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L’interprétation d’une nouvelle littéraire résistante
par des adolescents québécois de 14 à 17 ans
Mémoire
Cindy Pelletier
Maitrise en didactique
Maitre ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Cindy Pelletier, 2017
L’interprétation d’une nouvelle littéraire résistante
par des adolescents québécois de 14 à 17 ans
Mémoire
Cindy Pelletier
Sous la direction de :
Érick Falardeau, directeur de recherche
iii
Résumé
L’objectif général de notre projet est d’étudier les capacités d’adolescents de 14 à 17 ans à
interpréter une nouvelle littéraire difficile. Des rencontres avec 39 élèves nous ont permis
de collecter nos données par l’intermédiaire de la méthode de la pensée à voix haute et de
l’entretien semi-dirigé. Nous avons effectué une analyse de ces données grâce à la méthode
de l’analyse de contenu. Plus précisément, nous avons d’abord regroupé les élèves dans des
profils d’interprètes selon leurs interprétations du texte Dragon (Bradbury, 1986). Nous
avons ensuite étudié le lien entre l’interprétation proposée par chacun d’eux et leur recours
à des éléments du texte ou à des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter.
Enfin, nous avons dégagé le lien entre le degré global de compréhension et la plausibilité
des interprétations avancées pour chaque profil créé. Globalement, nos résultats convergent
vers les observations suivantes :
1) les élèves qui ont proposé les interprétations les plus plausibles sont ceux qui se
sont le plus appuyés sur des éléments du texte et sur des connaissances personnelles
pertinentes;
2) les élèves dont la compréhension des enjeux centraux de l’histoire était adéquate
ont, de façon générale, formulé des interprétations pertinentes pour expliquer le
non-dit;
3) les élèves qui n’ont pas cerné le genre du texte lu ont eu plus de difficulté à le
comprendre et à l’interpréter.
Ces résultats montrent l’importance d’enseigner aux élèves des stratégies métacognitives
polyvalentes à utiliser pour la compréhension et l’interprétation de textes de tous genres,
notamment le retour au texte et l’utilisation de connaissances personnelles. De plus, nos
résultats suggèrent un travail en classe de français sur des textes peu communs afin
d’élargir l’expérience de lecture des élèves et les préparer à surmonter les défis générés par
les singularités des textes.
iv
Table des matières
RÉSUMÉ III
TABLE DES MATIÈRES IV
LISTE DES TABLEAUX VIII
LISTE DES FIGURES IX
LISTE DES SIGLES ET DES SYMBOLES X
REMERCIEMENTS XI
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE 3
1.1 L’approche interprétative dans le système scolaire actuel : état des lieux 3
1.1.1 L’émergence de l’interprétation en lecture dans les programmes d’études 3
1.1.2 L’écart entre les pratiques du primaire et celles du secondaire 4
1.1.3 Les pratiques enseignantes observées dans les écoles secondaires 5
1.2 Les capacités des élèves en lecture 8
1.2.1 Les aptitudes à interpréter chez les jeunes lecteurs 8
1.2.2 Les difficultés en compréhension 9
1.2.3 Les difficultés propres à l’interprétation 14
1.3 Le rôle de l’enseignant pour favoriser l’interprétation en lecture 17
1.3.1 L’utilisation de textes résistants 17
1.3.2 La gestion de la multiplicité des interprétations 18
1.3.3 L’explicitation des critères de validité d’une interprétation 19
1.3.4 L’instauration de pratiques pédagogiques propices au développement de la compétence à
interpréter 20
1.4 Problème et objectifs de recherche 21
v
1.4.1 Notre étude : un complément pour mieux comprendre les difficultés d’adolescents québécois
à interpréter des textes 22
1.4.2 Objectif général et objectifs spécifiques de notre étude 22
1.4.3 Pertinence de nous intéresser aux capacités d’adolescents québécois en lecture par rapport
au critère interprétation 23
CHAPITRE 2: CADRE THÉORIQUE 24
2.1 La limite entre la compréhension et l’interprétation 24
2.1.1 Définition de la compréhension 24
2.1.2 Définition de l’interprétation 26
2.1.3 L’émergence simultanée de la compréhension et de l’interprétation grâce à l’engagement du
lecteur 27
2.2 Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur 29
2.2.1 L’auteur 29
2.2.2 Le texte 30
2.2.3 Le lecteur 31
2.2.4 Bilan et présentation du modèle retenu par rapport à la relation entre l’auteur, le texte et le
lecteur 35
2.3 La validation d’une interprétation 36
2.3.1 La source du problème de validation d’une interprétation 36
2.3.2 La définition de critères de validité d’une interprétation 37
2.3.3 La démarche d’analyse d’interprétations 42
2.4 Retour sur les objectifs de recherche 43
CHAPITRE 3: DÉMARCHE DE RECHERCHE 44
3.1 Le projet de recherche duquel proviennent nos données : présentation globale 44
3.2 Le texte soumis aux participants 45
3.2.1 Le choix d’une nouvelle littéraire résistante 45
3.2.2 Le résumé du texte 46
3.2.3 Les difficultés du texte 46
3.3 Les rencontres avec les élèves pour collecter les données 47
3.3.1 La méthode de la pensée à voix haute 47
vi
3.3.2 L’entretien semi-dirigé 49
3.4 L’analyse de contenu pour traiter l’ensemble des données 52
3.4.1 Le codage et l’extraction de données spécifiques en fonction des objectifs de notre étude 52
CHAPITRE 4: RÉSULTATS 62
4.1 Présentation des quatre profils d’interprètes 62
4.1.1 Portrait du profil A 63
4.1.2 Portrait du profil B 64
4.1.3 Portrait du profil C 65
4.1.4 Portrait du profil D 69
4.2 L’appui sur des éléments du texte Dragon et le recours à des connaissances personnelles
pertinentes pour formuler des interprétations 70
4.2.1 L’aisance de plusieurs élèves du profil A à prouver leur interprétation 70
4.2.2 La difficulté de plusieurs élèves du profil B à prouver leur interprétation 74
4.2.3 Les exceptions des profils A et B 76
4.2.4 Les insuccès des élèves du profil C dans leurs tentatives de prouver leur interprétation 80
4.2.5 Le « silence interprétatif » de l’élève du profil D 83
4.3 L’influence de la compréhension de la nouvelle Dragon sur l’interprétation pour chacun
des profils 84
4.3.1 Le profil A : quand compréhension assurée rime avec interprétation pertinente 84
4.3.2 Le profil B : une compréhension adéquate, mais une interprétation qui fait fi de certains
éléments du texte 85
4.3.3 Les profils C et D : quand la difficulté à lier des éléments du texte entre eux entraine une
escalade de déductions erronées ou stoppe l’imagination 86
4.4 Bilan des résultats présentés 87
CHAPITRE 5: INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS 91
5.1 La compréhension globale d’un texte : un tremplin pour les hypothèses interprétatives 91
5.2 S’appuyer sur le texte : une attitude propice à la formulation d’interprétations pertinentes 92
5.3 Les critères de validité d’une interprétation : une balise pour évaluer la nécessité (ou non)
d’aller au-delà du texte pour interpréter 94
vii
5.4 Les singularités d’un texte : un frein à la compréhension? 96
5.5 Bilan des éléments qui ont nui à l’interprétation des élèves 98
5.5.1 Le format peu conventionnel du texte proposé 98
5.5.2 Les difficultés de compréhension 99
5.5.3 La prise en compte insuffisante des éléments du texte 99
5.5.4 Le format des entretiens semi-dirigés 100
CONCLUSION 102
ANNEXE A: TEXTE LE DRAGON 104
ANNEXE B: SCHÉMA D’ENTRETIEN 107
ANNEXE C: RÉSUMÉ DES RÉPONSES DES ÉLÈVES AUX DEUX
QUESTIONS D’INTERPRÉTATION ANALYSÉES 109
BIBLIOGRAPHIE 117
viii
Liste des tableaux
Tableau 1: Codes utilisés pour annoter les transcriptions des rencontres avec les
élèves 58
Tableau 2: Comparaison du niveau de compréhension globale et de la pertinence
de l’interprétation des quatre profils d’interprètes 88
ix
Liste des figures
Figure 1: Évolution de la compréhension et de l’interprétation du lecteur
pendant qu’il lit un texte 28
Figure 2: Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur 36
Figure 3: Les critères qui permettent de valider une interprétation 39
Figure 4: La subjectivité du lecteur et sa distanciation du texte pour l’interpréter 41
Figure 5: Les étapes pour formuler une interprétation à la suite de la lecture
d’un texte résistant 43
Figure 6: Type de données analysées pour chacun des objectifs de notre étude 53
x
Liste des sigles et des symboles
MELS : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport
MEQ : Ministère de l’Éducation du Québec
MPVH : Méthode de la pensée à voix haute
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
PISA : Programme international pour le suivi des acquis des élèves
xi
Remerciements
Je remercie mon directeur de recherche, Érick Falardeau, qui m’a formulé plusieurs
commentaires tout au long du processus de rédaction de mon mémoire. Son sens critique
m’a forcée à préciser certains propos, à les nuancer ou à les appuyer davantage, et ce,
toujours dans l’optique d’augmenter la qualité du produit final que je propose.
Je remercie Marion Sauvaire et Hélène Makdissi, qui ont accepté d’évaluer mon mémoire
et qui m’ont fourni des encouragements et de précieux conseils tout au long de ma
rédaction.
Je remercie également ma sœur Daisy qui a agi comme une conseillère de premier plan
jusqu’à la fin de mon projet. Lorsqu’elle rencontrait des problèmes dans la rédaction de son
propre mémoire, elle les résolvait, puis me transmettait les solutions pour que je sauve du
temps lorsque je ferais face aux mêmes embuches. Au final, j’ai dû lui poser des centaines
de questions – peut-être même que nous frôlons le millier – auxquelles elle a patiemment
pris le temps de répondre.
Je remercie mes parents, Yvon et Helen, qui m’ont toujours encouragée à aller jusqu’au
bout de mes rêves. Depuis que je suis jeune, ils m’enseignent à persévérer pour atteindre
mes objectifs. Ils n’ont jamais remis en question ma décision de poursuivre mes études et
ils ont toujours su que je complèterais ce mémoire.
Je remercie mon conjoint, Jean-Nicol, qui a patiemment écouté le récit de mes aventures de
rédaction. Il m’a encouragée à améliorer l’organisation et la gestion de mon emploi du
temps et m’a soutenue pour que je mène ce projet d’études supérieures à terme.
Je remercie mes collègues de travail du 8e étage de la tour des sciences de l’éducation qui
ont agrémenté mes journées de rédaction par leur humour ou par leurs témoignages :
Sylvie, Anthony, Jessica, Julie-Christine, Florent, Marie-Pierre, Kim et Caroline. Ces gens
comprenaient parfaitement ma situation parce qu’ils sont tous passés par la rédaction d’un
mémoire ou d’une thèse.
Je remercie ma sœur Vicky et mon frère Andy, qui se sont tenus informés de l’avancement
de mes études et qui m’ont mise au défi de terminer ce mémoire.
xii
Je remercie Nicolas, le conjoint de ma sœur, qui s’est proposé pour m’aider à effectuer la
mise en page de mon travail. Il m’a permis de sauver un temps précieux lors de la dernière
étape avant le dépôt du mémoire.
1
Introduction
Soucieuse de rédiger un mémoire de maitrise1 répondant à des questions émergeant du
milieu enseignant, nous avons longuement réfléchi à l’orientation à donner à notre
recherche. Nos passages répétés dans diverses écoles secondaires nous ont amenée à
prendre conscience de la difficulté pour plusieurs élèves à générer des inférences, c’est-à-
dire déduire des informations qui ne sont pas mentionnées explicitement dans les textes
qu’ils lisent. Ce problème de lecture peut nuire fortement à la réussite scolaire parce qu’il
n’a pas seulement une incidence en classe de français, mais également dans d’autres cours
(ex. : univers social et mathématiques) où la compréhension d’une mise en situation ou
d’une consigne influence directement la résolution du problème. Nous avons donc choisi de
mettre en évidence certaines procédures appliquées par des adolescents – autant ceux qui
éprouvent des difficultés que ceux qui réussissent – pour interpréter une nouvelle littéraire.
De cette manière, nous croyons que les enseignants et les autres professionnels de
l’éducation auront un portrait concret de la situation et pourront cibler des interventions en
conséquence.
Le premier chapitre permet de dégager des pratiques enseignantes fréquentes observées en
classe de français pour travailler la lecture. Il met également en perspective les difficultés
rencontrées par les élèves pour comprendre et interpréter des textes de même que le rôle de
l’enseignant pour favoriser le développement de la compétence à interpréter. Le deuxième
chapitre présente les définitions de la compréhension et de l’interprétation auxquelles nous
adhérons et précise le type d’interaction qui agit entre ces deux processus. Les rôles de
l’auteur, du texte et du lecteur y sont aussi circonscrits, ce qui permet de converger vers la
définition de deux stratégies centrales dans notre analyse : l’utilisation d’éléments du texte
et l’appui sur des connaissances personnelles pour interpréter. Le troisième chapitre décrit
les outils et les méthodes que nous avons utilisés pour collecter et pour analyser nos
données. Le quatrième chapitre expose les résultats obtenus par rapport à chacun des
objectifs spécifiques que nous avons fixés. Ces résultats sont appuyés par des extraits de
1 Ce texte est conforme aux rectifications de l’orthographe.
2
rencontres auprès d’élèves ayant participé à notre projet. Finalement, le cinquième chapitre
présente des observations et des tendances qui sont ressorties de l’analyse qualitative des
résultats en mettant en relief, d’une part, la démarche adoptée par les lecteurs qui formulent
des interprétations pertinentes d’un texte et, d’autre part, celle des élèves qui éprouvent des
difficultés à interpréter.
3
CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE
Dans ce premier chapitre, nous présenterons d’abord quelques constats par rapport à
l’enseignement de la lecture dans les classes primaires et secondaires du Québec. Nous
décrirons ensuite les difficultés et les aptitudes des élèves pour comprendre et interpréter
des textes. Ce bilan des capacités des élèves nous mènera à nous pencher sur l’influence de
l’enseignant dans le développement de la compétence à interpréter en lecture. À la lumière
de l’ensemble de ces considérations émergeant du milieu scolaire, nous énoncerons notre
problème et nos objectifs de recherche.
1.1 L’approche interprétative dans le système scolaire actuel : état des lieux
Le travail sur l’interprétation des textes en lecture par les enseignants dans les écoles
primaires et secondaires québécoises a énormément évolué au cours des dernières
décennies.
1.1.1 L’émergence de l’interprétation en lecture dans les programmes d’études
Les programmes d’études québécois de 1980 et de 1995 ne traitent pas explicitement de
l’interprétation en lecture bien que certains des objectifs s’y trouvant pourraient y être
associés. Ce n’est qu’en 2000 pour le primaire et en 2006 pour le secondaire que ce terme
est inséré dans les compétences à développer du Programme de formation de l’école
québécoise. Des attentes très ambitieuses sont alors formulées. Pour le primaire,
l’expression de sa propre interprétation d’un texte figure notamment parmi les critères
évalués dès le premier cycle. À la fin de la sixième année, il est attendu que les élèves
dégagent des éléments d’information tant explicites qu’implicites en recourant à des
stratégies variées et appropriées (MEQ, 2006). Pour le secondaire, à la fin du premier cycle,
il est souhaité que les élèves appuient leurs hypothèses interprétatives des textes sur des
extraits ou des exemples. Enfin, en terminant le secondaire, les adolescents devraient
fonder leurs interprétations sur des éléments pertinents d’un texte, sur leurs connaissances
textuelles et linguistiques et sur leurs repères culturels (MEQ, 2006). Cependant, il semble
que les méthodes d’enseignement de la lecture ne se sont pas adaptées rapidement à ces
changements. En effet, si l’interprétation est maintenant une compétence à développer dès
l’entrée à l’école selon les prescriptions ministérielles, plusieurs études (par exemple, De
4
Croix & Ledur, 2001; Tauveron, 1999; Daunay, 2007) ont pourtant montré qu’en pratique,
le travail conscient sur l’interprétation est principalement effectué par les enseignants du
secondaire.
1.1.2 L’écart entre les pratiques du primaire et celles du secondaire
Hébert (2002) relève un écart considérable entre les habitudes de lecture ancrées au
primaire (« la lecture/plaisir ») et les exigences définies par les principes directeurs du
programme (« la lecture/critique ») (p. 15). Les élèves arrivant du primaire disent préférer
des romans courts et proches de leur contexte immédiat, ce qui pourrait s’expliquer par leur
expérience scolaire et extrascolaire de lecteurs : « ils n’ont pas été exposés, ni à l’école, ni
en dehors […] à des textes plus résistants2 […] et qui seraient de nature à susciter un travail
sur le texte, un début de distanciation » (p. 15). En effet, les œuvres lues au primaire ne
présenteraient pas des caractéristiques dominantes telles que la difficulté, la polysémie ou
la résistance (De Croix & Ledur, 2001). Or, le travail en classe sur des textes d’un niveau
de difficulté adéquat favorise l’engagement des élèves et optimise ainsi leur progression
(Allington & Gabriel, 2016).
La variété des œuvres travaillées (longueur, degré de difficulté, thèmes abordés) ne serait
pas le seul trait distinctif expliquant le fossé entre les deux ordres d’enseignement. Entre le
début du primaire et le secondaire, il y aurait un changement d’attitude majeur des
enseignants par rapport à l’ouverture à la multiplicité des interprétations (Tauveron, 2004).
À la maternelle, l’enseignant laisse les enfants exprimer toute forme d’hypothèse ou de
réaction à la lecture offerte sans nécessairement rectifier leurs propos. À l’opposé, au
secondaire, les droits du texte sont défendus, mais parfois confondus avec ceux que
s’octroie l’enseignant de se servir de sa propre interprétation comme balise pour gérer les
réponses aux questionnaires et les discussions en groupe (Tauveron, 2004).
Plus globalement, Tauveron (1999) critique la conception de l’apprentissage de la lecture à
l’école, « conçu comme l’apprentissage de la plongée sous-marine, par paliers successifs
2 Un texte résistant est un texte difficile à comprendre ou difficile à interpréter. Plus précisément, il sera ardu
de résumer un tel texte ou d’en dégager la symbolique (Tauveron, 1999).
5
qui ménagent l’organisme » (p. 12). Elle considère que le système scolaire actuel réserve le
travail sur la compréhension littérale aux élèves novices, puis celui sur la compréhension
fine aux élèves du dernier cycle du primaire, pour enfin en arriver à aborder l’interprétation
au secondaire, après avoir appris à comprendre au primaire. D’ailleurs, selon Giasson
(2007), les enseignants du primaire posent cinq fois plus de questions littérales que de
questions inférentielles. Conséquence : les élèves parviennent parfois à répondre à un
questionnaire concernant un texte sans l’avoir réellement compris parce que le repérage des
réponses leur suffit pour répondre aux questions posées. Daunay (2007) appuie lui aussi
l’idée selon laquelle l’interprétation n’est pas travaillée assez tôt dans le cheminement
scolaire. Il affirme que l’accent devrait être mis sur la continuité des apprentissages entre le
primaire et le secondaire plutôt que sur « le corpus disponible selon le développement de
l’élève » (p. 169). Il précise dans quel contexte cette continuité sera réalisable :
Une telle option est possible quand la lecture littéraire n’est pas réifiée
comme une forme de lecture particulière et corrélée à des savoirs ou savoir-
faire spécifiques à un niveau scolaire donné, mais pensée plus généralement
comme une alternance de niveaux d’interprétation, ce qui laisse la place à
une conception longitudinale du développement de l’élève et des variations
dans l’exigence de maîtrise3 de tel ou tel niveau (p. 169).
Somme toute, si la lecture d’œuvres peu résistantes et la prédominance de tâches liées à la
compréhension littérale au primaire compliquent la transition vers le secondaire, il
semblerait que certaines pratiques à ce dernier ordre d’enseignement ne facilitent pas non
plus l’atteinte des objectifs – ambitieux, certes – établis par le Programme de formation de
l’école québécoise.
1.1.3 Les pratiques enseignantes observées dans les écoles secondaires
Plusieurs études ont permis de constater que les questionnaires en lecture étaient une
pratique surreprésentée dans les classes. Dans le cadre de son enquête menée auprès
d’enseignants du secondaire en Belgique francophone, Dufays (2011) a identifié cette tâche
comme la plus fréquente. Il a également observé que les tâches décontextualisées, bien
3 Dans les citations, nous avons choisi de conserver la graphie traditionnelle pour respecter les textes sources.
6
qu’elles côtoient de plus en plus les tâches complexes, sont encore très répandues. Cèbe et
Goigoux (2007) ont eux aussi montré « [la place disproportionnée occupée par les
questionnaires] au détriment des tâches de rappel, de résumé et de reformulation » (p. 193).
Une vaste enquête menée par Van Grunderbeeck, Théorêt, Chouinard, Cartier et Garon
(2003) dans des classes de cheminement particulier de première, deuxième et troisième
secondaires a révélé que les pratiques enseignantes ne laissent pas suffisamment de place à
la verbalisation par les élèves de leurs choix de stratégies et de leurs processus
métacognitifs4 : « l’enseignement [est] assez conventionnel, centré sur le texte [et] les
élèves ne sont pas invités à s’exprimer sur leurs stratégies et la prise de conscience de ce
qui se passe dans leur tête pendant la lecture » (Van Grunderbeeck & Paquette, 2007,
p. 75). À ce sujet, Hébert (2004) croit que des tâches traditionnelles comme les
questionnaires de compréhension factuels ne favoriseront pas nécessairement une prise de
conscience par les élèves de la nature évolutive de la compréhension de même que de la
pluralité des interprétations. Le type de questions qui composent les questionnaires est
fortement critiqué par Vaubourg (2007) :
Les élèves sont habitués à des questions faisant suite à la lecture d’un texte,
portant chacune sur un seul élément du texte, concernant peu la levée des
implicites et ne nécessitant pas la mise en lien d’éléments épars. Parfois, ces
questions suivent même l’ordre du texte (p. 287).
Pourtant, un questionnement moins fermé par rapport à une œuvre et impliquant
l’activation des processus de haut niveau permettrait une plus grande implication des élèves
dans la compréhension de cette œuvre. Par exemple, l’enseignant pourrait demander aux
élèves de porter un jugement moral sur les actions d’un personnage ou de justifier pourquoi
ils apprécient ou non sa personnalité plutôt que de les interroger à propos du schéma
4 Les processus sont les opérations effectuées par le lecteur pendant la lecture afin de comprendre un texte
(Giasson, 2011). Plus précisément, les processus métacognitifs incluent la conscience métacognitive et la
capacité d’autorégulation (Irwin, 2007). La conscience métacognitive correspond à la connaissance de ses
propres caractéristiques de lecteur (forces et difficultés), des caractéristiques du texte et de l’éventail de
stratégies pertinentes à utiliser pour le comprendre. Pour ce qui est de la capacité d’autorégulation, il s’agit
globalement du contrôle des stratégies avant, pendant et après la lecture, notamment la détection de bris de
compréhension et la remédiation à ces bris par le biais de stratégies métacognitives (Schmitt, 2005). Dans le
cadre de notre mémoire, nous nous intéressons à l’autorégulation, ce deuxième volet des processus
métacognitifs.
7
actanciel (Langlade, 2007). La production d’un tel schéma par les élèves comme objet
d’évaluation est un exemple d’activité liée aux aspects formels de la structure narrative et
souvent non transférable dans d’autres contextes5. Inversement, des activités réflexives qui
mettent l’accent sur le questionnement et le raisonnement permettent aux élèves de retenir
la démarche à laquelle ils ont recouru pour résoudre un problème de lecture et non
seulement la réponse. Ils développent ainsi des compétences en compréhension de textes
qu’ils pourront transférer dans d’autres disciplines ou, du moins, dans d’autres situations de
lecture littéraire. Et à leurs yeux, ce transfert donne du sens aux apprentissages (Dumais,
2011).
Malgré la proportion que semble occuper le questionnaire dans les classes de français,
d’autres types de pratiques, favorables à un travail sur l’interprétation, sont en émergence.
En effet, Rouxel (2005) souligne que des rencontres intersubjectives et des conflits des
interprétations s’observent de plus en plus. Toutefois, l’adoption de pratiques telles que les
cercles de lecture n’implique pas automatiquement un développement de la compétence à
interpréter : tout dépend de la manière dont se déroulent les activités. À ce sujet, les
résultats d’une enquête menée par Hébert (2004) montrent la dominance de la
compréhension littérale (44 %) comme mode de lecture verbalisé dans les cercles littéraires
autonomes par des élèves de première secondaire.
Considérant que les enseignants du primaire et ceux du secondaire semblent rencontrer des
défis semblables sur le plan des choix didactiques, davantage de dialogues entre les deux
ordres d’enseignement serait souhaitable, comme le suggèrent Soussi et al. (2007) : « Une
ouverture et une plus grande collaboration interniveaux d’enseignement permettraient […]
une meilleure compréhension de l’enseignement de la lecture aux différents moments de
son apprentissage » (p. 49). En effet, en commençant le travail interprétatif avec leurs
élèves dès l’entrée à l’école, les enseignants du primaire rendraient un fier service à leurs
collègues du secondaire, qui accueilleraient des adolescents déjà habitués à composer avec
5 La production d’un schéma actantiel pourrait toutefois être pertinente s’il s’agit d’une stratégie choisie par
l’élève pour résumer un texte narratif.
8
le non-dit d’un texte. Encore faut-il changer la perception selon laquelle les jeunes enfants
n’ont pas le bagage nécessaire pour interpréter.
1.2 Les capacités des élèves en lecture
Les enseignants peuvent travailler avec leurs élèves la compétence à interpréter en lecture
dès l’entrée à l’école. Un développement précoce de cette compétence est d’autant plus
souhaitable que les difficultés de lecture sont réelles.
1.2.1 Les aptitudes à interpréter chez les jeunes lecteurs
Bien que les enfants développent leur capacité à inférer au fur et à mesure qu’ils
vieillissent, ils fondent dès leur jeune âge leurs inférences sur des expériences antérieures
(Giasson, 2007). Lebrun (2004) affirme qu’il est possible, par l’intermédiaire des comités
de lecture, de former des lecteurs interprètes critiques, et ce, dès l’initiation à la littérature
en classe. Un projet qu’elle a mené a permis de constater que des élèves de la maternelle
peuvent participer avec succès à ce genre de comité : ils formulent un jugement de gout par
rapport à un livre en fonction de critères, ne se laissent pas influencer par l’opinion des
autres et parviennent à se décentrer. Tauveron et Sève (1999) ont également montré à quel
point la lecture en réseau révèle le potentiel d’analyse des enfants et catalyse leur activité
interprétative. Ils ont fourni à des élèves de cycles deux et trois différentes versions d’une
histoire comportant le même titre et les ont jumelés de manière à ce que les membres d’un
réseau n’aient pas en main la même version de l’histoire. Les élèves devaient identifier la
version originale et justifier leur choix. Cette confrontation entre le texte source et ses
adaptations a permis aux enfants de développer leur investigation et leur compréhension
fine en repérant habilement certains stéréotypes. Malgré ce potentiel des jeunes élèves pour
interpréter, il semble que cette compétence ne soit pas suffisamment développée à l’école
primaire. Paradoxalement, les enseignants du premier cycle du primaire travaillent peu
l’inférence parce que cette tâche est jugée trop difficile pour les élèves, tandis que ceux du
deuxième cycle déplorent les difficultés des élèves sur ce plan (Giasson, 2007). Puisque le
9
travail sur la compréhension littérale domine celui sur la compréhension fine6 (Giasson,
2007), plusieurs élèves arrivent au secondaire avec d’importantes difficultés en lecture.
1.2.2 Les difficultés en compréhension
Les quatre grandes catégories de difficultés que nous présentons dans cette section
n’intègrent pas l’ensemble des obstacles potentiels en compréhension. Cependant, elles
regroupent un grand nombre de difficultés majeures rencontrées par les élèves du
secondaire7 et recensées par plusieurs auteurs. Par ailleurs, les catégories ne sont pas toutes
hiérarchiquement équivalentes, c’est-à-dire que les deux premières – la mobilisation de
stratégies de lecture et l’autorégulation de la lecture – chapeautent les deux dernières – la
prise en compte du texte comme un tout cohérent et la compréhension de l’implicite d’un
texte. Plus précisément, les difficultés incluses dans les deux premières catégories peuvent
être des causes potentielles de celles faisant partie des deux dernières catégories. Enfin, les
quatre ensembles ne sont pas hermétiques, c’est-à-dire que certaines difficultés que nous
avons choisi d’insérer dans une catégorie donnée auraient également pu être classées dans
une autre.
Recourir fréquemment à diverses stratégies de lecture
Le choix des stratégies à utiliser et leur fréquence d’utilisation constituent des traits
distinctifs entre les élèves qui connaissent du succès en lecture et ceux qui réussissent
moins bien. Hébert (2004) compare les caractéristiques des élèves forts et celles des élèves
en difficulté en lecture : « Les bons lecteurs, de même que ceux qui sont très engagés
émotionnellement dans leur lecture, utiliseraient […] une plus grande variété de stratégies,
et cela à une plus grande fréquence » (p. 610). Plus précisément, les résultats de deux
études (Smith, 1991; Ehrlich, Kurtz-Costes, & Loridant, 1993) rapportés par Van
Grunderbeeck et Paquette (2007) montrent que « les bons lecteurs utilisent en moyenne
6 La compréhension fine inclut tout ce qui ne relève pas de la compréhension littérale, c’est-à-dire la
compréhension inférentielle et la compréhension critique. Ces deux concepts, qui seront définis plus
précisément dans le cadre théorique, nécessitent d’aller au-delà des mots du texte. 7 Certaines difficultés relevées sont issues d’études menées auprès d’élèves de la fin du primaire. Nous les
avons tout de même considérées étant donné la proximité entre le dernier cycle du primaire et le premier cycle
du secondaire.
10
deux stratégies de plus que les mauvais […], font plus appel à leurs expériences
personnelles pour s’aider dans leur compréhension et […] gèrent plus de stratégies que les
mauvais lecteurs » (p. 79). De plus, les lecteurs avertis utilisent davantage les stratégies
métacognitives8 que les lecteurs en difficulté qui mettent plutôt l’accent sur la connaissance
du vocabulaire d’un texte (Van Grunderbeeck & Paquette, 2007). Enfin, Van Grunderbeeck
et Paquette (2007) soutiennent que la capacité de lecture évolue peu à partir de douze ans
sans aide spécifique. Le début du secondaire serait ainsi un moment clé pour
l’apprentissage et le développement des stratégies de lecture.
Autoréguler son activité de lecture
Au même titre que le recours fréquent à une variété de stratégies de lecture,
l’autorégulation de l’activité de lecture (détecter ses bris de compréhension et y remédier)
départage les lecteurs assurés des lecteurs faibles. Ces derniers éprouvent des difficultés à
remettre en cause les représentations et les interprétations élaborées au début de leur lecture
d’un texte, c’est-à-dire qu’ils ne traitent que les informations congruentes avec le sens
qu’ils ont construit dès le premier paragraphe (Goigoux, 2000). À l’inverse, les élèves forts
sont davantage enclins à réajuster leur hypothèse initiale en cours de lecture : « [ils]
conservent plus longtemps leur interprétation ouverte et attendent d’autres informations du
texte pour donner une interprétation définitive » (p. 151). De plus, les lecteurs en difficulté
régulent peu leurs processus pendant leur lecture puisqu’ils ne mobilisent pas de stratégies
pour détecter ou pour réparer les pertes de compréhension (ex. : moduler la vitesse de
lecture) (Goigoux, 2000).
La dépendance des élèves en difficulté au questionnaire soumis après la lecture d’un
texte représente un autre grand constat : « Leur première lecture d’un texte est souvent
réduite à un repérage thématique et à une localisation des informations qui seront
éventuellement utiles […] pour répondre aux questions posées » (Goigoux, 2000, p. 151).
Le questionnaire semble donc être l’enjeu qui guide leur activité de lecture, ce qui va à
8 Par exemple, il pourrait s’agir pour un lecteur de réaliser qu’il ne comprend plus le texte qu’il lit et de
choisir de relire un passage pour remédier au problème rencontré.
11
l’encontre du principe d’autorégulation. De plus, les lecteurs faibles ciblent mal les
difficultés posées par un texte et ne peuvent donc pas adopter des stratégies de lecture
efficaces (De Croix, 2010). Plus encore, ils confondent le travail linguistique et celui de
compréhension : « Habitués à traiter des questions littérales, des questions d’interprétation
et des points de langue à partir des textes, [les élèves] ne savent pas toujours sur quel
registre est placée l’activité du moment » (Vaubourg, 2007, p. 288). Enfin, certains
entretiennent une croyance nuisible par rapport à la manière de lire un texte : « ils pensent
qu’il ne faut pas s’arrêter et que s’ils le faisaient, ils perdraient le fil de la lecture » (p. 288).
Les profils mentaux de bons et de mauvais compreneurs établis par Martel (2003) dans le
cadre de son étude9 résument bien la situation. Une différence entre ces deux groupes a été
observée sur le plan des capacités métacognitives :
Les mauvais compreneurs ont de la difficulté à trouver les mots pour décrire
ce qui se passe dans leur tête, ils sont imprécis et sont peu capables de gérer
avec efficacité leurs évocations. Ces constats confirment que les habiletés
métacognitives des bons élèves sont plus développées que celles des élèves
faibles, ils sont capables de remarquer leurs pertes de compréhension et de
gérer celles-ci alors que les faibles ont du mal à évaluer leur
mécompréhension (Van Grunderbeeck & Paquette, 2007, p. 86).
Le recours insuffisant à des stratégies de lecture efficaces et la faible autorégulation de
l’activité de lecture entrainent souvent d’autres difficultés plus spécifiques.
Considérer le texte comme un tout cohérent
Plusieurs problèmes de lecture sont liés au mode de traitement des informations d’un texte.
En effet, certains élèves l’analysent un paragraphe à la fois ou même une phrase à la fois
sans se prêter à l’exercice de trouver le fil conducteur, c’est-à-dire d’amalgamer l’ensemble
des éléments pour bâtir un tout cohérent. Hébert (2004) rapporte les résultats d’enquêtes
françaises (Leclercq, 1981; ministère de l’Éducation nationale, 1993) selon lesquels
« environ 50 % [des élèves qui entrent au secondaire] seraient encore au stade de la
reconnaissance des mots ou du décodage et 40 % ne dépasseraient pas la compréhension
9 Elle a analysé les verbalisations de huit élèves de 6e année (quatre forts et quatre en difficulté) rencontrés
individuellement.
12
d’un texte simple » (p. 607). Goigoux (2000) a d’ailleurs établi un lien entre les difficultés
des lecteurs faibles à identifier les mots écrits et leurs capacités à mobiliser des processus
de compréhension et d’interprétation :
[les processus d’identification des mots] sont souvent très lents, faiblement
automatisés et donc très coûteux en ressources attentionnelles. Dans la
mesure où les capacités cognitives de chaque individu sont limitées,
l’attention portée à l’identification des mots se fait au détriment des autres
traitements qui devraient assurer progressivement la compréhension du texte
(p. 152).
La difficulté à comprendre les mots ou les syntagmes ne serait pas la seule à générer des
problèmes par rapport à la compréhension globale d’un texte. Goigoux (200010) a observé
que les élèves qui contrôlent la compréhension au niveau de la phrase (mais pas au niveau
interphrastique et global) et ceux qui croient que la compréhension de tous les mots d’un
texte mènera nécessairement à une compréhension univoque traitent le texte différemment
de leurs pairs. Ils analysent chacune des phrases comme étant isolée :
[Les lecteurs en difficulté ignorent] la nécessité d’élaborer des
représentations provisoires au fur et à mesure de la lecture du texte, de
consacrer une partie de leur attention à mémoriser les informations les plus
importantes et de procéder à des inférences pour mettre en relation les
diverses données du texte (p. 151).
Puisqu’un texte facile à comprendre signifie pour eux qu’il ne comporte pas trop de mots
difficiles, les microprocessus et les processus d’intégration sont mobilisés au détriment du
troisième niveau, soit la construction d’une représentation mentale du texte (Goigoux,
2000).
La difficulté des lecteurs faibles à considérer le texte comme un tout cohérent leur
complique également la tâche lorsqu’ils doivent sélectionner et combiner des informations
du texte pour construire un sens plausible :
[Les lecteurs en difficulté picorent] des informations éparses dans le texte,
[se construisent] des représentations juxtaposées, fragmentaires, chacune
10 L’étude menée par Goigoux (2000) concernait les élèves en grande difficulté de lecture et les
enseignements adaptés.
13
renvoyant à des compréhensions partielles […] mais qui ne présentent
aucune articulation d’ensemble. On parle parfois à ce propos de
compréhension « en ilots ». Le plus souvent, le caractère erroné des
interprétations produites échappe au lecteur lui-même et il est donc
incapable de les corriger sans aide (Fayol, 2000, cité dans Cèbe & Goigoux,
2007, p. 192).
Cette sélection laborieuse d’informations peut nuire aux élèves lorsqu’ils répondent à des
questions à propos d’un texte : « ils citent parfois des éléments du texte à l’appui d’une
thèse fausse mais localement cohérente » (Vaubourg, 2007, p. 296). À ce sujet, De Croix
(2010) a montré que les difficultés des élèves à répondre à une question de lecture
surviennent notamment dans les situations suivantes : lorsqu’ils doivent reformuler un
passage du texte; lorsqu’ils doivent mettre en relation plusieurs informations disparates du
texte pour former la réponse; lorsqu’ils doivent considérer le texte comme un tout cohérent
pour construire un sens global et formuler des hypothèses interprétatives11. L’interrelation
entre les processus de lecture explique donc qu’un maillon faible, quel qu’il soit, fragilise la
chaine entière de la compréhension.
Saisir l’implicite d’un texte
Travailler avec le non-dit d’un texte représente un autre défi pour plusieurs élèves du
secondaire. Hébert (2004) rapporte des résultats de l’enquête internationale PISA menée en
2000, selon lesquels « 27 % des élèves québécois âgés de 15 ans ne dépassent pas le niveau
de l’inférence simple et […] seulement 45 % d’entre eux peuvent réussir des tâches de
lecture complexes, comme interpréter le sens à partir de nuances de la langue et évaluer de
manière critique un texte » (p. 607). Parmi les principales difficultés de lecture chez les
adolescents, Hébert (2004) recense « [le manque de tolérance des élèves] aux ambiguïtés du
texte et l’exagération des inférences pour les combler12 » (p. 12). Ce constat semble partagé
par Vaubourg (2007), qui évoque la tendance de certains élèves à extrapoler lorsqu’un
travail sur l’anticipation de la suite du texte est mal encadré.
11 L’étude de De Croix (2010) a été effectuée auprès d’élèves belges francophones. 12 Cette recension de difficultés provient d’études empiriques menées par plusieurs chercheurs (Richards,
1929; Squire, 1964; Dufays & Ledur, 1994; Rouxel, 1996; Reuter, 1992 b).
14
Parmi les items les moins réussis par les élèves du dernier cycle du primaire à une épreuve
de compréhension en lecture, Van Grunderbeeck et Paquette (2007) rapportent notamment
la reconnaissance de marqueurs temporels implicites13. Or, les élèves qui saisissent plus ou
moins l’implicite d’un texte répondent difficilement à des questions de lecture impliquant
des inférences locales ou globales (De Croix, 2010). Plus précisément, deux types de
lecteurs faibles se distinguent selon leurs capacités à inférer : d’un côté, ceux qui ne
produisent pas suffisamment d’inférences au-delà de la phrase; de l’autre, ceux qui allient
des éléments du texte incompatibles pour construire du sens : « One of these subgroups
appeared to engage in very little inference generation beyond the sentence; the other
appeared to engage in relation-building but with the relations involving relatively
irrelevant pieces of information » (van den Broek, 2012, p. 46).
À ce sujet, Helder, Leijenhorst, Beker et van den Broek (2013) identifient les deux groupes
d’élèves éprouvant des difficultés à inférer comme étant les « elaborators » et les
« paraphrasers ». Les premiers génèrent autant d’inférences que les « bons compreneurs »,
mais celles-ci ne sont pas liées à la structure centrale du texte. Quant aux seconds, ils
tendent très souvent à répéter des passages du texte ou à les reformuler plutôt que de
produire de réelles inférences. Ces difficultés liées à un processus de haut niveau – la
génération d’inférences – embrouillent la compréhension globale du texte et augmentent les
risques d’éprouver des difficultés à interpréter.
1.2.3 Les difficultés propres à l’interprétation
Le recours à des éléments du texte et leur mise en relation pour construire une hypothèse
interprétative
McCormick (1992, cité dans Van Grunderbeeck & Paquette, 2007) a dégagé de son étude
les principales sources d’erreurs des élèves en difficulté14 lorsqu’ils interprètent un texte.
L’une d’elles est le fait que le lecteur « interprète entièrement ou partiellement le texte ou
une section du texte à partir de ses connaissances antérieures sans revenir au texte » (p. 80).
Vaubourg (2007) est du même avis. Il affirme que « le texte est trop peu convoqué par les
13 Leurs constats proviennent d’une enquête du ministère de l’Éducation nationale en France (1993). 14 Les élèves ayant participé à l’étude de McCormick (1992) étaient à la fin du primaire.
15
élèves dans les travaux qui touchent à l’interprétation; il est au départ de leur réflexion puis
ne sert plus suffisamment pour étayer les propositions d’interprétation » (p. 288). Soussi et
al. (2007) rapportent les conclusions de deux grandes enquêtes sur les difficultés des élèves
en lecture – l’enquête PISA menée en 200015 et une enquête réalisée en Suisse romande
(Broi, Moreau, Soussi, & Wirthner, 200316). Les observations qui ressortent de ces études
concernent notamment les problèmes des élèves à interpréter un texte et à en traiter tous les
éléments qui ne relèvent pas de l’explicite. Plus précisément, les lecteurs en difficulté
réalisent difficilement des tâches complexes; ils se réfèrent davantage à leurs souvenirs ou à
leurs croyances qu’au texte lui-même; ils tendent à répondre aux questions interprétatives
ou réflexives selon leur propre réalité; ils comprennent difficilement l’implicite d’un texte
et les intentions de l’auteur (Soussi et al., 2007). Dans le même ordre d’idées, Sauvaire
(2013) relève une opération difficile pour certains élèves, soit la sélection et l’ajout
d’éléments du texte pour adopter une posture interprétative :
Lorsque l’interprétation est partielle ou en partie erronée, le lecteur a échoué
à mettre en relation divers éléments interprétatifs dans le but de dégager une
signification plausible du texte. Les failles dans l’opération de recomposition
semblent constituer une cause majeure des difficultés des élèves à interpréter
(p. 302).
Si la considération des éléments du texte pour interpréter représente une difficulté pour
certains adolescents, d’autres buteront davantage sur la liaison de ces éléments à leurs
connaissances personnelles. Effectivement, un lecteur peut, selon son intention de lecture et
selon la structure d’un texte, tendre vers l’un ou l’autre de ces deux extrêmes (van den
Broek, Young, Tzeng, & Linderholm, 1999). Paradoxalement, le défi pour formuler une
interprétation pertinente peut donc être d’entrer dans le texte (repérer et lier entre eux les
indices qu’il contient) ou d’en sortir (faire le pont entre les indices du texte et ses
connaissances).
15 Cette enquête a été effectuée auprès d’élèves en fin de 9e année (15 ans).
16 Cette enquête ciblait des élèves de la fin de la 6e année (11-12 ans).
16
La mise en écho d’éléments du texte avec ses connaissances personnelles
Indépendamment de leur degré de compréhension d’un texte, les lecteurs peuvent tendre
vers deux pôles. Soit ils ont tendance à mettre en écho leurs connaissances et les indices du
texte pour générer des hypothèses interprétatives, soit ils sont portés à s’en tenir au contenu
du texte. En ce sens, Martel (2004, cité dans Van Grunderbeeck et Paquette, 2007) dégage
deux profils de lecteurs :
Le premier qu’elle appelle « témoin » est formé d’élèves qui restent collés au
texte, qui veulent être les témoins du contenu du texte et qui restent fidèles à
celui-ci […]. Le deuxième qu’elle appelle « acteur interprète » est formé
d’élèves qui font une large place à l’interprétation et aux hypothèses. Ils
recourent à leurs acquis (p. 86).
Autrement dit, les lecteurs forts et les lecteurs en difficulté peuvent se retrouver autant dans
le profil des acteurs interprètes que dans celui des témoins du contenu du texte. Ces
derniers se limiteront souvent à faire des inférences qui peuvent être prouvées hors de tout
doute par le texte. Cette volonté de ne pas sortir du texte peut provoquer des difficultés
lorsque vient le temps de l’interpréter. Dans le même ordre d’idées, Squire (cité dans
Hébert, 2002) a mené une étude ayant pour objectif d’observer de très bons lecteurs de 10e
et 11e année pendant qu’ils lisaient de brefs récits et verbalisaient leurs réflexions. Or, les
élèves forts n’ont pas formulé le même type de commentaires que les lecteurs moins
assurés : « ce sont les réponses interprétatives qui ont dominé. Par contre, les élèves moins
bons lecteurs, ou de niveaux économiques plus faibles, sont ceux qui en ont fait le moins,
mais qui ont fourni plus de réponses de type résumé » (p. 85). Ces deux études montrent
donc qu’aller au-delà du texte pour se forger une interprétation n’est pas un réflexe
développé par tous les lecteurs.
Sauvaire (2013) est allée encore plus loin dans son analyse en identifiant le type de
ressources mobilisées par les élèves pour interpréter. L’étude de cas qu’elle a menée a
permis de dégager le portrait des élèves connaissant du succès dans la formulation
d’hypothèses interprétatives : « la mise en relation de ressources cognitives, épistémiques,
axiologiques et socioculturelles [est] un facteur de réussite pour interpréter un texte »
(p. 287). En effet, les apprenants ayant eu recours principalement à des ressources
socioculturelles et psychoaffectives ne sont pas parvenus à formuler des interprétations
17
claires ou exhaustives : « Ce serait donc l’articulation entre les ressources relevant de
l’expérience vécue et de l’ancrage socioculturel avec les ressources relevant de
l’acquisition de connaissances et d’habiletés en lecture qui permettrait le développement de
l’interprétation, et cela dès la première lecture » (p. 287). Le défi d’en arriver à cette
organisation optimale des ressources du lecteur pour interpréter est encore grand. Hébert
(2002) rapporte en effet les résultats d’une étude menée par Thompson (1987) selon
lesquels « la plupart des adolescents, jusqu’à 14-15 ans, restent au niveau des trois premiers
stades, soit ceux centrés sur la progression de l’action, l’empathie et les analogies avec soi-
même » (p. 83).
Pour expliquer la situation, Hébert (2002) affirme que « [les difficultés des élèves] à
parvenir aux stades d’interprétation et d’évaluation seraient en partie attribuables à une
question de maturation dans leur développement intellectuel et moral et aussi à des
pratiques scolaires inadéquates » (p. 83). Or, les maitres ne semblent pas soupçonner leurs
pratiques pédagogiques comme facteur ayant une incidence sur les compétences
interprétatives des élèves. En effet, Soussi et al. (2007) rapportent que les enseignants
« [attribuent] surtout les difficultés de leurs élèves à des causes externes telles que le milieu
social des élèves, le rapport à l’écrit existant dans leur famille ou encore la motivation à la
lecture. Les méthodes d’enseignement de la lecture ou le rôle de l’école ne sont
pratiquement pas évoqués » (p. 48). Pourtant, les choix pédagogiques de l’enseignant
peuvent fortement influencer les compétences des élèves à interpréter.
1.3 Le rôle de l’enseignant pour favoriser l’interprétation en lecture
L’utilisation de textes résistants par l’enseignant de même que son ouverture à la diversité
des hypothèses de lecture formulées par les élèves sont des conditions favorables au travail
d’interprétation.
1.3.1 L’utilisation de textes résistants
Langlade (2007) est d’avis que les maitres devraient poursuivre l’objectif de stimuler les
élèves en proposant des œuvres qui suscitent des réactions de tous ordres et des lectures
plurielles. Tauveron et Sève (1999) croient eux aussi que le corpus de textes au centre du
dialogue entre élèves doit permettre « de poser ou de résoudre des problèmes de
18
compréhension ou d’interprétation » (p. 103). Le ministère de l’Éducation (2006) établit
d’ailleurs un lien direct entre l’utilisation de textes résistants en classe de français et le
développement de la compétence à interpréter :
Plus [les élèves] sont amenés à fréquenter des textes riches offrant des
possibilités d’interprétation multiples et plus l’occasion leur est donnée de
confronter leur manière d’aborder les textes avec celle d’autres lecteurs, plus
ils peuvent s’ouvrir à la réalité de l’interprétation, c’est-à-dire la lecture
plurielle, et se familiariser avec les exigences de plausibilité qui rendent une
interprétation recevable (p. 178).
L’emploi de textes résistants présente des avantages qui vont au-delà du développement des
habiletés à interpréter. Dans le cadre de l’étude qu’elle a menée, De Croix (2010) a observé
que ce type de textes a fortement contribué au développement de la métacognition et à
l’implication des élèves.
À l’opposé, l’emploi répétitif en classe de textes trop courts, trop simples, construits pour
un usage spécifique (ex. : un récit dont la forme originale aurait été modifiée par le maitre
au profit d’une forme qui respecte le schéma narratif traditionnellement enseigné),
manifestant de manière évidente une propriété recherchée et présentant une forme ambigüe
ne permet pas un développement de la compétence des élèves à interpréter (Tauveron,
1999). Néanmoins, le travail sur des textes générant des lectures plurielles permet à
l’enseignant de s’ouvrir aux multiples hypothèses interprétatives qui seront proposées par
les élèves.
1.3.2 La gestion de la multiplicité des interprétations
Selon Tauveron (1999, cité dans Vaubourg, 2007), l’enseignant doit composer avec un rôle
à deux volets pour orienter les élèves dans leurs choix d’hypothèses. Il adopte « [une]
double posture lorsqu’il est à la fois “en réserve” et “garant des droits du texte” » (p. 291).
En effet, « [il] aide […] les élèves à repérer si certaines réponses d’interprétation s’écartent
de ce que le texte peut signifier. Cette position est cruciale lorsque les histoires […] “restent
toujours ouvertes à autre chose” » (Carrière, 1998, cité dans Vaubourg, 2007, p. 292). Il
n’en demeure pas moins que le maitre doit doser ses interventions pour éviter de
s’approcher de l’un ou l’autre des deux extrêmes : d’un côté, la prescription d’idées par
rapport à un texte; de l’autre, la reconnaissance sur un pied d’égalité de toutes les
19
hypothèses formulées par les élèves. À ce sujet, Lebrun (2004) pose la question délicate de
la frontière entre le statut de l’enseignant – « détenteur d’un savoir sur les textes et persuadé
[…] que certaines interprétations sont plus légitimes que d’autres » (p. 332) – et la
construction libre de significations par les élèves.
Somme toute, le maitre doit travailler en classe avec le pluriel des interprétations parce que
le texte perdra son intérêt littéraire s’il perd son ambigüité, cette dernière relevant des
multiples voies interprétatives (Lebrun, 2004). Rouxel (2005) précise l’attitude à adopter
par les enseignants pour que la subjectivité demeure au cœur des classes de français :
Il faut travailler en classe avec le pluriel des interprétations, non pour y
substituer, comme c’est le cas aujourd’hui, une seule interprétation, celle
exhaustive et supposée consensuelle qui résulte de l’agrégation de
l’ensemble des propositions, mais pour admettre un faisceau
d’interprétations voisines ou concurrentes (p. 29).
Pour qu’un tel contexte soit favorable, les élèves doivent connaitre les critères qui confèrent
une plausibilité à leurs hypothèses.
1.3.3 L’explicitation des critères de validité d’une interprétation
Hébert (2002) est d’avis que le travail en groupes de pairs serait une formule bénéfique sur
le plan de la validation des interprétations : « la négociation du sens en groupe préviendrait
[…] les interprétations trop subjectives et le consensus collectif agirait ainsi à titre de
processus de validation des interprétations » (p. 109). Parallèlement à ce travail d’équipe,
les interventions du maitre doivent mener vers un certain jugement des interprétations qui
émergent des discussions. Or, le fait de devoir évaluer la pertinence des interprétations
reçues représente un défi pour l’enseignant. En effet, un piège doit être évité, soit celui
d’accepter toutes les hypothèses interprétatives évoquées sans engager un débat quant à leur
validité en fonction des éléments du texte :
Le blanc rempli ad libitum, la tâche de lecture est supposée accomplie. En
coulisses, le texte ronge son frein en silence… (il n’accepte pas avec une
égale bonne volonté chacune des interprétations mais il n’est pas possible
dans l’espace disponible de parler en son nom) (Tauveron, 2004, p. 259).
Tauveron (2004) propose néanmoins que le maitre prenne en considération une
interprétation proposée par un élève même si elle n’est pas la plus probable ou la plus
20
populaire. Puis, pour engager l’élève dans la discussion, l’enseignant trouve des preuves
pour l’hypothèse proposée, comme il l’aurait fait pour une interprétation plus probable et
partagée par plusieurs élèves. En agissant ainsi, il sensibilise les élèves à l’importance du
retour au texte pour appuyer une interprétation, mais leur montre également qu’il faut
parfois utiliser des éléments extratextuels (par exemple, ses connaissances personnelles)
pour appuyer une hypothèse. Cependant, le texte lui-même fournit parfois de fausses pistes,
ce qui peut faire en sorte que deux élèves qui s’appuient sur des éléments qui s’y trouvent
formulent des interprétations complètement différentes. Il est alors difficile d’infirmer les
propositions inadéquates. L’enseignant doit repérer ce type de difficultés propres au texte
dès qu’il le choisit (Vaubourg, 2007). Nous le considérons donc comme un médiateur qui
dirigera les débats visant à déterminer si les points de vue prononcés respectent les critères
de validité établis. Ces critères, dont il sera question dans le prochain chapitre, peuvent être
proposés par l’enseignant, puis expérimentés et approuvés par les élèves en classe lorsque
des textes difficiles sont travaillés. Ils peuvent également être suggérés par les élèves, mais
l’enseignant les mettra alors à l’épreuve dans des contextes de lecture avant de les accepter.
1.3.4 L’instauration de pratiques pédagogiques propices au développement de la
compétence à interpréter
Dabène et Quet (1999) affirment que « le professeur dispose […] de connaissances sur les
textes et leur environnement qui lui permettent en principe de formuler des hypothèses plus
pertinentes que celles des élèves » (p. 112). Ils sont donc d’avis qu’un minimum de
« savoirs savants spécifiques » est nécessaire pour apprécier et pour comprendre les textes.
Dans ses interventions didactiques en lecture, le maitre devrait tirer profit de sa propre
expérience de lecture pour accompagner les élèves et susciter leur engagement, ce qui
permettra une ouverture vers d’autres imaginaires individuels (Langlade, 2007). La relation
entre l’enseignant et ses élèves ne doit donc pas être asymétrique, c’est-à-dire que « le
maître a l’initiative de la question et que l’élève répond » (Jorro, 1999, p. 36). Cette relation
unilatérale risque d’empêcher les échanges qui permettent une réflexion approfondie et qui
sont nécessaires pour entrer dans l’écrit en tant qu’interprète (Jorro, 1999). Terwagne,
Vanhulle et Lafontaine (2003) croient d’ailleurs qu’un enseignant efficace incite les élèves
à dépasser la réaction émotionnelle et à approfondir leur point de vue en le confrontant à
celui d’un pair ou en le précisant.
21
Les expériences menées par Tauveron et Sève (1999) dans le cadre de leur recherche
montrent l’efficacité de la lecture en réseaux, notamment pour permettre aux élèves
d’expérimenter des pratiques d’interprétation. De Croix (2010) a identifié des avantages
reliés au dialogue entre élèves autour d’un texte, soit le déploiement du dialogue solitaire
avec le texte et le développement des comportements de discussion (la capacité à partager
des impressions et des hypothèses de lecture, à coconstruire et à faire évoluer ses
interprétations). Toutefois, pour que des effets bénéfiques soient observés sur le
développement de la compétence à comprendre et à interpréter des textes, il faut un étayage
constant de l’enseignant. Ce dernier doit notamment relancer les discussions en posant des
questions clés et encourager les élèves à justifier leurs hypothèses à partir d’indices du
texte. Les élèves se sentiront ainsi davantage confiants par rapport à la tâche et
s’impliqueront dans la discussion.
Les journaux de lecture et les cercles littéraires font également partie des activités propices
à un échange entre pairs. Hébert (2004) affirme même qu’ils doivent être considérés
comme des « outils sociaux de construction de sens et une occasion de confronter et de
modéliser les interprétations élaborées pendant et après la lecture » (p. 608). De plus, les
cercles de lecture permettent aux élèves en difficulté d’être exposés à divers modes et
stratégies de lecture. Ils apprivoisent alors certaines stratégies pertinentes utilisées par leurs
pairs, mais qui leur étaient auparavant inconnues (Hébert, 2004). Enfin, les comités de
lecture développent chez les élèves la capacité à verbaliser leur opinion et à négocier avec
leurs pairs pour les convaincre du bienfondé de leur interprétation (Lebrun, 2004). S’il y a
eu préalablement un consensus entre l’enseignant et ses élèves au sujet des critères de
validité d’une interprétation, la confrontation d’opinions pourra mener à une évolution
positive des représentations de chacun.
1.4 Problème et objectifs de recherche
À la lumière des enjeux abordés dans la problématique, nous précisons l’intérêt de notre
recherche par rapport aux autres études déjà menées sur des thèmes connexes et présentons
les objectifs que nous poursuivons.
22
1.4.1 Notre étude : un complément pour mieux comprendre les difficultés
d’adolescents québécois à interpréter des textes
Si certaines études anglophones se sont intéressées aux difficultés éprouvées par les élèves
à activer leurs processus d’élaboration – nécessaires pour interpréter des textes17 – elles ne
les ont décrites que sommairement en les catégorisant dans deux grands ensembles : celui
comprenant les lecteurs qui ont tendance à trop se coller au texte (se restreindre aux mots
qu’il contient) et celui formé des lecteurs qui sont portés à trop s’en éloigner (extrapoler en
fonction de certains éléments qu’il contient) (voir par exemple Helder et al., 2013). Notre
étude permettra d’observer plus précisément les difficultés qui font partie de ces deux
grands ensembles en décrivant finement de quelle façon elles se manifestent. De plus, notre
analyse, centrée sur des adolescents du deuxième cycle du secondaire, ouvrira de nouvelles
perspectives aux travaux menés jusqu’à maintenant qui concernent principalement les
élèves du primaire et du premier cycle du secondaire (voir par exemple Buehl, 2007).
Enfin, le fait que nos participants soient issus du secteur régulier nous permettra de dégager
à la fois les procédures employées par les meilleurs lecteurs et celles utilisées par les
lecteurs éprouvant le plus de difficultés pour comprendre et interpréter un texte. Notre
étude constituera ainsi un complément aux travaux de Goigoux (2000), qui se sont
concentrés sur des élèves en difficulté faisant partie de classes d’adaptation scolaire.
1.4.2 Objectif général et objectifs spécifiques de notre étude
L’objectif général de notre recherche est d’étudier les interprétations d’une nouvelle
littéraire résistante formulées par des adolescents québécois de 14 à 17 ans au terme de leur
rencontre avec un intervieweur. Plus précisément, il s’agira de :
1. Dégager des profils d’interprètes en fonction des interprétations formulées par des
adolescents lors d’une rencontre individuelle;
17 Les processus d’élaboration permettent au lecteur d’aller au-delà du texte en effectuant des inférences que
l’auteur n’avait pas nécessairement prévues et qui ne sont pas obligatoires pour la compréhension littérale
d’un texte, mais qui peuvent l’être pour la compréhension fine (ex. : visualiser une partie de l’histoire, activer
une expérience personnelle pour la lier à un passage du texte, prédire la suite d’une histoire, interpréter le
choix du titre d’un texte) (Giasson, 2011 ; Irwin, 2007).
23
2. Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon formulée par des
adolescents et leur capacité à s’appuyer sur des éléments du texte et sur leurs
connaissances personnelles pour interpréter;
3. Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon formulée par des
adolescents et leur compréhension de ce texte.
1.4.3 Pertinence de nous intéresser aux capacités d’adolescents québécois en lecture
par rapport au critère interprétation
Notre étude permettra d’établir un pont entre l’interprétation d’une nouvelle littéraire
retenue par les élèves (le produit) et leur démarche d’analyse (le processus). Notre éclairage
sur le processus ne sera pas exhaustif, c’est-à-dire que nous ne présenterons pas un portrait
de la démarche de chaque participant pour en arriver à un résultat donné – notre méthode et
nos objectifs ne sont d’ailleurs pas orientés en ce sens. Néanmoins, nous ciblerons dans
notre analyse certains aspects qui, selon nous, influencent fortement la plausibilité d’une
interprétation : l’appui sur des éléments du texte et sur des connaissances personnelles
pertinentes. Nous tenterons également de dégager de nos résultats des tendances : est-ce
que les lecteurs qui comprennent adéquatement l’histoire formulent généralement des
interprétations pertinentes? Ou est-ce plutôt l’inverse? Étant donné que notre analyse est
qualitative, nous ne pourrons pas tirer de nos résultats des conclusions généralisables. Nous
présenterons tout de même des exemples concrets de procédures employées par les élèves
pour interpréter une nouvelle littéraire résistante et comprendre ce qui n’y est pas explicité.
Nous croyons qu’une meilleure connaissance de la manière dont les élèves procèdent pour
comprendre et interpréter un texte – les atouts de ceux qui réussissent et les défis de ceux
qui éprouvent des difficultés – favorisera des interventions plus orientées et plus
spécifiques dans les classes de français.
24
CHAPITRE 2: CADRE THÉORIQUE
Dans ce chapitre, nous définirons dans un premier temps deux concepts centraux dans notre
analyse : la compréhension et l’interprétation en lecture. Dans un deuxième temps, nous
préciserons le lien entre ces deux concepts selon les modèles théoriques que nous avons
retenus. Dans un troisième temps, nous décrirons le type d’interaction qu’entretient le
lecteur avec le texte et l’auteur lorsqu’il tente de construire le sens d’un texte et de lui
attribuer une signification. Dans un quatrième temps, nous présenterons des aspects à
considérer pour valider des hypothèses interprétatives. Les repères théoriques exposés dans
ce chapitre, qui constitueront les bases de nos outils d’analyse, seront finalement liés à nos
objectifs de recherche.
2.1 La limite entre la compréhension et l’interprétation
Définir la compréhension et l’interprétation nous aidera à établir la frontière qui les
délimite et à préciser le lien qui les unit.
2.1.1 Définition de la compréhension
La compréhension relève d’un travail d’objectivation de la part du lecteur (Falardeau,
2003) qui fait appel à ses ressources linguistiques et psychologiques (MELS, 2009) pour
suivre les directives proposées par le texte et l’interroger (Reuter, 2001). Le lecteur,
lorsqu’il comprend un texte, tente de dégager un sens fidèle aux éléments qu’il contient
(Falardeau, 2003; Reuter, 2001; MELS, 2009) et partagé par un ensemble de lecteurs
(Falardeau, 2003). Le sens du texte, qui est à construire, peut varier d’un lecteur à l’autre,
mais fait généralement consensus sans que des discussions soient nécessaires entre réseaux
de lecteurs (Falardeau, 2003).
Mais cet accord de la majorité des lecteurs sur le sens à construire d’un texte ne signifie pas
du tout que comprendre rime avec simplicité. D’une part, la compréhension est en
constante évolution : le sens n’est pas figé après la première lecture d’un texte (Giasson,
2011) parce que des liens sont toujours à découvrir. D’autre part, lorsqu’il construit le sens
d’un texte, le lecteur ne travaille pas seulement sur l’explicite, mais également sur
l’implicite : il est appelé à combiner des indices textuels pour tirer des conséquences
(Falardeau, 2003). À ce sujet, Giasson (2011) propose trois niveaux de compréhension
25
pouvant être observés chez les élèves : 1) la compréhension littérale, qui correspond aux
informations mentionnées explicitement dans un texte; 2) la compréhension inférentielle,
qui mène le lecteur à lier certains éléments du texte dont la relation n’est pas explicitée par
l’auteur; 3) la compréhension critique, qui implique l’utilisation par le lecteur d’éléments
explicites et implicites du texte pour établir un parallèle avec sa propre conception du
monde ou pour évaluer la pertinence d’un texte. Ce troisième niveau s’insère davantage
dans ce que nous considérons comme de l’interprétation – nous y reviendrons dans la
prochaine section.
Les inférences, qui font partie du deuxième niveau de compréhension (Giasson, 2007),
impliquent pour le lecteur d’aller au-delà des éléments présents en surface dans le texte
(donc plus loin que la compréhension littérale). Elles permettent au lecteur de lier des
éléments du texte pour développer une compréhension cohérente ou de lier des éléments du
texte à ses connaissances personnelles pour combler certains blancs du texte (Giasson,
2007). Plus précisément, les inférences peuvent être logiques, pragmatiques ou créatives.
Les inférences logiques sont fondées sur le texte. De plus, leur réponse est contenue
implicitement dans la phrase et est vérifiable. Les inférences pragmatiques sont fondées sur
les connaissances et les expériences du lecteur, ne se vérifient pas nécessairement et sont
communes à une majorité de lecteurs. Les inférences créatives, au même titre que les
inférences pragmatiques, proviennent des connaissances et des expériences du lecteur et
sont possiblement vraies. Cependant, elles ne sont communes qu’à certains lecteurs (sans
pour autant découler de l’imagination ou du jugement) et ne sont pas indispensables pour
comprendre (Giasson, 2007).
Cette dernière catégorie d’inférences – les créatives –, bien qu’elle s’insère dans le travail
de compréhension, est très près du travail interprétatif parce qu’elle implique que le lecteur
fasse appel à des éléments hors texte. Or, elle fait partie de la compréhension à cause du but
poursuivi : reconstituer le sens global du texte. En contrepartie, le travail sur l’interprétation
n’implique pas cet objectif de reconstruction globale du sens. Il implique plutôt de dégager
une signification pour certains éléments précis du texte (Falardeau, 2003).
26
2.1.2 Définition de l’interprétation
L’interprétation fait directement appel à la subjectivité du lecteur, qui doit utiliser les signes
qu’il perçoit dans le texte pour en produire de nouveaux. C’est donc dire que les indices du
texte doivent être considérés comme point de départ pour formuler une interprétation. Cette
dernière impliquera l’ajout de nouveaux signes créés par le lecteur qui ne doivent pas
dénaturer ou trahir le sens du texte (Falardeau, 2003). Pour ce faire, il doit y avoir un
certain équilibre entre les droits du texte et les droits du lecteur (MEQ, 2006). Ce dernier
pourra alors trouver une résonance personnelle au texte sans pour autant le contredire
(MEQ, 2006). En effet, les significations qui émergeront s’inspireront directement du texte
(Falardeau, 2003). Bien que l’attitude interprétative se situe selon Reuter (2001) sous la
bannière des droits du lecteur, il n’en demeure pas moins que « ceux-ci [restent] […]
relativement contraints par le texte (on ne peut dire n’importe quoi). Le lecteur se donne
pour tâche de construire le(s) sens (partiellement gisants) dans le texte » (p. 71).
Plus encore, pour être reconnue et légitimée, une interprétation, contrairement à la
compréhension, doit être diffusée et confrontée à d’autres interprétations. Le consensus
social est donc un chemin nécessaire pour que les hypothèses interprétatives dépassent
l’état de créations personnelles. Si une interprétation est reconnue socialement, elle devrait
d’ailleurs contribuer à la compréhension du texte (Falardeau, 2003).
Somme toute, le but poursuivi par l’interprétation est de donner une signification à un
élément précis du texte et non de construire un sens global comme c’est le cas pour la
compréhension. En cas de doute, cette distinction permet de discriminer ce qui relève de la
compréhension inférentielle et ce qui relève de l’interprétation.
Par ailleurs, nous tenons à préciser que Giasson (2011) ne réfère pas à l’interprétation dans
sa terminologie. En contrepartie, ce concept recoupe en partie le troisième niveau de
compréhension qu’elle définit : la compréhension critique. Malgré cette considération, nous
employons le terme interprétation étant donné qu’il se trouve dans le Programme de
formation de l’école québécoise (MEQ, 2006; MELS, 2009) et qu’il est souvent évoqué
dans les travaux de littérature et de didactique de la littérature. Les définitions de la
compréhension et de l’interprétation ne sauraient être exhaustives sans que nous clarifiions
27
le lien qui les unit. La précision de ce lien complètera les définitions que nous avons
proposées aux deux sections précédentes.
2.1.3 L’émergence simultanée de la compréhension et de l’interprétation grâce à
l’engagement du lecteur
Terwagne, Vanhulle et Lafontaine (2003) de même que Jorro (1999) n’admettent pas la
succession temporelle entre les processus de compréhension et d’interprétation. Selon
Terwagne et al. (2003), l’interprétation serait un processus très réactionnel qui se
superposerait à celui de la compréhension aussitôt que l’engagement du lecteur et sa
maitrise de certaines compétences seraient suffisants :
Au-delà du travail d’inférence, qui implique des comportements
stratégiques, le lecteur réagit au texte à travers un tissu de transactions
subjectives, de « réponses » affectives, critiques, créatives. Au processus de
compréhension, s’ajoute celui de l’interprétation. Ces trois niveaux
(compréhension littérale et inférentielle, et production de sens personnel sur
la base des évocations offertes par le texte) s’interpénètrent dès lors que le
lecteur est profondément engagé dans sa lecture et qu’il maîtrise des
compétences élaborées de questionnement et d’entrée dans le texte (p. 192).
Jorro (1999) abonde dans le même sens que Terwagne et al. (2003) en évoquant le lien
étroit entre l’investissement du lecteur dans son entreprise de compréhension du texte et la
possibilité d’interprétation :
L’interprétation du texte se prépare dès le moment où le lecteur est conscient
de son projet de compréhension : plus la mobilisation est forte, plus le
lecteur peut produire une interprétation. Un défaut d’investissement par
rapport à l’écrit génère une défaillance interprétative (p. 99).
Nous pensons que l’élève doit s’impliquer dans sa lecture pour que l’interprétation
interagisse avec la compréhension. De plus, nous croyons à l’émergence simultanée de
l’interprétation et de la compréhension (Terwagne et al., 2003). En effet, les raisonnements
d’un lecteur se bousculent tellement rapidement dans sa tête au fur et à mesure qu’il avance
sa lecture d’un texte qu’il nous semble difficile d’affirmer hors de tout doute que l’un
succède à l’autre. Nous adhérons plutôt à une représentation selon laquelle le lecteur
comprend et interprète au fil de sa lecture d’un texte, et ce, parfois simultanément, tel que
proposé par Lebrun (2004) : « la compréhension et l’interprétation sont intimement liées
28
sans qu’on puisse les hiérarchiser en attribuant la première pour des opérations de bas
niveau réservées aux débuts de l’apprentissage et la seconde pour les experts » (p. 333).
En somme, nous croyons que pour permettre l’émergence d’interprétations, le lecteur doit
s’engager dans sa lecture. Cet investissement permettra l’interaction entre la
compréhension et l’interprétation. Les interprétations formulées au cours de la lecture
seront donc inspirées des compréhensions et vice versa :
[La compréhension et l’interprétation] agissent en concomitance, l’une
puisant dans les signes produits par l’autre. Ce sera la définition d’une
lecture littéraire riche, productive : les informations comprises sont appelées
à être interprétées, les deux registres devant ainsi être présentés dans leur
concomitance dès les premiers apprentissages de la lecture (Falardeau, 2003,
p. 689).
La figure suivante illustre le caractère simultané de l’émergence de la compréhension et de
l’interprétation en lecture. Au fur et à mesure qu’un lecteur découvre ou redécouvre un
texte, ses représentations évoluent. Le choix de la conjonction et pour lier les
compréhensions et les interprétations signale que l’une ne précède pas nécessairement
l’autre. La flèche bidirectionnelle rappelle la récursivité du processus : il est toujours
possible de revenir aux compréhensions ou aux interprétations formulées précédemment.
Figure 1: Évolution de la compréhension et de l’interprétation du lecteur pendant
qu’il lit un texte
Le lecteur, pour comprendre et interpréter un texte, travaille – parfois inconsciemment – en
étroite collaboration avec l’auteur. Une relation complexe entre l’auteur, le texte et le
lecteur prend donc naissance lors de l’activité de lecture.
29
2.2 Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur
Nous ne saurions aborder les rôles de l’auteur, du texte et du lecteur isolément puisqu’ils
nous semblent interdépendants. Cependant, par souci de structure, nous mettrons tour à tour
l’accent sur la fonction de chacun de ces trois pôles par rapport aux deux autres.
2.2.1 L’auteur
Eco (1985) affirme qu’un auteur doit considérer que les aptitudes nécessaires au lecteur
pour construire un sens au texte sont les mêmes que les siennes. L’auteur insère des indices
dans son texte parce qu’il souhaite que sa coopération avec le lecteur soit fructueuse :
Pour organiser sa stratégie textuelle, un auteur doit […] assumer que
l’ensemble des compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel
se réfère son lecteur. C’est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable
de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait
et capable aussi d’agir interprétativement comme lui a agi générativement
(p. 71).
Langlade (2002) est lui aussi d’avis que l’auteur crée un texte parsemé de détails porteurs
de sens. En contrepartie, il précise que l’auteur ne saurait anticiper toutes les probabilités
d’interprétations de son texte, celles-ci dépendant fortement du lecteur, dont le rôle clé est
complémentaire à celui de l’auteur :
Construire du sens, ce n’est pas comprendre n’importe quoi dans un texte.
Pour qu’un détail puisse être « signifié » en indice, encore faut-il qu’il soit
« signifiable ». Or, ces détails « signifiables » ne se trouvent pas par un pur
hasard dans un texte : ils sont nécessairement le produit d’une activité
créatrice de l’auteur. En revanche, quelque attentif et lucide que soit l’auteur
dans l’élaboration de sa « stratégie textuelle », comment pourrait-il maîtriser
toutes les virtualités signifiantes du texte qu’il écrit? (p. 52).
En bref, nous croyons que l’auteur insère des indices dans son texte pour aider le lecteur à
construire un sens, mais que certaines limites émergent de cette collaboration : 1) l’auteur
ne peut pas prévoir toutes les hypothèses interprétatives que les lecteurs proposeront et 2) le
lecteur doit considérer le plus grand nombre possible d’éléments significatifs du texte pour
que son interprétation soit plausible.
30
2.2.2 Le texte
La définition du texte proposée par Eco (1985) réfère directement aux rôles de l’auteur et
du lecteur. En effet, il affirme qu’un texte comporte certaines zones d’ambigüité insérées
volontairement par l’auteur de manière à laisser une marge de manœuvre au lecteur pour
interpréter. La coopération du lecteur s’avère ainsi un préalable pour que le texte soit
fonctionnel :
Le texte est […] un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir, et celui
qui l’a émis prévoyait qu’ils seraient remplis et les a laissés en blanc pour
deux raisons. D’abord parce qu’un texte est un mécanisme paresseux (ou
économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le
destinataire […]. Ensuite parce [qu’] […] un texte veut laisser au lecteur
l’initiative interprétative, même si en général il désire être interprété avec
une marge suffisante d’univocité. Un texte veut que quelqu’un l’aide à
fonctionner (p. 66-67).
Le point de vue proposé par Langlade (2002) accorde une place encore plus importante au
lecteur pour attribuer un sens au texte. Il affirme que le texte présente des indices qui
permettent au lecteur de combler les blancs laissés par l’auteur au fil de la lecture, mais que
d’autres persistent. Chaque lecteur formule ainsi ses propres hypothèses en tirant profit des
indices repérés dans le texte pendant la lecture :
Ainsi, toute œuvre littéraire attend-elle de son lecteur une participation
active. Le texte contient en effet un certain nombre de blancs et de ruptures
narratives, il présente […] une succession d’énigmes, de mystères et de
secrets. Certains de ces derniers sont assez rapidement éclairés par le récit
lui-même, après avoir exercé la sagacité du lecteur, d’autres restent entiers à
l’issue de la lecture. Il revient alors à chacun de bâtir ses propres hypothèses
explicatives en utilisant les indices qu’il a su découvrir tout au long de la
narration (p. 43).
Nous considérons donc que le texte constitue le point de rencontre entre l’auteur et le
lecteur. L’auteur insère des indices dans le texte en fonction d’une ou de plusieurs
significations qu’il a envisagées. Cependant, puisque chaque lecteur porte une expérience
singulière, des significations non prévues par l’auteur peuvent émerger de la lecture d’un
texte.
31
2.2.3 Le lecteur
Langlade (2007) est d’avis que le rôle du lecteur est de recourir à ses connaissances sur les
textes et sur le monde pour lier de manière cohérente certains éléments du texte entre eux :
Le texte ne dit pas tout sur l’histoire des personnages, sur leurs motivations
ou sur leurs intentions; le lecteur doit donc établir, en puisant dans sa
connaissance du monde et de la littérature […] des liens de causalité
vraisemblables entre les événements et les actions des personnages (p. 72).
Tel que mentionné précédemment, ces liens seront de l’ordre de la compréhension s’ils sont
établis par le lecteur dans le but de dégager un sens global à un texte, et de l’ordre de
l’interprétation s’ils sont établis pour donner une signification à un élément précis du texte.
Lebrun (2004) abonde dans le même sens : « Le lecteur singulier entre dans le texte avec sa
représentation du monde et de l’autre, et il la confronte aux représentations du monde et de
l’autre portées par le texte » (p. 333).
Dans le même ordre d’idées, Ricœur (1986) affirme que le lecteur doit dégager l’intention
de l’auteur en même temps qu’il construit un sens au texte. En effet, puisque cette intention
n’est pas fournie par l’auteur, elle relève selon lui du travail inévitablement subjectif du
lecteur. Shusterman (1994) appuie cette dernière position : il précise que l’objectif du
lecteur est de proposer un sens éclairé à un texte, sans qu’il s’agisse à tout prix du sens
suggéré par l’auteur, parfois difficile à confirmer. La théorie de Rouxel (2005) résume bien
la situation. Chaque contact entre un lecteur et un texte permet la naissance (ou la
renaissance) de ce texte. Pour cette raison, l’interprétation d’un même texte diffère d’une
personne à l’autre et elle découle ainsi du choix du lecteur d’abandonner les autres
significations.
La subjectivité du lecteur
Selon Langlade (2007), « la lecture subjective concerne […] le processus interactionnel, la
relation dynamique à travers lesquels le lecteur réagit, répond et réplique aux sollicitations
d’une œuvre en puisant dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire »
(p. 71). En effet, chaque lecteur produirait un texte singulier par l’intermédiaire d’un
« dialogue » entre deux fictions : celle provenant du texte et celle provenant de sa
subjectivité (Langlade, 2007). En ce sens, Reuter (2001) évoque « l’impression » comme
32
une composante influente en lecture. Ce terme désigne « les effets produits sur le lecteur,
que ceux-ci soient recherchés ou non, envisagés sur les plans psycho-affectif et/ou socio-
culturel, sur les modes des affects, des réactions de goût ou de dégoût, des sentiments,
etc. » (p. 73). L’impression implique la subjectivité du lecteur et la question de la
vérifiabilité perd son sens « même si le sujet peut éprouver la validité de son impression
dans l’introspection, l’échange interindividuel, les relectures, les choix ultérieurs de
lecture » (p. 73).
Langlade (2004) considère la subjectivité du lecteur comme essentielle pour interpréter un
texte et ne croit pas que la participation de ce dernier puisse dénaturer le ou les sens d’une
œuvre littéraire : « Les réactions subjectives loin de faire tomber les œuvres “hors de la
littérature” seraient en fait des catalyseurs de lecture qui alimenteraient le trajet interprétatif
jusque dans sa dimension réflexive » (p. 85). D’ailleurs, le passage par la subjectivité
permet de travailler l’interprétation grâce à « une interaction complexe entre la
représentation initiale du texte et celle produite à l’issue de la lecture » (Lebrun, 2004,
p. 334).
Chaque lecteur, par sa contribution, donne donc une forme au texte en s’imaginant les
personnages ou les évènements qui y sont rapportés. L’imaginaire permet ainsi de
concrétiser ces éléments fictifs et de les bonifier : « Le contenu fictionnel des œuvres est
toujours, bien qu’à des degrés variables, investi, transformé et singularisé par l’irruption
des univers de référence des lecteurs. Ces derniers procèdent, sous la forme d’inférences
fictionnelles, à un double mouvement de dé-fictionnalisation et de re-fictionnalisation des
œuvres » (Langlade & Fourtanier, 2007, p. 104).
Mais cette implication du lecteur soulève des interrogations lorsqu’elle est considérée
parallèlement aux « droits du texte » qui posent les « limites de l’interprétation » (Eco,
1994). Une question émerge : selon quelles conditions la participation du lecteur et le
respect des droits du texte peuvent-ils coexister? Nous croyons, comme Langlade (2004),
que l’apport subjectif du lecteur peut contribuer à l’élaboration de la signification d’un
texte. Mais en dépit de cette collaboration entre l’auteur, le texte et le lecteur, ce dernier
peut rencontrer des problèmes de compréhension ou d’interprétation que ses ressources
personnelles à elles seules ne permettent pas toujours de résoudre.
33
Les problèmes de compréhension et d’interprétation liés au lecteur et ceux liés au texte
Tauveron (2001) affirme que les problèmes de compréhension et d’interprétation peuvent
découler soit des caractéristiques du lecteur, soit de celles du texte. Si ces problèmes ne
sont pas programmés, ils sont liés au lecteur. Par exemple, un récit destiné à des enfants
peut à priori n’inclure aucun élément visant à confondre le lecteur. Or, il pourrait
néanmoins générer une confusion chez des enfants qui reconnaissent l’existence d’un
personnage seulement s’il est nommé. Ce qui n’était initialement pas un piège de l’auteur
peut ainsi le devenir pour un apprenti lecteur en difficulté. Si les problèmes sont prévus par
l’auteur, ils sont associés au texte. La présence de ces problèmes qui relèvent du texte
signifie que l’auteur a employé un ensemble de moyens « pour ne pas rendre immédiate la
saisie et le résumé de l’intrigue (et donc pour solliciter la médiation du lecteur) » (p. 12). Le
texte est alors considéré comme réticent. Plus encore, si les problèmes liés au texte
impliquent une ouverture à la pluralité des interprétations, le texte est considéré comme
proliférant. Par exemple, si le mobile d’un personnage n’est pas explicité – ce qui est très
souvent le cas –, l’auteur laisse place à l’interprétation. À ce sujet, Tauveron (1999)
considère que les textes réticents et les textes proliférants sont les deux types de textes qui
composent l’ensemble des textes résistants. Enfin, un texte réticent peut aussi être
proliférant, c’est-à-dire qu’un défi de compréhension peut provoquer un défi
d’interprétation (Tauveron, 2001). Pour pallier ces difficultés potentielles, le lecteur peut
recourir à diverses stratégies de compréhension avant, pendant et après la lecture d’un
texte.
Le retour au texte et l’appui sur des connaissances personnelles : des stratégies
mobilisées par le lecteur
Selon Giasson (2011), une stratégie est déployée « lorsque le lecteur décide consciemment
d’utiliser un moyen ou une combinaison de moyens pour comprendre un texte » (p. 260).
Ce recours à une stratégie surviendrait soit dans un cas de prévention (ex. : le lecteur
anticipe que le texte sera difficile à comprendre et choisit de s’arrêter après chaque
paragraphe pour se résumer l’information dans sa tête et pour prendre des notes en marge),
soit dans un cas d’intervention (ex. : le lecteur réalise qu’il ne comprend plus le texte et
choisit d’en relire un passage). Giasson (2011) est d’avis que les élèves doivent maitriser
34
les stratégies qui leur permettent de gérer leur compréhension. Elle observe d’ailleurs des
différences sur ce plan lorsqu’elle compare les élèves en difficulté à leurs pairs :
Ceux qui gèrent bien leur compréhension savent quand ils comprennent ce
qu’ils lisent et quand ils ne le comprennent pas; ils savent quelles stratégies
utiliser pour résoudre leurs problèmes de compréhension. C’est ce qui fait
souvent défaut aux élèves en difficulté (p. 268).
Elle précise que ces stratégies qui permettent de gérer la compréhension sont d’ordre
métacognitif. Elle définit la métacognition comme « la connaissance et le contrôle qu’une
personne a sur ses stratégies cognitives » (p. 268). En résumé, les stratégies constitueraient
un moyen déployé en pleine connaissance de cause par les élèves pour gérer leur
compréhension d’un texte.
Le lecteur utilise notamment des connaissances sur les textes tirées de lectures précédentes,
des connaissances culturelles de même que son expérience sur le monde en général pour
comprendre : « chacun fictionnalise l’œuvre à sa manière en investissant, en complétant ou
en détournant les espaces fictionnels qu’elle lui offre » (Langlade & Fourtanier, 2007,
p. 105). Cette façon de faire s’apparente à ce que nous avons défini précédemment comme
l’activation des processus d’élaboration18. Cette activation, lorsqu’elle est consciente, peut
être considérée comme une stratégie. Les « données fictionnelles » d’une œuvre sont
transformées par le lecteur grâce à des opérations textuelles : l’ajout, la suppression et la
recomposition. L’ajout signifie que le lecteur comble des blancs du texte par l’intermédiaire
de son activité imageante tandis que la suppression survient lorsqu’il écarte de son récit
d’un souvenir de lecture des éléments du texte qu’il considère de moindre importance. En
fonction des ajouts et des suppressions, le lecteur reconstruit le texte partiellement ou
complètement, ce qui correspond à la recomposition. Il propose au final une lecture
singulière teintée de toutes les transformations du texte qu’il a effectuées par la voie des
opérations textuelles. C’est pour cette raison que deux lecteurs lisant le même texte ne se
racontent parfois pas du tout la même histoire (Langlade & Fourtanier, 2007).
18 Voir la note de bas de page à la section 1.4.1.
35
2.2.4 Bilan et présentation du modèle retenu par rapport à la relation entre l’auteur,
le texte et le lecteur
Notre position par rapport aux rôles de l’auteur, du texte et du lecteur se résume en deux
temps.
1) Chaque lecteur entretient un lien singulier avec le texte. Plus encore, pour un même
lecteur confronté à un même texte, ce lien peut être différent à chaque lecture. À ce sujet,
nous adhérons à la théorie de Rouxel (2004), selon qui les indices insérés dans le texte par
l’auteur mèneront très souvent à diverses interprétations en fonction de la subjectivité du
lecteur :
Tout texte programme son lecteur, porte en lui l’image de son lecteur [...].
D’autre part, le lecteur réel est actif : il produit le texte. La « réception », loin
d’être passive, est une appropriation active du texte. Enfin, concernant le
statut du sens, longtemps perçu comme celui de l’auteur […], il est
désormais admis qu’il se construit dans l’interaction entre texte et lecteur et
qu’il est pluriel dans la synchronie comme dans la diachronie » (p. 16).
Nous appuyons également la théorie de Rosenblatt (cité dans Terwagne & al., 2003), qui
présente la lecture comme un processus vivant et dynamique reposant sur des transactions
entre le lecteur et le texte : « Ces transactions sont toujours uniques. Personne ne lit le
même texte de la même manière et la relation intime vécue avec un texte à un moment
donné ne peut jamais se reproduire exactement » (p. 10). De plus, pour comprendre et
interpréter un texte, le lecteur doit mettre en relation ses idées (parfois préconçues) et celles
suggérées par le texte : « le texte ne dit pas tout : il s’agit d’aller à sa rencontre, quitte à
assumer la confrontation avec certaines des idées qu’il véhicule, à assumer la contradiction
avec nos propres visions du réel » (p. 10).
2) Malgré le caractère inachevé du texte et malgré la subjectivité du lecteur, il n’en
demeure pas moins que le texte (donc l’auteur qui s’y cache) souhaite que le lecteur
l’interprète avec un maximum d’exhaustivité, c’est-à-dire en considérant le plus grand
nombre d’indices possible. Notre position rejoint donc le point de vue d’Eco (1985),
résumé par Langlade (2004) :
[Le texte littéraire] apparaît comme « un tissu d’espaces blancs, d’interstices
à remplir ». Mais […] il n’en contient pas moins des instructions qui
canalisent les inférences interprétatives du lecteur empirique; certes, « un
36
texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative », mais « en général il
(le texte) désire être interprété avec une marge suffisante d’unicité ». Le
lecteur est donc en liberté surveillée (p. 87).
La figure suivante résume notre représentation de la collaboration entre l’auteur, le texte et
le lecteur.
Figure 2: Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur
En somme, en comblant les blancs non comblés par les indices du texte (les questions
laissées en suspens), le lecteur ajoute sa part de subjectivité.
2.3 La validation d’une interprétation
Les critères de validité d’une interprétation agissent comme balises pour permettre à
l’enseignant d’évaluer toutes les propositions d’interprétations reçues des élèves.
2.3.1 La source du problème de validation d’une interprétation
Popper (cité dans Bayard, 2002) déplore le fait que sur le plan de l’interprétation, un
énoncé peut toujours être validé s’il est appuyé sur de bons exemples. Selon lui, la
vérification ne correspond pas à un indice de rigueur sur le plan scientifique parce qu’elle
est liée au sentiment personnel : « sans doute toute interprétation prend-elle soin de
s’appuyer sur des exemples que l’interprète considère comme des preuves, mais c’est en
dernier ressort sa conviction intime qui est déterminante » (p. 86). Il ajoute que « tout
37
croyant ne cesse de rencontrer des éléments à l’appui de sa croyance » (p. 86), c’est-à-dire
qu’un lecteur interprète peut vérifier ce qu’il souhaite vérifier. Bayard (2002) soulève le
même problème : lorsqu’un texte est analysé, il y a « sélection des unités textuelles
appelées à venir à l’appui d’une démonstration théorique » (p. 35). Or, les éléments
sélectionnés « ne coïncideront jamais exactement avec ceux qu’aura choisis une autre
approche critique » (p. 35). Bref, la sélection des passages du texte dépend de ce qu’un
lecteur veut prouver. Pour pallier ce problème et ainsi faciliter le traitement des hypothèses
formulées par les élèves, Sauvaire (2013) propose que les enseignants établissent des
critères de recevabilité des interprétations.
2.3.2 La définition de critères de validité d’une interprétation
Jouve (2001) expose trois grands principes que doit respecter une interprétation pour être
valide. Le premier principe, respecter l’objectivité, signifie simplement que le lecteur doit
repérer et considérer le plus grand nombre possible d’indices présents dans le texte. Puisque
ces éléments du texte l’aident à dégager un sens plausible, il doit éviter de s’en éloigner. Le
deuxième principe implique que lecteur choisisse l’ensemble de connaissances qu’il
utilisera pour analyser le texte, pour proposer une hypothèse interprétative et pour la
justifier. Enfin, le troisième principe correspond à l’application rigoureuse des normes qui
balisent l’interprétation à l’ensemble du texte. C’est donc dire que les critères choisis pour
interpréter doivent, pour être cohérents, être transposables à l’œuvre entière.
Reuter (2001) présente des principes semblables à ceux de Jouve (2001) pour établir la
légitimité du sens d’un texte proposé par un lecteur. Il affirme que l’interprétation doit
s’appuyer sur des positions culturelles plausibles et doit tenir compte des informations
contenues dans le texte. Plus précisément, le lecteur doit s’assurer que son hypothèse est
non seulement renforcée par des éléments du texte, mais qu’aucun d’entre eux ne la
contredit. Les critères qu’il soumet se déclinent en trois énoncés :
l’efficacité pragmatique qui résulte [de l’interprétation]; le renvoi à des
positions culturellement possibles; des renvois à la caution du texte sous
forme notamment de prise en compte d’un certain nombre d’éléments du
texte et d’absence de contradiction non justifiée avec les éléments du texte-
source et entre les éléments de l’interprétation (p. 72).
38
Si Langlade (2002) croit lui aussi que les éléments du texte doivent être considérés pour
rendre une hypothèse légitime, il ajoute toutefois que le sens d’un texte se construit
inévitablement en fonction du vécu du lecteur. L’évaluation des interprétations reçues
relève selon lui des principes de cohérence, de pertinence et de non-contradiction :
La valeur d’une construction de sens se mesure donc à son aptitude à donner
sens de façon cohérente et dynamique au plus grand nombre possible
d’éléments du texte. À l’évidence, surtout lorsqu’il s’agit d’un texte
littéraire, cette construction de sens possède une dimension subjective : elle
est pour partie liée à la culture, à l’expérience, à la personnalité même du
lecteur. Chacun sait qu’une œuvre peut recevoir plusieurs interprétations de
lecteurs différents, ou d’un même lecteur à des moments différents de sa vie.
Mais elle présente aussi une dimension objective, ou du moins justifiable,
« objectivable » : une lecture n’est pas un délire interprétatif et toute
construction de sens authentique doit pouvoir être légitimée par une analyse
du texte (p. 42).
Les critères relevés par Sauvaire (2013) tiennent comptent des divergences de points de vue
entre les enseignants et les élèves. Pour les enseignants, « le critère d’évaluation de la
recevabilité d’une interprétation le plus valorisé […] est, sans surprise, le retour au texte, en
particulier le relevé de citations ayant valeur de preuve » (p. 305). Toutefois, les élèves, de
leur côté, accordent davantage d’importance à l’instance auctoriale, c’est-à-dire qu’ils
cherchent à déterminer l’intention que l’auteur avait en tête lorsqu’il a écrit son texte. La
réponse à l’énigme d’un texte relèverait ainsi, selon les maitres, de l’analyse textuelle et,
selon les apprentis, des volontés de l’auteur. Le deuxième critère évoqué par Sauvaire,
l’accord intersubjectif, semble partagé par les enseignants et par les élèves. Ces derniers
« établissent le caractère plausible d’une interprétation à partir de deux balises : la
cohérence logico-temporelle et les valeurs partagées […]. [Ils] mobilisent leurs
connaissances de multiples récits (littéraires, filmiques, etc.) qui façonnent leurs
conceptions de la cohérence de l’action » (p. 306). Enfin, Sauvaire relève un dernier critère,
les ressources subjectives, partagé seulement par certains élèves – pas par les enseignants.
Ces ressources pourraient selon eux permettre de valider leurs interprétations : « [ils
recherchent] dans leur propre sensibilité des éléments de justification de leurs hypothèses.
Leur démarche entre en tension avec la recherche de preuves textuelles » (p. 307).
39
Pour qu’une hypothèse interprétative soit valide, elle doit d’une part s’appuyer sur le plus
grand nombre possible d’éléments du texte pertinents à l’avancée de l’intrigue et, d’autre
part, n’être contredite par aucun élément du texte. Ces deux critères, s’ils sont respectés,
devraient conférer un degré de validité élevé à une interprétation. Cependant, il arrive que
les éléments contenus dans le texte ne permettent pas de trancher en faveur d’une hypothèse
en particulier. Le cas échéant, le lecteur doit recourir à un troisième critère : l’appui sur des
référents partagés par une communauté de lecteurs tels que des savoirs, des valeurs, des
pratiques et des normes. C’est notamment le cas pour certains poèmes dont l’interprétation
implique une revue de la vie de l’auteur et du contexte de production. La figure suivante
présente les critères que nous retenons. Elle servira d’outil pour l’analyse de nos résultats.
Figure 3: Les critères qui permettent de valider une interprétation
40
Des éléments subjectifs tels que les connaissances, les expériences et les intérêts du lecteur
de même que les émotions qu’il ressent lors de la lecture se greffent au maximum d’indices
qu’il repère dans le texte. Plus précisément, un processus d’objectivation intersubjectif se
produit, c’est-à-dire qu’il y a interaction entre la subjectivité du lecteur et sa distanciation
du texte. Le lecteur prend en considération la pensée de ceux avec qui il confronte sa
lecture (par exemple les pairs et l’enseignant) dans son propre jugement, et ce, dans
l’objectif de comprendre le texte et d’élaborer une interprétation (Vanhulle, 2004). Pour
cette raison, les hypothèses interprétatives peuvent différer d’un lecteur à l’autre tout en
étant plausibles. La figure suivante illustre l’interaction entre subjectivité et distanciation
qui amène le lecteur à formuler des interprétations.
41
Figure 4: La subjectivité du lecteur et sa distanciation du texte pour l’interpréter
42
2.3.3 La démarche d’analyse d’interprétations
Pour vérifier la pertinence d’une interprétation, Jouve (2001) présente une démarche
d’analyse en trois étapes19. Lors de la première étape, le lecteur relève les lieux de certitude
et les lieux d’incertitude d’un texte :
[Le lecteur doit] faire la part […] entre les composants textuels dont le sens
ne fait aucun doute et les endroits du texte qui posent problème. Il y a dans
tout texte des espaces où la lecture est libre et des espaces où elle est
contrainte (p. 30).
Lors de la deuxième étape, le lecteur tente de préciser les lieux d’incertitude. Il s’agit des
éléments résistants du texte qu’il ne parvient pas à intégrer à sa représentation. Il essaie
alors de trouver un point commun entre les éléments problématiques relevés et l’univers du
texte créé par l’auteur. Ce rapprochement permet de dégager un thème qui confère une
cohérence au texte. Enfin, lors de la troisième étape, les hypothèses issues de l’étape
précédente sont analysées en fonction des critères de validité d’une interprétation. Une fois
que le lecteur a intégré plusieurs éléments du texte pour construire un sens, il effectue un
détour vers le « hors-texte » pour interpréter (Jouve, 2001).
La figure suivante illustre les étapes pour analyser des textes résistants et formuler des
hypothèses interprétatives (Jouve, 2001). Les interprétations qui émergeront de ce
processus en trois temps seront le fruit d’une réflexion approfondie.
19 Nous ne considérons pas cette démarche d’analyse comme un protocole rigide à suivre pour interpréter un
texte. D’une part, nous croyons que le processus pour interpréter un texte est itératif. D’autre part, les étapes
proposées ne constituent pas un passage obligé pour le lecteur, mais simplement un outil de référence qui
balisera l’analyse de nos résultats.
43
Figure 5: Les étapes pour formuler une interprétation à la suite de la lecture d’un
texte résistant
2.4 Retour sur les objectifs de recherche
Plusieurs des concepts que nous avons définis dans ce chapitre serviront à baliser nos
résultats. La démarche d’analyse des interprétations et les critères de validité d’une
interprétation que nous avons retenus nous guideront pour dégager des profils d’interprètes,
mais surtout pour prendre position quant à la plausibilité des hypothèses formulées par
chacun de ces profils. Nous ne pourrons décortiquer l’ensemble des stratégies activées par
les participants pour comprendre et interpréter le texte qui leur a été soumis, mais nous
nous concentrerons sur deux stratégies qui nous semblent essentielles : l’appui sur des
éléments du texte et le recours à des connaissances personnelles pertinentes. Les définitions
de la compréhension et de l’interprétation auxquelles nous adhérons nous permettront de
distinguer les propos d’élèves qui relèvent de la compréhension de ceux qui relèvent de
l’interprétation de la nouvelle littéraire Dragon. Une fois cette limite établie, nous jetterons
un regard sur l’interaction entre la compréhension de ce texte par les lecteurs de notre
échantillon et leur interprétation. Bref, pour chaque profil d’interprètes créé, nous
souhaitons faire ressortir certaines tendances : Quels profils d’élèves s’appuient le plus sur
le texte et sur leurs connaissances personnelles pour interpréter? Quel est le degré de
compréhension des groupes d’élèves qui ont formulé les interprétations les plus plausibles?
44
CHAPITRE 3: DÉMARCHE DE RECHERCHE
Dans ce chapitre, nous dresserons d’abord un portrait du projet de recherche duquel nos
données sont issues. Nous présenterons ensuite le texte que les élèves rencontrés ont dû lire
de même que les méthodes utilisées lors des rencontres avec les participants. Enfin, nous
décrirons les méthodes d’analyse choisies en fonction de chacun de nos objectifs
spécifiques.
3.1 Le projet de recherche duquel proviennent nos données : présentation globale
Les données que nous analysons émergent d’un projet de recherche subventionné par le
gouvernement du Québec et dirigé par le chercheur Érick Falardeau. Plus précisément, ce
projet portant sur l’enseignement explicite des stratégies de lecture s’inscrit dans le
Chantier 7, un programme de financement instauré par le ministère de l’Éducation, du
Loisir et du Sport (MELS) et dont l’objectif est d’assurer une formation continue du
personnel scolaire dispensée par les universités20. Onze enseignants de français du
deuxième cycle du secondaire travaillant à la Commission scolaire des Navigateurs (Rive-
Sud de Québec) ont participé au projet sur l’enseignement explicite des stratégies de
lecture. Ils ont reçu pendant l’année scolaire 2012-2013 cinq journées de formation au
cours desquelles toutes les étapes de l’enseignement explicite leur ont été présentées. Ils les
ont ensuite expérimentées progressivement dans leur classe.
Pour étudier les capacités des adolescents en lecture, l’équipe de recherche a notamment
rencontré un total de 44 élèves dont les enseignants de français participaient au projet.
Chaque enseignant a dû sélectionner quatre élèves pour participer à ce volet de l’étude
dirigée par Monsieur Érick Falardeau, soit deux ayant de la facilité en lecture et deux
éprouvant des difficultés. L’équipe de recherche n’a pas retenu cette dichotomie pour ses
analyses parce qu’un lecteur n’est jamais « fort » ou « faible » dans l’absolu. Cette façon de
sélectionner les élèves permettait simplement de rencontrer une diversité de lecteurs ayant
20 Pour éviter la confusion entre notre projet de recherche (les données analysées dans le cadre de notre
mémoire de maitrise) et le projet de recherche de Monsieur Érick Falardeau (dans lequel nous étions
impliquée), nous nous exprimerons à la 1re
personne (nous) uniquement lorsqu’il sera question de notre projet
de maitrise.
45
des capacités différentes. Lors des rencontres, les participants devaient d’abord lire un texte
et verbaliser leurs pensées selon la méthode de la pensée à voix haute21, puis répondre à des
questions posées sous forme d’entretien semi-dirigé. Chaque rencontre était enregistrée de
manière à ce que le contenu des bandes audio soit ensuite transcrit. Les transcriptions ont
permis de récolter des données discursives pour une analyse qualitative du raisonnement
des élèves lorsqu’ils lisent.
Les rencontres auprès des élèves ont eu lieu en début d’année scolaire (prétest – septembre
2012), c’est-à-dire avant que les enseignants ne soient formés, et vers la fin de l’année
(posttest – mai 2013), soit après que les maitres eurent expérimenté à de nombreuses
reprises l’enseignement explicite des stratégies de lecture dans leur classe. Les données
auxquelles nous nous intéressons proviennent des rencontres effectuées en posttest22 auprès
de 39 élèves (5 des 44 élèves ayant participé à ces rencontres en début d’année ont
abandonné pour différentes raisons).
3.2 Le texte soumis aux participants
L’équipe de recherche devait choisir un texte dont les caractéristiques – le genre, la
longueur et le niveau de difficulté – s’arrimeraient aux besoins du projet.
3.2.1 Le choix d’une nouvelle littéraire résistante
Le texte à lire était Dragon, une nouvelle littéraire de Ray Bradbury23. Deux principales
raisons ont incité l’équipe de recherche à choisir un tel texte. D’une part, la limite de temps
pour rencontrer chaque élève était d’environ 30 minutes. Le texte retenu ne devait donc pas
être trop long parce que des questions à répondre oralement suivaient la lecture. D’autre
part, l’objectif de l’étude était d’évaluer les capacités des élèves québécois du deuxième
cycle du secondaire en lecture et non de générer un apprentissage. Le texte choisi par
21 Cette méthode, qui consiste pour un lecteur à exprimer à voix haute tout ce à quoi il pense pendant qu’il lit,
sera définie plus précisément dans la section 3.3.1. 22
Nous avons favorisé l’analyse des rencontres du posttest plutôt que l’analyse de celles du prétest parce que
le texte à lire au posttest générait un pluriel des interprétations, donc convenait davantage à notre thème de
recherche. 23 Voir annexe A.
46
l’équipe de recherche devait donc être assez difficile pour s’assurer de recueillir une
quantité et une diversité satisfaisantes de verbalisations par les lecteurs. À ce sujet, Baker
(2002) affirme que les élèves risquent de ne pas révéler l’emploi de stratégies de régulation
si le degré de difficulté du texte utilisé dans le cadre de la méthode de la pensée à voix
haute n’est pas suffisamment élevé.
3.2.2 Le résumé du texte
La nouvelle littéraire Dragon raconte l’histoire de deux chevaliers qui attendent sur une
plaine l’arrivée d’un dragon pour le combattre. La bête sème la terreur chez les habitants du
village : lorsqu’elle apparait sur la lande décrite comme vaste et obscure, elle ravage tout
sur son passage. On raconte notamment que des victimes sont retrouvées sur la colline au
lever du jour. À l’arrivée de ce qu’ils croient être le dragon, mais qui est plutôt un train, les
deux combattants se dressent devant pour le tuer. Bien qu’ils montent leurs chevaux, qu’ils
soient vêtus de leurs armures et équipés de lances, ils ne font pas le poids. L’un d’eux est
projeté au sol, et l’autre, écrasé. Les chefs de train sont convaincus d’avoir touché des
chevaliers en armures, mais ils choisissent de continuer leur route parce que l’un d’eux
affirme s’être déjà arrêté auparavant dans la lande pour une situation semblable et n’avoir
rien vu du tout.
3.2.3 Les difficultés du texte
Trois grandes difficultés émergent de la lecture de cette nouvelle : l’ambigüité du temps,
celle des lieux et celle liée à l’unification du dragon et du train. Au début du récit, tout
indique que l’histoire se déroule au Moyen Âge : des chevaliers en armures, des lances
comme armes, un château. Puis, à la fin du récit, des indices permettent de déduire que
l’histoire se déroule à l’époque moderne, plus précisément dans les années 1800 ou 1900 :
un train à vapeur, du charbon pour l’alimenter, des chefs de train. Parallèlement à cette
problématique de double univers, le train (décrit comme un dragon tout au long du récit)
heurte et tue les chevaliers. Bref, la rencontre entre des éléments issus de deux époques
distinctes – des chevaliers et un train – génère une première difficulté relative à l’époque du
récit.
47
La lande où se trouvent les chevaliers est décrite comme un lieu obscur et effrayant : aucun
oiseau n’y a volé depuis des siècles et seule l’herbe bouge à cause du vent. Tout le paysage
semble figé, inerte, comme s’il n’y avait pas de vie à cet endroit. Les corps des habitants
ayant tenté d’affronter le dragon y sont retrouvés au matin. De plus, personne ne peut dire
d’où arrive la bête et où elle se rend. L’espace est décrit avec un ton mystérieux pour laisser
place à un univers où tout peut arriver, même l’impossible. La description des lieux
représente ainsi une deuxième difficulté de lecture.
Enfin, pour décrire le dragon au fil du récit, l’auteur emploie des caractéristiques qui
pourraient également convenir à un train : un œil jaune, fixe et sans paupière, un souffle
semblable à une fumée blanche, un corps qui ressemble à une masse sombre, une arrivée
qui provoque un fracas de tonnerre et un ouragan d’étincelles. Plus encore, le dragon est
explicitement nommé. Ce n’est que vers la fin de l’histoire qu’il est officiellement question
d’un train, mais le lecteur doit lui-même inférer qu’il n’y a finalement jamais eu de dragon
dans l’histoire. L’auteur a choisi de créer cette ambigüité en mettant de l’avant des traits
pouvant être associés autant à un dragon qu’à un train.
3.3 Les rencontres avec les élèves pour collecter les données
Des rencontres individuelles auprès des 39 participants nous ont permis de collecter les
données. Deux méthodes distinctes ont été utilisées : la méthode de la pensée à voix haute
et l’entretien semi-dirigé.
3.3.1 La méthode de la pensée à voix haute
Déroulement
Dans la première partie des rencontres, chaque élève devait lire le texte Dragon dans sa tête
en verbalisant tout ce à quoi il pensait pendant qu’il lisait, notamment des informations
comprises, des incompréhensions, des réactions, des stratégies mobilisées, des questions
émergentes et des hypothèses. Lorsque l’intervieweur présentait cette consigne, il évitait de
fournir des exemples trop précis du type de verbalisation attendue afin de ne pas biaiser les
données. En effet, mentionner certains processus en particulier aux élèves risque de les
inciter à verbaliser ces processus (Hilden & Pressley, 2011). De plus, il est préférable que
48
les lecteurs verbalisent ce à quoi ils pensent plutôt que de tenter de nommer les processus
qu’ils activent (Hilden & Pressley, 2011).
Cette méthode, dite méthode de la pensée à voix haute (MPVH), permet de mieux
comprendre les caractéristiques du lecteur, notamment les processus et les stratégies qu’il
utilise, ses émotions, de même que l’interaction de sa motivation et de ses émotions avec
ses verbalisations (Hilden & Pressley, 2011). Les données recueillies par l’intermédiaire de
la MPVH sont de diverses natures : des processus cognitifs et métacognitifs, des
représentations, des conceptualisations et des reconstructions (Forget, 2013). Puisque les
informations sont recueillies dans le vif de l’action et non apostériori, cette méthode permet
de rendre visible la construction de sens progressive par le lecteur au fur et à mesure qu’il
lit, ce qui constitue un avantage (Hilden & Pressley, 2011).
L’intervieweur devait relancer l’élève régulièrement de manière à éviter les silences
prolongés. Ainsi, si environ 15 ou 20 secondes s’écoulaient sans que le lecteur rencontré ne
s’exprime, le membre de l’équipe qui dirigeait la rencontre lui rappelait de verbaliser ses
pensées : « N’oublie pas de me dire tout ce à quoi tu penses pendant que tu lis »;
« Continue de me parler »; « Continue de me formuler des commentaires ». Lors de ces
relances, l’intervieweur évitait dans la mesure du possible de suggérer des actions précises
à l’élève (ex. : « Dis-moi quelle stratégie tu utilises présentement »). Puisqu’interpréter un
texte implique l’activation de processus de haut niveau, il est tout à fait normal qu’il n’y ait
pas eu une abondance d’hypothèses interprétatives formulées par les élèves lors de leur
première lecture du texte, d’autant plus qu’ils devaient verbaliser leurs pensées pendant
qu’ils lisaient.
Limites
Jääskeläinen (2010) relève les principales limites de la MPVH. D’une part, les processus du
lecteur qui sont inconscients ne se retrouvent pas dans sa mémoire de travail, ce qui signifie
qu’il ne les verbalisera pas. D’autre part, la surcharge cognitive générée par la tâche risque
de mobiliser l’ensemble des ressources cognitives disponibles, et ainsi de réduire la
verbalisation du lecteur. Dans les deux cas, l’expert est privé de certaines informations non
explicitées par le lecteur. Les risques d’interférence entre la MPVH et la tâche sont
49
d’ailleurs encore plus élevés si la tâche est complexe (Van den Haak, De Jong, & Schellens,
2003).
Autre limite de la MPVH : elle peut changer la structure des processus cognitifs impliqués
dans la lecture (Kring, 2001; Jakobsen, 2003). En effet, cette méthode ralentit les processus
du lecteur (Kring, 2001) et l’incite à analyser le texte en le découpant en unités plus petites
qu’à l’habitude (Jakobsen, 2003, cité dans Jääskeläinen, 2010) :
A slowing-down effect of about 30 per cent with think-aloud was found.
Moreover, the subjects working in the think-aloud condition processed texts in
smaller units […]. Think-aloud may change the structure of the cognitive
processes involved in translating, but how and to which extend, is still unclear
(p. 371).
Enfin, lorsque la MPVH est employée, certaines caractéristiques personnelles de l’élève
rencontré (âge, motivation, anxiété, habiletés verbales et volonté de révéler des facettes de
soi-même) peuvent influencer la verbalisation (Baker, 2002). Les stratégies verbalisées par
les lecteurs dépendent également des caractéristiques du texte lu (Hilden & Pressley, 2011).
Pour s’assurer que les verbalisations découlant de la MPVH correspondent réellement aux
actions effectuées par l’élève lorsqu’il lit – donc pour minimiser l’interférence entre ce que
l’élève fait réellement et ce qu’il affirme faire –, Forget (2013) présente deux conditions à
respecter. Premièrement, le degré de difficulté de la tâche devrait dépendre des capacités
cognitives de l’élève qui l’effectue. Deuxièmement, « la verbalisation concomitante à la
tâche » (p. 59) devrait être employée seulement auprès de lecteurs experts. Étant donné le
contexte et les objectifs de la recherche menée par Monsieur Érick Falardeau, l’équipe n’a
pas pu respecter parfaitement ces deux contraintes. En dépit de cet inconvénient, la
combinaison de la méthode de la pensée à voix haute à une méthode complémentaire –
l’entretien semi-dirigé – nous a permis d’optimiser la collecte de nos données.
3.3.2 L’entretien semi-dirigé
Déroulement
Dans la deuxième partie des rencontres, l’intervieweur posait des questions à l’élève selon
la formule de l’entrevue semi-dirigée, « une interaction verbale animée de façon souple par
le chercheur » (Savoie-Zajc, 2003, p. 296). Dans ce contexte qui s’apparente à une
50
conversation structurée, l’intervieweur adapte le rythme et le contenu au fil de l’interaction
avec le participant, mais s’assure d’aborder les thèmes généraux préétablis (Savoie-Zajc,
2003; Bailey, 2007). Les membres de l’équipe de recherche qui menaient les entretiens
avaient en main un schéma d’entretien, qu’ils ont ajusté en fonction des réponses formulées
par chaque élève rencontré. Plus précisément, les intervieweurs ont eu à modifier l’ordre
des questions, à éviter de poser les questions auxquelles l’élève avait déjà répondu, à
ajouter des sous-questions non prévues en fonction des commentaires du lecteur et à poser
une question à plus d’une reprise selon l’évolution de la compréhension du participant. Ces
mesures d’adaptation propres à l’entretien semi-dirigé sont particulièrement pertinentes
lorsque l’objectif de la recherche est de mener une analyse critique des données (Bailey,
2007) ou de comprendre un phénomène de manière approfondie (Savoie-Zajc, 2003).
Les questions étaient principalement de l’ordre de la compréhension et de l’interprétation24.
En voici quelques exemples :
Résume l’histoire dans tes mots.
Au début de l’histoire (lignes 1 à 44), qui sont les personnages, que font-ils et à
quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?
À la fin de l’histoire (lignes 71 à 84), qui sont les personnages, que font-ils et à
quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?
Aux lignes 46 à 53, à quoi correspond la description?
Pourquoi des chevaliers et un train se côtoient-ils dans la même histoire?
Relis les lignes 35 à 39. Pourquoi un personnage dit-il à l’autre que le Temps
n’existe pas?
Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi raconte-t-on à la fin de l’histoire que le train
disparait à tout jamais?
Pourquoi l’auteur a-t-il choisi Dragon comme titre à son histoire?
Certaines questions impliquaient un retour au texte pour la relecture d’un passage en
particulier, qui pouvait être effectuée par l’intervieweur lui-même ou par l’élève (chaque
24 Le schéma d’entretien complet utilisé par les intervieweurs se trouve en annexe B.
51
intervieweur a fonctionné selon ce qui lui semblait le plus efficace). Ces retours ciblaient
stratégiquement les passages clés du texte, ce qui a permis à plusieurs apprenants de
modifier positivement leur compréhension de l’histoire avec un minimum de soutien.
L’objectif était d’accéder à certaines informations que les élèves ont pu passer sous silence
ou ignorer dans la première partie des rencontres. La méthode de l’entretien semi-dirigé, au
même titre que la MPVH, comportait certaines limites.
Limites
D’abord, les réponses des élèves ont été difficiles à comparer parce que les questions
posées variaient d’un intervieweur à l’autre. Cette flexibilité dans la formulation de
questions s’explique d’abord par la définition même de la méthode choisie, l’entretien
semi-dirigé, dont l’objectif principal est de baser le travail sur les perspectives des
participants (Bailey, 2007). Un deuxième facteur a toutefois accentué légèrement l’écart
entre les questions posées par chaque intervieweur. En effet, malgré le fait qu’une
proportion importante du schéma d’entretien était partagée par les membres de l’équipe de
recherche, quelques questions ont été posées seulement par certains d’entre eux. Un
maximum d’uniformité sur ce plan aurait facilité le traitement des données. Somme toute,
puisque la visée de la recherche était d’évaluer les compétences des élèves du deuxième
cycle du secondaire en lecture, le choix de l’entretien semi-dirigé pour compléter la MPVH
était tout indiqué. Les autres options auraient également présenté des inconvénients, dont la
non-considération de l’évolution de la compréhension de l’élève au cours de la rencontre.
Le manque d’expérience des intervieweurs pour piloter un entretien semi-dirigé représente
une autre limite de l’étude. Les « bons » entretiens requièrent de la pratique (Bailey, 2007)
et aucun entretien pilote n’avait été effectué pour les rencontres impliquant le texte Le
Dragon. Notons toutefois que les intervieweurs avaient comme expérience les rencontres
effectuées en début d’année dans le cadre des prétests. Chacun avait expérimenté la MPVH
et l’entretien semi-dirigé en rencontrant plusieurs élèves de l’échantillon. Le texte utilisé
était alors Solidarité d’Italo Calvino.
52
3.4 L’analyse de contenu pour traiter l’ensemble des données
Étant donné que l’objectif était de traiter de manière qualitative les données recueillies,
l’analyse de contenu a été favorisée. Cette méthode a pour objectif de découvrir la
signification d’un message étudié « [en classant] ou [en codant] dans des catégories des
éléments du document analysé pour en faire ressortir les différentes caractéristiques »
(Deslauriers, 1987, p. 50). Le document analysé est segmenté en parties significatives pour
le chercheur (Sabourin, 2003) afin de mieux en comprendre le sens (Deslauriers, 1987).
3.4.1 Le codage et l’extraction de données spécifiques en fonction des objectifs de
notre étude
Pour analyser les données qualitatives issues des transcriptions des rencontres avec les 39
élèves, nous avons choisi une méthode adaptée à chacun des trois objectifs spécifiques de
notre étude. L’atteinte du premier objectif – dégager des profils d’interprètes – impliquait
une analyse du produit – l’interprétation favorisée par chacun à la toute fin de leur
rencontre, c’est-à-dire après que toutes les questions ont été posées. À l’opposé, les
deuxième et troisième objectifs spécifiques nous ont permis de mettre en lumière les
processus des élèves, c’est-à-dire leur démarche pour interpréter le texte Dragon. Les
données – qu’elles concernent le processus ou le produit – ont surtout été tirées de la
deuxième partie des rencontres, c’est-à-dire le moment où l’intervieweur posait des
questions. Dans la première partie des rencontres, lorsque les élèves devaient lire le texte,
plusieurs ont été avares de commentaires, ce qui a limité les possibilités d’analyse. La
figure suivante illustre le type de données analysées pour répondre à chacun de nos
objectifs spécifiques.
53
Figure 6: Type de données analysées pour chacun des objectifs de notre étude
Objectif spécifique 1 : dégager des profils d’interprètes
Pour répondre à notre premier objectif, nous avons tenté de dégager la dernière hypothèse
interprétative retenue par chaque élève au terme de l’entretien pour expliquer pourquoi des
chevaliers sont frappés par un train25. Pour quelques cas, le point de vue énoncé était plus
ou moins clair, mais l’intervieweur a tout de même choisi de poursuivre l’entretien sans
demander au participant de répéter ses propos. Lorsqu’une telle situation a été observée
dans l’analyse, nous avons dû déduire l’idée que l’élève avait voulu formuler.
Pour atteindre l’objectif spécifique de dégager des profils d’interprètes, le choix de nous
concentrer sur les produits (les interprétations formulées par les participants) plutôt que sur
25 Pour certains élèves, cette hypothèse n’a pas été émise à la suite d’une question particulière posée par
l’intervieweur. Ils l’ont plutôt formulée lorsqu’ils ont été interrogés à propos d’autres aspects du texte. Sinon,
ils l’ont formulée de façon spontanée, à un moment ou à un autre pendant la rencontre.
54
les processus (la démarche pour en arriver à une interprétation du texte) s’est imposé
comme le plus rigoureux. En effet, tel que mentionné dans la section des limites, certains
processus de lecture sont automatisés, donc inconscients et non verbalisés. De surcroit,
plusieurs processus sont conscients, mais n’ont pas été verbalisés par les élèves à cause de
la lourdeur de la tâche – la compréhension du texte Dragon occupait à elle seule une bonne
partie de la mémoire de travail. Pour dégager des profils d’interprètes, nous avons d’abord
construit un tableau dans lequel nous avons compilé les faits saillants de chacune des
rencontres :
Un résumé en quelques mots de l’interprétation de l’histoire formulée par l’élève,
que nous avons dégagée en tenant compte de l’entièreté de la rencontre;
Un résumé des réponses de l’élève aux deux questions d’interprétation suivantes26 :
o Pourquoi un personnage dit-il à l’autre que le temps n’existe pas?
o À la fin de l’histoire, pourquoi dit-on que le train disparait à tout jamais?
Des observations générales, notamment par rapport aux aspects suivants :
o L’élève a-t-il mis beaucoup de temps avant de comprendre adéquatement
l’histoire? A-t-il eu besoin de plusieurs indices?
o A-t-il formulé plusieurs hypothèses interprétatives pendant la rencontre?
o A-t-il tiré profit de l’aide de l’intervieweur?
Une fois que la compilation de ces éléments a été complétée pour tous les participants, nous
avons relu plusieurs fois l’ensemble des observations et avons circonscrit et défini quatre
profils d’interprètes potentiels que nous avons nommés par les lettres A, B, C et D. Les
singularités de chaque profil ont été relevées dans un tableau dont la forme est la suivante :
26 Ces deux questions font partie du schéma d’entretien présenté en annexe B.
55
Profils Caractéristiques
A …
B …
C …
D …
Puis, nous avons mis à l’épreuve l’exhaustivité de ces quatre ensembles en tentant
d’attribuer un profil à chaque élève. Évidemment, à la première tentative, quelques
participants se sont avérés inclassables. Nous avons donc redéfini (élargi, précisé) certains
profils d’interprètes pour qu’ils soient plus inclusifs. Ainsi, tous les élèves de l’échantillon
ont pu être classés. En somme, chaque profil correspond à une tendance observée. Les
résultats ont été compilés dans un tableau dont la forme est exemplifiée ci-après.
Élèves Résumé des faits saillants des rencontres Profils
d’interprètes
1 … …
2 … …
3 … …
… … …
Objectif spécifique 2 : Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon
formulée par des adolescents et leur capacité à s’appuyer sur des éléments du texte et sur
leurs connaissances personnelles
Pour répondre au deuxième objectif de notre étude, nous avons analysé les réponses de
chacun des 39 élèves à deux des questions d’interprétation posées par les intervieweurs lors
de l’entretien semi-dirigé :
56
Relis les lignes 35 à 39. Pourquoi un chevalier dit-il à l’autre que « sur cette terre
ingrate, le Temps n’existe pas »?
Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi l’auteur termine-t-il son histoire en mentionnant
que le train disparait à tout jamais?
Ces deux questions nous paraissaient discriminantes, c’est-à-dire qu’elles nous ont semblé
les plus appropriées pour déterminer si les élèves s’appuyaient ou non sur le texte et sur
leurs connaissances personnelles pour formuler leurs hypothèses interprétatives. En effet,
nous avons réalisé que parmi les questions liées au critère interprétation, elles étaient celles
qui, en moyenne, généraient les réponses les plus étoffées. Elles impliquaient d’ailleurs
chez les élèves l’activation d’un processus complexe : lier plusieurs éléments du texte entre
eux pour interpréter un passage clé.
Pour déterminer si les réponses des participants témoignaient ou pas d’un appui sur le texte,
nous avons utilisé les critères suivants :
1. L’élève réfère directement à des éléments pertinents du texte pour répondre à la
question.
2. L’élève réfère à des éléments pertinents qu’on peut déduire du texte pour répondre à
la question.
Nous avons considéré que les participants dont les réponses référaient à des éléments qui
n’étaient pas dans le texte lu et qu’on ne pouvait pas déduire ne se sont pas appuyés sur des
éléments de la nouvelle littéraire Dragon pour l’interpréter. Ils pouvaient tout de même
avoir recouru à des éléments fictionnels provenant de leur subjectivité (Langlade, 2007).
Pour déterminer si les lecteurs utilisaient des connaissances personnelles pertinentes pour
répondre aux deux questions d’interprétation analysées, nous avons recouru aux critères
suivants :
1. L’élève utilise des connaissances liées à l’univers fantastique (temps, lieux) pour
expliquer comment un mélange de deux époques distinctes (le Moyen Âge et
l’époque moderne) est possible dans la même histoire.
57
2. L’élève utilise des connaissances liées à l’univers fantastique (temps, lieux) pour
expliquer comment un mélange d’éléments appartenant à deux époques distinctes
(des chevaliers et un train) est possible dans la même histoire.
3. L’élève utilise des connaissances liées à l’univers fantastique (temps, lieux) pour
illustrer certains passages du texte ou pour en permettre la visualisation.
4. L’élève utilise toute autre connaissance personnelle pertinente pour expliquer les
grands enjeux de l’histoire.
À ces six critères – deux pour vérifier l’appui sur le texte et quatre pour vérifier l’appui sur
des connaissances personnelles pertinentes – s’est ajoutée par défaut une considération : les
réponses des élèves devaient être suffisamment développées pour être analysées. Si certains
commentaires n’étaient pas assez étoffés pour que nous en tirions quoi que ce soit, nous les
avons ignorés dans le traitement des données.
Les élèves à qui aucune des deux questions analysées n’a été posée ont été exclus de
l’échantillon pour cette partie de l’analyse, tandis que nous avons choisi de conserver dans
la compilation les quelques élèves à qui une seule question avait été posée. De cette
manière, nous avons évité de trop réduire l’échantillon de participants. La définition même
de la méthode employée dans la deuxième partie des rencontres, l’entretien semi-dirigé,
explique pourquoi les questions ont été posées à la majorité des élèves de l’échantillon,
mais pas à tous.
Pour qu’un élève soit considéré dans la catégorie des lecteurs s’appuyant sur des éléments
du texte Dragon ou sur des connaissances personnelles pour l’interpréter, il devait avoir
répondu positivement à un des six critères discriminants pour au moins une des deux
questions retenues pour l’analyse. Nous souhaitions ainsi laisser une marge de manœuvre
aux élèves étant donné le degré de difficulté élevé des questions.
Lorsque nous avons annoté les transcriptions des rencontres avec les élèves pour répondre à
notre deuxième objectif, nous avons utilisé les codes compilés dans le tableau suivant :
58
Tableau 1: Codes utilisés pour annoter les transcriptions des rencontres avec les
élèves
Codes Définitions
Recours à des éléments du
texte Dragon pour
l’interpréter
ET Éléments du texte
EDT Éléments qu’on peut déduire du texte
REJ Commentaire de l’élève trop peu
développé pour être analysé (rejeté)
Recours à des
connaissances
personnelles pour
interpréter le texte
Dragon
CPépoques Connaissances personnelles pour
expliquer le mélange d’époques
CPéléments
Connaissances personnelles pour
expliquer le mélange d’éléments
appartenant à deux époques distinctes
CPvisual
Connaissances personnelles pour illustrer
certains passages du texte ou pour en
permettre la visualisation
CPautres
Autres connaissances personnelles
pertinentes pour expliquer les enjeux de
l’histoire
REJ Commentaire de l’élève trop peu
développé pour être analysé (rejeté)
Les résultats qui ont émergé de notre analyse ont été regroupés dans un tableau à cinq
colonnes dont la forme est illustrée ci-dessous :
Numéro
de l’élève
et
prénom
Profil
d’interprète
Résumé de la
réponse à la
question Pourquoi
un personnage dit-
il à l’autre que le
temps n’existe
pas?
Résumé de la
réponse à la
question À la fin de
l’histoire, pourquoi
dit-on que le train
disparait à tout
jamais?
Appui de
l’interprétation
sur des
éléments du
texte ou sur
des
connaissances
personnelles
pertinentes?
… … … … …
59
Dans un deuxième temps, pour éviter de pénaliser les élèves qui se sont appuyés sur des
éléments du texte et sur leurs connaissances personnelles pour interpréter, mais qui l’ont
fait spontanément à un autre moment qu’au moment où les deux questions couvrant les
enjeux du texte leur ont été posées, nous avons relu tous les passages des transcriptions des
rencontres qui avaient été codées en interprétation par les membres de l’équipe de
recherche27. Lorsque nous avons rencontré un segment codé en interprétation dans lequel
un participant s’exprimait à propos du mélange d’époques ou du mélange d’éléments
associés à deux époques, nous l’avons soumis à l’ensemble des critères listés
précédemment. Nous avons ainsi pu élargir l’analyse et inclure dans nos résultats les élèves
qui se sont exprimés à propos d’enjeux du texte à d’autres moments qu’au moment de
répondre aux deux questions ciblées pour répondre à notre deuxième objectif spécifique.
Objectif spécifique 3 : Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon
formulée par des adolescents et leur compréhension de ce texte
Le regroupement des élèves par profils d’interprètes (objectif spécifique 1) a facilité le
traitement des données pour répondre au troisième objectif spécifique. Nous avons pu
dégager des observations pour chacun des quatre profils, qui ont été traités comme des touts
cohérents. Pour ce volet de notre analyse, l’étude de cas aurait été laborieuse étant donné
notre échantillon de 39 élèves. Il nous a donc semblé pertinent d’utiliser les ensembles
d’élèves créés selon la ressemblance de leur interprétation de l’histoire.
Nous avons d’abord évalué, pour chacun des quatre profils d’interprètes, si la
compréhension de l’histoire était adéquate et si l’interprétation formulée était pertinente.
Pour déterminer si la compréhension de la nouvelle Dragon était adéquate ou non, nous
avons recouru aux deux critères suivants :
1. L’élève doit comprendre que le dragon est un train.
2. L’élève doit attribuer une identité plutôt plausible aux deux personnages
principaux : de vrais chevaliers ou des fous.
27 Ce codage auquel nous nous sommes référée n’est pas directement en lien avec notre projet de maitrise. Il a
eu lieu dans le cadre du projet de recherche mené par Monsieur Érick Falardeau, dont l’objectif était d’évaluer
les capacités d’adolescents québécois en lecture.
60
Ces éléments correspondent selon nous aux enjeux centraux de l’histoire : leur
compréhension permettrait à un lecteur de résumer l’histoire adéquatement à une tierce
personne. Ils nous semblaient discriminants pour cibler les profils de lecteurs qui
comprennent bien l’histoire.
Pour déterminer si l’interprétation de la nouvelle littéraire Dragon proposée par chaque
profil était pertinente ou non, nous nous sommes référée aux critères de validité d’une
interprétation que nous avons retenus dans notre cadre théorique :
1. L’interprétation doit s’appuyer sur le plus grand nombre possible d’éléments du
texte.
2. L’interprétation ne doit être contredite par aucun élément du texte.
3. L’interprétation doit s’appuyer sur des référents partagés par la communauté de
lecteurs : des savoirs, des valeurs, des pratiques et des normes.
Pour choisir l’interprétation la plus plausible de la nouvelle littéraire Dragon, il n’était pas
obligatoire d’aller plus loin que le texte comme tel. Nous avons donc recouru
principalement aux critères 1 et 2. Le critère 3 nous a simplement permis de revalider
l’hypothèse interprétative retenue.
Le fait que les lecteurs soient déjà associés à un profil d’interprète (A, B, C ou D) a
accéléré le classement des participants selon leur degré de compréhension de l’histoire et
selon la pertinence de leur interprétation. En effet, plutôt que de poser un jugement pour
chaque lecteur, nous posions un jugement pour chaque profil d’interprète en nous référant
aux descriptions des profils. Tous les lecteurs appartenant à un même profil bénéficiaient
ainsi du même jugement. Le recours aux profils d’interprètes plutôt qu’aux lecteurs comme
entités distinctes nous a permis de dégager des tendances générales. Globalement, nous
nous sommes posé les questions suivantes :
Est-ce que ceux qui ont compris adéquatement l’histoire l’ont bien interprétée?
Est-ce que ceux qui l’ont mal comprise l’ont également mal interprétée?
Nous avons ensuite analysé individuellement et de manière plus approfondie les exceptions
à la règle, c’est-à-dire les élèves qui ne cadraient pas avec les tendances générales
61
observées. Nous avons ainsi pu formuler des pistes d’explication par rapport à ces cas
particuliers.
Les résultats ont été compilés dans un tableau dont la forme est présentée ci-après. Après
avoir soumis chaque profil d’interprète aux cinq critères énoncés précédemment – deux
pour évaluer si la compréhension est adéquate et trois pour déterminer si l’interprétation est
plausible –, nous inscrivions oui, non ou plus ou moins dans les colonnes du tableau afin de
répondre à l’objectif d’étudier le lien entre la compréhension et l’interprétation. Nous
précisions également dans le tableau les éléments qui nous ont menée à considérer les
compréhensions adéquates ou non et les interprétations pertinentes ou non.
Profils
d’interprètes
L’interprétation
formulée est-
elle plausible?
La
compréhension
globale est elle
adéquate?
L’interprétation
s’appuie-t-elle
sur des éléments
du texte ou sur
des
connaissances
personnelles
pertinentes?
Observations
… … … … …
62
CHAPITRE 4: RÉSULTATS
Les résultats que nous présentons dans ce chapitre répondent aux trois objectifs spécifiques
que nous avons fixés dans le cadre de cette étude. Pour répondre au premier objectif, nous
exposerons les caractéristiques des profils d’interprètes qui ont émergé de l’analyse des
données. Ensuite, pour atteindre le deuxième objectif, nous illustrerons des cas d’élèves qui
se sont appuyés sur des éléments de la nouvelle littéraire Dragon pour l’interpréter et
d’autres qui ne l’ont pas fait. Nous montrerons aussi des exemples de lecteurs qui se sont
appuyés ou non sur des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter le texte. Ces
comportements – l’appui sur le texte et l’utilisation de connaissances personnelles
pertinentes – seront croisés avec les profils d’interprètes pour dégager certaines tendances.
Enfin, relativement au troisième objectif, nous montrerons, pour chacun des profils
d’interprètes créés, en quoi la compréhension de la nouvelle littéraire Dragon a eu une
incidence sur l’interprétation. À cette étape, les élèves ne seront plus analysés cas par cas :
ce seront plutôt les profils qui seront considérés comme des entités distinctes.
4.1 Présentation des quatre profils d’interprètes
L’analyse des transcriptions nous a permis de dégager la ou les interprétations favorisées
par chaque élève au terme de sa rencontre avec l’intervieweur, à partir desquelles nous
avons regroupé les participants en quatre profils d’interprètes. Le profil A regroupe les
élèves qui évoquent un voyage dans le temps (soit par le train, soit par les chevaliers) ou un
mélange d’époques (27 élèves sur 39). Le profil B inclut ceux qui évoquent le dérèglement
psychologique des chevaliers (13 élèves sur 39). Le profil C correspond aux élèves qui
proposent que les chevaliers ont d’abord été frappés par un dragon, puis par un train, de
même qu’aux élèves qui ont affirmé que les chevaliers n’étaient pas réellement frappés par
un train, mais qu’il s’agissait plutôt d’une métaphore ou d’une comparaison de l’auteur (4
élèves sur 39). Une élève compose à elle seule le dernier profil, le D. Elle croit que les
chevaliers combattent un dragon (sans référence au train). Six élèves ont été classés
conjointement dans deux profils étant donné qu’ils ont retenu deux hypothèses possibles à
la fin de leur rencontre.
63
4.1.1 Portrait du profil A
Plusieurs élèves du profil A croient que le train effectue un voyage dans le temps en partant
de l’époque dont il est issu (l’époque moderne) pour se rendre à l’époque des chevaliers (le
Moyen Âge). En voyant arriver le train, les chevaliers sont convaincus qu’il s’agit d’un
dragon puisqu’ils ne connaissent pas ce moyen de transport qui n’est pas encore inventé à
l’époque où ils vivent. Ils tentent alors de « l’affronter », mais sont fauchés. Certains
élèves, moins nombreux, croient plutôt que ce sont les chevaliers qui se retrouvent à l’ère
moderne par le biais d’un voyage dans le temps. Le même scénario se produit : ils
combattent ce qu’ils pensent être un dragon, mais qui est plutôt un train. Alaa est de ceux
qui croient que les chevaliers sont téléportés à une époque ultérieure :
é : Je verrais peut-être deux vrais chevaliers.
I : Hum, hum.
é : Qui ont voyagé dans le temps.
I : Ok.
é : Pour revenir dans le temps moderne.
I : Ok.
é : Puis euh, y croient qu’y sont vraiment dans c’te… Y pensent qu’y sont
encore dans leur époque. Puis y’essaient de chasser le dragon, mais y sont
frapp, y bien…
I : Y savent pas…
é : Y savent pas que, que le, le, y connaissent pas ça le train, mais eux y
pensent que c’est un dragon.
I : Ok. […] Si tu me dis ça, ça veut dire les chevaliers auraient été hum,
téléportés à l’époque moderne, mais à leur insu, ça veut dire qu’y sont pas
conscients qu’y ont changé d’époque.
é : Bah ouais, y seraient pas conscients, mais y penseraient qu’un train c’est
un dragon.
I : Parce qu’y connaissent pas les trains?
é : Ouais.
I : Parce que le train est pas encore inventé.
é : Ouais.
Les élèves classés dans ce profil considèrent que Dragon est un récit invraisemblable.
Qu’ils aient opté pour l’option du voyage dans le temps ou pour celle de la rencontre entre
deux époques, il n’en demeure pas moins que leur interprétation de l’histoire relève de
l’imagination et ne peut pas se produire dans la réalité. Leur lecture du texte – ou la
relecture de passages importants pour plusieurs – les mène sur la piste de
64
l’invraisemblance. Au final, les participants classés dans le profil A perçoivent et acceptent
que la trame de l’histoire soit fantastique.
4.1.2 Portrait du profil B
Pour justifier la coexistence saugrenue de chevaliers et d’un train dans le même univers, les
élèves du profil B optent pour l’hypothèse du dérèglement psychologique des personnages.
C’est le cas de Geneviève :
I : Bien là moi ma question c’est comment c’est possible que deux chevaliers
du Moyen Âge se fassent frapper par un train28? En fin de compte là, si…
é : Parce qu’y sont pas bien dans leur tête.
I : Ok. C’est des personnes qui sont dérangées.
é : Ouais.
Puisque les deux personnages sont déséquilibrés, ils se prennent pour des chevaliers. Leur
vision altérée de la réalité justifie également le fait qu’ils s’attaquent à un train, convaincus
qu’il s’agit d’un dragon. Selon cette hypothèse, l’histoire se déroule entièrement à l’ère
moderne, plus précisément dans les années 1800 ou 1900 puisque le train fonctionne à
vapeur.
Louis-Philippe, tout comme Geneviève, est d’avis que les personnages sont dérangés. Il
précise qu’ils sont peut-être fous ou itinérants :
é : Ouais, bien pour finir je pense que je sais pas, ça serait deux personnes
qui seraient sur une rail, un petit peu fous, qui se pensent encore au Moyen
Âge. Puis qui se font… Puis qu’y a un train, puis qu’y le voient pas arriver
parce qu’y a des tunnels de chaque côté fait qu’y savent jamais quand y va
passer.
I : Ok.
é : Mais moi c’est ça que je vois là.
I : C’est ton, c’est ta compréhension de l’histoire?
é : Ouais.
I : Hey, bien c’est intéressant. (rires)
é : Bien c’est ce que je comprends à date.
I : Ok.
é : Parce que non… Bien, puis ce que je comprends pas, bien y’ont un feu,
bien pourquoi ce, bien je verrais des clochards un peu là qui, tu sais qui sont
28 Geneviève avait précédemment fait référence au train.
65
là, qui ont leur petit feu là, puis que y’ont peur de se faire prendre pour je
sais pas trop quoi, puis que sont un petit peu fous là.
D’autres raisons sont évoquées pour expliquer que les personnages soient
psychologiquement dérangés : ils vivaient en forêt, isolés de la population (Camille); ils
demeuraient en toute simplicité dans un milieu reculé (Mathias); ils sont sots ou leur vision
est altérée par le brouillard (Hubert). Toutes ces pistes d’explication convergent vers la
même hypothèse : l’existence des trains a échappé aux personnages, si bien qu’ils croient
réellement que ce qui surgit devant eux est un dragon. Les interprétations proposées par les
élèves du profil B sont donc plutôt rationnelles; elles reposent sur la vraisemblance
contrairement aux pistes proposées par les élèves du profil A, qui reposent sur le
fantastique.
4.1.3 Portrait du profil C
Les élèves du profil C comprennent qu’il y a un dragon et un train dans l’histoire ou
attribuent une identité farfelue (automobiles, moustiques) aux chevaliers.
Les deux élèves qui ne parviennent pas à effectuer l’association entre le dragon et le train
au terme de la rencontre croient que les chevaliers sont frappés à deux reprises : d’abord par
un dragon, puis par un train. C’est le cas d’Emma, qui est d’avis que les chevaliers sont
frappés par un dragon, puis que leurs corps sont téléportés à l’époque moderne où ils sont
aussitôt frappés par un train. Lorsque l’engin roule sur les chevaliers, ceux-ci sont donc
déjà morts :
é : Je pense que [les chefs de train] sont passés sur quelque chose.
I : Ok, ils sont passés sur quoi?
é : Euh, j’imagine ça doit être sur les gens.
I : Sur les qui?
é : Bien les deux chevaliers là.
I : Ok.
é : Qui sont supposément morts maintenant que…
I : Fait que là…
é : Fait que le dragon, c’est comme si y serait reparti là, puis que personne
sait y’est où. Qu’y avait laissé deux morts là, puis ce temps-là y faisait de
quoi...
I : Le dragon aurait tué deux personnes, il les aurait comme abandonnées, le
dragon se serait enfui, mais ce que tu comprends de la fin de l’histoire, c’est
que, y’a un train qui arrive avec deux personnes à son bord, dedans.
66
é : Ouais.
I : C’est deux personnes qui se parlent, puis là tu me dis que le train aurait
frappé quelque chose, mais le train a frappé quoi?
é : Y frapperait les corps qui seraient restés sur la rail genre.
I : Ok. Les corps qui étaient déjà morts à cause du dragon seraient restés sur
les rails, puis le…
Jean-Sébastien n’infère pas lui non plus le lien entre le dragon et le train. Son avis est que
les chevaliers ont été fauchés deux fois : une première fois par le dragon et une deuxième
fois par le train. Lors du contact avec le train, les chevaliers étaient déjà morts.
Contrairement à Emma, il n’envisage pas que les corps aient été téléportés à une autre
époque. Sa représentation n’est donc pas fantastique. Il pense plutôt que les corps dans les
armures sont restés au sol pendant des centaines d’années jusqu’à ce qu’un jour, à l’époque
moderne, des chefs de train les découvrent en les accrochant avec leur locomotive :
é : Bien, je pense que c’est eux autres qui chauffent le train là, y conduisent
le train.
I : Ok, puis à part de conduire un train, qu’est-ce qui s’est passé dans la
dernière… À la fin de l’histoire?
é : Y’ont trouvé le, le, le squelette d’un chevalier parce que ça fait une
couple d’années là mettons.
I : Ok, toi tu penses qu’y a un délai dans le fond entre le milieu puis la fin de
l’histoire?
é : Ouais. Y’a un délai, puis y trouvent euh, genre des années plus tard y
trouvent le chevalier, euh bien qu’y disaient que y s’est fait propulser quand
même plus loin, qu’y est décédé là.
I : Ok.
é : Probablement, que y’est en armure là, y’est encore en armure.
I : Ok. Ok, puis qu’est-ce qui te ferait dire que c’est une couple d’années
plus tard, plusieurs années plus tard? Sur quoi tu te bases pour dire que ce
serait surement euh… longtemps après que les chevaliers aient été frappés?
é : Bien parce que premièrement y’a un train (rires). Un train, tout ça, puis
y’est impressionné de voir le chevalier en armure, puis y vont voir le
chevalier, puis euh c’est ça là.
I : Ok, mais le chevalier y serait mort comment?
é : Bien, je sais pas, y’est euh... y’est mort… bien y’est arrivé sur une pierre
je pense. Euh y’est… Le dragon l’avait propulsé à trente mètres plus loin y
disaient.
I : Ok, le dragon aurait tué les deux chevaliers?
é : Ouais.
I : Puis là, plusieurs, plusieurs années plus tard, un train serait passé par là?
é : Ouais.
I : Puis y’aurait trouvé les euh…
67
é : Y’aurait trouvé un des deux corps là. Mais le corps serait un squelette,
mais y’est en armure.
Les deux autres élèves classés dans le profil C comprennent que les chevaliers ont été
confrontés à un train et non à un dragon, mais ils inventent une tout autre identité aux
chevaliers pour rendre l’histoire plausible. Ils précisent que les chevaliers n’en sont pas
vraiment, mais que ce terme est employé parce que l’auteur effectue des comparaisons ou
des métaphores. Selon Pier-Olivier, ce serait plutôt des moustiques qui seraient heurtés par
un train et non des chevaliers comme le laisse croire le texte. Le parallèle entre des
chevaliers et des moustiques serait ainsi une forme de métaphore. Il soumet cette idée parce
qu’il croit que la rencontre entre des chevaliers et un train à la même époque est insensée :
I : Ok. Puis en, en revenant à cette hypothèse-là, comment on pourrait
expliquer que deux chevaliers se retrouvent à l’époque où y’a des trains? Tu
sais, c’est qui ces hommes-là, est-ce que ce sont de vrais chevaliers?
Quelques secondes de silence.
é : Hum, moi j’crois pas là.
I : Ce serait, ce serait qui?
é : Ça commence, tantôt quand qu’y disait que y se sont fait frapper,
écrabouiller par euh mettons le train là, dans mon hypothèse là, on aurait dit
que ça me fait penser à comme de quoi comme y’a un moustique qui se fait
frapper par un train ou quelque chose comme ça là, je sais pas ça…
I : Qu’est-ce que tu veux dire, un moustique qui se fait frapper par un train?
é : Que le chevalier dans le fond ce serait un moustique ou pas un moustique
mais, mettons…
I : T’es pas si sûr que c’est un chevalier?
é : Non, là non.
I : On a quand même relevé plusieurs indices qui nous laissaient croire que
c’était des chevaliers?
é : Ouais.
I : Ok, mais ce qui te pose problème, c’est le train à l’époque des, des
chevaliers… Que des chevaliers soient à l’époque des trains, c’est ça?
é : Ouais.
I : Ok, est-ce que c’est une histoire qui est vraisemblable?
é : Non.
I : De ce que t’en comprends?
é : Bien… dans le double sens, ça l’aurait du sens, mais si on le prend aux
mots, non ça l’a pas de sens.
Quant à Marc-Étienne, ses relectures de passages lui permettent de confirmer le lien entre
le dragon et le train, mais le mènent aussi à croire que les chevaliers sont comparés à des
automobiles. Il ne trouve aucune preuve dans le texte qui appuie son hypothèse, donc il
68
propose lui aussi qu’il s’agit d’une comparaison suggérée par l’auteur de manière
implicite :
é : Ouais tu sais sans paupière, on peut dire que c’est une lumière, la lumière
a pas de paupière. Tu sais quand t’as redit les descriptions, tu sais, un
chevalier en armure, on pourrait le comparer à une automobile aussi.
I : Ok.
é : Par les descriptions, d’autres, quand tu redis, j’ai fait comme des liens,
chevalier en armure, une automobile c’est fait, on peut dire, en métal, le
châssis.
I : Hum, hum.
é : Euh un moteur, ça a des chevaux pour le propulser comme on dit tant de
chevaux-vapeur, donc on pourrait comme présager que les deux chevaliers
c’est comme conducteurs, passagers ou…
I : Ok.
é : Peut-être…
I : Puis le dragon lui?
é : Le dragon dans le fond si on le compare au, comme au train. Son allure tu
sais œil d’ambre clair, sans paupière, tu sais une lumière jaune comme jaune
clair. Euh…
I : Ça, c’est la lumière du train ou hum?
é : Dans le fond, ce serait la lumière du train, tu sais…
I : Ok.
é : Dans la description du dragon qu’on…
I : On peut voir les parallèles.
é : Ouais, des parallèles entre les deux.
I : Ok. Puis hum, donc ton explication la plus plausible c’est que au, début
c’est un dragon, mais le dragon on pouvait le comparer à un train puis les
chevaliers on pourrait les comparer à…
é : À une automobile.
I : À une automobile. Mais, y a-t-il quelque part dans le texte qu’on dit y’a
une automobile?
é : Non, y’a pas de place qu’on le dit.
[…]
é : Peut-être l’auteur a voulu faire un parallèle entre un dragon et un train
avec deux époques différentes, mais que on pourrait à la fin comparer ou…
I : Ok.
é : De façon comme euh, pas écrit dans le texte, mais si tu lis entre les lignes
tu serais peut-être capable de déduire…
I : Déduire quoi?
é : Que le dragon serait un train et les chevaliers seraient comme
automobiles.
En bref, la singularité du profil C repose sur le fait que, contrairement aux profils
précédemment présentés, il regroupe des lecteurs qui éprouvent des difficultés liées aux
69
processus d’intégration et qui se livrent à une surenchère de certains éléments du texte. De
plus, les hypothèses des élèves classés dans cette catégorie ne convergent pas toutes dans la
même direction en ce qui a trait à la vraisemblance de l’histoire.
4.1.4 Portrait du profil D
Une élève de l’échantillon, Catherine, a forcé à elle seule la création d’un profil
supplémentaire, le profil D, parce qu’elle ne pouvait être classée dans aucune des trois
catégories précédemment présentées. Contrairement aux autres participants, elle formule
très peu d’hypothèses interprétatives. Le fait qu’elle croit réellement que l’histoire raconte
le combat entre des chevaliers et un dragon limite les possibilités de réponses aux questions
d’interprétation posées, qui la laissent plutôt pantoise. Lorsque l’intervieweur lui demande
de résumer l’histoire dans ses mots, ses propos sont plutôt flous :
é : Euh d’après moi c’est bien euh, premièrement ça commence puis là y’a
deux chevaliers puis là y’ont entendu parler d’une histoire de dragon.
I : Hum, hum.
é : Puis là, y sont pas certains fait que là y l’aperçoivent puis là on dirait que
le dragon y leur court après ou, comme euh…
I : Un duel entre les deux?
é : Un duel. Puis là bien, les chevaliers s’en vont là.
I : C’est ça la fin?
é : Bien fff… J’sais pas trop là.
Catherine répond plutôt brièvement aux questions d’interprétation, qui semblent lui faire
réaliser que certains enjeux de l’histoire lui ont échappé et freinent son raisonnement.
Autrement dit, elle parait parfaitement consciente de son bri de compréhension, causé
principalement par le fait qu’elle n’infère pas l’association entre le dragon et le train.
Cependant, sa particularité – qui justifie qu’elle n’ait pas été incluse dans le profil C – est
qu’elle restreint ses réponses aux questions qui la confondent. Bref, elle n’exploite pas à
outrance les éléments du texte pour se tisser à tout prix une interprétation; elle demeure
plutôt prudente dans ses affirmations.
70
4.2 L’appui sur des éléments du texte Dragon et le recours à des connaissances
personnelles pertinentes pour formuler des interprétations
Pour chacun des profils, des participants s’appuient sur des éléments du texte et utilisent
leurs connaissances personnelles pour formuler leur hypothèse interprétative, tandis que
d’autres n’y parviennent pas ou, du moins, ne verbalisent pas qu’ils le font.
4.2.1 L’aisance de plusieurs élèves du profil A à prouver leur interprétation
Les élèves du profil A qui lient des éléments du texte entre eux pour interpréter
Près des trois quarts des élèves du profil A (17/23) lient des informations du texte entre
elles ou lient des informations du texte à leurs connaissances personnelles pour proposer
une interprétation. En réponse à la question d’interprétation Relis les lignes 35 à 39.
Pourquoi un chevalier dit-il à l’autre que « sur cette terre ingrate, le Temps n’existe
pas »?, certains affirment que ce passage signifie que tout est possible et que le contexte est
favorable aux voyages dans le temps. Par exemple, Simon croit que cette information du
texte est un signe avant-coureur de rencontres farfelues :
I : Si on relit les lignes 38 et 39, est-ce que ça renforce ton hypothèse ou ça
la fait changer? Ce n’est pas vrai, murmura le second chevalier en fermant
les yeux. Sur cette terre ingrate, le Temps n’existe pas. […] Y’a un chevalier
qui dit à l’autre que le temps n’existe pas, est-ce que cet extrait-là renforce
ton hypothèse, est-ce que le fait qu’y disent que le Temps n’existe pas, est-ce
que ça annonce quelque chose?
é : Ouais, je pense que c’est sûr c’est annonciateur de, de, un coup que t’as lu
le texte là, c’est annonciateur que les, les deux appartiennent pas au même
temps là, les chevaliers puis les chauffeurs de train.
I : Ok, donc ça nous donnerait un indice comme quoi…
é : Y sont pas à la même époque puis qu’y vont se rencontrer mais qu’y,
y’appartiennent pas au même temps là parce que le Temps n’existe pas dans
cette terre.
Samuel-A est également d’avis que ce passage du texte permet la cohabitation d’éléments
qui pourraient sembler à priori incompatibles :
é : Bien ça c’est, le Temps n’existe pas, c’est, ça veut peut-être dire que dans
le fond, les deux époques peuvent coexister sans pour autant avoir de
rapport.
71
Ces deux élèves établissent donc un lien entre la phrase prononcée par un des deux
chevaliers au début de l’histoire et la présence d’un train à la fin de l’histoire. Plus
précisément, ils tirent profit de l’information du texte selon laquelle le Temps n’existe pas
pour résoudre une partie de l’énigme. En effet, ils ont sans doute repéré au fil de leur
lecture de multiples indices qui laissent croire que l’histoire se déroule au Moyen Âge : un
château, des chevaliers, leurs armures, leurs lances, leurs chevaux… Or, ils ont également
relevé des indices à la fin du récit qui suggèrent fortement que l’histoire se déroule à la fin
des années 1800 ou au début des années 1900 : des chefs de train, un train à vapeur, du
charbon pour l’alimenter… Pour trouver la solution à ce problème soulevé par le texte, ils
utilisent les indices fournis par l’auteur.
Pour ce qui est des réponses à la question d’interprétation Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi
l’auteur termine-t-il son histoire en mentionnant que le train disparait à tout jamais?, des
élèves mentionnent que le train retourne à l’époque de laquelle il provient. Au départ,
Gabrielle semble perplexe lorsque l’intervieweur lui relit ce passage, mais elle en tire
rapidement profit pour renforcer son interprétation :
I : Ok, super! Maintenant, la dernière, dernière phrase du texte. On va la
relire ensemble, puis tu me diras ce que t’en comprends. Il laissait derrière
lui… Parce que là, on parle du train… une fumée si épaisse qu’elle stagnait
dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais.
Pourquoi l’auteur aurait écrit que le train eut disparu à tout jamais, d’après
toi?
Quelques secondes de silence.
é : Euh… je le sais vraiment pas là.
I : Ok.
é : Ah peut-être parce que c’est un train qui vient du futur genre ou…
I : Ok. Ce serait un train qui arriverait du futur?
é : Ouais, puis là, y retourne genre dans son époque là si on veut.
Même chose pour Simon, qui se sert de la question posée par l’intervieweur pour conforter
son point de vue :
I : Dans le dernier paragraphe là, le narrateur dit que le train, à la fin, toute
fin du texte, on dit que Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle
stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à
tout jamais. Pourquoi tu penses que l’auteur nous dit que le train disparait à
tout jamais?
Quelques secondes de silence.
72
é : Euh, bonne question! Pourquoi qu’un train disparaitrait à tout jamais?
Parce que c’est, parce que c’est pas son temps, y’a pas d’affaire là, fait que
ça serait comme si, si y’était pas à la bonne époque là.
Ces lecteurs utilisent la dernière phrase du texte pour confirmer leur hypothèse (Simon) ou
pour la construire (Gabrielle). Cette phrase n’est que la pièce finale du casse-tête assemblé
par les élèves du profil A parce que plusieurs autres indices insérés au fil du récit les
guident vers l’hypothèse du voyage dans le temps par un train ou du mélange d’époques.
Les élèves du profil A qui lient des éléments du texte à des connaissances personnelles
pertinentes pour interpréter
Lorsqu’Anthony affirme que le train passait par un portail temporel pour changer d’époque,
il lie des informations du texte avec certaines de ses connaissances personnelles. Le texte
n’évoque en aucun temps l’existence de ce portail. Il s’agit plutôt d’une représentation de
l’histoire qui combine un concept de science-fiction que l’élève connait – le portail
temporel – à une action centrale du récit – le voyage dans le temps par un train :
I : Mais ça, ça se déroule à l’Ère moderne tu dis ou à l’époque des
chevaliers?
é : Hum, chevaliers. C’est comme si, les trains y’auraient pris un genre de
patente euh, temporelle puis y’étaient rendus là.
I : On serait à l’époque des chevaliers, puis tu me dis que pour expliquer
que… Parce qu’on s’entend que ce sont deux époques là qui normalement ne
se côtoient pas là. Mais toi pour expliquer le, l’apparition du train à l’époque
des chevaliers, tu me dis… Répète ton hypothèse s’il te plait.
é : Un portail temporel là.
I : Un portail?
é : Un genre de truc que tu passes, puis que tu te retrouves un petit peu plus
bas dans le temps.
I : Plus bas dans le temps. Ok, fait que c’est le train qui s’insèrerait à
l’époque des chevaliers.
é : Puis là bien eux autres y, y, y’avaient jamais vu ça de leur vie, fait qu’y
ont peur, puis y se mettent à l’attaquer en pensant que c’est un dragon, puis
là y meurent.
Mathieu-C abonde dans le même sens qu’Anthony, mais il nomme plutôt le dispositif
permettant le passage du train d’une époque à l’autre comme une trace dimensionnelle :
I : Ok, explique-moi donc ton hypothèse voir.
é : Bien, je sais pas moi dans ma tête ça sonne un peu comme dans voyage,
retour dans le passé ou quelque chose de même là.
73
I : Ok.
é : Genre que le train avait apparu à un moment donné à cause d’une affaire,
une trace dimensionnelle ou quelque chose de même.
I : (rires) Un truc ultradimensionnel, ok.
é : Puis là, bien en voulant repartir y’ont frappé deux chevaliers puis y’est
retourné dans son époque là.
I : Ok. Puis y venait d’où ce train-là?
é : Du futur.
Philippe propose que l’engin doive atteindre une vitesse plus élevée que celle de la lumière
pour voyager à travers les époques. Encore une fois, le texte n’en fait pas mention, mais il
s’agit d’une hypothèse pertinente basée sur des connaissances sur le monde. Il s’inspire
d’un populaire film de science-fiction pour bâtir sa représentation de l’histoire :
é : Peut-être que c’est comme dans le film Retour vers le futur. Ça c’était un
retour, mais là peut-être que ça va être un genre…
I : Ok.
[…]
I : Mais pourquoi l’auteur ferait ça, le croisement entre deux époques, est-ce
qu’y aurait un but en particulier?
é : Bien j’sais pas, peut-être que ça va avec la vitesse. Parce que y’a certaines
théories qui disent que si on gravit une certaine vitesse on peut reculer ou
avancer dans le temps là.
[…]
I : Bien y’a des façons plus simplistes… Est-ce que tu vois d’autres
possibilités? Le croisement d’époques, est-ce que c’est quelque chose
d’impossible quand on écrit un texte?
é : Bien non.
I : Dans quel genre de texte on peut faire croiser des époques?
é : Science-fiction, fantastique.
Quant à Amélie, elle croit qu’une faille dans le temps serait l’élément magique qui
permettrait au train de voyager. Elle se sert donc de sa connaissance de la science-fiction
pour construire sa représentation de l’histoire :
I : Puis le train, le train arriverait comme tu l’as dit tantôt par magie puis y
disparaitrait par magie.
é : Ouais.
I : Ok.
é : Ce serait comme une faille dans le temps genre.
[…]
I : Une faille dans le temps au moment où le train apparait.
é : Où le train apparait puis là…
I : Puis elle se termine quand cette faille-là?
74
é : Quand le train disparait.
I : Quand le train disparait.
é : Fait que le train y fait juste comme je voyage en temps normal, une faille,
900, une faille, je repars.
Pour ces élèves du profil A, le fait de s’appuyer sur l’image d’un dispositif ou d’une
méthode qui permet le passage d’un engin d’une époque à une autre – un portail temporel,
une trace dimensionnelle, une faille dans le temps ou une accélération jusqu’à l’atteinte
d’une vitesse supérieure à celle de la lumière – facilite la visualisation de l’action. Cette
imagerie mentale est particulièrement utile considérant l’ambiance fantastique que propose
le récit. Bref, dans le cas présent, lier des éléments du texte à des connaissances
personnelles ne représentait pas une opération obligatoire pour comprendre et interpréter
adéquatement Dragon, mais bien un atout ou un complément.
4.2.2 La difficulté de plusieurs élèves du profil B à prouver leur interprétation
Dans le profil B, une majorité d’élèves (7/9) peinent à formuler une réponse cohérente aux
questions de l’intervieweur qui font référence aux passages clés, réalisant que ces derniers
ne renforcent pas leur hypothèse. Plus précisément, ils sont portés à écarter les éléments du
texte plutôt que de les utiliser pour prouver leur proposition. Par exemple, lorsque Louis-
Philippe doit tenter une réponse pour expliquer pourquoi un chevalier dit à son allié que le
Temps n’existe pas, il propose que les combattants sont aux pôles, plongés dans la noirceur,
ou n’ont simplement pas de montre. Cette idée entre en contradiction avec des éléments
textuels. L’élève lui-même, en soulevant la possibilité que le train se trouve au pôle Nord,
rit de sa proposition. Puisqu’il est très engagé dans la rencontre, il n’hésite pas à verbaliser
toutes les pistes de solutions qui lui viennent en tête et revient constamment sur ses propres
hypothèses pour les modifier :
I : Pourquoi y dit que le Temps n’existe pas?
é : Le Temps n’existe pas, bien…
Quelques secondes de silence.
é : Une des seules places que le temps n’existe pas là, bien qu’est-ce que je
pourrais comprendre, c’est comme aux pôles, y’a comme des six mois sans
lumière fait qu’y peuvent comme pas s’orienter dans le temps. Sinon, (rires)
un train au pôle Nord, oui, oui.
I : (rires)
é : Euh... sinon peut-être que c’est juste que c’est long parce que sont perdus
ou… j’ai pas plus d’informations.
75
I : Ok.
é : Y’ont perdu leur montre, je sais pas.
I : Comment tu dis ça?
é : Y’ont perdu leur montre, leur cadran solaire, je sais pas.
Geneviève est visiblement embêtée lorsqu’elle doit proposer une interprétation pour
expliquer la dernière phrase du texte qui précise que le train disparait à tout jamais. Tout
comme Louis-Philippe, elle s’implique positivement dans la rencontre et rigole lorsqu’elle
réalise que ce qu’elle affirme ne tient pas la route. Sur une note humoristique, elle propose
que le train se retrouve à Poudlard29 – ce qui constitue une ouverture vers l’univers
fantastique malgré le fait que la recherche de vraisemblance dominait largement cette
rencontre :
I : [À] la dernière phrase du texte on dit que Le train laissait derrière lui une
fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut
passé et eut disparu à tout jamais. Pourquoi le train, on dit de lui qu’il eut
disparu à tout jamais, d’après toi?
é : Euh parce que je sais pas, y’est parti.
I : (rires)
é : Y’a continué sa route.
I : Y’a continué sa route, mais pourquoi à tout jamais?
Quelques secondes de silence.
é : Parce que c’est à tout jamais?
I : Hum, hum.
é : (rires) Je sais pas.
I : Ça t’embête un peu?
é : Bien ouais là.
I : Ok, pourquoi l’auteur aurait fini l’histoire comme ça? Pourquoi le train
s’en va pour toujours?
é : Peut-être qu’y disparait à Poudlard.
I : (rires) À Poudlard?
é : Oui (rires)!
I : Ok, dans le fond tu ne […] sais pas trop [ce que signifie] cette phrase-là?
é : Non.
En résumé, la plupart des lecteurs du profil B se retrouvent en difficulté lorsque vient le
temps de prouver leur hypothèse, celle des fous qui se jettent devant la locomotive. Leurs
réponses aux questions d’interprétation ciblant des passages clés du récit témoignent du fait
29 École de sorcellerie de Harry Potter.
76
que leur hypothèse ne résiste pas à tous les détails textuels. Ajoutons que certains des
éléments du texte qui auraient contribué à discréditer l’idée du dérèglement psychologique
des chevaliers n’ont pas été soulevés par les membres de l’équipe de recherche dans la
deuxième partie des rencontres30 à cause de la contrainte de temps.
4.2.3 Les exceptions des profils A et B
Malgré les deux tendances dégagées ci-haut – l’appui sur le texte et sur des connaissances
personnelles pertinentes par les élèves du profil A pour interpréter et la difficulté des élèves
du profil B à faire de même –, certains cas atypiques de participants ont été dégagés de
l’analyse. Des lecteurs ont formulé des interprétations pertinentes (profil A), mais
semblaient incapables de les prouver par le biais du texte, tandis que d’autres ont retenu des
hypothèses plus ou moins plausibles (profil B), mais ont quand même su tirer leur épingle
du jeu en s’appuyant momentanément sur le texte ou sur des connaissances personnelles
pertinentes.
Les élèves du profil A qui ne parviennent pas à prouver leur interprétation
Environ le quart des élèves du profil A (6/23) reconnait le caractère farfelu de l’histoire,
mais ne peut expliquer pourquoi. Autrement dit, certains adolescents rencontrés
comprennent ce qui se passe, mais ne parviennent pas à le justifier. Par exemple, des
lecteurs verbalisent le fait que l’histoire met en jeu deux époques distinctes, mais ont très
peu de propositions pour expliquer ce mélange d’époques. Ils répondent donc très
brièvement aux questions d’interprétation.
Noémie repère le changement d’époques entre le début et la fin de l’histoire, mais ne tente
aucune explication pour résoudre l’énigme. Son degré de compréhension pourrait
augmenter si elle retournait au texte pour relire quelques passages, mais elle n’utilise pas
cette stratégie. Bien que nous ne détenions aucune mesure de la motivation des élèves de
l’échantillon à participer à l’étude – il ne s’agit d’ailleurs pas d’un objectif visé –,
mentionnons que Noémie dégage une certaine indifférence et semble peu impliquée dans la
30 Il s’agit notamment d’éléments insérés au tout début du récit qui suggèrent une ambiance fantastique. Il en
sera question dans la section 5.3 du chapitre portant sur l’interprétation et la discussion des résultats.
77
tâche. Elle ne se prête donc pas au jeu de chercher des preuves qui pourraient appuyer ce
qu’elle affirme :
é : Ouais, parce qu’on dirait qu’y passe d’une époque à une autre genre à la
fin.
I : Hum, hum. Vas-y donc, développe donc un peu ton idée voir.
é : Bien, parce qu’au début y parle de château puis de plein d’affaires de
même puis après y parle d’un train que, quand qu’y avait des châteaux,
y’avait pas de train là, c’était pas, c’était pas ça.
I : Ok. Puis d’après toi, qu’est-ce qui se passe entre les deux pour qu’on en
arrive là?
Quelques secondes de silence.
é : Je sais pas.
Maxime comprend lui aussi le caractère invraisemblable de l’histoire causé par le mélange
d’époques. Il développe partiellement son hypothèse, mais ne réussit pas à utiliser les
phrases clés du texte pour la solidifier. Dans son cas, c’est plutôt le contexte de l’étude qui
semble avoir empêché la pleine émergence de son raisonnement. S’il avait été seul avec le
texte et qu’il avait disposé de davantage de temps, possiblement qu’il aurait pu développer
son interprétation. En effet, il semble sur le point de comprendre certaines subtilités du
texte, mais il manifeste de l’hésitation. Malgré tout, l’intervieweur poursuit l’entretien
semi-dirigé – le temps pour chaque rencontre était limité :
I : […] Pourquoi l’auteur aurait fait le choix d’écrire ça là, que le Temps
n’existait pas?
é : Bien parce qu’y a rajouté le train.
I : Parce qu’y a rajouté le train. Fait que finalement pourquoi…
é : Bien parce que c’est pas vrai en fin de compte, c’est pas une histoire
vraie.
I : C’est une histoire qui est invraisemblable. Fait que pourquoi y’aurait un
train à l’époque…
é : Y’a des mélanges de plein d’objets.
I : De plein…
é : De plein d’histoires ensemble, peut-être genre…
I : De plein d’histoires?
é : Y’a un mélange de Moyen Âge, y rajoute un train avec ça, y disent que le
Temps n’existe pas, y…
I : Donc, c’est un mélange d’époques? C’est ça que tu me dis?
é : C’est ça, c’est un mélange d’époques.
I : Ok.
é : Là, t’as comme le passé, le présent, t’as le futur.
78
Cathy se situe sur une piste intéressante. Elle suspecte un lien entre certains passages du
texte pour expliquer le caractère étrange de l’histoire. Par contre, ses hypothèses semblent
difficiles à verbaliser, ce qui la force à interrompre certaines de ses explications. Bien que
son interprétation soit pertinente (comme le veut le fait qu’elle soit classée dans le profil
A), nous ne pouvons affirmer qu’elle l’appuie sur des éléments du texte à cause de
l’incomplétude de ses propos :
I : Maintenant les lignes 37 à 39. […] Pourquoi on dit que le Temps n’existe
pas, d’après toi?
é : Je sais pas, moi je pense que ça fait référence à à tout jamais.
I : Ok, y’aurait un lien entre les deux?
é : Ouais, puis aux siècles, puis…
[…]
I : Depuis des siècles, aucun oiseau n’avait…
é : Hum, je pense que c’est comme des éléments pour nous, pour nous
structurer. Le temps, y’en a pas là, c’est comme si, je sais pas…
I : Mais c’est intéressant.
é : C’est comme si y’était dehors là.
I : Ok.
é : Le temps, puis…
I : Y’a pas de notions de temps.
é : Comme un monde parallèle là.
Somme toute, le contexte de l’étude, notamment la contrainte du temps, semble une piste
pouvant expliquer pourquoi quelques lecteurs du profil A formulent des interprétations
pertinentes, mais ne s’appuient pas sur le texte pour les justifier ou le font sans parvenir à le
verbaliser.
Les élèves du profil B qui parviennent à lier des éléments du texte entre eux ou à lier des
éléments du texte à des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter
Seulement deux des élèves classés dans le profil B (2/9) réussissent à lier des informations
du texte entre elles ou à les lier à leurs connaissances personnelles pour renforcer leur
interprétation. Par exemple, Alaa croit qu’un chevalier dit à son complice que le Temps
n’existe pas (première question d’interprétation ayant fait l’objet de notre analyse) parce
que les deux personnages sont désaxés et ont perdu la notion du temps. Cette justification,
79
bien qu’elle ne tienne pas compte de tous les indices du texte – notamment la description de
l’ambiance qui suggère une histoire fantastique31 –, renforce l’hypothèse interprétative de
l’élève et témoigne d’un lien entre plusieurs éléments de Dragon.
De plus, Alaa établit un rapprochement entre le fait que les personnages se jettent devant le
train (information du texte) et le fait qu’ils aient perdu la notion du temps (information du
texte) : un trouble psychologique serait selon lui à l’origine de cette perte de repères
(information tirée des connaissances personnelles de l’élève sur les troubles
psychologiques). Pour cette raison, nous considérons que l’élève construit son hypothèse
interprétative à partir d’informations du texte et d’informations plutôt pertinentes provenant
de ses connaissances sur le monde :
I : Pourquoi d’après toi, y disait que le Temps n’existe pas?
Quelques secondes de silence.
é : Parce que y’est désaxé.
I : Ok.
é : J’sais pas.
I : Non, mais ça se peut.
é : Ouais.
I : Ça irait avec ton hypothèse du fait que c’est deux dérangés
psychologiquement.
é : Ouais.
Selon Frédérique, les personnages décrits comme des chevaliers seraient plutôt deux
suicidaires ou deux adeptes de Donjons et Dragons32 qui se sont jetés devant le train. Pour
interpréter la dernière phrase du texte, selon laquelle le train disparait pour toujours
(deuxième question d’interprétation ayant fait l’objet de notre analyse), elle propose que les
chefs de train préfèrent ne jamais repasser par la lande étant donné qu’ils se sentent mal
d’avoir accidentellement provoqué la mort de deux personnes. Son hypothèse est
questionnable puisqu’elle fait fi d’éléments du texte qui orientent les lecteurs vers
l’hypothèse du récit fantastique. Toutefois, elle réussit habilement, à l’instar d’Alaa, à la
renforcer en s’appuyant sur le texte et sur des connaissances personnelles appropriées. Plus
précisément, Frédérique établit une convergence entre le fait que les chefs de train fauchent
31 Il en sera question dans la section 4.4.1. 32
Jeu de rôle de genre médiéval-fantastique.
80
deux hommes (information du texte), le fait que le train disparaisse définitivement
(information du texte) et le fait que des travailleurs qui tuent accidentellement deux
personnes dans le cadre de leurs fonctions soient traumatisés et ne souhaitent plus retourner
à l’endroit où s’est produit l’incident (information tirée des connaissances personnelles de
l’élève sur le comportement social) :
I : Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air
froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais. Pourquoi
l’auteur nous dit que le train eut disparu à tout jamais?
é : Bien, veut, veut pas, quand tu fauches quelqu’un, bien tu veux peut-être
pas euh… Plus jamais faire cet emploi-là. Bien c’est ça, c’est les gens qui
ont décidé de plus jamais aller dans cet endroit-là, puisqu’y avait eu
plusieurs accidents là ou bien que celle-là ça été vraiment une, vraiment une,
un moment, tu sais, important dans leur vie. Eut disparu à tout jamais, bien
c’est ça, c’est peut-être aussi encore là, une manière cool de finir un texte là.
En bref, Alaa et Frédérique se démarquent des autres lecteurs classés dans le profil B par
leur capacité à établir des liens entre certains éléments du texte et des connaissances
personnelles. Malgré leur non-considération de plusieurs indices du texte, ils réussissent à
justifier leur point de vue, ce qui en augmente certainement la crédibilité.
4.2.4 Les insuccès des élèves du profil C dans leurs tentatives de prouver leur
interprétation
Étant donné qu’ils inventent certaines informations dont il n’est pas question dans le texte
pour combler leurs incompréhensions, les élèves du profil C butent lorsqu’ils doivent se
référer au texte pour répondre à l’intervieweur. Une question posée à Marc-Étienne permet
de comprendre qu’il n’envisage pas que l’histoire puisse être invraisemblable. Sa
représentation du type de récit nuit à sa compréhension et le pousse à tirer des déductions
erronées en utilisant certains passages du texte comme point de départ pour se construire
une logique. Il affirme que si ce sont réellement des chevaliers qui se font frapper par un
train (et non des automobiles comme le veut son hypothèse), il s’agirait de gens déguisés
pour l’Halloween :
I : Ok, parce que ça pourrait pas être des chevaliers qui sont frappés par un
train?
é : Ouais parce que c’est comme deux époques vraiment distinctes entre les
deux.
I : Ok, ok, j’comprends ce que tu veux dire.
81
Quelques secondes de silence.
I : Bien as-tu l’impression de mieux comprendre un peu maintenant?
é : Ouais, un peu mieux ouais.
I : Ok. Est-ce que ça se pourrait que ce soit des chevaliers qui se fassent
frapper par un train?
é : Si ce serait des chevaliers, y seraient comme mettons à une fête
Halloween, mettons comme une fête déguisée, sinon ce serait pas plausible,
dans la vraie vie parce que des chevaliers…
La recherche d’une vraisemblance à l’histoire semble également inciter Pier-Olivier à
inventer des informations et à surinterpréter. Ainsi, lorsque l’aide de l’intervieweur lui
permet progressivement de comprendre que les personnages sont réellement des chevaliers
et non des moustiques, la logique créée par l’adolescent s’écroule et sa compréhension s’en
trouve fragilisée :
I : Ok, qu’est-ce qui fait que c’est invraisemblable?
é : Que, des chevaliers tentent de combattre un dragon.
I : Ok.
é : Que, le dragon c’est invraisemblable puis chevaliers c’est plus
vraiment…
I : Est-ce qu’y a vraiment un dragon dans le texte finalement?
é : Non.
I : Ok, quoi d’autre est invraisemblable outre le fait que les chevaliers
veulent combattre une créature qui n’existe pas?
é : Euh le fait que y’ait des chevaliers dans l’époque de train.
I : Ok.
é : C’est plus invraisemblable.
Jean-Sébastien, qui considère le dragon et le train comme deux entités distinctes, cherche
lui aussi un sens logique à l’histoire. Il établit que les armures contenant les squelettes des
chevaliers étaient demeurées au sol pendant des siècles et il s’accroche à cette
compréhension erronée lorsqu’il répond aux questions de l’intervieweur. Tout comme les
autres élèves classés dans ce profil, il invente donc des informations et crée de faux liens
entre certains éléments :
I : (rires) Maintenant euh ligne 37 à 39, quand on dit Le Temps n’existe pas.
Euh… Sur cette terre ingrate, le Temps n’existe pas. D’après toi, pourquoi
le, l’auteur a dit ça, que le Temps n’existe pas?
Quelques secondes de silence.
é : Bien… comme un peu, bien c’est une, c’est une prière un peu là. Parce
que garde, Le Temps existe pas, y’a comme le, le…
I : Le trois petits points.
82
é : Ouais, c’est ça comme si y continuerait sa prière, puis y finit sa prière, sa
prière par Que Dieu nous protège. C’est une prière pour euh… Avant les
combats, les affaires de même.
I : Ok. Ce serait une façon comme de…
é : De se protéger.
I : De souhaiter que ça va bien se passer?
é : Ouais.
Enfin, Emma se démarque des autres lecteurs classés dans le profil C parce qu’elle se
montre ouverte à l’invraisemblance de l’histoire et parce qu’elle appuie son interprétation
sur quelques éléments du texte. Toutefois, elle n’associe pas le dragon et le train comme un
seul tout et cette lacune la pousse à surinterpréter, d’où le fait qu’elle soit classée dans le
profil C. En effet, ses difficultés de compréhension la mènent sur une fausse piste : elle
croit que les chevaliers sont d’abord tués par un dragon, puis par un train. Toutefois, elle
comprend très bien le caractère fantastique de l’histoire et propose des réflexions
intéressantes lorsque l’intervieweur la questionne à propos des passages clés du texte :
I : Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air
froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais. On parle
du euh… du train. Pourquoi on dit que le train eut disparu à tout jamais,
d’après toi?
é : Je sais pas, peut-être que c’est lui qui était pas dans la bonne époque, puis
qu’y a disparu.
I : Le train qui n’était pas dans la bonne époque?
é : Y’était passager dans leur époque dans le fond, je sais pas.
I : Ok.
é : Parce qu’y disparait à tout jamais.
I : Le train ça aurait été l’intrus et non les chevaliers?
é : Bien…
I : Peut-être.
é : Si j’veux comprendre cette phrase-là, j’ai pas le choix de changer des
hypothèses là.
I : Ok, mais tu changes pas tant d’hypothèse, tu dis juste qu’au lieu que ce
soit les corps des chevaliers…
é : Ouais.
I : Qui se feraient déporter, tu sais, à l’époque des trains, ce serait le train qui
ferait un petit passage à l’époque des chevaliers.
[…]
I : Ok, puis hum, les lignes 37 à 39, Neuf cents ans se sont écoulés depuis la
Naissance du Christ. Ce n’est pas vrai murmura le second chevalier en
fermant les yeux. Sur cette terre ingrate, le Temps n’existe pas. Pourquoi on
dit que le Temps n’existe pas?
[…]
83
é : Ça veut dire que c’est comme normal que ça se passe de même, je sais
pas.
I : Ok, qu’est-ce que tu veux dire?
é : Bien, c’est normal que genre des, tout se mélange.
I : Le mélange des époques?
é : Ouais parce que le Temps n’existe pas, donc les époques peuvent se
rencontrer puis c’est pas grave.
En somme, les participants à l’étude classés dans le profil C construisent leur hypothèse
interprétative par l’intermédiaire d’informations tirées du texte, certaines justes et d’autres,
erronées. Lorsqu’ils lient des informations véridiques à des informations inexactes, une
interprétation biaisée se manifeste comme résultat final.
4.2.5 Le « silence interprétatif » de l’élève du profil D
Catherine évoque une piste intéressante, soit le fait que deux époques se confondent dans
une histoire invraisemblable, mais n’y revient pas par la suite. En d’autres termes, elle
semble sur le point de construire une hypothèse intéressante, mais elle l’écarte,
possiblement parce qu’elle n’y voit pas de logique :
é : Non. Mais c’est peut-être carrément dans le fantastique, peut-être qu’y
ont inventé là, peut-être quand qu’y ont composé l’histoire là.
I : Ok, qui aurait inventé quoi?
é : Bien l’auteur qui aurait…
I : (rires)
é : confondu deux époques, (rires) je le sais pas là.
Lorsqu’elle doit répondre à des questions qui réfèrent aux passages clés du texte, cette
lectrice formule des réponses qui témoignent d’un faible degré de compréhension.
Contrairement aux élèves du profil C, qui inventent des épisodes à l’histoire pour se
construire leur propre cohérence – ce qui donne lieu à de la surinterprétation –, Catherine
choisit de s’en tenir aux parties de l’histoire qu’elle croit comprendre. Malgré cette
restriction, elle extrapole elle aussi, mais développe moins ses hypothèses. Ses réponses
aux questions d’interprétation sont plutôt brèves et elle semble hésitante :
I : Ok, (rires) puis le train, pourquoi y disparaitrait à tout jamais, d’après toi?
é : Euh, peut-être pour pas avoir à, à retourner dans cette ville-là ou dans,
dans cet endroit-là où est-ce qu’y a le monstre.
84
I : Ok, puis hum pourquoi on dirait aux lignes 37 à 39 que le Temps n’existe
pas? Y’a un personnage qui dit à l’autre que Sur cette terre ingrate, le Temps
n’existe pas.
[…]
é : C’est que bien, y’ont le temps de… peut-être qu’y se demandaient si y
devaient aller rencontrer le che… le dragon ou pas. Parce que peut-être qu’y
en avaient peur. Puis y’en a un qui était peut-être plus courageux que l’autre
puis y’a dit garde, on a le temps puis tu sais, le, le temps n’existe pas là, on
peut prendre le, le…
I : Le temps qu’y faut.
é : Les minutes qu’y faut pour aller le…
I : Ok.
é : Le rencontrer là, on perd rien.
Nous sommes d’avis que Catherine, au même titre que certains élèves des autres profils qui
ne sont pas parvenus à prouver leur interprétation, aurait été avantagée par un contexte
différent de celui de l’étude. Si elle avait disposé de davantage de temps pour relire et
annoter le texte et si elle n’avait pas eu à s’arrêter pendant sa lecture pour exprimer ses
commentaires à voix haute, sa compréhension de l’histoire aurait pu être plus approfondie
et il aurait été plus facile pour elle de proposer des pistes d’interprétation.
4.3 L’influence de la compréhension de la nouvelle Dragon sur l’interprétation pour
chacun des profils
Des liens étroits s’observent entre le degré de compréhension de la nouvelle littéraire
Dragon par les participants et les interprétations qu’ils verbalisent.
4.3.1 Le profil A : quand compréhension assurée rime avec interprétation pertinente
La compréhension globale des élèves du profil A est adéquate : ils comprennent
l’association entre le dragon et le train et ils saisissent que les personnages sont réellement
des chevaliers malgré la présence d’un train à la fin de l’histoire. Les adolescents
constituant ce groupe de l’échantillon semblent conscients que l’histoire peut être
invraisemblable. En effet, ils acceptent l’idée que des éléments associés à deux époques
distinctes (les chevaliers et le train) puissent cohabiter dans le même récit. Selon les critères
qui valident une interprétation (Jouve, 2001; Reuter, 2001), les élèves du profil A sont ceux
qui proposent l’hypothèse interprétative la plus plausible. En effet, plusieurs éléments du
texte mentionnés précédemment l’appuient. Le narrateur, non participant, décrit une
ambiance invraisemblable au début du récit : rien du décor ne bougeait sauf l’herbe soufflée
85
légèrement par le vent; aucun oiseau n’avait volé à cet endroit depuis des siècles; les pierres
ne s’étaient pas déplacées par quelque mouvement que ce soit depuis une éternité. De plus,
le narrateur mentionne que les chevaliers endossent des armures, possèdent des épées et des
lances, montent des chevaux. Or, il serait très difficile de se doter d’un tel attirail des
siècles après qu’on eut cessé de s’en servir pour se battre. Ajoutons qu’on raconte à la fin
du récit que le train disparait pour toujours. Le choix de mot – à tout jamais – ne peut
simplement signifier que le train n’est plus visible, d’autant plus qu’il relève du narrateur et
que ce dernier n’est pas impliqué dans l’histoire.
Du point de vue des personnages, un chevalier mentionne que personne ne sait d’où arrive
le dragon (le train) et où il se rend puisqu’il disparait. Or, si les lieux étaient réels,
quelqu’un finirait bien par observer à quel endroit il se dirige. De plus, un des chefs de train
affirme à son collègue qu’il souhaite continuer son chemin parce que la lande l’effraie et
qu’il n’a rien vu la dernière fois que la situation s’est produite et qu’il s’est arrêté. Nous
pouvons donc penser que le train, aussitôt qu’il frappe les chevaliers, quitte l’univers irréel
de la lande et retourne à son époque. Sinon, il serait étonnant qu’un des chefs de train qui
jure avoir happé un chevalier en armure ne voie plus rien une fois le train immobilisé.
Enfin, un combattant affirme à son complice que le Temps n’existe pas. Cette déclaration
ne prouve rien, mais il s’agit d’un indice qui, amalgamé aux autres, oriente le lecteur vers
l’hypothèse d’un voyage dans le temps par le train ou d’un mélange d’époques. En résumé,
les lecteurs du profil A formulent des interprétations très plausibles qui vont de pair avec
leur compréhension assurée de l’histoire.
4.3.2 Le profil B : une compréhension adéquate, mais une interprétation qui fait fi
de certains éléments du texte
La compréhension globale des élèves du profil B est plutôt adéquate parce qu’ils
comprennent que le dragon et le train ne font qu’un, c’est-à-dire qu’il n’y a pas réellement
de dragon dans l’histoire. Cependant, ils ne croient pas que les personnages sont vraiment
des chevaliers. Ils considèrent l’histoire comme vraisemblable et y cherchent une logique.
Plus précisément, contrairement aux élèves du profil A, ils semblent exclure la possibilité
que des éléments associés à deux époques différentes se côtoient dans un même récit. Les
lecteurs classés dans le profil B proposent une interprétation que nous considérons comme
86
moyennement plausible. En effet, bien qu’elle soit appuyée par quelques éléments du texte,
des passages précédemment cités – les mêmes qui renforcent l’hypothèse des élèves du
profil A – la contredisent de manière plus ou moins explicite (Jouve, 2001; Reuter, 2001).
Mais il y a plus : s’il est difficile pour qui que ce soit de se procurer un équipement de
chevalerie à l’époque moderne, ce l’est d’autant plus pour des fous… Enfin, les indices
énoncés par le narrateur ne mentent pas parce qu’il ne participe pas à l’histoire. D’aucuns
diront que c’est ce même narrateur qui laisse croire au lecteur qu’un dragon fait partie de
l’histoire. Mais il guide tout de même le lecteur vers l’association dragon-train explicitée à
la toute fin du récit. À l’inverse, le narrateur n’énonce aucun indice qui pourrait mener le
lecteur vers une remise en question de l’ambiance surnaturelle décrite au début de
l’histoire. Au final, les élèves du profil B, bien qu’ils comprennent plutôt adéquatement
l’histoire, ne tiennent pas compte de l’ensemble des indices présents dans le texte pour
l’interpréter, ce qui diminue quelque peu la plausibilité de leur hypothèse.
4.3.3 Les profils C et D : quand la difficulté à lier des éléments du texte entre eux
entraine une escalade de déductions erronées ou stoppe l’imagination
La compréhension globale des élèves du profil C est inadéquate : soit ils ne comprennent
pas l’association entre le dragon et le train, soit ils attribuent une identité farfelue aux
chevaliers. Ils ont également la particularité d’esquiver certains éléments du texte et de les
substituer par des segments d’histoire inventés. Autrement dit, ils surinterprètent pour
expliquer « l’inexplicable ». Trois des quatre élèves classés dans ce profil recherchent une
vraisemblance à l’histoire (comme les élèves du profil B) tandis qu’un seul est ouvert à
l’invraisemblance (comme les élèves du profil A). Bref, les lecteurs inclus dans le profil C,
dont la compréhension de l’histoire est lacunaire, suggèrent des hypothèses interprétatives
qui ne sont pas plausibles selon les critères de validité d’une interprétation proposés par
Jouve (2001) et Reuter (2001). Certains éléments du texte leur servent de point de départ
pour élaborer leur hypothèse. Cependant, leurs difficultés liées aux processus d’intégration
les mènent à construire une chaine de liens qui s’éloignent de plus en plus du contenu du
texte et se rapprochent de plus en plus de leur imaginaire.
Pour ce qui est de l’élève classée dans le profil D, comme la plupart des élèves des profils
B et C, elle recherche une vraisemblance à l’histoire. Et à l’instar des élèves du profil C,
87
elle éprouve des difficultés majeures de compréhension, c’est-à-dire que non seulement elle
n’établit pas le lien entre le dragon et le train, mais elle ne considère pas qu’il y a un train
dans l’histoire. Cependant, plutôt que d’inventer des éléments à l’histoire comme l’ont fait
les lecteurs du profil C, elle choisit de s’abstenir de proposer quelque forme d’hypothèse
interprétative que ce soit. Dans son cas, les difficultés à activer des processus d’élaboration
ne mènent pas à un éloignement du contenu du texte. Au contraire, elles freinent la
verbalisation.
4.4 Bilan des résultats présentés
Le tableau suivant compile les caractéristiques de chacun des profils d’interprètes créés. La
première colonne présente un résumé des interprétations singularisant chaque profil. Les
deuxième et troisième colonnes indiquent si l’hypothèse interprétative associée à un profil
est plausible et si la compréhension est adéquate. Tel que mentionné préalablement, la
plausibilité des interprétations a été déterminée en fonction du fait qu’elles devaient
s’appuyer sur le plus grand nombre possible d’éléments du texte et ne devaient être
contredites par aucun élément du texte. Pour ce qui est de la compréhension de l’histoire,
elle a été considérée adéquate lorsque les participants établissaient le lien entre le dragon et
le train et lorsqu’ils attribuaient une identité plausible aux chevaliers (de vrais chevaliers ou
des fous). La quatrième colonne indique le nombre d’élèves par profil qui ont appuyé ou
non leur interprétation sur des éléments du texte ou sur des connaissances personnelles
pertinentes. Rappelons que ce décompte s’est effectué par l’intermédiaire de l’analyse des
réponses des élèves à deux questions d’interprétation qui couvraient des enjeux importants
de l’histoire33. Enfin, la dernière colonne annonce simplement si les élèves d’un profil
donné ont reconnu l’invraisemblance de l’histoire ou s’ils ont plutôt cherché une
vraisemblance. Pour dégager cette observation, nous nous sommes référée à l’hypothèse
interprétative qu’ils avaient retenue au terme de leur rencontre avec l’intervieweur.
33 Voir l’annexe C pour un résumé des réponses de chacun des élèves de l’échantillon à ces deux questions.
88
Tableau 2: Comparaison du niveau de compréhension globale et de la pertinence de l’interprétation des quatre profils
d’interprètes
Profils
d’interprètes
L’interprétation formulée
est-elle plausible?
La compréhension
globale est elle
adéquate?
L’interprétation s’appuie-t-elle
sur des éléments du texte ou sur
des connaissances personnelles
pertinentes?
Observations
Profil A
(27 élèves/39)
Mélange d’époques
OU
Voyage dans le
temps (effectué par
le train ou par les
chevaliers)
OUI :
Plusieurs passages du texte,
notamment l’ambiance
décrite par le narrateur au
début de l’histoire,
suggèrent fortement un
univers fantastique.
OUI :
Comprennent le lien
entre le dragon et le
train et comprennent
que les personnages
sont réellement des
chevaliers.
OUI (17 élèves/2334) :
Renforcent leur hypothèse avec
des passages clés et des
connaissances personnelles
pertinentes liées à l’univers
fantastique.
NON (6 élèves/23) :
Ne réfèrent pas explicitement aux
indices du texte pour prouver leur
interprétation.
Reconnaissent
l’invraisemblance
de l’histoire.
34 Les huit élèves à qui aucune des deux questions d’interprétation ciblées n’a été posée ont été exclus de l’échantillon pour cette partie de l’analyse. 31 élèves sur
39 ont donc été retenus.
89
Profil B
(1335 élèves/39)
Dérèglement
psychologique des
chevaliers
PLUS OU MOINS :
L’hypothèse des
personnages fous implique
un univers vraisemblable
qui cadre plus ou moins
avec l’ambiance fantastique
suggérée par certains
passages du texte,
notamment la description de
la lande.
OUI :
Comprennent le lien
entre le dragon et le
train et attribuent une
identité plausible aux
chevaliers (des fous).
OUI (2 élèves/9) :
Appuient leur hypothèse sur
certains passages clés ou sur des
connaissances personnelles
pertinentes liées à la psychologie.
NON (7 élèves/9) :
Sont confondus par les passages
clés.
Recherchent une
vraisemblance à
l’histoire.
Profil C
(4 élèves/39)
Chevaliers frappés
d’abord par un
dragon, puis par un
train OU
Chevaliers frappés
par un train =
comparaison ou
métaphore de
l’auteur
NON :
L’hypothèse selon laquelle
il y a un dragon dans
l’histoire peut être
contredite par plusieurs
indices du texte. Le fait
d’évoquer une collision
entre autres choses qu’un
train et des personnages
peut également être
contredit par le texte.
NON :
Croient qu’il y a un
dragon et un train
dans l’histoire (deux
élèves) ou attribuent
une identité erronée
aux chevaliers (deux
élèves).
OUI (1 élève/3) :
Appuie son hypothèse sur certains
éléments du texte, mais invente
tout de même des segments à
l’histoire.
NON (2 élèves/3) :
Inventent des segments à
l’histoire.
Recherchent une
vraisemblance à
l’histoire (sauf un
élève).
35 Six élèves ont été classés deux profils (A et B) parce qu’ils ont retenu deux hypothèses interprétatives au terme de leur rencontre avec l’intervieweur. Cette
considération explique que le total des élèves classés dans chaque profil excède 39.
90
Profil D
(1 élève/39)
Peu de propositions
d’interprétations
N/A :
L’élève n’a pas
suffisamment étoffé ses
hypothèses interprétatives
pour que nous puissions les
rapporter.
NON :
Croit que les
chevaliers combattent
réellement un dragon
et ne considère pas
qu’il y a un train dans
l’histoire.
N/A (1 élève/1) :
L’élève n’a pas suffisamment
étoffé ses hypothèses
interprétatives pour que nous
puissions les rapporter.
Recherche une
vraisemblance à
l’histoire.
91
CHAPITRE 5: INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES
RÉSULTATS
Dans ce chapitre, nous proposerons des pistes explicatives liées à chacun des principaux résultats
ayant émergé de notre analyse. Plus précisément, nous tenterons d’expliquer dans quelle mesure
la compréhension adéquate du texte Dragon et l’appui sur des éléments de ce texte ont contribué
à son interprétation. Nous discuterons également de l’importance d’établir des critères de validité
d’une interprétation pour juger de la pertinence des hypothèses proposées par les élèves. Enfin,
notre analyse de l’impact des particularités du texte soumis aux élèves sur leur compréhension
servira de transition vers la dernière section, dans laquelle nous présenterons succinctement les
éléments qui semblent avoir nui à l’interprétation de Dragon par les participants.
5.1 La compréhension globale d’un texte : un tremplin pour les hypothèses
interprétatives
Parmi les 39 élèves de notre échantillon, nous observons que les bons compreneurs de la nouvelle
Dragon tendent à être de bons interprètes. En effet, nous avons considéré que les élèves du profil
A ont formulé les interprétations les plus plausibles – un voyage dans le temps ou un mélange
d’époques. Au terme de leur rencontre, ces élèves avaient tous réussi à inférer l’association entre
le dragon et le train et à déterminer que les personnages étaient de vrais chevaliers, ce qui faisait
foi d’une compréhension globale adéquate. Les élèves du profil B ont proposé une interprétation
que nous avons considérée comme moyennement plausible – un dérèglement psychologique des
chevaliers – et ont relativement bien compris l’histoire. En fait, ils ont mobilisé des processus
d’intégration pour lier le dragon au train et ont attribué une identité plutôt crédible aux
personnages principaux : des fous, des fanatiques de Donjons et Dragons, des idiots ou des
hommes isolés de la population. Certes, plusieurs indices du texte laissent croire qu’il s’agit
réellement de chevaliers, mais nous avons tout de même considéré la compréhension des élèves
de ce profil comme plutôt adéquate. En somme, il semble qu’une tendance (et non une équation)
se dégage : la compréhension assurée de l’histoire a favorisé la formulation d’interprétations
pertinentes. Plus précisément, comprendre que le dragon est un train et que les personnages sont
des chevaliers assurait une représentation globale adéquate du récit par le lecteur. Et
l’établissement de ces liens ouvrait la porte à une réflexion pour tenter d’expliquer la présence
92
d’un train à l’époque du Moyen Âge. En effet, la compréhension d’un lecteur alimente son
interprétation et inversement (Tauveron, 1999).
Parallèlement, nous remarquons que les mauvais compreneurs de la nouvelle Dragon ont été de
mauvais interprètes. Plus précisément, les élèves des profils C et D, qui ne sont pas parvenus à
comprendre l’association entre le dragon et le train ou à comprendre l’identité des chevaliers –
deux enjeux centraux – ont inventé des segments à l’histoire (surinterprétation) (profil C) ou
n’ont pratiquement pas verbalisé d’hypothèses interprétatives (profil D). Les lecteurs du profil C
qui ont cru que les chevaliers étaient heurtés à deux reprises – par un dragon et par un train – ont
élaboré des interprétations qui allaient de pair avec cette représentation. Par exemple, Jean-
Sébastien a proposé que les cadavres des chevaliers tués par le dragon étaient demeurés au sol
pendant des siècles jusqu’au jour où un train aurait happé leur squelette. Cette hypothèse
interprétative plutôt farfelue est étroitement liée au fait qu’il n’a pas intégré les éléments du texte
qui permettaient d’associer le dragon et le train. Cette difficulté à comprendre les enjeux de
l’histoire a complexifié grandement la tâche de répondre aux questions d’interprétation qui
référaient directement aux passages clés. Pour ce qui est de la lectrice du profil D, elle n’est pas
parvenue à choisir et à combiner des éléments pertinents du texte pour dégager un sens global
plausible. En effet, puisqu’elle n’a pas su activer les processus d’intégration nécessaires pour
inférer l’association entre le dragon et le train, elle a cru qu’il y avait réellement une créature
dans l’histoire et que cette dernière était responsable de la mort des chevaliers. Lorsque
l’intervieweur l’a questionnée sur la mention d’un train à la fin du récit, elle a semblé d’autant
plus confuse qu’elle avait écarté de son résumé cet élément du texte. Bref, elle a échoué à
l’assemblage final des pièces du casse-tête, sa compréhension semblant en ilots (Fayol, 2000).
Conséquence : ses réponses aux questions d’interprétation ont été plutôt laborieuses.
5.2 S’appuyer sur le texte : une attitude propice à la formulation d’interprétations
pertinentes
Les élèves qui ont formulé des interprétations pertinentes (profil A) ou moyennement pertinentes
(profil B) ne réussissent pas tous à s’appuyer sur des éléments du texte ou, du moins, à expliciter
verbalement cet appui. Bien qu’une majorité des lecteurs inclus dans le profil A (17 élèves/23) et
une minorité de ceux inclus dans le profil B (2 élèves/9) y parviennent, il n’en demeure pas
moins que certains des bons interprètes n’ont pas su prouver leur hypothèse. Ils ont tiré profit du
93
texte pour entamer leur réflexion, mais ne s’en sont pas suffisamment servi par la suite pour
étoffer leur interprétation36 (ils se sont fiés à leur intuition), tendance soulevée par Vaubourg
(2007). Par exemple, des élèves du profil A ont reconnu la présence, dans la même histoire,
d’éléments du Moyen Âge (ex. : un château, des chevaliers en armures) et d’éléments propres aux
années 1800 ou 1900 (ex. : un train alimenté au charbon). Ce constat les a menés à proposer
l’hypothèse interprétative d’un mélange d’époques. Or, ils ne sont pas retournés au texte pour
repérer des indices qui les auraient pistés pour expliquer pourquoi ce mélange d’époques
survient (notamment la description de la lande comme un lieu surnaturel et le fait que personne
ne voit jamais où se rend le train). La prise en compte d’un plus grand nombre d’indices laissés
par l’auteur leur aurait probablement permis d’étoffer leur hypothèse. Somme toute, nous croyons
que les élèves qui ont été en mesure d’expliquer le sens de plusieurs des phrases du texte à propos
desquelles nous les avons questionnés ont interprété l’histoire de manière plus approfondie que
leurs pairs qui n’y sont pas parvenus. En effet, nous considérons que plus l’interprétation
proposée par un élève s’appuie sur une quantité élevée d’éléments du texte, et plus ces éléments
sont des preuves de qualité, plus elle est plausible.
Si notre étude nous a menée à regrouper les élèves en profils après avoir analysé les
transcriptions de leur rencontre avec un intervieweur, nous sommes consciente des limites de ce
type de classement. En effet, comme nous avons retenu les interprétations finales des élèves pour
les catégoriser, il est possible que certains aient été inclus dans les profils A ou B à cause de
certaines déclarations pertinentes, et ce, malgré quelques « trous » dans leur compréhension. Les
limites de notre démarche de recherche pourraient donc expliquer en partie que des élèves dont
l’interprétation retenue a été considérée comme pertinente n’aient pas réussi à la justifier par
l’intermédiaire du texte.
Il est beaucoup plus simple de comprendre pourquoi les élèves des profils C et D n’ont
globalement pas appuyé leur interprétation sur des éléments du texte. En effet, puisqu’ils
tendaient, d’une part, à inventer des informations pour combler des vides dans leur
36 C’est possible qu’ils n’aient simplement pas réussi à verbaliser leur appui sur des éléments du texte. Le cas
échéant, la difficulté serait d’ordre métacognitif : il y a toujours un écart entre ce qu’un élève peut effectuer et sa
capacité à expliquer ce qu’il fait.
94
compréhension et, d’autre part, à lier entre elles des informations du texte incompatibles, il leur
était difficile de répondre aux questions d’interprétation qui référaient directement à des segments
du texte, ceux-ci s’éloignant parfois de leurs propositions. Devant l’impasse, ils ont donc répondu
aux questions d’interprétation à l’aide d’éléments « inventés », pris hors du texte, plutôt que de se
référer au texte lui-même, problème soulevé par Soussi et al. (2007). Le cas de Pier-Olivier
illustre bien cette tendance à trop s’éloigner du texte. Le fait que le narrateur raconte que les
chevaliers se font écraser par un train évoque pour lui un moustique frappé par un train. Il en
déduit que l’auteur compare peut-être les chevaliers à des moustiques. Cette information provient
des pensées de l’élève, mais n’est corroborée en aucun point par le texte. Jean-Sébastien, quant à
lui, met en relation différents éléments du texte, mais en sélectionne certains qui sont
inconciliables. Par exemple, le fait qu’un chef de train soit impressionné par la présence d’un
chevalier en armure signifie nécessairement pour lui que plusieurs siècles se sont écoulés entre le
début et la fin de l’histoire. Il a combiné deux informations du texte pour développer un
raisonnement erroné. Helder et al. (2013) nomment ce type d’élèves les elaborators : ils
produisent bon nombre d’inférences, mais les éléments du texte qu’ils lient entre eux sont
incompatibles. Bref, les lecteurs classés dans le profil C tantôt ont marié certains indices du texte
qui n’avaient aucun lien entre eux, tantôt sont sortis complètement de ce que suggérait le texte
pour essayer de construire leur propre logique, leur propre histoire.
5.3 Les critères de validité d’une interprétation : une balise pour évaluer la nécessité (ou
non) d’aller au-delà du texte pour interpréter
La nouvelle Dragon, qui représentait un défi de lecture pour les adolescents rencontrés, a soulevé
diverses interprétations. Si ce texte avait été soumis à des lecteurs experts plutôt qu’à des lecteurs
en apprentissage, les chances d’arriver à une interprétation partagée par une majorité auraient été
plus élevées. En effet, les deux premiers critères pour valider une interprétation (elle doit
s’appuyer sur le plus grand nombre possible d’éléments du texte et elle ne doit être contredite par
aucun élément du texte) suffisent pour renforcer l’idée du voyage dans le temps ou du mélange
d’époques. Si le lecteur avait dû puiser des ressources à l’extérieur du texte pour l’interpréter,
notamment en s’appuyant sur des référents partagés tels que la vie de l’auteur, nous aurions
considéré le texte comme insuffisant pour trancher (Jouve, 2001; Reuter, 2001). Dans le cas de
Dragon, le recours au dernier critère, bien que non obligatoire, nous menait à consulter la
biographie de l’auteur, Ray Bradbury, et à réaliser qu’il écrit généralement des textes
95
fantastiques. En d’autres termes, le troisième critère confortait l’interprétation selon laquelle deux
époques se rencontrent, mais il n’était pas nécessaire de s’y référer pour retenir cette hypothèse.
Somme toute, les critères de validité permettent de considérer les interprétations proposées par
les élèves du profil A comme les plus plausibles. L’hypothèse du dérèglement psychologique des
chevaliers (profil B) arrive bonne deuxième par rapport à sa plausibilité : les élèves l’ayant
proposée se sont appuyés sur quelques éléments du texte, mais en ont ignoré d’autres. Quant aux
interprétations des élèves des profils C et D, elles ne peuvent être validées par aucun critère parce
qu’elles s’éloignent trop du texte. En contrepartie, rappelons que les élèves rencontrés sont des
lecteurs en apprentissage et que les inférences à effectuer pour arriver à l’hypothèse du voyage
dans le temps étaient complexes (Giasson, 2007). Pour comprendre qu’il n’y a pas de balises de
temps dans le texte, le lecteur devait notamment remarquer les choix lexicaux de l’auteur pour
décrire la lande au début du texte, qui convergeaient vers une ambiance fantastique. Il devait
également porter une attention particulière au passage suivant : sur cette terre ingrate, le Temps
n’existe pas. Or, pour certains élèves, ces segments ont pu sembler banals et passer inaperçus.
Pour déduire que le train voyage dans le temps, il était pertinent de se pencher sur la dernière
phrase du texte dans laquelle le narrateur raconte que le train disparait à tout jamais. Il est tout à
fait normal que des élèves aient simplement compris de cette finale que le train ne reviendra plus,
sans pousser la réflexion plus loin, et ce, surtout s’ils ne l’ont pas liée à d’autres éléments du
texte. Si chaque passage, considéré indépendamment des autres, pouvait sembler anodin, c’est
plutôt la combinaison des indices du texte qui permettait de construire une interprétation
plausible, d’où la difficulté.
Pour ces raisons, le texte soumis, qui est à priori une nouvelle réticente, s’est aussi révélé une
nouvelle proliférante pour les élèves. La réticence s’explique par la saisie de l’intrigue qui n’était
pas immédiate, l’auteur ayant usé de tactiques pour semer le doute chez le lecteur (Tauveron,
2001). En effet, Bradbury a inséré tout au long du récit des caractéristiques ambigües pouvant
référer autant à un train qu’à un dragon. Ce défi de compréhension a provoqué un défi
d’interprétation pour les apprenants : Pourquoi un train se retrouverait-il à l’époque des
chevaliers? Les chevaliers en sont-ils vraiment? Le texte se déroule-t-il réellement à deux
époques différentes? Dans les faits, la nouvelle Dragon s’est donc avérée un double défi de
compréhension et d’interprétation pour des lecteurs de 14 à 17 ans.
96
Pour les élèves qui ont compris que l’histoire impliquait un voyage dans le temps ou un mélange
d’époques (profil A), la mobilisation d’inférences créatives (Giasson, 2007) permettait
d’imaginer de quelle manière (grâce à quel dispositif) le train voyageait dans le temps. Cette
réflexion n’était pas essentielle pour comprendre le texte, mais intéressante dans une optique
d’approfondissement. Comment le train procède-t-il pour changer d’époque? Y a-t-il des rails
sous le train? Le train en était-il à son premier voyage dans le temps? Ces questions, posées à
certains élèves du profil A, leur ont permis d’exercer leur créativité pour visualiser certaines
scènes, les lecteurs entretenant un lien unique avec le texte (Rosenblatt, 1978). Aller au-delà du
texte a donc été rentable pour certains élèves du profil A : leurs réponses aux deux questions
d’interprétation analysées se sont révélées plus précises et plus développées que celles des autres
élèves de l’échantillon. Même remarque pour quelques élèves du profil B, qui ont proposé des
pistes intéressantes par rapport à l’état psychologique des personnages. En effet, les hypothèses
selon lesquelles les deux combattants étaient schizophrènes ou extrémistes, par exemple,
témoignent de certaines connaissances sur le monde, plus précisément en psychologie du
comportement. Les lecteurs classés dans le profil C sont eux aussi allés au-delà du contenu du
texte, mais ils ont comblé certains vides par des informations qu’ils ont extrapolées, ce qui a créé
une rupture entre les éléments du texte et les éléments hors texte. Leur hypothèse pouvait donc
être contredite par certains passages du texte.
Inversement, d’autres élèves des profils A et B se sont plutôt limités à ce qu’ils trouvaient dans le
texte. Ils auraient gagné à étoffer davantage leur interprétation, mais ont plutôt agi de manière
prudente pour s’assurer de ne pas induire du texte des informations superflues. Même constat
pour l’élève du profil D, qui a tenté le plus possible de demeurer fidèle au contenu du texte. En
résumé, les deux postures d’interprètes proposées par Helder et al. (2013) ont été observées chez
les lecteurs rencontrés. Tous les adolescents du profil C s’apparentent à des elaborators (qui
tendent à sortir du texte) tandis que l’élève classée dans le profil D est plutôt un paraphraser (qui
souhaite demeurer fidèle au contenu du texte). Pour ce qui est des profils A et B, ils incluent à la
fois des lecteurs qui tendent vers l’élaboration que des lecteurs qui tendent vers la paraphrase.
5.4 Les singularités d’un texte : un frein à la compréhension?
Les élèves ayant proposé les interprétations les plus pertinentes (profil A) ont tous reconnu
l’invraisemblance de l’histoire. En fait, des interprétations telles qu’un voyage dans le temps ou
97
un mélange d’époques signifiaient nécessairement que les lecteurs avaient considéré l’histoire
comme invraisemblable. Nous croyons que tous les adolescents ayant participé à la recherche,
dès qu’ils ont entrepris leur lecture, avaient en tête – consciemment ou non – un éventail de
possibilités quant au fond et à la forme que le texte pouvait prendre. Cet éventail s’inspire de leur
expérience de lecteur et de leur expérience sur le monde. C’est ce que Langlade (2002) nomme le
vécu du lecteur.
Or, il semble que plusieurs participants (tous les élèves des profils B, C et D, sauf un) n’avaient
pas en tête que la nouvelle Dragon pouvait être invraisemblable, que l’histoire racontée pouvait
être irréaliste, qu’elle pouvait se dérouler dans un univers autre que le monde réel. La
construction de sens par ces lecteurs s’est donc effectuée par l’intermédiaire d’une recherche de
logique à l’histoire. Devant le mélange d’éléments n’appartenant pas à la même époque (des
chevaliers et un train), certains ont résolu le problème en établissant que les chevaliers étaient
plutôt des hommes fous, simplets ou extrémistes (profil B). Il n’y avait alors plus de mélange
d’époques : toutes les actions se déroulaient à l’ère moderne.
D’autres ont émis l’hypothèse que les chevaliers étaient des moustiques ou des automobiles
(profil C). Malgré le fait que cette idée soit plutôt farfelue et moins défendable que celle des fous,
ces élèves ont utilisé le même mode de résolution du problème posé par le texte que ceux du
profil B : éliminer le mélange d’époques. Pour ce qui est des adolescents qui ont cru que les
chevaliers étaient frappés par un dragon, puis par un train (profil C), nous ne pouvons pas
déterminer avec certitude si la non-association du dragon et du train les a menés à chercher une
logique à l’histoire ou si cette recherche de la vraisemblance n’a pas plutôt créé (ou contribué à
créer) les problèmes de compréhension. Nous croyons tout de même que cette dernière hypothèse
est la plus plausible. Plus précisément, le vécu de ces élèves (leur bagage de lecteur, mais aussi
leur expérience de vie) (Langlade, 2002) les a possiblement incités à chercher une explication
rationnelle à l’histoire. Par le fait même, ils n’ont pas suspecté que l’auteur puisse attribuer des
caractéristiques d’un dragon à un train. Selon Soussi et al. (2007), saisir l’intention de l’auteur
constitue d’ailleurs une tâche ardue pour les élèves en lecture. Pour expliquer la coexistence d’un
dragon et d’un train dans la même histoire, certains lecteurs du profil C ont opté pour un saut
dans le temps, une ellipse non explicitée par le texte. Selon eux, des milliers d’années se seraient
écoulés entre le début et la fin de l’histoire. Encore une fois, cette conception sous-entend une
98
recherche de vraisemblance. Même constat pour l’élève classée dans le profil D, pour qui la
tentative de construire une histoire vraisemblable a semblé générer d’importants problèmes de
compréhension.
La reconnaissance d’une particularité de la nouvelle littéraire lue – dans le cas présent, son
invraisemblance – a donc semblé favoriser la formulation d’une interprétation pertinente. En
effet, tel que mentionné précédemment, le texte soumis aux élèves de l’échantillon, Dragon, est
un texte réticent, voire proliférant, étant donné sa forme particulière et le défi de lecture qu’il
représente (Tauveron, 2001).
5.5 Bilan des éléments qui ont nui à l’interprétation des élèves
À la lumière de notre analyse, nous retenons que certains facteurs semblent avoir desservi les
adolescents lorsque ces derniers devaient formuler des hypothèses interprétatives.
5.5.1 Le format peu conventionnel du texte proposé
Le texte proposé était une nouvelle littéraire, genre qui est généralement enseigné en 4e
secondaire selon la Progression des apprentissages en français, langue d’enseignement (Careau,
Chartrand, Nolin, & Paret, 2011). Puisque les rencontres considérées dans notre collecte de
données ont été réalisées en fin d’année scolaire, une majorité des participants – des élèves de la
3e à la 5
e secondaire – devait connaitre ce genre. Or, la nouvelle proposée revêtait certaines
singularités. La première est le caractère invraisemblable de l’histoire. Plusieurs élèves
s’attendaient à une histoire vraisemblable. Plus encore, ils recherchaient une logique pour
expliquer la situation « impossible » à laquelle ils étaient confrontés – la rencontre entre des
chevaliers et un train. Cette difficulté nous laisse croire à deux possibilités : soit les adolescents
de notre échantillon étaient peu familiers avec les textes invraisemblables, soit ils n’ont tout
simplement pas envisagé cette possibilité pour la nouvelle Dragon.
La deuxième singularité du texte soumis était sa forme. Lorsqu’il est question de nouvelles
littéraires, plusieurs adolescents semblent attendre vers la fin de l’histoire le point de chute. Il
s’agit pour eux de l’aboutissement de la nouvelle. Dans le cas de Dragon, il y avait effectivement
un point de chute, soit la confirmation que le dragon évoqué tout au long du récit était plutôt un
train. Bien que l’auteur multipliait les indices en attribuant au dragon des caractéristiques qui
pourraient également concerner une locomotive, ce n’est qu’à la fin de l’histoire que le train était
99
officiellement nommé. Cette confirmation constituait en soit le bouleversement de l’histoire : ce
qui se dessinait comme un récit impliquant un combat entre des chevaliers et un dragon au
Moyen Âge devenait pour plusieurs élèves l’histoire d’un voyage dans le temps par un train qui
se retrouve à la mauvaise époque. Pour comprendre ce point de chute, il fallait retourner relire
des passages du texte afin de repérer les indices disséminés par l’auteur – opération qui
représente une difficulté importante chez plusieurs élèves (Vaubourg, 2007; Sauvaire, 2013).
Sans cette démarche, le lecteur pouvait difficilement comprendre la présence d’un train à la fin de
l’histoire. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains élèves qui n’ont pas construit le lien entre
le dragon et le train ont qualifié le texte lu de « nouvelle sans punch ». Au final, nous considérons
donc qu’un des principaux défis soulevés par la lecture de la nouvelle Dragon était de
comprendre que le dragon dont il était question tout au long du récit et le train évoqué à la fin ne
faisaient qu’un.
5.5.2 Les difficultés de compréhension
Pour comprendre le récit dans sa globalité, les lecteurs devaient inférer le lien entre le dragon et
le train en activant des processus d’intégration. Les élèves de notre échantillon qui ne sont pas
parvenus à combiner les indices laissés par l’auteur pour déduire que le dragon est un train
malgré l’aide de l’intervieweur ont éprouvé des difficultés à formuler des interprétations
pertinentes. En effet, les hypothèses interprétatives des adolescents s’appuyaient sur leur
compréhension de l’histoire, c’est-à-dire que la compréhension fournissait aux élèves des bases
qui alimentaient leur interprétation (Falardeau, 2003). Ainsi, les interprétations qui nous ont
semblé farfelues – les chevaliers sont plutôt des moustiques frappés par un train; ils sont des
automobiles happées par un train; ils sont frappés une première fois par un dragon et une
deuxième par un train – allaient de pair avec une compréhension déficitaire du texte. Dans le cas
de la nouvelle Dragon, les interprétations s’inspiraient directement de la compréhension du lien
entre le dragon et le train.
5.5.3 La prise en compte insuffisante des éléments du texte
La difficulté à retourner au texte pour répondre oralement aux questions posées par l’intervieweur
dans la deuxième partie des rencontres a également nui à plusieurs adolescents. Ceux-ci se fiaient
à leurs souvenirs du texte plutôt que de relire certains segments, attitude qui est ressortie de
l’enquête PISA menée en 2000 (OCDE, 2002) comme obstacle potentiel à la lecture. De surcroit,
100
les deux questions liées au critère interprétation sur lesquelles nous avons concentré notre
analyse étaient complexes. Elles impliquaient une réflexion qui tenait compte du texte dans son
ensemble et une relecture de certains passages. Des lecteurs y ont répondu spontanément, sans
même baisser les yeux vers le texte. D’autres ont tenté d’y répondre en cherchant la clé à un seul
endroit dans le texte, ce qui s’est avéré une stratégie peu féconde (Sauvaire, 2013). D’ailleurs, la
solution n’était pas en un seul point : il fallait combiner des éléments relevés à divers endroits
dans le texte pour comprendre que le dragon était un train, ce qui permettait ensuite de formuler
une interprétation pertinente.
La difficulté à aller au-delà du texte a aussi limité le développement des hypothèses
interprétatives de certains élèves rencontrés. À trop vouloir être fidèles au contenu du texte, ceux-
ci se sont empêchés d’élaborer leur interprétation. Martel (2003) nomme ce type de lecteurs les
« témoins » parce qu’ils s’en tiennent à ce qui est écrit. Ils évitent ainsi le risque de proposer une
hypothèse qui s’écarterait trop du texte, mais ils restreignent leur réflexion en contrepartie. À titre
d’exemple, lorsque les intervieweurs demandaient aux élèves pourquoi le train disparait à tout
jamais à la fin de l’histoire, la réponse ne se trouvait pas directement dans le texte. Il fallait plutôt
lier certains éléments du texte avec ses connaissances sur le monde ou sur les textes pour déduire
que le train retournait dans son époque à l’aide de la magie ou d’un dispositif quelconque.
5.5.4 Le format des entretiens semi-dirigés
Enfin, les adolescents n’étaient pas familiers avec le format des rencontres. Premièrement, ils
étaient seuls avec l’intervieweur plutôt que d’être dans une classe avec leur groupe entier comme
à l’habitude. Deuxièmement, ils n’étaient pas interrogés par leur enseignant de français, mais
plutôt par une figure pratiquement inconnue : l’intervieweur qu’ils avaient rencontré une seule
fois en début d’année pour la première phase de la recherche (les prétests). Troisièmement, ils
devaient verbaliser tout ce à quoi ils pensaient pendant qu’ils lisaient, procédure qui n’était pas
coutumière pour eux. De surcroit, puisque le texte à lire était difficile, les participants ont
employé une proportion importante de leurs ressources cognitives pour le lire et le comprendre,
ce qui a limité leurs verbalisations (Hilden & Pressley, 2011). Celles-ci ont également été
restreintes parce que les processus qui sont automatisés échappent au contrôle attentionnel des
lecteurs (Goigoux, 2000). Quatrièmement, les élèves devaient répondre aux questions oralement
alors qu’ils sont plutôt entrainés à répondre à l’écrit. Cinquièmement, le travail sur le texte
101
Dragon – la lecture et les réponses aux questions – ne comptait pas au bulletin : les élèves
rencontrés savaient très bien qu’ils participaient à un projet de recherche et non à un examen
sommatif. Leur motivation n’était donc peut-être pas élevée à son maximum, bien qu’il s’agisse
d’une hypothèse que nous ne pouvons vérifier. Enfin, le temps de chaque rencontre était limité,
ce qui a pu empêcher les intervieweurs de relancer les élèves qui répondaient trop brièvement à
certaines questions.
Tout compte fait, le format des rencontres, qui ne correspondait pas au fonctionnement quotidien
des adolescents, a pu engendrer des comportements de lecteurs non représentatifs de ceux qui
auraient normalement été observés dans un contexte naturel (Goigoux, Jarlégan, & Piquée, 2015).
Par exemple, certains adolescents qui auraient annoté et relu le texte en situation d’examen – de
leur propre aveu – ne l’ont pas fait dans le cas présent. Plus encore, la méthode de la pensée à
voix haute a généré une surcharge cognitive chez plusieurs élèves. Le fait de ne pas avoir à
verbaliser ses pensées pendant la lecture aurait possiblement aidé certains lecteurs à garder le cap
et à comprendre l’histoire. Ce constat coïncide avec les limites de la méthode de la pensée à voix
haute relevées par Jääskeläinen (2010).
102
Conclusion
Notre recherche a été menée dans un souci de mieux comprendre la manière dont procèdent les
élèves du deuxième cycle du secondaire pour interpréter des textes, et ce, autant pour ceux qui
éprouvent des difficultés que pour ceux qui connaissent du succès. Nous croyons que notre
analyse des difficultés spécifiques rencontrées par les lecteurs qui se collent trop au texte ou, à
l’opposé, par ceux qui s’en éloignent trop aura permis un accès privilégié aux processus, qui sont
souvent difficiles à inférer des réponses aux questionnaires en lecture. En effet, si les enseignants
sont en mesure d’indiquer aux élèves les éléments manquants ou erronés dans leurs réponses, ils
ne peuvent souvent pas confirmer d’où émergent les problèmes de lecture. Comment l’élève s’y
est-il pris pour remédier aux bris de compréhension qui sont survenus lors de sa lecture du texte?
A-t-il établi des liens entre différentes informations du texte pour tirer ses conclusions? A-t-il
puisé dans ses connaissances personnelles pour construire son interprétation? Après avoir collecté
nos données grâce à la méthode de la pensée à voix haute et à l’entretien semi-dirigé, nous les
avons analysées par l’intermédiaire de l’analyse de contenu. Nos résultats se déclinent en trois
grands constats :
1) l’appui sur un maximum d’indices du texte et le recours à des connaissances personnelles
pertinentes sont des facteurs qui ont favorisé la formulation d’interprétations plausibles
tandis que le fait d’ignorer certains passages du texte ou d’extrapoler en s’inspirant
d’éléments du texte a semblé nuire à la formulation d’interprétations plausibles;
2) de manière générale, les élèves qui ont formulé les interprétations les plus plausibles
avaient un degré élevé de compréhension globale, tandis que ceux qui ont proposé des
interprétations plus ou moins plausibles ne semblaient pas avoir compris les enjeux
centraux de l’histoire;
3) la méconnaissance du genre de texte a entravé la compréhension et l’interprétation.
Nous retenons de ces résultats que l’appui sur des éléments du texte pour comprendre et
interpréter ne semble pas être une stratégie maitrisée ou, du moins, verbalisée par tous les lecteurs
adolescents. Pendant la lecture de Dragon, au fur et à mesure que les indices s’accumulaient,
certains élèves avaient tendance à remettre en question leur représentation initiale de l’histoire et
à retourner dans le texte pour aller relire des segments. D’autres élèves, par contre, effectuaient
une lecture plutôt linéaire sans se permettre de va-et-vient entre le début, le milieu et la fin de
103
l’histoire. Nous constatons les mêmes comportements pour les réponses aux questions
d’interprétation. Si des participants sont retournés au texte pour y chercher des pistes de solution,
d’autres se sont fiés essentiellement à leurs souvenirs de lecture. Le recours à des connaissances
personnelles pertinentes pour interpréter ne semble pas non plus être une stratégie acquise par
tous. Des participants se sont permis de construire un pont entre des éléments du texte et des
connaissances qu’ils considéraient comme aidantes pour enrichir leur interprétation et pour
visualiser l’histoire. Toutefois, d’autres n’ont pas osé s’éloigner du texte. Ils ont plutôt cherché à
s’y coller au maximum, comme si toute forme d’explication prise à l’extérieur du texte était une
dérogation au point de vue de l’auteur.
Ces constats rappellent l’importance d’enseigner aux élèves la manière de procéder pour
répondre à des questions d’interprétation. S’ils comprennent qu’interpréter peut impliquer la
liaison de divers indices du texte entre eux ou la liaison d’indices du texte avec des connaissances
prises hors du texte, peut-être auront-ils moins tendance à chercher une réponse explicite en un
seul point. À l’autre extrême, le maitre doit éviter de définir les questions d’interprétation à ses
groupes comme des questions dont les réponses ne se trouvent pas dans le texte. Souvent, le texte
suggère implicitement des pistes. Interpréter ne signifie donc pas inventer de toute pièce. Les
constats de notre étude soulèvent également la pertinence du travail en classe de français sur des
textes résistants. Ceux-ci présentent un défi de lecture qui permettra un enseignement de
stratégies en contexte. Et plus les contextes de lecture seront diversifiés, plus les élèves élargiront
leur expérience de lecture et leurs connaissances sur les textes. L’exploration de différents genres
de textes contribuera ainsi au développement de la compétence à lire.
104
Annexe A: Texte Le Dragon
LE DRAGON
Ray Bradbury
Le vent de la nuit faisait frémir l’herbe rase de la lande; rien d’autre ne bougeait. Depuis des
siècles, aucun oiseau n’avait rayé de son vol la voûte immense et sombre du ciel. Il y avait une 5
éternité que quelques rares pierres n’avaient, en s’effritant et en tombant en poussière, créé un
semblant de vie. La nuit régnait en maîtresse sur les pensées des deux hommes accroupis auprès
de leur feu solitaire. L’obscurité, lourde de menaces, s’insinuait dans leurs veines et accélérait leur
pouls. Les flammes dansaient sur leurs visages farouches, faisant jaillir au fond de leurs prunelles
sombres des éclairs orangés. Immobiles, effrayés, ils écoutaient leur respiration contenue, 10
mutuellement fascinés par le battement nerveux de leurs paupières. À la fin, l’un d’eux attisa le
feu avec son épée.
« Arrête! Idiot, tu vas révéler notre présence!
- Qu’est-ce que ça peut faire? Le dragon la sentira de toute façon à des kilomètres à la ronde.
Grands dieux! Quel froid! Si seulement j’étais resté au château! 15
- Ce n’est pas le sommeil : c’est le froid de la mort. N’oublie pas que nous sommes là
pour…
- Mais pourquoi nous? Le dragon n’a jamais mis le pied dans notre ville!
- Tu sais bien qu’il dévore les voyageurs solitaires se rendant de notre ville à la ville
voisine… 20
- Qu’il les dévore en paix! Et nous, retournons d’où nous venons!
- Tais-toi! Écoute… » Les deux hommes frissonnèrent.
Ils prêtèrent l’oreille un long moment. En vain. Seul, le tintement des boucles des étriers
d’argent agitées, telles des piécettes de tambourin, par le tremblement convulsif de leurs montures
à la robe noire et soyeuse, trouait le silence. Le second chevalier se mit à se lamenter. 25
« Oh! Quel pays de cauchemar! Tout peut arriver ici! Les choses les plus horribles… Cette
nuit ne finira-t-elle donc jamais? Et ce dragon! On dit que ses yeux sont deux braises ardentes, son
souffle, une fumée blanche et que, tel un trait de feu, il fonce à travers la campagne, dans un fracas
de tonnerre, un ouragan d’étincelles, enflammant l’herbe des champs. À sa vue, pris de panique,
les moutons s’enfuient et périssent piétinés, les femmes accouchent de monstres. Les murs des 30
donjons s’écroulent à son passage. Au lever du jour, on découvre ses malheureuses victimes
éparses sur les collines. Combien de chevaliers, je te le demande, sont partis combattre ce monstre
et ne sont jamais revenus? Comme nous, d’ailleurs…
- Assez! Tais-toi!
- Je ne le dirai jamais assez! Perdu dans cette nuit, je suis même incapable de dire en quelle 35
année nous sommes!
105
- Neuf cents ans se sont écoulés depuis la Nativité37
…
- Ce n’est pas vrai, murmura le second chevalier en fermant les yeux. Sur cette terre ingrate,
le Temps n’existe pas. […] Que Dieu nous protège!
- Si tu as si peur que ça, mets ton armure! 40
- À quoi me servirait-elle? Le dragon surgit d’on ne sait où. Nous ignorons où se trouve son
repaire. Il disparaît comme il est venu. Nous ne pouvons deviner où il se rend. Eh bien, soit!
Revêtons nos armures. Au moins nous mourrons dans nos vêtements de parade. »
Le second chevalier n’avait pas fini d’endosser son pourpoint d’argent qu’il s’interrompit et
détourna la tête. […] 45
« Là! chuchota le premier chevalier. Regarde! Oh! Mon Dieu! »
À plusieurs lieues de là, se précipitant vers eux dans un rugissement grandiose et monotone :
le dragon. Sans dire un mot, les deux chevaliers ajustèrent leurs armures et enfourchèrent leurs
montures. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, sa monstrueuse exubérance déchirait en
lambeaux le manteau de la nuit. Son œil jaune et fixe, dont l’éclat s’accentuait quand il accélérait 50
son allure pour grimper une pente, faisait surgir brusquement une colline de l’ombre puis
disparaissait au fond de quelque vallée. La masse sombre de son corps, tantôt distincte, tantôt
cachée derrière quelque repli, épousait tous les accidents de terrain.
« Dépêchons-nous! »
Ils éperonnèrent leurs chevaux et s’élancèrent en direction d’un vallon voisin. 55
« Il va passer par là! »
De leur poing ganté de fer, ils saisirent leurs lances et rabattirent les visières sur les yeux de
leurs chevaux.
« Seigneur!
- Invoquons Son nom et Son secours! » 60
À cet instant, le dragon contourna la colline. Son œil, sans paupière, couleur d’ambre clair,
les aborda, embrasa leurs armures de lueurs rouges et sinistres. Dans un horrible gémissement, à
une vitesse effrayante, il fondit sur eux.
« Seigneur! Ayez pitié de nous! »
La lance frappa un peu au-dessous de l’œil jaune et fixe. Elle rebondit et l’homme vola dans 65
les airs. Le dragon chargea, désarçonna le cavalier, le projeta à terre, lui passa sur le corps,
l’écrabouilla. Quant au second cheval et à son cavalier, le choc fut d’une violence telle, qu’ils
rebondirent à trente mètres de là et allèrent s’écraser contre un rocher. Dans un hurlement aigu,
des gerbes d’étincelles roses, jaunes et orange, un aveuglant panache de fumée blanche, le dragon
était passé… 70
« Tu as vu? cria une voix. Je te l’avais dit!
- Ça alors! Un chevalier en armure! Nom de tous les tonnerres! Mais c’est que nous l’avons
touché!
- Tu t’arrêtes?
37 Naissance du Christ.
106
- Un jour, je me suis arrêté et je n’ai rien vu. Je n’aime pas stopper dans cette lande. J’ai les 75
foies38
.
- Pourtant nous avons touché quelque chose…
- Mon vieux, j’ai appuyé à fond sur le sifflet. Pour un empire, le gars n’aurait pas reculé… »
La vapeur, qui s’échappait par petits jets, coupait le brouillard en deux.
« Faut arriver à l’heure. Fred! Du charbon! » 80
Un second coup de sifflet ébranla le ciel vide. Le train de nuit, dans un grondement sourd,
s’enfonça dans une gorge, gravit une montée et disparut bientôt en direction du nord. Il laissait
derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé
et eut disparu à tout jamais.
38 J’ai peur.
107
Annexe B: Schéma d’entretien
COMPRÉHENSION
1. Résume l’histoire dans tes mots.
2. Au début de l’histoire (lignes 1 à 44), qui sont les personnages qui parlent
entre eux, que font-ils et à quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?
3. À la fin de l’histoire (lignes 71 à 84), qui sont les personnages qui parlent entre
eux, que font-ils et à quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?
COMPRÉHENSION ET INTERPRÉTATION
4. Aux lignes 46 à 53, à quoi correspond la description? (S’agit-il d’un train ou
d’un dragon?)
*Pourquoi le narrateur dit-il explicitement qu’il s’agit d’un dragon (l. 48)?
5. Aux lignes 61 à 63, à quoi correspond la description? (S’agit-il d’un train ou
d’un dragon?)
*Pourquoi le narrateur dit-il explicitement qu’il s’agit d’un dragon (l. 61)?
6. Aux lignes 65 à 70, que se passe-t-il? (Est-ce que les chevaliers ont vraiment été
écrasés par un dragon?)
*Pourquoi le narrateur évoque-t-il encore le fait qu’il s’agisse d’un dragon?
7. À la ligne 81, pourquoi est-il maintenant question d’un train? Où est passé le
dragon? (Pourquoi le narrateur n’en parle-t-il plus?)
8. Au début de l’histoire (lignes 4 à 12), quelle est l’ambiance créée par l’auteur?
Pourquoi?
108
9. Relis la dernière phrase du texte. Pourquoi l’auteur écrit-il que le train eut
disparu à tout jamais?
10. Relis les lignes 37 à 39. Pourquoi l’auteur écrit-il que le Temps n’existe pas?
11. À ton avis, pourquoi l’auteur a-t-il choisi Le Dragon comme titre à son histoire?
12. Maintenant que nous avons relu certains passages, crois-tu qu’il existe
différentes façons de comprendre et d’interpréter l’histoire? Si oui, quelles
sont-elles? Appuie chacune de tes hypothèses par des indices. (Crois-tu que
l’histoire est celle d’un train à l’époque des chevaliers ou celle de chevaliers à
l’époque des trains? Pourquoi?)
13. Trouves-tu l’histoire vraisemblable? Pourquoi? (Quels sont les éléments que tu
trouves vraisemblables? Et quels sont ceux que tu trouves invraisemblables?)
RÉACTION
14. As-tu trouvé l’histoire difficile à comprendre? Pourquoi?
15. Quelle est la stratégie qui t’a le plus aidé à comprendre l’histoire? Pourquoi?
16. As-tu aimé l’histoire? Pourquoi?
109
Annexe C: Résumé des réponses des élèves aux deux questions d’interprétation
analysées
Numéro de
l’élève39
et
prénom
Profil
d’interprète
Résumé de la réponse
à la question
Pourquoi un
personnage dit-il à
l’autre que le temps
n’existe pas?
Résumé de la réponse à
la question À la fin de
l’histoire, pourquoi dit-
on que le train disparait
à tout jamais?
Appui de
l’interprétation
sur des
éléments du
texte ou sur
des
connaissances
personnelles
pertinentes?
1
Cathy A
— C’est peut-être un
rêve.
— Il n’y a pas de
temps, c’est comme un
monde parallèle40
.
Ne sait pas. Oui
2
Marc-
Olivier
A et B
Le texte est imaginatif,
le terrain dont il est
question dans le texte
n’existe pas et tout
peut arriver.
Il y a trop de morts à
cause du train et c’est
trop dangereux (réponse
confuse).
Oui pour A41
3
Maxime A
L’auteur a ajouté le
train à son histoire, ce
n’est pas une histoire
vraie. Il y a des
mélanges de plein
d’objets et de plein
d’époques (on ajoute
un train à une histoire
C’est peut-être un train
de marchandises. Oui
39 Les cinq numéros manquants correspondent aux participants qui n’ont pas participé au posttest, mais qui
avaient participé au prétest de l’étude menée par Monsieur Érick Falardeau. 40 Les réponses d’élèves soulignées sont celles qui, selon nous, témoignent d’un appui sur des éléments du
texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes. Tous les élèves qui ont au moins un segment de
réponse de souligné ont donc un oui d’inscrit à la dernière colonne : Appui de l’interprétation sur des
éléments du texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes ? 41 Certains élèves, bien qu’ils aient retenu deux interprétations au terme de leur rencontre avec l’intervieweur,
ont seulement appuyé l’une d’elles sur des éléments du texte ou sur des connaissances personnelles
pertinentes selon notre analyse des réponses aux deux questions d’interprétation.
110
qui se déroule au
Moyen Âge).
4
Shela B Ne sait pas. Ne sait pas. Non
5
Marc-
Étienne
C QNP42
QNP N/A
6
Camille B QNP QNP N/A
7
Mathieu-A A et B QNP QNP N/A
8
Bianca B QNP QNP N/A
9
10
Mathieu-C A
Le personnage se fout
du temps parce que
quelque chose
d’incroyable survient :
il arrive un dragon.
Un train a voyagé dans le
temps (il est retourné
dans le passé) à l’aide
d’un « truc
ultradimensionnel », il a
frappé deux chevaliers et
il est ensuite retourné
dans son époque.
Oui
11
Louis-
Philippe
B
— Le train est au pôle
Nord et aux pôles, il y
a des périodes de six
mois sans lumière qui
empêchent les
personnages de
s’orienter dans le
Le train est rentré dans le
tunnel et on ne le voyait
plus. Les chevaliers ne
l’ont plus jamais revu.
Non
42 QNP signifie question non posée. Lorsqu’aucune des deux questions d’interprétation liées aux passages
clés du texte n’a été posée à un élève, nous avons choisi de ne pas nous prononcer par rapport à son appui sur
le texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter. En réponse à la question située à la
dernière colonne du tableau, nous avons donc inscrit N/A pour non applicable.
111
temps.
— Les personnages
sont perdus, ont perdu
leur montre ou leur
cadran solaire.
12
13
Kristofer A
À l’endroit où les
personnages sont, on
peut être à n’importe
quelle époque et il
peut arriver n’importe
quoi.
L’auteur a croisé les
mondes. Le train a écrasé
les chevaliers et est
retourné dans son monde
(dans son époque).
Oui
14
Emma C
— C’est peut-être une
métaphore.
— C’est normal que
tout se mélange.
C’est le train qui n’était
pas à la bonne époque. Il
était de passage à
l’époque des chevaliers et
il est disparu.
Oui
15
Frédérique B
— Les personnages
méprisent la vie et le
fait d’exister. Ils ne
profitent pas du temps.
— C’est une
personnification pour
travailler avec poésie.
— C’est une manière
pour le personnage de
dire que la vie n’en
vaut pas la peine et
que l’humanité le
dégoute.
— Puisque les
conducteurs de train ont
fauché deux personnes,
ils ne veulent plus
occuper leur emploi ou
ils ne veulent plus
repasser à l’endroit où
l’incident s’est produit,
soit parce que cet
évènement a été
marquant dans leur vie,
soit parce qu’il y a eu
plusieurs accidents à cet
endroit.
— C’est peut-être une
manière cool de finir le
texte.
Oui
16
Jérémy A et B
— C’est peut-être en
lien avec l’élément
fantastique parce que
normalement, le temps
— Le train a peut-être
déraillé et il s’est écrasé
dans une falaise.
— Il n’est peut-être
Oui pour A
112
existe.
— C’est contradictoire
à « 900 ans se sont
écoulés depuis la
Nativité ».
simplement pas revenu.
— Puisque les chevaliers
sont morts, ils ne l’ont
pas revu.
17
Florence A QNP
— Le train allait quelque
part.
— Ne sait pas.
Non43
18
Samuel-A A
Les deux époques
peuvent coexister sans
pour autant avoir de
rapport.
Le train est entré dans la
montagne et il n’en est
jamais ressorti. Il est
peut-être resté pris.
Oui
19
Mathias A et B
Dans la vallée, tout est
mort. Il n’y a rien, il
n’y a aucune activité.
Ne sait pas. Non
20
Érika-A A
C’est ce qui fait en
sorte que le train part.
Le train ne repassera pas,
il s’en va. Non
21
Anthony A QNP QNP N/A
22
Érika-B A QNP QNP N/A
23
Kimberly B QNP QNP N/A
24
Olivier-A A QNP QNP N/A
25
Simon A
C’est annonciateur du
fait que les chevaliers
et les conducteurs de
Le train n’a pas d’affaire
là où il est. Ce n’est pas
son temps, ce n’est pas la
Oui
43 Puisqu’une seule des deux questions d’interprétation a été posée par l’intervieweur à cet élève, nous avons
considéré la réponse de ce dernier à la question comme seule référence pour déterminer s’il s’appuyait sur le
texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter.
113
train vont se
rencontrer même s’ils
n’appartiennent pas à
la même époque.
bonne époque. Deux
époques distinctes se
rencontrent et le train
retourne à son époque
parce qu’il n’est pas dans
la bonne période de
temps.
26
Olivier-B A et B
Le temps n’existe pas
signifie que l’histoire
se déroule plus près de
notre époque que de
l’an 900.
Il y a peut-être un lien à
faire avec [le train]
fondit sur eux, qui
voudrait dire que le train
disparait sur les
personnages.
Non
27
Pier-
Olivier
C
L’histoire se déroule à
l’époque des trains à
vapeur et les
chevaliers sont
« passés date ».
Le train a tué les deux
chevaliers et il s’en allait
en direction du nord.
Non
28
Amélie A
Si le Temps n’existe
pas, les personnages
ne sont pas
nécessairement en
900. S’il n’y a pas de
spécification du temps
auquel sont les
personnages, le train
pourrait exister parce
que les personnages
peuvent être n’importe
quand.
Le train n’existe pas en
900, il n’a pas encore été
inventé. Il disparait pour
qu’on puisse le
reconstruire en 1900!
Oui
29
Alaa A et B
Le personnage est
désaxé.
Le train ne reviendra pas
parce qu’il vient de tuer
deux personnes.
Oui pour B
30
Geneviève B
Les personnages ne se
sont pas rendu compte
à quel point le temps
passe vite.
— Peut-être qu’il
disparait à Poudlard!
— Ne sait pas.
Non
31
114
32
Catherine D
— Peut-être que les
personnages se
demandaient s’ils
devaient aller
rencontrer le dragon
ou pas.
— Peut-être que les
chevaliers avaient
peur, mais qu’il y en
avait un, plus
courageux que l’autre,
qui disait qu’ils
pouvaient prendre le
temps qu’il faut pour
aller rencontrer le
dragon.
Pour ne pas avoir à
retourner dans la ville où
il y a le monstre.
Non
33
Noémie A QNP QNP Non
44
34
Jean-
Sébastien
C
C’est une prière que
les chevaliers font
avant les combats. Elle
se termine par Que
Dieu nous protège.
Ne sait pas. Un train ne
disparait pas à tout
jamais.
Non
35
Gabrielle A
Les personnages sont
seuls et perdus depuis
longtemps, donc ils ne
savent plus où ils sont.
Le train arrive du futur,
puis retourne dans son
époque.
Oui
36
37
Roxanne A
— Puisque c’est une
histoire, il n’y a pas
besoin d’avoir de
temps.
Le train n’a pas d’affaire
là, il n’est pas à la bonne
époque.
Oui
44 Les deux questions d’interprétation utilisées pour notre analyse n’ont pas été posées à cette élève parce
qu’elle éprouvait des difficultés majeures de compréhension, à un point tel qu’elle ne formulait pratiquement
pas d’hypothèses interprétatives. Nous posons l’hypothèse qu’elle ne s’appuyait pas sur le texte.
115
— C’est une
métaphore qui signifie
que la terre est sans
pitié.
— Le temps n’existait
pas pour les
personnages.
38
Laurence A
Les personnages n’ont
pas de montre et ne
peuvent pas savoir
l’heure qu’il est. Le
soleil est le seul repère
qu’ils pourraient avoir,
mais pas la nuit.
Le train retourne à son
époque. Oui
39
Guillaume A
Il y a des personnages
qui viennent du futur
et d’autres du passé. À
la fin de l’histoire, on
ne précise pas le temps
parce qu’on peut
autant être dans le
futur que dans le
passé.
Ne sait pas. Le train ne
reviendra pas. Oui
40
41
Hubert A
Le train a dû changer
de place ou de temps.
Le train est à la mauvaise
époque et les chevaliers
croient que c’est un
dragon parce qu’ils n’ont
jamais vu de train. C’est
un voyage dans le temps.
Oui
42
Marc-
André
A
— Le Temps n’existe
pas est contradictoire à
900 ans se sont
écoulés depuis la
Nativité.
— Finalement, le train
n’est peut-être pas un
anachronisme.
Ne sait pas. S’il n’y a pas
de rail, le train risque de
renverser et tomber et s’il
y a un rail, le train
pourrait accrocher une
roche et dérailler.
Oui
116
43
Philippe A
S’il y a un endroit où
il n’y a pas de temps,
c’est un endroit parfait
pour faire des voyages
dans le temps. À cet
endroit, il serait plus
facile d’ouvrir un
portail qui envoie les
gens du passé dans le
futur.
Si un train qui est allé
dans le passé veut
retourner dans le futur, il
atteint la vitesse
souhaitée et un portail
s’ouvre. Il s’engouffre
dans ce portail et ne sera
pas là à nouveau parce
qu’il retourne à l’année
de laquelle il est arrivé.
Oui
44
Rosalie A
— Les chevaliers sont
perdus à l’époque des
trains.
— Tout s’est mélangé,
donc les trains
pourraient être là.
Le train est parti et il ne
repassera pas sur la route.
Il ne reviendra plus.
Oui
117
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