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« POURQUOI LES MÉDIAS N'EN PARLENT PAS ? » L'occurrence à l'épreuve du sens commun journalistique et des processus de médiatisation Stéphane Arpin La Découverte | Réseaux 2010/1 - n° 159 pages 219 à 247 ISSN 0751-7971 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-reseaux-2010-1-page-219.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Arpin Stéphane, « « Pourquoi les médias n'en parlent pas ? » » L'occurrence à l'épreuve du sens commun journalistique et des processus de médiatisation, Réseaux, 2010/1 n° 159, p. 219-247. DOI : 10.3917/res.159.0219 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Queen's University - - 130.15.241.167 - 01/05/2013 13h23. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Queen's University - - 130.15.241.167 - 01/05/2013 13h23. © La Découverte

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« POURQUOI LES MÉDIAS N'EN PARLENT PAS ? »L'occurrence à l'épreuve du sens commun journalistique et des processus de médiatisationStéphane Arpin La Découverte | Réseaux 2010/1 - n° 159pages 219 à 247

ISSN 0751-7971

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-reseaux-2010-1-page-219.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Arpin Stéphane, « « Pourquoi les médias n'en parlent pas ? » » L'occurrence à l'épreuve du sens commun

journalistique et des processus de médiatisation,

Réseaux, 2010/1 n° 159, p. 219-247. DOI : 10.3917/res.159.0219

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« POURQUOI LES MÉDIAS N’EN PARLENT PAS ? »

L’occurrence à l’épreuve du sens commun journalistique et des processus de médiatisation

Stéphane ARPIN

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« La plupart des gens ignorent qu’une “œuvre” journalistique réellement bonne exige au moins autant d’“intelligence” que n’importe quelle autre

œuvre d’intellectuels, et trop souvent l’on oublie qu’il s’agit d’une œuvre à produire sur le champ, sur commande, à laquelle il faut donner

une efficacité immédiate dans des conditions de création qui sont totalement différentes de celles des autres intellectuels. »

Max WEBER, Le savant et le politique

L es photographies publiées dans Paris Match en ce jeudi 3 novembre 1994 font scandale. Elles dévoilent l’existence de Mazarine Pingeot, fille naturelle du Président de la République, François Mitterrand. Les

commentaires se multiplient sur cette révélation. « Personnellement, je ne suis pas favorable à ce genre de chose, je le déplore », déclare Charles Pas-qua, ministre de l’Intérieur. Jacques Delors se dit « très très réservé » sur ce genre de révélation et invite la presse à « faire la distinction entre la vie pri-vée et la vie publique ». De son côté, Henri Emmanuelli, premier secrétaire du PS, qualifie cette publication « d’extraordinaire médiocrité, pour ne pas dire d’une extraordinaire bassesse ». Frédérique Bredin, ministre des Sports, souhaite « que les journalistes sérieux et dignes sauront montrer leur mépris pour une telle dégradation de leur profession ». Réponse du rédacteur en chef de Paris Match, Patrick Mahé : il s’agit de « lever le tabou lui-même », car « c’est un homme public qui a affiché sa vie privée, cela fait un an que l’on voit M. Mitterrand en public avec sa fille ».

La publication de Paris Match met fin à l’existence d’un secret d’État entre-tenu durant plus d’une décennie avec l’assentiment des rédactions parisien-nes et des correspondants de l’AFP à l’Élysée (Marianne2, 1999). Cependant, pour François Mitterrand et son entourage, une menace est incarnée par l’écri-vain Jean-Edern Hallier. Fâché avec le chef de l’État, celui-ci menace de por-ter au grand jour ce secret dans un pamphlet intitulé « L’honneur perdu de François Mitterrand ». Distribué à la plupart des rédactions parisiennes, aucun extrait ne sera publié (Vajda, 2003).

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Ce n’est qu’au moment des obsèques de François Mitterrand, en janvier 1996, que l’existence de Mazarine sera définitivement officialisée. Cependant, sous l’impulsion de François Mitterrand, une cellule « antiterroriste » est créée dès 1982 avec pour fonction officieuse de protéger Mazarine d’éventuelles mena-ces d’enlèvement et de contrôler le secret de l’existence de sa double vie (Le Figaro, 30.09.2008). Dès lors, près de 3000 conversations concernant plus 150 personnalités seront enregistrées entre 1983 et 1986 (ibid.) Les initiés appellent ces écoutes les « bretelles du Président ». La cellule sera dissoute en 1988.

Vingt ans après les faits, le procès des écoutes téléphoniques de l’Élysée s’ouvre en novembre 2004. Il apparaît que l’écrivain Hallier fait l’objet d’une intense surveillance (ibid.). « Ce qu’écrivait Jean-Edern Hallier ? Je n’avais pas l’impression que c’était de l’information ! », se défend à la barre Christian Prouteau, chef de la cellule élyséenne. Le tribunal rendra son jugement le 9 novembre 2005 en reconnaissant que François Mitterrand est bien « l’inspira-teur et le décideur essentiel » dans ce dossier. Les prévenus furent condamnés à des peines légères, le tribunal estimant que les fautes commises « n’étaient pas détachables du service de l’État » (Le Monde, 09.11.2005). La justice a condamné en 2008 l’État à indemniser la famille de Jean-Edern Hallier (Le Point, 25.10.2008)

La cheminée, noire de suie, ne fume plus. L’usine d’incinération de Gilly-sur-Isère, une commune située près d’Albertville (Savoie), est fermée par décision du préfet depuis le 23 octobre 2001. Celui-ci parle alors d’une « catastro-phe gigantesque, la plus importante qui ait eu lieu en France en matière de dioxine ». Le site d’incinération n’est plus aux normes depuis longtemps, ce que les autorités locales savent. L’usine pollue depuis 1968, le four était un « barbecue à ciel ouvert », affirme le principal lanceur d’alerte, un écologiste, ingénieur spécialisé en qualité industrielle. Sans succès, depuis 1996, celui-ci tente d’alerter la classe politique et les médias locaux.

Suite à la fermeture du site, l’association citoyenne active de lutte contre les pollutions (ACALP) voit alors le jour en décembre 2001 : elle veut sensibili-ser la population locale aux dangers de l’incinération.

De leur côté, les écologistes accentuent leurs pressions sur le conseil muni-cipal qui accepte, lors de l’été 2001, de financer des analyses de la pollu-tion. Celles-ci révèlent un taux de dioxine supérieur de 700 fois à la norme

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autorisée. Une analyse privée, tenue secrète par la société exploitante du site, fait état quant à elle de taux 13 000 fois supérieurs aux normes tolérées. Le responsable du syndicat intercommunal de gestion, et par ailleurs maire d’Albertville à l’époque des faits, reconnaît : « on était averti des dangers », mais rejette la gravité de la situation sur l’État : « pourquoi n’a-t-il pas fermé l’usine avant ? ».

Saisie par le dépôt de 160 plaintes pour « empoisonnement », la justice com-mence son instruction en mars 2002. En juin 2004, plusieurs responsables du syndicat de traitement des ordures ménagères sont mis en examen. Mais, une intense controverse scientifique se développe entre experts. L’Institut de Veille Sanitaire (INVS) commande en 2006 une étude sur la corrélation entre cancers et polluants des fours d’incinération sur huit sites en France dont celui de Gilly-sur-Isère. Or toutes les analyses établissent un lien, sauf pour ce site. Un des responsables de l’INVS reconnaîtra devant des journalistes que l’étude n’a pas été bien menée… Les conclusions de cette étude permettent néanmoins à la justice de requalifier le dossier en ne retenant plus le motif de « mise en danger de la vie d’autrui ». Les plaintes des riverains fédérées par l’ACALP débouchent alors sur un « non-lieu ».

Le président du syndicat intercommunal des ordures ménagères et maire UMP d’Albertville se représente aux élections municipales de mars 2008 où il espère briguer un troisième mandat. Il sera battu par un ancien universitaire PS de Chambéry. Décidé à faire, enfin, entendre sa voix, le lanceur d’alerte écologiste publiera en avril 2008 un livre sur la période (1995-2007) pour exprimer son rôle et son point de vue dans l’affaire (Roulet et Tenaille, 2008). Le groupe « Verts » de la région Rhône-Alpes continue quant à lui de deman-der une contre-expertise de l’étude diligentée en 2006. À travers ces deux affaires aux caractéristiques très différentes, une affaire dans la France des années 1980 concernant l’élite parisienne des milieux de l’État et des médias, et une affaire locale de pollution industrielle dans une vallée alpine des années 1990, nous avons voulu comprendre les phénomènes de non-médiatisation.

D’un point de vue empirique, nous avons travaillé simultanément pendant trois ans sur ces deux terrains d’étude que nous avons voulu complémentaires, afin d’étudier le sens commun et les pratiques journalistiques de ce que l’on peut nommer d’une part, « l’élite des journalistes » (Rieffel, 1984) au sein des organes de presse parisiens tels que Le Monde, Le Nouvel Observateur ou France Inter, et d’autre part, le quotidien des journalistes de presse quotidienne

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régionale, localiers en agence (Accardo, 1995). Ainsi, nous avons voulu pla-cer notre travail sur cette double échelle, nationale et locale. Concernant le choix proprement dit des deux terrains d’étude, notre « cahier des charges » était exigeant puisqu’il consistait à choisir des situations où les journalistes étaient au courant de rumeurs et de faits qu’ils n’ont pas rendus publics. Notre choix s’est porté sur des rumeurs (Morin, 1969) alors considérées par la com-munauté journalistique comme des « non-affaires » qui ne méritaient pas un travail d’investigation plus approfondi au-delà du simple jugement person-nel. Or nos deux terrains d’étude offrent la particularité de se transformer de « non-affaires » en affaires (Boltanski, 1997) publiques et judiciaires for-tement médiatisées bien des années plus tard. Ils permettent alors de mieux comprendre l’évolution du sens commun journalistique et des processus de médiatisation sur les mêmes objets d’étude.

D’un point de vue théorique, il s’agit ici d’explorer la frontière saillance / non-saillance (Dearing, Rogers, 1988) d’événements dans le sens commun et les pratiques journalistiques. Les notions développées par la sociologie des médias telles que l’agenda médiatique (agenda setting) (McComb, Shaw, 1972, pp.176-187) (les mécanismes de sélection de l’information), la valeur attachée à l’information (newsworthiness) (Tuchman, 1972 ; Schiller, 1979) ou la question de la « nouveauté » (Gans, 1979) soutiendront nos investiga-tions : quels sont les obstacles socioculturels à la pratique du journalisme ? Dans quelle mesure la question de la tangibilité de la preuve est-elle essen-tielle ? Pourquoi les journalistes attendent-ils des ressources officielles avant de démarrer leur travail ? Quelles sont les règles de distanciation qui expli-quent la non-médiatisation ? Quelles sont les justifications développées vis-à-vis des sources ? Quelles contraintes techniques sont à l’œuvre ?

Par ailleurs, ce travail tente de formuler une première réponse à la critique actuelle des « silences médiatiques », fréquemment assimilée au « complot » et à la « collusion », face à l’injonction contemporaine de la « transparence » (Arpin, 2008) vis-à-vis des personnes et des institutions. Dans cette perspec-tive, il nous a semblé qu’une sociologie du sens commun journalistique et des processus de non-médiatisation pouvait, en définitive, apporter des élé-ments de réponse supplémentaires quant à la question de la newsworthiness, non seulement comme enjeu disciplinaire pour la sociologie du journalisme, mais aussi vis-à-vis de la question de la norme et de la transgression comme question classique de sociologie. C’est pourquoi nous avons tenté de « banali-ser » notre objet d’étude pour l’inscrire dans ce que Michael Schudson appelle

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une « sociologie de la production d’information » (Schudson, 1989). En effet, ayant partie liée avec le « social », chacun à leur manière, la sociologie et les médias entretiennent à ce titre une relation de défiance mutuelle, sinon d’hostilité plus ou moins ouvertement affichée. Autant que possible, outre la dimension phénoménologique inhérente aux médias dans la structuration des mondes vécus (Schutz, 1987), nous avons considéré le travail des journalistes dans le cadre d’une entreprise de presse régie par des normes professionnel-les, des routines, des contraintes de réalisation et des règles tacites qu’il s’agit de décrire.

Apports et limites d’une sociologie pragmatique du journalisme

Afin d’échapper à l’opposition, nécessairement réductrice, entre naturalisme et constructivisme, nous avons recouru à une démarche pragmatique. Déve-loppée à la suite des travaux de Boltanski et Thévenot modélisés notamment dans leur ouvrage fondateur De la justification (Boltanski, Thévenot, 1991), sur la recherche des principes de justice entre les êtres, la sociologie pragma-tique établit le passage de la sociologie critique à une sociologie de la critique visant à prendre en considération les capacités réflexives des acteurs et les mises à l’épreuve à travers lesquelles les personnes testent l’ordonnancement du monde social (Boltanski, 1991). Pour la sociologie du journalisme, cette approche permet au chercheur de mieux trouver la distanciation requise pour travailler son objet d’étude afin de restituer l’ensemble des cadres normatifs et des règles dont les journalistes et leurs sources se servent quotidiennement dans leur travail. Comme l’avance Éric Lagneau (voir Réseaux 157-158), si la sociologie du journalisme doit s’intéresser aux règles de distanciation (la grammaire) entre le journaliste et ses sources, nous avançons l’idée selon laquelle le sociologue des médias observe également des principes de distan-ciation vis-à-vis de ses objets d’études et de ses « terrains ». C’est notamment en vertu de ces règles de distanciation que la sociologie se distingue à la fois du militantisme et du journalisme. La « neutralité axiologique » dont parlait Weber permettant ainsi d’offrir au sociologue l’extériorité nécessaire à l’ob-servation et à la restitution des opérations critiques auxquelles se livrent les acteurs sociaux. De plus, cette approche permet de rendre compte de la plu-ralité et de la complexité résultant de l’enchevêtrement d’attentes normatives entre les différents acteurs (journalistes, public, sources, promoteurs d’évé-nements, commerciaux, attachés de presse, concurrents…), qui peuvent être restituées et modélisées au moyen d’un modèle grammatical.

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En revanche, le reproche essentiel que l’on peut formuler à l’égard de cette démarche axiologique tient au fait qu’elle évacue trop facilement la notion d’habitus, ou pour le dire de façon plus prosaïque, comment l’ordre social s’inscrit dans les corps et les têtes orientant de facto la réflexivité et la représentation du jeu social des acteurs. Dans cette perspective, la notion d’« inconscient » et les conduites relatives aux structures s’avèrent absentes de cette démarche. Plus largement, les notions d’« idéologie » et de « rapport de forces » méritent d’être réinvesties par la sociologie pragmatique : si les acteurs sociaux se montrent réflexifs et critiques, néanmoins la réalité sociale ne s’impose pas moins à eux indépendamment de leur volonté. Comme le montrent notamment les travaux de Cyril Lemieux et leur illustration présente par Éric Lagneau dans un cas concret de scoop impliquant l’AFP et Ségolène Royal, un double principe de réalité s’applique aux journalistes dans leurs pratiques à travers le réalisme politique et le réalisme économique 1.

Malgré ces différentes formes, la sociologie a pour objet central la description des régimes de production de normes impliquant les institutions, les personnes et les objets. Son activité fondamentale réside donc dans la description et la mise à l’épreuve des cadres normatifs, à la différence d’une « sociologie d’ex-pertise » dont la seule finalité est d’assurer un meilleur réglage des instruments de rationalisation des institutions au sein desquelles elle se trouve hébergée.

UNE APPROCHE EMPIRIQUE DE LA NON-MÉDIATISATION : VERS UN MODÈLE EXPLICATIF

La dimension culturaliste : « l’indicible » et « l’invisible » dans un régime d’autorité hiérarchique

Plus que toute autre activité sociale régie par des médiations sociales quoti-diennes intensives avec le « terrain » (les sources, le public, les contraintes commerciales…), la pratique du journalisme s’insère dans des agencements sociaux au sein desquels les journalistes doivent composer afin d’être « en prise » avec l’information, à la fois dans sa recherche d’éléments officieux (exploiter ou non la rumeur) et sa recherche d’éléments officiels (la recherche d’informations tangibles). L’indicible et l’invisible ont partie liée avec des agencements sociaux informels régis dans le domaine de « l’officieux », en

1. Pour un approfondissement et une définition, se rapporter à l’article d’Éric Lagneau.

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marge de l’espace public habermatien du domaine de « l’officiel ». Comme le montre Habermas (Reynie, 1998) dans son ouvrage classique (Habermas, 1992), la formation de l’espace public (Schudson, 1993) 2 en France à partir de la fin du XVIIe siècle est précisément le moment où les affaires internes des communautés deviennent publiques au sein de la sphère publique bour-geoise préalable à la construction de « l’opinion publique » (Reynie, 1998). La culture du secret étant désormais assimilée à une culture, illégitime, de l’arbitraire :

Comment jugez-vous le contexte local dans lequel vous travaillez ?

Ici, c’est de la folie ! C’est hallucinant ! Je commence à m’habituer mais on n’a pas le droit de critiquer ici ! On n’a pas le droit de critiquer un maire, on n’a pas le droit de critiquer ce qu’il fait ! Il y a un contraste entre les régions mais ici c’est à tous les niveaux ! (Ce journaliste localier exerçait auparavant dans le Nord de la France.) C’est au niveau institutionnel avec les élus, c’est aussi au niveau des gendarmes, de la police. C’est beaucoup plus secret ! (…) Tout ce qui se passe sur Albertville on en sait un quart ! (…) Ce que je pense, c’est que la crise de la dioxine, elle a déclenché plein de choses : dans la foulée, on a appris l’histoire du fichier municipal (la police municipale, dirigée par un ancien boucher, fichait illégalement les Maghrébins et les homosexuels), on a appris le détournement de l’argent à l’OPAC (organisme HLM), on a appris les détournements à la maison de la jeunesse. Je crois qu’il y avait un cercle où les infos ne sortaient pas ! 3

Au sein d’agencements sociaux où les personnes sont tenues entre elles par des liens sociaux très serrés (parenté, voisinage, amis…), le journaliste trouve alors très peu de « prises critiques » pour effectuer son travail et n’arrive qu’à percevoir des fragments épars de rumeurs qui lui sont très difficiles à exploiter. Le type de structure sociale (Ballarini, 2008, pp. 405-426), le régime d’autorité en vigueur et le degré de proximité des personnes entre elles déterminent très fortement l’activité journalistique : plus l’agencement social sera de type « domestique », moins les informations ne filtrent étant donné la rareté des sources et la convergence d’intérêts. Ainsi, comme l’écrit Sim-mel, « tout ce qui n’est pas dissimulé peut être connu et tout ce qui n’est pas

2. Il est vrai que l’existence et la pertinence du concept aujourd’hui galvaudé d’« espace public » font débat. Schudson dans son travail d’investigation historique s’interroge notam-ment sur les conditions d’existence de l’espace public.3. Entretien avec un journaliste de La Savoie Hebdo.

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révélé ne doit pas être non plus connu » (Simmel, 1991). Le journaliste devra donc composer avec cette subtile technologie sociale de l’informel et com-prendre la grammaire (Lemieux, 2000) relationnelle qui réunit les personnes d’un monde social homogène et relativement clos. C’est lorsque cette tension entre « l’officieux » et « l’officiel » (Le Torrec, 2005, pp. 181-208) devient importante qu’une forme de coordination alternative peut apparaître entre le journaliste et sa source : la pratique du « off » (Legrave, 1992). C’est pour-quoi le journaliste devra composer avec la rumeur comme première source d’information. Son activité visant la publicité des affaires de la cité rentre, en conséquence, en concurrence avec la rumeur qui peut être conçue comme la forme de médiatisation par excellence de l’informel et de l’officieux. Dans cet agencement social, la pratique du journalisme, c’est-à-dire la production d’éléments officiels va être en tension avec le domaine officieux de la rumeur (Aldrin, 2005). Le journaliste étant alors perçu dans ce cas comme un agent du dévoilement : « les aspirations et les forces sociales menacées par des nou-velles ont tendance à se réfugier dans le secret, qui représente en quelque sorte un stade transitoire entre l’être et le non-être » (Simmel, p.66).

La dimension phénoménologique : l’absence de preuves tangibles et l’attente de confirmation officielle

Comment nous l’avons vu, le travail du journaliste dans le domaine de l’offi-cieux s’avère particulièrement difficile au sein de certains espaces sociaux où « rien ne filtre » pour reprendre l’expression du localier de La Savoie Hebdo. Cette difficulté est accentuée dans les situations où les journalistes sont en attente de preuves « tangibles », sinon « officielles » pour transformer le « fait » (Ginsburg, 1980), dans le sens commun journalistique, colporté par la rumeur (qui peut être conçue comme le média de l’officieux propre aux « initiés ») en « information », c’est-à-dire en faits avérés, dont l’existence est reconnue et qui ont fait l’objet de recoupements journalistiques auprès de différentes sour-ces (police, magistrats, autorités, institutions scientifiques…). Cette difficulté à réunir les preuves tangibles de l’existence du fait est au cœur des difficultés journalistiques à traiter les scandales, notamment ceux liés à l’environnement. Pour être recevable et donc exploitable par le journaliste, le fait doit être équipé (Latour, Woolgar, 2005) de nombreuses preuves matérielles mais surtout de confirmation faisant office de validation auprès des différentes instances en charge de la production « officielle » de la réalité. À défaut, dans une situa-tion inconfortable, les journalistes doivent composer avec ce que Goffman nomme l’« embarras » pour désigner les situations de défaillance ordinaire de

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nos cadres d’appréciation de la réalité (Goffman, 1991). Dans le cas d’affaires environnementales, les autorités publiques (préfecture, justice…) et les autori-tés scientifiques (instituts d’études et de recherche) font l’objet d’une très forte attente des journalistes pour démarrer réellement leur travail :

Qu’est-ce qui vous a le plus manqué dès le début de ces rumeurs ?

Les preuves j’en ai jamais eues, je n’ai pas eu de médecins pour me dire « oui ! ». Au contraire, moi, j’ai appelé des relations, des amis de Grenoble, à Paris. Il n’y a personne pour nous le dire même avec toutes les études qui ont été faites ! Il n’y a jamais eu personne pour apporter la preuve ! On a bien dit que le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté au-dessus de la Savoie pour faire demi-tour ! Est-ce que les gens qui ont certains cancers maintenant ça ne vient pas de ça ? Moi j’ai une brave dame qui m’avait écrit et qui habite le quartier albertin et qui nous a dit qu’elle en avait marre de tous ces papiers, de tous ces gens qui manifestaient, de tous ces gens qui parlaient sans savoir 4.

Placés en situation d’incertitude par rapport à la véracité du fait, les jour-nalistes vont chercher à s’informer via les moyeux officieux que constituent leurs cercles de connaissances amical, familial et professionnel (Manceron, Lelong, Smoreda, 2002, pp. 91-120). Dans les affaires scientifiques, certains sont amenés à recontacter des sources avec lesquelles ils ont été en contact pour d’autres affaires. Lorsqu’une occurrence apparaît comme complexe, ins-table et contingente, le journaliste va élargir sa pluralité de sources. Des tra-vaux précurseurs à la réflexion de Schlesinger (1990), comme ceux de Gans notamment (Gans, 1979), attestent de l’importance de la pluralité des sources dans le processus de production de l’information. Il est possible d’observer de manière empirique que cette pluralité des sources est à « géométrie variable » selon la complexité, l’enjeu et l’anticipation des retombées médiatiques de la publicité de l’occurrence. Or, pour ce qui nous concerne ici, il se peut que l’élargissement de la pluralité des sources ne soit d’aucun secours pour le journaliste lors de son opération d’assemblage d’informations, préalable à la restitution par le récit.

Dans ce cas, l’occurrence demeure un « non-événement » relégué dans l’em-barras avant qu’une confirmation officielle ne vienne relancer l’intérêt autour de cette occurrence. Bien souvent, ce n’est que lorsque l’État (Quéré, 2005, pp. 185-217) prend une décision (fermeture de sites...), ou lorsqu’une étude scientifique faisant autorité paraît, que le lancement du travail journalistique

4. Entretien avec la directrice de l’agence du Dauphiné Libéré, Albertville.

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se produit. Ce qui était localement confiné à la rumeur, à des « spéculations » pour les sceptiques ou au « scandale » pour les personnes critiques, devient la « réalité » en accédant au domaine de l’officiel :

Quand ces rumeurs se sont-elles transformées pour vous en vraie informa-tion, à travailler ?

C’est quand il y a eu la fermeture de l’usine. Je me suis dit « s’ils ferment, ce n’est pas pour rien ! » C’est le préfet qui ferme l’usine le 24 octobre 2001 mais à l’époque on ne connaissait pas les taux de dioxine mais c’est sûrement vrai qu’il y avait une vraie pollution surtout que les analyses ont été faites par deux fois : les taux étaient tellement élevés qu’ils ont refait une série. On a su que c’était assez sérieux. Il y avait beaucoup de rumeurs de pollution mais au niveau du cancer, on ne sait toujours pas ! Il faut éviter de trop… (hésitation gênée). Nous, on a pas trop insisté là-dessus ! 5

Lorsque l’officiel se produit par les instances chargées de dire « ce qui est » (l’État, un organisme scientifique, la justice…), les journalistes démarrent leur travail d’enquête et de recoupement sur une « affaire » désormais incontesta-ble puisque portée dans l’espace public. Le rôle des communiqués de presse des différents acteurs (puissance publique, entreprises, associations…) s’avère ensuite central pour le journaliste : dès lors, celui-ci ne cessera d’adosser son travail à ce qui est officiel. En quelque sorte, son travail va consister à assem-bler des données officielles ; notamment en s’intéressant aux différents prota-gonistes de l’affaire jusqu’ici réduits au silence (élus, décisionnaires publics et d’entreprise, scientifiques, militants, riverains…). Il va restituer la pluralité des points de vue s’exprimant sur l’affaire via ce qu’il est possible d’appeler la « polyphonie des voix » (Lemieux, 2000).

Pour être tout à fait complet, l’attente d’officiel ne se situe pas exclusive-ment à l’égard des institutions en charge de l’officiel, censées dire ce qui est pour les journalistes. D’autres institutions peuvent remplir cette fonction au sein même du « champ » journalistique, c’est le cas des agences de presse (Lagneau, 2002) qui ont désormais une influence croissante auprès des jour-nalistes, a fortiori pour les journaux de province et les journalistes free-lance. Pour les organes de presse qui, par leur situation périphérique par rapport aux différents centres de pouvoir (économiques, politiques, scientifiques, intellec-tuels et médiatiques), ont plus de difficultés à obtenir des informations de

5. Entretien avec un journaliste du Dauphiné Libéré, Albertville.

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« première main », l’agence de presse va être considérée comme une instance d’authentification de l’information (Laville, 2007, pp. 229-262) :

En tant que journaliste indépendant, quel rôle joue l’AFP pour vous dans cette affaire de dioxine ?

Le fait que l’AFP fasse des dépêches, et beaucoup de dépêches, moi ça me facilite la tâche pour vendre un sujet au Monde. Moi, à la limite, je n’ai pas intérêt à avoir un scoop sur cette histoire : je ferais d’autant plus un papier que les autres en ont parlé sur un sujet comme ça.

Est-ce que la télévision ne joue pas un peu le même rôle pour vous que l’AFP ?

C’est plus anecdotique. J’avais proposé un sujet au Monde qui m’a pris sous forme de grosse brève, après je voulais un papier d’ouverture mais c’est sûr que c’est plus difficile à vendre que ça. Donc quand j’ai reproposé un sujet d’ouverture au Monde, je leur ai dit « c’est quand même dommage, Envoyé Spécial prépare un sujet là-dessus, ce serait quand même triste que Le Monde sorte le sujet après Envoyé Spécial alors que je suis dessus depuis le mois d’octobre ! » C’est un argument qu’on se dit entre journalistes et correspon-dants. Mais Le Monde a suffisamment confiance en moi pour me prendre un papier sur un sujet qu’Envoyé Spécial ne traite pas 6.

L’agence de presse fait l’objet d’un certain suivisme car elle augmente consi-dérablement la valeur de l’information (newsworthiness) et légitime de fait son inscription sur l’agenda (Bregman, 1989) des journaux. En conséquence, le journaliste indépendant n’a pas intérêt à se lancer dans une longue et coû-teuse enquête d’investigation sur une affaire dont il ne sait pas à l’avance si elle intéressera les rédactions, en particulier les rédactions parisiennes lorsqu’il s’agit d’affaires locales. D’où un comportement attentiste (attendre que l’information soit sortie par une agence pour voir sa valeur, médiatique et financière, augmenter) et opportuniste au sens où peut le décrire la théorie économique (atteindre avec rationalité la situation qui est la plus favorable pour « l’agent »).

Par ailleurs, ce comportement attentiste peut s’observer à l’égard des princi-paux titres parisiens (Le Monde, Libération ou encore Le Figaro) qui donnent le « la » en matière d’agenda médiatique, outre les agences de presse. Dans

6. Entretien avec le correspondant du Monde pour la Savoie et l’Isère.

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la construction globale de l’agenda médiatique, les grands titres ainsi que les agences de presse se situent donc en amont de cette construction collective et sont investis d’un « capital symbolique » important auprès de la commu-nauté journalistique. D’un point de vue pratique, ils permettent aux journalis-tes d’authentifier et de stabiliser l’information qu’ils véhiculent, de minimiser les risques de contestation des faits et d’accroître leur productivité au sein de la presse locale via ce suivisme. De ce point de vue, le mimétisme et les mouvements observés sur les marchés financiers (Godechot, 2005) relèvent du même phénomène 7.

La dimension normative : le respect de la norme tacite autour du non-dit

Dans leur pratique, le jugement des journalistes est constamment mis à l’épreuve et ceux-ci vont appréhender l’occurrence au moyen de différents cadrages qui vont déplacer la frontière entre ce qu’ils estiment devant rester confiné dans le domaine de l’officieux et ce qui mérite d’être exporté dans le domaine de l’officiel via la publicité. En d’autres termes, l’activité de cadrage des journa-listes va opérer un tri des faits selon cette double logique. Lorsqu’une rupture s’opère dans la grammaire de la distanciation, celle-ci peut conduire à une dispute entre le journaliste et sa source 8. Nous privilégions ici une approche grammaticale en termes de distanciation :

Pourquoi, d’après vous, ce silence médiatique autour de l’existence de Maza-rine a-t-il été si bien conservé ?

Ce silence journalistique correspondait aux pratiques journalistiques en France et à une certaine époque. En Amérique peut-être qu’on aurait écrit ; en Angle-terre, naturellement ; en France, on ne s’est jamais intéressé à la vie privée des hommes politiques. Je ne sais pas si c’est bien, si c’est mal 9.

7. Un travail sociologique fécond pourrait être entrepris sur l’analogie entre la formation des bulles financières et la formation de ce qu’il serait possible d’appeler des « bulles médiati-ques » avec une approche comparative du travail quotidien des traders et des journalistes dans la formation d’une opinion dominante au sein d’une profession. De plus, le rôle des agences de notation financière sur les marchés financiers s’apparente au rôle des agences de presse sur le marché médiatique.8. Se référer à ce propos à l’article d’Éric Lagneau sur la controverse opposant Ségolène Royal et l’AFP lors de l’élection présidentielle de 2007.9. Entretien avec le directeur du service politique de l’AFP, ancien journaliste de l’AFP à l’Élysée.

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Ce silence des médias autour de l’existence de Mazarine était-il légitime à vos yeux ?

Mazarine ? Je ne vois pas l’intérêt, je ne vois pas ce que ça apporte dans la compréhension de la vie publique : à partir de quand un fait devient-il une information ? Que Mitterrand ait été un grand queutard... je ne vais pas m’amuser à faire un palmarès, ce n’est pas mon job ! Je ne vois pas pourquoi je balancerais cette info 10.

Pourquoi la question de la non-médiatisation de l’existence de Mazarine ne se posait-elle pas ?

La question ne se posait pas bien sûr ! Je ne vois pas ce que ça aurait pu appor-ter ! Dans toutes les relations humaines, il y a des choses qui ne sont pas à raconter : c’est un peu ça dans une famille, dans un groupe. On n’est pas là, les journalistes, pour dévoiler tout ! 11

On le voit, un consensus de justifications émerge quant à la non-médiatisa-tion. Comme tout milieu professionnel, le journalisme obéit à un ensemble de règles, de contraintes et d’usages plus ou moins tacites, plus ou moins stabili-sés et variables dans le temps et le lieu. Ce sens commun désigne tacitement la norme autour du non-dit observée par tous les journalistes interrogés : le jour-nalisme sportif offre également un terrain privilégié pour l’étude de la norme journalistique par rapport notamment à la question du dopage (Lemieux, 2005). Le non-dit est tellement intériorisé que bien peu de journalistes interrogés sont capables de le restituer, de le qualifier, et lorsqu’il parvient à être objec-tivé celui-ci est vite assimilé à un « style français » par opposition au « style anglo-saxon ». Derrière cette justification « on n’a pas publié cette informa-tion car ce n’était pas, à l’époque, dans la culture française du journalisme », il est intéressant de concevoir les journalistes comme une communauté pro-fessionnelle régie par l’intériorisation et le respect de normes internes propres à toute corporation. Celle-ci est l’instrument commun qui permet de séparer ce qui relève de l’officiel de ce qui doit rester confiné dans le domaine offi-cieux. Invalider la norme en contestant cette opération de tri, relève au sein de la communauté journalistique d’une transgression par une attitude solitaire de déviance. Comme le montre l’étude classique de Howard Becker (1985) sur les musiciens de jazz, la déviance et la stigmatisation des transgresseurs de la

10. Entretien avec un journaliste politique du Nouvel Observateur.11. Entretien avec un journaliste politique de RTL.

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norme sont toujours évaluées par rapport au groupe majoritaire producteur, précisément, de ladite norme. Les journalistes, par souci de maintenir leur lien et leur prestige professionnel au sein de leur communauté s’interdisent donc les comportements déviants à l’instar du journalisme d’investigation, assimilé à un journalisme solitaire, de franc-tireur sur le mode de l’outrage (Protess, 1993). D’où l’absence de justification en termes d’autocensure puisque, pour la totalité des journalistes interrogés, « la question ne se posait pas ». De ce fait, le respect de la norme communément admise rend la plupart des cas de non-publicité légitimes aux yeux des journalistes contrairement, notamment, aux lanceurs d’alerte (Chateauraynaud, Torny, 1999) qui y voient une illégi-timité car, comme l’affirme Albert O. Hirschmann, « la prise de parole, c’est l’action politique par excellence » (Hirschman, 1972, p. 22).

La dimension stratégique : la prise en compte des risques et des contraintes vis-à-vis des sources

Afin d’éviter la tentation de média-centrisme de la sociologie classique du journalisme (Schlesinger, 1992) qui conduit à occulter le fait que les pro-cessus de médiatisation résultent d’une coproduction de l’information entre le journaliste et ses sources, il est nécessaire de restituer les interactions et les stratégies qui régissent leur intérêt à la publicité. Dans un espace social hétérogène, ouvert, où les dépendances personnelles entre les personnes sont beaucoup plus faibles, les personnes ayant davantage de conduites « indivi-dualistes » comme le dit la sociologie traditionnelle, le journaliste doit très souvent s’autocensurer afin de protéger sa source privilégiée dans le souci de pérenniser son travail avec elle pour ne pas interrompre « l’élan » qui s’établit (Lemieux, 2000). Une économie de la confiance s’établit au fil du temps entre le journaliste et sa source : d’une part, le journaliste doit garantir à sa source la préservation de son identité et, d’autre part, la source s’engage à fournir au journaliste des informations de « première main », fiables, qui après recoupe-ment et vérification seront directement exploitables par le journaliste. C’est pourquoi, afin de pérenniser sa source sur la durée, surtout quand elle s’avère essentielle dans le montage du dispositif de recueil d’informations (« placer ses oreilles », nous dira un journaliste), le journaliste est amené dans un cer-tain nombre de cas à pratiquer l’autocensure, comme le montre cet exemple concret :

Pourquoi dites-vous que vous ne pouvez pas tout dire ?

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Pourquoi tout ne doit pas être dit ? Je vais vous dire justement… Ce matin, au téléphone, juste avant que vous n’arriviez, quand j’étais au téléphone, quelq’un m’a donné une information importante sur un membre du gouvernement, un truc vachement rigolo, eh bien je ne peux pas l’utiliser ! C’est un truc bien mais je ne peux pas l’utiliser parce que, si je le dis, il m’a dit qu’il est grillé « on sait que c’est moi ! » et il m’a dit donc « tu ne peux pas ! » parce qu’on ne peut pas tout dire et moi je regrette de ne pas le dire : ça, ça me frustre ! Je ne peux pas ! (insistance). On ne peut pas tout dire ! 12

À l’inverse du cas précédent où la source est jugée de première importance pour sa position et sa fiabilité, le journaliste peut également renoncer à publier des informations livrées par une source qu’il ne connaît pas (risques devant l’incertitude), soit par une personne qu’il connaît bien mais dont il doute réel-lement de la fiabilité. Le motif de défaillance de la source est un puissant motif de non-publicité. Le journaliste anticipe le jugement de ses confrères pour avoir accepté de publier un peu trop rapidement, sans recoupements par-fois longs et fastidieux :

Comment jugez-vous Hallier en tant que source ?

Attendez, Jean-Edern Hallier, il faut voir aussi le type… Quand j’étais au Quo-tidien de Paris, il avait quand même fait son propre enlèvement, donc c’était quand même un type totalement débridé, instable, mythomane… 13

L’anticipation du manque de fiabilité de la source peut être associée à une anticipation d’instrumentalisation de la part de la source. Les journalistes redoutent de faire l’objet d’une manipulation par leur source. À cette occa-sion, le journaliste s’efforce de discerner ce qu’il estime relever d’une part de la grammaire publique, c’est-à-dire les faits qu’il soumettra à la publicité parce qu’il estime qu’ils concernent l’intérêt général, et d’autre part, ce qui relève des intérêts occultes engagés par la source à son simple profit :

Comment avez-vous perçu la démarche d’Hallier ?

À l’époque, je voyais plus le chantage qu’autre chose chez Hallier ! Je savais que le truc était vrai ! Je savais que sa révélation de la fille de Mitterrand était vraie, je savais qu’il ne disait pas de conneries. (...) Et on savait très bien

12. Entretien avec le chef du service politique de France Inter.13. Entretien avec un journaliste politique au Journal du Dimanche.

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qu’il s’emparait de cette information à des fins personnelles et de vengeance. C’était un règlement de compte 14.

Par ailleurs, dans d’autres circonstances, il se peut qu’un lanceur d’alerte ne soit pas relayé par les journalistes non pas parce que celui-ci n’est pas jugé fiable, au contraire, mais en raison de sa trop grande proximité de sollicitation aux yeux des journalistes. D’une certaine façon, animé par la passion de son engagement au service de l’intérêt général, le lanceur d’alerte « routinise » en quelque sorte son action auprès des journalistes qu’il souhaite convaincre de son combat. C’est donc un « effet pervers » indésirable de la part de la stratégie de mobilisation employée. Le lanceur d’alerte est sanctionné par le journaliste pour ne pas respecter une certaine distance pour faire passer son message. En conséquence, son action est dévalorisée, voire provoque l’irrita-tion du journaliste :

Pourquoi n’avez-vous pas relayé les mises en garde de ce lanceur d’alerte ?

Mais il y a très longtemps que lui tire la sonnette d’alarme ! Il est venu nous voir à nous en casser presque les pieds parce que tous les jours il venait avec des documents, des trucs, des machins mais, c’est vrai, depuis très longtemps il dit qu’il y a trop de déchets, trop de voitures qui circulent en ville que pour faire 100 m en ville les gens prennent leur voiture et moi la première ! (...) Pourquoi il n’a pas été toujours écouté ? Parce que c’est un casse-pompe ! (exaspération) 15

Lorsque le lanceur d’alerte ne respecte pas la grammaire attendue par le jour-naliste (fiabilité, efficacité, ponctualité de l’alerte), celui-ci va être déconsidéré alors qu’il était pourtant crédité à l’origine d’une véritable expertise désinté-ressée et d’une vraie fiabilité dans ces tentatives d’alerte. Au risque de passer, aux yeux du journaliste, pour un « têtu » ou un « tenace gêneur » ou encore pour un marginal quelque peu incompris. Il est donc intéressant de constater que la réceptivité des journalistes à l’égard d’un lanceur d’alerte peut fluctuer énormément dans le temps.

La dimension technique : l’incompatibilité éditoriale

Enfin, une explication compréhensive des mécanismes de non-médiatisation doit aussi considérer l’activité journalistique comme une activité profession-

14. Entretien avec un ancien journaliste politique du Monde.15. Entretien avec la directrice d’agence du Dauphiné Libéré, Albertville.

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nelle avec ses obligations, ses contraintes techniques et l’intériorisation des résultats professionnels recherchés par l’ensemble de la profession (Fishman, 1980). Dans ses multiples opérations de cadrage (mais aussi du fait de son environnement), le journaliste va prendre en compte les intérêts de son jour-nal en tant que salarié d’une entreprise de presse ayant pour vocation une démarche commerciale fondée sur la recherche du profit.

Dans leur opération de jugement, les journalistes vont se demander si le contenu même de l’information qu’ils détiennent est en adéquation avec la ligne éditoriale du contenant, c’est-à-dire leur support (journal, émission) :

Vous étiez collectivement au courant, pourtant votre journal, Le Monde, n’a pas publié cette information !...

C’était pas particulièrement le genre d’information qui n’était pas la tasse de thé du Monde ! À vrai dire, Mazarine, ce n’est pas la ligne éditoriale du Monde. (…) Très honnêtement, on en a sans doute parlé mais les discussions n’ont pas dû être très longues parce que, d’une part, on ne voyait pas la néces-sité de creuser une telle information dans Le Monde ! 16

La ligne éditoriale peut se définir comme étant le respect collectif par les membres de l’entreprise de presse (journaux, radios, TV) d’une grammaire professionnelle, d’un style de traitement de l’information sous une double dimension d’adhésion à une forme (« l’angle » choisi) et de respect des for-mats en vigueur définis par la hiérarchie des journalistes. De sorte que la ligne éditoriale provoque, en amont du travail journalisitique, un effet de filtrage de l’information (McComb, 2004) : les journalistes, au moment de sélectionner les sujets de l’agenda, se demandent s’ils peuvent rentrer dans ce cadre qu’est la ligne éditoriale. En aval du travail journalistique, la ligne éditoriale est une technique industrielle d’homogénéisation de la production du journal à l’at-tention du public de lecteurs, les clients de l’entreprise de presse.

Par ailleurs, le jugement d’incompatibilité éditoriale peut résulter d’un cadrage de l’information en termes de manque d’attractivité. C’est-à-dire que le jour-naliste va constater que le fait existe bien mais que celui-ci ne mérite pas d’ac-céder à la publicité en accédant ainsi au statut d’« information ». Le manque de nouveauté est très souvent un motif rencontré, surtout lorsque localement il côtoie des instances de mobilisation et des lanceurs d’alerte qui s’efforcent de les

16. Entretien avec un ancien journaliste politique du Monde.

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convaincre. Pour qu’un fait, bénéficie du statut d’information, il faut, aux yeux du journaliste, que celui-ci soit nouveau, c’est-à-dire qu’il renouvelle l’agenda (Henry, 2003, pp. 237-272) :

Si j’ai quelque chose de nouveau, on le marque. Maintenant, souvent, ils met-tent de la pression. Je suis allé à une assemblée générale et moi je n’en ai pas fait état : il n’y avait rien de nouveau. Mais bon, c’est vrai que j’ai tellement de documents là-dessus qu’on voit vite ce qui est nouveau ou pas. Ils ont des débats intéressants mais ils n’ont rien de nouveau par rapport à ce qu’on sait déjà, donc pour nous c’est pas très intéressant 17.

Le journaliste procède à une « veille » des sujets potentiellement intéressants à traiter à ses yeux mais il attend de ses sources et des opérations de com-munication publique (réunions publiques, meetings, manifestations...) qu’el-les apportent une nouveauté non seulement par rapport aux données qu’il a déjà réunies sur ce sujet mais qu’elles apportent aussi une nouveauté par rap-port au traitement précédent de l’affaire vis-à-vis du public. C’est pourquoi une affaire peut être très vite médiatisée puis rester dans l’ombre pendant de nombreux mois, voire plusieurs années, lorsque les journalistes estiment que celle-ci s’« enlise » ou « ronronne », que les protagonistes « dorment », selon leurs expressions, avant qu’un nouveau fait ou une prise de parole inattendue sorte l’affaire de sa routine et soit qualifié(e) par les journalistes de « nou-veauté ».

Outre la très forte attente de « nouveauté », le journaliste (surtout le localier) a également une très forte attente de « spectaculaire ». Aux yeux des jour-nalistes, il faut qu’une occurence advienne et soit immédiatement qualifiée d’« événement » : elle surgit avec fracas dans une routine ou un ordre établi (manifestations festives, pique-nique géants, sit-in improvisés, grèves spon-tanées...). Comme nous l’avons vérifié, une « économie du spectaculaire » se met en place au niveau local de manière plus ou moins implicite entre les instances de mobilisation (associations, collectifs, porte-parole, lanceurs d’alerte...) et les journalistes locaux : pour faire accéder leur cause à la publi-cité, celles-ci vont s’efforcer de séduire les journalistes en répondant à leurs attentes en matière de « spectaculaire », à l’image de la manifestation agricole à Paris décrite par Patrick Champagne (1984, pp. 19-41) :

17. Entretien avec un journaliste du Dauphiné Libéré, Albertville.

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S’ils font une action spectaculaire, évidemment on en parle. Il y a un mois, ils avaient fait une manifestation devant l’usine la première année de la ferme-ture, c’était bien pour nous... Mais maintenant, il n’y a plus rien de marquant ! Je crois que c’était plus intéressant ce qu’ils faisaient au début, il y avait quel-que chose. Ils ont invité un professeur américain de toxicologie, il y a un an à peu près, donc là, c’était pas mal, j’étais allé à la réunion 18.

Les instances de mobilisation et les lanceurs d’alerte qui ne savent pas satis-faire cette attente ou qui refusent de s’y plier, voient leur message confiné à la non-publicité. Au niveau local, un certain nombre d’acteurs de mobilisa-tion (intellectuels, enseignants, militants, élus...) se montrent critiques quant à cette attente de spectaculaire qu’ils associent à une forme d’artificialisme qu’ils opposent à une mobilisation par la rationalité fondée sur la démonstra-tion, la preuve scientifique et le discours argumentatif.

Cependant, il est intéressant d’établir que, pour le journaliste, la production de « spectaculaire » peut, dans une certaine ritualisation des dispositifs de mobilisation, être assimilée à ce qui relève du superficiel voire à de l’insigni-fiant. C’est précisément là où les stratégies de mobilisation développées par les sources atteignent leurs limites médiatiques. La tentative de séduction des journalistes peut échouer lorsque le journaliste se sent instrumentalisé :

Vous aviez le sentiment que ces associations voulaient vous rallier à leur cause ?

Oui, mais je m’y suis refusé parce que même si je pense que leur combat est juste, ils n’ont pas démérités dans ce domaine. Mais c’est plus compliqué que ce qu’ils disent eux ! Si vraiment les propos tenus sont vraiment durs, j’essaie de voir… Je suis allé sur Internet, sur le site officiel de l’OMS. (…) J’allais à des réunions, j’ai entendu des choses, j’ai marqué tout ce que j’avais entendu mais sans prendre parti, mais on m’a reproché ça ! Il n’y avait pas assez de points d’exclamations !

Le journalisme comme activité « en train de se faire »

En guise de conclusion, nous aimerions développer notre argument final : le journalisme est une activité de médiation sociale perpétuellement « en train de se faire », c’est-à-dire qu’elle ne se retrouve pas figée dans l’espace social.

18. Entretien avec un journaliste du Dauphiné Libéré, Albertville.

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À l’inverse d’un naturalisme abusif, notre modèle de la non-médiatisation montre que l’appréhension et le cadrage de la réalité chez les journalistes est une opération complexe qui prend une grande partie de leur temps et figure au centre de la plupart de leurs propres interrogations sur leur métier et leur pro-pre pratique. Ainsi, nous sommes bien loin d’une explication scientiste où, à l’image du laboratoire, les occurrences, les faits observés seraient dotés d’une telle saillance dans leur environnement, très clairement délégitimés dans le temps et l’espace, que les faits s’imposent d’« eux-mêmes ». En tout état de cause, la fameuse « objectivité journalistique » demeure assez introuvable sur nos différents terrains d’études. D’où notre première conclusion : c’est l’une des principales nécessités du métier de journaliste que celle de la réflexivité pour s’ajuster en permanence à un espace social complexe, protéiforme, qui ne cesse d’évoluer.

De plus, notre démarche compréhensive et pragmatique relative à ces diffé-rents cas de non-médiatisation invalide largement les thèses constructionnis-tes les plus dures quant aux explications des silences médiatiques en termes de « protection d’intérêts », de « connivence entre les puissants et les journa-listes », de « complots contre l’opinion ». S’il y a construction de la réalité, celle-ci est extrêmement partagée entre la pluralité d’acteurs vis-à-vis des-quels le journaliste doit composer pour bien faire son travail et être reconnu comme un bon professionnel (sources, autorités publiques, experts, collègues, concurrents…). D’où notre deuxième conclusion : la pratique journalistique requiert sans cesse d’incessantes médiations qui viennent valider ou invalider ce qui est en train d’être avancé comme étant « la réalité ».

Par ailleurs, lorsqu’on s’intéresse aux évolutions journalistiques contempo-raines, l’étude des mécanismes ayant conduit à des situations de non-média-tisation montre que la recherche et l’accès à des informations de « première main » ont tendance à être une pratique difficile. Les nouvelles contraintes de productivité du travail et de rentabilité financière imposées aux médias aug-mentent significativement le poids relatif des agences de presse et des rela-tions publiques (via notamment les communiqués de presse), faute de moyens humains, de temps et de financements pour se lancer dans l’enquête de fond, voire dans le journalisme d’investigation. Celui-ci est donc le style de journa-lisme le plus menacé dans les recompositions actuelles du journalisme.

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Enfin, le modèle explicatif qui vient d’être présenté offre un début de réponse à la critique des médias portant sur le thème des « silences médiatiques », critique qui prend de l’ampleur depuis une dizaine d’années. Ce reproche est inhérent à nos sociétés où la construction du lien social et de la grammaire politique sont « hyper-médiatisées », c’est-à-dire travaillées en permanence par ce chaînage quotidien du particulier et de l’universel constitutif de notre sentiment d’appartenance à un monde commun. Son reproche essentiel est fondé sur ce qu’elle estime être un déni de réalité de ce qui lui tient à cœur. Or, comme nous venons de le montrer, si la « réalité » et « l’actualité » ne s’imposent pas complètement au journaliste, néanmoins celui-ci se trouve lié à un certain nombre de règles et de contraintes qui orientent ses choix édito-riaux et la manière de les traiter.

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