12
1 Présidente d’Honneur : Doris Bensimon L.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 125 Janvier-février 2014 le numéro 2,50€ http://www.liberte-du-judaisme.fr Editorial Ce n'est pas sans crainte que depuis plus de deux années nous suivons ce qui se passe en Tunisie. C'est la raison pour laquelle nous avons consacré en partie cette Lettre à ce pays. Nous avons rencontré lors d'un de ses passages à Paris Habib Mellakh qui se bat, avec d'autres, pour que les salafistes ne fasse pas la loi au sein de l'Université de Tunis et nous avons demandé à deux de nos amis, Wolfgang Freund et Albert Maareck, qui connaissent bien la Tunisie de nous rappeler ce qu'était la présence juive dans ce pays. Mais regarder ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée ne nous empêche pas de voir ce qui se passe dans notre propre pays. Les attaques abjectes dont a été l'objet le Garde des Sceaux, sont-elles différentes de celles qui ont été menées en leur temps contre Léon Blum et Pierre Mendes-France lorsqu'ils furent à la tête de l'Etat ? Au moment où une enfant est poussée par ses parents à brandir une banane parce que Christiane Taubira est noire, comment ne pas évoquer les terribles conséquences du racisme comme, entre autres, il a deux ans l'assassinat ciblé, à Toulouse, de trois enfants juifs. C'est dans ce contexte que nous nous sommes associés à la déclaration du RAJEL que nous reproduisons ci-dessous. Cette Lettre clôturant l'année nous nous souhaitons pour 2014 une année débarrassée de ces scories. Le Bureau Le RAJEL, Réseau des Associations Juives Européennes Laïques, condamne fermement la dérive raciste actuelle qui répand ses braises partout en France et en Europe. Le RAJEL s'associe aux actions qui combattent ce climat nauséabond et condamne avec une grande fermeté les injures racistes de ces dernières semaines envers Mme Christiane Taubira. Garde des Sceaux. Le RAJEL condamne les déclarations d'une candidate du Front National aux élections municipales et celles de ce même Front National qui, tout en excluant cette candidate, minimise l'importance de ses déclarations. Les membres du RAJEL sont horrifiés par les invectives d'enfants, mis en avant par des adultes, qui mettent en danger le Pacte républicain et tous les efforts de l'éducation pour un mieux-vivre ensemble. Tous ces faits et déclarations racistes, sur fond d'inquiétudes sociales, loin d'être des détails de l'histoire, sont des atteintes violentes contre chacun et chacune d'entre nous. Nous n'acceptons pas leur banalisation. Regard "synthétisant" sur les Juifs de Tunisie Contre plus/minus 140.000 au moment de l’indépendance du pays (1956), il n’y en a plus tellement, peut-être 3000 en tout et pour tout. Dont 1300 sur l’île de Djerba qui y vivent " à l’ancienne", et quelque chose comme 1500 à 2000 dans le Grand Tunis. Sinon les traces de l’une des plus anciennes communautés judéo-maghrébines, jadis florissantes, il faut les chercher aujourd’hui ailleurs : en France, en Israël, voire, un peu partout dans le monde. Pour illustration : un peu plus de 100.000 Israéliens juifs revendiquent aujourd’hui, des racines tunisiennes. Petit rappel historique : il existe, en fait, deux "communautés" de Juifs tunisiens : les Yähoud twänsa et les Yähoud grana, c’est-à-dire les Juifs tunisiens et les Juifs livournais. Grana étant une déformation linguistique de Livorno, ville côtière italienne, qui avait reçu aux 15 e et 16 e siècles, de nombreux Juifs hispaniques ayant fui les horreurs de l’Inquisition de la très catholique "Nouvelle Espagne". Beaucoup de ces Juifs "livournais" avaient continué, par la suite, leur migration vers les côtes relativement paisibles et tolérantes de la Tunisie, d’où leur appellation Yähoud grana, Juifs livournais. Les Yähoud twänsa par contre forment en Tunisie une communauté juive millénaire, ayant vécu dans le pays depuis la nuit des temps et dont le reliquat le plus "visible" est aujourd’hui la communauté juive de Djerba. La langue "maternelle " des Twänsa était/est le " judéo-arabe", un arabe tunisien truffé d’hébraïsmes qui s’écrit en caractères hébraïques. Les Livournais par contre avaient amené avec eux l’italien comme langue véhiculaire. Je me souviens encore, lors de mon premier séjour à Tunis en 1962, de tous ces Livournais pas tout à fait comme les autres, assis dans les cafés du centre-ville de Tunis, sirotant café ou boukha (schnaps de figues, une

Ldj 125 janvier_fevrier_2014

Embed Size (px)

DESCRIPTION

LDJ, 2014, liberté du judaïsme

Citation preview

Page 1: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

1

Présidente d’Honneur : Doris Bensimon

L.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 125 Janvier-février 2014 le numéro 2,50€

http://www.liberte-du-judaisme.fr

Editorial

Ce n'est pas sans crainte que depuis plus de deux années nous

suivons ce qui se passe en Tunisie. C'est la raison pour

laquelle nous avons consacré en partie cette Lettre à ce pays.

Nous avons rencontré lors d'un de ses passages à Paris Habib

Mellakh qui se bat, avec d'autres, pour que les salafistes ne fasse pas la loi au sein de l'Université de Tunis et nous avons

demandé à deux de nos amis, Wolfgang Freund et Albert

Maareck, qui connaissent bien la Tunisie de nous rappeler ce

qu'était la présence juive dans ce pays.

Mais regarder ce qui se passe de l'autre côté de la

Méditerranée ne nous empêche pas de voir ce qui se passe

dans notre propre pays. Les attaques abjectes dont a été

l'objet le Garde des Sceaux, sont-elles différentes de celles

qui ont été menées en leur temps contre Léon Blum et Pierre

Mendes-France lorsqu'ils furent à la tête de l'Etat ? Au moment où une enfant est poussée par ses parents à brandir

une banane parce que Christiane Taubira est noire, comment

ne pas évoquer les terribles conséquences du racisme comme,

entre autres, il a deux ans l'assassinat ciblé, à Toulouse, de

trois enfants juifs.

C'est dans ce contexte que nous nous sommes associés à la

déclaration du RAJEL que nous reproduisons ci-dessous.

Cette Lettre clôturant l'année nous nous souhaitons pour

2014 une année débarrassée de ces scories.

Le Bureau

Le RAJEL, Réseau des Associations Juives Européennes Laïques, condamne fermement la dérive raciste actuelle qui

répand ses braises partout en France et en Europe.

Le RAJEL s'associe aux actions qui combattent ce climat

nauséabond et condamne avec une grande fermeté les injures

racistes de ces dernières semaines envers Mme Christiane

Taubira. Garde des Sceaux.

Le RAJEL condamne les déclarations d'une candidate du

Front National aux élections municipales et celles de ce même Front National qui, tout en excluant cette candidate,

minimise l'importance de ses déclarations.

Les membres du RAJEL sont horrifiés par les invectives

d'enfants, mis en avant par des adultes, qui mettent en danger

le Pacte républicain et tous les efforts de l'éducation pour un

mieux-vivre ensemble.

Tous ces faits et déclarations racistes, sur fond d'inquiétudes

sociales, loin d'être des détails de l'histoire, sont des atteintes

violentes contre chacun et chacune d'entre nous. Nous

n'acceptons pas leur banalisation.

Regard "synthétisant" sur les Juifs

de Tunisie Contre plus/minus 140.000 au moment de

l’indépendance du pays (1956), il n’y en a plus

tellement, peut-être 3000 en tout et pour tout. Dont 1300 sur l’île de Djerba qui y vivent " à l’ancienne", et

quelque chose comme

1500 à 2000 dans le Grand Tunis. Sinon les

traces de l’une des plus

anciennes communautés

judéo-maghrébines, jadis florissantes, il faut les

chercher aujourd’hui

ailleurs : en France, en Israël, voire, un peu

partout dans le monde. Pour illustration : un peu plus de

100.000 Israéliens juifs revendiquent aujourd’hui, des racines tunisiennes.

Petit rappel historique : il existe, en fait, deux

"communautés" de Juifs tunisiens : les Yähoud twänsa et les Yähoud grana, c’est-à-dire les Juifs tunisiens et

les Juifs livournais. Grana étant une déformation

linguistique de Livorno, ville côtière italienne, qui avait reçu aux 15

e et 16

e siècles, de nombreux Juifs

hispaniques ayant fui les horreurs de l’Inquisition de la

très catholique "Nouvelle Espagne". Beaucoup de ces Juifs "livournais" avaient continué, par la suite, leur

migration vers les côtes relativement paisibles et

tolérantes de la Tunisie, d’où leur appellation Yähoud

grana, Juifs livournais. Les Yähoud twänsa par contre forment en Tunisie une communauté juive millénaire,

ayant vécu dans le pays depuis la nuit des temps et dont

le reliquat le plus "visible" est aujourd’hui la communauté juive de Djerba. La langue "maternelle "

des Twänsa était/est le " judéo-arabe", un arabe

tunisien truffé d’hébraïsmes qui s’écrit en caractères

hébraïques. Les Livournais par contre avaient amené avec eux l’italien comme langue véhiculaire. Je me

souviens encore, lors de mon premier séjour à Tunis en

1962, de tous ces Livournais pas tout à fait comme les autres, assis dans les cafés du centre-ville de Tunis,

sirotant café ou boukha (schnaps de figues, une

Page 2: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

2

spécialité judéo-tunisienne), habillés à l’européenne,

portant chapeaux et discutant entre eux en italien ou en français, voire dans un sabir italo-franco-hébraïco-

arabe tout à fait délicieux. Bien entendu aujourd’hui -

les mariages mixtes, les impacts de la francisation et de

l’arabisation générales, une certaine " laïcisation" de l’Etat tunisien moderne aidant - les différences entre

Grana et Tounsi se sont largement estompées. Un "Juif

tunisien" de 2013 est un "Juif tunisien". Point. Basta.

Puis, les différents gouvernements tunisiens, à

l’occasion de certains événements d’intérêt national, insistent régulièrement sur le fait que "nos concitoyens

de confession juive" (cette épithète me rappelle toujours

" unsere jüdischen Mitbürger" de feu Konrad

Adenauer) sont des Tunisiens à part entière, jouissant des mêmes droits et étant soumis aux mêmes devoirs

que n’importe quel autre ressortissant tunisien qui,

pour règle générale, est musulman. Le message est entendu, et il faut reconnaître que cette

qualification de la part des représentants significatifs de

la " Tunisie officielle" reflète grosso modo la réalité dans la vie de tous les jours. Ce qui n’empêche pas les

Juifs qui résident toujours en Tunisie de se comporter

en public suivant le vieil adage "vivons cachés, vivons

heureux", sauf à Djerba peut-être où ils se démarquent plus visiblement du maelström islamo-national. Mais

c’est un cas particulier qui possède ses raisons

historiques profondes que tout le monde reconnaît et respecte. Les Tunisiens d’aujourd’hui sont

certainement, avec les Marocains, les Musulmans les

moins "antisémites", c’est-à-dire antijuifs, du monde

arabe. Toujours est-il que, dans les relations entre Juifs et Musulmans tunisiens somme toute paisibles, des

" couacs" apparaissent de temps à autre. La cause est

évidemment à chercher dans les méandres du "tristissime" conflit israélo-arabe dont, bien

entendu, les casseroles font souvent du bruit à Tunis,

comme ailleurs le long des côtes sud et est de la Méditerranée. Fin 2011 par exemple.

Silvan Shalom, vice-premier ministre israélien, lui-

même d’origine tunisienne (il est de Gabès, dans le sud du pays), sembla "s’inquiéter" un peu exagérément du

sort de ses coreligionnaires tunisiens, à la suite des

élections du 23 octobre 2011 dans la Tunisie " postrévolutionnaire", desquelles le parti islamiste

Ennahda (Renaissance) est sorti grand gagnant, et

Monsieur Shalom d’appeler " la communauté juive établie en Tunisie à quitter la Tunisie dans les plus

brefs délais pour s’installer dans les territoires

occupés » [souligné WF]. Rien que ça. Bien entendu,

Ennahda n’a pas tardé à qualifier cet appel " d’irresponsable et d’irrationnel" précisant " que le

choix de tenir ce genre de propos en ce moment précis

est fort suspect" Et Roger Bismuth, président de la communauté juive

de Tunisie, d’enchaîner dans une prise de position

officielle :

"Tout ce bruit autour des déclarations de Silvan Shalom n’est

qu’une tempête dans un verre d’eau et une tentative de saper

le processus engagé par la Tunisie après avoir été délivrée

du joug de la dictature."» Puis plus loin : « Aucune partie

étrangère n’a le droit de s’ingérer dans les affaires de la

Tunisie, y compris les affaires de la communauté juive établie dans ce pays depuis plus de trois mille ans. La

communauté juive aime la Tunisie et n’envisage pas de la

quitter. »

L’affaire s’arrêta là, et, en général, le calme plat règne à

nouveau dans les relations que les "citoyens tunisiens

juifs" entretiennent avec la Tunisie "officielle", tant que "l’islamité" récemment renforcée de celle-ci,

because élections "démocratiques", n’interfère pas trop

dans la vie quotidienne. Mais des " sensibilités " particulières entre Tunisiens musulmans et Tunisiens

juifs persistent. Je m’en suis aperçu, il y a encore peu

de temps. Voulant prendre quelques photos de la

Grande Synagogue de Tunis, sise Avenue de la Liberté en plein centre-ville, je suis soudainement assailli par

trois " barbouzes "

habillés lambda et criant " interdit,

interdit ".

Un officier de police, lui en tenue,

se joint à eux et

m’explique :" Pour

des raisons de sécurité il est interdit

de photographier la

synagogue de

l’extérieur." Je

rigole, j’insiste, sortant ma carte de presse. Il me

conduit dans une maison voisine où habite le responsable (juif) de la synagogue, lequel, après avoir

écouté mes explications me conduit gentiment à

l’intérieur de la synagogue où il me laisse photographier à volonté, tandis que l’officier de police

m’attend dehors, après avoir confisqué mon passeport

qu’il garda dans sa poche, jusqu’à mon retour. Tout se

termine dans l’hilarité générale, et on me lance l’exclamation rituelle : " Soyez le bienvenu en Tunisie !"

Détail croustillant dans ce contexte : il paraît que les

ayants droit au scrutin de la communauté juive sur l’île de Djerba avaient majoritairement voté pour le parti

islamiste Ennahda. Qu’Allah les écoute ! - Porteurs de

kippa et de turban, même combat ? Devant l’Eternel peut-être, quant aux tristes affaires de la vie d’ici-bas, le

doute reste permis.

Wolfgang Freund

* Sociologue franco-allemand d'origine alsacienne, auteur

d’une thèse de doctorat en langue allemande sur "Les

Djerbiens en Tunisie“. - W. Freund a travaillé comme

enseignant et chercheur, dans les universités de Cologne, de

Strasbourg-II, de Paris-II, de Tunis, d’Ain Shams et Américaine au Caire, de Beer-Sheva. Il vit aujourd’hui, en

France. Il retourne régulièrement, comme " journaliste

indépendant", en Tunisie, en Egypte et en Israël.

Page 3: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

3

Lu, Vu et Entendu

La Tunisie au cœur.

Nous avons tous, plus ou moins, les yeux braqués sur

ce petit pays, si proche de l'Europe , moins de 200 km séparent les côtes tunisiennes de celles de la Sicile, si

proche de la France de par l'usage du français, si proche

du cœur des Juifs qui y sont nés et qui y ont vécu. C'est une des raisons pour

lesquelles nous avons rencontré,

à quelques uns, le dimanche 10

novembre, Habib Mellakh, Professeur de Littérature

Française à "La Manouba".

Le doyen de l'Université de La

Manouba, Habib Kazdaghli, a

été traîné devant les tribunaux pour avoir résisté aux empiétements des Salafistes. Il a été acquitté, ce qui n'a

pas empêché le Ministère Public de faire appel contre

ce jugement. Habib Mellakh a rendu compte de ces

événements dans un livre qui porte le joli titre de "Chroniques du Manoubistan".

Habib Mellakh a tenté de nous expliquer toute la complexité et la spécificité de la situation tunisienne et

en quoi elle est différente de la situation en Egypte.

Tout d'abord un peuple avide de savoir qui, dès avant l'instauration du protectorat français, avait commencé à

mettre en place les moyens d'éducation ouvrant sur la

modernité. Enseignement moderne qui est venu se

greffer sur le fond très ancien d'études théologiques de la Zitouna.

Ensuite une armée qui se tient à l'écart des débats

politiques, un syndicat puissant, l'UGTT, et surtout des femmes, beaucoup de femmes, qui ne tiennent pas

à voir se mettre en place une société islamisée où elles

perdraient tous les acquits obtenus sous la houlette de

Bourguiba. En face, un parti "Ennahdha" arrivé avec une

Assemblée élue pour promulguer une Constitution, et

qui, englué dans ses contradictions, n'arrive pas à sortir un texte acceptable pour la majorité des

Tunisiens. Un texte dont le dernier projet est sorti en

juin 2013 qui, s'il ne fait plus explicitement référence à la Charia, posait tout de même que "L'islam est la

religion de l'Etat" et ceci d'une façon irréversible (art

141) (1)

. Ennahdha, profitant de l'auréole de martyr que

lui avait préparée le régime de Ben Ali, se présente comme modéré, ce qu'il n'est pas selon H. Mellakh,

mais c'est, par contre, un parti expert dans le double

langage dont le président de la République Moncef Marzouki est l'exemple le plus marquant.

(2)

Notre ami Jean Ferrette a, lui, voulu voir ce qu'il en était, de ses propres yeux, et il s'est rendu à Tunis en

cette fin du mois d'octobre.

Il a assisté à quelques manifestations, celles qui

réclamaient le départ de l'actuel gouvernement et celle des policiers qui sont actuellement des cibles

privilégiées pour les islamistes.

Il en est revenu avec quelques photos (ci-dessous) et la conviction que " l'islamisme n'a aucun avenir, en

Tunisie et, a fortiori, ailleurs…. …les islamistes ne

représentant aucune force, aucune catégorie sociale proprement tunisienne: il s'agit d'une implantation

"hors sol", qui n'a été possible qu'avec l'argent du

Qatar, l'opportunité d'une situation caractérisée par une forte désorganisation des laïques, la non éducation

politique des électeurs et le désarroi de jeunes

désœuvrés. Il est frappant de voir comment toutes les

forces s'expriment contre Ennahdha: les organisations patronales, les professions libérales, l'UGTT, les

salariés du secteur public et privé, l'armée, la police....

Ceci dit, ils peuvent en attendant, faire beaucoup de mal… "

1- Il semble que cet article 141 ait été modifié depuis 2- On relira utilement ce qu'en a dit notre amie Simone

Bismuth dans la Lettre de LdJ n°121

Bureau de Liberté du Judaïsme.

Maryse Sicsu Présidente Isidore Jacubowiez Vice-Président Marlyse Kalfon-Medioni Secrétaire Odile Volf Secrétaire adjointe Noémie Fischer Trésorière Simone Bismuth Trésorière adjointe

Contact L. d. J.: 01 46 55 73 83 73 ou secretariat2@ liberte-du-judaisme.fr

Site internet : www.liberte-du-judaisme.fr

Si vous n'avez pas encore réglé votre cotisation ou votre

abonnement à la Lettre de L.D.J, pour l'année 5774 (Septembre 2013 à août 2014), faîtes le rapidement. Si vous le pouvez, faites un don à L.d.J. Il peut être déductible de vos impôts. Un certificat CERFA vous sera délivré. Envoyez vos chèques à notre trésorière : Noémie Fischer 119 bis rue d'Avron 75020 Paris

Page 4: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

4

Histoire

La COMMUNAUTE JUIVE de SOUSSE

à l’époque du Protectorat français (1881 à 1956)

Le Protectorat français s’établit en Tunisie à partir de 1881 et

se maintint jusqu’en 1956, date à laquelle le pays recouvra

son indépendance nationale.

Les Communautés juives se répartissaient essentiellement

dans les grandes villes côtières et à l’île de Djerba ; la plus

nombreuse était celle de Tunis (entre 30 à 40 000 âmes) ;

celle de Sousse était estimée à 4 000 individus à la fin du

XIXe siècle.

La Communauté juive de Sousse entre traditions et

nouvelles influences La Communauté locale se caractérisait par une forte

inégalité sociale au début du XIXe siècle : les notables,

riches propriétaires d’oliveraies et industriels, dominaient le

reste de la population juive composée essentiellement de

nombreuses familles plongées dans une extrême misère. De

fortes traditions marquaient l’ensemble de la Communauté

desquelles n’étaient pas exclues certaines superstitions. Ces notables (familles Errera, Pariente, Ghez…) participèrent

à l’installation d’une école de l’Alliance israélite en 1883 ;

certains directeurs rencontrèrent toutefois quelques

difficultés dans leurs rapports avec ces familles, désireuses

avant tout de conserver leur emprise.

L’enseignement de l’hébreu, corde sensible de la tradition

locale, fut jugé insuffisant par les rabbins conservateurs

locaux et de nombreux parents en accusèrent les responsables

de l’Alliance. Entre temps, de nouvelles orientations se

manifestèrent et notamment une tendance libérale

assimilationniste, désireuse de répandre la culture française

(ouverture d’une bibliothèque en 1907), ce qui ne manqua pas de provoquer la réaction du grand rabbin Youssef Guez,

accusé de "fanatisme" par les libéraux. Cette tendance,

dominée par la personnalité de l’avocat Salomon Tibi, restait

malgré tout minoritaire ; elle s’efforçait d’encourager les

familles juives à faire instruire leurs enfants dans les écoles

publiques françaises.

Au lendemain de la Première guerre mondiale, sous

l’impulsion de l’association Aghoudat Tsion créée à Tunis,

l’idéologie sioniste se répandit progressivement à Sousse ;

des groupements firent leur apparition tels Terahem Tsion , qui s’efforcèrent de recueillir des fonds pour le Keren

Kayemet . La venue de la capitale en 1922 d’Alfred Valensi

et de son épouse, militants sionistes fortement engagés,

connut un certain retentissement dans la société juive

soussienne. Des mouvements de jeunesse se développèrent à

leur tour, ce qui indiquait la forte attraction exercée par le

sionisme sur la jeunesse locale (UUJJ, Damir, EJF). La

société juive était donc entrée dans une période de mutation,

sous l’influence de l’assimilationnisme français et du

sionisme militant.

Antisémitisme et évolution de la Communauté locale. Des troubles antisémites éclatèrent en 1917, en pleine guerre mondiale : partis de Tunis, ils se répandirent également dans

d’autres villes et notamment à Sousse : boutiques juives

pillées, à l’initiative de tirailleurs indigènes avec l’aide de la

population arabe. Les avocats israélites Tibi et Daninos

protestèrent auprès des autorités françaises accusées de

mollesse… Ces événements mettaient en évidence les

rancœurs des musulmans et des Européens contre une

communauté israélite en grande évolution sociale et

économique.

La période de l’entre-deux guerres se caractérisa par

l’expression de revendications électorales en 1922 de la part

de la Communauté soussienne qui, à l’instar de celle de Tunis, demanda d’appliquer le système électoral pour

nommer les responsables d’un Conseil de la Communauté

israélite à Sousse. Cette aspiration se heurta au refus des

services du Protectorat, peu favorables à satisfaire ces

velléités démocratiques.

Les tendances récurrentes aux divisions internes se

manifestèrent également en 1928 lorsqu’il fallut procéder à la

nomination d’un nouveau Grand rabbin à Sousse pour

succéder à Youssef Guez devenu Grand rabbin de Tunisie.

Des divergences apparurent entre les partisans d’Abraham

Sfez et ceux de David Boukobza. Chalom Flak, aux

tendances modernistes, fut choisi en 1929 comme Rabbin intermédiaire,ce qui provoqua la réaction des traditionalistes.

A son décès, intervenu en 1936, David Boukobza fut

finalement choisi pour lui succéder.

Sur le plan scolaire, l’attirance des familles soussiennes vers

les écoles publiques s’accentua de plus en plus et favorisa

l’occidentalisation de la société juive (années 1920 à 1942).

Les responsables de l’Alliance s’évertuèrent à faire face à

cette perte de prestige de leur propre établissement.

Occupation allemande et démocratisation de l’institution

communautaire Le déclenchement de la deuxième guerre mondiale eut pour

conséquence l’occupation allemande de la Tunisie

(Novembre 1942 à Mai 1943). Un Comité provisoire présidé

par l’avocat Georges Binhas fut nommé à Sousse pour

assurer les relations entre l’occupant et la communauté juive

qui fut imposée de lourdes amendes par les gradés allemands.

A la libération de la Tunisie, un inventaire fut établi pour

rembourser les victimes de ces taxes discriminatoires.

Une nouvelle fois, à partir de l’année 1945, le Comité de

Sousse relança les revendications électorales (rapport du

docteur Younès) et, malgré les réticences des services du Protectorat, le décret du 4 mai 1950 accorda finalement un

système à deux degrés qui assura à la communauté locale une

représentation élue. Isaac Hayat devint le Président du

premier Comité israélite élu de Sousse.

L’indépendance de la Tunisie intervenue en 1956 sonna le

glas de cette évolution constante de la communauté

soussienne qui, à l’instar des autres populations juives du

pays, choisit le chemin de l’émigration progressive en France et en Israël.

Albert Maarek

La Lettre de LdJ. Janvier-février 2014

Rédaction et administration 13 rue du Cambodge 75020 Paris

Directrice de la publication: Maryse Sicsu

Comité de Rédaction : Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn, Simone Simon,

Isidore Jacubowiez,

Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris

Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584

Les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur auteur

Page 5: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

5

Lu, Vu et Entendu

Juifs et Musulmans

Le 16 octobre dernier, au Mahj

devant une salle pleine, la

Représentante de l'éditeur,

Abdelwahab Meddeb et Benjamin

Stora qui ont assuré la direction scientifique du livre, ont présenté

cette Encyclopédie de 1200 pages

qui a nécessité 5 années de travail,

la participation de 120 auteurs des

mondes juifs et musulmans

disséminés de par le monde et qui

sera édité le même jour en français et en anglais.(Une

traduction en arabe est envisagée) (1)

Il n'est pas question ici de résumer un tel ouvrage, les auteurs

eux-mêmes ne s'y étant pas risqués. On retiendra qu'il

comporte 4 parties:

- La période médiévale et la naissance de l'Islam

- Les temps modernes et l'expansion de l'Islam

- Les temps présents et les problèmes actuels

- Les points de rencontre, confrontation, divergence et

convergence.

Dans les explications de textes qui ont suivi, on retiendra la

question de la Dhimmitude qui a fait couler tant d'encre.

Instaurée, à l'origine, comme protection des communautés

minoritaires, et pas seulement des Juifs, elle est devenue au cours des âges de moins en moins supportable, surtout

lorsque mises en contact avec l'Occident ces populations

prirent connaissance de l'égalité citoyenne actée en France en

particulier. C'est à la suite de cela que les Communautés

juives orientales se sont mises en marche, bien avant, dit

Stora, le décret Crémieux offrant cette citoyenneté au Juifs

d'Algérie. Cette marche vers le droit occidental n'a pas été

l'apanage des Juifs, les élites arabes l'ont tenté également,

mais en vain, ce qui explique en partie "les révolutions

arabes" de 2011.

Les auteurs sont bien conscients que ce n'est pas un livre, aussi conséquent soit-il, qui résoudra les problèmes actuels

des relations judéo-arabes, mais ils notent que de plus en plus

de jeunes originaires de ces pays essayent de se réapproprier

l'Histoire, leur histoire, et qu'un livre de ce type possible

aujourd'hui ne l'aurait pas été il y a quelques décennies ;

"Les Temps modernes" de J.P. Sartre qui avait tenté de le

faire en 1967 n'avait pu que constater que le dialogue

souhaité s'était transformé en deux monologues sans aucun

espoir ni envie de convergence.

I.J.

1) "Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos

jours", Editions Albin Michel, sous la direction de : Abdelwahab Meddeb Enseignant de littérature comparée à

l’Université Paris-X. Animateur de l’émission "Cultures d'islam"

sur France-Culture, et

Benjamin Stora, Historien, Professeur à l'université Paris-XIII et à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales

Une histoire dans l'Histoire

Jacques Faïtlovitch et les Juifs d’Ethiopie

Les Juifs d’Ethiopie se nomment les Béta-Israël (la Maison d’Israël). Au siècle dernier, ils étaient connus

sous le terme de Falachas. Cette dénomination

péjorative de leur entourage n’a plus cours aujourd’hui. Les Béta-Israël auraient pu disparaître au cours de ce

siècle, oubliés du monde juif. Mais un homme consacra

sa vie entière à les défendre : Jacques Faïtlovitch

(1881–1955) renversa probablement le cours de l’histoire

des Juifs d’Ethiopie quand il prit la décision de partir

sur les traces de son maître, Joseph Halevy, dont il

suivait les cours à l’Ecole des Hautes Etudes de Paris. En 1867, ce dernier s’était rendu dans les villages

habités par les Falachas à la demande de l’Alliance

Israélite Universelle.

Des récits commençaient à parvenir au sujet de conversions forcées de Juifs en Afrique. Halevy vit

aussitôt que les Falachas étaient des Juifs en difficulté.

Malheureusement, il ne put faire partager sa conviction aux responsables de l’Alliance. Ses efforts ne furent

cependant pas inutiles puisqu’il insuffla l’idée à l’un de

ses élèves.

Jacques Faïtlovitch, né à Lodz, en Pologne, n’avait pas vingt-trois ans quand il persuada le baron Edmond de

Rothschild de financer sa première expédition. Il partit

en Abyssinie avec une énergie dont la flamme ne s’éteignit jamais. En 1904, après un grand nombre de

difficultés, Faïtlovitch arriva à Gondar, que J. Halevy

n’avait pu atteindre en raison de l’instabilité du pays,

une quarantaine d’années plus tôt. Il passa quatorze mois avec les Falachas, vivant dans les villages et

participant aux offices religieux. Les Béta-Israël lui

firent confiance après avoir constaté qu’il n’était pas un missionnaire venu les convertir, mais un Juif prêt à les

aider et soucieux de connaître leurs traditions.

Faïtlovitch découvrit un autre judaïsme antérieur au Talmud. Lui même se situait dans le courant de

l’orthodoxie moderne. Il s’efforça non sans mal de

changer les pratiques des Béta-Israël qui continuaient

les sacrifices rituels abandonnés depuis la destruction du Temple.

De retour à Paris Faïtlovitch présenta son rapport au

baron de Rothschild ; il insista moins sur les persécutions passées que sur le manque d’éducation qui

Page 6: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

6

faisait des Falachas des proies faciles pour les

missionnaires. Sa demande de soutien resta sans écho ; il résolut alors d’agir lui-même. Dès ce premier voyage,

Faïtlovitch avait amené avec lui deux jeunes garçons,

Tamrat Emmanuel et Getie Jeremias, qu’il confia à

l’Alliance afin d’en faire plus tard des enseignants et des leaders. Tout en préparant sa thèse à la Sorbonne, il

organisa des comités pour les Falachas en Europe et

aux Etats-Unis. Ces comités l’aidèrent à financer les expéditions suivantes.

Faïtlovitch obtint le soutien moral de plusieurs rabbins

dont Zadoc Kahn, le grand rabbin de France. En revanche, les notables de l’Alliance persistèrent à

considérer l’existence des Juifs d’Ethiopie comme une

question marginale. Cependant, ils consentirent à

réexaminer leur position, mais désignèrent à cet effet le rabbin Haïm Nahum, futur grand rabbin de Turquie.

Faïtlovitch refusa la place de subordonné qui lui était

proposée, estimant que son expérience et son savoir sur la question n’étaient pas pris en compte. Il organisa sa

propre expédition. Les deux hommes se croisèrent dans

la province du Tigré, le 1er mai 1908. Ils se saluèrent et

se parlèrent peu. Nahum rédigea le rapport que

l’Alliance attendait. Il décrivait les Falachas comme des

" mosaïstes" convertis par un groupe judaïsé venu

d’Egypte au IIème ou IIIème siècle. Il minimisait leur population, qu’il évaluait à six ou sept mille. En fait, il

n’était pas allé dans les villages les plus reculés et ne

parlait pas l’amharique, contrairement à Faïtlovitch. Les officiels éthiopiens l’avaient facilement induit en

erreur. De son côté, Faïtlovitch s’enfonça à l’intérieur

du pays, où il fut reçu comme le Messie par la

population juive. Il dut expliquer qu’il n’était qu’un simple "Falacha" blanc. A Addis-Abeba, il obtint une

audience de l’empereur. Il plaida la cause des Falachas

en butte aux accusations de sorcellerie, souvent maltraités et obligés de travailler pendant le chabbat.

L’empereur déclara qu’il veillerait à ce que les abus

cessassent. En 1921, l’action de Faïtlovitch fut renforcée par

l’appel déterminant du grand rabbin Abraham Isaac

Kook en faveur des Falachas. En 1924, Faïtlovitch

ouvrit le premier collège juif à Addis-Abeba. Dans les années qui suivirent, plusieurs écoles essaimèrent en

brousse. Le mouvement mit un frein aux succès des

missions protestantes. Près de quarante étudiants furent envoyés en Palestine, en France, en Allemagne et en

Angleterre. Une élite fut créée : certains devinrent

employés du gouvernement. Tadesse Yaacov devint ministre.

Comme il fallait s’y attendre, l’avancée des Juifs

entraîna des réactions hostiles du clergé et des officiels.

Des professeurs furent emprisonnés et leurs étudiants dispersés. La situation se dégrada encore plus avec

l’invasion des fascistes italiens.

Pendant le Seconde Guerre mondiale, Faïtlovitch

maintint de bonnes relations avec les autorités

éthiopiennes. L’empereur Haïlé Sélassié le nomma

conseiller à son ambassade du Caire. Après la guerre, Faïtlovitch s’installa en Israël. Sa

dernière visite en Ethiopie eut lieu en 1946. Il

considérait que dorénavant c’était à l’Etat Juif

d’assumer la responsabilité du retour des exilés. Mais, à l’époque, le sort des rescapés juifs d’Europe constituait

une priorité. Faïtlovitch ne relâcha pas ses efforts. En

1954, l’Agence juive installa une école de formation à Asmara et rouvrit des classes dans les villages de la

région du Gondar. Un an plus tard, vingt-sept garçons

et filles furent envoyés dans le village d’enfants de Kfar Batya en Israël. Faïtlovitch, alors infirme et presque

aveugle, eut la joie de recevoir une partie d’entre eux

dans sa maison de Tel-Aviv. Il mourut quelques jours

plus tard. Le soutien de l’Agence juive aux Béta-Israël diminua aussitôt. Néanmoins, les cinquante années

d’efforts de Faïtlovitch furent fécondes. Après maintes

péripéties, ses élèves et ceux qui continuèrent son combat virent leurs espoirs réalisés. Aujourd’hui la

communauté éthiopienne est installée en Israël et

compte 131 400 membres. Les succès et les difficultés de son intégration

constituent la suite d’une histoire dont la vie de

Faïtlovitch est une page inoubliable.

Maurice Dorès

Poésie

Tout hasard,

Cela a pu arriver.

Cela a dû arriver.

Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.

Plus près. Plus loin.

Pas à toi.

Tu as survécu, car tu étais le premier.

Tu as survécu, car tu étais le dernier.

Car tu étais seul. Car il y avait des gens.

Car c'était à gauche. Car c'était à droite.

Car tombait la pluie. Car tombait l'ombre. Car le temps était ensoleillé.

Par bonheur il y avait une forêt.

Par bonheur il n'y avait pas d'arbres.

Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,

un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.

Par bonheur le rasoir flottait sur l'eau.

Parce que, car, pourtant, malgré.

Que se serait-il passé si la main, le pied,

à un pas, un cheveu

du concours de circonstances.

Tu es encore là? Sorti d'un instant encore entrouvert?

Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers? Je ne puis assez m'étonner, me taire.

Ecoute

comme ton cœur me bat vite.

Wislawa Szymborska.

L'auteur, Prix Nobel de Littérature (1996) est née en Pologne en 1923. Elle vit à Cracovie, à quelques kilomètres

d'Auschwitz où le hasard n'était pas absent.

Page 7: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

7

Lu,Vu et Entendu

Maryan, La ménagerie humaine

"Comme un chien" dit K. C'était comme si la honte

allait lui survivre". C'est sur ces mots que se termine le

"Procès" de Kafka et c'est ce chien qui a servi de fil conducteur entre Maryan, Agnon et Kafka, lors d'une

lecture au Mahj (1)

d'écrits des deux derniers dans le

cadre de l'exposition consacrée au premier.

Pinhas Burstein dit Maryan est né en 1927 quelque part en Galicie polonaise. Il avait donc 14 ans lorsque

les nazis arrivèrent. Transbahuté de ghettos en camps, il

finit par être fusillé. Etre transpercé de part en part par

une balle et rester vivant est une expérience peu banale et on comprend que l'on en reste traumatisé pour toute

son existence. Maryan a dit quelque part que ses

peintures ne doivent pas être vues à travers son vécu, mais comment faire autrement quand on voit ses

visages déformés, ses personnages grotesques qui

peuplent ses tableaux, ses enceintes closes par des murs de pierres. Un peu avant la fin de sa course en ce

monde, Maryan alla consulter un psy qui lui conseilla

de dessiner pour surmonter ses angoisses. Il le fit sur

des carnets qui sont actuellement exposés au MAHJ. Dans ces carnets il se représente souvent en chien ; en

chien de juif, en chien fou comme le "héros" de la

nouvelle qu'Agnon écrivit dans les années 1920, "Le

Chien Balak" qui sème la terreur à Jérusalem parce

qu'il a été marqué non d'une étoile jaune mais d'une

marque indélébile "Chien fou" alors qu'il n'est en rien différent des autres représentants de la gens canine.

Allez voir Maryan au MAHJ ! Bien sûr, on est loin du

"beau" mais cela donne à réfléchir.

I.J. 1) Au Mahj le 14 novembre : deux lectures par Michel

Wuillermoz et Eric Elmosnino. Présentation de Daniela

Amsallem (maître de conférences, université de Savoie) et de Pierre Pachet (Ecrivain)

La Lettre de LdJ. Novembre-décembre 2013

Rédaction et administration 13 rue du Cambodge 75020 Paris

Directrice de la publication: Maryse Sicsu

Comité de Rédaction : Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn, Simone Simon,

Isidore Jacubowiez,

Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris

Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584

Autour d'un voyage

Faut-il brûler Kafka ? demandait une revue, proche

du Parti Communiste Français en 1946. On reste,

aujourd'hui, stupéfait qu'une telle question ait pu être posée

à peine plus d'un an après

l'ouverture du camp

d'Auschwitz où les sœurs de Frantz Kafka furent gazées et

brûlées. Il est vrai qu'entre

Kafka et le réalisme socialiste à la mode, dans ce milieu là, à

cette époque là, il y avait un

abîme. Il faut tout de suite

dire qu'il n'y eut guère de réponses positives. Certains osèrent même avancer, -

en 1946 !- que l'univers absurde et bureaucratique

décrit par Kafka était celui du communisme. Quand on lit le "Procès"

(1) et qu'on sait maintenant la façon dont

se sont déroulés les procès dans les Pays du bloc

soviétique, et à Prague en particulier, on a du mal à ne pas faire le parallèle. Quand un des personnages du

Procès dit à K "…on ne peut rien faire contre ce

tribunal, on est obligé d'avouer. Ce n'est qu'à partir de

ce moment là que vous aurez une possibilité de vous en tirer...(p.146)" et qu'on lit ensuite "l'Aveu" d'Artur

London (2)

, on voit que la réalité n'a fait que copier la

fiction.

Mort en 1924, Kafka n'avait d'ailleurs jamais entendu

parler du Réalisme Socialiste. C'était la grande époque du Surréalisme et les surréalistes, et leur pape André

Breton, en particulier, tentèrent de s'annexer Kafka, car

en effet quoi de plus étrangement réaliste (4)

que le

monde Kafkaïen ?

Mais Kafka est-il "annexable"? Probablement pas,

malgré les différentes tentatives qui ont pu être faites et s'il a finalement été annexé c'est par Prague, sa ville

natale, à laquelle il était tant attaché. Lorsque l'on visite

Prague, on peut voir maintenant la place qui porte son

nom, la maison où il est né, le lycée où il a fait ses premières armes, la boutique de son père qui pesa si

lourd sur lui que Franz se trouva dans l'obligation, à 27

ans passés, d'écrire cette "Lettre au père", qui fait le plaisir des amateurs de belles-lettres et des

psychanalystes.

A Prague, on peut voir aussi, devant la "synagogue espagnole" transformée en musée et en salle de concert,

un Franz Kafka en bronze juché sur les épaules d'un

homme de forte carrure, sans tête, sans mains et sans

buste, qui peut être le père, mais qui peut être tout aussi bien Franz lui-même par un dédoublement absurde

dont il avait le secret, ou bien encore l'un de ces K qui

peuplent ses livres, perdus dans un monde sans queue ni tête, qu'ils essayent de comprendre et dans lequel ils

essayent de survivre.

Page 8: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

8

Franz Kafka faisait partie de cette bonne société juive

de Prague, occidentalisée (3)

qui parlait allemand et qui ne se rendait à la Synagogue que le jour de Kippour. Il

a écrit en allemand, tout en se sentant comme un

"invité" (4)

dans cette langue, ce qui explique sans doute

son attirance pour le Yiddish quand il rencontra des "théâtreux" qui jouaient en cette langue. Il s'impliqua et

en 1912, au cours d'une soirée consacrée à la poésie

juive, il prononça son fameux "discours sur la langue yiddish" :

" …je tiens à vous dire, Mesdames et Messieurs,

combien vous comprenez plus de yiddish que vous ne le croyez."

Cette dualité, il la vécut également dans l'histoire ; né

dans l'empire austro-hongrois où il était de bon ton de

parler allemand, il se retrouva citoyen en 1918 de la toute nouvelle république Tchécoslovaque dont sa ville

Prague devint la capitale et la langue officielle le

Tchèque. Cette dualité il l'a vécue aussi comme tout Juif dans ce monde, ce monde qui parfois tourne à

l'envers comme les aiguilles de la fameuse horloge du

quartier juif de Prague qui tournent dans le sens inverse de toutes horloges sensées.

Prague vient d'ouvrir un

musée consacré à Kafka dans lequel il a été essayé de

rendre toute la complexité

de l'homme-écrivain. Dès l'entrée, des images troubles

se succèdent sur un écran,

des vues de Prague

tremblantes, comme pour nous indiquer d'office la

difficulté à le comprendre ;

un peu plus loin, un visage de femme, derrière un

rideau de tulle qui ondule et

modifie son image, essaye d'illustrer ses incertitudes envers les femmes qu'il a fréquentées et qu'il ne s'est

jamais décidé à épouser, de peur sans doute de ne

pouvoir assumer son écriture. La dernière de ces

femmes, Dora Dymant, aurait peut-être pu réussir à lui faire franchir le pas, elle était juive, elle venait de

Pologne, elle était sioniste, elle était jeune, mais il était

trop tard. Il finit par mourir de cette "…maladie spirituelle qu'est la tuberculose."

(5)

Isidore Jacubowiez

1) Franz Kafka : "Le procès" Flammarion 2) Artur London " L'aveu" Folio/Gallimard 1968. 3) "Je suis un juif d'Occident, le plus occidental de tous" (F. Kafka: "Lettres à Milena") 4) Marthe Robert : "Kafka" Gallimard 1960 (p.116) 5) Lettre à sa sœur Ottla

Visitez notre Site : "Liberte-du-judaisme.fr" Vous pourrez y écouter ou réécouter les conférences des années écoulées

Lu, Vu et Entendu

LA CELESTINE

Fernand de Rojas (1470-1541). est né au village de Montalban près de Tolède, aux environs de 1470. Alors

qu’il suit des cours de droit à l’Université de

Salamanque, il découvre par hasard

le premier acte d’un manuscrit au sein de l’Université. Il y ajoute

vingt autres actes qui constituent la

pièce et qu’il nomme plus tard "La Célestine ".

Cette création s’effectue à un

moment où sévit en Espagne l’Inquisition envers les Juifs et ceux

d’entre eux qui se sont convertis au

christianisme. En écrivant cette pièce, l’auteur dénonce les hiérarchies sociales et

littéraires de l’époque qu’il souhaite voir détruire. Il

considère cette œuvre comme une comédie tandis que

la critique en fait une tragédie en raison de la fin malheureuse des principaux protagonistes. Elle est

interprétée aujourd’hui comme l’expression tragico-

comique du monde et de l'individu. Devenu bachelier en droit, Fernand de Rojas choisit

la profession d’avocat. Il a un peu plus de vingt ans

quand il écrit cette comédie. Il se marie à Eléonore Alvarez avec qui il a quatre garçons et deux filles. En

1488, son père est condamné au bûcher comme juif

hérétique. Son beau-frère, Alvaro de Montalban lui

demande de le défendre auprès du Tribunal inquisitorial qui le citait comme Juif converti. Mais Fernand de

Rojas fut disqualifié pour les mêmes raisons au nom du

principe de la pureté du sang "La limpieza de la sangre", et ce malgré sa conversion. Dès la fin du

14éme siècle, une vague d’antisémitisme d’une rare

violence parcourt l’Espagne qui commence la reconquête du pays contre les Arabes.

C’est l’époque de l’acharnement purificateur du Saint-

Office et dans le même temps de l’humiliation et de la

précarité dans les quartiers juifs en Espagne. Tous les excès sont alors permis : prison, spoliation, déshonneur

public. Cette situation explique les précautions de

l’auteur dans la pièce concernant les origines propres de sa famille mais aussi son intention de dissimuler

certaines charges contre l’Inquisition qu’il introduit

dans cette comédie.

"La Célestine" a été considérée comme une œuvre

fondatrice du théâtre espagnol. Elle a eu une influence

immense dès sa publication sur le théâtre et le roman. Elle servira de modèle aux dramaturges du Siècle d’Or

(XVIe siècle) en Espagne et en France. Molière s’en

inspira dans "l’Ecole des Femmes" et dans d’autres

pièces. Pour Fernand de Rojas, la vie humaine est perçue comme une lutte tragique où l’homme est

entraîné par des forces qu’il ne contrôle pas.

Page 9: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

9

Il en est ainsi dans sa pièce où le malheur s’abat aussi

bien sur l’héroïne Mélibée ou son père Plébério, que sur la Célestine, la vieille maligne. Le destin reste le maître

de la vie dans cet univers païen de la pièce qui exclut la

notion chrétienne du péché. La pièce est conçue sur

une moralité qui se rattache à la fois au Moyen-âge et à la Renaissance. Elle se présente comme une œuvre

profondément espagnole et universelle à la fois,

à l’image du Don Quichotte de Cervantès. Son aspect Moyenâgeux consiste pour l’auteur à donner une leçon

à des amants éperdus dont les égarements les mènent

à la mort, laquelle est l’expression du châtiment divin qui coïncide avec le sentiment religieux. Son aspect

Renaissance provient de la sensualité et du paganisme

de certaines scènes, de l’idéologie orgueilleuse et sans

limite de Calixte, enfin de la complicité sans scrupules des valets Sempronio et Parménio.

La double appartenance à ces deux époques se retrouve

également dans le langage des personnages. D’un côté, l’expression populaire et proverbiale des gens de la

plèbe, entachée par la convoitise et l’égoïsme, de

l’autre, celle raffinée et recherchée des nobles qui n’hésitent pas à latiniser et qui n'agissent que par

impulsions. Enfin, dernier point commun à ces deux

périodes : l’amour de deux jeunes gens immatures ressemble à celui de Tristan et Yseult au Moyen-âge,

et l’apparition de vils exploiteurs de cet amour à la

Renaissance.

Tout au long de la pièce, les références latines et les allusions à la mythologie grecque ont amené les

historiens à situer cette pièce dans la tradition

chrétienne. Mais ces historiens ont négligé d’autres aspects qui dépassent le contexte occidental pour être

universels. Fernand de Rojas connaissait Ovide, le

poète latin, Pétrarque et aussi le célèbre philosophe arabe Avicenne qui vécut à Cordoue au XIIe siècle. La

création au XVe siècle de la Célestine n’aurait pas été

possible sans l’existence d’un théâtre arabe et juif en

Espagne aux XIe et XIIe siècles. Dans tous les cas, il est fait état de la femme qui a peu de liberté. Enfermée

chez elle, elle ne sort que pour des situations

exceptionnelles et toujours accompagnée de sa servante. Elle était donc amenée à ruser vis-à-vis de son

époux, en ayant recours à de vieilles femmes

expérimentées pour l’aider à se libérer de ses liens de

dépendance vis-à-vis du mari. La nouveauté de La Celestine c’est que les événements y sont rares, mais

une fois survenus, ils font l’objet de commentaires

abondants de la part des personnages. On assiste à un intense va-et-vient : visites, messages, sorties et retours

ponctuent la pièce.

Soulignons la magnifique traduction d'Aline Schulman qui permet au lecteur français d’accéder à une œuvre

d’une modernité surprenante, âpre et implacable ; on y

trouve de fréquentes références au monde comme à une forme de " marché" où les personnes sont considérées

comme des marchandises et ne valent que par leur prix.

De ce fait les véritables valeurs d’humanisme s’estompent au profit de l’argent facile, celui des

affaires ou des casinos dont l’unique loi est celle du

profit immédiat.

Contrairement à l’image espagnole, le théâtre français

ne présente pas le personnage de la Célestine comme

incarnant le mal. Elle est résolument du côté de la vie, courant d’un lieu à l’autre, frôlant le bûcher. Mais c’est

aussi une femme franche et directe qui protège ses

filles, accueille le valet Sempronio enfant à qui elle sert de mère. Elle subit le mépris et les injures des hommes.

Enfin elle est serviable et maternelle, mais tout dépend

avec qui.

En conclusion, ce qu’il faut retenir de la pièce, c’est

qu’elle a suscité à la fois enthousiasme et répulsion, car

on a là un livre de divertissement et d’indécence. Erreur

pour ceux qui n’y ont vu que le divertissement en ne tenant compte que de son aspect humoristique,

indécence pour ceux qui se sont limités aux pages

traitant de la sexualité. On comprend mieux les protestations soulevées au sein de l’Eglise. L’amant,

Calixte, présenté comme un héros, n’ayant pas l’esprit

de compassion, est indigne des faveurs de Mélibée. Il est décrié par ses domestiques qui se moquent de lui

devant ou derrière lui. Il parle comme un hérétique,

mais il reste un personnage comique.

Cette pièce donne l’idée d’une comédie humaine où un amant de cour incarne la dérision et même le comique.

La Célestine en fait son jouet. Il s’y ajoute une part de

tragique avec la mort des héros et une part d’humour lorsque les personnages se moquent d’eux-mêmes à

tour de rôle. Cette découverte de l’humour est la nôtre

et non pas celle des lecteurs et du public du XVIe siècle.

Calixte échoue dans sa tentative de séduire Mélibée et

meurt. Quant à Mélibée, elle agit comme l’héroïne d’un roman maure, elle est la mal mariée. Après avoir perdu

sa virginité à l’acte XIV, elle s’écrie : " Ô pécheresse

de moi, si j’avais eu connaissance de telles choses, ma mère, comme tu aurais grâce à me savoir morte".

Avant de mourir, elle demande à son père pardon et

exprime le souhait d’être enterrée avec son amant. Une célèbre lamentation de Pébério termine la pièce

où il s’élève contre l’amour futile et l’amour courtois.

Cette phrase rejoint la harangue de l’auteur au lecteur : "Pleure et ris tour à tour à la lecture de cette

tragi-comédie où les amants empressés obtiennent un

bonheur plus rapide que les autres mais l’éphémère

est la loi de notre triste monde dans lequel le plaisir se transforme en malheur".

Armand Levy

1) Fernand de Rojas : "La Célestine " Traduction

française d’Aline Schulman – 2006 Fayard.

Pour être informé en temps réel de nos activités et participer à des échanges et discussions avec d'autres lecteurs de la Lettre

de L.d.J. inscrivez-vous à YahooGroupe Courrier-LdJ. Si vous êtes intéressés, signalez-le par mail à :

[email protected]

Page 10: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

10

Lu, Vu et Entendu

Y'a photos Brassai et Blumenfeld, deux photographes juifs nés à la fin

du 19e siècle, sont actuellement présentés à Paris, l’un à

l’Hôtel de Ville de Paris et l’autre au Musée du Jeu de

Paume à la Concorde

Gyula Halàsz (Brassai) est né en Hongrie à Brasso (Brasov

actuellement en Roumanie) ; après des études artistiques à

Berlin, il arrive à Paris en 1924 où il se promène le jour et la

nuit en photographiant des graffiti creusés dans les murs de

plâtre et en utilisant les contrastes lumineux de la nuit. Ces

photos de graffiti de visages composent un intéressant

ensemble d’art primitif ; par ailleurs, des statuettes travaillées

dans des galets sont impressionnantes dans leur simplicité et

rappellent l’art préhistorique.

Ensuite il fréquente les cabarets de

Montparnasse, les bals musette, les

voyous, les prostituées et les

artistes ; il photographie les

ambiances de la nuit parisienne et

cela donne de surprenantes photos

avec brouillard, éclairages

nocturnes, phares de voitures,

réverbères ; photos mystérieuses

avec des personnages insolites

complétées par une série de photos de couples amoureux et d’enfants au Luxembourg et aux

Tuileries.

Brassai collabore avec Picasso et photographie son atelier et

ses sculptures ; par ailleurs, des photos du cirque Médrano et

des Folies Bergère montrent beaucoup de sensibilité et

d’insolite concernant les coulisses de la vie parisienne

Après la guerre il continue ses déambulations

photographiques dans Paris et publie Paris de jour après

Paris de nuit sorti avant la guerre ; il collabore à la revue

Harper’s Bazaar et reçoit le Grand prix national de la

photographie en 1978. Une intéressante expo qui fait suite à celles de Ronis, d’Izis, de Kertèsz (cf. La Lettre n°108) et de

Doisneau, toutes présentées récemment à Paris.

L’exposition consacrée à Erwin Blumenfeld présente des

photos, des dessins, des collages. Né à Berlin en 1897,

Blumenfeld part ensuite à Amsterdam et ouvre une

maroquinerie qui servira également pour réaliser des portraits

photographiques de ses clientes ; ensuite, il s’installe à Paris

et devient photographe de mode pour le magazine "Vogue

français" ; interné dans les camps du sud de la France, il

parvient à fuir aux Etats-Unis où ses photos sont publiées

dans de grands magazines américains. Blumenfeld rédige son autobiographie

publiée en français sous le titre Jadis et

Daguerre ; perpétuel migrant, il

s’installe définitivement à New- York

en 1941 où il participe à plusieurs

expositions et prépare un livre, Mes

100 meilleurs photos, qui sera publié en

français et en allemand.

Ses dessins et collages de style dadaïste réalisés en

Allemagne et aux Pays-Bas sont pleins d’humour comme ses

autoportraits délirants. A Paris, il réalise des portraits de

Rouault, Matisse, Yvette Guilbert, Marlène Dietrich … avec

effets spectaculaires et contrastes saisissants ; puis viennent

les extraordinaires photographies de mode en noir sur la

Tour Eiffel, en couleur dans les gratte-ciel de New-York dont

certaines feront la couverture de grands magazines américains.

A la prise de pouvoir d’Hitler,

Blumenfeld crée des photomontages

saisissants du dictateur, en particulier

celui avec des larmes de sang,

prémonitoire d’un personnage

totalement déshumanisé. Des photos de

la cathédrale de Rouen, de la Tour

Eiffel, de paysages urbains de Paris et

New-York complètent cette exposition

qui nous montre un photographe

expérimental, original et ayant vécu les tribulations migratoires du 20e siècle.

Michel Mohn

Pour en savoir et en voir plus

* Les photographes hongrois, Brassai, Capa, Kertész,

Moholi-nagy, Munkacsi ; Colin Ford, Londres, 2011 *E.Blumenfeld: Jadis et Daguerre ; Textuel, Paris , 2013

-------------------------------------------------

Une si jolie

petite gare

Elle se trouve sur la

Grande Ceinture, le

réseau qui entourait

Paris pour éviter de le

traverser.

Les architectes lui ont

donné un petit air

pimpant dans le style

de celles qu'ils concevaient à l'époque pour desservir les

stations balnéaires. Elle était surtout utilisée pour le transport de marchandises et entre autres, nous a-t-on dit, pour les

produits des jardins qui à l'époque couvraient une partie de la

banlieue parisienne.

Un jour de 1943, Aloïs Brünner qui avait fait ses preuves en

déportant 48.000 juifs de Salonique, fut nommé, sans doute

grâce à ce haut fait, à la direction du camp de Drancy. Fort de

son expérience il décida de transférer de la gare du Bourget à

celle de Bobigny, plus calme, plus campagnarde, les départs

pour Auschwitz.

C'est cette petite gare où la rampe d'accès des autobus venant

de Drancy a disparu, mais où subsistent la voie et le pavage

de ce qui servait de quai d'embarquement que nous a

emmené Michel Mohn le 10 décembre dernier.

21 convois l'ont quittée entre le 1er Juillet 1943 et le 31

juillet 1944 emmenant vers les camps de la morts 22400

êtres humains qui pour les nazis ne l'étaient plus.

Il faisait froid en cette fin d'après midi dans cette zone en

friche qui entoure la gare. Un léger brouillard commençait à

descendre sur les rails qui serpentent encore sur le sol. Nous

étions une dizaine. Il faisait surtout froid dans nos cœurs.

I.J.

Page 11: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

11

Echos des conférences de L.d.J.

Mercredi 13 novembre 2013

Charles Leselbaum Responsable de la Commission

Culturelle du B'nai Bri'th

Deux figures exceptionnelles dans l'histoire du

judaïsme portugais: Le Capitaine Carlos Barros Basto,

et le Consul Aristides de Sousa Mendes,

Aristide de Souza (1885-1954). est né dans une famille aristocratique

aisée. Son père est juge à la Cour

d'Appel de Coimbra. En 1910,

après avoir étudié le droit, et passé

avec succès le concours

diplomatique, il est nommé

Consul dans divers endroits. En

1928, Salazar est Président du

Conseil des Ministres. Aristides est nommé Consul général à

Anvers. En 1939, à la déclaration de la guerre, le Consul met

sa famille à l'abri au Portugal et revient à la tête du Consulat de Bordeaux, où il est censé appliquer les nouvelles

dispositions adoptées par Salazar pour limiter l'entrée des

étrangers et des apatrides. Il prend conscience que ces

mesures sont très restrictives. En 1940, il rencontre le rabbin

Kruger d'Anvers qui lui raconte les exactions commises par

les nazis.

Alors il ordonne courageusement la délivrance de visas à

toute personne qui en fait la demande. En 11 jours, 30.000

Juifs obtiennent leurs visas et partent pour les Amériques.

L'armistice est signé le 21 juin. Le 8 juillet, de retour à

Lisbonne, son calvaire va commencer. Il est jugé en procès,

inapte à diriger un consulat, et, après être dégradé, il sera mis à la retraite à 55 ans. Pour l'aider, la communauté juive de

Lisbonne lui verse une indemnité. Il meurt dans la misère en

1954, abandonné de tous.

Par la suite, un arbre est planté à Yad Vachem. De nombreux

articles sont publiés depuis quelques années sur la

personnalité très attachante de ce consul hors norme.

Le Capitaine Carlos Barros Basto (1887-1961) est né dans

une famille cristiano-novo d'Amarante. Il fait la première

guerre mondiale. Convaincu qu'il est Juif, il décide de se faire

circoncire et obtient satisfaction à Tanger après les réticences de la communauté de Lisbonne. Il s'installe à Porto et fonde

une communauté en 1923.En 1927, le journal "Ha lapid" (le

flambeau) est destiné à servir de lien à tous les groupes juifs.

En 1928, une première synagogue est installée à Porto pour

140 fidèles. Une Yéshiva est créée en 1929 pour former la

jeunesse. La communauté juive est inquiète de son activité

qui pourrait porter ombrage à l'autorité de Salazar, catholique

très ferme. De plus, il est favorable à la République et suspect

aux yeux des autorités. En 1936, des lettres anonymes

l'accusent d'abus sexuels sur les jeunes pensionnaires de la

Yéshiva. Il réalisera quand même son rêve: la construction

d'une synagogue monumentale inaugurée en 1938. Pendant la seconde guerre mondiale, tous ses efforts sont

voués à l'oubli, et sa veuve, puis sa fille ne cesseront de

réclamer sa réhabilitation, ce qui arrivera après le retour de la

démocratie au Portugal.

Aujourd'hui, sa synagogue est ouverte et accueille les

touristes et d'assez peu nombreux fidèles.

Maryse Sicsu

Mercredi 11 décembre 2013

LES JUIFS DE TETOUAN, un monde disparu

Guerschon Essayag nous a présenté une remarquable

analyse historique sur les Juifs de Tétouan au Maroc.

Né à Casablanca dans une famille

judéo-espagnole Guershon a quitté ce

pays en 1967 ; docteur en physique, il

prépare un master en hébreu depuis

sa récente retraite et travaille sur sa famille tétouanaise et sur l’histoire

des Juifs de Tétouan. Il s’est

documenté auprès des récits

rabbiniques, des notes de voyageurs

européens, des rapports de l’Alliance

Israélite Universelle installée à Tétouan en 1862. Les Juifs de

Tétouan avaient la réputation d’avoir une grande culture,

n’étaient pas intégrés au Maroc impérial et formaient une

communauté assez misérable dont très peu de traces

subsistent actuellement en dehors d’une synagogue et d’un

cimetière.

Tétouan, crée en 1307 pour contenir la poussée espagnole est une ville fortifiée du Rif. Elle a accueilli favorablement

des Juifs expulsés par l'Espagne qui au 15éme siècle

s’installent à Tétouan dans la "Juderia " aux cotés de Juifs

implantés dans la région depuis bien longtemps. Les Juifs

exercent différents métiers dans la banque, la médecine,

l’orfèvrerie et la cartographie ; Ils conservent la langue

espagnole et pratique la monogamie, ce qui n'était pas le cas

des Juifs du cru. Au 18ème siècle un nouveau sultan chasse les

Juifs et la Juderia est déplacée hors de la ville ; Les juifs sont

environ 8000 juifs vers 1800.

Après l'interdiction des représentants consulaires sur le territoire marocain, certains Juifs de Tétouan assurent la

représentation des puissances européennes au Maroc et sont à

ce titre "protégés".

Une guerre entre l’Espagne et le Maroc provoque des

massacres à Tétouan et

nombreux sont les Juifs

qui s’exilent à Gibraltar, à

Oran ou à Tlemcen ;

l’accord d’Algésiras en

1906 partage le Maroc

entre la France et

l’Espagne et les Juifs de Tétouan dépendants de

l’Espagne s’installent dans la partie moderne de la ville. Par

la suite ils soutiendront Franco, parti du Maroc espagnol, lors

de son coup d'état contre la République espagnole.

En 1956 le Maroc devient indépendant et les Juifs s’exilent

en Espagne, en Israël, en France ou en Amérique du Sud ;

cet exil avait déjà commencé en 1948 avec la création de

l’état d’Israël. A cette époque 5000 Juifs vivaient à Tétouan

qui possédait 16 synagogues ; actuellement perdure une

ancienne synagogue et quelques Juifs seulement y vivent

encore ; le grand cimetière de Tétouan est toujours présent avec environ 10 000 tombes. Suite à cet intéressant exposé,

une discussion a eu lieu sur le Maroc et les Juifs au temps du

protectorat français et de la présence espagnole.

Michel Mohn

Le diaporama utilisé comme support de cette conférence est

visible sur notre site " liberte-du-judaisme.fr"

Page 12: Ldj 125 janvier_fevrier_2014

12

Activités de LdJ

Conférences Le thème général qui a été retenu pour l'année 5774

(2013-2014) est :

"Les juifs et leurs exils : ombres et lumières"

---------------------------- Mercredi 11 septembre 2013

Gérard Haddad : Psychiatre, Psychanalyste :

La psychanalyse a-t-elle quelque chose à dire sur le

travail humain ? Mercredi 9 octobre 2013

"L'immigration juive aux Etats-Unis dans la première

moitié du 20éme siècle" Mercredi 13 novembre 2013

Charles Leselbaum, Maître de conférences (Paris-Sorbonne) "Deux figures exceptionnelles dans l'Histoire du Judaïsme

Portugais" : Mercredi 11 décembre 2013

Guershon Essayag, Chargé d'études et recherches historiques

à Paris Sorbonne

La communauté juive de Tétouan au nord du Maroc Mercredi 15 janvier 2014

Marie-Noëlle Postic présentera ses livres : "La vie des Juifs du

Finistère sous l'occupation" et "Sur les traces perdues d'une

famille juive en Bretagne". Julien Simon présentera le prolongement théâtral "La vie comme

la vie" du second de ces livres. Mercredi 12 février 2014 Monique Halpern: Ex-présidente du CLEF qui regroupe nombre

d'associations féministes : La prostitution "juive" (1860-1920) :

un phénomène mal connu, une amnésie méconnue

Mercredi 12 mars 2014

Armand Lévy : L'Alliance Israélite Universelle. Une institution

française d'aide et de solidarité dans le combat contre

l'ignorance et la misère. Evolution et orientations actuelles

Mercredi 19 avril 2014

André Cohen de L'Association de Sauvegarde du Patrimoine Culturel des Juifs d'Egypte

"Les Juifs d'Egypte: départ sans retour" _______________________

Les conférences débutent à 19 heures. Ouverture des portes à 18 h 45. Elles sont suivies d'un débat et se tiennent au 13 rue du Cambodge Paris 20ème

Cercle de Lecture Dimanche 6 octobre 2013

" La famille Karnovski" de Israël Joshua Singer Denoël 2008 – Traduit du yiddish

En présence de Monique Charbonnel qui a traduit le livre.

Dimanche 26 janvier 2014

"Voyage vers l'an mil" de A.B.Yehoshua

Calmann Levy 1998 – Traduit de l'hébreu

Le dimanche 23 mars 2014

"Némésis" de Philippe Roth

Gallimard 2010 – Traduit de l'américain

Notifiez votre participation au : 01 46 55 73 83

Evénements

Dimanche 19 janvier 2014 à 16 heures

au 13 rue de Cambodge 75020 Paris

Présentation du film de Maurice Dorès et Sarah Dorès

"Jacques Faïtlovitch et les tribus perdues" en présence des réalisateurs.

Jacques Faïtlovitch gardait tous ses documents, agendas, correspondances, cartes de visite, passeports, plaques photographiques, journaux, livres. Le film s’appuie sur cette riche documentation ainsi que des tournages effectués en France, en Israël

et en Ethiopie. (voir page 5)

P.A.F. non adhérents 5 euros

Samedi 25 janvier 2014 à 16 heures au 13 rue de Cambodge 75020 Paris

Nancy Lefenfeld – historienne américaine – de passage à

Paris présentera son livre "The Fate of Others" sur une des

filières des passages clandestins en Suisse des enfants juifs durant la dernière guerre. La présentation appuyée sur des diapositives se fera en anglais mais la discussion qui suivra se fera en français Réservez dès à présent cette date. .

P.A.F. non adhérents 5 euros

Et ailleurs

Au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme

Une exposition consacrée au peintre Maryan né en

Pologne en 1927 dont les œuvres picturales sont irrémédiablement marquées par l'univers de la Shoah à

laquelle il a survécu. (voir page 7 ) Jusqu'au 9 février 2014

Au Mémorial de la Shoah

Exposition : Salonique et la destruction des Juifs de Grèce. Jusqu'au 1er mars 2014

Au Musée d'Histoire de l'Immigration Exposition sur le thème : Bande dessinée et Immigration

A la Porte Dorée Jusqu'au 27 avril 2014

Au Mémorial de la Shoah

Regards sur les ghettos : Une exposition de photos prises dans 400 ghettos,

antichambres de l'extermination. Jusqu'au 28 septembre 2014.

Au musée du Jeu de Paume

Erwin Blumefeld : Photos et photomontages (voir page 10) Jusqu'au 26 janvier 2014

A l'Hôtel de Ville de Paris

Brassaï : Photos pour l'amour de Paris (voir page 10)

Jusqu'au 8 mars 2014

Notre ami Elie Garbarz, un des fondateurs de notre Association, a perdu récemment sa fille Sarah suite à une

grave maladie; elle était intelligente, pleine d'humour et de

gentillesse. Courageuse, elle le fut jusqu'au bout et nous

garderons le souvenir d'une belle jeune femme toujours

souriante et disponible aux autres. Que sa famille soit

assurée de notre amitié et de notre sympathie.