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Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ? Novembre 2007

Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

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Avec cette étude, il s’est agi de faire un point d’étape sur la nature du phénomène social qui se cache derrière la montée en puissance du développement durable, d’en examiner les conséquences sur le mécénat au sein des entreprises, et de réaliser un effort de prospective, pour se préparer à différents scenarii d’évolution. La démarche, confiée à Sociovision Cofremca, s’est déroulée de mars à mai 2007 et s’est articulée en trois temps : un travail de desk research pour identifier les tendances principales ; des entretiens approfondis auprès de responsables d’entreprises et d’experts basés en France ; un groupe de réflexion prospective, qui s’est réuni pour deux séances de travail afin d’échanger sur la base des éléments récoltés. Un sondage auprès de 200 entreprises a été réalisé par la suite et confié à l’IFOP.

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synergie ou concurrence ?

Novembre 2007

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Observatoire de la Fondation de France

Sommaire

Introduction p.4

La montée des préoccupations sociétales impacte l’entreprise p.6

L’engagement sociétal de l’entreprise se fait dans une logique d’adaptation douce du capitalisme p.12

La montée du développement durable contribue au renouvellement du mécénat p.20

Quel avenir pour le développement durable et pour le mécénat ? p.29

Conclusion p.34

La Fondation de France et Sociovision Cofremca remercient les entreprises et leursreprésentants qui ont accepté de participer sous la forme de groupes de travail ou d’interviews à la réflexion prospective sur « l’avenir du mécénat dans un contexte demontée en puissance des préoccupations de développement durable »:

● Michel Avenas, délégué général de la Fondation d’entreprise Veolia Environnement● Marine de Bazelaire, coordinateur responsabilité d'entreprise / développement

durable, HSBC France● Sophie Bonnaure, déléguée générale de la Fondation Vinci pour la Cité● Christian Caye, délégué au développement durable, Vinci● Jean-François Communier, directeur de la communication corporate, NATIXIS● Eric Flamand, directeur délégué au développement durable, SNCF● Olivier de Guerre, président, Phitrust Active Investors● Charles Ly Wa Hoï, directeur développement durable et qualité, ETDE Bouygues

Construction● Arnaud Mourot, directeur, Ashoka France● Henri de Reboul, délégué général d’IMS-Entreprendre pour la Cité ● Virginie Seghers, consultante, ancienne déléguée générale de l’Admical, maître de

conférences à Sciences-Po, chargée de mission pour la Caisse des dépôts ● Catherine Schwartz, chef de projet, direction du développement durable et de la

responsabilité sociale, Danone● Frédéric Tiberghien, conseiller d’Etat, ancien délégué interministériel à l’innovation,

à l’expérimentation sociale et à l’économie sociale, président d’honneur de l’ORSE● Alain Tourdjman, directeur des études et de la prospective, Caisse Nationale des

Caisses d'Epargne

D’autres témoignages de responsables d’entreprise ont été recueillis de manière anonyme et confidentielle. Les verbatims présents dans ce rapport respectent de toutefaçon le principe de l’anonymat.

Remerciements

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Une étude de l’Observatoire de la Fondation de France appuyée sur les résultats de deux travaux successifs :

● une réflexion de nature prospective menée avec Sociovision Cofremca sur le thèmedu mécénat et du développement durable de janvier à mai 2007,

● un sondage d’opinion auprès de 200 responsables communication, mécénat et développement durable d’entreprises actives en France, mené en octobre

2007 par l’IFOP.

Les résultats du sondage d’opinion ont été insérés, à titre de complément et sous forme d’encarts, au fil du texte de synthèse de la réflexion prospective.

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Attentive aux mutations des entreprises face auxenjeux de société, la Fondation de France a décidéd’engager une réflexion prospective sur l’avenir dumécénat. Cette interrogation sur le mécénat d’en-treprise s’inscrit dans un contexte plus large de mesure du phénomène de montée en puissance dudéveloppement durable.

Toute une série de questions se posent :

Comment analyser le contenu sociétal qui se cachederrière le développement durable ? S’agit-il d’unphénomène de mode ou d’un changement substan-tiel de notre modèle de société ?

Que peut-on dire aujourd’hui de l’implication desentreprises françaises dans les « actions d’intérêtgénéral » ? Comment évoluent les entreprises dansleur prise en compte des préoccupations en lamatière ? Comment agissent-elles, qu’est-ce qui lespousse à agir ? Perçoit-on des évolutions significa-tives entre les réponses apportées il y a quelquesannées et celles d’aujourd’hui ? Y a-t-il des tendan-ces qui se dégagent ? Cela nous éclaire-t-il pour lefutur ? Quelles réponses pourraient s’inventer dansles 5-10 ans qui viennent ?

Comment évoluent les modalités d’action autourdu développement durable ? Quelle est la place dumécénat ? Trouve-t-il sa légitimité dans les évolu-tions actuelles ? Comment évolue-t-il ? Commentpourrait-il évoluer dans le futur ? La périodeactuelle apparaît opportune pour faire un premierbilan de l’expérience des entreprises qui ont, depuisplus d’une décennie, progressivement intégré unedémarche de développement durable. A l’évidence,beaucoup d’entreprises, des groupes internatio-naux mais aussi des entreprises de plus petite taille,n’ont pas attendu la montée du phénomène pouragir en faveur de la société. Le mécénat est une pra-tique ancienne. Cependant, les initiatives sociéta-les se sont étendues et diversifiées et sont devenues,

pour beaucoup d’entreprises, un lieu d’interface etd’action avec leur environnement.

A travers cette réflexion qui a réuni un grouped’acteurs concernés, il s’est agi de faire un pointd’étape sur la nature du phénomène social qui secache derrière la montée en puissance du dévelop-pement durable, d’examiner les conséquences surle mécénat, et de réaliser un effort de prospective,non pas pour prédire l’avenir, mais pour susciter ledébat et se préparer à différents scenarii d’évolu-tion dont les germes sont d’ores et déjà visibles.

La démarche s’est déroulée de mars à mai 2007 ets’est articulée en trois temps :

Un travail de desk research pour identifier les ten-dances principales qui impactent le développe-ment durable et le mécénat. Ce travail s’est appuyésur les observatoires de Sociovision Cofremca(3SC)1 . Sociovision Cofremca est un organismeindépendant qui intervient en permanence auprèsdes entreprises pour les aider à mieux comprendreles changements de la société, anticiper les évolu-tions qui pourraient s’y produire et concevoir desstratégies adaptées aux enjeux qui apparaissent.Sociovision Cofremca a mis en place depuis lemilieu des années 1970 un observatoire sociologi-que approfondi portant sur les évolutions de lasociété française.

Cet observatoire qualitatif et quantitatif apportedes informations tendancielles particulièrementéclairantes sur les transformations à l’œuvre dansune variété de domaines relatifs à la consommation,à la citoyenneté, au travail. Cet observatoire faitl’objet, depuis une vingtaine d’années, d’une inter-nationalisation qui porte sur la plupart des pays

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Introduction

1 - 3SC, Système Cofremca de Suivi des Courants Socio-Culturels : enquête annuelle auprès d’un échantillon nationalreprésentatif de 2200 personnes.

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européens, sur l’Amérique du Nord et quelques paysd’Amérique du Sud et d’Asie. Ces observatoiresinternationaux ont permis d’apporter une baseplus large de réflexion que celle qui aurait étémenée dans un contexte national.

Des entretiens approfondis auprès de responsablesd’entreprises et d’experts basés en France. Lesenseignements ne porteront donc que sur laFrance. Les objectifs de ces entretiens étaient prin-cipalement d’interroger des acteurs plus ou moinsengagés dans la démarche du développement dura-ble, sur le sens et les modalités de leur engagement,sur l’intérêt de ces démarches, sur les difficultésrencontrées. Ils étaient aussi de mener avec chacunune amorce de réflexion prospective en liaisonavec leur entreprise ou le métier qu’ils exercent. Lebut n’était pas de rencontrer un grand nombre deresponsables et d’experts, mais de saisir différentsregards, différentes manières d’aborder les sujets

relatifs au développement durable et au mécénat.Au total, onze entretiens individuels ont été menésauprès de sept responsables de grandes entreprises(en charge du développement durable, de la RSE,du mécénat…), d’un responsable de fonds d’inves-tissement, et de trois experts ou consultants.

Un groupe de réflexion prospective, qui s’est réunipour deux séances de travail afin d’échanger sur labase des premiers éléments récoltés. Ce groupe arassemblé quatorze personnes : des responsables degrandes entreprises (en charge du développementdurable, de fondations d’entreprise, etc.), des res-ponsables de fonds d’investissement, un spécialistede l’entreprenariat social, et des responsables de laFondation de France.

Ce rapport de synthèse consigne l’essentiel desinformations et des analyses qui ont été partagéespar le groupe de travail.

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La montée des préoccupations sociétales impacte l’entreprise

Pas un jour ne se passe sans que, sous une formeou sous une autre, une entreprise ne montre dessignes d’implication dans un domaine qui concernedirectement la société. Prise en compte de problè-mes d’environnement, soutien apporté à des jeunesen difficulté, à une association sans but lucratif,participation à une action en faveur de la santépublique, ou encore implication dans un mécénatculturel… autant d’actions considérées aujourd’huicomme classiques par bon nombre d’entreprises.Le phénomène a pris une telle ampleur que desfonctions spécifiques se sont créées au sein mêmedes entreprises pour gérer ces activités. Beaucoupde Présidents de sociétés se font eux-mêmes lesporte-drapeaux de la cause sociétale. Ce mouve-ment ne s’arrête pas aux grandes entreprises, ilgagne de plus en plus celles de taille moyenne oupetite.

Comment mieux cerner le mouvement sociologi-que sous-jacent à l’origine de ce qu’il faut bienappeler une interpellation de l’entreprise par lasociété et une réponse de l’entreprise à cettedemande ?

Les travaux réalisés par Sociovision Cofremcadepuis une vingtaine d’années montrent que lephénomène est déjà ancien et qu’il y a eu plu-sieurs alertes au cours des 40 dernières années. Lespremiers signes avant-coureurs sont nés à la fin desannées 1960 et se sont déployés dans les années1970 lorsque les citoyens se sont, un peu partoutdans le monde, interrogés sur le modèle de société.Les mouvements de protestation de l’époque ontconcerné différents thèmes de société, questionnantaussi bien le fonctionnement de la famille que lerôle joué par les multinationales dans les pays endéveloppement, ou encore la qualité des modes devie urbains.

Un phénomène de même nature, bien que différentdans ses manifestations, s’est produit à la fin desannées 1980 et s’est progressivement affirmé dansla première partie des années 1990. Un nombreimportant de nos concitoyens se sont interrogés surle sens de la consommation, du travail, de lacitoyenneté. Contrairement aux réponses obser-vées dans les années 1970, cette période de douten’a pas débouché sur un mouvement de contesta-tion et d’opposition, mais sur un modèle d’in-fluence, de participation et d’engagement sous denouvelles formes en faveur d’une inflexion denotre modèle de société.

Les préoccupations sociétales, et l’impact que nousobservons aujourd’hui sur l’entreprise, ne résultentpas d’un phénomène conjoncturel, mais de la mon-tée en puissance progressive d’un mouvement pro-fond. Cette mutation est portée par des forcessociologiques structurantes, larges et durables. Structurantes, car elles impactent une grandevariété d’aspects du fonctionnement de notresociété. Larges, car elles concernent la plupart des paysoccidentaux et gagnent les pays émergents. Enfin durables, car comme nous l’avons dit précé-demment, ce mouvement prend racine il y a plu-sieurs décennies et se projette délibérément dans lelong terme. Nous sommes loin des préoccupa-tions « ici et maintenant », caractéristiques desannées 1980.

Les lignes de force sociologiques de la montée enpuissance du développement durable peuvent serésumer à un ensemble de tendances que nous allons traiter dans les pages qui suivent. L’analyses’appuie sur les données de l’Observatoire 3SC deSociovision Cofremca.

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Un modèle de société interpelléNous l’avons dit, un mouvement de quête de sensa émergé au tournant des années 1990. Les gensse sont mis à questionner leurs modes de vie : leurfaçon de travailler (« pourquoi travailler autant,pourquoi faire carrière ? »), leur façon de consom-mer (« pourquoi acheter toujours plus ? »)… Unnombre croissant de citoyens se sont mis à éprou-ver le sentiment que la société fonctionnait mal ;pire, qu’on allait à la catastrophe.

Progressivement, ce mouvement a conduit à uneinterrogation du modèle de société. Aujourd’hui,78% des Français ont le sentiment que « nous som-mes en train de saboter le monde dans lequel nousvivons »2. Ce constat sur les dysfonctionnements denotre civilisation et de leur impact sur la marchedu monde se nourrit d’une grande variété d’inquié-tudes : inquiétude sur l’environnement, bien sûr,qui n’a cessé de croître au cours des dernièresannées, mais aussi inquiétude sur la capacité denotre société à apporter bien-être et progrès éco-nomique pour tous, à relever des défis liés au vieil-lissement, au sous-développement, inquiétudeencore sur l’avenir des protections sociales, sur lasécurité des personnes dans un contexte de mon-tée de la violence et du terrorisme, et bien d’autresencore.

Un monde économique qui donne l’impression dese désintéresser des enjeux de sociétéLes préoccupations sont d’autant plus vives que,dans la marche du monde des affaires, les intérêtséconomiques priment sur les intérêts des individus,et que partout le rôle et l’influence des Etats recu-lent. 86% des Français pensent que « la sociétéaujourd’hui donne trop de place à l’économie etpas assez à l’humain ». L’Etat-providence sembles’essouffler. Les Français prennent conscience queles systèmes de solidarité mis en place entre géné-

rations, entre actifs et inactifs, sont menacés. 74%d’entre eux craignent « que la Sécu ne fasse failliteet ne puisse plus effectuer les remboursementsmaladie », une proportion en hausse de 20 pointsdepuis 2000.

Inventer les bases d’un nouveau modèle de sociétéIl y a quelques années, des travaux réalisés parSociovision Cofremca pour le club de réflexion« L’ami public » montraient que la plupart desFrançais interviewés à cette époque secrétaient lesmécanismes mentaux, non pas d’une société idéale,mais d’une « société rêvée ».

Le désir d’un développement économique etsociétal harmonieux s’affirmait avec force.Contrairement à des périodes passées, il ne s’expri-mait pas de façon revendicative et protestataire,mais prenait la forme de micro-initiatives indivi-duelles et micro-sociales, visant à faire évoluerson mode de vie et les comportements autour desoi. Il ne s’agissait pas, on l’aura compris, degrands bouleversements, à impacts massifs. Nousobservions plutôt du pragmatisme, un change-ment par petites touches, par tâtonnements etexpérimentations.

Les voies défrichées, pas nécessairement bienconscientes dans l’esprit de nos concitoyens, révé-laient un ensemble de priorités en assez fort déca-lage avec ce qu’ils percevaient du mode defonctionnement de notre société. Alors que lesFrançais voyaient s’affirmer dans les entreprises laprééminence des valeurs matérielles, ils explo-raient individuellement plus avant des dimensionsplus qualitatives et immatérielles. Alors que sem-blait dominer une logique transactionnelle, com-merciale et administrative, dans les rapports entrepersonnes, ou entre personnes et institutions, lesFrançais travaillaient à redonner de la vigueur à laconvivialité et au relationnel. Alors que les entre-prises affirmaient haut et fort l’importance accordéeà la performance économique, au résultat et à la

Un modèle de société qui ne parvient pas à régler les enjeux sociétaux

L’aspiration à un nouveau modèle de société

2 - Les chiffres, comme tous ceux cités dans cette partie, sontissus de l’Observatoire 3SC Sociovision Cofremca de 2006

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La mutation du tissu social et des formes desolidaritéLa façon dont les individus vivent ensemble s’estlargement modifiée au cours des dernières décen-nies. Au conformisme du groupe (métier, religion,appartenance partisane) a succédé une montée dupoids de l’individu et un recentrage sur son envi-ronnement affinitaire. Ce déplacement du regardet des priorités a de fortes conséquences sur lefaçonnement du modèle de société qui s’inventeprogressivement.Moins orientés vers les formes institutionnellesd’appartenance et de référence, les Français sesont progressivement éloignés des mécanismes col-lectifs qui assuraient leur cohésion et leur cohé-rence : la solidarité, la discipline idéologique, lerespect de principes collectifs, le respect des auto-rités (école, police, Etat, leaders politiques, écono-miques et d’opinion…).

Cet affaiblissement du collectif a contribué à alimenter l’opinion selon laquelle l’individualismea pris le pas sur l’esprit collectif. Les travaux réa-lisés par Sociovision Cofremca montrent que lerapport de l’individu au collectif est un jeu perma-nent de construction / adaptation du « je » et dedéconstruction / reconstruction du « nous ». Lecollectif est une réponse provisoire pour mieuxrésoudre des problèmes partagés ; c’est aussi unecontrainte dont les individus se libèrent dès lors

que les avantages de la liberté individuelle l’empor-tent sur les avantages du respect des contraintescollectives. Ce que nous constatons surtout, c’estun déséquilibre entre le bénéfice individuel ressentiet la contrainte perçue par les individus. Alorsque les institutions perdent pied par rapport auxindividus, nous observons un mouvement enfaveur de nouvelles formes de régulation et le sou-hait d’en rétablir de nouvelles mieux adaptées auxproblèmes d’aujourd’hui.Se substituant aux anciens mécanismes de régula-tion (solidarité collective, autorité…) de nouveauxmécanismes ont progressivement émergé.

Le principe de responsabilité individuelle et lerespect des règlesFace aux difficultés éprouvées par les systèmescollectifs, les Français ont progressivement prisconscience que ceux-ci étaient minés par des effetspervers qui allaient finir par les vulnérabiliser. Lesystème de solidarité collective butait de plus enplus sur la difficulté d’en assumer le coût et la per-formance. Progressivement, un consensus s’estforgé sur l’idée qu’il fallait maintenir les systèmescollectifs mais en repréciser les modalités d’usage,c'est-à-dire les droits et les devoirs de chacun. Par exemple : 78% des Français trouvent normalque « l’assurance chômage cesse d’indemniser deschômeurs qui ne font pas les efforts suffisantspour retrouver du travail ».

« valeur pour l’actionnaire », les Français oppo-saient la qualité du service au client, la préoccupa-tion à l’égard des laissés pour compte, l’équilibreentre les préoccupations humaines et le développe-ment économique. Les plus militants d’entre euxse sont mis à inventer un contre-langage économi-que : le commerce équitable, le bio… et finalementle développement durable.

Des associations se sont renforcées, beaucoup sesont créées pour relayer cette montée des préoccu-

pations sociétales. Aujourd’hui, le langage écono-mique alternatif est récupéré par le marketing,montrant ainsi la formidable capacité des entrepri-ses à intégrer les préoccupations montantes dansla société.

Nous connaissons mieux aujourd’hui le chemine-ment socioculturel qui s’est opéré pendant cettepériode. En voici les principales lignes.

Quelques soubassements socioculturels à la montée en puissance du

développement durable

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La société « compassionnelle »Depuis plus de trente ans, en parallèle à l’effondre-ment des idéologies, le niveau d’empathie s’estlargement diffusé. Par exemple, 63% des Françaisse disent « touchés par ce qui se passe à l’étranger,par des événements qui concernent des populationsd’autres pays ». La même proportion le dit égale-ment d’un mendiant dans la rue. Les préoccupa-tions des Français se tournent de plus en plus versdes causes sociétales qui font appel à la compas-sion : la précarité, la dépendance des personnesâgées, etc.Conséquence : les critères sensibles prennent dupoids et influent sur l’opinion publique. Cettemontée de l’empathie conduit les Français à êtremoins caricaturaux dans leur appréhension dessujets de société. Il y a moins les « bons » et les« mauvais » citoyens, ceux qui sont « courageuxet qui travaillent » et les « fainéants qui ne travail-lent pas ». Cela impose un traitement plus fin, pluscomplexe, souvent plus systémique des problè-mes. On voit s’installer un peu partout une capa-cité de la société à influer sur le cours des choses.Par exemple, les citoyens cherchent à transformerl’entreprise en exigeant d’elle qu’elle travaille dansune perspective durable.

La société « thérapeutique »La mobilisation durant l’hiver 2007 en faveur desSDF, comme auparavant l’immense élan de solida-rité financière après le tsunami de 2004, attestentd’une capacité de citoyens et d’acteurs locaux à semobiliser spontanément à grande échelle. Ils ten-tent ainsi d’apporter localement des réponses auxproblèmes qui se posent, et pour lesquels ils ont lesentiment que les grandes politiques publiquessont insuffisamment efficaces. Le tissu associatifjoue un rôle très important dans ce maillage localet dans sa vitalité.

Un enjeu pour les acteurs institutionnels seraitd’encourager cette capacité « d’automédication »de la société. Nous avions relevé des exemplessimilaires il y a quelques années lorsque les ban-lieues risquaient d’exploser. Les acteurs locaux, ycompris les habitants, s’étaient alors mobilisés

pour en réduire le risque. La remise en cause parles gouvernements successifs des équilibres quis’étaient progressivement installés dans ces ban-lieues grâce aux associations, a contribué il y adeux ans à leur explosion sociale. Il est essentielpour les acteurs économiques et politiques desavoir utiliser les forces latentes de leur environne-ment.

La fragmentation des formes de solidaritéDans les sociétés modernes, les revendicationscitoyennes se dispersent avec la segmentation desenjeux sociétaux. Elles se centrent moins sur lesgrandes protections collectives (défense des acquissociaux et intérêts catégoriels, demande de régula-tion et de contrôle des entreprises par les pouvoirspublics). Elles s’orientent désormais vers des cau-ses suscitant l’empathie (maladies orphelines, jeunes des banlieues, illettrisme…). Cette frag-mentation des causes conduit à une multiplicationdes sujets de mobilisation. Le revers de la médailleest une dilution des actions dans des directionsmultiples.

Le besoin de « sécurité active »Le rêve d’une société « plus humaine » n’est pastant celui d’une société qui instaure l’égalité pourtous que celui d'une société qui assure des condi-tions équitables à la réussite individuelle et qui pro-tège les plus faibles. Engagés dans des logiquesd’adaptation individuelle, les gens sont moins atta-chés aux filets de protection collective. Pourautant, la propension à vouloir se constituer sespropres filets de sécurité se fait croissante. Parexemple, des salariés reprennent des études ousuivent des formations le soir pour orienter leurcarrière et favoriser leur employabilité. Plus large-ment, nous observons une multiplication des décisions individuelles qui visent à rendre la vieplus « sécurisante » : surveiller son alimentation,rester employable, se maintenir en forme…L’affaiblissement des systèmes de protection socialey est sans doute pour beaucoup, mais la réponseinventée par les Français n’allait pas de soi etreflète leur vitalité et leur capacité à se prendre enmain. A noter que l’on peut considérer que cette

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recherche de « sécurité active » est à l’individu ceque le développement durable est à l’entreprise :l’opportunité de se construire une sécurité dynami-que et réactive face aux incertitudes.

Une tendance lourde vers « l’écologie vitale »Le développement durable est un concept relative-ment récent. Il est, nous l’avons dit, une réponseinventée par la société pour traduire de façon opé-rationnelle un désir de développement équilibré,qui ne soit pas aveugle aux préoccupations desgens. Très tôt, il prend forme à l’intersection d’in-terrogations scientifiques et de convictions idéolo-giques, puis commence à s’exprimer sur le plangéopolitique, avant de faire finalement l’objet d’unconsensus par delà les clivages politiques. En 1987,le Rapport Bruntland le définit comme « un déve-loppement qui satisfait les besoins des générationsprésentes sans compromettre l’aptitude des géné-rations futures à satisfaire leurs propres besoins, àcommencer par les plus pauvres ». Ses trois piliers,définis par la suite, impliquent un spectre large« People, Planet, Profit » : le Social, l’Ecologie,l’Economie. Plus qu’un concept imposé d’en haut, le dévelop-pement durable rencontre aujourd’hui les aspira-tions fortes des citoyens à un nouveau modèle desociété. Ainsi, 85% des Français considèrent que« chacun a sa part de responsabilité dans ce quiarrive à l’échelle de la planète ». Seuls 19% desFrançais « se moquent complètement de ce quedeviendra la planète dans 200 ans ». Le dévelop-pement durable s’appuie sur un mouvement defond de la société que Sociovision Cofremca abaptisé « l’écologie vitale ».

Depuis plusieurs décennies, les individus prennentdavantage conscience d’eux-mêmes, de ce qui estbien pour eux, de ce qui est bien pour l’espèce.Cette conscience s’alimente d’une grande faculté decompréhension des situations complexes, des zonesd’incertitude et d’une dose d’intuition non négli-geable. Elle s’est progressivement élargie auxenjeux de société.

La conscience de la société est certes moins bonneque celle qu’on a de soi, cependant on comprendmieux les mécanismes à l’œuvre dans son fonction-nement. Pour que la société soit plus harmonieuseprogresse l’idée qu’elle doit être plus accueillantepour les individus, ne pas laisser les plus fragilessur le bord de la route, donner les moyens à cha-que individu de gérer au mieux sa situation tout aulong de sa vie. Elle doit aussi prendre en compte lesproblèmes le plus précocement possible, ne pasattendre que le temps joue contre.

Cette « écologie vitale » qui embrasse dans unmême mouvement l’individu, l’espèce, la société etla planète reflète un basculement de paradigme entrain de se produire. De plus en plus, une pressions’exerce sur les acteurs publics pour que les indi-vidus, l’espèce, le fonctionnement harmonieux dela société et la préservation de la planète soient aucœur des priorités. Par exemple, bientôt il s’agiramoins de « produire en polluant moins » que de« produire pour améliorer la planète ».

Les répercussions au niveau individuel sont mul-tiples. Aujourd’hui, les gens sont très attentifs àleur qualité de vie, à leur bien-être et à leur santé.Mais aussi à leur cadre de vie, leur équilibre per-sonnel, leurs conditions de travail. Ce mouvementse traduit dans les comportements et les choix devie : manger bio, aller au club de remise en forme,porter attention à la qualité de l’urbanisme, refu-ser les nuisances sonores, se soucier de sécurité ali-mentaire…

« L’écologie vitale » relève d’une écologie au senslarge qui protège l’individu, ses proches, sa santé,sa sécurité, son cadre de vie, etc. Elle place l’hu-main et la vie au centre. Elle intègre pleinement lesbénéfices du progrès technologique et ne rejette nile capitalisme, ni la consommation dont on entendconserver tous les bénéfices. La qualité de vie auprésent est fondamentale, mais la dimension dufutur prend une part croissante.

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Les entreprises n’échappent pas au questionne-ment sur le modèle de société. La puissance acquisepar nombre d’entre elles, l’impact socio-humain etécologique qu’elles représentent, font que leurplace et leur rôle sont interrogés par les citoyens.Les acteurs économiques sont suspectés de ne passervir les intérêts de la société. Seuls 44% desFrançais jugent que les grandes entreprises ser-vent les intérêts du public, 31% estimant que leursactions vont à son encontre.

Les PME souffrent moins de cette défiance (13%seulement). Un tiers des Français (31%) déclarentboycotter les entreprises qui ne sont pas respec-tueuses de la société.

Les entreprises courent aujourd’hui le risque des’écarter trop des évolutions de la société.

Le développement d’un projet sociétal et l’engage-ment dans une démarche de développement dura-ble sont sans doute une opportunité qui s’offre àelles.

Cette défiance à l’égard des entreprises rejoint unmouvement plus large. Les citoyens ont majoritai-rement le sentiment que les leaders politiques, les(grands) partis et les (grands) syndicats, voiremême les médias, ne représentent pas non plusleurs intérêts et sont loin de leurs préoccupations.

Seules les mairies et les associations humanitairessont considérées comme étant plus proches descitoyens. De fait, dans leur confrontation auxacteurs économiques, les ONG bénéficient de laconfiance des citoyens. L’entreprise est desservielorsque ce rapport de force s’instaure.

Une entreprise qui ne peut ignorer les transformations de son environnement

Le rôle de l’entreprise en question

L’idée communément répandue veut que lesFrançais soient contre les entreprises et l’économie.Les travaux de Sociovision Cofremca montrent, aucontraire, que rarement les citoyens ne se sontautant intéressés au rôle de l’entreprise. Les atten-tes à l’égard de l’engagement des entreprises dansla société se renforcent depuis une dizaine d’an-nées.

Une large majorité des Français (60%) estimentainsi que les entreprises ne doivent pas seulementse concentrer sur leur rôle économique, mais sepréoccuper également des effets de leurs actions.Les citoyens considèrent qu’il devient indispensa-ble pour l’entreprise qu’elle contribue à la résolu-tion des besoins sociétaux.

Avec la perception que la société fonctionne defaçon déréglée se fait grandissant le souhait devoir l’ensemble des parties prenantes (Etat, collec-tivités, associations entreprises, individus…) pren-dre leur part de responsabilité dans les enjeux de

société. Les Français sont de plus en plus ouvertsà l’idée que « tout le monde doit s’y mettre », àtitre individuel et/ou collectif.

On l’aura compris, le développement durable n’estpas une mode et encore moins un phénomèneconjoncturel. Il se déploie de façon plus ou moinsaffirmée depuis près de 40 ans. Il ne tire plusaujourd’hui sa force de l’action confuse d’un petitgroupe d’éclaireurs, mais d’une prise de consciencemassive, de la part des citoyens, des questionsposées par l’avenir de la société et de la planète.

C’est un nouveau modèle de société qui s’invente,qui fait bouger les frontières, remet en cause leshabitudes, exige un haut niveau de compréhensiondes mécanismes de fonctionnement de notresociété, de l’écologie de notre planète. Et c’est undéfi considérable pour les entreprises : pas seule-ment le défi de polluer moins, ou de contribuer çàet là à améliorer le fonctionnement de notre société,mais celui d’examiner différemment leur finalité.

Un mouvement de société très en faveur de l’entreprise

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L’engagement sociétal de l’entreprisese fait dans une logique d’adaptationdouce du capitalisme

A travers le mécénat, les fondations, les actionssociales et sociétales, les entreprises sont depuis trèslongtemps engagées vis-à-vis de la société. Il s’agis-sait jusqu’à présent d’activités complémentaires,pour ne pas dire périphériques ou à la marge deleur métier. Beaucoup d’entre elles ne conçoiventencore aujourd’hui leur responsabilité et leurimplication que sur les domaines qui relèvent deleur métier. Timides jusqu’à ces dernières années,les engagements de l’entreprise en faveur du déve-loppement durable se sont accrus. D’où vient cettemontée des engagements de l’entreprise ?

Les entretiens que nous avons réalisés auprès deresponsables d’entreprises montrent que pourbeaucoup d’entre elles, il s’agissait de réponsesd’urgence face à la montée des critiques (en matièrede pollution, d’intégration des handicapés, de priseen compte de la diversité, d’action de développe-ment dans les pays du Tiers-monde, etc.).

Jusqu’à présent, ces réponses, plutôt défensives,ont témoigné de l’esprit d’ouverture des entre-prises sur ces thèmes : nomination d’un responsa-ble du développement durable, actions de sponso-ring et de mécénat, rapport annuel présentant lesmesures prises pour renforcer des attitudes socia-lement responsables, etc. Les moyens pour faire -et faire savoir - qu’on se préoccupe du développe-ment durable et qu’on est partie prenante du mou-vement de responsabilité sociale des entreprises, sesont ainsi largement accrus depuis une dizained’années.

Aujourd’hui, les entreprises s’interrogent sur lesformes de leur implication dans la société (dévelop-pement durable, responsabilité sociale, mécé-nat…). Une nouvelle étape s’ouvre et n’a pasencore sécrété ses lignes de force pour le futur.Constatant que toutes les entreprises font peu ouprou la même chose, certaines d’entre elles envisa-gent, par exemple, la possibilité d’une approchedifférenciatrice en matière de développement dura-ble et de responsabilité sociale. Cette approcheapparaît d’autant plus intéressante qu’elle pourraitdéboucher sur un avantage compétitif durable.Certains dirigeants se prennent à rêver à de nou-veaux modèles économiques à forte valeur ajoutéesociétale, fondés sur une approche de développe-ment durable.

Les voies d’une telle démarche restent à inventer,mais elles passent par une imbrication étroite entremodèle économique et modèle sociétal. Longtemps,les entreprises ont traité en parallèle la questionéconomique et la question sociale (par exemple lesconséquences sociales des restructurations…).

Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la recherched’un modèle économique qui apporte une fortevaleur ajoutée sociétale. Les entretiens réalisésauprès des responsables de grandes entreprises etd’experts, ainsi que les travaux du groupe deréflexion prospective, ont permis de préciser l’étatdans lequel se trouvent beaucoup d’entreprisessur ces sujets.

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Lorsque l’on dresse un panorama des entreprisesexistantes, le niveau d’implication opérationnelest inférieur aux espoirs formulés lors de la créa-tion des fonctions développement durable / RSE.

Les situations et les statuts des personnes en postesur le développement durable ou le mécénat sem-blent très variables d’une entreprise à l’autre.L’impact peut être fort lorsque l’engagement estdirectement porté par la direction générale ouconfié dans le cadre d’une politique globale à desresponsables convaincus et très impliqués eninterne et à l’externe (dans des institutions, desassociations, etc.).

En revanche, l’impact est faible lorsque la missionest confiée à des relais exécutifs, voire parfois à desresponsables à contre-emploi pour des réponses aucas par cas, sous la contrainte. Les moyens d’actionrestent souvent modestes, même lorsqu’ils ont unegrande visibilité médiatique. Pour la plupart desentreprises, il n’y a pas nécessité d’adapter leurmodèle économique. Seul le ressort de la contrainteet du risque les guide.

Et sur le plan des contraintes, comme le soulignel’un de nos interviewés « les traités internatio-naux sont de plus en plus difficiles à mettre enplace car ils sont le fruit d’une longue concertationentre des acteurs toujours plus nombreux, quandon voit le nombre de pays présents à l’ONU parexemple. La « soft law » (charte, codes éthiques…)comble ces lacunes mais elle n’a pas valeur obliga-toire ».

A cet égard, les espoirs fondés sur la notationextra-financière ne se sont pas encore concrétisés.Le poids réel des agences de notation extra-finan-cière est discuté. Elles sont un « poil à gratter »pour de nombreux responsables développementdurable, mais leur pouvoir est limité : la création

d’agences fusionnant notations financière et extra-financière n’a pour l’instant pas abouti. En outre, les investissements socialement respon-sables (ISR), réalisés dans le but d'encourager uneresponsabilisation accrue de l'entreprise, sontencore faiblement développés. Et rien n’indiqueque la situation pourrait changer. Un de nos inter-viewés souligne toutefois que « la montée en puis-sance des fonds de pension et de l’épargne salarialedevrait avoir un impact sur le poids des agences denotation car ils sont attentifs aux placements. C’estun facteur structurant à long terme (recours à l’ISR,utilisation de la notation) ».

De nombreux facteurs ont pu être identifiés pourcomprendre les niveaux d’implication sociétaledes entreprises dans le développement durable oule mécénat. Ces facteurs sont principalement lessuivants :

L’histoire de l’entrepriseIl existe un terreau favorable à l’implication socié-tale dans certaines entreprises : courant chrétienancien, dirigeants s’étant précocement engagés surces domaines (Lafarge, AXA, Danone…), etc.

Leur engagement s’inscrit aujourd’hui dans unehistoire et une identité. Force est de constaterqu’avec le renouvellement des dirigeants et lesévolutions de l’actionnariat, ce facteur tend pro-gressivement à disparaître.

Le type de secteurLes prises de conscience en matière de développe-ment durable sont plus ou moins fortes selon lecycle économique et l’exposition à des risquessociétaux.

La taille de l’entrepriseCibles des « campagnes d’interpellation », les mul-tinationales sont souvent plus aguerries.

Une grande variété de niveaux d’implication des entreprises

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Elles drainent dans leur sillage leurs fournisseurs,souvent des PME, qui s’inscrivent sous la pressiondans cette démarche.

Les acteurs au sein de l’entrepriseEnfin, et ce n’est pas le moindre facteur : les respon-sables développement durable, RSE ou mécénat

constituent de plus en plus une force agissante ausein de l’entreprise. D’une entreprise à l’autre, ilsont souvent l’occasion de se croiser et de travail-ler ensemble. Ils symbolisent le souhait d’engage-ment de leur entreprise dans la société, et œuvrent à lefaire partager par l’ensemble de leurs collaborateurs :« le ver sociétal est dans l’entreprise ».

Dans les faits, les grandes entreprises se sont enga-gées dans des démarches d’implication sociétale defaçon prudente et contrainte. Selon la plupart desinterviewés et des participants à nos réunions,c’est d’abord pour répondre à des préoccupationsd’image externe que les entreprises ont progressi-vement créé puis structuré les fonctions de respon-sables développement durable et/ou RSE au coursdes deux dernières décennies.

Plusieurs facteurs y ont contribué :

La nécessité de répondre aux « campagnes d’interpellation » des ONGDès les années 1980-1990, les attentes descitoyens-consommateurs à l’égard de l’entreprise sesont amplifiées et la prise en compte de ces acteursest devenue incontournable. Les entreprises,notamment les multinationales, ont dû s’organiserpour faire face à ce risque, d’abord de manièrecurative puis de manière préventive.

« On n’est pas une cible des Amis de la Terre,c’est signe qu’on est bien positionnés. »

« Avec le développement du “ Naming andShaming ” ou du “ Whistle blowing ”, lesacteurs sociaux pointent les problèmes, etcela a un impact fort sur les entreprises. »

« Les entreprises ont en mémoire les grosproblèmes de celles qui n’ont pas pris en

compte les aspects sociétaux. Par exemple,Shell et Total qui ont été boycottées, Nike quia eu des problèmes de réputation sur la ques-tion des fournisseurs dans les pays du Tiers-monde. »

Le poids de l’actionnariat et des marchés financiersLes premières agences de notation extra-finan-cière ont été créées au cours des années 1990.Leurs indicateurs ont été intégrés par des entrepri-ses soucieuses de répondre à ces nouvelles normes.Le remplissage des questionnaires des agences denotation a progressivement mobilisé un nombrecroissant de ressources internes en entreprise.

« Un des plus grands motifs de satisfactiond’un responsable RSE est de figurer dans lespremières places du Dow Jones SustainabilityIndex. C’est signe que son entreprise estconsidérée comme étant en pointe. »

La législationDe nombreuses contraintes incitatives (chartes,normes ISO, labels, codes de conduite sectoriels,référentiels d’évaluation…) encadrent les activitésdes entreprises. En France, la loi NRE de 2001oblige les entreprises cotées à insérer un chapitresur le développement durable dans leur rapportannuel. Ce facteur réglementaire est considérécomme un puissant moteur du passage à l’acte desentreprises.

Une réponse sous la contrainte, autour d’un enjeu d’image

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Ces réponses sous contrainte traduisent l’embarrasqui demeure dans beaucoup d’équipes dirigeantes.Il n’est pas rare de constater la division des équi-pes dirigeantes sur le sujet. Il n’est pas rare nonplus d’entendre des dirigeants d’entreprises ouleurs représentants opposer la menace sur l’emploià la contrainte du développement durable. Mêmelà où les Présidents de sociétés et de groupes sont

intimement convaincus de l’urgence d’engager unedémarche de développement durable, les résistan-ces de leurs collaborateurs directs restent fortes.

L’évidence du développement durable n’est pasencore massivement comprise, même si les effortsréalisés ces vingt dernières années sont impor-tants.

Les entretiens montrent qu’aujourd’hui les diri-geants sont pragmatiques et perçoivent la nécessitépour leur activité d’opérer dans une société quifonctionne mieux. C’est à une forme d’adapta-tion douce du capitalisme que nous assistons. Lesentreprises comprennent que leur survie passe parune logique de développement de la société.

Les responsables rencontrés le soulignent : si leurentreprise décide de s’engager dans la société, c’estdans une logique « gagnant-gagnant ». Elle répondd’abord à la nécessité de s’adapter aux contraintesqui se présentent, voire cherche à les transformeren opportunités de business.

« Depuis les années 1970 et le débat sur l’en-treprise citoyenne, les entreprises ont prisconscience qu’elles ne peuvent fonctionnerharmonieusement dans une économie de mar-ché avec 10% d’exclusion et 25% de chô-mage des jeunes. Pour elles, cela signifie unequalité appauvrie de la main d’œuvre et desconsommateurs en moins. »

« Les grandes entreprises prennent consciencequ’elles feront des bénéfices si elles contri-buent à l’amélioration du sociétal, et qu’enrevanche leur business serait victime d’unenon amélioration. »

« Avec des salariés satisfaits (=motivation),des consommateurs satisfaits (=business), des

actionnaires satisfaits (=stabilité), s’installeune logique vertueuse avec des retours réels,même s’ils ne sont pas toujours quantifiés. »

« Les entreprises sont en position de force.L’économie de marché est dominante. Lesmasses financières internationales ont unpoids croissant, parfois supérieur à celui desEtats. On voudrait que les multinationalesrendent des comptes, or elles ne rendent descomptes à personne sauf à leurs actionnaires.Cependant, les multinationales ne peuventêtre indifférentes à leur image de marque.»

Dès lors, les actions menées par les entreprises dansla société (mécénat, développement durable…) ne lesont pas « en dehors » de leurs enjeux économiques.

L’esprit de philanthropie pure, le don financier« désintéressé » et sans contrepartie, semblent demoins en moins d’actualité, même si certains diri-geants peuvent cependant le poursuivre à titre per-sonnel. De plus en plus, les actions sociétales sontexaminées en fonction de leur contribution audéveloppement de l’entreprise.

« Du développement durable, on peut enfaire tant que cela n’altère pas la profitabilité.Moi, je ne suis pas contre. Je suis pour tout cequi met de l’huile dans les rouages, ce quiassure la cohésion sociale, ce qui favorise ledéveloppement. »

Une implication nécessaire à leur développement

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« De toute façon, un modèle gagnant-gagnant. Je ne cesse de répéter aux ONG etpartenaires de notre politique de mécénat,quitte à choquer, que nous sommes une entre-prise marchande. »

« Notre challenge est le développement d’ou-tils permettant de quantifier l’effet de levieréconomique du développement durable. Celapermettrait de donner de la crédibilité à ladémarche en interne, entraîner les managerset les publics sceptiques. »

Si, à propos du développement durable, les motssont aujourd’hui plus grands que les actes, il pour-rait en être autrement demain. Dans certainssecteurs, ou dans des entreprises souhaitant sedémarquer sur leur secteur, on constate unevolonté de transformer la contrainte du dévelop-pement durable en opportunité de développementpour le futur. C’est le cas notamment sur les mar-chés à forte compétition, possiblement en fin decycle, ou en panne de modèle économique durable.

Certaines entreprises sont mieux préparées qued’autres à ce virage qui pourrait concerner unnombre croissant d’entre elles. Dans les interviews,le Groupe Danone a souvent été cité commel’exemple de l’entreprise en pointe sur l’implicationsociétale. Cette entreprise est considérée commevisionnaire en la matière. On parle d’un engage-ment affirmé il y a 35 ans par Antoine Riboudavec son « double projet économique et social ».Antoine Riboud considérait alors que le bien-êtredes salariés et des consommateurs était nécessaireau développement économique de son entreprise.Cette vision se poursuit aujourd’hui grâce à denouvelles actions initiées par son fils, FrankRiboud. La plus récente d’entre elles concerne sonpartenariat avec la Grameen Bank. La démarcheconsiste à relever plusieurs défis à la fois : fabriquerles conditions de solvabilité d’un marché qui nepeut s’offrir des produits alimentaires en quantitéet en qualité suffisantes, contribuer à lutter contreles carences alimentaires, mettre en place unmodèle économique créateur d’emploi local.L’imbrication de l’économique et du sociétal est ici

essentielle. Encore au stade de l’expérimentation,cette approche est une tentative qui illustre bien lafaçon dont l’entreprise, comme acteur économi-que, peut concourir à la résolution de problèmesde société.

Les modèles de développement nés de l’intégrationde préoccupations sociétales par l’économie demarché (économie sociale et solidaire, commerceéquitable, monnaie sociale, finance solidaire etmicrocrédit, consommation responsable…) inspi-rent de plus en plus d’entreprises aujourd’hui. Unnouveau langage et de nouveaux préceptes écono-miques se cherchent et pourraient, à l’avenir, faireévoluer les formes du capitalisme.

Aujourd’hui, le souci d’intégrer une dimensionsociétale au modèle économique est plus ou moinsprésent selon la maturité des marchés.

« Ceux qui n’ont pas vu la révolution indus-trielle sont morts, ceux qui n’ont pas vu larévolution pétrolière et le développement del’outil industriel sont morts, ceux qui n’intè-grent pas aujourd’hui la problématique envi-ronnementale auront demain des outilsindustriels inadaptés. »

Les secteurs économiques sont différemmentaffectés. Voici quelques exemples :

Le secteur automobile est en ce moment dans unesituation difficile car il fait face à une doublepression : économique et sociétale. La faiblesse des

En émergence chez certaines entreprises, la recherche denouvelles opportunités de business

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ventes sur les grands marchés matures n’est pasqu’un signe de difficulté économique conjonctu-relle, mais un réel signal d’alarme sur l’urgentenécessité pour ces entreprises de se réinventer.

La plupart d’entre elles pensent relancer le marchépar des voitures moins chères produites dans lespays à bas coûts. Il n’est pas sûr que cela soit suf-fisant. Les coûts d’approvisionnement énergéti-que, la pollution et la qualité de vie en ville sont lesprincipaux défis de ce secteur. Ces entreprisesseront sans doute contraintes d’inventer des solu-tions durables à ces trois enjeux. Les initiatives del’industrie automobile demeurent timides, même sicelles-ci sont plutôt bien accueillies.

Toyota, par exemple, bénéficie d’un succès d’estimeavec le développement de la voiture hybride. Lesconcurrents qui parient sur des moteurs beaucoupplus économes en énergie, et donc moins pol-luants, ne sont pas en reste. Il est clair que lasociété attend avec impatience les véhicules sobres enconsommation d’énergie et totalement non polluants.

D’autres marchés touchent également leurs limites.Ceux à forte compétition ou qui arrivent à satura-tion, comme l’agro-alimentaire par exemple. Surces marchés, la banalisation des produits est forteet la recherche de différenciation une quête perma-nente. Sous la pression de la grande distribution,beaucoup de produits ont vu leur prix chuter, desmarques ont été vulnérabilisées. Certaines ontemprunté la voie du développement durable pourinvestir des niches.

L’exemple de Stonyfield est éclairant en la matière.Marque américaine de yaourt, l’entreprise mise surun positionnement de développement durableprofondément assumé et militant pour vendre sesproduits à haute valeur ajoutée à un coût supé-rieur au prix du marché. L’entreprise est en fortecroissance sur un marché à l’origine peu accueillant aux produits laitiers frais.

Le secteur énergétique est également interpellé,même si l’épuisement des ressources énergétiquesdemeure l’objet de controverses. Les évolutions sontlentes et les ruptures technologiques ne se font doncque progressivement. Le modèle économique n’estpas encore remis en cause et les dernières annéesmontrent que l’augmentation des prix du pétroleprofite à tous les acteurs du secteur.

On voit cependant le Groupe Total commencer às’intéresser à de nouveaux modes de productionénergétique (énergies éoliennes, énergienucléaire…). Les stratégies de ces acteurs ne sontpas indépendantes des évolutions de société.

L’entreprise peut-elle être absente du marché desénergies renouvelables si les consommateurs s’yprécipitent ? Comment faire face aux conséquencesdes réglementations qui se feront de plus en pluscontraignantes et limitatives pour les énergies fos-siles ?

On le voit, en matière de développement durable,les entreprises ne sont pas en situation d’anticipa-tion ; elles sont au mieux en situation d’accompa-gnement, et le plus souvent en situation derattrapage. Nul doute qu’il faudra encore quelquesannées pour que le développement durable et sesdifférentes formes de mise en œuvre deviennentune préoccupation centrale pour beaucoup d’entreelles. Leur prudence, on l’aura compris, n’est pasune résistance, mais une difficulté à inventer et àmettre en œuvre au bon moment un nouveaumodèle économique à forte valeur ajoutée sociétale. La plupart des initiatives que nous avons pu déce-ler en la matière demeurent de faible ampleur. Laquasi-totalité des entreprises sont aujourd’hui pourl’essentiel dans leur business selon le modèle clas-sique. Un des interviewés parlait des « entreprisesqui donnent des gages de bonne conduite à lasociété », on peut dire aujourd’hui que certainescherchent à aller plus loin et que la route est lon-gue et pavée d’embûches.

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L’adaptation douce du capitalisme aux enjeuxsociétaux se traduit également par un mouvementvers l’interne. Deux objectifs sont alors principa-lement visés par l’entreprise :

L’attachement des collaborateurs à l’entrepriseLes entreprises sont de plus en plus souvent inter-pellées par leurs collaborateurs sur leurs compor-tements à l’égard de la société. Elles ont prisconscience que l’engagement sociétal de l’entre-prise pouvait être un levier additionnel de motiva-tion de leurs collaborateurs. Beaucoup desresponsables interviewés ont aujourd’hui acquis laconviction qu’ils peuvent attirer des jeunes talentsen communiquant sur leur implication dans lasociété. Par exemple, la plupart des entreprisesont conceptualisé une « citoyenneté d’entreprise »autour de valeurs fortes, en cohérence avec lemétier de l’entreprise. C’est le cas des entreprisesdes métiers de l’eau qui communiquent sur leurpolitique de développement durable auprès desjeunes ingénieurs qu’ils cherchent à attirer. Ledéveloppement durable est alors un facteur de dif-férenciation par rapport à des concurrents posi-tionnés sur d’autres métiers. Nous verrons plusloin que le mécénat a un rôle spécifique dans cemouvement. C’est un moyen d’afficher une préoc-cupation pour des enjeux de société importantsaux yeux des salariés (précarité, enfance…).

La modernisation de l’entrepriseLa mise en place des fonctions développementdurable et RSE est parfois utilisée comme un nou-veau levier pour contribuer à une modernisation del’entreprise et par là-même à des progrès économi-ques. Les structurations des fonctions qualité/envi-ronnement et des ressources humaines ont eu lemême objectif en leur temps. Pour certaines entre-prises, c’est une manière de provoquer des « chan-gements de mentalité ». C’est ainsi qu’uneentreprise publique nous a exprimé son choix dese faire noter afin d’habituer ses collaborateurs àse situer dans un benchmark avec la concurrenceet d’ouvrir des pistes de progrès. Autre exemple,une entreprise nous a indiqué considérer le déve-loppement durable comme le moyen de faire pro-gresser le management sur la thématique de ladiversité ou sur l’anticipation des risques.

« Dans les années 80, on a demandé auxmanagers de faire attention à la qualité. Dansles années 90, on leur parlait de RH. Demain,notre entreprise demandera aux managersune capacité de plus : celle d’ouvrir leursoreilles, d’écouter l’extérieur. »

Des opportunités de mobilisation du personnel

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L’opinion des responsables communication, mécénat et développement

durable de 200 grandes entreprises actives en France

(Sondage Ifop pour l’Observatoire de la Fondation de France, octobre 2007)

Autre

Mis en cohérence

Placés sous une direction commune

Complètement séparés

21% 2%

52%

24%

La mise en cohérence de la politique de mécénat et de la politique de développement durable

semble assez générale, elle correspond à la situation de 76% des personnes interrogées.

L’existence d’une fondation ne semble pas conférer plus d’indépendance à la politique de mécé-

nat : la gestion en cohérence ou complètement intégrée des deux politiques concerne 81% des

entreprises ayant une fondation et 70% des entreprises n’en ayant pas.

La subordination du mécénat à la politique de Développement durable ne concerne que 6% des

entreprises interrogées.

Aujourd’hui mécénat et développement durable (ou RSE) sont dans votre entreprise …(1% ne se prononce pas)

Autre Direction généraleou présidence

Direction de lacommunication

Direction des ressources humaines

Service développement durableou RSE

1% 6% 5%

43%

45%

Rattachement de la politique de mécénat

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La montée du développement durablecontribue au renouvellement du mécénat

La vague de fond du développement durable aura-t-elle un impact sur le mécénat ? Des évolutionsont pu être observées à l’occasion de la mise enœuvre des politiques de développement durable.Elles sont souvent l’occasion de la mise en cohé-rence de l’ensemble des démarches sociétales del’entreprise. Certaines entreprises, très actives enmatière de développement durable, n’ont pas véri-tablement d’actions de mécénat. Danone etToyota, par exemple, sont des entreprises qui intè-grent le sociétal dans le développement durable oula responsabilité sociale des entreprises, et qui ontpeu d’actions de mécénat. Va-t-on vers une dissolution ou vers une évolutiondu concept ? Quelle est aujourd’hui la légitimité dumécénat ? A-t-il des spécificités qui en font unoutil attractif aux yeux des entreprises ?

« Je ne sais pas si le mécénat va continuer àse développer : il est lié aux résultats de l’en-treprise, c’est un sport de riches. Si, à traversla politique de DD, on construit une forteimage de l’entreprise, cela peut se faire audétriment du mécénat. »

« Danone, c’est de la philanthropie stratégi-que, l’avenir du mécénat. »

Le sujet est d’actualité. Plusieurs interviewés nousont fait part de l’existence de débats au sein descomités de direction sur les arbitrages budgétaireset la nécessité de séparer de manière étanche oud’unir développement durable et mécénat. Le faitque le mécénat soit rattaché à la communication,aux ressources humaines, au développementdurable, voire au Président directement, est eneffet symptomatique du rôle qu’on lui attribue.

« Dans notre entreprise, nous avons récem-ment clairement séparé les démarches. Notrefondation s’occupe d’enjeux de solidaritépure, le cœur sur la main. Le développementdurable traite désormais des actions en lienavec le business. Ex. politique d’achat de pro-duits du commerce équitable. »

Il semble que l’on assiste à une évolution dumécénat, à son adaptation à de nouvelles problé-matiques, plutôt qu’à une absorption par le déve-loppement durable.Les modèles où le mécénat est complètement inté-gré à la politique de développement durable néces-sitent une logique intégratrice forte et des moyensimportants. Il est illustré par les stratégies deDanone et de Toyota. Un tel modèle ne concerneque 6 % des entreprises interrogées dans le cadrede l’étude quantitative.

Plus couramment, le mécénat est mis en cohérenceavec les objectifs de développement durable et deresponsabilité sociale de l’entreprise. Il s’orientealors plus souvent vers la solidarité (approchesociale du sport et de la culture), ou des domainesproches des métiers de l’entreprise. Pour autant, ilgarde ses atouts face au développement durable,qui garantissent son développement futur et sarelative autonomie. En effet il est moins soumisaux contraintes des métiers de l’entreprise et à sesobjectifs commerciaux. Il permet alors des expéri-mentations variées, utiles à la construction del’identité de l’entreprise.

Une évolution en cours

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Héritage des patrons philanthropes du XIXe siècle,on aurait pu penser que le mécénat s’inscriraitmal dans la logique « gagnant-gagnant » recher-chée par les entreprises. Ce n’est pas le cas. Lemécénat s’est adapté en suivant le même mouve-ment que celui qui est observé à propos du déve-loppement durable : une bonne action qui profiteà l’entreprise. Les agences de notation extra-finan-cière l’ont intégré dans leurs indicateurs, signe quele mécénat est considéré comme contribuant à lapérennité de l’entreprise et de son environnement.Cette reconnaissance montre qu’entreprises et par-ties prenantes trouvent à cet outil un « intérêtbien compris ».

« Avant, le système de pensée légitimait lemécénat au sein de l’entreprise. Aujourd’hui,en tant que responsable du mécénat, il fautdonner des gages, argumenter, montrer qu’onfait du bien tout en pérennisant l’activité del’entreprise. »

« On peut tordre le cou au cliché du mécénatdésintéressé. »

Aux yeux des responsables d’entreprise que nousavons rencontrés, la force du mécénat est avanttout d’être un puissant levier pour témoigner del’engagement de l’entreprise vis-à-vis de la sociétédont on attend des retombées positives en terme decommunication :

« Telle entreprise reverse à la Fondation deFrance une partie de ses bénéfices sur certainsproduits. Cela donne du poids à leur marque,aide à la fidélisation des clients et des salariés.Les actions de mécénat sont un des rares éléments transversaux de la culture d’uneentreprise. »

Vers l’externePar opposition au parrainage ou au sponsoring, lemécénat se pratique sans contrepartie de valeuréquivalente à l’engagement. Il ne peut notamment

pas faire l’objet d’une trop grande communicationexterne de la part de l’organisme bénéficiaire (fon-dation, association, …). En revanche, les actions demécénat sont souvent médiatisées par l’entrepriseelle-même à travers des relations presse et plusrécemment à travers des campagnes publicitaires.Depuis la loi NRE de 2001, le mécénat fournit éga-lement une matière vivante aux chapitres « actionssociétales » ou « développement durable » desrapports annuels.Aujourd’hui, le mécénat, principalement dans ledomaine des solidarités, est devenu une expressionimportante du volet « sociétal » du développementdurable ; une expression de la responsabilitésociale de l’entreprise.

« La loi NRE a mis en valeur le mécénat. Aumoment où elle est passée, les actions demécénat constituaient parfois les seulesactions “ d’intérêt général ” dont les entrepri-ses pouvaient se prévaloir. »

Vers l’interneLe mécénat est de plus en plus envisagé comme unsupport managérial. Il est considéré comme contri-buant à la cohésion sociale, à la construction d’unesprit d’équipe, au développement de la fierté d’appartenance. Il facilite le recrutement puis lafidélisation des collaborateurs. Sous l’impulsiondes responsables de ressources humaines, les colla-borateurs sont alors encouragés à s’impliquer dansdes actions d’intérêt général. Mais l’entreprisen’est pas toujours à l’initiative de l’engagement. Iln’est pas rare de voir une politique de mécénat sestructurer sous la pression d’un collectif de salariésen « quête de sens ».

Un impact sur les modalités d’exercice du mécénat Le mécénat financier est encore celui qui est le pluslargement appliqué. Il est de plus en plus complétépar du mécénat en nature et du mécénat de com-pétences. Dans ce dernier, la palette d’implicationdes salariés est large : ils peuvent se mobiliser pour

Le mécénat : l’outil opérationnel d’engagement de l’entreprise vis-à-vis de la société

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rassembler des fonds pour des projets situés àproximité géographique de l’entreprise. Ils peuventaussi parrainer un projet et demander à l’entreprisede le financer. Ils peuvent enfin mettre leurs com-pétences (marketing, communication, juridiques,techniques …) au service du développement d’uneassociation de leur entourage. On citera la mise enplace du « Statut du collaborateur citoyen » chezSFR qui permet à tout collaborateur de s’engagerquelques jours sur son temps de travail. D’autresentreprises mettent à disposition d’associations,pour une période de plusieurs mois, des employésvolontaires, sur leur temps de travail.

Actuellement c’est surtout sous forme de bénévo-lat que se développe le mécénat de compétences.Par exemple, certaines entreprises ont mis en place« les congés solidaires » les salariés acceptent dedonner de leur temps et compétences à des associa-tions pendant leurs jours de RTT ; l’entreprisecomplète en offrant un soutien logistique.

« Nous prêtons attention à l’irrigation localede projets par les collaborateurs pour intégrerleurs aspirations. Il nous arrive ainsi de trai-ter des causes orphelines. »

« Nous sommes passés d’une logique de gui-chet (les associations venaient nous solliciter)à une logique d’initiatives (nous nous assu-rons que les actions que nous mettons enœuvre sont en lien direct avec nos métiers etnos valeurs) »

Un impact sur les causes qui mobilisent les entreprisesDepuis toujours largement dominant, le mécénaten faveur de la culture figure désormais en posi-tion secondaire, derrière le mécénat dit « desSolidarités » : emploi, précarité, insertion, loge-ment, personnes handicapées, personnes âgées,enfance mal traitée, …

Ces problématiques rencontrent aujourd’hui unplus large écho chez les Français, tour à tourcitoyens, salariés ou consommateurs et trouventainsi le moyen de s’exprimer au sein de l’entreprise.Interrogés par la Fondation de France en septem-bre 2007, les Français réaffirmaient que le mallogement, le chômage et l’éducation figuraientparmi leurs principales préoccupations.

Le mécénat culturel n’est pas le grand perdant deces préoccupations. Il s’illustre à nouveau maiscette fois-ci pour favoriser l’insertion, l’éducation,l’ouverture sur le monde des personnes fragiliséespar la maladie, la précarité, les handicaps, … Onparlera alors de mécénat croisé.

On constate par ailleurs en 2007 la création de dixfondations issues d’entreprises consacrant tout oupartie de leurs fonds à la protection de l’environ-nement. Percée ou effet de mode ? Ce chiffre révèlenéanmoins l’intérêt des entreprises aux préoccupa-tions des citoyens.

Page 23: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

23Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

La fondation : un outil qui a le vent en poupe

Evolution du nombre de création de fondations par des entreprises

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Fondations reconnues d'utilité publique 2 2 7 4

Fondations d'entreprises 7 6 8 3 17 22 35

Fondations abritées* 3 2 5 6 4 9 10

Total 10 10 13 9 23 38 49

* par la Fondation de France, les Fondations Caisses d'Epargne pour la Solidarité, la FRM, la FARMASource : Base de données de l’Observatoire de la Fondation de France

L’opinion des responsables communication, mécénat et développement durable de 200 grandes entreprises actives en France

(Sondage Ifop pour l’Observatoire de la Fondation de France, octobre 2007)

Qui du mécénat ou des démarches de développement durable et de RSE contribue le plus

efficacement aux enjeux suivants … ?

Mécénat L’un comme DD-RSE

l’autre

Enjeu d’image corporate et notamment renforcement de l’identité de l’entreprise 50% 18% 30%

Intégration dans le tissu local 49% 13% 35%

Enjeu de mobilisation et d’attraction des salariés 36% 22% 39%

Enjeu d’image en cas de crise sociale ou environnementale qui concerne l’entreprise 7% 10% 76%

Enjeux commerciaux (marketing, attractivité des marques, conquête de nouveaux marchés..). 24% 9% 55%

Très fortement positionné sur l’enjeu d’image en cas de crise, plus fortement positionné sur l’en-

jeu commercial que le mécénat, le développement durable laisse une part belle au mécénat concer-

nant les enjeux identitaires et d’image corporate de l’entreprise, son intégration dans le tissu local,

et la mobilisation ou l’attraction des salariés.

Page 24: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

24Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Un outil identitairePour la plupart des grandes entreprises (BNPParibas, EDF, Suez, entreprises du CAC 40…), lemécénat est un outil historique, ancien et, de cefait, partie prenante de l’identité de l’entreprise.Pour les PME qui s’y intéressent, il est souvent por-teur des valeurs propres souhaitées par les créa-teurs de l’entreprise.

Un outil facile à gérerLe mécénat offre l’avantage du « cavalier léger » :peu cher et facile à mettre en place. A ce sujet, lesincitations juridiques et fiscales (et la forte commu-nication sur le sujet) sont motrices. Elles légitimentl’outil mécénat. En France, la loi de 2003 a aug-menté le seuil des déductions fiscales possibles. Ona pu observer une forte progression du nombre defondations après la mise en œuvre de la loi de 2003qui augmentait le seuil des déductions fiscales pos-sibles.

« La loi de 2003 a décomplexé les entreprisesvis-à-vis du mécénat. Elle lui a donné uneplus grande légitimité vis-à-vis des hauts res-ponsables d’entreprise, et une plus grandetransparence. »

Un très fort effet démultiplicateur Avec un fonds de départ relativement faible auregard par exemple du prix d’un spot publicitaire,le mécénat a un très fort impact en matière de com-munication. On peut citer le cas de BouyguesConstruction qui a engagé avec le WWF Franceune négociation pour contribuer à la rénovation duchâteau de Longchamp à Paris, siège de l’ONGqu’elle a l’obligation d’entretenir en échange de laconcession par la Ville de Paris. Double bénéficepour l’entreprise de BTP, et pour les autres parte-naires : l’investissement est défiscalisé, et l’entre-prise s’offre une communication à haute valeurajoutée avec la rénovation exemplaire du bâti-ment selon des critères HQE.

Un outil polymorphe et flexibleLe mécénat, exercice libre de l’entreprise, offreune palette de jeu d’une grande diversité. Dans sonexpression tout d’abord : financier, en nature, encompétences, nous l’avons vu plus haut. Dans sagouvernance également : l’entreprise dispose detrois alternatives : agir en régie directe, créer uneassociation de salariés ou créer une fondation(d’entreprise ou abritée sous l’égide d’une fonda-tion reconnue d’utilité publique dûment habili-tée).

Tous trois présentent des avantages et des contrain-tes propres.

Agir en « régie directe » offre une grande souplessedans le choix des modalités d’action, le choix desprojets et l’aide apportée. Ce mécénat est enrevanche davantage exposé aux aléas de marchéde l’entreprise.

La fondation permet d’inscrire dans la durée l’en-gagement social de l’entreprise. Autonome ou souségide, elle affiche une image forte, un étendard por-tant haut le nom de l’entreprise. Sa durée de vie detrois ans minimum et son engagement financier luigarantissent indépendance et autonomie vis-à-visdes objectifs économiques de l’entreprise. Soncadre juridique, thématique et fiscal déterminéoffre une marge de manœuvre moins souple quel’action sous forme d’une association ou en régiedirecte.

« Telle entreprise avait créé une maison pourles jeunes d’un quartier en difficulté. Cela luia permis d’observer une génération et sa créa-tivité. Ce fut très positif pour la R&D, tout enétant généreux pour la société. C’est autrechose que des focus groupes et des tests enlaboratoire. »

Le mécénat : des atouts forts face au développement durable

Page 25: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

25Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

L’opinion des responsables communication, mécénat et développement durable de 200 grandes entreprises actives en France

(Sondage Ifop pour l’Observatoire de la Fondation de France, octobre 2007)

Un outil identitaire

95% des responsables interrogés pensent que la politique de mécénat renforce l’identité de l’entre-

prise vis à vis des publics externes. Cette opinion ne change pas selon que la personne interrogée

travaille dans une entreprise impliquée dans une démarche de développement durable ou non.

92% des personnes interrogées pensent que le mécénat est un moyen d’afficher que l’entreprise

assume sa responsabilité citoyenne vis-à-vis de la société civile.

Facile à mettre en place

69% des responsables de mécénat, communication et développement durable ou RSE considèrent que

le mécénat est facile à mettre en œuvre aujourd’hui, en France.

Cette opinion est plus partagée parmi les personnes qui ont une expérience effective du mécénat

(75%), et notamment à travers un fondation (78%).

En revanche l’implication des salariés dans les politiques de mécénat ne change pas cette opinion.

L’ancienneté du mécénat et donc l’habitude de sa pratique renforce l’opinion qu’il est facile à mettre

en œuvre (81% pour les personnes dont l’entreprise fait du mécénat depuis 1990 et avant).

Peu onéreux pour l’entreprise

67% des responsables de mécénat, communication et développement durable ou RSE considèrent

que le mécénat n’est pas onéreux pour l’entreprise.Le score s’élève à 78% parmi les entreprises effec-

tivement impliquées dans une politique de mécénat.

La taille salariale de l’entreprise impacte fortement l’opinion à ce sujet : 80% des responsables inter-

rogés appartenant à des entreprises de plus de 10 000 salariés pensent que le mécénat n’est pas oné-

reux, ils ne sont plus que 60% parmi les entreprises de moins de 2000 salariés.

Un rapport coût / impact favorable

69% des responsables de mécénat, communication et développement durable ou RSE considèrent que

le mécénat offre un fort impact en terme de communication (interne ou externe) compte tenu de son

coût. Cette proportion s’élève à 77% parmi les entreprises qui n’ont pas de politique de développe-

ment durable. On peut imaginer que le mécénat offre pour celles-ci des avantages coûts / efficacité

que ne présente pas le développement durable.

Cette proportion baisse à 63% parmi les entreprises qui associent leurs salariés à leurs politiques

de mécénat, ce qui laisse entendre que, pour efficaces qu’elles soient en terme de mobilisation, les

politiques d’implication des salariés coûtent plus d’énergie et d’argent.

Favoriser l’intégration de l’entreprise dans le tissu local

91% des responsables interrogés pensent que le mécénat constitue une manière de favoriser l’inté-

gration de l’entreprise dans le tissu local, et notamment auprès des habitants, des collectivités loca-

les et autres acteurs locaux.

Cette opinion concerne 100% des personnes travaillant pour des entreprises impliquées en faveur

du sport et 97% de celles travaillant pour des entreprises impliquées en faveur de l’éducation.

Cette opinion est plus souvent partagée parmi les entreprises situées en province : 98%.

Page 26: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

26Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Développer la motivation des collaborateurs

92% des responsables de mécénat, communication et développement durable ou RSE considèrent que

le mécénat constitue un moyen de développer la motivation des collaborateurs en partageant des

valeurs communes.

Ce chiffre atteint 97% parmi les entreprises qui mobilisent effectivement leurs salariés dans leurs

actions de mécénat, ce qui semble en confirmer l’efficacité.

Assumer une responsabilité citoyenne

92% des responsables interrogés pensent que le mécénat permet d’afficher que l’entreprise assume

sa responsabilité citoyenne vis-à-vis de la société.

Cette opinion s’élève à 97% parmi les responsables d’entreprises n’ayant pas de politique de

développement durable. Ce dernier chiffre semble indiquer que le mécénat est envisagé comme un

premier geste responsable, avant l’engagement d’une politique de développement durable impliquant

l’entreprise dans tous ses fonctionnements.

Moins pertinent en cas de crise sociale ou environnementale

Néanmoins, dans un contexte de crise sociale ou environnementale impliquant la responsabilité de

l’entreprise, la politique de mécénat est plus rarement envisagée comme un élément de défense

efficace pour l’entreprise : 41% seulement des responsables le pensent. La réalité est en fait plus

subtile : grâce à la force des liens qui peuvent être tissés au long d’un partenariat avec une associa-

tion, une situation de crise pourra être abordée plus facilement avec une association positionnée en

partenaire critique mais averti. L’association n’est plus une inconnue hostile a priori.

Le mécénat va se modifier

51% des responsables mécénat, développement durable et communication d’entreprises françaises

pensent que le mécénat va profondément se modifier dans les années à venir.

Cette proportion passe à 57% parmi les entreprises qui impliquent leurs salariés dans leurs politi-

ques de mécénat.

Elle est généralement plus forte parmi les personnes ayant des responsabilités liées au mécénat, que

parmi les responsables de politiques de développement durable ou de RSE.

A quels enjeux le mécénat répondra-t-il à l’avenir ?

A la question : à quels enjeux le mécénat répondra-t-il à l’avenir, les deux réponses spontanées les

plus fréquentes sont : « développer des actions concernant l’environnement et le développement

durable » (22%) et « construire, améliorer, renforcer l’image de l’entreprise » (19% des personnes

interrogées).

Les attentes à l’égard du mécénat pour construire et renforcer l’image de l’entreprise concernent

deux fois plus souvent les entreprises qui ne font pas de développement durable (31%) que les autres

(16%). Elles sont également plus fréquentes dans les entreprises où les salariés sont activement

impliqués dans les actions de mécénat (25%).

Page 27: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

27Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Un lieu de fertilisation croisée avec la société civileLe mécénat est une tête de pont de l’entreprise, unlieu de frottement, l’opportunité d’une fertilisationcroisée entre entreprise et société civile. Dans cetteperspective, le mécénat a encore des potentiels dedéveloppement.

« C’est une zone d’expérimentations, de prisede risque. Le mécénat permet l’enrichisse-ment, la réflexion, le rapatriement d’idéesvers l’entreprise. La veille économique ne per-met pas cela car elle garde le prisme de l’en-treprise. »

Le mécénat est un lieu de dialogue et de rapproche-ment entre ONG et entreprises. Des partenariatséconomico-sociétaux ont vu le jour (WWF-Lafarge, Carrefour-FIDH), souvent encore à titreexpérimental.

« Avec l’exemple de la Grameen Bank, onvoit qu’il y a un intérêt pour l’entreprise à s’allier à de vrais acteurs professionnels pourrésoudre les problèmes de fonds (ex : distribu-tion de yaourts au Bangladesh). On va versune hausse des partenariats gagnant-gagnant. »

L’entreprenariat social, héritier de l’économiesociale et solidaire, rencontre actuellement un cer-tain succès. Son concept peut attirer de nouveauxmécènes (à titre privé, mais aussi d’entreprise) quine s’inscriraient pas dans une démarche de mécénatau sens classique du terme. Soutenir financière-ment, voire accompagner des projets qui reposentsur un calcul économique destiné à l’autonomiefinancière peut séduire des entrepreneurs qui sereconnaissent dans une telle démarche. Par exem-ple, l’association Ashoka, créée par des consultantsdu cabinet McKinsey, soutient financièrement etaccompagne des entreprises sociales qu’elle sélec-tionne chaque année. 30% de ses fonds provien-nent d’entreprises ou de fondations d’entreprise.

Un territoire d’expérimentation qui ne remet pasen cause le modèle économique de l’entrepriseAu sein des entreprises, le mécénat n’est pasconfronté aux mêmes arbitrages que le développe-ment durable. Ce dernier est souvent plus straté-gique, et ses formes d’action font débat dans lescomités de direction. Développer un produit, réin-venter un modèle économique, sont des chantiersqui ont de lourdes conséquences sur le fonctionne-ment d’une entreprise. A l’inverse, le mécénat restefacultatif. Il a peu d’impact économique. Il appa-raît comme un lieu d’expérimentation libre sur lelien de l’entreprise à son environnement.

« Le mécénat permet encore d’aller sur desterritoires extra core business, d’explorer denouveaux terrains, alors que le développe-ment durable reste lié à la stratégie de l’entre-prise avec un plan stratégique très carré, enlien avec le développement économique. »

« Ils ont fondamentalement deux logiques dif-férentes : le mécénat est une expression libre,la RSE répond aux lois et aux contraintes. »

« Le mécénat offre la possibilité d’une dimen-sion discrétionnaire qui échappe à la logiquede calcul économique. »

En tant que lieu d’expérimentation libre, lesactions de mécénat peuvent être l’antichambred’actions de plus vaste envergure qui seront ensuitereprises au sein d’une fondation ou dans le cadred’une démarche développement durable. Ellesoffrent l’avantage de pouvoir tester une action, travailler le consensus en interne, avec un impactéconomique faible.

Il apparaît clairement, tant pour les interviewés quepour le groupe de travail, que le champ d’action dudéveloppement durable et le champ du mécénatsont conduits à se rencontrer et à se bonifier.

Page 28: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

28Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Loin de concurrencer le développement durable,le mécénat est pour l’entreprise la poursuite d’unedémarche d’implication sociétale durable. Enoutre, le mécénat trouve ses débouchés en permet-tant à l’entreprise de vivre dans un environnementplus propice au développement durable de sesactivités. Bien évidemment, les frontières entre

l’une et l’autre de ces formes d’implication socié-tale demeureront hésitantes, et des recouvrementscontinueront d’être observés. Nul doute que l’ave-nir du mécénat sera renforcé par le développementdurable, et que le développement durable ne man-quera pas de devoir se ressourcer dans des prati-ques de mécénat.

L’opinion des responsables communication, mécénat et développement durable de 200 grandes entreprises actives en France

(Sondage Ifop pour l’Observatoire de la Fondation de France, octobre 2007)

Stimuler la créativité

55% des responsables communication, mécénat et développement durable ou RSE d’entreprises

françaises pensent que le mécénat peut contribuer à stimuler la créativité dans l’entreprise, concer-

nant les produits ou le marketing. Cette opinion est nettement plus partagée (63%) dans les entre-

prises où les salariés sont impliqués dans la politique de mécénat.

Les entreprises investies dans un mécénat environnemental ou d’éducation sont plus souvent

porteuses de cette vision du mécénat (respectivement 64% et 66%).

Cette opinion est plus souvent rencontrée parmi les entreprises qui font du mécénat depuis moins

de 15 ans (64%) et parmi les entreprises de plus petite taille (moins de 200 salariés).

Le mécénat : éloigné des préoccupations économiques

La distinction entre mécénat et préoccupations directement économiques semble être relativement

partagée par les personnes interrogées : 51% des responsables communication, mécénat, dévelop-

pement durable ou RSE d’entreprises actives en France ne pensent pas que le mécénat puisse être

un moyen pour conquérir des parts de marché.

Cette opinion est d’autant plus forte que les entreprises concernées mènent effectivement une

politique de mécénat (55%), et que cette politique est orientée vers les solidarités en France (64%)

ou dans le monde (63%).

On trouvera moins d’opinions de ce type parmi les entreprises mécènes du sport et de l’environne-

ment.

Enfin, la séparation entre mécénat et conquête de parts de marché est beaucoup plus souvent faite

en Ile de France (61%) qu’en province (37%).

Page 29: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

29Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Quel avenir pour le développement durable et pour le mécénat ?

On l’aura compris à travers ce qui précède, lesévolutions du développement durable et du mécé-nat sont fortes et contribueront à modifier le pay-sage de nos sociétés dans les prochaines décennies.Si l’engagement des entreprises semble devenirincontournable, il apparaît plus difficile de préci-ser les formes d’engagement sociétal qui seront

dominantes dans les dix ou quinze prochainesannées.

Pour tenter d’anticiper les évolutions qui pour-raient se produire, le groupe de réflexion a réaliséun travail visant à jeter les bases de scenarii pourl’avenir.

Les tendances que nous venons de décrire sont bieninstallées, mais des incertitudes demeurent quipourraient profondément les affecter. Elles concer-nent notamment les domaines économiques et

géopolitiques, mais aussi scientifiques. Certainespourraient avoir un impact à assez court terme,d’autres plutôt à long terme.

S’il y a un domaine qui reste incertain, en particu-lier en France, c’est bien le rôle de l’État. Quelleque soit la majorité au pouvoir, les débats sur« plus » ou « moins » d’État, sous-entendu plus oumoins de régulation par l’État, restent vifs. À l’évi-dence, le modèle de l’État-providence s’essouffle.En même temps, la demande de régulation parl’État continue de croître.

Il est difficile de deviner où ira se placer le curseurdans les années à venir. L’orientation politique desgouvernants actuels tendrait à indiquer unevolonté de désengagement de l’État. Dans les faits,il reste encore très présent. La mise en œuvre dedispositions juridiques et fiscales par les gouver-nants peut jouer un rôle déterminant dans uneprise en compte plus ou moins forte des probléma-tiques de développement durable et de mécénat.Par ailleurs, si l’État inscrivait des critères de déve-loppement durable contraignants dans les appelsd’offres des administrations et des entreprisespubliques, l’impact serait considérable.

Autre domaine encore assez incertain : l’intérêt etla force de l’engagement des entreprises en direc-tion du développement durable. Nous l’avons vu,les écarts sont très importants d’une entreprise etd’un secteur à l’autre. On assiste à une montée dusentiment de co-responsabilité face aux enjeux desociété. Cette montée demeure fragile et l’on peutcraindre que la défiance des citoyens à l’égard desentreprises persiste.

Compte tenu des déconvenues des dernièresannées, le rôle de l’Europe est également undomaine de forte incertitude. L’Europe pourrait eneffet, dans les années qui viennent, se focaliserprincipalement sur la perspective d’un marché éco-nomique. À l’inverse, on pourrait également assis-ter à une forte impulsion vers une Europeéconomique et sociétale, avec de nouvelles lois etrèglements de nature à soutenir les efforts enmatière de développement durable.

Les zones d’incertitude

Les incertitudes à court / moyen terme

Page 30: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

30Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

De plus, la situation économique de la France et del’Europe a forcément un impact. Une évolutiondynamique ou un déclin n’auraient pas les mêmesrépercussions sur les velléités des entreprises às’impliquer dans la société.

Autre sujet de préoccupation qui contribue à trou-bler la vision de l’avenir : la situation sociale de laFrance. Une hausse de la précarisation et / ou desviolences urbaines pourrait obliger les différentsacteurs de la société (État, entreprises, associa-tions…) à se mobiliser davantage, tant sur lespréoccupations sociales qu’environnementales.

L’accentuation des catastrophes naturelles consti-tue un autre élément d’incertitude. Elles pour-raient fortement augmenter la sensibilité àl’écologie, au point de la rendre prioritaire dans lespolitiques mises en œuvre.

La situation géopolitique n’est pas non plus sansinfluence, et contribue à alimenter le flou. Le coursdu pétrole est actuellement très élevé, et si cette ten-dance devait s’accentuer, le développement des

énergies de substitution, notamment renouvela-bles, pourrait sensiblement modifier la donne deséquilibres énergétiques, et offrir la perspectived’une nouvelle révolution économique et indus-trielle. Autre incertitude géopolitique, la politiquedu futur Président américain : nul doute que si lesÉtats-Unis décidaient de prendre à bras le corps lesenjeux posés par les problèmes du développementdurable, l’impact de leur engagement aurait delarges répercussions partout dans le monde.

Certains parlent également de l’émergence d’unebulle verte. Après la bulle Internet, va-t-on ou nonassister dans les prochaines années à un nouveauboom économique autour du développementdurable ? Certaines entreprises ou secteurs ontcommencé à investir dans de nouveaux produitsrespectueux de l’environnement (éoliennes…),notamment aux États-Unis. Il est possible que lesconsommateurs ne suivent pas à la hauteur desespérances placées dans ces nouvelles offres, etque le marché soit moins prometteur qu’il ne lelaisse entrevoir aujourd’hui.

Sur le moyen / long terme, l’incertitude s’accroît etl’on pourrait lister un grand nombre d’exemplesqui pourraient avoir un impact sur l’avenir dudéveloppement durable. Deux d’entre eux noussemblent aujourd’hui particulièrement utiles àprendre en considération :

La durabilité du modèle de consommation. Il y adébat : est-on allé au bout de la logique de baissedu prix des biens, de la mobilisation à faible coûtdes ressources naturelles ? Faut-il évoluer vers denouveaux modes de consommation des biens ?

L’amenuisement des ressources énergétiques.L’incertitude persiste sur son échéance (20 ans, 50 ans…). Pour les entreprises, les conséquences nesont pas les mêmes sur la façon d’orienter leurmodèle économique (rupture, continuité avec denouvelles offres…).Ces hésitations sur le moyen / long terme sontillustratives de l’importance des choix de modèle

de société auxquels auront à faire face les Etats etles entreprises. A partir de l’analyse des tendanceslourdes et des zones d’incertitudes, le groupe detravail prospectif a imaginé des germes de scéna-rio. Certains événements peuvent contribuer àaccélérer ou à freiner la montée des préoccupationsque nous constatons en matière de développementdurable et de mécénat. Il ressort de la réflexionprospective que, hormis une grave crise économi-que ou un conflit géopolitique d’ampleur interna-tionale, rien ne semble pouvoir véritablementremettre en cause la tendance lourde de la montéedu développement durable. L’avenir du mécénatd’entreprise est lié à ce mouvement de fond.Toutefois, les échanges ont montré que, en dehorsde scenarii de rupture, il apparaissait difficiled’évaluer le rythme de la montée en puissance despréoccupations de développement durable. Cespréoccupations vont-elles se diffuser au mêmerythme que ces dernières années ? Vont-elles fléchir, s’accélérer ?

Les incertitudes à moyen / long terme

Page 31: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

31Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Au vu des entretiens et des réactions des membresdu groupe de réflexion, le scénario le plus vraisem-blable est celui dans lequel la société estaujourd’hui engagée, celui d’une adaptation doucedu capitalisme.

Ce scénario peut être décrit schématiquement de lamanière suivante : il repose sur la combinaison dedeux mouvements. D’une part celui de la société,avec une montée continue des préoccupations envi-ronnementales et sociétales qui contribue à trans-former petit à petit les modes de vie et les attentesà l’égard de la société. D’autre part, celui desentreprises qui réagissent en investissant davantagedans le développement durable.

Le poids des contraintes multiples (juridiques,enjeux d’image, etc.) s’accentue mais le modèlecapitaliste n’est pas remis en cause et s’adapte. Unepartie des entreprises saisit ces contraintes pour lestransformer en opportunités de repenser leurmodèle économique et de développement. Sansforcément aller jusqu’à l’internalisation des enjeux

de société, elles innovent pour proposer des offresnouvelles sur des points clés du développement dura-ble. Cela concerne des secteurs clés comme laconstruction, l’automobile, l’agriculture...

Selon les membres du groupe de travail, le point debasculement pourrait être à 3-5 ans pour un cer-tain nombre de secteurs (télécommunications,construction, transports…). Dans ce scénario on constate, cependant, qu’ungrand nombre d’entreprises restent en retrait de cettemouvance et n’évoluent que sous la contrainte.

Le mécénat s’inscrit naturellement dans cette évolu-tion. Il est considéré par beaucoup d’entreprisescomme un moyen de renforcer les liens avec leurscollaborateurs et la société civile. Il est porteurd’image et des valeurs de l’entreprise, et s’intè-gre en cohérence avec ses démarches en matièrede développement durable. Outre son coût relati-vement faible, les dispositions législatives et fisca-les françaises le rendent attractif et le protègentd’une absorption par le développement durable.

Les scenarii

Scénario n°1 : vers un nouveau modèle économique et sociétal

L’opinion des responsables communication, mécénat et développement durable de 200 grandes entreprises actives en France

(Sondage Ifop pour l’Observatoire de la Fondation de France, octobre 2007)

Des responsables très optimistes

81% des responsables communication, mécénat et développement durable pensent que le mécénat

va à l’avenir garder toute sa force et continuer à se développer.

Cette opinion est très partagée (83%) par les responsables dont l’entreprise est engagée dans une

politique de développement durable.

Elle encore plus souvent partagée (92%) par les responsables dont l’entreprise a créé une fondation

pour structurer sa politique de mécénat.

Page 32: Entreprises, mécénat et développement durable : synergie ou concurrence?

32Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

Observatoire de la Fondation de France

Ce scénario est apparu assez peu probable comptetenu des analyses actuelles disponibles. Maisl’exercice par scenarii invitant à concevoir y com-pris l’improbable, il était utile de le prendre encompte. Ce scénario pourrait prendre la formesuivante : la menace écologique semble incertaineou recule. Les recherches scientifiques montrentque les problèmes écologiques sont moins graveset moins imminents que prévu. Les actions enmatière de développement durable se poursuivent,mais se font moins pressantes.

En dépit du haut niveau de sensibilité des citoyens-consommateurs aux enjeux sociétaux, les passages

à l’acte restent rares. Rien n’incite les entrepriseset les citoyens à changer de comportements.

Les entreprises qui développent de nouvelles offrespeinent à séduire des clients. Les coûts demeurentélevés. Les pays asiatiques (Chine, Inde…) conti-nuent de gagner des parts de marché. Les entrepri-ses françaises poursuivent leurs délocalisations,au point d’installer leurs centres de décision dansces pays. Leurs politiques de développement dura-ble et de mécénat sont jugées moins prioritaires.

Une variante de ce scénario porterait sur un dépla-cement des menaces. Il pourrait s’agir d’une montée

Scénario n°3 : l’enlisement

Le développement durable devient l’enjeu desociété prioritaire. Différents facteurs peuventcontribuer à accélérer les prises de conscience et lespassages à l’acte. En voici quelques exemples :

- des catastrophes écologiques répétées et de plus en plus graves ;

- des inégalités économiques et sociales accruesqui contribuent à alimenter la désespérance dans certains pays ;

- un nouveau choc pétrolier.

Les différents acteurs institutionnels, relayés pardes entreprises multinationales, décident desactions énergiques. L’Etat et/ou l’Europe régle-mentent pour augmenter les contraintes pesantsur les acteurs économiques et inciter fiscalementles consommateurs à se tourner vers de nouveauxproduits du développement durable. Les entrepriseseuropéennes s’y prêtent volontiers car elles y trou-vent de nouvelles perspectives de développement,tout en réduisant le champ de leurs concurrentsétrangers. Une nouvelle frontière est à dépasser : lechangement du modèle de société de consomma-tion et de production.

Différents facteurs peuvent conduire à un scénariode rupture. Une variante de ce scénario n°2 pour-rait être causée par une crise économique aggravée

semblable à celle de 1929 ou à une catastrophe cli-matique particulièrement violente et meurtrière.Un scénario de crise économique majeur seraitbeaucoup moins bien supporté qu’il ne le fût parla population en 1929. Le choc serait tel qu’ilinterrogerait fondamentalement la pérennité dusystème économique et social. Compte tenu du faitque les préoccupations du moment sont axées sur« l’écologie vitale », il est fort probable que lesvoies de sortie de crise seraient cherchées danscette direction.

On peut imaginer dans un tel scénario que lescoûts écologiques et sociétaux seraient directementintégrés au prix des biens et à la fiscalité des entre-prises. La société basculerait dans le paradigmed’une « écologie vitale » dominante qui place aucœur des enjeux l’individu, l’espèce, la société et laplanète.

Le mécénat d’entreprise, sous sa forme actuelle(forme juridique…), serait sans doute profondémentmodifié pour s’intégrer à cette nouvelle logique dedéveloppement qui internalise les préoccupationssociétales. La forme même du capitalisme pourraiten être affectée : les critères d’évaluation et deperformance intègreraient de façon massive descontraintes liées au développement durable.

Scénario n°2 : la rupture

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33Mécénat et développement durable au sein des entreprises : synergie ou concurrence ?

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des tensions internationales. Cette éventualitépourrait concerner le Moyen-Orient, les relationsentre l’Occident et la Chine, par exemple. L’énergieet les priorités des pays occidentaux pourraient êtretournées principalement vers la préparation d’uneffort de guerre, voire même l’engagement dans unconflit.

Dans un tel contexte, les préoccupations enmatière de développement durable deviendraientsecondaires.

Ce scénario n’est pas un des plus probables. Ilpart d’une double difficulté : l’aggravation desproblèmes écologiques et sociétaux et la difficultédes entreprises à y faire face dans le cadre demodèles économiques connus.

Il n’est pas forcément acquis que les grandes entre-prises parviendront à répondre aux défis de lamontée des préoccupations en matière de dévelop-pement durable. La suspicion est telle que leurs ini-tiatives peuvent ne pas suffire à les positionnercomme des acteurs crédibles en la matière.Quelques catastrophes sociales ou écologiquesdont elles seraient responsables (pollution, etc.)pourraient suffire à les stigmatiser.

Les citoyens pourraient se mobiliser massivement,y compris au sein des entreprises, pour repérer etdénoncer les incohérences entre les annonces fai-tes par les entreprises et la réalité sur le terrain. Larapidité de communication par les nouvelles techno-logies contribuerait à amplifier le phénomène etmettrait les entreprises sous pression.

Les États, soucieux de reprendre la main, décideraientd’agir en taxant durement les entreprises pour assu-rer eux-mêmes la prise en compte des préoccupationsen matière de développement durable.

Dans une telle perspective, les entreprises se concen-treraient alors sur leur rôle économique en ne sepliant que sous la contrainte aux problématiquesenvironnementales et sociétales. Elles ne prendraientplus d’initiatives dans des démarches de type déve-loppement durable. Elles auraient perdu laconfiance.

Le mécénat d’entreprise pourrait être délégitimé outransformé en impôt. À moins qu’il ne subsistesous une forme légère. Moins impliquant pourl’entreprise que le développement durable, il pour-rait continuer à être utilisé ponctuellement.

Ces quatre pistes de scenarii n’épuisent pas lesujet. Ils peuvent cœxister partiellement et d’autrespeuvent être envisagés. Quel que soit l’avenir, lesmembres du groupe de réflexion ont fini parconclure que, tôt ou tard, les préoccupations enmatière de développement durable finiraient pars’imposer. Tel le chat qui retombe sur ses pattes, ledéveloppement durable est profondément inscritdans les tendances lourdes de l’évolution de notre

société. Le mécénat d’entreprise bénéficie de cettedynamique, tout en gardant des atouts spécifiques(cavalier léger…). En cas de scénario de rupture, ilpourrait être amené à profondément évoluer. Laproblématique aujourd’hui est donc moins desavoir si le mécénat et le développement durablevont se développer que d’en clarifier les modalitéset les échéances.

Scénario n°4 : la désimplication des entreprises

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Les experts réunis autour du thème du développe-ment durable et du mécénat affichent un certainoptimisme quant à la pérennité du phénomènedéveloppement durable. La force des soubasse-ments sociologiques qui portent ces démarches etles perspectives de renouvellement du modèle éco-nomique qu’elles pourraient induire offrent desraisons solides pour afficher une telle confiance.

Au début de la réflexion la différenciation entremécénat et développement durable pouvait appa-raître confuse : on y voyait un risque d’absorptiondu mécénat dans une approche globalisée du déve-loppement durable. L’analyse a montré qu’aucontraire, le mécénat se renouvelle grâce à la mon-tée en puissance du développement durable.

Elle a également mis en évidence le fait que l’entre-prise avait besoin d’un espace neutre d’expéri-mentation sociétale et que le mécénat ouvrait cetteperspective plus difficilement envisageable dansune approche développement durable.

Il est probable, et c’est déjà le cas, que certainesentreprises intègreront dans leur politique de déve-loppement durable les avantages du mécénat(comme celui de fertilisation croisée avec son envi-ronnement…) sans avoir recours à la forme juridi-que. Certaines en feront même la base de leurmodèle économique. Mais cette tendance en estencore au stade expérimental. Les contraintes d’or-ganisation sont sans doute trop lourdes pour quel’on perçoive une massification rapide.

Deux des enjeux majeurs pour le mécénataujourd’hui sont de répondre au souci de profes-sionnalisme exigé de façon constante par les entre-prises et de trouver des approches permettant derenforcer leur rendement sociétal. On observedepuis quelques années la montée des transferts decompétences et de savoir-faire des entreprises versdes associations, et plus globalement vers desentreprises d’économie sociétale. Ce mouvement,encore timide, interpelle les acteurs-clés en cedomaine, et la Fondation de France en particulier.

L’importance et la difficulté des défis posés à lasociété sont telles que les meilleures ressources,tant en terme de compétences qu’en termes demoyens techniques, devront être mobilisées. Alorsque pendant des décennies le progrès économiquea plutôt bien répondu aux attentes de progrèssociétal, depuis une quinzaine d’années le doutes’installe. Les Français ne disent pas autre choselorsqu’ils déclarent en très forte proportion que lesgrandes entreprises ne servent pas les intérêts dupublic. Cette position n’est nullement une contes-tation de l’entreprise, pas davantage une condam-nation du profit, mais bien une interrogation surla finalité.

Le mécénat et le développement durable ne sontfinalement que des réponses inventées par lasociété pour amener l’entreprise à s’inscrire defaçon plus harmonieuse dans un schéma où l’indi-vidu, l’espèce, la société et la planète sont au cœurdes préoccupations.

Conclusion

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