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7/29/2019 08 - chronique de Jean-Luc n° 8.pdf
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La chronique de Jean-Luc
Chronique n° 8 : un ours en plus…
Après l’Italie (et le Portugal où se passaient les deux romansd’Antonio Tabucchi) et la Colombie, gagnons les frimas
scandinaves, avec le roman Le bestial serviteur du pasteur
Huuskonen de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna. Ce roman
narre de manière parfaitement linéaire les tribulations du
pasteur Oskar Huuskonen et de son ours Belzeb, sans le
moindre temps mort, au travers de 36 chapitres distribués en
trois parties : « L’ourson orphelin », « Le pestoun danseur » et
L’ours dévot ». Vous en voudriez la recette ?
Vous prenez un pasteur luthérien de l’église finlandaise qui
n’a pas sa langue dans sa poche :
« Le diable rôde parmi nous tel un lion rugissant ! »
[…] « mais quand Dieu lui cingle l’échine de son fouet,
il y a du poil qui vole et le Malin chie dans son froc ! »
ni des convictions très académiques (vous lui prêterez des théories plutôt iconoclastes) :
« Si Jésus avait été un bolchevik, un rouge comme on peut le supposer… On peut donc
conclure que Jésus, vivant, aurait pour finir supplanté jusqu’à Staline, qu’il aurait fait exiler
ou exécuter. Le communisme aurait ainsi pris dans le monde un autre visage, humaniste et
vertueux, et ne se serait jamais écroulé. Il est donc dommage, en soi, que Jésus n’ait pas pris
part à la guerre civile finlandaise. Mais peut-être faut-il y voir la toute puissante main de
Dieu. »
Vous lui offrez un ours orphelin le jour de ses 50 ans, au grand dam de son épouse.
Vous le faites découcher et l’envoyer en sous-vêtements dans la tanière
d’hibernation de son nouvel acolyte (alcoolique ?) en compagnie d’une
biologiste plutôt gironde.
Vous lui faites pratiquer un nouveau sport que seul un Finlandais pouvait
inventer : le lancer de javelot ascensionnel – et de préférence quand il aura
son évêque en ligne de mire.
Vous enseignerez à l’ours mille et un tours : savoir être propre (aller aux WC
et s’essuyer les fesses !), repasser le linge, prendre sa douche, danser,
mettre la table, faire le ménage, répondre au téléphone, regarder la
télévision, cuisiner, faire et porter les valises, et surtout être un modèle de
piété (ci-contre la couverture de l’édition finnoise) :
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« L’ours savait déjà faire avec dextérité des signes de croix et joindre les pattes,
s’agenouiller, lever le museau vers les cieux, prendre une mine pieuse et avoir l’air de prier.
(… ) Il tenait avec aisance une Bible entre ses pattes et la feuilletait comme s’il avait su lire
l’Evangile. (…) Il (…) se prosternait le museau tourné vers la Mecque et geignait comme un
parfait muezzin. »
Vous l’envoyez sur l’ île russe de Solovki en compagnie d’une accorte
télégraphiste. Vous lui faites écouter les voix du cosmos.
Vous lui faites faire un périple, toujours avec son ours, par train,
bateau et avion, autour de l’Europe dans une ambiance des plus
folles : « Puisque la croisière s’amuse, prions le Seigneur ».
Vous les faites revenir tous deux (ou tous trois car où est Oskar une
femme n’est jamais loin) en Finlande, plus précisément en Laponie,
où l’on est rentré « cultiver son jardin » et où viendra la révélationultime.
Vous instillez un soupçon d’humour à chaque page (car ce roman est
littéralement une manière d’épopée de la veine burlesque propre à Paasilinna, ci-contre) :
« Le pasteur Oskar Huuskonen songea vaguement que si Jésus avait été finlandais, marcher
sur l’eau n’aurait pas été un bien grand miracle, en tout cas en hiver. Ce n’était pas une
question d’ardeur de la foi, mais d’épaisseur de la glace. »
Vous vous souviendrez de Voltaire. Car il y a du
Voltaire chez Paasilinna et du conte voltairiendans son roman. On y trouve : la veine
picaresque de Candide (dont le héros voyagera
d’Europe en Amérique avant de revenir « cultiver
son jardin ») ; l’apologie d’une religion naturelle
débarrassé de son clergé obtus (Oskar et Belzeb
prendront part à Malte à un congrès
œcuménique comparable au souper de Bassora
où Zadig se retrouve au milieu d’adeptes de
religions différentes) ; l’irrévérence et la malice (s’il faut un officiant à ce déisme auquel Oskar f init
par se convertir, son ours peut parfaitement en tenir lieu, on l’a vu plus haut) ; enfin un anarchisme
souriant, une philosophie épicurienne de la vie qui ne vous dispense pas de vous interroger sur le
sens de l’existence.
« Cinquante ans, c’est une longue période dans l’existence d’un homme. Plus de la moitié,
largement plus de la moitié s’était maintenant écoulée. Qu’avait-il accompli ? Sa foi était-elle
toujours solide et sincère ? Eh bien… c’était à voir. Il avait un doctorat en théologie, la char ge
d’une paroisse, un titre de doyen, une famille, ce chalet dans l’île. Ce n’était pas grand-chose.
« Mais j’ai quand même aussi un ours. »
Belzéb, étendu aux côtés de son maître, regardait lui aussi la splendeur du soir. »
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Mais vous n’oublierez pas d’être grave quand l’histoire (l’Histoire) l’exige : les îles Solovki n’ont-elles
pas servi aux Bolcheviks de laboratoire du goulag ?
« A chaque pas, on marchait
sur des ossements humains,
des restes de détenus enfouis
dans le sol. »
appel des prisonnières au camp de Solovki
Oui, vous pouvez me croire, la meilleure des recettes pour un roman réussi.
La gravité signalée comme ultime ingrédient me fait penser forcément à un autre roman traduit du
finlandais emprunté à notre bibliothèque de Mosset : Les vaches de Staline, de Sofia Oksanen.
Des vaches après un ours ? Oui, mais pour une expérience bien différente.
On ne peut plus parler ici de jubilation mais d’effroi et d’empathie avec
Anna, l’héroïne de cet autre roman. Sa mère est estonienne, son père
finlandais qui mène une double vie entre Helsinki et Moscou ; les revers
de l’Histoire, de votre histoire, (la soumission au nazisme, les vexations
soviétiques, l’exil mal vécu en Finlande, l’indépendance Estonienne
récemment gagnée), ne vous rendent pas la vie facile : pas étonnantqu’Anna souffre de boulimaréxie, comme elle dit. Et comme les époques
qui se bousculent, Anna est en pleine confusion, incapable de saisir quelle
identité est la sienne. Un roman fort, qui ne laisse pas indifférent.
Mais revenons à nos oursons. Par association d’idée, je vous
recommande également de l’écrivain mexicain (d’origine catalane) Jordi
Soler, la fête de l’ours. Mais de quel ours s’agit-il, cette fois ? Est-ce
Novembre Mestres, cet ancien chevrier des Albères qui, sur son dos de
colosse, transporta pour leur sauver la vie un certain nombre de soldats
défaits de la République espagnole, pourchassés par les franquistes ? A
moins qu’il ne s’agisse d’Oriol, l’un de ces républicains justement sauvés
par le géant. Cet Oriol, dont on a perdu la trace, et que sa famille exilée au
Mexique considère comme un héros. Plus de 50 ans après la Retirada, le
narrateur se lance sur les traces de ce grand-oncle de légende. Il
retrouvera Novembre Mestres et comprendra, en assistant à la fête de
l’ours de Prats-de-Mollo, que les légendes peuvent être des artifices
commodes pour maquiller les horreurs de la réalité.
Je vous livre en complément le texte proposé par l’éditeur sur la quatrième de couverture :
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Quatrième de couverture :
Par l’un des plus grands auteurs espagnols actuels, un jeu de piste virtuose entre réalité et
fiction pour une enquête familiale échevelée. Peuplé de personnages extraordinaires, tour à
tour héroïques ou effrayants de sauvagerie, un conte magnifique de noirceur autour des
thèmes récurrents de Soler : l’exil, la mémoire, la culpabilité, le poids de l’histoire familiale.
Lors d’une conférence, Jordi Soler rencontre une femme étrange qui lui remet une photo et
une lettre. Sur la photo, trois soldats républicains parmi lesquels Arcadi, le grand-père du
narrateur, et Oriol, son frère. Dans la lettre, une incroyable révélation. Oriol, qu’Arcadi avait
dû abandonner blessé en 1939, et que tout le monde croyait mort ou reconverti en pianiste
quelque part en Amérique latine, Oriol aurait vécu le reste de sa vie, là, près d’Argelès -sur Mer. Bouleversé, Jordi Soler va découvrir la face cachée de celui que la légende familiale
avait érigé en héros…
Vieux souvenir de lecture aussi qui, dans ma
mémoire, me semblerait assez proche du
roman de Paasilinna (romans picaresques,
histoires faussement légères, remplies de
détours imaginatifs et merveilleux, avec une
vision toujours généreuse et optimiste.) Liberté
pour les ours, premier roman de John Irving :
(paru en France en 1991, traduit de l’anglais)
Et pour avoir l’air d’être au fait de l’actualité, le
film Ted (sorti en octobre) réalisé par Seth
MacFarlane et interprété par Mark Wahlberg
et Mila Kunis.
Un qui a eu moins de chance avec son ours que le pasteur Huuskonen, le jardinier de la fable de Jean
de La Fontaine.
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L’ours, animal emblématique des Pyrénées et de Mosset, si l’on en croit
ce bas-relief exécuté sur le linteau de la porte au n° 1 de la place de Dalt
(s’il s’agit bien d’un ours !). Sans quitter la ménagerie où s’est installée
cette chronique, Il est temps de passer à un autre animal, lui aussi
emblématique de Mosset : le chat…
Huusksonen arrive à sa révélation ultime grâce, dit-il, au principe de
sérendipité, ainsi définie par Wikipedia : « le fait de réaliser une découverte
inattendue grâce au hasard et à l'intelligence, au cours d'une recherche
dirigée initialement vers un objet différent de cette découverte. » Il en a
été de même pour moi et là, cette fois, je vais gloser, extrapoler, fabuler et
galéjer :
Depuis début octobre, bat son plein à Lille et dans sa métropole tout un trimestre d’animation le
signe du « Fantastic » http://www.fantastic2012.com/ .
Ainsi au Palais des Beaux-Arts, une grande et belle exposition : Les fables du paysage flamand (surles peintres des Pays-Bas de la Renaissance : dont Bosch et Brueghel…). Dans ma déambulation, je
suis tombé sur une assez grande toile (114 x 142 cm) L’Arche de Noé sur le mont Ararat , de Simon de
Myle (ou de Meyle). Une des rares toiles de l’expo (et de l’époque) à avoir été signée et datée (1570).
Du peintre, on ne sait quasiment rien.
Alors on peut tout imaginer, ce dont je ne vais pas me priver : un voyage mène Simon de Myle en
Catalogne (ce qui est plausible et assez courant à l’époque ; par exemple, en 1427, le peintre Van
Eyck est chargé d’une mission dans le royaume d’Aragon et visitera Barcelone ; et de nombreuxpeintres catalans viendront se former en Flandre…). Il y trouve des commanditaires.
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Parmi eux la famille de Cruilles et de Santa Pau, seigneurs de la Baronnie de Mosset (libre à moi de
pousser cette hypothèse). On s’entend sur le sujet du tableau (l’arche de Noé), sans qu’on sache s’il
s’agit d’une proposition du peintre ou d’une commande expresse du seigneur.
Sur la toile, Simon Myle peint des animaux : il en copie même certains de l’Historia
animalium du Suisse Conrad Gesner (1563), première véritable encyclopédie
naturaliste de l’histoire. C’est entre autres le cas pour une licorne (dont on pensaitencore à l’époque qu’elle existait réellement), pour un rhinocéros (derrière l’arbre à
droite), lui-même copié d’une gravure de Dürer, faite en 1515, représentant le
Rhinocéros Ulysse offert au roi Manuel du Portugal et amené d’Asie à Lisbonne
(image en dessous)… Il fait le même copier-coller (ça existait déjà en 1570) pour
un moix, un chat. Placé en bas à droite (ce qui n’est pas anodin – comme un signal
ou une signature).
Mais Simon de Myle modifie son modèle (1ère
image à
gauche) : suggestion du commanditaire ? évocation
d’une légende proprement catalane (ou « étrangère ») ?
Dans la gueule du chat, il ajoute une alose. Ce qui fait
penser furieusement au blason de Mosset – l’alose
devenant au fil des siècles une navette de tisserand ou
une fusée d’artifice…
Vue la période, je me propose de vous narrer un
conte de circonstance : un conte de Noé(l) à ma façon.
Ma légende ? Noé, avant d’échouer sur le mont Ararat, avait
prévu de le faire sur le Madres, voire de s’amarrer au rocher
du Carrau (il y aurait scellé un anneau d’amarrage, car anneau
il y a, d’après ce que m’a dit Jean Not). Le chat aurait profité de
cet arrêt temporaire pour faire une escapade et croquer une
alose dans le courant de la Castellane. Pour certains, il serait
resté sur place, trouvant le lieu à son goût ; pour d’autres, il
aurait rembarqué, continuant le voyage jusqu’au mont Ararat
(à bon chat, bon rat ; donc bon chat a(u)ra rat !) avant de
revenir là où il savait trouver aloses à foison.
Le tableau sur le site de Sotheby’s, avec loupe : http://www.sothebys.com/fr/auctions/ecatalogue/2011/tableaux-
anciens-et-du-xixe-sicle/lot.30.html
Ce détail du tableau devait devenir, sur décision du baron de Cruilles, le blason de Mosset. Cette
légende en vaut bien une autre, non ?
On trouvera à la bibliothèque de Mosset
D’Arto Paasilinna, Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen, éditions Denoël – 2007 (traduit
du finnois, 300 pages)
De Sofia Oksanen, Les vaches de Staline, éditions Stock – 2011 (traduit du finnois, 500 pages)
De Jordi Soler, La fête de l’ours, éditions Belfond – 2011 (traduit de l’espagnol, 200 pages)
(Sans doute) Les fables de La Fontaine
Le 21 décembre 2012 (bonnes fêtes à toutes et à tous)