13
 Le corbeau et le Renard Quand il ouvrit le quatrième sceau, j'entendis la voix du quatrième être vivant qui disait: Viens. Je regardai, et voici, parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait.   Apocalypse de Jean, 6 « Faut pas jouer avec les allumettes. » Pale Rider (le prêtre, the preacher). Cette fois-ci un livre lu au lance-pierres. Qui pour manier la fronde ? L'auteur, Yannick Haenel ? Le lecteur ? En ce qui me concerne, je l'ai lu en deux soirées pour en sortir groggy. Un livre-molotov qui n'a pas la bigarrure du cocktail mais la robe fauve et fuyante du chacal. Les Renards pâles. Ça commence comme L'étranger de Camus :  Aujourd'hui, maman est morte. Une phrase sèche, brutale comme un constat, une écriture neutre et blanche : « C'est l'époque où je vivais dans une voiture. » Mais aussitôt on se retrouve dans Gros-Câlin d'Emile Ajar/Romain Gary, par un phénomène de perte de contrôle du langage, au point que celui-ci finit par dire autre chose que ce qu'on voulait dire. Cette autre chose se révélant être une vérité jusque là indicible. Comme si, sous le pouvoir divinatoire du Renard, ce qui était secret (de polichinelle) affleurait à la surface des mots. C'est l'époque où je vivais dans une voiture. Au début, c'était juste pour rire. Ça me plaisait d'être là, dans la rue, sans rien faire. Je n'avais aucune envie de démarrer.  (p. 15)

26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 1/13

 

Le corbeau et le Renard

Quand il ouvrit le quatrième sceau, j'entendis la voix du quatrième être vivant qui disait:

Viens. Je regardai, et voici, parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se

nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait. 

 Apocalypse de Jean, 6

« Faut pas jouer avec les allumettes.»

Pale Rider (le prêtre, the preacher).

Cette fois-ci un livre lu au lance-pierres. Qui pour manier la

fronde ? L'auteur, Yannick Haenel ? Le lecteur ? En ce qui me

concerne, je l'ai lu en deux soirées pour en sortir groggy. Un

livre-molotov qui n'a pas la bigarrure du cocktail mais la robefauve et fuyante du chacal. Les Renards pâles. Ça commence

comme L'étranger de Camus :

 Aujourd'hui, maman est morte. Une

phrase sèche, brutale comme un

constat, une écriture neutre et blanche : « C'est l'époque où je

vivais dans une voiture. » Mais aussitôt on se retrouve dans

Gros-Câlin  d'Emile Ajar/Romain Gary, par un phénomène de

perte de contrôle du langage, au point que celui-ci finit par

dire autre chose que ce qu'on voulait dire. Cette autre chose

se révélant être une vérité jusque là indicible. Comme si, sous

le pouvoir divinatoire du Renard, ce qui était secret (de

polichinelle) affleurait à la surface des mots.

C'est l'époque où je vivais dans une voiture. Au début,

c'était juste pour rire. Ça me plaisait d'être là, dans la

rue, sans rien faire. Je n'avais aucune envie de démarrer.  

(p. 15)

Page 2: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 2/13

 

Démarrer... Non pas la voiture, mais son propre rôle social,

démarrer dans la vie, comme on dit. Force brute de la polysémie

prétendument incontrôlée. Les mots vous échappent comme

prolifèrent anarchiquement les cellules d'une tumeur

cancéreuse. On pourrait ici répéter mot pour mot cecommentaire sur l'écriture de Gros-Câlin  (au hasard, cette

citation : « Chacun de nous est entouré de millions de gens, c’est

la solitude ») : « Le retournement du langage est un dévoilement.

Un dévoilement de ce qu’est la société, de la place de l’homme dans cette société, de

l’absurdité d’être au monde dans un monde absurde. » : (Christine Bini dans son blog

"La cause littéraire" : http://www.lacauselitteraire.fr/gros-calin-romain-gary ).

Le protagoniste, dont on apprendra page 30 qu'il s'appelle Jean Deichel

(dans la dèche ?), est mis à la porte de chez lui avec plante (un papyrus) et

quelques bagages. Il a cessé d'aller pointer aux Assedic : de toute façon,

sans téléphone, il est injoignable. Coupé de tout, vidé de toute substance

sociale, le voilà devenu apte à vivre une expérience dont il n'avait même pas l'idée.

Ici, il se souvient des derniers jours passés dans sa chambre de bonne avant que son

bailleur ne l'en expulse : recroquevillé dans un coin, il attend qu'un rai de soleil

vienne lui auréoler la tête. 

Une flamme déchire les lignes ; elle fait tourner votre solitude dans la

lumière. Qu'est-ce qui m'arrivait dans cette chambre ? Est-ce que je faisais déjà

de la place en moi pour les Renards pâles ? Mon désœuvrement était une

expérience. Je me préparais. (p.30)

A ces lignes, je me suis souvenu de l'épilogue du film de Jacques Rivette, L'amour

 fou (1969), avec Jean-Pierre Kalfon prostré dans l'encoignure d'une mansarde tandis

que le soleil envahit la pièce. Souvenir aussi du roman de Georges Perec, Un homme

qui dort (1967). Perec lui-même évoquant, dans un entretien avec Pierre Desgraupes,

le souvenir d'un film, La vie à l'envers d'Alain Jessua (1964).

http://www.ina.

fr/video/I08261

871 G. Perec

http://www.arte.tv/fr/vous-avez-vu-l-amour-fou-

de-rivette /3482046,CmC=7849298.html 

http://www.1kult.com/2010/08/17/la-vie-a-lenvers-alain-jessua/ 

Page 3: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 3/13

  Jean Deichel, 43 ans. Un étranger habite maintenant ce corps vêtu d'un

sempiternel  manteau gris, quelqu'un qui se fout complètement  de l'« actualité »,

et n'est sensible qu'aux lisières, aux bordures, aux inflexions des nuages, aux

herbes folles qui couvrent les derniers terrains vagues de Paris.

Un poète ? Je crois que le mot le ferait rire. Méfiez-vous : les solitaires ont

 peut-être du charme, mais aussi une dureté qui vous éloigne. (p.30)

Le récit de Yannick Haenel oblige aux références, délibérées ou celles qu ’y met le

lecteur : Camus, Ajar, Rivette, Perec et maintenant Olivier Adam (Les lisières) et Alain

Resnais (Les herbes folles). A quoi il faut ajouter En attendant Godot  de Beckett, livre

que Deichel trouve dans la boîte à gant de la voiture où il habite désormais (comme

la Louise Wimmer, du film de Cyril Mennegun). Ça fait beaucoup, je le reconnais.

Mais abondance de biens ne nuit pas, dit-on. Désormais Jean Deichel est celui qui

attend. Quoi ? Il ne le sait pas encore : Godot ? Non. Un ‘dog’ ? On en croisera un

(avec le souvenir d’une lecture de Jack London, L’amour de la vie).

 Au carrefour du Père-Lachaise, je croisai un chien. Il était noir, du genre chien-

loup. Il semblait épuisé. Le chien perdait du sang. J'ai continué à suivre le chien.

Il s'est dirigé vers ce terrain vague, légèrement surélevé, qui abrite les

réservoirs d'eau des Tourelles. […] 

Le chien s'était couché dans l'herbe. Je m'allongeai à ses côtés. Les

battements de cœur du chien, je les entendais dans mon ventre. Couché dans l'herbe à ses côtés, j'ai compris qu'en mourant ce pauvre chien

me faisait cadeau d'une voix que seul le silence est capable d'accueillir.

Voici les premières lueurs de l'aube. Je vais dormir maintenant. L'herbe

remue, il fait jour. Le chien est passé en moi.  (p. 48 sqq) 

Godot, dog, God… On y arrive, le dieu Dogon, le Renard pâle.   Haenel le dit

textuellement à la page 53 : Ce récit est l'histoire des signes qui mènent aux Renards

 pâles. Il y aura en effet d’autres signes, d’autres rencontres  : un petit chacal

représenté sur une frise décorant un restaurant, des noms de rue, des slogans taguéssur les murs, deux éboueurs maliens (avec lesquels on improvise une cérémonie

Page 4: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 4/13

d'offrandes à la mémoire d’un SDF broyé par le  camion de ramassage des ordures

ménagères : ficelle, brindilles et libation d'un fond de vodka), d’autres compagnons

d’errance en cheville avec le groupe de Tarnac, une femme surnommée la Reine de

Pologne (et qui descend du général communard Walery Wroblewki)… 

 Je ne vais pas raconter tout ce qui m'est arrivé à l'époque ; d'autres en

 feraient volontiers un roman - pas moi. Je l'ai dit, ce récit n'a qu'un but :

raconter l'histoire des Renards pâles. (p.84)

Un autre moment qui fait signe : un soir, le narrateur se retrouve exactement là où

Jean-Jacques Rousseau a eu son célèbre accident, le 24 octobre 1776, quand il se fit

renverser par un chien danois à la barrière de Ménilmontant (décidément, encore un

chien).Ce que Rousseau rencontre, ce n'est pas seulement un chien, mais l'existence

elle-même. Ce n'est pas par-dessus un chien qu'il saute, il fait un saut dans

l'existence. Car l'existence est quelque chose qui arrive sur vous comme un

animal en pleine course : elle vous précipite avec elle dans son élan, et alors

vous vous mettez à vivre.

Est-il possible que les expériences

circulent à travers le temps, et qu'elles se

transmettent par le réveil de la mémoire ?

Peut-on hériter d'une extase ? Je riais tout

seul en me répétant ces mots : hériter

d'une extase. Moi qui n'avais rien, c'était

bien mon seul héritage : et, après tout, y en

a-t-il de plus beau ?  (p.87) 

« C'est l'époque où je vivais dans une voiture. » Cette époque, ce temps

d’intervalle, constitue la première partie des Renards pâles, partagée en 20 courts

chapitres, chacun ayant son titre.

Dessin de Tsunehiko KuKuwabara

Page 5: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 5/13

L'intervalle - Papyrus - XX e arrondissement - Les suicides - Ferrandi - Myriam -

Comme un chien - Impasse Satan - Godot - Ecce homo cadaver - L'horreur -

Sortir les offrandes - Garde à vue - La solitude est politique - Tout est en

aventures - Godot revient - La reine de Pologne - La guerre civile en France -

Père-Lachaise - Le Griot

Dans le dernier de ces chapitres, Deichel tombe sur un tag qui

dit ceci : « IDENTITÉ = MALÉDICTION ». Puis il débarque dans un squat

où il rencontre un griot, immigré clandestin :

 J'interrogeai le Griot sur le sens de l'inscription que je

venais de découvrir dans la rue, en bas de chez lui.

- Personne ici n'a de papiers, dit-il. La société a besoin

que nous ayons une identité pour nous contrôler. Il faut en

 finir avec cette logique. (p.109) 

Le griot l’éclaire sur la nature magique et subversive de Yurugu, le Renard pâle

dogon. Les jours du vieux monde sont comptés :

Le vieux rêve occidental de la révolution avait moisi ; et j'entrevoyais que, si

quelque chose devait avoir lieu - si un réveil était possible -, c'était à partir du

Renard.

 J'ai traversé l'appartement, il y avait de la lumière qui venait

d'une pièce : le Griot était à son bureau. Je lui ai tendu ma carte

d'identité. On s'est regardé en silence. Avec des ciseaux, il l'a

coupée en petits morceaux, puis les a jetés dans un cendrier où il

a mis le feu. Les flammes étaient rouge et noir, comme les

masques. Nous avons souri. (p.112) 

Deichel, qui jusqu’à cette page 112 était resté dans un entre-deux, un « intervalle »,comme il dit, vient de faire le pas et, avec lui, nous pouvons basculer dans la

deuxième partie du roman, soixante pages d'un seul tenant, sans titre.

Haenel y raconte une nuit d’incendie, une nuit de fête, la nuit des masques.

Souvenir d’une pièce de théâtre :

Ohne, en allemand, veut dire ‘sans’  

Page 6: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 6/13

  Il a suffi de quelques heures

 pour que Paris devienne le lieu

d'une folle émeute […] Nous

n'avons pas eu grand-chose à

 faire pour allumer ce brasier : il

est facile d'envoyer aux

 flammes un monde qui se consume depuis si longtemps dans son chaos.

Que vous le vouliez ou non : un spectre hante la France, c'est l'Afrique.

La continuité des supplices, il paraît que vous

appelez ça l'Histoire. Nous avons cru comprendre

que vous excluez l'Afrique d'une si précieuse

construction. En un sens, vous voyez juste : elle n'a

rien à faire avec vous. (p.115 à 117)

Nous avons mis le feu à Paris afin que vos

yeux s'ouvrent : vous avez, paraît-il, besoin de

lumière, le ciel est si gris au-dessus de vos têtes.

C'est pour vous réveiller que nous incendions

vos voitures, et que nous ajoutons à ce feu de

 joie vos poubelles : poubelles et voitures, votre

monde n'est-il pas résumé dans ces deux mots ?Poubelles et voitures, c'est votre grand œuvre, c'est la « civilisation ». (p. 120)

Vos caméras nous filment à

chaque coin de rue, à chaque

entrée d'immeuble, dans les

 parkings, dans la moindre

boutique. Mais que voient-elles ? Rien. Ou plutôt si, elles

voient des chevreuils, des

boucs, des antilopes, des

hyènes, des lièvres, des

guépards, des singes, des chacals, des alligators,

des margouillats, des figures de la brousse au rictus menaçant,

rouge et noir comme l'anarchie, entourées de longues fibres qui s'agitent comme

des collerettes de sang.

Oui, nous portons des masques : ils nimbent notre absence. (p.124) 

Courtesy of Prospero Pictures

le « drame de l'Afrique » vient du fait

que « l'homme africain n'est pas assez

entré dans l'Histoire. (Nicolas Sarkozy,

discours de Dakar du 26 juillet 2007)

photo Bernard Godot Gaudin

Page 7: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 7/13

  Que s'est-il passé à la Bastille ? Qui a allumé le premier feu ?

Personne n'est capable d'identifier le commencement d'une

émeute. En un sens, l'insurrection avait commencé bien avant les

 premiers affrontements : dans nos têtes, vous le savez, le feu

brûle depuis toujours et celui qui embrase cette nuit les rues de

Paris, qui les illumine d'éclairs rouges et bleus vient d'aussi loin

que notre mémoire. (p.157) 

Cette nuit, le feu ne s'éteindra pas. Nous sommes trop nombreux. Vos forces

d'intervention vont-elles nous massacrer ? C'est trop tard : tout le monde nous

regarde, tout le monde filme avec son téléphone ; et les images de ce qui a lieu

 place de la Concorde, centre et symbole de Paris, sont transmises dans le

monde entier : vous n'allez tout de même pas gazer une foule silencieuse, vousn'allez pas lyncher des masques ? (p.172) 

Le feu qui s'élevait des brasiers donnait à

l'obélisque l'allure d'un dieu sauvage : ses

 feuilles d'or étincelaient dans la nuit, et sa

colonne semblait dressée dans le ciel

comme un sexe qui brise l'ordre établi.

(p.173) 

La grande roue du jardin des Tuileries tourne

sur elle-même, elle éclaire à présent notre destin.

 A travers tous ces masques rassemblés place de

la Concorde, votre monde se renverse : ceux que

vous avez depuis si longtemps mis au ban de

votre société en occupent le centre, et c'est vous

qui êtes relégués sur les côtés. Alors, bien sûr,vous allez dire que nous sommes encerclés : mais

à travers le cercle que vous dessinez autour de

nous s'écrit une vérité qui vous condamne.

Sous nos masques, un murmure s'élève. C'est la

voix du Renard pâle. Il s'est mis à chanter. Sa parole ouvre en chacun de nous

une espérance, elle transmet son feu à tous les masques, elle salue le ciel et les

étoiles. (p.175)

Vous avez compris ce que j’entendais par roman au lance-pierres et par livre-molotov. Le propos de Yannick Haenel est proprement radical. On aime… ou on

Page 8: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 8/13

n’aime pas. La critique a été partagée : à côté d’une belle

double page du Monde des Livres, ce papier, ce long

commentaire incendiaire (un contre-feu ?) qui, dans un

blog, parle d’imposture littéraire et de galimatias :

http://www.juanasensio.com/archive/2013/08/31/les-renards-pales-nouvelle-imposture-de-yannick-haenel.html .

Et mon village de Mosset dans tout cela ? Ne me faites pas

dire ce que je ne veux pas dire : Mosset n’est pas Paris ni

Tarnac. Mais on

essaie d’y faire

avancer à petits

pas la révolution. Comme en témoignentces deux rencontres organisées par

l’association mossétane des Saxifrages ( je

rappelle qu’il y a 300

habitants à Mosset) et sa

participation au récent

Forum des possibles de Fillols.

Et puis j’ai imaginé une relecture de la Bible qui fait de la vallée de Mosset le

berceau du peuple dogon. Accrochez-vous, je remonte au Déluge !

« Les pluies diluviennes cessent. L'arche de Noé flotte au-

dessus du Conflent, là où les eaux confluent. Le patriarche

amarre sa nef au roc de Caraut. La décrue se confirmant, une

partie des animaux embarqués quitte l'arche : beaucoup

s'installeront aux abords de la Jonquéra de

Corbiac (Corbiac, parce que s'y posa le corbeau lâché par Noé  – 

voilà le corbeau de mon titre ! (Genèse 8:7 ) ; et Jonquère, parceque c'est là, sur un rocher, que s'était posée une colombe de

l'arche, ( jônah, la colombe en hébreu +  -quer/-ker/-car , racine

indo-européenne signifiant 'rocher', comme dans Caraut/Caralt,

le rocher haut). Le chat préfère s'installer à Mosset, dont il

deviendra l'emblème (et s'il croque une alose, c'est pour rappeler

le déluge). Noé prévoit de s'installer dans le Conflent et fonde

Nohèdes. Ses fils, Japhet, Sem et Cham, pensent aussi à s'établir.

Japhet, père des Ibères, ira fonder Getafesur la meseta madrilène. Son fils Tubal,

http://forumdes

possibles.wordpress.co

m/ 

Page 9: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 9/13

cherchant à se rapprocher de ses frères, reviendra créer la petite cité de Thu-balls

(Thuès-entre-Valls). Un autre Tubal, Tubal-Caïn, passe d’ailleurs pour avoir inventé

l'art de travailler le fer et l'airain. Au chapitre 4 verset 22 du livre de la Genèse, il est

indiqué que Cilla enfanta Tubal-Caïn : il fut l'ancêtre de tous les forgerons en cuivre

et en fer . Sem, le second fils de Noé, se rendra en Ariègepour y fonder Sem (et Sentenac, communes du Vicdessos).

Quant à Cham, il érigera un temple à Chamos, dieu des Ammonites et Moabites

(second livre des Rois 3:27 ), à proximité du roc de Caraut où l'arche a abordé.

Autour de ce temple, une cité finit par

s'établir : Cha-Mossed, le 'Collège du

Chat' (mossed   ou mossad , en hébreu

 מ ס signifiant "collège institué"). En

aval, s'édifiera un autre lieu de culte àune divinité ammonite, Moloch

(catalanisé en Molich). Entre Molich et

Cha-Mossed, Cham établira le hameau

de Champomarium (c-à-d Campôme,

le verger de Cham). »

Affabulation ? Peut-être mais pas

moins plausible que la théorie de Michel Sauvant avec son Stevi codex. « Orbus solis,

novus Deus, mos est  : Fini la divinité soleil, un nouveau Dieu, c'est notre rite. » : Stevus,un romain de la première moitié du IVe siècle, aurait, par cette phrase

apocryphe, baptisé chrétiennement Arboussols, Nohèdes et Mosset  ! Et Michel

Sauvant imagine une semblable origine onomastique pour 132 villages du Roussillon !

Finalement Noé réembarquera pour voguer vers le mont Ararat. Quant à son fils

Cham, la tradition en fait l'ancêtre des populations africaines. Après avoir fondé

Mosset, quittant la vallée de la Castellane, il gagnera le continent africain pour

s'installer, dans le pays Dogon du Mali actuel, via les hauteurs de Belleville, à en

croire Yannick Haenel. Et ce choix n'est certainement pas dû au hasard. Nous

soulignerons ci-après les similitudes géo-culturelles entre la vallée de la Castellane et

la falaise de Bandiagara, plus évidentes qu'avec le vingtième arrondissement

parisien. Mon propos est donc de compléter en l'expansant

ce que dit le roman de Yannick Haenel à la page 111 :  

- Avez-vous remarqué, me dit le Griot, qu'ici, à

Belleville, nous sommes sur une falaise ? Nous

sommes accrochés à ces pentes comme les Dogon

s'agrippent à la pierre rouge de leurs montagnes.Les carrières de Belleville, tranformées

en 1863 en parc des Buttes-Chaumont

http://www.acg66.org/010STEVI _%20CODEX _a

rticle_080607. df  

Page 10: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 10/13

  Car je prétends que le territoire mossétan est le vrai berceau de la culture dogon.

La preuve par les paysages :

Vous me suivez ? Sauf que, si la photo (merci Google earth!) est véridique, le

croquis lui propose une légende usurpée parce qu'il dessine la topographie dehameaux dogon, constituant le village d'Endé, adossés à la falaise de Bandiagara.

Voici ce même croquis légendé comme il doit l'être :

On comprend que Cham ait choisi ce nouveau point de chute en ce qu'il ne ledépaysait pas. Endé est un parfait exemple de village de falaise aujourd'hui délaissépar ses habitants... C'était un village d'artisans : forgerons, cordonniers ettisserands... ( ferrer, sabater, teixidor  : mêmes professions que l'on trouvait à Mosset).

Molitg

Campôme

 

Corbiac

Mosset

la Castellane

Molitg

Campôme

 

Mosset

Corbiac

Brèzes

Brèzes

Toro

WoOgodengo

Guinékanda

Page 11: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 11/13

  Autre coïncidence : la tradition dogon raconte que le village d'Iréli a été fondé pardeux frères venant de Torobéré, un village de la plaine du Seno. Le plus jeune, unchasseur nommé Abourou, trouve la source grâce à son chien. La légende de lasource thermale de Molitg ne dit pas autre chose : un chasseur, un chien, une

source...

Et, bien sûr, accrochées au flanc de la falaise, des grottes qui, jadis, au pays dogoncomme sur les hauteurs de la Castellane, ont servi de refuge, de carrière et desupport à diverses peintures et inscriptions dont beaucoup restent énigmatiques.

En couleur, au Mali ; en noir et blanc, à Mosset :  la cova de les Encantades (la grotte

des fées) qui domine le hameau (veïnat ) de Sant Bartomeu (saint Barthélémy) peint

en blanc, aujourd'hui ruiné... Au Mali, le fantôme du Renard pâle ; dans la grotte

mossétane, la présence spectrale et batmanesque du grand-murin.

Traditionnellement les dogonssont des forgerons réputés. Une étuderécente a mis en évidence la productionde fer et d'outils en fer forgé du tempsdes Tellems au 6e siècle. Il apparaîtque diverses techniques de récupéra-tion du fer, à partir du minerai trouvé endivers endroits de la falaise deBandiagara, aient été mises au pointdans différents villages parfois séparésde quelques dizaines de kilomètres.Cette production, déjà avérée sur le sitede la falaise pendant plus de 1.300 ans(à raison d'environ 15 tonnes par an),

permet de mieux comprendre le statutparticulier et respecté des forgeronschez les dogons. 

Traditionnellement lesCatalans sont des forgerons

réputés, connus pour la productionde fer et d'outils en fer forgé. Ilapparaît que diverses techniquesde récupération du fer, à partir duminerai trouvé en divers endroitsdes hauteurs du Pla-de-Pons,aient été mises au point dansdifférents villages parfois séparésde quelques dizaines dekilomètres. Cette production, déjàavérée sur le site de la valléependant des lustres, permet de

mieux comprendre le statutparticulier et respecté desforgerons chez les Catalans. 

Page 12: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 12/13

  Plus précisément, à Mosset, il y avait six forges en 1600, quatre en 1848 et trois en1855. En 1848 les quatre forges pouvaient traiter 20000 quintaux métriques deminerai et fournir 7000 quintaux de fer. La dernière a fermé en 1865.

forge dogon forge catalane

On notera aussi que Miquel Barceló, plasticien né à Majorque, cautionne ce jumelage entre vallée catalane et vallée dogon dans le choix qu'il a fait de vivrequelque temps au Mali (à Gogoli) et d'en rapporter une inspiration que l'on a pureconnaître dans un certain nombre d'oeuvres exposées l'été dernier au musée d'artmoderne de Céret.

Enfin, est-ce toujours pour avouer cette parenté entre mondes dogon et mossétanque, ces dernières années, on a vu d'étranges figures rapidement dessinées à la

chaux sur les murs de Mosset, rivalisant avec les multiples apparitions de l'image duRenard pâle et de ses avatars à la fois sur la terre ocre du pays de Bandiagara et surles murs de Belleville ? Comme si des génies malins se livraient à une joute àdistance... Mais à Mosset, pas plus d'image de Renard que de signe de zorro... C'estun autre symbole de subversion que de mystérieux individus répandent sur lesfaçades à coups de pinceaux et de pochoirs : la silhouette de Polichinelle.  

ci-dessus, Miquel Barceló chez lui, à

Gogoli.

 A gauche, une de ses œuvres

exposées à Céret (la paret seca)

Page 13: 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

8/11/2019 26 - la chronique de Jean-Luc n° 26.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/26-la-chronique-de-jean-luc-n-26pdf 13/13

  Je propose l’hypothèse que Polichinelle soit un avatar du Renard pâle. 

Un dernier mot : pour le Nordiste que je suis, Polichinelle se ditPorichinelle, comme l’atteste notre hymne du P’tit Quinquin :

 J’t’acatrai, l’jour d’eul’ducasse, un porichinelle cocasse 

Un turlututu, pour juer l’air du capieau pointu… 

J’espère ne pas avoir été trop indigeste mais je signe et persiste à conseiller la lecturede ce roman que vous trouverez dans notre bibliothèque mossétane :

Les Renards pâles, de Yannick Haenel, L'Infini, Gallimard (2013) - 175 pages

Village au fond de la vallée (comme égaré, presque ignoré), le 26 août 2014

Dans la cosmogonie dogon,

Yurugu, le Renard pâle, naît

de l'union du dieu premier etde la Terre qu'il a créée. Le

Renard pâle, unique et donc

imparfait, principe de désordre,

commit l’inceste avec sa mère

parce qu’il ne trouvait pas de

compagne. Errant sans cesse

à la recherche d’une épouse, il

ne connaît que la parole

première, celle qu’il révèle aux

devins. Sorte de divinité

déchue et proscrite, il a pu être

assimilé à Lucifer. Rebelle à la

loi divine et paternelle, Yurugu,

facteur de désordre, n'a de

cesse d'amener le chaos.

Cependant les dogons savent

qu'il leur est nécessaire : le

chaos n'est-il pas un élément

de la vie ?

Polichinelle est un personnage type de la commedia dell'arte. Tirant

sans doute son origine des atellanes, pièces du théâtre latin,

subversives et licencieuses, c'est un semeur d'intrigues, impertinentet bouffon. Il est souvent représenté sous l'aspect d'un valet

d’origine paysanne, rusé, grossier, simple,  disgracieux, spirituel et

gourmand. Vêtu de blanc, il est caractérisé par son fameux

maschera (masque) avec son nez en bec de corbin, sa bosse, son

gros ventre et son parler imitant le cri des oiseaux. Si chez les dogons

l'esprit malin s'est incarné dans un renard, dans la tradition italique il

a préféré prendre corps sous la forme d'un "petit poulet"

(pulecenella, en napolitain, d'où son nom italien Pulcinella). Du

poulet, il a la gloutonnerie, l'arrogance, la bêtise, l'agressivitéhargneuse, la voix piaillante et... la lubricité d'un petit coq. Comme

son frère dogon, il est aussi celui qui révèle les vérités cachées, le

fameux secret de Polichinelle. Comme on le voit, un autre facteur de

chaos. Mais quel est ce chaos promis à Mosset ? Certains disent que

c'est celui de la fête lyrique où triomphe la Reine de la nuit (celle de

Mozart), ou la reine Mab (celle qui brouille les esprit de Juliette et

Roméo), ou les sorcières de Carthage qui détruisent l'amour d'Enée

et de Didon... Ce chaos secrètement désiré qui vous renverse le

temps d'une soirée d'opéra.