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Espace Art actuel
Rêver le Nouveau Monde
Michel Goulet
La parole aux artistesNuméro 85, automne 2008
URI : id.erudit.org/iderudit/9068ac
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Éditeur(s)
Le Centre de diffusion 3D
ISSN 0821-9222 (imprimé)
1923-2551 (numérique)
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Citer cet article
Goulet, M. (2008). Rêver le Nouveau Monde. Espace Art actuel,(85), 21–24.
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Tous droits réservés © Le Centre de diffusion 3D, 2008
LA PAROLE AUX ARTISTES LET THE ARTISTS SPEAK
Rêver le Nouveau Monde
Michel GOULET
Pour le 400e anniversaire de la fondation de Québec, la Ville de Montréal a fait
don d'une œuvre d'art aux citoyens de la capitale nationale. Par voie de
concours, c'est la proposition de Michel Goulet qui a été retenue. Rêver le
Nouveau Monde est installée depuis juin dernier dans la partie sud-est de la
place de la Gare, près de la rue Saint-Paul, à proximité de l'arrondissement
historique du Vieux-Québec. Elle est composée de quarante-quatre chaises au
total, réalisées en acier inoxydable.
On me rappelle souvent, précise Michel Goulet, que la chaise est en quelque sorte la signature de ma sculpture. Si c'est vrai que ça en est un motif récurrent, un examen plus précis de l'ensemble de mon travail nous révélera qu'elle a très rarement fait partie de mes assemblages et de mes constructions, et qu'elle n'a presque jamais été le sujet central d'une œuvre. Elle est comme l'ami fidèle, présence indéfectible, témoin de moments précieux, toujours un réfèrent sur lequel on peut compter, rarement l'obligation d'une attention exclusive. La chaise a toujours été le prétexte de rencontres, de mises en commun, d'échanges, et le révélateur de ce qui nous singularise, mais aussi de ce qui nous rassemble, nous positionne, aiguise la conscience.
RÊVER LE NOUVEAU MONDE On en a fait une promesse. Ici, il ne serait pas facile de s'y faire, mais on pourra bâtir un monde meilleur, affranchi des lourds passés et porté sur les promesses d'avenir. Il y aurait la richesse de la terre, la proximité des voisins, l'entraide de la communauté, le bien commun et, pour lier tous les arrivants (nous sommes tous des arrivants), des hivers trop longs et trop durs, des étés si courts qui obligent à se mettre à l'œuvre sans retard,
For the 400th anniversary of the founding of Quebec City, the Ville de Montréal
gave an artwork to the citizens of the Quebec capital. A competition was held
and Michel Goulet's project, Rêverie Nouveau Monde, was selected. The sculp
ture was installed in June on the southeast side of Place de la Gare near Rue
Saint-Paul in the vicinity of historic Vieux-Québec, and is composed of 44 chairs
in all, made of stainless steel.
People often tell me, says Michel Goulet, that the chair is kind of my signature mark in sculpture. Although it's true it's a recurring motif, a closer look at all of my work shows that it has very rarely been a part of my assemblages and constructions and almost never the main subject of a work. It is like a loyal friend, an unfailing presence that shares precious moments, a referent on which one can always count and that rarely demands exclusive attention. The chair has always been a pretext for encounters, for getting together, for exchanges, it reveals what distinguishes us but also what brings us together, positions us and stimulates awareness.
RÊVER LE NOUVEAU MONDE A promise has been made. It may not be easy to carry out, but one could build a better world, free of the past and with commitment to the future. There would be the riches of the earth, the closeness of neighbours, community support, the common good and to link all newcomers—we are all newcomers—winters that are too long and hard, summers so short that we have to get to work without delay, and two other brief seasons that give us the spontaneous pleasures of rebirth and of spectacular magical scenery.
Michel GOULET,
Rêver le nouveau Monde,
2008. Détail/Detail.
Photo: M. Goulet.
Michel GOULET,
Rêver le nouveau Monde,
2008. Détail/Detail.
Photo : Richard-Max Tremblay.
2 2 ESPACE 85 A U T O M N E / F A L L 2 0 0
Seulement prés de toy en cette saison dure
-MARC LESCARBOt (1570-1642)
Petit jard in que j 'a i planté,
Que ton enceinte sait me plaire !
-JOSEPH QUESNEL (1746-1809)
Heureux qui dans ses vers sait, d 'une voix tonnante,
Effrayer le méchant, le glacer d'épouvante ;
Qui, bien plus qu'avec goût, se fait lire avec frui t ,
Et, bien plus qu' i l ne plaît, surprend, corrige,
instruit .
-MICHEL BIBAUD (1782-1857)
Il est sur le sol d 'Amérique
Un doux pays a imé des cieux,
Où la nature magni f ique
Prodigue ses dons mervei l leux.
-OCTAVE CRÉMAZIE (1827-1879), LE CAP ÉTERNITÉ
Témoin pétr i f ié des premiers jours du monde,
Il était sous le ciel avant l 'humani té.
-CHARLES GILL (1871-1918)
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
-EMILE NELLIGAN (1879-1941)
Nous avons partagé nos ombres
Plus que nos lumières
Nous nous sommes montrés
Plus glorieux de nos blessures
Que des victoires éparses
-ALAIN GRANDBOIS (1900-1975)
Je n'ai pas appris de Poucet
Le secret de marquer la route
Qui reconduise où l'on passait.
-ALFRED DESROCHERS (1901-1978)
Un enfant est en train de bâtir un vil lage
C'est une vi l le, un comté
Et qu i sait
Tantôt l'univers.
I joue
- HECTOR DE SAINT-DENYS GARNEAU (1912-1943)
The hi l ls
remind me
of you
Not because they curve soft and wa rm
lovely and f i rm
But because
a long t ime ago
you stared at them
as I am staring now
-IRVING LAYTON (1912-2006)
Le plus dif f ici le c'est le premier siècle
Rendu à trois, la racine est profonde.
Voilà ce que chantent les enfants
l'été.
-FÉLIX LECLERC (1914-1988)
Ce soir
Le monde est vieux
Et je m'ennuie
-ANNE HÉBERT (1916-2000)
Le travail n'est pas l iberté
Le travail est dans la l iberté
-CLAUDE GAUVREAU (1925-1971)
au bout de ce grand bout de terre
de peine et de misère
dis-moi
mar ie
pourquoi le silence s'agrandit
-PIERRE PERRAULT (1927-1999)
Sous le manteau de la prudence
qu 'on prend parfois pour la sagesse,
on reconnaît souvent la peur.
-GILLES VIGNEAULT
Le monde ne vous attend plus
il a pris le large
le monde ne vous entend plus
l'avenir lui parle
-GASTON MIRON (1928-1996)
J'aimerais rester dans l 'ombre
dans ton ombre fami l ière
le temps d'un hiver au moins
sinon d'une vie entière.
- ROLAND GIGUÈRE (1929-2003)
L 'homme. . .
Il a construit
Des mil l iers
De mi l l ions
De mil les
De câble blond
Et il leur a donné
Des mi l l ions
De mil l iers
De nœuds
Pour attacher la mer
-CÉCILE CLOUTIER
Toutes couleurs effacées,
Tous parfums supprimés,
Toutes paroles étouffées ;
Muet et blanc,
Into lérablement blanc,
Ce pays ne retient
Que les éclats du sang.
-GATIEN LAPOINTE(1931-1984)
Hold me close
and tell me what the wor ld is l ike
I don't want to look outside
I want to depend on your eyes
and your lips
-LEONARD COHEN
veaux vaches cochons couvées
et préoccupations f i de vous et fi d'elles
à mon pays seul je suis f idèle
-GÉRALD GODIN (1938-1994)
Tu me manques
De toujours
Tu es l 'ombre de l'Absente
Tu es ce passé sans to i .
-JEAN ROYER
une acceptation de l'absence
un renoncement à l'explication
une connaissance du vertige
un bonheur de la rencontre
-MADELEINE GAGNON
Chacun se débroui l le seul
à rafistoler des bouts de rêve.
La table est mise.
Voyez. Venez.
-PAUICHAMBERLAND
ne touchons pas au silence
il est notre réserve d'espoir
- NICOLE BROSSARD
Là où ses petites histoires,
mine de rien, s'emboîtent
les unes dans les autres
-DENISE DESAUTELS
La nui t est une neige
qui t o m b e à l'envers.
JEAN-PAUL DAOUST
il ne sait plus si sa propre mémoi re
le garde vivant, si ses rêves
le nourrissent ou le dévastent
-PIERRE NEPVEU
je traversais sa nui t
et j 'en rêvais le jour
je ne sais plus ce soir où va la poésie
mais je sais qu'el le voyage
rebelle analogique
-CLAUDE BEAUSOLEIL
tu es la vi l le englout ie
sous les rumeurs pour tant je vois
il n'y a que toi par lant
et la passion que tu y mets
- HUGUES CORRIVEAU
Malgré l 'effarement
Malgré la lassitude
Des voix s'arrachent
Y a-t-il une façon simple
D'ouvrir l 'Histoire
D'assécher les bourbiers
- LOUISE COTNOIR
Dans les yeux s'al lume une vi l le,
qu 'on n'a jamais pris la peine de visiter.
-LOUISE DUPRÉ
Mon désir parfois
ressemble aux dernières phrases
d'un livre
les livres n'ont pas de f in
les livres s'arrêtent
-NORMAND DE BELLEFEUILLE
Elle ferme les yeux et rerêve :
c'était avant l ' invention de l'écriture.
-YOLANDE VILLEMAIRE
Nous écrivons
dans la grande noirceur
d 'un siècle qu i siffle
ens 'écroulant .
Nous écrivons
En guise d 'accompagnement
De la terre.
-PAUL-CHANEL MALENFANT
Je dois tout dire dans une langue
qui n'est pas celle de ma mère.
C'est ça, le voyage.
-DANYLAFERRIÈRE
Sons de vent, bruits de tempête
J'entends tout , j 'entends le bonheur
Puisque j 'entends les aurores boréales
(en écriture syllabique)
- EMILY NOVALINGA
Vient le jour où la beauté
borde notre chemin.
On se penche sur la vie, et aussitôt
on se relève, le cœur t remblant ,
plus fort d 'une vérité ainsi effleurée.
-HÉLèNE DORION
La Mer navigue/La Terre marche/Le Ciel
vole/et mo i , je rampe pour humer la
v ie . . .
-RITAMESTOKOSHO
j 'at tends de naître
pour répondre à tes lettres
j 'at tends tes lèvres pour parler
- K I M D O R É
et deux autres saisons brèves qui offrent le plaisir spontané de la renaissance et celui des spectacles d'une nature féerique.
Il y a peu de moments, peu de lieux, peu d'occasions où ont été réunies de mémoire de vivants toutes ces conditions pour refaire sa vie, adopter de nouvelles habitudes, faire naître une culture. I l ya quatre cents ans, comme aujourd'hui, il faut promettre qu'un temps nouveau doit naître et qu'il doit être fait d'échanges, de connaissance de l'autre, de respect, de rapports harmonieux et du rappel de nos mémoires et de nos racines. Il faut donc penser ici et en ce moment une œuvre vivante dont le sujet et le matériau seront les gens et leurs dialogues, les présences et les absences, leurs engagements et leurs espoirs.
L'œuvre est située le long d'un droit sentier pédestre, au cœur d'un jardin dessiné «à la française», qui s'ouvre sur un grand boulevard et se referme sur la gare. L'œuvre, du coup, change l'usage du sentier qui ne sera plus simple passage, mais le lieu d'une activité chargée de sens. Quarante chaises forment ce qui est un long trait d'union, un parcours jalonné. Ces moments choisis, ces fragments réunis, créent un portrait de société où le rapport entre deux individus s'augmente d'un autre, puis de deux, puis de quatre, ainsi de suite pour recréer cette communauté de pensée. Ces quarante chaises sont percées de quarante fragments de textes puisés chez quarante poètes qui ont écrit, du premier jour de la fondation de Québec à ce jour. À l'instar des fragments archéologiques enfouis sous ce parc et qui sont la mémoire fragmentée de notre histoire, les quarante fragments d'œuvres choisies et le nom de leurs auteurs sont autant d'artefacts culturels et historiques qui témoignent de façon sensible de préoccupations personnelles, d'invention de langages et de témoignages individuels. Ce ne sont pas des textes entiers, mais plutôt des poussières de textes que celui ou celle qui arpentera ces mémoires devra en imaginer la source, parachever, re-contextualiser.
L'œuvre est en quelque sorte mise entre parenthèses par deux chaises à l'entrée sur le boulevard, et deux autres à l'entrée du côté de la gare. Ce ne sont pas des mots qui relient les deux premières chaises, mais un élément de bronze : une représentation à échelle réduite du fleuve Saint-Laurent entre Québec et Montréal. Le fleuve emblématique, lien de vie, cordon ombilical de la terre d'Amérique au monde. Cette miniature qui identifie sans détours les deux villes est placée dans la même et exacte orientation du fleuve (qui se trouve à quelques pas mais n'est pas visible) et gère ainsi la position de la « Chaise-Québec » et de la « Chaise-Montréal » : ces chaises ne sont pas côte à côte, ni face à face, ni dos à dos, mais en position oblique, dans une position qui ne suggère ni une vision unique, ni la confrontation, ni la négation, mais le rapprochement et le respect des choix de chacun. À l'autre extrémité du parcours, deux autres chaises referment la parenthèse. Elles sont placées côte à côte et tournées vers l'ensemble des chaises-poèmes ; elles fixent du regard la même direction. Sous l'une des chaises, la représentation du globe terrestre à échelle réduite ; sous l'autre, la représentation d'une maison (maison ancienne de Québec, toit mansardé, lucarnes, etc.), d'un domicile, aussi à échelle réduite. Les deux objets, les pôles extrêmes de l'espace public et de l'espace privé, sont de dimensions équivalentes et les spectateurs assis sur ces chaises ainsi identifiées s'offrent le spectacle de l'œuvre, des gens qui, de lectures en lectures, d'échanges de position en échanges de position avec les autres lecteurs, sont les acteurs de ce théâtre souvent muet, toujours complice qui brise l'isolement des individus dans la ville et refait l'unité de lieu et de temps si cher à la forme théâtrale.
Rêver le Nouveau Monde n'est pas un simple mot. C'est un projet qui a commencé ici i l y a quatre cents ans et auquel on donne un lieu précis pour témoigner du passé et rêver la suite, un monde nouveau. <•
There are few moments, places or occasions in living memory where all these conditions have come together and one can relive one's life, adopt new habits, create a culture. It was promised 400 years ago, like today, that a new time would be created and that it would come about through exchange, understanding and respect for the other, harmonious relationships while recalling our memories and roots. We must think here and now of a living work in which the subject and material are people and their interactions, their presences and absences, their commitments and their hopes.
The work is set out along a pedestrian walkway in the centre of a "French" style garden that begins at a large boulevard and ends at the station. The work, at a glance, changes the use of the pathway so it is no longer a simple passage, but a place with activity, filled with meaning. Forty chairs create a long link, punctuating the way. These chosen moments, assembled fragments, form a portrait of our society in which the relationship between two people increases from one to another, then two, then four and so on to shape this community of thought. These forty chairs are engraved with forty fragments of texts drawn from the work of forty poets, writings from the first days of Quebec City's founding until today. Like archaeological shards buried beneath this park, the forty fragments of the chosen works and the authors' names are historical and cultural artefacts, bits and pieces of our history, sensitively portraying particular concerns, inventive language and individual expression. These are not complete texts, but rather, a dust of texts, a nebula of little texts so that whoever peruses them must think about the source, complete the thoughts and put them into context.
The work is sort of put in parenthesis with two chairs at the boulevard entrance and two others at the entry beside the station. It is not words that link the two first chairs but a bronze element: a small-scale representation of the St Lawrence River between Quebec City and Montreal. The symbolic river, a lifeline, North America's umbilical cord to the world. Straightaway identifying the two cities, this miniature has exactly the same orientation as the river—only a few feet away but not visible—thus directing the position of the Chaise-Québec (Quebec-Chair) and the Chaise-Montréal (Montreal-Chair): these chairs are not placed side by side, facing each other or back-to-back, but at an oblique angle that suggests neither a unique vision, nor confrontation or negation but rather a coming together while respecting the choices of the other. At the other end of the pathway, two more chairs close the parenthesis. They are placed side by side and turned towards the poem-chairs; they set the gaze in the same direction. Under one of the chairs is a small-scale globe of the world and under the other, the representation of a house— Quebec-style with sloping roof, dormer windows and so on — a home also to scale. These two objects, the extreme poles of public and private space, are of equivalent dimensions and when spectators sit on these chairs they become part of the work. People reading the texts go from one to the next and exchange chairs with other visitors; they are now actors in this often silent, but always friendly theatre that breaks the isolation of individuals in the city and recreates the unity of time and place so dear to theatrical form.
Rêver le Nouveau Monde is not just words. It is a project that began four hundred years ago and for which we have created a precise place to show the past and to dream of the future, a new world. •>:
Translation by Janet Logan
Michel GOULET, Rêver
le nouveau Monde, 2008.
Photos : M. Goulet..
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