IMAGE DU CORPS - pourunatlasdesfigures.net

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L’IMAGEDUCORPS L’imageducorpsestunenotioncomplexequirelèvedeplusieursapprochesscientifiques:laneuro-physiologie, la phénoménologie et la psychanalyse, et dont chacun fait une expériencesingulière,informéedesonhistoireetdesonactualitépsychomotrice. Leschémacorporel Au début du XXème siècle, le neurologueanglais Henry Head avance la notion de schémacorporel, ou schémapostural, à partir de l’idéeque lecerveau dispose d’une topographie interne desgrandeursetdescaractéristiquesmécaniquesducorpsen mouvement. Sa fonction est de nous donner «lasensation de la position du corps, l’appréciation de ladirection du mouvement et le maintien du tonuspostural. »1Autrement dit, le schéma corporel est laproprioception globale de mon corps, la topographieinterne avec laquelle je règle en permanence maposition dans l’espace, mon mouvement et l’énergiequej’ymets.C’estgrâceàceschémaquejepeuxtenirdebout sans avoir à y penser, que je peux organisermonmouvementenypensantàpeine,ouleprolongerspatialement,avecunoutilparexemple. Head observe que certains malades souffrantd’agnosies (ou troubles de la perception) présententdesdisjonctionsspatialesetmotricesdansleurschémacorporel. On touche le bras d’un malade, et on le luidéplace;quandonluidemandededésignerl’endroitoùilvientd’êtretouché,lemaladedésignelepointtouchénonpassursonbrasmaisdanslevide,làoùsetrouvaitle bras avant le déplacement. Ledéplacementdubrasn’a pas été enregistré par le schéma postural, seule a été conservée la mémoire spatiale d’unstimulusqui sembledétachéde son support. Cet endroit existepourtant bel et bienpour le sujetpuisqu’il le sent localement. Cette sensation est donc engrammée dans un schéma corporel quiexcèdelescontoursréelsducorps:ilfautdèslorsparlerd’imageducorps. L’imageducorps Le psychiatre autrichien Paul Schilder augmente la notion de schéma postural decaractéristiquesneuropsychologiquesetsocialesetforgeen1935leconceptd’imageducorps.BienquecetermesoitencorepourSchilderunsynonymeduschémacorporel,ilrenddavantagejusticeàladimensionpsychosomatique,inconscienteetsymboliqueducorpséprouvé. Surleplandelasensori-motricité,Schildernepeutsesatisfairedeladimensionstrictementtopographiqueduschémapostural.Eneffet,onobservedéjààsonépoquequelaperceptionn’existe

1MichelBernard,LeCorps,SeuilPoints,Paris,1972,réed.1995,p.262RenéDescartes,SixièmeMéditation,1641.3VoiraussilesexpériencesdeVilayanurS.Ramachandran,quileurrentl’homonculesensitifaumoyend’unmiroir,etcetteexpériencedemembrefantômesansamputation:http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=98JEwfc4pto

Francis Bacon. Study from the human body, 1981.

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pashorsdel’action.Unœilartificiellementimmobiliséentraîneauboutdequelquessecondesuneoccultationdelavision.Unmembreparalyséperdsasensibilité.Laperceptionestdoncprisedanslemouvement, elle est en elle-même une activitémotrice, garante de l’unité du comportement. Leschéma corporel n’est donc pas seulement une carte sélective des perceptions et des réactionssensori-motrices mais doit être compris comme une unité dynamique, une Gestalt (ou forme-structure)deperception-actions,plastiqueetmalléable,réactualiséeenpermanence. Les cas de membres fantômes sont exemplaires de cette unité dynamique de l’image ducorps.Certainespersonnesamputésd’unbrasleconserventdansleurschémacorporelpuisqu’ellesressententdesdouleursoudesdémangeaisonsdansl’espacelaissévacantparleurmembreperdu.Ilyadenombreusesvariablitéspyschiquesàcephénomène:unsoldatamputéquinedéveloppepasdemembrefantômesuiteàsonamputationencréeunlongtempsaprès,àlafaveurd’unsyndromepost-traumatique, lié à une réminiscence des circonstances de sa mutilation. Tel autre maladerésorbesonmembrefantômeàmesurequ’ilconsentàacceptersamutilation(ilsortdudénidelamaladie,ditephaseanosognosique).Cependant,uneexplicationstrictementpsychologiquenesuffitpas,caronobservequelasectiondesnerfssensitifsquivontversl’encéphalepeutdanscertainscassupprimerlasensationdemembrefantôme.Ils’agitdoncbiend’unphénomèneneuronal. Descartes en son temps avait formulé les prémisses d’une explication rationnelle de cephénomène:«Ladouleurde lamainn’estpassentiepar l’âmeentantque ladouleurestdans lamain,maisentantqu’elleestdanslecerveau.»2Eneffet,ladouleurestuneinformation.Soncentrede traitement est effectivement dans le cerveau. Le cortex somatosensoriel (ou somesthésique)configureunesortedecarteducorpsenfonctiondesquantitésdeneuronesrelaisetdeneuronessensitifs associés aux différentes parties ducorps. Cette configuration est généralementreprésentée par le schéma de l’homonculussensitif. Les différentes matrices neuronalesafférentesauxpartiesducorpssontgarantes,dans leur conjonction, de l’intégritéfonctionnelle du corps. Il semblerait qu’enl’absence d’influx nerveux provenant dumembre amputé, le cortex somesthésiquemaintienne l’activitéde lamatriceneuronaleafférente à ce membre, ou que celle-ci soitreconfigurée sur une autre afférence,générant alors des confusions sensoriellesavec le membre opposé ou avec certainespartiesduvisage(levisageesttrèsfortementreprésenté dans l’homonculus). Cetteneuromatrice continuerait donc de produirela signature du membre perdu, sous formed’illusions de feedbacks sensitifs ou moteurs (certaines personnes sentent bouger leur membrefantôme).Onpeutyvoirunréflexed’auto-conservationdel’imageducorps(raisonpourlaquellelemembrefantômepeuts’estomperàmesurequelepatientacceptesonamputationetl’intègreàunschémacorporelrénové3). Parlantd’enveloppepyschique,lepsychanalysteDidierHouzeldonneàl’imageducorpsunefonctiondecontenance:

« cette fonction contenante doit s’entendre [...] comme un processus de transformationintime, qui permet que des sensations et des émotions impensables deviennent pensables,

2RenéDescartes,SixièmeMéditation,1641.3VoiraussilesexpériencesdeVilayanurS.Ramachandran,quileurrentl’homonculesensitifaumoyend’unmiroir,etcetteexpériencedemembrefantômesansamputation:http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=98JEwfc4pto

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puissentêtrecontenuesdansuneactivitédepensée,au lieud’êtrepurementetsimplementévacuéesdansdesactesoudéviéesversdesatteintessomatiques,oufaireeffractiondanslemondeintérieuretlemondeextérieurdansuneactivitéhallucinatoire.»4

L’image du corps n’est donc pas seulement une topographie fonctionnelle du corps, elleintègre, accommode et réactualise sans cesse des informations psychiques, émotionnelles,libidinales.Danssathéoriedelasexualité,Freuddécrit lecorpscommeunassemblagedepulsionssexuelles investies dans des zones érogènes, principalement les sas du corps (zone orale, anale,génitale). Mais les pulsions partielles, qui morcèlent l’image du corps en zones de prédilectionérogène,sedéfinissentmoinsselonleursorganes(muqueusesdelabouche,del’anus,dusexe)queselon leurs buts. Freud découvre en effet chez l’enfant deux grandesmodalités pulsionnelles : lapulsionscopiqueet lapulsiond’emprise(oudemaîtrise).Lapulsionscopiquegouvernelacuriositésexuelle, l’exploration de son propre corps et de celui des autres. La pulsion d’emprise porte auplaisirdemaîtrisersamusculaturedans l’actionsursoi (auto-érotisme),sur lesobjetsetsurautrui(jusqu’àl’expérimentationdelapulsiondecruauté).Danscetteorganisationpulsionnelle,lesyeuxetlesmainsontunrôlemajeur.L’investissement libidinaln’estpas lemêmeselonque lespartiesducorpssontvisiblesounon,accessiblesàlamanipulationoupas.Lesaventuresetlesaléasdel’auto-érotisme, lenomadismedesobjetspartiels, lescircuitsde lacuriositésexuelle infantileformentoudéformentlescontoursd’uneimageducorpsencoreplastique,etylaissentuneempreintedurable:

«lesindividuschezlesquelsdominetelleoutellepulsionpartiellesentirontcommeaucentredeleurimageducorpstelpointducorps,tellezoneérogènequicorrespondparticulièrementà cettepulsion: commesi l'énergie s’amassaitencespointsparticuliers. Il yaurades lignesd’énergie reliant les différents points érogènes, et la structure de l’image du corps varieraselonlestendancespsychosexuellesdesindividus.5»

Bienplusqu’unsimplemodèleposturaletphysiologique,l’imageducorpsestdonc,commeleditMichelBernardune«structure libidinaledynamiquequinecessedechangerenfonctiondenosrapportsaveclemilieuphysique,vitaletsocial.»6 L’imageinconscienteducorps Pour lapsychanalyste FrançoiseDolto, quidéfend l’idéed’unenracinementmatriciel de lapsyché dans le corps, promouvoir le concept d’image inconsciente du corps, c’est affirmer quel'inconscient,c’estlecorps7:lecorpscommelangagearchaïque,non-verbal,formedynamiqued’un« systèmede significations».Dolto structure l’image inconscientedu corps sur trois composantesindissociables : l’image de base, l’image fonctionnelle et l’image érogène, qui reconfigurent lenarcissisme du sujet à chaque stade de son évolution. Contrairement à Freud, qui voit dansl’évolution pyschosexuelle de l’enfant un abandon et un refoulement successifs des stadespulsionnels (stade oral, anal, génital) sous la menace de la castration, Dolto y voit un feuilletéd’imagesducorps(imageorale,anale,génitale)quisedépassentlesuneslesautresaumoyendecequ’elle nommedes « castrations symboligènes »8, opérées dans les interactions langagières entreenfantsetadultes.PourDolto,quia consacré savieauxenfantsetauxadolescents, grandir, c’estchangerd’imagesducorps.

4DidierHouzel,AnzieuDidier,coll.Lesenveloppespsychiques,Dunod-Bordas,1987,p.295PaulSchilder,L'Imageducorps(1935),Gallimard,1968,rééd.TelGallimard,2009,p.1446MichelBernard,LeCorps.7A la formule lacanienne qui veut que l’inconscient soit structuré comme un langage, Didier Anzieu rétorque quel’inconscienteststructurécommelecorps.8«Enpsychanalyse,leterme[decastration]signifieuneinterdictiondudésirparrapportàcertainesmodalitésd'obtentiondeplaisir,interdictionàeffetharmonisantetpromotionnant,tantdudésirantainsiintégréàlaloiquil’humanise,quedudésirauquelcetteinterdictionouvrelavoieversdeplusgrandesjouissances.»FrançoiseDolto,Aujeududésir,Seuil,1981p.301.

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Changerd’imagesducorps,cen’estpasseulementune nécessité du développement psycho-moteur,c’estlaconditionmêmedel’imageducorpsentantqu’elle est une unité dynamique, plastique,malléable, virtuelle. Une image du corps estforcément une image mobile, métamorphique,sinon elle devient au mieux une névrose, au pireune psychopathologie. Les images du corps figéessontlescorsetsducomportementetdelarelation.L’exempleleplusrépandudepathologiedel’imagedu corps est la dysmorphophobie, qui affecte dessujets convaincus d’une difformité locale ougénéraledeleurcorps.Setrouvanttropgrossesoutrop petites, jugeant telle partie de leur corpsdifforme ou disproportionnée (seins, fesses,cuisses, etc), alors que leurs mensurations nesortent pas de la normalité, ces personnes viventprisonnières d’une image du corps aberrante.Davantage qu’une stricte psychopathologieclinique, cette affection doit aujourd’hui être

considérée aussi comme une pathologie sociale de l’image. La société spectaculaire-marchandeimposedansl’espacepublic,devenuespaceintégralementpublicitaire,unetyranniedecanonsetdemodèlescorporelsdeplusenplusidéalisésetfétichisés,àseulefindetransformerinsidieusementlaconsommationengestecompulsifdeconsolation. L’arme laplusperversedecesmarchands (bienrenseignés)estlaspécularitéidéelledel’imageducorps:d’unemainilsimplantentuncomplexededévaluationnarcissiquechezunsujetnonplusdésirant,maissidéré,etdel’autre,ilsluivendentdessolutionsderéparationoudecompensation.Lespersonnesquisouffrentdecomplexesphysiquesoudecomportementscosmétiquesobsessionnelssont lesotagesd’images-étalon introjectéescommedes idéalités narcissiques perdues ou défendues. Une image idéale les méduse, qui capture etimmobilise leur imaginaire, les retient dans une spécularitémorbide, les empêche de semouvoirlibrement dans un corps heureux et émancipé. Sujets sidérés dont rêve la publicité, avec de lapublicitédanslesrêves.

Uneimageouverte L’image du corps est donc une image virtuelle, une matrice de facultés motrices et dedispositionspsychologiquesquenosgestes,noscomportements,nosaffectsetnosreprésentationsactualisentenpermanence.Lesimagesducorpssontfluidesetdynamiques,ellessontsanscontourdessiné, sans limites fixées. Elles sont poreuses et osmotiques, elles incorporent et accommodentaussibienlesobjetsquelespersonnesetlesimages.Aforced’habitudedecontact,nousinhibonslaperception objectale de nos habits, de nos bijoux, de nos lunettes, etc, pour les assimiler à notreimage du corps. Cependant, nous nemarchons pas de lamêmemanière selon que nous sommeshabillés ou nus : nous changeons alors d’image de corps. Ces processus d’incorporationsfonctionnent aussi pour des données plus immatérielles, telles que les gestes, les postures, lesattitudes,lesinflexionsdevoix,lesmots,lescomportements,desmanièresdefaireoudedire,quenousempruntonsànotreentourage,etquenousrelançonsànotretourdanslechampmimétiquesocial. Schilderobserveque :«laperceptionquenousavonsducorpsde l’autreetdesémotionsqu’ilexprimeestaussiprimaireque laperceptionquenousavonsdenotreproprecorpsetdenosémotions.Lecorpsproprenediffèrepas,dans lechampde laperceptionsensorielle,ducorpsdesautres.»Nouséchangeonssanscessedespartiesdenosimagesducorps,quenouslesachionsounon,quenouslevoulionsoupas.Uneimageducorpsn’estdoncpasunepropriétéprivée,c’estunespacedeparticipationpathique,démocratique.

Campagne suédoise contre les troubles de l’alimentation. Cf. http://www.friskfri.se/

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Pourcitercetarticle:BouvierMathieu,L’imageducorps, inpourunatlasdesfigures.net,dir.MathieuBouvier,édit.LaManufacture,He.SoLausanne,2017,consulté enlignele

« Quand le balayeur était dans la rue, j'avais l'impression qu'il me balayait le sexe. Il m'écorchait, ça faisait terriblement mal, ça me faisait trembler. Il était dans la rue et moi au cinquième étage. » « J'ai rencontré un homme dans la rue. Il m'a fait mal aux nerfs avec son électricité. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Il était tout contre moi. Il m'a pris mon souffle. Il a respiré mon haleine. Justement maintenant ça me fait mal ici (elle désigne le ventre). » « Vous venez de tousser et vous m'avez touchée avec votre toux (elle tousse). » Paul Schilder, L'Image du corps.

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