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ENTREPRENDRE • MANAGER • VENDRE • GÉRER • COMMUNIQUER • PERSO Un entretien de départ formalisé permet de mettre au jour carences ou dys- fonctionnements dans l’entreprise. Une piste efficace pour limiter le turnover. Améliorez votre management grâce... aux démissions ! 74 • L’Entreprise novembre 2007 n° 261 cette pratique doit, pour être efficace, respecter quelques principes de base. Un entretien très formel Facilité ou simplicité de mise en place ne riment pas pour autant avec improvisation. L’entretien doit être préparé et se dérouler de façon assez for- L e turnover, c’est pire que la peste », assure Etienne Rémond, DRH du groupe de restauration Flo. Quel dirigeant, dans un marché du recru- tement de plus en plus tendu, pré- tendrait le contraire ? Et pourtant, lorsqu’un salarié démissionne, l’urgence est davantage à lui recher- cher un remplaçant qu’à remettre en cause le mode de fonctionnement général. On peut le compren- dre, mais cela n’empêche pas certains dirigeants de prendre le temps de procéder à un débriefing avec le partant pour mieux comprendre les motifs de son départ. L’entretien de départ se révèle sou- vent un moyen préventif pour éviter que d’autres salariés ne quittent le navire. En mettant au jour les carences (niveau de salaire, perspec- tives d’évolution, style de management dépassé…), il est plus facile de corriger le tir. Si l’entretien de départ est très pratiqué dans les pays anglo-saxons, il est plutôt rare dans l’Hexagone et se limite le plus souvent à une entrevue informelle, voire à un simple échange de banalités lors du pot de départ. Entre ce qu’exprime un sala- rié lorsqu’on l’interroge vaguement et ce qui remonte dans le cadre formel d’un entretien de départ, il y a parfois un gouffre qui justifie ample- ment ce rendez-vous, y compris dans les petites entreprises, où, paraît-il, « tout se sait ». Peu gourmande en moyens humains ou financiers, « LE SALARIÉ EST SOUVENT CONTENT DE POUVOIR ENFIN S’EXPRIMER ILLUSTRATIONS : JEAN-PHILIPPE PEYRAUD POUR L’ENTREPRISE

Entretien De DéPart

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L'entretien de départ en entreprise

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E N T R E P R E N D R E • M A N A G E R • V E N D R E • G É R E R • C O M M U N I Q U E R • P E R S O

Un entretien de départ formalisé permet de mettre au jour carences ou dys-fonctionnements dans l’entreprise. Une piste efficace pour limiter le turnover.

Améliorez votre managementgrâce... aux démissions !

74 • L’Entreprise novembre 2007 n° 261

cette pratique doit, pour être efficace, respecterquelques principes de base.

Un entretien très formelFacilité ou simplicité de mise en place ne rimentpas pour autant avec improvisation. L’entretiendoit être préparé et se dérouler de façon assez for-L

e turnover, c’est pire que la peste »,assure Etienne Rémond, DRH dugroupe de restauration Flo. Queldirigeant, dans un marché du recru-tement de plus en plus tendu, pré-tendrait le contraire ? Et pourtant,lorsqu’un salarié démissionne,l’urgence est davantage à lui recher-

cher un remplaçant qu’à remettre en cause le modede fonctionnement général. On peut le compren-dre, mais cela n’empêche pas certains dirigeantsde prendre le temps de procéder à un débriefingavec le partant pour mieux comprendre les motifsde son départ. L’entretien de départ se révèle sou-vent un moyen préventif pour éviter que d’autressalariés ne quittent le navire. En mettant au jour

les carences (niveau de salaire, perspec-tives d’évolution, style de managementdépassé…), il est plus facile de corriger letir. Si l’entretien de départ est très pratiquédans les pays anglo-saxons, il est plutôtrare dans l’Hexagone et se limite le plussouvent à une entrevue informelle, voire àun simple échange de banalités lors dupot de départ. Entre ce qu’exprime un sala-rié lorsqu’on l’interroge vaguement et ce

qui remonte dans le cadre formel d’un entretiende départ, il y a parfois un gouffre qui justifie ample-ment ce rendez-vous, y compris dans les petitesentreprises, où, paraît-il, « tout se sait ». Peugourmande en moyens humains ou financiers,

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melle. « Pour briser la glace et dissiper toute para-no quant à d’éventuelles représailles, proposezd’abord au salarié de lui rédiger une lettre derecommandation vis-à-vis d’employeurs poten-tiels » suggère Benjamin Chaminade (voir l’enca-dré page 78). Ce conseiller en ressources humai-nes préconise de préparer une dizaine de questionsouvertes, à poser dans un ordre précis. La rému-nération, que les salariés présentent souventcomme motif principal de démission (mais qui serévèle la plupart du temps secondaire dès qu’oncreuse un peu), doit être le premier sujet à abor-der. Ensuite viennent le contenu du poste et lesquestions relatives au management. Vers la fin del’entretien, on peut adopter un ton plus direct endemandant sans détour au salarié quel a été l’é-lément déclencheur de son départ. Il est très rareque ce dernier ne réponde pas honnêtement :« Lorsqu’il a donné sa démission, il est commelibéré d’un poids, assure Virginie Loye, consultanteà la Cegos. D’une certaine manière, il est contentde pouvoir enfin s’exprimer. » La franchise serad’autant plus au rendez-vous que le salarié auraété rassuré sur le but de l’entretien, à savoir l’a-mélioration des pratiques de l’entreprise. « Il sesent alors presque investi d’une mission ! » affir-me Olivier Gelis, adepte des entretiens de départet directeur général d’Office Team, division de

Robert Half International.Le bon moment, la bonne personnePoser les bonnes questions ne suffit pas pour quel’entretien de départ soit efficace. Encore faut-ilqu’il se déroule au bon moment. Première option :le faire quelques jours avant le départ, car la pres-sion de l’annonce de la démission est retombéeet, le salarié étant dans l’entreprise, l’entrevue peutfacilement se dérouler en face-à-face. Secondepossibilité : dans le mois suivant le départ effec-tif. Un délai limite à ne pas dépasser, sauf à risquerque le salarié ait vraiment la tête ailleurs. L’entre-tien peut alors s’effectuer par téléphone. OlivierGelis conseille de demander au salarié de réser-ver formellement une plage horaire à une date pré-cise, pour s’assurer de sa réelle disponibilité et nepas le gêner à un moment où il serait en poste AA

1. Qu’est-ce qui vous a donné envie de venir travailler chez nous ?2. Que pensez-vous de l’évolution de votre rémunération depuis votre embauche ?3. En quoi avez-vous trouvé que votre emploi correspondait ou différaitdu poste qu’on vous avait décrit ?4. Qu’est-ce qui vous a apporté le plus et le moins de satisfactionchez nous ?5. De quels moyens supplémentairesauriez-vous eu besoin pour exercervos fonctions ?

6. Quelles possibilités d’évolutionenvisagiez-vous dans l’entreprise ?7. Est-ce que la formation que vousavez reçue dans l’entreprise vous apermis d’améliorer vos compétences ?8. Avez-vous un message à fairepasser au management ?9. Si vous étiez à la place du dirigeant,quelles améliorations apporteriez-vous en termes d’organisation, demanagement ou d’investissement ?10. Quel est l’élément qui vous a vraiment décidé à quitterl’entreprise ?

DIX QUESTIONS TYPES À POSER LORS DE L’ENTRETIEN

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chez son nouvel employeur. Pour Brigitte Mis,conseil en ressources humaines chez Karvina,mieux vaut privilégier l’entretien en face-à-face.« Au téléphone, il manque toute la dimension ges-tuelle, qui permet d’approfondir les réponses,explique-t-elle. Impossible, par exemple, de cons-tater que la personne se recule sur sa chaise, croi-se les bras, qu’elle est donc dans une attitude deretrait, et qu’il faudra peut-être revenir ultérieu-

rement sur le point qui coince. » Autre point cru-cial : qui doit faire passer l’entretien ? Sûrementpas le supérieur hiérarchique, qui a été en contactquotidien avec le partant ! Dans la plupart des cas,des tensions avec le management sont la cause– avouée ou cachée – du départ… L’idéal est doncqu’une personne non impliquée endosse l’habitde l’interviewer : le responsable RH, le n+2 du sala-rié ou, à défaut, le dirigeant lui-même. BéatriceLaude, DRH de Wirquin Plastiques, société de 700salariés spécialisée dans la fabrication de sanitai-res, confirme l’importance de ne pas mêler le supé-rieur direct à l’entretien, ce dernier ayant la pos-sibilité de mener un entretien plus classique deson côté : « Sans le chef direct, la liberté de ton estindéniablement plus grande, ce qui est indispen-sable si l’on veut que l’entretien débouche sur deschoses intéressantes. » Reste à se méfier des « lan-gues de vipère » qui voient l’entretien comme unmoyen de se venger du manager ! Il faut savoir fairele tri. L’entretien se révèle souvent une étape assezdélicate pour le dirigeant car celui-ci doit se for-cer à rester neutre, subir le choc des critiques sansargumenter dans le sens contraire. Pas toujoursfacile de rester zen… Mais l’« épreuve » est profi-table car elle permet de mettre au jour des pro-blèmes bien réels et d’y apporter des solutions.Quels que soient le métier ou le niveau hiérar-

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C ’est un conseiller enressources humainesqui m’a incité à instaurer

les entretiens de départ. Je connaissais le systèmepour l’avoir vécu en tant que salarié, lorsque j’ai quittéVolvo. Je m’étais dit que, dans une entreprise de septsalariés, c’était du superflu. En fait, cela m’a permis de comprendre mes erreurs de management. Lors de l’entretien de départ d’un mécanicien, ce dernier a clairement exprimé lestensions qu’il subissait auquotidien et qui résultaient...de ma propre attitude. Sans y prêter garde, j’avais pris

l’habitude de passer dans l’ate-lier en faisant des remarquessur le travail des techniciens,sur la bonne façon de visser tel ou tel boulon... C’était très mal vécu, les salariés se sentaient pris au piègeentre mes directives et celles de leur chef d’atelier, parfois en contradiction. Désormais, sij’ai une remarque, je m’adressedirectement au chef d’atelier.Un changement qui a peut-êtreévité d’autres départs... »TECHNORAIDn Activité : préparation etassistance lors de raids auton Effectifs : 7 salariés n Chiffre d’affaires 2007 : 1,2 million d’euros

“Un entretien de départ m’a faitcomprendre mes erreurs de management ”Martial Pautrat, directeur général de TechnoRaid (Nemours, 77)

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chique des partants, les entretiens de départpeuvent vraiment changer la donne pour une entre-prise. Ainsi, le groupe de restauration Flo a réussià faire baisser de 70 % en quatre ans son turnover.Certes, une politique globale de fidélisation dessalariés a été mise en place, mais les entretiens dedépart y sont pour une grande part.

Des remontées à exploiter« Menés par chaque directeur de restaurant, lesentretiens ont montré que les nouvelles recrues sesentaient cantonnées à des tâches dévalorisantes,ne voyaient aucune évolution à l’horizon, expliqueEtienne Rémond, le DRH. Depuis, nous leur fai-sons visionner un CD-Rom qui leur détaille tou-tes les étapes de leur parcours d’intégration et quileur donne une vision plus globale du métier quiles attend. » Parfois, l’entretien peut mettre enlumière un problème lié au recrutement. « Nos

annonces n’évoquaient pas assez les aspects admi-nistratifs de certains postes, illustre Béatrice Laude,et des salariés partaient car la réalité du terrain necorrespondait pas à ce qu’on leur avait promis.Nous avons pu rectifier le tir. » Mais, chez WirquinPlastiques comme ailleurs, ce sont surtout des pro-blèmes de management qui sont pointés lors del’entretien. « J’essaie alors de ne pas transmettreles données brutes au manager concerné, confieBéatrice Laude. Je retravaille un peu les messages,pour ne pas blesser les gens inutilement mais plu-tôt apporter des pistes d’actions constructives. »Cette volonté de ne pas brusquer les choses estpartagée par Olivier Gelis : « C’est après avoir enten-du trois fois les mêmes motifs de mécontentementà propos d’un manager – défaut de clarté des objec-tifs, manque de confiance et de reconnaissance –que nous avons engagé une action de formationspécifique auprès de cette personne, avec une évo-lution très positive à la clé. » Toujours chez RobertHalf, pour pallier le manque de perspectives d’é-volution ressenti par les partants, une évaluationannuelle sur ce thème a été mise en place lors delaquelle chacun peut exprimer ses souhaits demobilité. Un « comité d’évolution » se charge ensui-te d’examiner les demandes en proposant, quandcela est possible, des mutations dans d’autres éta-blissements. Enfin, quand les entretiens de départont soulevé un manque de communication dansle groupe, le dirigeant a instauré des rencontresrégulières entre managers et la création d’unenewsletter interne bihebdomadaire avec des infossur l’entreprise, mais aussi sur les collaborateurs(meilleur consultant du mois, naissances, maria-ges…). « Si nous ne menions pas systématique-ment des entretiens de départ, nous n’aurions sansdoute pas pris conscience aussi rapidement de cesmanques », conclut Olivier Gelis.■ Marianne Rey [email protected]

1. Le délai entre le départeffectif et l’entretien doit être limité : il a lieu à chaud dans les joursprécédant le départ ou, au plus, quelquesjours après.2. Il est mené par unepersonne n’ayant pas eude rapport hiérarchique

direct avec le salarié oumême par un intervenantextérieur à l’entreprise.3. L’entretien est struc-turé : l’ordre des ques-tions permet une miseen confiance progressive(ne pas demander debut en blanc « Pourquoipartez-vous ? »).

4. Les questions sontouvertes, pour que le salarié ne se contentepas de répondre par « oui » ou par« non ». Ne pas hésiter à demander desexemples concrets pourillustrer ses remarques.5. Les remarques

sont communiquées aux personnesconcernées par les motifs de départexprimés, pour essayer de trouver des amélio-rations, des solutions.

* Auteur des Entretiens dansl’entreprise, Éditions Study-rama, 25 euros.

BENJAMIN CHAMINADE,conseil en ressourceshumaines*

CINQ CONSEILS POUR MENER UN ENTRETIEN DE DÉPART

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