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STRUCTURES DE MARCHE ET PRATIQUES
FACILITANT LA COLLUSION : UNE APPROCHE PAR
LA THEORIE DES JEUX REPETES
Thierry PENARD
CREREG, Université de Rennes 1
Version révisée Mars 2003
Section 1. Introduction
La lutte contre les cartels et collusions a toujours été l’objectif prioritaire des autorités
de la concurrence, dans tous les pays développés. Comme le rappelle la Commission
européenne, dans son rapport d’activité 2001, « les accords secrets de cartels figurent parmi
les restrictions de concurrence les plus graves. Ils se traduisent par des augmentations de
prix et une réduction du choix offert aux consommateurs. Ils ont également un impact négatif
sur l’ensemble de l’industrie européenne en renchérissant le coût des services, des
marchandises et des matières premières pour les entreprises européennes qui se fournissent
auprès des participants aux cartels. A plus long terme, ces pratiques dégradent la
compétitivité globale de l’industrie européenne ».
Pour preuve de leur détermination, les autorités ont renforcé, ces dernières années, les
moyens (humains et financiers) consacrés à la détection des cartels et durci les sanctions 1.
Malgré cet engagement sans faille des pouvoirs publics, les entreprises sont loin d'avoir
renoncé à toute pratique collusive. Les nombreux cas de cartels mis à jour, ces dernières
années, en Europe, comme aux Etats-Unis, permettent de s’en convaincre. « Prior to coming
to the Justice Department, neither of us would have suspected how extensive collusive
practices turned to be out » reconnaissaient Carl Shapiro et Robert Litan, qui sont intervenus
2
sur de nombreux cartels, dans le cadre des fonctions qu’ils ont exercé, durant la présidence
Clinton, à la Federal Trade Commission (FTC) et à la Division Antitrust (Litan, et Shapiro
[2001]). Les secteurs liés à l’agroalimentaire ont été particulièrement actifs en ce domaine.
Ainsi, la Commission européenne est intervenue pour démanteler des ententes sur les marchés
des vitamines2, de la lysine3, du gluconate de sodium4, de l’acide citrique5, du sucre blanc 6 et
de la bière7, pour ne citer que les affaires les plus récentes.
Peut-on pour autant en conclure que le secteur agroalimentaire serait plus propice à la
collusion que les autres secteurs ? Une lecture des rapports d’activité des autorités de la
concurrence en France ou en Europe permet d'établir que les ententes touchent pratiquement
tous les secteurs. La question se pose donc moins en termes de secteurs plus ou moins
propices à la collusion, qu’en termes de marchés8. Au sein d’un même secteur, certains
marchés peuvent être fortement sujets à la collusion, et d’autres au contraire très
concurrentiels. Plusieurs études empiriques ont tenté de dresser le portrait-robot des marchés
propices à la collusion. A partir de données américaines et canadiennes, Spence [1978] fait
ressortir comme facteur significatif, une offre concentrée et une demande dispersée et
faiblement variable. De leur côté, Hay et Kelley [1974] sur des données américaines
concluent que la concentration et l’homogénéité de l’offre sont les principaux traits communs
à toutes les affaires de collusion9. Glais [1993], sur des données européennes, souligne
comme autres traits, l’existence de barrières à l’entrée, des coûts fixes élevés et
l’appartenance à des secteurs en amont (ciment, sidérurgie, chimie, papier carton).
Cependant, ces différentes études empiriques n’apportent qu’un éclairage partiel sur le
fonctionnement des collusions et méritent d'être complétées par une lecture plus théorique.
L’objet de cet article est de mobiliser la théorie des jeux répétés comme cadre d’analyse des
accords de collusion. Cette théorie qui s’est développée à partir des années 1970, constitue l’une
des premières approches dynamiques de la concurrence en oligopole 10. Cette approche a permis
1 Pour plus de détails, on peut se reporter à l'article de J. Connor dans ce même numéro.2 Affaire COMP/37.152 ; communiqué de presse IP/01/1625 du 21 novembre 2001.3 Affaire COMP/36.545 ; JO L 152 du 7 juin.2001.4 Affaire COMP/36.756 ; communiqué de presse IP/01/1355 du 20 octobre 2001.5 Affaire COMP/36.604 ; communiqué de presse IP/01/1743 du 5 décembre 2001.6 JO L 76 du 22.3.1999.7 Affaire COMP/37.614 ; communiqué de presse IP/01/1739 du 5 décembre 2001.8 Dans cet article, le terme de marché renvoie à la notion de « marché pertinent », utilisé par les autorités de laconcurrence pour mesurer le pouvoir de marché des firmes.9 Par ailleurs, Dick [1996] parvient à montrer que la durée de vie des ententes augmente avec la concentration del’industrie, la dispersion de la demande et l’existence de contacts multimarchés. Voir aussi Fraas et Greer [1977].10 Voir Friedman [1986] ou Abreu [1986, 1988] pour une présentation générale des jeux répétés et de sesdéveloppements.
3
de renouveler l’analyse classique des structures de marché et des comportements collusifs,
menée jusqu’alors dans un cadre statique.
Ainsi, la théorie des jeux répétés met l’accent sur la dimension non coopérative des
accords de collusion. Comment inciter les participants d’un cartel à respecter leurs
engagements, en l’absence de contrats juridiquement exécutoires ? Si les accords collusifs
sont par nature instables, certaines structures de marché ne peuvent-elles pas faciliter leur
bonne exécution ? Les jeux répétés permettent précisément d’identifier les marchés
structurellement porteurs d’incitations à la collusion. Par ailleurs, les firmes, à travers
certaines pratiques, peuvent rendre leur marché structurellement plus propice à la collusion.
La théorie des jeux répétés permet là encore d'identifier les pratiques facilitant la collusion.
Au final, l'objectif de cet article est de montrer combien les jeux répétés peuvent être
riches d'enseignements pour les autorités de la concurrence et peuvent les guider dans leur
appréciation des effets de certains accords ou de certaines pratiques comme les échanges
d'information, les guerres de prix ou les surinvestissements en capacités.
Dans la section 2, nous revenons sur les cas récents de cartels dans l’agroalimentaire,
pour mieux souligner la dimension non coopérative des accords de collusion. Dans la section
3, nous présentons un test d’évaluation des structures de marchés et des pratiques porteuses
d’incitations à la collusion, basé sur les jeux répétés. Dans la section 4, nous appliquons ce
cadre théorique à différents facteurs structurels. Dans la section 5 nous proposons une
relecture du cartel de la lysine et de certaines pratiques relevées sur ce marché, toujours sur la
base de la théorie des jeux répétés. Dans la section 6, nous discutons plus largement de
l'intérêt de l'analyse économique dans l'application du droit de la concurrence.
Section 2. Une théorie non coopérative des cartels
Le secteur agroalimentaire victime des cartels
La lecture des décisions des autorités de la concurrence est souvent instructive pour
comprendre la nature et le mode de fonctionnement des cartels. Revenons sur les cas récents de
cartels concernant le secteur de l'agroalimentaire, mentionnés en introduction.
Le cartel des vitamines est à l’heure actuelle une des ententes les plus graves que la
Commission ait eu à traiter. Ce cartel impliquait treize producteurs de vitamines et couvrait les
principales vitamines entrant dans l’alimentation animale et humaine (A, E, B1, B2, B5, B6, C,
4
D3, H, acide folique, bétacarotène, et caroténoïdes). L’accord consistait à fixer le prix des
vitamines, à allouer des quotas de vente et à définir les modalités de hausses de prix. Les
participants avaient aussi mis en œuvre une structure de surveillance pour veiller au bon
fonctionnement de l’accord. Des réunions régulières étaient aussi organisées, au cours desquelles
les participants échangeaient des données sur les ventes mensuelles et trimestrielles (en valeur et
en volume) et les prix. Le cartel, qui a duré près de 10 ans (de 1989 à 1999), a relativement bien
fonctionné et généré des gains substantiels. Pour se faire une idée de ces surprofits, le chiffre
d’affaires généré en Europe par la vitamine C est passé de 250 millions d’euros en 1995
(dernière année de fonctionnement du cartel) à 120 millions d’euros en 1998. On comprend
pourquoi la Commission a infligé des amendes records aux participants de ce cartel d’un
montant global de 855,23 millions d’euros11.
Dans le cartel de l’acide citrique, qui est un acidifiant et un conservateur utilisé
essentiellement dans les boissons non alcoolisées, les confitures et dans certaines conserves,
l’entente impliquait les cinq principaux producteurs mondiaux (dont Hoffman-La Roche et
Archer Daniels Midland) et consistait à attribuer des quotas de vente à chaque membre, à fixer
des prix cibles et des prix planchers et à échanger des informations précises sur les ventes. Les
entreprises s’étaient aussi entendues pour limiter, voire supprimer toutes les remises accordées à
leurs clients. Des réunions régulières étaient organisées pour s’assurer du bon fonctionnement de
l’accord. Un système de compensation avait été prévu qui contraignait chaque membre ayant
vendu des quantités supérieures à son quota à verser une contrepartie monétaire aux autres
membres. Les membres du cartel s’étaient aussi concertés pour bloquer les exportations de
producteurs chinois 12.
Sur le marché de la lysine qui est un acide aminé synthétique, utilisé dans
l’alimentation animale à des fins nutritionnelles, la collusion, là encore, portait sur les prix et
les quotas de vente et concernait les cinq principaux fabricants mondiaux (dont Archer
Daniels Midland). Cet accord s’accompagnait d’échanges d’informations.
11 Pour Mario Monti, le commissaire chargé de la concurrence, « il s’agit de la série d’ententes la pluspréjudiciable sur laquelle la Commission ait jamais enquêté : elle couvre en effet une gamme de vitamines quel’on retrouve dans une multitude de produits, allant des céréales, biscuits, boissons et autres produitspharmaceutiques et cosmétiques en passant par les aliments pour animaux… Du fait de leur comportementcollusif, les sociétés en question ont pu appliquer des prix supérieurs à ce qu’ils auraient été si le jeu de laconcurrence avait été respecté, ce qui a porté préjudice aux consommateurs et permis aux sociétés d’empocherdes bénéfices illicites. Il est particulièrement inacceptable qu ce comportement illégal ait concerné dessubstances qui sont vitales pour la nutrition et essentielles pour assurer une croissance normale et le maintien dela vie ».12 Les entreprises ont été condamné à des amendes d’un montant de 135.22 millions d’euros.
5
Enfin, le dernier exemple de cartel concerne le gluconate de sodium qui est un produit
chimique utilisé pour nettoyer le métal et le verre et comme additif alimentaire. La
Commission européenne est parvenue à établir que les producteurs de gluconate avaient mis
en place une entente mondiale entre 1987 et 1995, portant sur les prix et le partage du marché.
Cet accord reposait sur une surveillance détaillée des ventes et sur un système de
compensation. Par ailleurs, les participants se sont réunis plus de 25 fois sur la période.
Il est à noter que certaines entreprises ont joué un rôle moteur dans plusieurs de ces
cartels. Ainsi, l’entreprise Archer Daniels Midland (ADM) a été très active dans les cartels de
la lysine, du gluconate de sodium et de l’acide citrique. De même, le nom Hofmann-Roche
apparaît dans les affaires des vitamines et de l’acide citrique 13. Quels autres enseignements
peut-on tirer de ces différents cas ?
L’instabilité des accords de collusion
Plusieurs traits communs peuvent être dégagés de ces quatre cas, rendant compte de la
dimension non-coopérative de la collusion.
Tout d'abord, on peut remarquer que ces cartels s’accompagnaient de nombreux
échanges d’informations entre les firmes. Ces échanges pouvaient se faire au cours de
réunions ou par l’intermédiaire d’associations professionnelles. Ils facilitaient la convergence
de vue entre les firmes sur les objectifs précis du cartel et sur ses modalités de
fonctionnement. Mais, ces échanges d’information permettaient aussi de s’assurer que les
participants respectaient bien leurs engagements.
Par ailleurs, les cartels comportaient souvent des dispositifs de sanctions et de
compensations qui venaient compléter le dispositif d’échanges d’informations, sur les
marchés du gluconate de sodium et de l’acide citrique.
Ces deux traits communs témoignent du fait qu'une collusion est toujours difficile à
mettre en place et instable par nature. Cette instabilité avait bien été souligné dans les travaux
pionniers de Orr et Mac Avoy [1965] et de Osborne [1976] sur la collusion. Ces derniers
13 « Le fait que certaines des sociétés concernées aient été sanctionnées très récemment pour un comportementillicite (ADM et Jugbunzlauer) dans l’affaire du gluconate de sodium et Roche dans l’affaire des Vitamines,montre à quel point ces pratiques secrètes sont répandues ou du moins avaient coutume de l’être. J’espère quenotre message est désormais clairement reçu. Les entreprises doivent aujourd’hui être pleinement conscientesdes risques qu’elles courent au cas où elles seraient tentées d’adopter des comportements collusoires », déclaraitMario Monti à propos du cartel de l’acide citrique.
6
avaient dégagé quatre problèmes communs à toutes les ententes explicites ou tacites : la
recherche d’un accord entre les firmes, la détection des déviations lors de l’exécution de cet
accord, leur punition et l’entrée de nouvelles firmes sur le marché. Toute collusion est donc
confrontée à des risques d’instabilité externe (de la part des firmes ne participant pas à
l'entente) et des risques d’instabilité interne (de la part des firmes participant à l’entente)14.
L’instabilité externe aurait pour effet de limiter la durée de vie des cartels et donnerait
lieu au paradoxe suivant : une industrie collusive pourrait être caractérisée par des profits
agrégés inférieurs à ceux d’une industrie non collusive. Comme le démontre Selten [1984], la
collusion stimulerait les entrées de nouvelles firmes et diminuerait la concentration et les
profits sur le marché. L'étude empirique d'Asch et Seneca [1976] semble donner raison à
Selten. A partir de deux échantillons de firmes américaines, le premier composé de firmes
poursuivies pour entente et le second de firmes qui n’ont jamais été poursuivies, les deux
auteurs estiment que les firmes collusives sont moins profitables que les firmes non
collusives15. La libre entrée apparaît donc comme un obstacle important à la collusion16.
Néanmoins, le principal obstacle à la collusion tient aux risques d'instabilité interne.
Ces risques se manifestent à deux niveaux bien distincts : d’une part dans la phase d’accord
d'une collusion et d’autre part dans la phase d’exécution de cet accord.
Dans la phase d’accord, l’instabilité peut venir des divergences de vues entre les
firmes. Ces dernières peuvent avoir des difficultés à s’entendre sur un accord (sur des quotas
de vente, sur un niveau de prix), compte tenu de leurs intérêts propres et de la multiplicité des
accords possibles. Certains facteurs peuvent toutefois limiter ces divergences : symétrie des
firmes, homogénéité des biens et services, forte concentration. Ainsi, d'après Jacquemin et
Slade [1989], les efforts déployés pour parvenir un accord seraient une fonction croissante du
nombre de firmes sur le marché et de leur hétérogénéité en termes de coûts, de préférences, de
capacités, de qualité des biens.
14 L'analyse de l'instabilité externe relève plutôt de la théorie des jeux coopératifs (problème de coalition et departage des gains), alors que l'analyse de l'instabilité interne relève de la théorie des jeux non coopératifs (jeuxrépétés). Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de ne traiter que le second point qui nous apparaîtbeaucoup plus riche en termes d'enseignements pour la politique de la concurrence.15 Asch et Seneca avancent deux autres explications à ce résultat quelque peu surprenant. D’une part, lesindustries peu performantes auraient plus d’incitations à s’entendre si bien que leurs profits collusifs resteraienten moyenne inférieurs aux profits des industries plus performantes. D’autre part, les firmes poursuivies seraientcelles qui auraient le plus de difficultés à soutenir discrètement une entente.16 Même si Harrington [1989] ou Friedman et Thisse [1993a] ont montré qu’il était théoriquement possible desoutenir une collusion sur un marché avec libre entrée.
7
Les risques d’instabilité sont tout aussi élevés dans la phase d’exécution de l’accord
collusif. Le respect de l’accord et des engagements pris ne va pas de soi, faute de signer des
contrats juridiquement exécutoires. L’existence d'une collusion dépendra alors de la capacité
des firmes à s’auto-discipliner, à détecter les tricheurs et à les sanctionner. Le succès d’un
cartel ne repose donc pas sur des tiers (les tribunaux), mais sur les firmes elles-mêmes. Ces
dernières doivent veiller au bon fonctionnement de l'accord et être prêtes à punir toute firme
qui dévierait de cet accord. La menace de représailles futures peut s'avérer suffisante pour
dissuader les comportements opportunistes et rendre les firmes très coopératives.
Cette lecture de la collusion doit beaucoup à la théorie des jeux répétés. Les jeux
répétés mettent l'accent sur la stabilité de la collusion, à travers le concept d'équilibre de
Nash, appelé aussi équilibre non coopératif. Un accord de collusion constituera un équilibre
de Nash d'un jeu répété si aucune firme n'a individuellement intérêt à dévier de cet accord,
étant donné que les autres firmes respectent cet accord.
La collusion repose donc sur des comportements qui sont individuellement rationnels
dans le cadre d’un jeu répété, les firmes ne faisant que tirer parti de la dynamique du jeu
concurrentiel. Toutefois, pour parvenir à cette situation d’équilibre non coopératif, les firmes
sont en pratique contraintes de recourir à la concertation et à un minimum d’accord (même
oral) tant « il est difficile d’imaginer que les comportements prescrits par la collusion puissent
apparaître autrement » (Friedman ([1986],p112)17. Les entreprises doivent s'accorder sur la
conduite à tenir selon les différents évènements qui pourraient survenir. Il s'agit notamment de
spécifier les règles de punition si l’une des firmes venait à dévier. Ces punitions peuvent par
exemple consister à déclencher des guerres de prix de durée plus ou moins longue.
Il semble donc peu vraisemblable qu'une collusion tacite apparaisse de manière
spontanée sur un marché. En règle générale, on a affaire à des collusions arrangées, qui vont
se différencier par le caractère plus ou moins explicite de l'accord entre les firmes.
Au delà des discussions nécessaires autour de la stratégie à suivre, les firmes peuvent
aussi adopter, après concertation, des pratiques facilitant la stabilité de l'accord collusif ou
visant à rendre le marché plus propice à la collusion. La section suivante propose un test
17 « Je ne connais aucun travail théorique qui peut dire comment un groupe de firmes peuvent se comporter demanière non-coopérative sans communiquer et choisir ou trouver le moyen d’atteindre l’équilibre Pareto-Optimal du jeu répété »(Friedman [1977] p189).
8
simple permettant d’identifier et d’évaluer rigoureusement les structure de marché et les
pratiques facilitant la collusion.
Section 3. Test théorique de stabilité de la collusion
En cas d'accord collusif, la stabilité de la collusion peut être évaluée à partir des
conditions de non déviation de cet accord. Ces conditions consistent à s’assurer que pour
chacune des firmes le gain attendu d’une déviation est toujours inférieur au coût des punitions
qui s’ensuivraient. La comparaison des flux de profits associés à une stratégie de respect de
l'accord et à une stratégie de déviation nécessite l’introduction d’un facteur d’actualisation qui
donne une commune mesure aux profits présents et futurs. Il correspond à la valeur que les
firmes accordent au présent 18.
Les contraintes de non déviation peuvent alors s’interpréter comme des cond itions sur
la valeur minimum du facteur d’actualisation en dessous duquel les firmes sont incitées à
dévier. Cette valeur minimum est appelée le facteur d’actualisation seuil. Elle permet de
mesurer les possibilités de collusion sur un marché. Lorsque la valeur du facteur seuil
diminue, les contraintes d’incitations se desserrent et les possibilités de collusion augmentent.
La théorie des jeux répétés offre un test de vraisemblance de la collusion et permet de
comparer des structures et des conditions de marché sur la base du principe suivant.
PRINCIPE 1 : Une structure de marché sera jugée plus porteuse d’incitations à la
collusion qu’une autre structure si le facteur seuil associé à la première est plus faible
que le facteur seuil associé à la seconde, pour le même type d’accord.
Par exemple, supposons que les firmes utilisent des stratégies de déclic, consistant à
suivre l’accord collusif tant que personne n’a dévié et à revenir à l’équilibre concurrentiel dès
qu’une déviation est détectée. Ces stratégies ont été proposées par Friedman [1971]. Nous
considérons un marché composé de n firmes. Soient π id le profit de déviation maximum que
peut espérer la firme i, π ic son profit de collusion, π i
p son profit concurrentiel (profit de
9
punition) et δ le facteur d’actualisation en vigueur sur le marché. Nous supposons qu’une
déviation a une probabilité φ d’être détectée par les autres firmes et que le temps de réaction
(le laps de temps durant lequel les firmes ne peuvent pas modifier leurs décisions) est égal à τ.
Si φ est égal à 1, la détection est immédiate et si τ est égal à 1, la punition démarre à la
période suivante. La condition vérifiant que la firme i n’a jamais intérêt à dévier s’écrit :
( )ci
pi
di
ci πφφπ
δδ
πδδ
δπ ττ
)1(11
11
−+−
+−−
≥−
(1.1)
Le terme de gauche représente la valeur actualisée des profits associés à la stratégie de
collusion et le terme de droite la valeur actualisée des profits associés à la meilleure stratégie
de déviation. Cette dernière valeur dépend des paramètres τ et φ. Selon la condition (1.1), la
firme i ne peut espérer aucun gain d’une déviation de l’accord de collusion. Après réécriture
de cette condition, nous obtenons :
[ ]δπ π
π φπ φ πτ≥
−− − −
id
ic
id
ip
ic( )1
1
(1.2)
L’expression de droite est appelée le facteur d’actualisation seuil de la firme i. Elle
nous donne la valeur du facteur d’actualisation δ en dessous duquel la firme i est incitée à
dévier. La stabilité du marché est évaluée à partir de la valeur maximum des n facteurs seuils
individuels dérivés de la condition (1.2).
δ =Max{i∈N} [ ]
−−−−
= τ
πφφππππ
δ 1
)1( ci
pi
di
ci
di
i est la valeur du facteur d’actualisation en
dessous duquel les firmes ne peuvent pas soutenir un équilibre collusif stable. La comparaison
entre deux structures de marché se fait alors sur la base de leurs facteurs seuils respectifs δ .
Ce principe de comparaison permet de dresser une liste des facteurs facilitant la
collusion tacite. Un facteur structurel est porteur d’incitations à la collusion s’il contribue à
diminuer la valeur du facteur d'actualisation seuil δ . Comme cette valeur est d’une part une
fonction décroissante du profit de collusion π ic et de la probabilité de détection φ , et d’autre
part une fonction croissante du profit de déviation π id , du profit de punition π i
p , et du temps
18 Un facteur d'actualisation proche de 0 signifie que les firmes ont une très forte préférence pour le présent (ellesont un comportement myope), alors qu'un facteur d'actualisation proche de 1 indique que les firmes ont une très
10
de réaction τ, il suffit d’analyser l’effet de ce facteur structurel sur chacune des composantes
de δ .
Ces différents effets peuvent être ramenés à deux principaux effets : un effet punition
et un effet déviation. Un facteur structurel peut ainsi avoir comme effet de renforcer la
sévérité des représailles (via une baisse des profits de punition) ou de rendre le marché plus
transparent (en augmentant la probabilité de détecter des déviations). Dans les deux cas, cet
effet punition facilite l'application des accords de collusion.
Un facteur structurel peut aussi avoir comme effet d’augmenter les profits de collusion
ou de réduire les profits de déviation, les entreprises ayant alors moins d’incitations à dévier
de l’accord collusif.
Si les effets déviation et punition vont dans le même sens, la contribution d’un facteur
structurel à la collusion est sans ambiguïté. Mais le plus souvent les effets jouent dans un sens
opposé et nécessitent une analyse approfondie pour déterminer lequel des deux effets domine.
On peut appliquer le même type de tests aux comportements des firmes. En effet, les
entreprises peuvent adopter certaines pratiques dans le but de modifier la structure du marché
et de la rendre plus favorable à la collusion. Ces pratiques peuvent faciliter l’exécution d’une
collusion, en jouant sur l’effet punition (punitions plus sévères) et/ou sur l’effet déviation
(déviations moins profitables).
PRINCIPE 2 : Une pratique sera jugée porteuse d’incitations à la collusion si elle
permet de réduire le facteur d’actualisation seuil sur le marché.
Un dernier principe mérite d’être signalé, lorsque les firmes s’entendent sur des
stratégies de déclic à la Friedman. Dans ce cas, les punitions consistent à revenir à l’équilibre
« concurrentiel ». On a alors le résultat paradoxal suivant.
PRINCIPE 3 : Tout facteur qui intensifie la concurrence entre les firmes est porteur
d’incitations à la collusion.
Ce principe vient du fait que toute baisse des profits de punition augmente les
possibilités de collusion. Selon ce principe, tout facteur structurel ou toute pratique qui
forte préférence pour le futur.
11
conduit à des profits concurrentiels plus faibles renforce la sévérité des punitions dans un
accord collusif et concoure donc à diminuer le facteur seuil d’actualisation. Ce principe
appelé Topsy torvy principle19 par Shapiro [1989] peut conduire à des résultats contre-intuitifs
dès lors que l’on passe d’une analyse statique à une analyse dynamique de la concurrence.
Selon ce principe, les structures de marché porteuses d’incitations à la collusion peuvent en
effet conduire à des situations très concurrentielles ou très collusives !
Dans les deux section suivantes, nous allons voir comment ce cadre d'analyse
théorique peut éclairer les autorités sur les facteurs structurels et les pratiques facilitant la
collusion.
Section 4. Applications aux structures de marché
Parmi les facteurs structurels pouvant jouer un rôle déterminant dans les accords de
collusion, nous nous intéresserons à la concentration de l’offre, la nature de la concurrence et
des biens produits et les caractéristiques de la demande.
La concentration de l’offre
Un nombre de firmes trop élevé non seulement perturbe la phase d’accord, mais rend
aussi plus difficile l’exécution d'un accord collusif. En effet, la surveillance des
comportements rivaux et la détection d’éventuelles baisses secrètes de prix sont plus difficiles
lorsque le marché est faiblement concentré. En d'autres termes, la probabilité de détecter une
déviation (φ) diminue avec le nombre de firmes20. De même, les profits individuels de
collusion tendent à diminuer avec le nombre de firmes, ce qui réduit les incitations à respecter
l'accord.
Par exemple, dans le cadre d’un jeu répété en prix sans contrainte de capacité, avec n
firmes identiques en coût, si πm est le profit de monopole, le profit de collusion est égal à π ic =
π m
n , le profit de déviation à π id =πm et le profit de punition (de Bertrand) à π i
p = 0. Dans ces
19 Topsy turvy peut se traduire par « sens dessus dessous ».20 De plus, si les firmes sont nombreuses ou de petites tailles, elles prennent moins conscience de leursinterdépendances et chaque firme fait face à une demande individuelle très élastique porteuse d’incitations àdévier.
12
conditions, δ =[ ]nn
−− −
11
1
( )φτ et on remarque que le facteur seuil croît avec le nombre de
firmes. La concentration de l'offre favorise donc la stabilité de la collusion. La même relation
est obtenue dans le cas d’un oligopole en quantités.
En revanche, Brock et Scheinkman [1985] montrent que dans une concurrence en prix
avec contrainte de capacité, une hausse du nombre de firmes renforce à la fois la sévérité des
punitions (effet punition) et les incitations à dévier (effet déviation). Ces deux effets
s'opposent et il en résulte que le facteur d’actualisation seuil va diminuer initialement, puis
augmenter avec le nombre de firmes (relation non monotone). La collusion est donc plus
difficile à soutenir lorsque les firmes sont peu nombreuses ou au contraire très nombreuses.
En revanche, les possibilités de collusion sont maximales pour une concentration
intermédiaire21.
Collusion en prix versus collusion en quantité
Dans le cas de biens homogènes, une concurrence en prix donne des profits plus
faibles qu'une concurrence en quantités (à la Cournot). Les punitions sont donc plus sévères
dans le cas d'une collusion en prix que dans une collusion en quantités, en présence de
stratégies de déclic. Mais parallèlement, une collusion en prix offre des opportunités de gains
plus élevées en cas de déviation qu'une collusion en quantités. Sauf dans le cas d’un duopole,
l’effet déviation l’emporte sur l’effet punition et rend plus difficile l'exécution d'une collusion
en prix que l'exécution d'une collusion en quantités22. Une concurrence en prix conduit donc
les firmes à être plus agressives.
Dans le cas de biens différenciés substituts, Lambertini et Schultz (2003) montrent
qu'une collusion en quantités est là encore plus facile à soutenir qu'une collusion en prix (voir
aussi Martin [1993]). En revanche, lorsque les biens sont des compléments, une collusion en
prix est plus stable qu'une collusion en quantités.
21 Signalons que Fraysse et Moreaux [1985] obtiennent un résultat similaire dans le cadre d’un oligopole enquantités avec coût fixe.
22 En effet, le facteur seuil d’une collusion en quantités est égal à τ
φδ
++
+=
nnn
4)²1()²1( . Cette expression est
inférieure au facteur seuil d’une collusion en prix [ ] τ
φ1
)1(1−−
−n
n si 3n²-6n -1 >0. Pour un nombre de firmes
supérieur à 3, cette relation est toujours vraie.
13
Les contacts multimarchés
C. Edwards en 1955 fut un des premiers à reconnaître que l’existence de contacts sur
plusieurs marchés pouvait réduire la concurrence entre les firmes et encourager une coexistence
plus que pacifique (mutual forbearance). Bernheim et Whinston [1990] reprennent cette idée et
démontrent que si les firmes et les marchés sont identiques (ou symétriques) et la technologie est
à rendement constant, le contact multimarchés n'a aucun effet sur les possibilités de collusion.
Par contre, si on relâche l'une de ces trois hypothèses, le contact multimarchés renforce la
capacité des firmes à soutenir la collusion. L’intuition est la suivante : les contacts multimarchés
permettent de grouper les conditions de non déviation des différents marchés sur lesquels les
firmes opèrent en commun. Les punitions en cas de déviation sont beaucoup plus sévères car un
déviant est puni sur tous les marchés (effet punition) même si le gain associé à une déviation
multimarchés est plus élevé (effet déviation). L'effet punition l’emporte sur l’effet déviation s’il
existe une asymétrie au niveau des firmes ou des marchés ou si les rendements ne sont pas
constants. A travers le contact multimarchés, les firmes transmettent leur capacité d’entente des
marchés porteurs de collusion, vers les marchés où la collusion est plus fragile23.
Ces résultats ont été validés par des expériences de laboratoire (Mason et Phillips [1992])
et par plusieurs études économétriques (Heggestad et Rhoades [1978], Scott [1982]). Dans le
secteur aérien, Evans et Kessides [1995] ont obtenu un effet significatif et positif du contact
multimarchés sur le prix des billets d’avion. De même, sur le marché de la téléphonie mobile aux
Etats-Unis, Parker et Röller (1997), ainsi que Busse (2000) ont mis en évidence un effet positif
des contacts multimarchés entre opérateurs sur le niveau des prix pratiqués.
La nature des biens
Une collusion sur des biens homogènes est-elle plus stable qu'une collusion sur des
biens différenciés ? Lorsque les biens sont différenciés, le gain attendu d’une déviation
23 Scott [1991] défend l’idée que le contact multimarchés faciliterait aussi la convergence de vue de firmeshétérogènes et diverses, parce que les firmes en contact se connaissent mieux et qu’elles peuvent s’attribuer dessphères d’influence (partage tacite des marchés) pour surmonter leurs asymétries. Chaque firme serait ensituation de quasi monopole dans sa sphère d’influence, fixerait le prix qu’elle désire et capterait la plus grandepartie de la demande. Les autres firmes ne chercheraient pas à augmenter leur faible part de marché par desbaisses secrètes de prix, pour ne pas s’exposer à des représailles dans leurs sphères d’influence.
14
diminue24, mais dans le même temps, les représailles sont moins sévères puisque la
différenciation augmente les profits concurrentiels. La différenciation a donc un effet a priori
indéterminé sur les possibilités de collusion d’autant qu’il existe différentes formes de
différenciation.
En différenciation horizontale (à la Hotelling) avec coûts de transports quadratiques,
Chang [1991] est parvenu à démontrer que les possibilités de collusion diminuaient à mesure
que les firmes se rapprochaient l’une de l’autre. Autrement dit, le facteur d’actualisation seuil
tendait à augmenter lorsque les biens devenaient plus substituables. De plus, il a montré que
les possibilités de collusion augmentaient avec les coûts de transport supportés par les
acheteurs. Au final, il est important de retenir que si des biens homogènes facilitent la
convergence de vue dans la phase d’accord, des biens différenciés horizontalement peuvent
faciliter l’exécution de la collusion25.
En différenciation verticale, Häckner [1994] démontre que la collusion est plus facile
si les qualités des biens sont proches. En effet, une trop grande asymétrie en qualité n’incite
guère la firme de haute qualité à coopérer. Symeonidis [1999] en conclut que les industries
dans lesquelles la R&D et la publicité sont importantes (favorisant les écarts de qualité entre
produits concurrents) devraient être moins sujettes à la collusion.
Les caractéristiques de la demande
La transparence et la régularité des transactions sur les marchés devraient faciliter
aussi la collusion, car elles augmentent la probabilité de détection des déviations (φ) et
réduisent le temps de réaction des concurrents (τ). Sur un marché transparent, les firmes sont
conscientes qu’elles seront immédiatement détectées en cas de déviation. De même, les
déviations seront moins profitables si les clients passent de fréquentes commandes, car les
punitions peuvent être déclenchées après un laps de temps très court. Si les transactions sont
irrégulières ou très espacées, les punitions perdent de leur efficacité.
24 De même, l’existence d’un coût de changement de fournisseur (switching cost) qui constitue aussi une formede différenciation des biens (Klemperer [1989]), rend les déviations moins profitables, puisqu'il faut proposerdes baisses de prix plus élevées pour attirer les clients des firmes rivales.25 Voir aussi Ross [1992], Deneckere [1983] et Häckner [1996] sur cette question. Toutefois, Symeonidis[2002] montre que si les firmes ont la possibilité de multiplier les variétés ou les localisations, la collusion peutdevenir plus instable. Une hausse du nombre de variétés produites accroît en effet les incitations à dévier del'accord collusif.
15
La dispersion de la demande est aussi un élément qui facilite la collusion. Stigler
[1964] défend l’idée que les incitations à proposer des rabais secrets à une multitude de petits
acheteurs sont faibles car ces baisses de prix ont peu de chances de rester secrètes26. De plus,
l’existence d’un grand nombre d’acheteurs justifie souvent l’usage de prix affichés
publiquement (prix postés), ce qui rend les déviations parfaitement observables. En revanche,
si les clients sont peu nombreux, les prix peuvent être négociés et les baisses de prix sont plus
difficiles à détecter. Une concentration de la demande peut aussi se caractériser par des
commandes importantes qui incitent les vendeurs à proposer des rabais pour décrocher le
contrat27. Pour toutes ces raisons, la dispersion de la demande est un facteur favorable à la
collusion.
La variabilité de la demande et les guerres de prix
La manière dont varie la demande au cours du temps est déterminante pour la stabilité
des collusions. Tout d'abord, une croissance soutenue du marché apparaît comme un facteur
favorable à la collusion. En effet, la préférence des firmes pour le futur (leur facteur
d'actualisation) sera d'autant plus forte que le taux de croissance de la demande est élevé. Par
ailleurs, en cas de forte croissance, les perspectives de profits élevées dans les périodes
futures renforceront le coût attendu des punitions et conduiront les firmes à être plus
coopératives.
Plus précisément, Halthiwanger et Harrington [1991] dans un modèle de demande
cyclique concluent que pour un même niveau de demande, la collusion est plus difficile à
soutenir en période de récession (partie descendante du cycle) qu’en période de croissance
(partie ascendante). En effet, si le gain net d’une déviation est le même dans les deux cas, la
sévérité des punitions en revanche est plus grande en période de croissance. Les auteurs
prédisent donc que les cartels devraient être plus instables dans les périodes de récession et
que les déviations devraient intervenir surtout lors des retournements de cycle (en début de
26 Soit ϕ la probabilité que les firmes rivales entendent parler d’une baisse secrète de prix offerte à un client. Siune firme propose une telle baisse de prix aux m clients sur le marché, la probabilité que les firmes détectent aumoins une des ces offres est égale à 1- (1-ϕ)m. Lorsque m augmente, cette probabilité se rapproche de 1.27 Notamment lors d’appels d’offres importants, la collusion peut être difficile à soutenir. Toutefois, si lesappels d’offre sont répétitifs, les firmes peuvent s’arranger pour gagner à tour de rôle. Pour une analyse desmarchés d’enchères, on peut consulter Hendricks et Porter [1989]. Ces derniers montrent que selon la nature desbiens et les règles d’enchères, les incitations à la collusion seront plus ou moins fortes.
16
récession) 28. Toutefois, si les firmes parviennent à maintenir leur entente durant tout le cycle,
les profits collusifs devraient être pro-cycliques atteignant leur maximum un peu avant la fin
de la période de croissance29. Ces prédictions ont été testées par Borenstein et Shepard [1996]
sur le marché des stations services aux U.S.A. Ils constatent que les marges des stations
services augmentent lorsque la demande anticipée augmente (profits pro-cycliques) et
diminuent lorsque le prix anticipé des inputs augmente. Ce dernier résultat est conforme aux
prédictions car une hausse des coûts de production diminue le coût attendu des punitions à
l’instar d’une baisse de la demande.
Par ailleurs, une forte volatilité ou des variations inattendues de la demande
constituent un facteur d’instabilité pour un cartel, surtout lorsque les firmes observent
imparfaitement les choix de leurs concurrents. En effet, à la suite d’un choc négatif sur la
demande, les firmes peuvent interpréter à tort une baisse de leurs profits comme le résultat
d’une déviation. Même si Green et Porter [1984] ont montré qu'il était possible de soutenir
une collusion dans un tel contexte, il n'en demeure pas moins que les ententes sont plus
fragiles et moins profitables.
Dès lors que les firmes ont conscience que le succès d’une entente dépend fortement
de la structure du marché, elles peuvent être tentées de recourir à certaines pratiques ou
réaliser certains investissements stratégiques, visant à rendre le marché structurellement plus
favorable à la collusion. Ces pratiques et investissements peuvent par exemple renforcer la
symétrie, la transparence ou les barrières à l’entrée. Pour les autorités de la concurrence, il est
essentiel de déjouer ces tentatives de cartellisation du marché. Le concept de position
dominante collective, qui a servi dans plusieurs affaires à justifier l’interdiction de certaines
28 Ce résultat contraste apparemment avec celui de Rotemberg et Saloner [1986]. Selon ces derniers, les cartelsseraient plus instables en périodes de boom. Ce résultat est un peu trompeur. Il vient d’une représentationsimpliste des cycles économiques : les auteurs supposent qu’à chaque période, la demande est soit forte (périodede boom) soit faible (période de récession) selon une probabilité indépendante de l’état précédent. Ces variationsaléatoires de la demande génèrent plus d’incitations à dévier dans les périodes de boom, puisque les firmess’attendent en moyenne à des profits plus faibles à la période suivante. Chez Rotemberg et Saloner, une périodede boom est le début d’une récession ! Notons par ailleurs que l'étude économétrique de Dick [1996] sur lasurvie des cartels d'exportation va dans le sens d'Halthiwanger et Harrington. Dick trouve en effet que laprobabilité de rupture d'un cartel est plus grande lors des retournements de cycle.29 Par ailleurs, le modèle d'Halthiwanger et Harrington prédit des prix collusifs pro-cycliques pour des facteursd’actualisation élevés et des prix contra-cycliques pour des facteurs d’actualisation moyens.
17
pratiques et accords (notamment des fusions) témoigne bien de cette prise de conscience des
autorités30.
Dans la section suivante, nous allons partir du cartel de la lysine mentionné
précédemment, pour illustrer le rôle que peuvent jouer certaines pratiques dans la mise en
place et la stabilité des collusions.
Section 5. Les pratiques collusives : une application au cartel de
la lysine
Jeux répétés et pratiques collusives
Les premières analyses portant sur les pratiques collusives étaient de nature très
empiriques : monographies, études de cas… La liste de pratiques collusives, comprenant entre
autres les échanges d'informations, les clauses commerciales de meilleurs prix et du client le
plus favorisé ou le leadership en prix, avait d'ailleurs tendance à s'enrichir à chaque nouveau
cartel mis à jour par les autorités concurrentielles(Scherer et Ross [1990]). Ainsi l'intérêt pour
les clauses commerciales a été suscité par deux grands procès aux Etats-Unis dans l’industrie
de l’éthylène et dans celle des turbines électriques31.
La théorie des jeux répétés, à partir des années 80, se révèle utile pour faire le tri dans
cette longue liste de pratiques et mieux évaluer les effets de chacune de ces pratiques. Ces
dernières peuvent faciliter la collusion soit en réduisant les gains attendus d'une déviation de
l'accord collusif (effet déviation), soit en renforçant la capacité de représailles des firmes
(effet punition).
Ainsi, la clause du client le plus favorisé et la clause du meilleur prix auraient selon
Salop [1986] pour effet de faciliter la détection des baisses de prix32. L'adoption de telles
30 Le concept de position dominante collective a notamment été utilisé dans la fusion Nestlé-Perrier (Décisiondu 17/2/92 BSN-Perrier, JOCE 5/12/92. En se basant sur une analyse du marché, la Commission a estimé quel’opération de concentration renforcerait les risques de « parallélisme conscient de comportements », le marchédes eaux de source présentant une structure favorable à la collusion (duopole, demande dispersée, peu de progrèstechnique, fortes barrières à l’entrée).31 Dans le cas de l’éthylène, Dupont et Ethyl furent poursuivies pour usage anti-concurrentiel des annonces deprix à l’avance et des clauses du client le plus favorisé (voir Hay [1994] pour une analyse de ce cas). Dans le casdes turbines, General Electric et Westinghouse, outre l’offre de ces clauses, publiaient une liste détaillée des prixde chaque composant, pour surmonter le problème de l’hétérogénéité du bien final.32 Voir aussi Cooper (1986) sur la clause du client le plus favorisé (CPF) et Logan et Lutter [1987] sur lesclauses du meilleur prix (MP), ainsi que Holt et Scheffman [1987] et Schnitzer [1994] pour une comparaison de
18
clauses pourrait donc parfaitement s'expliquer par des motifs stratégiques de collusion33. De
même, les fusions (Davidson et Deneckere [1984]), les participations croisées (Malueg [1992]),
les accords de R&D (Fershtman & Gandal [1994]) ou de licences (Lin[1996], Eswaran
[1993]), les choix de localisations (Friedman et Thisse [1993b], Chang [1992]) ou les choix
de capacités de production pourraient très bien relever de stratégies collusives. Toutefois,
toutes ces pratiques ont des effets complexes et peuvent présenter des avantages en termes de
progrès économiques, justifiant une exemption de la part des autorités de la concurrence34. La
théorie des jeux répétés peut se révéler utile pour décider si ces pratiques doivent être
autorisées ou non, tout comme elle peut servir à apprécier la gravité de ces mêmes pratiques
lorsqu'elles sont mises en œuvre dans le cadre d'un cartel.
Nous allons étudier plus précisément trois de ces pratiques, les échanges
d'informations, les surinvestissements en capacités et les guerres de prix, auxquels ont eu
recours les membres du cartel de la lysine.
Le cartel de la lysine
La lysine est un complément nutritionnel utilisé dans l'alimentation animale. Elle est
obtenue par un procédé consistant à utiliser une bactérie génétiquement modifiée pour fermenter
des hydrates de carbone. Cette technologie exige des compétences élevées en biochimie et
d'importants investissements en équipements. Les barrières à l'entrée sont donc relativement
élevées, d'autant que certains aspects du procédé sont sous brevet.
Avant 1991, il n'existait que trois fabricants de lysine Ajinomoto, Kyowa et Sewon, ayant des
capacités de production respectivement de 80 000, 50 000 et 30 000 tonnes. Ces trois fabricants
asiatiques (les deux premiers sont japonais et le dernier coréen) avaient pris l'habitude dans le
passé de se concerter sur les prix. L'arrivée programmée de deux nouveaux concurrents en 1991,
l'américain Archer Daniels Mildland (ADM) et le coréen Cheil, va relancer cette entente.
l’efficacité des clauses CPF et MP. Selon Schnitzer, les clauses MP seraient beaucoup plus collusives que lesclauses CPF.33 Les expériences menées en laboratoire par Grether et Plott [1984] donnent de la consistance à l’idée que cesclauses seraient proposées pour des motifs de collusion. Toutefois, Crocker et Lyon [1994] avancent que cesclauses peuvent aussi servir l’efficacité économique, en facilitant les ajustements en prix dans les contrats delong terme. Ils montrent empiriquement que dans les contrats de gaz naturel, l’adoption de ces clauses s’expliquepar une volonté de flexibilité et d’efficacité contractuelle.34 En Europe comme en France, les pratiques concertées et accords qui contribuent significativement au progrèséconomique, peuvent sous certaines conditions bénéficier d'une exemption (autorisation).
19
Ainsi en 1990, ADM annonce son entrée sur le marché, avec la construction d'une usine dont la
capacité devait égaler les capacités existantes sur le marché (c'est à dire un peu plus de 150 000
tonnes). ADM est un groupe mondial spécialisé dans la transformation de céréales et
d'oléagineux (plus de deux cents usines dans le monde), qui a décidé de se diversifier vers la
biochimie (acide citrique, mais aussi lysine). A la même époque, le coréen Cheil décide de
s'établir sur le marché de la lysine avec une capacité de 10 000 tonnes.
Les premières réunions ont lieu en septembre 1990 entre les trois firmes en place, puis
sont suivies de discussions avec ADM et Cheil. La Commission européenne fixe le début de la
collusion entre ADM et les firmes asiatiques à 1992. Cette collusion va s'arrêter en juin 1995,
après que le FBI ait perquisitionné dans les bureaux de ces entreprises. L'enquête du FBI avait en
fait commencé deux ans auparavant, à la suite de la confession d'un haut responsable d'ADM.
Le cartel mondial de la lysine qui a duré au total près de 4 ans, a permis aux entreprises
d'améliorer sensiblement leurs marges. Selon J. Connor [1999], pour les seuls Etats-Unis les
surprofits pourraient dépasser les 150 millions de dollars35.
Le fait que le marché de la lysine ait fait l'objet de collusion aussi profitable et pendant
une période aussi longue n'est pas le fruit du hasard. On peut remarquer que le marché de la
lysine présentait plusieurs facteurs structurels favorables à la collusion. Tout d'abord, le
marché était relativement concentré du côté de l'offre, avec initialement trois concurrents, puis
cinq concurrents après 1991. Cette concentration tient à l'existence de fortes barrières à
l'entrée de nature technologique essentiellement.
Du côté de la demande, la dispersion était relativement élevée. Les acheteurs de lysine
qui sont des fabricants d'aliments composés, représentaient à cette époque près d'un milliers
d'usines en Europe. Par ailleurs, la lysine est un produit parfaitement homogène, ce qui facilite
les accords en prix. Autre facteur favorable, les fabricants de lysine avaient des contacts multi-
marchés sur les différents continents : ils étaient en concurrence sur les marchés européens,
asiatiques et nord-américains, ce qui pouvait faciliter les représailles.
Si le marché de la lysine apparaissait relativement propice à la collusion, plusieurs
facteurs pouvaient toutefois faire obstacle à une entente durable, surtout après l'entrée d'ADM
et de Cheil.
Tout d'abord, le marché n'était pas parfaitement transparent en matière de prix et de
quantités vendues. Les prix étaient dans de nombreux cas négociés directement avec les
35 Voir Connor (1999, 2000) pour une chronologie détaillée de ce cartel et un calcul des dommages. Voir aussiWhite (1999) pour une discussion sur la durée et la gravité de ce cartel.
20
acheteurs. Ce mode de fixation des prix laissait donc la possibilité d'offrir des baisses de prix
secrètes difficilement détectables.
Plus fondamentalement, les fabricants disposaient de capacités de production et de
coûts asymétriques. L'entrée d'ADM avec des capacités égales aux capacités du reste des
concurrents est à l'origine de cette asymétrie. A l'autre extrémité, Cheil et Sewon disposaient
de capacités très faibles. Or l'asymétrie entre firmes est généralement un facteur déstabilisant
aussi bien dans la conclusion d'un accord que dans la phase d'exécution de cet accord (voir
Pénard 1998). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les firmes les plus incitées à dévier se
révèlent être les deux plus petites, en particulier Sewon qui ne cessera durant les quatre
années de contester l'accord.
Les asymétries de capacités et l'absence de transparence sur les ventes de lysine vont
rendre très difficile tout accord sur les quantités, même si les firmes vont réussir sur la même
période à s'entendre sur les prix.
Pour atténuer ces obstacles à la collusion, les firmes ont eu recours à trois pratiques :
les échanges d'informations, les surinvestissements en capacités et les guerres de prix, les
deux dernières étant bien évidemment liées (les guerres de prix étant plus efficaces lorsque les
firmes disposent d'excès de capacités de production).
Les échanges d'informations
Les fabricants de lysine ont toujours eu l'habitude de procéder à des échanges
d'informations. Mais ces pratiques se sont intensifiées après l'arrivée d'ADM et de Cheil. Le
marché devenant moins propice à la collusion, les fabricants se sont trouvés dans l'obligation
de recourir à des modes de coordination plus explicites. A partir de 1991, ils ont multiplié les
réunions pour discuter de leurs capacités de production et de leurs volumes de vente. A la suite
d'un premier accord sur les prix et sur les capacités de production, les firmes ont par ailleurs
convenu de la chose suivante :
"En cas de violation des accords, chaque entreprise a promis de contacter
immédiatement les autres parties sur une "ligne directe" proposée par Ajinomoto"36
Lors d'un nouvel accord en 1993, un des membres a suggéré des échanges d'informations
via une association professionnelle ou via le leader Ajinomoto. Pour s'assurer de la fiabilité des
36 Paragraphe 61, JO L 152, 7/06/2001..
21
volumes de ventes communiqués, les participants ont aussi proposé de faire appel à un cabinet
d'experts comptables.
Les échanges d'informations apparaissent donc comme une pratique indissociable de
tout accord collusif. Quel regard la théorie des jeux répétés porte-t-elle sur ces échanges
d'informations ?
On comprend aisément que les échanges d'informations permettent de rétablir la
transparence indispensable à l’existence et à la stabilité d'une entente. On peut toutefois
établir une distinction entre les échanges facilitant seulement la convergence de vue et les
échanges facilitant l’exécution de la collusion.
Dans la seconde catégorie, on peut mettre les échanges d’informations sur les prix et
les ventes récentes des firmes qui contribuent à une meilleure surveillance des
comportements. Ceci est d'autant plus vrai que les informations échangées sont précises. Des
informations très désagrégées (par marché, par firmes, par périodes,...) permettent, en
particulier, la mise en œuvre de punitions personnalisées plus efficaces (Abreu [1988],
Segerstrom [1988]37).
En revanche, les échanges d’informations sur la demande, les coûts, les stocks ou les
prix futurs facilitent plutôt la convergence de vues. Sur les échanges d’intentions futures,
Kühn et Vives [1995] invitent cependant les autorités à distinguer les échanges publics
(accessibles aux clients) et les échanges privés. Les premiers améliorent l’information des
consommateurs et peuvent constituer un engagement des firmes sur un prix maximum38. En
revanche si les échanges sont privés, ou s’ils ne comportent pas d’engagements crédibles sur
un prix maximum, leur objet ne peut être que de faciliter la coordination ou la négociation en
prix des firmes au détriment des consommateurs.
Le rôle clé des échanges d'informations est assez bien compris par la Commission
Européenne qui autorise les échanges d’informations agrégées seulement s'ils ne portent pas
sur des informations récentes et s’ils ne sont pas trop fréquents. En revanche, elle s’oppose à
tout échange d’informations individualisées qui permettraient d’identifier les transactions
passées (le lieu, le client, le prix et les quantités). Cette position se retrouve bien dans la
décision de la lysine :
37 Ces derniers montrent, en effet, que si les firmes ont une préférence pour le présent assez élevée, despunitions symétriques sont moins efficaces que des punitions personnalisées (ou asymétriques).38 Les consommateurs peuvent alors comparer les prix et bénéficier des rabais proposés. Un marché plustransparent (pour les consommateurs) rend donc profitable les baisses de prix bien qu’il facilite dans le mêmetemps leur détection.
22
"Chaque entreprise savait qu'elle était surveillée de près par ses concurrents et qu'elle-
même pouvait le cas échéant réagir au comportement de ceux-ci sur la base d'éléments
nettement plus récents et plus précis que ceux qui étaient disponibles par d'autres
moyens. Il s'ensuit que le système d'échanges d'information a sensiblement réduit
l'autonomie décisionnelle des producteurs participants, dans la mesure où il substituait
une coopération pratique entre ces producteurs aux risques normaux de la
concurrence."39
Les choix de capacités de production
Le marché de la lysine se caractérisait avant 1991 par des capacités de production
importantes, bien supérieures à la demande. L'entrée d'ADM a renforcé les excès de capacités.
Quel rôle ont bien pu jouer ces excès de capacités de production ? Ont-ils facilité ou au contraire
fragilisé la collusion ?
Les choix des capacités de production peuvent avoir comme objet de dissuader l’entrée de
nouveaux concurrents40, mais ils peuvent aussi être motivé par une volonté de cartelliser le
marché. Sur ce second point, les économistes ont longtemps pensé que des excès de capacités
intensifiaient la concurrence entre les firmes (Spence [1977]). Leur erreur était de considérer
seulement l’effet des capacités excédentaires sur les incitations à produire et à dévier d'un
accord collusif. A juste titre, Cowling [1983] souligne que des capacités de production élevées
rendent la concurrence en prix ruineuse et incitent les firmes à s’entendre sur les prix.
La théorie des jeux répétés permet de relier ces deux arguments. Dans une concurrence
répétée en prix, des capacités excédentaires renforcent la sévérité des punitions qui soutiennent
la collusion tacite, mais rendent les déviations plus profitables41. A priori, on ne peut savoir
lequel des deux effets domine et les tests économétriques mesurant l’effet des excès de
capacités sur les marges des firmes donnent peu d’indications 42. Selon, Brock et Scheinkman
[1985], il existerait une relation non monotone (croissante puis décroissante) entre les
39 Par. 229, JO L 152, 7/06/2001.40 Les choix de capacités ont essentiellement été traités dans cette optique (Dixit [1980], Gelman et Salop[1983], Bulow, Geanokoplos et Klemperer [1985], Saloner [1985]). La question était de savoir quelle capacitédevait choisir la firme en place pour dissuader l’entrée.41 Lors de la constitution de stocks, les mêmes arguments peuvent être avancés (voir Rotemberg et Saloner[1984]), à une différence près que les stocks correspondent à une menace de punition de durée finie. Lorsque lesstocks sont épuisés, la guerre de prix s’arrête.42 Voir Esposito et Esposito [1974], Berg [1986], Rosembaum [1989], Inwand et Rosembaum [1991].
23
capacités des entreprises et les possibilités de collusion. Les possibilités de collusion seraient
donc plus élevées lorsque les entreprises ont des excès de capacités modérés43.
Sur le plan empirique, plusieurs auteurs ont regardé si des épisodes de collusion pouvait
survenir dans les périodes de récession, périodes qui se caractérisent par un renforcement des
excès de capacité. Plusieurs cas d’industries supportent une telle analyse44. Rees [1993] cite
l’exemple d’une collusion sur le marché anglais du sel dans les années 1980-84 où le taux
d’utilisation des capacités était inférieur à 70 % suite à un déclin de la demande45. Le cas de la
sidérurgie américaine dans les années 30 est aussi très instructif. Selon Baker [1989], cette
industrie a connu une collusion légale entre 1933 et 1935 (dans le cadre du National Recovery
Act) et une collusion tacite entre 1935 et 1939 alors que le taux d’utilisation des capacités était
souvent inférieur à 50%.
Le marché de la lysine constitue une évidence supplémentaire que des excès de capacités
sont loin d'être un obstacle à la mise en place d'une collusion.
Capacités de production et guerres de prix
Sur le marché de la lysine, les surinvestissements en capacités ont permis aux firmes de
disposer des moyens de pressions et de sanctions crédibles sur leurs partenaires. Ces capacités de
production ont notamment permis de mettre en place des guerres de prix qui ont eu à la fois un
rôle de négociation et de dissuasion. Levenstein [1996] à partir d'une analyse historique du
cartel sur le brome avant la première guerre mondiale, avait déjà mis en évidence le fait que
les guerres de prix servent non seulement à pallier les difficultés de surveillances des
participants à la collusion, mais aussi interviennent dans la phase de négociation ou de
renégociation des accords. Une guerre de prix permet par exemple de signaler une baisse de
coûts et d'exiger de meilleurs quotas de production dans le futur accord.
Sur le marché de la lysine, les premiers mois suivant l'entrée d'ADM se sont caractérisés
par des prix très bas. En effet alors qu'ADM cherchait à mettre en place une entente mondiale
avec les firmes en place en réclamant 1/3 des ventes, il montrait sa détermination et sa force en
43 Voir aussi Davidson et Deneckere [1990], Pénard [1997] et Compte, Jenny et Rey [2002] sur le lien entre ledegré d'asymétrie dans les capacités de production et les possibilités de collusion.44 Scherer et Ross [1990] donnent aussi des exemples d’industries (ciment, équipement électrique,..) danslesquelles les excès de capacités ont déstabilisé la collusion.45 Quatorze hausses de prix furent observées entre 1974 et 1984 alors que parallèlement les taux d’utilisationdes capacités passèrent de 84 % en moyenne (sur les années 74-79) à 67 % (sur les années 80-84). Voir Phlips[1993] pour une analyse de ce cas.
24
déclenchant une guerre de prix. Cette offensive avait pour objet de signaler ses capacités de
production élevées et ses faibles coûts de production. Cette guerre de prix s'est accompagnée
aussi d'une invitation à venir visiter son usine aux Etats-Unis :
"Afin de convaincre les producteurs en place du sérieux de ses intentions et des sanctions
qu'ils encourraient s'ils ne consentaient pas à un accord, ADM a proposé à Ajinomoto,
Kyowa et Sewon de venir inspecter son usine de production et elle a lancé d'importantes
opérations de vente à bas prix, ce qui a obligé les producteurs de lysine en place, à
compter du début de 1992, à vendre à prix sacrifiés pour essayer de conserver leurs
parts de marché"46.
Après un an de guerre de prix, les concurrents ont accepté d'attribuer à ADM un quota
élevé. Sans cette guerre de prix, ADM n'aurait pas été dans une position aussi favorable pour
négocier 1/3 du marché.
Les guerres de prix ont aussi servi à faire appliquer l'accord dans un contexte
d'information imparfaite sur les prix et sur les ventes. Depuis l'article Green et Porter [1984], on
connaît le rôle des guerres de prix pour améliorer la stabilité des collusions face à des variations
de demande non anticipées. Ces deux auteurs ont montré que l’existence d’une collusion en
information imparfaite se caractérisait nécessairement par des guerres de prix accidentelles
déclenchées par des chocs négatifs sur la demande et non par des déviations réelles47. Ces
guerres de prix ne sont nullement le signe d'un échec de la collusion, mais sont au contraire un
élément essentiel de stabilité48. Porter [1983] comme Ellison [1994] ont confirmé cette thèse à
partir des données sur un cartel ferroviaire aux Etats-Unis. Ils ont mis en évidence l’existence
alternée de phases de prix élevés et de guerres de prix déclenchées par des demandes non
anticipées élevées49.
Sur le marché de la lysine, De Roos [2000] a montré empiriquement que les prix et
ventes observés durant la période 1991-1995 étaient parfaitement compatibles avec des stratégies
collusives à la Green et Porter. En particulier, De Roos relève un épisode de guerre de prix en
1993 qui peut s'expliquer par la volonté de discipliner l'entente. En effet, l'accord décidé début
46 Par.70, JO L 152, 7/06/2001.47 Le modèle de Green et Porter conduit en fait à quatre prédictions distinctes : 1) des guerres de prixapparaissent périodiquement , 2) ces guerres sont déclenchées à la suite de mauvaises nouvelles pour les firmes(baisses de leurs profits, de leurs parts de marché ou du prix de marché), 3) aucune firme ne propose de baissessecrètes de prix ou ne dépasse son quota de production, 4) la durée et la sévérité des punitions est indépendantede l’importance de la mauvaise nouvelle. Porter [1983] a testé la première prédiction et Porter [1985] ladeuxième prédiction sur le cartel ferroviaire connu sous le nom de Joint Executive Commitee.48 Voir aussi Fershtman et Pakes [2000] qui s'intéressent à l'impact des guerres de prix sur les entrées et sortiesdans des marchés collusifs.49 Voir aussi Slade [1989, 1992] sur le lien entre collusion et variations structurelles de demande.
25
1992 n'était pas pleinement respecté par Sewon qui souhaitait accroître son volume de vente. Des
menaces de représailles ont alors été envisagées par les autres membres sur le marché coréen
"pour que Sewon apprenne à se conduire comme il faut ailleurs".
En 1994, Sewon a fait de nouveau pression pour accroître son quota. ADM a alors agité
la menace de guerres de prix, pouvant conduire à la faillite de cette société la plus fragile sur le
plan financier. Il est aussi intéressant de voir que les membres du cartel ont brandi la menace
d'une OPA sur Sewon pour la dissuader de dévier. Ainsi, certaines fusions pourraient très bien
être motivées par la volonté d'éliminer une source d'instabilité sur des marchés collusifs 50.
Il est intéressant de voir que pour leur défense, les firmes ont invoqué le fait qu'elles
n'avaient jamais vraiment respecté les prix fixés, ni les quotas, qu'elles avaient triché sur les
échanges d'informations et surtout qu'elles avaient procédé à des guerres de prix. La réponse de
la Commission a été la suivante :
"Mais les périodes décrites par les parties comme des "guerres des prix" ne font que
donner une indication de ce qu'auraient été les prix dans des conditions de concurrence
normale"51
Une réponse plus exacte aurait été de dire que les guerres de prix peuvent être partie
prenante de la collusion, en facilitant la négociation et l'exécution de l'accord en information
imparfaite et qu'elles ne peuvent en aucun cas être interprétées comme un échec du cartel.
Section 6 Conclusion
Le rôle de cet article était de montrer combien les collusions peuvent être facilitées par
certains facteurs structurels et certaines pratiques. Ces dernières peuvent d’une part, favoriser
la convergence de vue (en agissant sur la concentration de l’offre, l'homogénéité des biens, la
symétrie des firmes ou les barrières à l’entrée,...), et d’autre part favoriser la stabilité des
accords (en agissant sur la transparence du marché, sur la demande ou les contacts
multimarchés,...).
Les avancées de la connaissance économique, notamment les développements récents
de la théorie des jeux répétés, contribuent sans aucun doute à améliorer l’efficacité de la lutte
50 Les firmes n'ont pas seulement manié le bâton pour discipliner Sewon, elles ont aussi eu recours à la carotte, en luiproposant de racheter une partie de sa production, pour qu'il s'en tienne à son quota de 40 000 tonnes (proposition derachat de 6 000 tonnes par Ajinomoto).51 Par. 293, JO L 152, 7/06/2001.
26
contre les cartels (Pénard et Souam, 2002). C’est un fait que les autorités de la concurrence
ont aujourd’hui une meilleure appréciation du rôle que peuvent jouer les échanges
d’informations (sur les prix et ventes passés) ou les contacts multimarchés dans les ententes.
Ainsi, la Commission européenne a pu mobiliser à plusieurs reprises la théorie des jeux
répétés pour interdire certaines pratiques dont le but était manifestement de faciliter
l’exécution d’une collusion entre les producteurs. Par exemple, elle a interdit un accord
d’échanges d’informations sur les ventes entre les principaux constructeurs de tracteurs au
Royaume-Uni, en avançant des arguments de jeux répétés52.
Toutefois, comme le souligne la Commission européenne, il n’y a pas lieu de relâcher
la pression dans la lutte contre les cartels. Plusieurs facteurs, en effet, viennent compliquer la
tâche des autorités de la concurrence. Tout d’abord, la mondialisation des accords de cartels,
impliquant des firmes multinationales, rend plus difficile leur détection et les poursuites. La
réponse passe par un renforcement de la coopération internationale entre les différentes
autorités de concurrence notamment entre l’Europe et les Etats-Unis. Par ailleurs, les succès
rencontrés par les autorités dans les affaires de cartels ont conduit à une sophistication
croissante des pratiques collusives. La recherche de preuves matérielles est bien plus difficile
qu’auparavant, les firmes étant plus prudentes. A cet égard, l’essor des nouvelles technologies
de l’information et de la communication, (dont Internet) facilitent les échanges d’informations
entre firmes, et la mise en œuvre d’accords plus discrets.
Face aux difficultés croissantes de détection des cartels et de recueil de preuves, la
solution pourrait venir des programmes de clémence mis en place aux Etats-Unis et en Europe
depuis quelques années53. Leur efficacité a été soulignée par la Commission européenne dans
son rapport d’activité 2001. Ces programmes prévoient des réductions d’amendes, voire une
exemption totale, pour les entreprises acceptant de dénoncer un cartel et d’apporter des
preuves de l’accord. Certaines entreprises ont bénéficié de ces mesures de clémence dans les
affaires des Brasseries Belges, de la Vitamine, de l'Acide Citrique, de la Lysine et du British
Sugar. Ainsi, Aventis (ex Rhône Poulenc) s’est vu accorder une immunité totale pour sa
participation au cartel des vitamines, en raison de sa coopération et des preuves qu’elle a
apporté54.
52 Décision du 17/2/92 UK Agricultural Tractor Registration Exchange, JOCE N°L68 13/3/92. Voir Pénard(1998) pour une analyse de cette décision et plus généralement sur l’intérêt des jeux répétés comme instrumentde décision pour les autorités de la concurrence.53 Voir Motta et Spagnolo [2002].54 « Le fait que la Commission a pour la première fois totalement, exempté une société du paiement d’uneamende illustre sa volonté d’offrir aux entreprises qui coopèrent activement dès les tout premiers stades une
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