nounou, mais elle n’acceptait pas les particularités de son fils, à table. Régulièrement, elle s’entendait dire « il n’a encore rien mangé à midi ». Il y avait du reproche dans sa voix. Chaque fois, elle sentait son estomac de maman se serrer. Comme s’il avait honte d’avoir mangé, lui. Depuis l’entrée à l’école, son mari s’est débrouillé pour se libérer le midi. Sans oser s’en parler vraiment, ils n’ont pas voulu tenter la cantine. L’intuition que ça serait trop risqué pour leur loulou. Trop violent pour lui. Alors ils déjeunent entre mecs à la maison. Elle aime cette idée. Son mari est plutôt cool. Elle aussi, elle pense. Et leur fille aînée mange sans soucis. Pourquoi donc le petit second cristallise sur les repas autant de difficultés ? Elle l’ignore. Ce qu’elle sait, c’est que c’est dur. Un enfant qui ne mange pas, c’est violent pour les parents. Surtout quand on n’arrive pas à l’aider. Il y a quelque chose d’originel dans le fait de nourrir ses enfants. Et d’évident, aussi. Alors comment on fait quand les évidences sont défiées ? Bien évidemment, il s’est trouvé quantité de bonnes âmes pour leur expliquer la vie. Plein de gens avec des réponses toutes faites. Autant pour leur dire qu’ils étaient trop sévères, que pour leur dire qu’ils ne l’étaient pas assez. Autant pour leur dire de serrer la vis, que de lâcher du lest. Autant pour leur dire de le laisser choisir ce qu’il aimait, que pour leur suggérer de continuer à lui proposer de tout.

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Un nombre incalculable de fois, elle a eu envie de hurler « taisez-vous ! Vous ne savez rien de mon fils ! ». Une ou deux fois, seulement, elle a osé contrer un peu, gentiment, un de ces sachant qui lui faisait un bel exposé. Ils ont déménagé le mois dernier. Son mari a été muté. Elle a vu le nouveau pédiatre hier. il a fallu une énième fois expliquer les soucis d’alimentation. Mais il n’a pas balayé ça d’un revers de la main. Il a dit qu’il fallait s’en occuper. Il a parlé de sensations désagréables dans la bouche. D’un genre d’immaturité qui empêche de manger correctement. Si elle a bien compris. Elle n’est pas sûre. Mais elle aimerait croire à cette proposition d’aide. Le pédiatre doit la rappeler dans la semaine pour lui donner les coordonnées de quelqu’un à aller consulter. Elle attend. Bref. Elle a besoin d’un orthophoniste.