L'entreposage visible: l'expérience de Glenbow

Preview:

Citation preview

L'entreposage l'expérience d Dennis Slater

Le musée Glenbow de Calgdry Mlberta), au Canah, a tenté une expérience originale : il a ouvert ses réserves au public. Dennis Slate& ethnologue à la Division despublications et de h recherche du musée, dkcrit ici les aspects posit$ et négat$ de cette action pilote. Iln récemment organisé l'une des toutes nouvelles expositions permanentes de Glenbow, K La rencontre des symboles. Les réalisations de L'Afrique de L'Ouest >), qui montre des objets tirés de la vaste collection de pièces provenant de cette région du monde conservée an Musée.

visible : .e Glenbow

Entre 1978 et 1981, le musée Glenbow de Calgary (Canada) a conçu, élaboré et mis en place un système original d'entre- posage-exposition : (( l'entreposage vi- sible D.

La plupart de ces dispositifs - pour ainsi dire, la totalité d'entre eux - visent à permettre au public de voir toutes les collections du musée. En effet, pourquoi les visiteurs ne pourraient-ils avoir accès à l'ensemble d'un patrimoine culturel qui est le leur ? Ne désirent-ils pas voir les si nombreux objets conservés dans des zones qui leur sont habituellement inter- dites ? C'est en se fondant sur ces hypo- thèses que Glenbow a conçu son produit final, mais, s'agissant d'une expérience pilote, il a été décidé de se limiter à une collection seulement : les efforts ont por- té sur les matériaux ethnographiques, en particulier les objets de la collection Cree.

L'expérience de Glenbow n'est pas la première du genre : elle s'est inspirée d'une expérience analogue menée en 1976 au Musée d'anthropologie de l'Uni- versité de la Colombie britannique, à Vancouver. Toutefois, à Glenbow, c'est une collection déterminée qui était pré- sentée. Éclairée à la demande, elle re- groupait des objets classés selon leur ori- gine ou leur nature et incluait une zone éducative. Dans les deux cas, le public pouvait contempler un grand nombre d'objets analogues, les indications étaient réduites au minimum et le nombre de textiles ou de vêtements était peu impor-

A l'université de Vancouver, l'entre- posage visible était l'une des trois compo- santes d'un système d'information et de prksenration d'objets, er Michael Ames a pu dire : (( L'entreposage visible est main- tenant l'un des trois types de présenta- tions conçus à l'intention des étudiants et du public. Chacun d'eux se fonde sur une

tant.

politique distincte, adaptée à des besoins spécifiques et, se conjuguant, ils propo- sent au visiteur une image globale'. ))

Chaque unité privilégiait la qualité esthé- tique des objets, ou bien utilisait ceux-ci pour communiquer des messages, pour illustrer un scénario (didactique), ou en- core pratiquait l'entreposage visible.

L'exposition pilote de Glenbow com- prenait un espace réservé à des activités d'interprétation ; une vaste zone didac- tique en forme de croissant, et des élé- ments constitués de plusieurs séries de ti- roirs. Dans l'espace d'interprétation, on trouvait des placards de rangement pour fournitures scolaires, des chaises et des tables pour des exposés et des débats, et des équipements audiovisuels. La zone didactique - une longue vitrine en for- me de croissant - comprenait un socle et une ossature en bois dont la face exrer- ne était faite d'une large paroi de verre épais. Cette vitrine était éclairée du dessus par des sources autonomes de lumière fluorescente. Les ériquettes et les pan- neaux d'information de la zone didac- tique étaient normalisés pour tous les ob- jets exposés ; les photographies et les illus- trations étaient disposées sur un mur, juste derrière la vitrine. Les tiroirs pre- naient appui sur un grand châssis en acier, agencé pour leur permettre de glis- ser à l'horizontale ou à la verticale. La pa- roi antérieure des grandes vitrines er des tiroirs autonomes était en plexiglas. Les faces externes de l'armature dans laquelle s'emboîtaient les tiroirs était peintes en gris métallisé, les surfaces planes n'étant coupées que par une minuterie actionnée à la demande et par des poignées encas- trées. Aucun texte, aucune etiquette ne fi- gurait sur ces faces externes.

Les objets, disposés par catégories et en fonction de leur provenance, étaient choisis de faSon à illustrer la diversité des collections du musée. Les étiquettes, ap-

MIIseum intrr7zafio,zal(Paris, UNESCO), no 188 (vol. 47, no 4, 1995) O UNESCO 1995 13

Dennis Slater

Uhe vue des tiroirs coulissant verticalement et horizontdement

et du poste infomiutique. posées à côté ou au-dessous des objets, se bornaient à indiquer leur provenance, leur nom et leur numéro. Non loin de Ià, un ordinateur fournissait des informa- tions complémentaires aux visiteurs qui le souhaitaient. La zone didactique et les ti- roirs contenaient environ 90 % de la col- lection Cree de Glenbow, faite d'objets très divers : vêtements, récipients, armes, outils, instruments de musique. Dans la vitrine et les tiroirs, les sources lumi- neuses ne fonctionnaient qu'a la deman- de, pendant de courtes périodes.

Réactions ambivalentes

Une fois l'entreposage visible mis en pla- ce, les réactions du public et les besoins d'entretien ont fait l'objet d'un contrôle étroit, assuré par le personnel (par exemple, vérification régulière des sup- ports, du mécanisme de fonctionnement des tiroirs, des ordinateurs, des éti- quettes, etc.), et des questions ont été po- sées aux visiteurs. Peu après l'ouverture,

une difficulté d'importance a surgi : le public négligeait les tiroirs. POLU la plu- part, les visiteurs n'allaient pas dans cette zone : ils préféraient celle des expositions didactiques. Lorsqu'ils entraient dans l'espace d'interprétation, ils se bornaient à tester le système d'éclairage à la de- mande ou à manipuler les tiroirs pour voir comment ils glissaient. Si les visi- teurs tendaient à ignorer la zone d'entre- posage visible, c'est parce qu'ils ne com- prenaient pas sa raison d'être : elle ne res- semblait à rien à ce qu'ils avaient vu précédemment - ni dans la zone didac- tique ni dans le reste du musée ; les sys- tèmes d'entreposage visible étaient radi- calement nouveaux pour eux. Leur but était peut-être évident pour le personnel, mais leur conception et leur mise en pla- ce n'ont pas nécessairement pour effet de faire venir les visiteurs. Les détracteurs de ce système soutiennent que le laconisme des étiquettes et la forte concentration des objets sont dissuasifs ; ses partisans rétorquent que l'entreposage visible n'a

14

L'entreposage visible : l'expirience de Glenbow

pas nécessairement les mêmes finalités qu'une exposition d'objets.

Une unité d'entreposage visible, en ef- fet, n'est pas une exposition, elle n'est pas conque dans la même optique ; tel n'était pas, en tout cas, le but recherché à Glen- bow. Les trois composantes - l'espace réservé aux activités d'interprétation, la vaste zone didactique en forme de crois- sant et les Cléments constitués par des ti- roirs - permettaient, à elles trois, une expérience originale de visite d'un mu- sée ; considérées séparément, elles of- fraient l'occasion de voir une grande quantité d'objets et de participer à toute sorte de programmes et de manifesta- tions.

Le problème se pose lorsque les unités d'entreposage visible sont envisagées iso- lément. I1 ne s'agit ni d'une exposition ni d'un entreposage classique, et le public n'est ni prêt ni peut-etre enclin à les prendre en compte. La plupart des visi- teurs interrogés ont dit qu'ils ne savaient pas à quoi correspondait cette zone, qu'ils ne comprenaient pas pourquoi elle avait été aménagée ni quel parti ils étaient cen- sés en tirer. Ils étaient intéressés par les objets, mais intimidés par ce qu'ils perce-

vaient comme une boîte imposante, et frustrés par le laconisme des étiquettes. Cet espace inattendu ne fournissait ni les informations ni le contexte (( tradition- nel )) d'une exposition.

A quoi sert donc une unité d'entrepo- sage visible, si ce n'est à exposer des ob- jets ? Elle en présente un grand nombre dans un cadre non traditionnel et permet aux visiteurs de prendre conscience de la richesse cachée des collections du musée. Ces considérations sont souvent citées comme les raisons essentielles de tout dis- positif d'entreposage visible. Mais cette (( présentation massive )) incite-t-elle à dé- couvrir ou est-elle visuellement écrasan- te ? Ces unités peuvent-elles être auto- nomes ou doivent-elles plutôt compléter une exposition plus vaste ? Plus le public et le personnel faisaient connaissance avec l'entreposage visible, plus ces problèmes se posaient. Le suivi initial a dégagé quelques pistes : les unités étaient peut- être trop étendues, des versions réduites pouvant en revanche compléter des ex- positions traditionnelles ; la masse a son utilité, mais sa fonction est mieux remplie si elle s'inscrit dans un contexte ordinaire d'interprétation. Ainsi fut mise en ques-

Entrke de la zone didactique en firme de croissant.

15

Dennis Slater

L hmzurerie dii me siècle reconstituPe dans le cadre de la noiivelle expositioii M Les peniers : cinq siècles de voyage autour du inonde N.

tion l'une des caractéristiques des unités d'entreposage visible - leur taille. La plupart de ces systèmes sont volumineux, lourds, visuellement imposants : le dispo- sitif de Glenbow occupait plus d'espace que les aires d'entreposage traditionnelles, tout en contenant moins d'objets. I1 était aussi beaucoup plus lourd et exerpit une pression appréciable sur le plancher. Sa taille et sa couleur grise lui donnaient, se- lon certains visiteurs, un air peu enga- geant.

Petit à petit, d'autres problèmes se sont posés. Comme la plupart des objets de la collection Cree étaient entreposés de façon visible, le personnel ne pouvait pas accéder facilement à ceux d'entre eux qui devaient faire l'objet d'une étude ap- profondie ou être prêtés à d'autres mu- sées, car les tiroirs se prêtaient mal aux manipulations nécessaires pour les en re- tirer. En outre, les unités étaient conpes pour un type et un nombre d'objets pré- cis, de sorte qu'elles ne laissaient aucune marge pour des substitutions ou des ajouts. Bien qu'ils aient été conGus pour être d'un accès facile, les tiroirs étaient trop hauts, trop lourds et trop impres- sionnants pour les enfants et pour les per- sonnes en fauteuil roulant.

Avec le temps, la manipulation répé-

tée des tiroirs mettait aussi les objets en danger. Malgré le soin avec lequel ils avaient été conqus, leur manipulation était source de détériorations et d'un re- lâchement progressif des supports, effets particulièrement néfastes pour les petits tiroirs à mouvement vertical.

I1 est aussi apparu clairement que cer- tains objets se prêtaient mal à l'entrepo- sage visible, du fait de leurs tailles ou de leurs formes. Le système convenait bien aux pièces ethnographiques, mais il était mal adapté à la diversité des poids et des formes inhérente aux collections d'histoi- re des cultures, notamment à un grand nombre de costumes et de textiles ras- semblés au musée. Les vêtements et les mannequins ne pouvaient être placés que dans de grandes vitrines accessibles, inté- grées aux Cléments où étaient logés les ti- roirs, et ces mannequins devaient être plus petits que ceux des expositions tra- ditionnelles. Les textiles posaient un pro- blème encore plus sérieux, car à l'époque il n'existait pas de système d'entreposage visible pouvant les accueillir en toute sé- curite2.

Pour les autres objets, les impératifs de la conservation ont pu être respectés, de sorte qu'ils n'ont guère souffert, mais les textiles et les vêtements étaient trop

grands ou nécessitaient des supports trop complexes pour la conception de l'unité. Lorsqu'ils ont été placés dans la zone d'entreposage visible, ils ont été mis dans de longs tiroirs plats ; des vitrines pou- vaient accueillir des mannequins, mais il n'a pas étt possible d'en montrer un grand nombre ni de les présenter aussi bien qu'il était souhaitable.

Quel est l'intérêt de cette unité en tant qu'outil de recherche ? Est-elle compa- rable aux installations d'entreposage ha- bituelles et a-t-elle une incidence sur l'ac- cès des chercheurs aux objets ? L'unité leur permet d'en voir un grand nombre et de choisir ceux qui les intéressent - ce qui est suffisant pour des études peu ap- profondies -, mais ne facilite pas le tra- vail de ceux qui ont besoin de toucher les objets. A Glenbow, la majeure partie de la collection Cree était entreposée de faGon visible, mais était inaccessible pour des re- cherches poussées puisqu'elle était située à un étage particulier et que les objets ne pouvaient être retirés facilement de la zone didactique ou des tiroirs.

Les enseignements

Qu'a prouvé cette expérience ? Contrai- rement à la plupart des évaluations qui en ont été faites, nous ne concluons pas à un échec total : elle a fourni des informa- tions précieuses sur les visiteurs, sur les collections, sur les objets exposés, sur ce qu'on peut en attendre. Le dispositif pi- lote de Glenbow a été démonté en 1985, pour des raisons tenant surtout à sa conception et à son fonctionnement. Peu après, certaines de ses composantes ont été recyclées dans le musée : les tiroirs sont devenus des unités de recherche et de conservation, tandis que d'autres élé- ments étaient convertis en installations d'entreposage pour des textiles roulés et des peaux d'animaux du département

L'entreposage visible : l'expérience de Glenbow

d'ethnologie. Si les visiteurs ont boudé le système informatique c o n p pour com- pléter le dispositif, ce matériel a été récu- péré et utilisé pour d'autres expositions, d'autres activités. Nous avons pu en tirer des enseignements sur les attentes du pu- blic à l'égard de l'informatique et sur le niveau d'information qui convient aux chercheurs, tant amateurs que profes- sionnels.

Moins évidents furent, d'un point de vue théorique, les changements suscités par l'expérience d'entreposage visible. L'intérêt d'une zone conçue pour des ac- tivités d'interprétation a cependant et6 re- connu, si bien que de tels espaces ont été aménagés dans le cadre de toutes les ex- positions organisées depuis 1985 - des espaces distincts suffisamment modu- lables pour accueillir toutes sortes de pro- grammes et diverses activités scolaires.

Depuis 1985, des petits éléments composés de tiroirs ont été utilisés dans de nombreuses expositions : ils complè- tent les vitrines ou constituent des unités autonomes destinées à certaines collec- tions. Dans les deux cas, cela permet d'augmenter le nombre d'objets exposés et de donner accès à des collections plus diverses. Les unités autonomes permet- tent aussi de regrouper les objets illustrant un même thème (le plus souvent de peu- te taille, par exemple des médailles et des insignes militaires, prksentés dans des ti- roirs peu profonds, comme dans une ré- cente exposition à Glenbow sur (( Les guerriers : cinq siècles de voyage autour du monde D) et de montrer de nombreux objets en utilisant un autre instrument : le diorama. L'exposition sur les guerriers reconstitue une armurerie du me siècle semblable à celle qui a été retrouvée dans un château du sud de l'aemagne, ce qui permet d'exposer de nombreuses pièces d'armure, des armes et des outils prove- nant de la collection Glenbow. De nom-

breux objets sont ainsi présentés dans un contexte explicatif.

A titre d'expérience sur les espaces d'entreposage et de recherche, l'entrepo- sage visible a suscité une autre modifica- tion de la conception des expositions, dans lesquelles sont maintenant englo- bées des zones où il est possible de com- pléter son information. I1 est clair que, si une mne de recherche où des objets sont présentés dans de grands éléments com- posés de tiroirs peut être attrayante, le pu- blic souhaite également être mieux infor- mé. Nous avons repensé nos expositions, qui comportent maintenant un espace de lecture et de consultation où sont acces- sibles des livres, des brochures et des moyens informatiques. A Glenbow, ces espaces semblent être, pour une partie, le fruit de l'évolution des idées suscitée par l'expérience d'entreposage visible. De telles zones, aujourd'hui ménagées dans toutes les expositions que nous organi- sons, sont très appréciées du public.

L'entreposage visible a été et demeure très controversé. Mais l'expérience de l'université de la Colombie britannique et l'exposition pilote de Glenbow ont ap- porté des indications cruciales : les résul- tats ont profondément influencé la conception des nouvelles expositions, aussi bien temporaires que permanentes. La doctrine sur laquelle se fondent les deux manifestations, leur architecture et les besoins du public ont ainsi été définis plus précisément par les spécialistes. Plu- sieurs modifications ont été apportées à nos expositions à la suite de l'èxpérience pilote, qui a mis au premier plan les ques- tions d'accès, d'information et d'appren- tissage, primordiales pour tous les mu- séoloaes. Grâce à l'expérience de l'entre- 1. Michael M. Ames, (( Preservation and ac-

v

visible et aux qu'elle a suscitées, toutes nos expositions ont été

cess. A report on an experiment in visible storage n, Gazette, éti/automne 198 1.

2. Duncan Cameron. Creatirw vistial and in-

17