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1 D-Day : du pèlerinage au tourisme de masse d’après Cécilia Gabizon, Le Monde, 31 mai 2009 Soixante-cinq ans après le débarquement du 6 juin 1944, la Normandie accueille chaque année près de 4 millions de visiteurs de toutes nationalités. Suivez le guide pour le D-Day. Avec près de 4 millions de visites chaque année, la Normandie meurtrie est devenue un haut lieu du tourisme. Des panneaux constellent les routes de campagne pour signaler les hauts lieux du débarquement. Aux côtés des mémoriaux, une trentaine de petits musées a fleuri, les hôtels se sont multipliés. D’accueillantes auberges souhaitent la bienvenue « aux libérateurs » et à tous ceux qui, depuis le 6 juin 1944, déferlent dans leur sillage. Le pèlerinage du souvenir a laissé place aux cars, guides multilingues et visiteurs internationaux. Espagnols, Italiens, Belges, Néerlandais, se sont joints aux Français, toujours très nombreux avec les Américains, les Britanniques et les Canadiens. Cet engouement comporte sa part de nostalgie tandis que les derniers protagonistes s’éteignent. Mais le tourisme du débarquement a été pensé de longue date. Dès 1947, Raymond Triboulet, premier sous-préfet de cette région libérée, rédige une proposition de loi, pour inviter le « gouvernement à solenniser l’anniversaire du débarquement du 6 juin 1944 et à promouvoir l’équipement touristique de la zone du débarquement ». Un texte visionnaire qui assure que « les ressources venant du tourisme permettront d’alléger l’énorme fardeau financier de la reconstruction en Normandie ». Il propose de sanctuariser les sites du débarquement, insiste sur la construction de chambres d’hôtels alors que Caen est encore en ruines. « Il faut également un plan de propagande en France comme à l’étranger […] pour faire de cette région, un lieu de pèlerinage. » L’après-guerre voit surtout les Britanniques revenir et les Normands fleurir les tombes. La sortie du film Le Jour le plus long en 1962 donne une publicité mondiale à Omaha Beach. Mais ce n’est qu’à partir du 40 e anniversaire du débarquement, en 1984, que les commémorations vont être retransmises internationalement et changer d’ampleur. « Comme au château de Versailles » Désormais, des hordes de jeunes en short, des groupes étrangers, des promeneurs solitaires, des familles, tous convergent vers l’incontournable cimetière américain de Colleville-sur-Mer. Soixante-cinq ans après le débarquement, les milliers de croix blanches qui s’étendent à l’infini, surplombant la plage d’Omaha, agissent toujours comme un manifeste pour la liberté. Malgré l’herbe verte qui semble réunir dans un au-delà paisible tous ces soldats, Colleville reste un champ de bataille. Chaque croix, chaque étoile de David est un homme tombé sous l’uniforme. Sur la seule plage d’Omaha, des milliers de soldats ont péri, dont beaucoup de private (« simples soldats ») qui n’avaient pas 20 ans. Presque 1,4 million de personnes se recueillent sur leurs tombes chaque année. « Ce cimetière américain fait partie des grands sites de tourisme dans le monde », explique Didier Llorca, directeur de l’office de tourisme de Bayeux. « De plus en plus de gens s’y rendent comme ils vont au château de Versailles : parce que c’est conseillé. » Sur les parkings, ils ressemblent à des pique- niqueurs. Puis l’impact du site agit. Trop de morts, trop de beauté aussi, pour laisser indifférent même les écoliers les plus

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D-Day : du pèlerinage au tourisme de masse d’après Cécilia Gabizon, Le Monde, 31 mai 2009

Soixante-cinq ans après le débarquement du 6 juin 1944, la Normandie accueille chaque année près de 4 millions de visiteurs de toutes nationalités.

Suivez le guide pour le D-Day. Avec près de 4 millions de visites chaque année, la Normandie meurtrie est devenue un haut lieu du tourisme. Des panneaux constellent les routes de campagne pour signaler les hauts lieux du débarquement. Aux côtés des mémoriaux, une trentaine de petits musées a fleuri, les hôtels se sont multipliés. D’accueillantes auberges souhaitent la bienvenue « aux libérateurs » et à tous ceux qui, depuis le 6 juin 1944, déferlent dans leur sillage. Le pèlerinage du souvenir a laissé

place aux cars, guides multilingues et visiteurs internationaux. Espagnols, Italiens, Belges, Néerlandais, se sont joints aux Français, toujours très nombreux avec les Américains, les Britanniques et les Canadiens. Cet engouement comporte sa part de nostalgie tandis que les derniers protagonistes s’éteignent. Mais le tourisme du débarquement a été pensé de longue date. Dès 1947, Raymond Triboulet, premier sous-préfet de cette région libérée, rédige une proposition de loi, pour inviter le « gouvernement à solenniser l’anniversaire du débarquement du 6 juin 1944 et à promouvoir l’équipement touristique de la zone du débarquement ». Un texte visionnaire qui assure que « les ressources venant du tourisme permettront d’alléger l’énorme fardeau financier de la reconstruction en Normandie ». Il propose de sanctuariser les sites du débarquement, insiste sur la construction de chambres d’hôtels alors que Caen est encore en ruines. « Il faut également un plan de propagande en France comme à l’étranger […] pour faire de cette région, un lieu de pèlerinage. » L’après-guerre voit surtout les Britanniques revenir et les Normands fleurir les tombes. La sortie du film Le Jour le plus long en 1962 donne une publicité mondiale à Omaha Beach. Mais ce n’est qu’à partir du 40e anniversaire du débarquement, en 1984, que les commémorations vont être retransmises internationalement et changer d’ampleur.

« Comme au château de Versailles » Désormais, des hordes de jeunes en short, des groupes étrangers, des promeneurs solitaires, des familles, tous convergent vers l’incontournable cimetière américain de Colleville-sur-Mer. Soixante-cinq ans après le débarquement, les milliers de croix blanches qui s’étendent à l’infini, surplombant la plage d’Omaha, agissent toujours comme un manifeste pour la liberté. Malgré l’herbe verte qui semble réunir dans un au-delà paisible tous ces soldats, Colleville reste un champ de bataille. Chaque croix, chaque étoile de David est un homme tombé sous l’uniforme. Sur la seule plage d’Omaha, des milliers de soldats ont péri, dont beaucoup de private (« simples soldats ») qui n’avaient pas 20 ans. Presque 1,4 million de personnes se recueillent sur leurs tombes chaque année. « Ce

cimetière américain fait partie des grands sites de tourisme dans le monde », explique Didier Llorca, directeur de l’office de tourisme de Bayeux. « De plus en plus de gens s’y rendent comme ils vont au château de Versailles : parce que c’est conseillé. » Sur les parkings, ils ressemblent à des pique-niqueurs. Puis l’impact du site agit. Trop de morts, trop de beauté aussi, pour laisser indifférent même les écoliers les plus

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rebelles. « Ils déboulent agités. Ils ne savent rien de l’histoire. Ils se mettent à courir entre les rangées. Et puis ils se calment, commencent à poser des questions », raconte une guide sur place. Des Espagnols hochent gravement la tête, tandis qu’ils lisent leur brochure. Plus loin, de jeunes militaires américains, tête rasée, survêtement, écoutent religieusement leur professeur évoquer le courage des anciens. Tandis que Caroline, 18 ans, Guide du routard à la main, répète : « C’est vraiment impressionnant ». Pour elle, le débarquement appartenait jusqu’à présent à la grande histoire, presque comme une bataille napoléonienne. Soixante-cinq ans de paix sur notre territoire ont fait de la guerre un objet de récit, des images à la télévision. Plus loin, des parents expliquent à leurs enfants : « Les Allemands tenaient la côte et tiraient sur les Américains ». Une dame les reprend : « Pas les Allemands, les nazis, il faut préciser les nazis. C’est important ». Avec le temps et la construction de l’Europe, la réconciliation a primé dans la région. Et chaque nation a confié à ses morts un message. Les Américains ont pensé le cimetière de Colleville comme un étendard. Croix et étoiles de David en marbre blanc, toutes tournées vers l’ouest. « Ils ont spécialement choisi ce secteur avec cette vue à couper le souffle sur la mer, là où les milliers de navires sont apparus à l’aube, pour installer le cimetière et regrouper leurs morts », raconte la guide Martine Gripari. La plupart des défunts avaient été rapatriés à la demande de leur famille après l’armistice. Mais 10 000 devaient trouver leur demeure éternelle en Normandie. La France donna, dans une concession perpétuelle, Colleville, qui est maintenant un territoire américain. L’Angleterre a, elle, enterré ses soldats là où ils étaient tombés, fidèle à sa tradition. Les traces de son sacrifice sont disséminées sur le territoire, mais chaque cimetière est un hommage « patriotique aux combattants de l’empire plus que de la liberté », analyse Philippe Chapron. Quant aux Allemands, ils ont regroupé leurs morts à La Cambe, en 1961, dans un ancien cimetière américain ! Dès l’entrée, une phrase du Prix Nobel Albert Schweitzer annonce : « Les tombes de guerre sont les grands prédicateurs de la paix ». L’endroit est austère, les visiteurs clairsemés, mais internationaux. Car La Cambe fait désormais partie du circuit de la mémoire. Sans ces milliers de touristes, la région du Bessin « ne vivrait pas. De la boulangerie au bijoutier, de l’éditeur de guides au restaurant, tout le monde bénéficie de cette manne », précise Didier Llorca, qui organise le D-Day Festival de Bayeux. Le port artificiel d’Arromanches, qui permit de débarquer le matériel lourd de guerre, les plages de Sword, Juno, Utah ou encore le Pegasus Bridge à Bénouville voient d’avril à octobre des milliers de touristes. Mais les visites évoluent : de l’observation, on passe à la mise en situation. « Il faut penser à commémorer autrement », reconnaît la directrice de Normandie mémoire, Frédérique Guerin, qui gère les sites. Et développe les nouvelles technologies, avec des images d’archives qui arrivent sur les téléphones portables… L’office de tourisme de Normandie promeut désormais des « escapades » émotion pour « revivre le débarquement à bord d’une jeep à Sainte-Mère-Église » ou encore un son et lumière au cœur d’un épisode marquant de la bataille de Normandie pour recréer « le site de la batterie de Merville ». Comme si la guerre était devenue virtuelle, entre le jeu vidéo et l’histoire. Le succès du film Il faut sauver le soldat Ryan de Spielberg amène des milliers de touristes à visiter le cimetière de Colleville, où ils pensent se recueillir sur les tombes des frères Ryan… Pourtant héros de pure fiction devenus l’emblème des milliers d’anonymes tombés le 6 juin 1944.

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Activi t é s

1. Répondez aux questions.

1. Pourquoi la Normandie est-elle devenue un lieu de pèlerinage touristique ?

2. Pourquoi a-t-on pensé à un tourisme du débarquement ?

3. Qui sont les libérateurs dont on parle ?

4. Depuis quand les commémorations ont-elles pris tant d’ampleur ?

5. Que représente le cimetière américain de Colleville-sur-Mer ?

6. Pourquoi ce lieu ne laisse-t-il pas indifférent ?

7. Comment sont disposées les croix du cimetière ? Et pourquoi ?

8. Et les Allemands, où ont-ils enterré leurs morts ?

9. Comment la journaliste commente-t-elle cette invasion des touristes dans ce lieu de la mémoire ?

Pourquoi fait-elle une comparaison avec le château de Versailles ? Que sont devenus tous ces morts

pour la région Normandie ?

2. Pour discuter

Avez-vous déjà visité un lieu de la mémoire ? Vous retrouvez-vous dans les comportements vacanciers

de certains touristes ? Dans un monde où même les guerres deviennent virtuelles, trouvez-vous qu’il y a

encore de l’espace pour la commotion et la participation ?

3. Sur la toile Pour écrire

Cliquez sur www.normandie-tourisme.fr/, ensuite Special Jour J, Les sites de la Bataille de Normandie ;

cliquez sur Visites virtuelles à 360°, vous retrouverez les images de Colleville-sur-Mer. Si vous cliquez sur

Les principaux musées, ensuite sur Liens contextuels, parmi les différentes possibilités de choix, vous pouvez

reconstituer les grandes dates de la bataille. Faites un résumé explicatif visitant les lieux de la mémoire.